NOUVEL EXAMEN DE LA DOCTRINE DES RÉINCARNATIONS

 

 

 

Partisan des discussions franches, cherchant la vérité par toutes les voies possibles, abhorrant ceux qui l’altèrent ou la cachent, nous avons, dans ce journal, donné un libre champ aux débats indispensables que comporte la question spiritualiste. D’autres, il est vrai, n’ont point suivi une telle voie. Ils ne sont entrés dans aucune discussion ; ils n’ont point aimé projeter la lumière sur tant de côtés ténébreux, de points épineux, que le spiritualisme présente. Ils s’en sont bien donné garde : ils auraient appelé l’attention de leurs lecteurs sur les travaux de leurs contradicteurs, ils leur auraient enseigné un double chemin d’études, et ceux-là auraient pu choisir et se déterminer dans le sens des doctrines qui auraient été à leur convenance. Dogmatiser, affirmer sans examen, sans critique et sans débat ; lancer partout force credo et petits catéchismes ; enseigner qu’on peut évoquer hardiment les Esprits et ne pas apprendre à les discerner ; assurer qu’on peut obtenir d’eux la science infuse ; provoquer par ces moyens des épidémies d’aliénations mentales : cela est bien plus facile et cela est même plus productif. – Mais nous laissons une semblable manière de procéder à ceux qui s’y complaisent : ils trouveront les avantages qu’ils cherchent, c’est-à-dire le travail léger et les biens matériels. Nous, nous aimons mieux les biens spirituels. C’est une si bonne et si douce chose, pour tout explorateur de la vérité, que de l’avoir côtoyée et parfois abordée ! C’est un bien grand bonheur que de la posséder : ce bonheur peut tenir lieu de tous les avantages temporels possibles. Il est une force, un levier puissant, qui, s’il ne donne pas les richesses de ce monde, prépare au moins la sympathie des âmes.

Donc, amant passionné de la vérité, nous avons donné accès dans ce journal à la libre discussion des opinions les plus contraires, indiquant avec désintéressement tous les organes où les curiosités pourraient trouver aliment. Une doctrine spiritualiste, celle des réincarnations, y a été agitée, tantôt pour, le plus souvent contre. Nous avons enregistré les avis, sans trop souvent donner le nôtre, marquant toutefois nos sympathies pour la doctrine qui fait le fondement du christianisme, c’est-à-dire la négation de toute renaissance des âmes dans la matière. On nous a parfois demandé quelle était après tout, au fond, notre opinion sur ce sujet. Notre opinion, elle a été souvent exprimée dans ce journal, et nous l’avons consignée dans le discours-manifeste qui a été prononcé au banquet spiritualiste du 17 juillet dernier.

Voici ce que nous avons dit alors :

« Quant aux questions plus difficultueuses de palingénésie qui ont si longtemps divisé les théosophes, nous les réservons, à l’avenir, à un plus grand, à un plus minutieux examen. »

Cet examen, pour nous comme pour bien d’autres qui cherchent consciencieusement, n’a pas encore été complètement fait. Toutefois, quels qu’en soient les résultats, dès à présent nous pouvons soutenir hardiment, hautement, que la doctrine qui enseigne la réincarnation comme punition d’une vie matérielle antérieure est grossière, irrationnelle, matérialiste au dernier point, subversive de tout progrès social et spirituel. Que des réincarnations aient lieu accidentellement, exceptionnellement, ou comme de nouvelles épreuves infligées aux âmes qui ont expié à l’état spirituel, etc., cela est possible ; qu’il y ait aussi des âmes se réincarnant, par suite d’une tendance invincible pour les choses de la matière, ou pour poursuivre avec plus de force qu’à l’état d’Esprit une mission que la mort ou des accidents ont entravée dans une vie terrestre antérieure, cela fera de notre part l’objet d’études attentives. Mais, hors de là, nous ne voyons que des doctrines surannées, réminiscences de ces temps malheureux où les hommes étaient parqués en castes distinctes, et où, pour conserver de telles iniquités sociales, les classes dominantes avaient imaginé de dire que naître dans une condition inférieure et matériellement malheureuse était la punition d’une existence précédente.

