Prélude

 

 

                              À Maurice

 

                          Ô travail des champs, tu es le symbole de celui

                          de l’âme ! Enfant de ce monde terrestre, apprends

                          à faire ta journée de labeur ; fends cette terre,

                          qui ne sera point ingrate ; creuse ton sillon, et,

                          dans son sein entr’ouvert un peu plus tard,

                          tu jetteras l’espérance. Dieu se charge d’exaucer

                          tes vœux.

                                             (Le paroissien du cultivateur)

 

 

« La pensée est un soc, et l’âme est un terroir ! »

Voilà ce qu’une voix, me souffla, par un soir,

Que, le front incliné sur ma charrue austère,

Tout seul, je méditais en labourant la terre............

 

La pensée est un soc ! me répétait la voix ;

Ô jeune laboureur ! as-tu songé parfois,

En fécondant ton sol, par le fer et la flamme,

Que le penseur ainsi va, défrichant son âme ?

 

Car tout profond qu’il soit, le meilleur sol ne vaut

Qu’en autant qu’il produit – ainsi de ton cerveau,

De ton cœur, mon enfant ; qu’importe qu’il soit riche,

Tendre, pur et fécond, situ ne le défriches ! »

 

– Que puis-je ! soupirais-je, en regardant mes mains

Calleuses et noircies des labeurs durs et maints.

Que puis-je ! – ô douce voix, je n’ai, fort une vaine,

Que le sang chaud d’Hébert qui coule dans mes veines.

 

Ignorant, je ne sais que ce que, ange aux yeux doux,

Ma mère, m’enseigna, jadis, sur ses genoux,

Là-bas, dans le Québec, sous une érablière : –

L’amour du sol natal – Les mots de ma prière !

 

Souvenance sacrée entre mes souvenirs !

Qu’il est doux, qu’il est bon, parfois, de revenir

Reposer doucement, au berceau de l’enfance,

Un front d’homme, déjà fané par la souffrance !

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Depuis lors, j’ai grandi, comme croît, au vallon,

Sous le regard de Dieu, le froment du sillon.

Tranquille et sans regret....... et pourtant ! mon front blême

S’incline tout rêveur, sur la glèbe, car j’aime !

 

– Et c’est assez ! mon fils – quiconque aime, peut tout !

Interrompit la voix – s’il aime jusqu’au bout !

Seul, sans t’inquiéter qu’on te hue ou te raille,

Dès ce soir, courbe-toi sur toi-même et travaille !

 

Va, l’auréole au front, du penser, soc tranchant,

Remuer les guérets de ce sublime champ

Qu’est ton âme ingénue, et, dans la glèbe rose,

Sème des épis d’or, et sème aussi des roses !

 

Enfant, tu souffriras. – Pour créer, la douleur

Est nécessaire et juste ; arrose de tes pleurs !

Pour féconder un champ, le soleil sans nuage

Ne suffit point ; il faut les larmes de l’orage !

 

Chants, pleurs ! – Pluie et rayon ! – C’est de cette façon

Que naît, croît et mûrit toute bonne moisson ;

Que la rose de feu se dilate, et que l’herbe

Légère du froment se change en lourdes gerbes.

 

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Lors, ému, j’ai crié : – Bouche que je ne vois ;

Doux doit être ton nom, car bien douce est ta voix

– Toi, qui me dis : « Enfant » ; qu’es-tu donc ? – Crémazie

Est mon fils bien-aimé ; je suis La Poésie ! »

 

                                                                           1923 1

 

 

Joseph HARVEY, Les épis de blé, 1923.

 

 

1. L’auteur a cru bon de mettre au bas de chaque pièce la date à laquelle

elle fut écrite. Cette date pourra servir d’excuse pour ses premiers vers ; car,

avant 1921, ne possédant aucun traité en la matière, il ne connaissait, des

règles de la versification française, que ce qu’il avait pu deviner, à la lecture

des poésies qui lui tombaient sous les yeux : soit un minimum de rythme et

de rime.

 

 

 

 

 

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