Noël Nouët

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Maurice ALLEM

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Noël Nouët a publié trois recueils de poèmes : Les étoiles entre les feuilles, en 1910, Le Cœur avide d’infini, en 1911, et Les Cloches des champs, en 1913. Je viens de les relire et j’en ai achevé la lecture avec le regret que ce poète n’ait, depuis plus de dix ans, donné aucun nouveau volume, bien qu’il en ait certainement la matière, car dans Les Cloches des champs il annonçait un recueil futur dont le titre serait Paulo majora. Mais sans attendre que ce livre paraisse on peut saluer en Noël Nouët, d’après ses trois premiers volumes, un poète de l’inspiration la plus délicate, la plus saine et la plus lyrique.

La poésie n’est point pont lui un jeu, et une chose qui frappe, dans son œuvre, c’est l’absence presque complète de poèmes à formes fixes : on n’y trouve ni un rondeau, ni une ballade, et seulement deux sonnets. C’est que la composition de pièces de cette sorte demande une ingéniosité dont Nouët ne serait, certes, pas incapable mais dont il ne se soucie pas.

Son art est fait de spontanéité, de simplicité et de sincérité. Les émotions, les impressions qui sont l’aliment de sa poésie, il les a traduites dans le moment même qu’il les ressentait, et sous la forme la moins apprêtée. Dans ses vers, donc, nul artifice. Si l’on y peut relever, çà et là, quelque expression un peu faible ou quelque tournure un peu gauche, c’est qu’il a dû en coûter trop au poète de reprendre à loisir et laborieusement des poèmes d’un jaillissement si naturel, qu’il ne pouvait, sans doute, se résigner à les considérer comme un « ouvrage » et à les remettre, comme dit l’autre, « vingt fois sur le métier ». Mais, pour quelques vers moins heureux, combien d’autres, au contraire, nous séduisent par leur fraîcheur, leur grâce aisée, leur harmonie ou leur puissance !

Les thèmes de la poésie de Noël Nouët sont des plus simples et des plus généraux, c’est-à-dire des plus humains et des plus féconds. Il a, par-dessus tout, le culte de la famille, de l’amitié, de la nature. Il a chanté la maison paternelle, le village où cette maison se trouve, les champs au milieu desquels ce village s’élève. Des êtres et des choses de la campagne et du bourg, Noël Nouët a une vision à la fois précise et poétique qui donne à une partie de son œuvre l’accent d’un lyrisme réaliste et familier.

Voici la vieille église, la place, l’abreuvoir, les cafés retentissants aux jours de foire ; voici qu’un chat traverse la rue, que le béquillard se repose sur un banc, que le marchand de chiffons et de peaux de lapins fait entendre au loin son cri, que l’omnibus revient de la gare, chargé ; voici le marchand de bois avec sa sonnette, des jeunes filles qui bavardent à la fontaine, une domestique qui balaye un ruisseau. Voici d’autres petites gens encore et d’autres menus spectacles dont le poète ne se lasse point parce qu’il les contemple avec une âme sympathique, et que non seulement il sait les voir mais encore les animer, leur donner un sens et une portée.

Et quel sentiment il a de la nature ! Elle est peut-être sa meilleure inspiratrice. Ah ! il n’a pas le goût des paysages singuliers, d’une beauté en général sauvage et stérile où, trop souvent, s’isolèrent et se complurent les muses romantiques. Ayant grandi dans un pays de plaines et, par conséquent, de culture, il ne s’est point préoccupé de chanter la solitude inféconde des sommets ; il a goûté, aimé, compris, et heureusement célébré ce qui fait le charme et la parure de la terre nourricière où s’écoulaient ses jours : les fleurs coutumières disposées en corbeilles au milieu des pelouses ou placées en bouquets au milieu d’une table, et surtout les arbres, ceux du jardin, et ceux qui, aux jours de l’été, mettent un peu d’ombrage sur les routes brûlantes, et ceux qui portent les fruits précieux à l’homme. Le poète chante encore les nuages, et la pluie, et les vents, les vents voyageurs qui d’aventure entraînent sa pensée à rêver de terres lointaines et de cieux inconnus.

Si le pittoresque ou la beauté des choses attire Noël Nouët, il ne se contente pas de rendre leurs lignes et leurs couleurs. Il n’est point un simple descriptif. Il ne fait pas de l’art pour l’art : sa contemplation devient souvent une méditation. Un soir il tient dans sa main une grappe de raisin et tout à coup il lui semble dans chaque grain voir luire une prunelle :

 

            Humide et luisant, chaque grain

            Est comme une ardeur condensée,

            La grappe qui pèse à ma main

            Paraît avoir une pensée.

             

            Je songe à tout ce qu’elle a vu,

            Cette pauvre chose égarée,

            À son beau vignoble inconnu,

            Aux jours de lumière dorée,

             

            Aux passages mystérieux,

            Des vents de l’aube entre les feuilles,

            Aux secrets des champs et des cieux

            Que les plantes graves recueillent.

 

Une autre fois, étant à Paris, il mange une poire et de cet acte si banal, s’élève cette songerie :

 

            J’ai payé cette poire au marchand dans la rue...

            Ce fruit est bien à moi. – Mais je reste à rêver :

            Le marchand a payé le pourvoyeur des halles.

            Puis j’entrevois les besognes provinciales :

            On a payé, là-bas, ceux qui cueillaient ces fruits.

            J’imagine la ferme, et la cour et le puits,

            Le verger... Et puis c’est à l’arbre que je pense.