Mais, nous dit-on, l’illustre Fourier, cet homme dont vous avez apprécié sur plus d’un point les vues neuves, élevées et fécondes, et que vous avez su défendre autrefois contre ceux qui le calomniaient sans le connaître, et cela au préjudice de vos intérêts, l’illustre révélateur du principe de l’association harmonienne, enseigne la réincarnation dans sa Cosmogonie. Cela n’est pas une raison pour que nous acceptions aveuglément ce dogme. À côté de tant de traits de lumière, on trouve dans Fourier parfois bien des ténèbres, des erreurs. Mais Fourier a-t-il réellement enseigné la réincarnation comme nous la présentent les spirites, c’est-à-dire comme punition d’une existence antérieure ? Si nous ouvrons le livre de celui de ses disciples qui a le mieux résumé sa doctrine, la Solidarité, d’Hippolyte Renaud, nous voyons que Fourier admet, entre notre départ de la vie actuelle et notre renaissance dans une vie matérielle ultérieure, un séjour de plusieurs siècles dans la vie spirituelle ou aromale, comme il l’appelle. Et, si nous ne nous trompons, cette existence à l’état aromal serait une période d’expiation, d’épuration, avant de monter plus haut dans le monde des Esprits, ou de redescendre dans la matière pour y continuer un apostolat, ou y être soumis à de nouvelles épreuves. Je crois que telle est la solution théosophique de Fourier ; et, si elle ne l’est, je le regrette pour la mémoire de ce génie vaste et courageux, à qui l’avenir rendra une plus grande part de justice que celle qu’il a reçue de ses contemporains.

On a dit aussi que Pythagore avait enseigné la réincarnation. Nous avons montré dans notre 10e livraison ce qu’il faut penser de cette assertion. Si le chef de l’école italique eût admis cette doctrine, ses disciples Timée, Lysis et Hiéroclès, dont nous avons cité des fragments remarquables, en eussent convenu : mais c’est tout le contraire, comme on l’a vu.

Non-seulement on a fait Pythagore un apôtre de la métempsycose, mais on a prétendu que les Gaulois tenaient de lui ce dogme.

Or voici ce que dit à ce sujet l’homme qui a écrit le plus longuement et le plus savamment sur les Celtes, l’illustre Pelloutier, historien trop peu connu et trop peu consulté en France :

« Il semble, dit-il, t. II, p. 464, de son Histoire des Celtes 1, que ceux qui ont assuré si positivement que ces peuples avaient reçu de Pythagore le dogme de la métempsycose auraient dû bien établir, avant toutes choses, ce que ce philosophe a cru et enseigné sur le sort de l’homme après cette vie. On lui attribue d’avoir cru 2 que les âmes avaient successivement divers corps, passant quelquefois du corps d’un homme dans celui d’un autre homme, et d’autres fois dans le corps d’une bête. On ajoute qu’il se donnait lui-même pour preuve et pour exemple de cette vérité, assurant que du temps du siège de Troie son âme avait animé le corps d’un certain Euphorbe, dont il est fait mention aux livres XVI et XVII de l’Iliade. L’opinion commune est que c’est en cela que consistait le dogme de la métempsycose 3, que Pythagore ou Phérécyde son maître enseignèrent les premiers parmi les Grecs. Mais est-il bien sûr (dit Pelloutier) que Pythagore reconnût effectivement cette circulation perpétuelle des âmes d’un corps à l’autre ? La chose ne paraît pas tout à fait démontrée ; il y a, au contraire, de fortes raisons d’en douter. Saint Clément d’Alexandrie, dans ses Stromates, liv. IV, p. 629, dit que les philosophes barbares et les pythagoriciens reconnaissent également un avenir heureux pour les gens de bien, et malheureux pour les méchants, et l’on voit par Diodore de Sicile, V, 212, que, si Pythagore établissait en outre un retour des âmes, de même que les Gaulois, il ne les faisait revenir qu’après un certain temps, au bout d’un nombre déterminé d’années, pendant lesquelles chacun recevait, auprès des mânes, la peine ou la récompense qu’il avait méritée. Ce philosophe ne croyait donc pas que les âmes circulassent perpétuellement d’un corps à l’autre. Il appelait ce retour non pas une métempsycose, mais une palingénésie, une nouvelle naissance, ce qui insinue que c’était le même homme qui renaissait dans un état plus parfait 4. »

Pythagore ne croyait donc pas que l’âme revenait dans la matière terrestre pour expier une vie antérieure ; son opinion, au contraire, si l’on s’en rapporte aux auteurs précités, aurait été dans le sens des métempsycoses progressives, après une expiation préalable à l’état spirituel. Telle paraît aussi avoir été la doctrine des Druides, leur doctrine ésotérique du moins, car l’on voit par Jules César qu’ils enseignaient au peuple la métempsycose, que l’on a si improprement attribuée à Pythagore. (– Cela sans doute avait lieu dans un but identique à celui des brahmes et des prêtres égyptiens, qui, nous l’avons déjà dit, s’efforçaient de persuader aux esclaves, aux hommes des classes inférieures, que leur condition misérable était la punition des crimes d’une vie antérieure, et que par conséquent ils devaient l’accepter comme une chose voulue de Dieu ; moyen habile d’éterniser la distinction des castes.)

À l’appui de notre opinion touchant la véritable doctrine des Druides, outre Pelloutier, nous citerons Jean Brantius 5, le père L’Escalopier 6 et le savant Brucker 7.

Les Scythes, qui avaient avec les peuples celtes une communauté d’origine, avaient aussi des croyances semblables, et exposer les dogmes des uns, c’est faire connaître les dogmes des autres. Selon Diogène Laërce 8, les Scythes non-seulement reconnaissaient l’immortalité de l’âme, mais encore croyaient que les hommes entraient après cette vie dans un état de peines et de récompenses, selon qu’ils avaient négligé ou pratiqué les trois grandes vertus, la piété, la justice, et surtout la bravoure, auxquelles ils rapportaient tous les devoirs de l’homme. C’était aussi la croyance des Gètes, autre peuple d’origine scythique. Selon Hérodote, ceux-ci croyaient que l’homme ne meurt pas, mais qu’en quittant cette vie il va trouver Zamolxis (le Tis ou l’Odin des Scandinaves), que quelques-uns d’entre eux estiment être le même que Gebelesis, c’est-à-dire celui qui donne le repos. Comme ces peuples, les Celtes croyaient que les morts reviendraient à la vie, mais qu’ils ne devaient y revenir qu’une fois. C’est là ce qu’assure Pelloutier, d’après les nombreux documents qu’il a consultés. Dans leur système, les Gaulois revenaient pour être immortels : ils croyaient à la résurrection, mais à la résurrection dans un monde supérieur.

Le poëte Lucain, qui avait été élevé au milieu des Celtes, et qui paraît avoir bien connu leurs croyances, s’adressant aux Druides dans sa Pharsale, dit : « S’il faut vous en croire, les âmes ne descendent pas dans le séjour des ténèbres et du silence, ni dans l’empire souterrain de Pluton. Vous dites (je ne sais si vous en avez quelque certitude) que le même Esprit anime le corps dans un autre monde, et que la mort est le milieu d’une longue vie 9. » Qu’est-ce que peut signifier un tel passage, si ce n’est que la mort était une interruption passagère dans les phases de l’éternelle vie, un relais momentané dans le sens des métempsycoses progressives que chacun devait connaître après l’expiation des fautes de l’existence matérielle.

Selon une opinion générale, le lieu des peines et des récompenses était dans l’île dite des Bienheureux, ainsi appelée par les Celtes. Ils la plaçaient à l’occident des Gaules. Leur croyance à ce sujet avait même pénétré de bonne heure chez les Grecs et les Romains. Démosthène dit 10 que, selon la plus ancienne doctrine, les âmes étaient transportées dans l’île des Bienheureux. C’est aussi là que Lucien 11 place, entre autres héros, les deux Cyrus, Zamolxis et Anacharsis, philosophes scythes, et l’on voit par Hésiode, Homère, Euripide, Plutarque, Dion, Procope, Philostrate et Tetzès, que l’on s’accordait à placer ces îles dans l’océan Atlantique, à l’occident de la Gaule. Les morts, d’après les Gaulois, ne revenaient donc point habiter de nouveaux corps dans le monde qu’ils avaient quitté. Ils prenaient leur essor vers d’autres régions ; et à ceux qui en douteraient, nous ne pouvons mieux faire que d’opposer l’un des passages les plus curieux, pour nous autres Français, que nous aient laissés les anciens. Il est de Procope (Goths, lib. IV, cap. 20).