             

            Ô bon arbre qu’as-tu reçu pour récompense ?

            Arbre inconnu, du moins, soit loué, soit béni

            Pour le fruit radieux que je savoure ici !

            Sois donc bénie aussi, ô terre ! Et toi, encore,

            Sois béni, ô soleil qui fécondes et dores !

 

Ainsi la méditation s’amplifie. Elle devient parfois philosophique et morale. Le poète a une haute idée de sa qualité d’homme et des devoirs qu’elle lui impose. Il a le sentiment profond et de la solidarité des êtres (Douce félicité d’être un parmi les autres, dit-il) et de l’harmonie de l’univers. Son ambition est de ne point faillir à la tâche qui sera la sienne, son inquiétude est de découvrir quelle cette tâche doit être, mais, incertain de sa destinée et de la route à suivre en ce monde où il se trouve jeté et où, à de certains moments, il se sent comme perdu, il demande à tout ce qu’il rencontré des exemples et des leçons. De l’eau, symbole de ce qui rafraîchit et de ce qui console, il reçoit des leçons d’apaisement ; il en reçoit de semblables des arbres qui règnent dans l’air pur ; de toute la diligente nature il apprend la nécessité du travail et la sagesse de la soumission ; cependant il lui arrive de trouver en elle des leçons de juste résistance et ce sont précisément les arbustes dont il est l’ami qui les lui ont offertes. Les arbustes sont secoués par les assauts du vent d’orage. Et le poète dit :

 

            Je reste à méditer le plus longtemps possible

            Alors. Les rameaux fins s’inclinent en vibrant,

            Ils semblent s’approcher de moi en m’implorant.

            Puis le tronc vigoureux d’un élan volontaire

            Les redresse. Et je vois ce que l’homme doit faire.

 

Ainsi a-t-il fait lui-même quand l’orage a dévasté ses jours. La plus grande partie du recueil Le Cœur avide d’infini, dont le titre est si expressif des aspirations du poète, est toute frémissante d’une crise sentimentale qui, pour la première fois, a fait jaillir de son âme le cri d’une douleur précise. Mais si les vents du destin l’ont battu, ils n’ont pas pu l’abattre. Connue l’arbuste, après avoir faibli sous le choc, il s’est redressé. Il a fait plus, il a combattu contre lui-même et il a vaincu, tirant sa force du sentiment de sa dignité d’homme et de la notion élevée de son devoir, la passion qui en eût vaincu tant d’autres.

Je dois, pour ne pas allonger démesurément ces notes, renoncer à la satisfaction de citer bien de beaux vers où se marquent cette douleur, cette lutte et cette victoire. Voici, du moins, deux passages d’une fermeté caractéristique. Dans le premier, s’adressant à son amour, le poète ose lui dire :

 

            Soyez grand, soyez beau, soyez assez certain

            Pour attendre avec calme un objet trop lointain

            Pour être digne aussi d’exemples admirables ;

            Mais si vous deveniez bas, vil et misérable ;

            N’ignorez pas, Amour, vous que j’ai tant loué

            Par lequel de nous deux l’autre serait tué.

 

Dans l’autre, s’adressant à lui-même après que la douleur l’a meurtri, il s’écrie :

 

            Ah ! souffre ! Il vaut bien mieux souffrir que de déchoir...

            Mieux vaut porter le deuil de tes espoirs trop beaux

            Que de n’avoir pas eu d’espoirs dans tes journées ;

            Mieux vaut pleurer des fleurs qu’un vent brusque a fanées,

            Que d’avoir ignoré qu’il existât des fleurs ;

            Mieux vaut connaître enfin les amères douleurs

            Que de laisser s’abattre et se ternir ton âme.

            Souffre plutôt sans fin. Entretiens une flamme

            Qui te protégera tout en te tourmentant.

            Souffre, souffre plutôt que de vivre content

            En vivant médiocre. Oui, souffre sans relâche

            Plutôt que d’être heureux sans accomplir ta tâche,

            Plutôt que de vieillir stérile et satisfait.

 

Le poète revient souvent sur cette idée de la tâche à accomplir. Son œuvre est remplie d’aspirations à l’action. Il aime la vie. Parmi les saisons, c’est la plus laborieuse et la plus féconde, l’été, qu’il semble préférer aux autres, et parmi les heures du jour, celles du matin quand la nature se ranime et que la vie reprend parmi les êtres. Aussi a-t-il composé de nombreux poèmes à la louange des matins. Que l’on lise, au début du recueil : Les Cloches des champs, la curieuse pièce : L’Aurore au village, qui peut être, selon les points de vue, considérée comme une comédie ou comme une symphonie, et où toutes les voix du bourg, celles des gens, celles des animaux, celles des choses se font entendre. C’est – il faut le redire en terminant – l’un des charmes de la poésie de Noël Nouët et l’un de ses caractères particuliers que cette évocation et cette exaltation de l’humble vie quotidienne.

 

Je serais heureux que ces notes, quelque brèves et incomplètes qu’elles soient, aient la vertu d’amener à un tel poète de nouveaux lecteurs. Et je souhaite que lui-même, dont j’ai dû essayer de caractériser le talent d’après des livres déjà anciens, offre à ses lecteurs, après un silence de dix années – et quelles années ! – le recueil que ses premiers livres font désirer.

 

 

 

Maurice ALLEM.

 

Paru dans La Muse française en 1924.

 

 

 

 

 

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