« On prétend, dit Procope, que les âmes des morts sont portées dans la Grande-Bretagne par certains habitants de la côte. Sujets aux Francs, ils ne leur payent aucun tribut, et on ne leur en a jamais imposé. Ils prétendent en avoir été déchargés parce qu’ils sont obligés de conduire tour à tour les âmes. Ceux qui doivent faire l’office de la nuit suivante se retirent dans leur maison d’abord qu’il fait obscur, et se couchent tranquillement, en attendant les ordres de celui qui a la direction du trajet. Vers minuit, ils entendent quelqu’un qui frappe à leur porte, et qui les appelle tout bas. Sur-le-champ, ils se jettent à bas de leur lit et courent à la côte, sans savoir quelle est la cause secrète qui les y entraîne. Là, ils trouvent des barques vides, et cependant si chargées, qu’elles s’élèvent à peine au-dessus de l’eau d’un travers de doigt. En moins d’une heure, ils conduisent ces barques dans la Grande-Bretagne, au lieu que le trajet est ordinairement de vingt-quatre heures pour un vaisseau qui avance à force de rames. Arrivés à l’île, ils se retirent aussitôt que les âmes sont descendues du vaisseau, qui devient alors si léger qu’il effleure à peine l’eau. Ils ne voient personne, ni pendant le trajet, ni dans le débarquement. Mais ils entendent, à ce qu’ils disent, une voix qui articule, à ceux qui reçoivent les âmes, les noms des personnes qui étaient sur le vaisseau, avec le nom de leur père et des charges dont ces personnes étaient revêtues ; s’il y avait des femmes dans la barque, la voix déclarait le nom des maris qu’elles avaient eus. »

Les Druides, pas plus que Pythagore, n’admettaient donc le dogme des réincarnations, un retour des âmes dans la matière pour expier les fautes d’une vie matérielle antérieure.

De notre temps, les manifestations des Esprits sont aussi d’un caractère parfaitement négatif de cette doctrine. L’histoire si considérable des lieux hantés, des âmes en peine qui demandent ou des prières, ou qu’on répare les torts qu’elles ont faits de leur vivant ici-bas, en est une preuve bien supérieure par sa nature aux communications parfois mensongères de certains Esprits. Mais nous irons plus loin, nous dirons que les Esprits laissés à leur libre arbitre, consultés par des médiums, dont la croyance n’est arrêtée sur aucun point, n’ont jamais enseigné ce dogme. En Amérique, nous l’avons déjà dit, ils sont des millions parfaitement étrangers ou opposés aux réincarnations. Et si dans notre France on a vu des médiums écrire conformément à cette doctrine, c’est que ces médiums étaient imbus d’un certain credo qu’on ne s’est pas fait scrupule de lancer audacieusement avant que toute étude, toute enquête minutieuse, fût faite sur ces graves matières, dans l’ensemble des faits comme dans celui des doctrines. Très-souvent des médiums n’ont d’autre Esprit que leur propre Esprit, qui leur répond à eux-mêmes en vertu d’un dédoublement animique plus ou moins conscient. Parfois ces médiums agissent sur les Esprits élémentaires qui les entourent, Esprits dépourvus souvent de libre arbitre, et que mettent en jeu nos passions, la volonté forte que nous émettons dans le sens des croyances dont nous sommes imprégnés. – De là ces communications qui sont toujours conformes à la doctrine du groupe où on les évoque. De là les Esprits réincarnationistes qui se manifestent chez de bons et crédules spirites, qui ne voient rien au delà du credo auquel ils ont une foi plus aveugle et plus complaisante que raisonnée. Mais quand nous voyons un médium, d’abord imprégné de ce credo, avoir, par le moyen convaincant de la planchette, des dictées contradictoires du genre de réincarnations qu’il enseigne, cela nous rend attentif. C’est le cas de Mme Kyd, médium remarquable dont nous avons déjà parlé dans cette Revue, et qui est devenue une fervente croyante depuis que M. Home a produit chez elle des faits si extraordinaires. (Voir la Revue spiritualiste, t. I, p. 157, 329 ; t. IV, p. 317.)

Mme Kyd, le 12 novembre dernier, à la suite de l’article de M. Salgues sur les réincarnations, nous écrivait de Baden-Baden la lettre suivante :

« Je vois avec plaisir, cher Monsieur, dans votre dernier numéro, un article qui combat la doctrine des réincarnations. Je vous assure que cette doctrine a détourné plus de monde qu’on ne pense du spiritualisme, car elle inspire non-seulement une aversion insurmontable en elle-même, mais elle embrouille les idées ; car vous avez dit très-justement, comme mes Esprits à moi et à ma famille l’ont dit de même : « Si les Esprits se réincarnent, il n’y a plus de doctrine des Esprits, attendu qu’en devenant corps matériels ils ne peuvent plus être évoqués, ni consultés à l’état d’Esprits. » Je ne parle pas de la possibilité de certaines exceptions qui peuvent exister ; mais je parle de la doctrine de la réincarnation prise dans un terme général. Mon bien aimé frère James, que j’ai parfaitement connu sur cette terre, et que je trouve le même maintenant, avec cette différence que je le connais mieux encore que lorsqu’il habitait son enveloppe matérielle, a écrit, comme Esprit désincarné, une très-bonne communication sur ce sujet. Je l’ai copiée et je vous l’envoie ci-incluse. Vous pouvez en disposer ainsi que de cette lettre, avec mon nom et mon adresse, dans votre journal, si cela vous convient. » – (Ici suivent des réflexions sur la manière d’agir d’un certain pontifex dogmaticus à l’égard des communications spiritualistes, communications que ledit pontifex, paraît-il, a l’habitude de retoucher. Mais nous écartons ces réflexions comme nous l’avons fait déjà de tant d’autres qui nous ont été envoyées, afin de ne pas provoquer encore les hauts cris des bons spirites qui croient que notre amour pour la vérité et les discussions franches n’a d’autre mobile qu’une affaire de rivalité de boutique.) – Nous nous bornerons à reproduire les passages les plus saillants de la dictée que Mme Kyd nous a envoyée, les seuls que le défaut d’espace nous permette d’insérer à la suite de ce long article.

 

 

Communication sur la doctrine de la réincarnation,

par l’Esprit désincarné du capitaine James Beevor,

frère et oncle des médiums.

 

Le sujet du dogme de la réincarnation, autrement dit de la métempsycose, a été traité de la manière la plus variée par tous les grands penseurs psychologiques anciens et modernes. Chaque siècle a eu sa critique sur cette question mystérieuse. Il y a toujours eu quelques hommes qui ont mis leurs idées à découvert, dans l’espérance de trouver des adeptes. Mais, au lieu de ces derniers, c’est la controverse et la lutte qui se sont emparées de la question. – Et comment pourrait-on espérer autre chose ? – Le monde, sous l’influence du matérialisme le plus complet, n’était aucunement à même de juger une question aussi curieuse. Et, du reste, où étaient les preuves et les fondements d’une croyance aussi hardie ? Il ne pouvait y avoir que des suppositions : les âmes des morts ne pouvaient pas parler, ou du moins elles ne parlaient pas ; – pour beaucoup de personnes elles n’existaient même plus, car le néant était pour celles-là l’avenir. – Mais le moment approche, et il est même déjà venu, que les âmes pourront revenir et parler, et comme je suis de ce nombre, je vous dirai tout ce que je sais sur la réincarnation, et d’autres Esprits feront de même, en sorte que peu à peu ce sujet pourra être mis à la portée de l’intelligence de chacun, avantage qu’il faut savoir bien apprécier : car une grande portion de la philosophie de notre monde consiste dans des théories que personne ne comprend et auxquelles les intelligences simples ne peuvent atteindre.....

Ce que l’homme nomme la vie sur cette terre n’est autre chose qu’un purgatoire pour l’Esprit incarné ; c’est un état de pénitence et d’humilité, et c’est selon l’expiation et le temps que dure cette épreuve que Dieu désigne à l’âme son existence ultérieure. La mort du corps est une délivrance pour l’âme. Mais, si cette dernière n’a pas bien subi son temps d’épreuves, d’autres punitions l’attendent, et quelquefois, dans les cas extrêmes, la réincarnation. Mais j’ajouterai ici que cette doctrine n’est pas applicable à toute âme ; comme au contraire la réincarnation est une exception et n’a lieu que dans des cas extraordinaires, par conséquent, il faut bien se garder de croire que c’est une règle générale. Que deviendrait le monde des Esprits, en l’état intermédiaire nommé hadès, si toutes les âmes, du moment qu’elles sont libres par la mort de leur corps, rentraient de suite dans une autre enveloppe matérielle ? Non, la réincarnation est une circonstance rare.....

Les anciens crurent dans la réincarnation de l’âme humaine dans le corps des animaux, mais je proteste contre cette doctrine : l’animal, ainsi que le reste des éléments et des différents règnes, a été créé avant l’homme. Ainsi le règne végétal a son Esprit, son étincelle de vie ; les minéraux ont également une vie vivifiante ; mais aussi peu un animal peut devenir fleur et une fleur pierre ou quelque autre substance inerte, aussi peu l’âme humaine, directe essence de Dieu, peut s’abaisser à devenir animal. Chacun a été créé ce qu’il est, et l’intention du Créateur n’était nullement de confondre dans un chaos toutes ces existences différentes qu’il avait distribuées avec tant de sagesse et classées avec tant de distinction.... Dieu a créé pour chaque Esprit son corps. L’instinct de la bête a reçu un corps animal, tandis que l’âme humaine a reçu de Dieu un corps d’homme, un organisme beaucoup plus complet, plus fin et plus analogue à l’Esprit qui l’anime. Aucun échange d’incarnation ne peut avoir lieu quand les corps sont différents, car l’Esprit et le corps unis par un organisme incomplet ne peuvent exister ensemble. L’homme est le chef-d’œuvre de la création. Dieu l’a créé d’après son image. Il a modelé pour l’enveloppe de son saint Esprit un corps plus parfait que tous ceux qu’il avait déjà mis en existence, et il a institué l’homme comme le maître absolu de tout ce que la création contient. Comment voulez-vous alors que l’homme se réincarne dans un animal ? C’est plus que de descendre, c’est anéantir toute émanation céleste, c’est abrutir toute essence divine, ce grand privilège, cette grande distinction réservée à l’homme seul et qu’il ne partage avec rien au monde.

Si la réincarnation dans la matière humaine était une règle générale, comme beaucoup le prétendent, que deviendrait la communication avec les Esprits d’outre-tombe ? Puisqu’on dit que les Esprits se réincarnent, ils ne peuvent plus nous parler comme Esprits désincarnés, et par conséquent le monde des Esprits, monde immense qui contient des myriades d’âmes innombrables, serait annulé. Non, la réincarnation n’a lieu que TRÈS-RAREMENT..... Les Esprits très-parfaits montent vers des sphères plus pures, plus élevées, et s’éloignent de cette Terre au lieu d’y faire un second passage. Le spiritualisme vous éclairera sur tout ceci. – Demandez à une trentaine d’Esprits s’ils désirent une réincarnation sur cette terre ? Les meilleurs vous diront que non, tandis que les Esprits encore de bas étage et en proie aux passions humaines diront que oui, car le monde spirituel est pour ces derniers trop éthéré, trop pur. Ils ne se trouvent pas à leur aise, même quand ils y sont avec des âmes de leur catégorie.

Il y a des âmes qui malheureusement deviennent si matérialisées dans votre monde, qu’une existence spirituelle leur est insupportable, et ce ne sont que ces âmes-là qui consentent à une réincarnation et qui la désirent même. Moi, pour mon compte, et je puis le dire comme Esprit médiocrement avancé, je ne rentrerais pas pour beaucoup dans un corps humain, pour passer une seconde vie dans votre monde matériel, quoique je sois loin de sentir cet état de bonheur qui à la fin sera le partage de chaque être purifié. Je suis pourtant mille fois plus heureux que je ne l’étais dans mon enveloppe charnelle.......

 

 

Paru dans la Revue spiritualiste en 1863.

 

 

 

 

 



1 Édition in-4o.

2 Diog. Laert. in Pyth., 13.

3 Schol. ad. Pindat. Olymp., II, p. 32. – Suidas in Pherecyd., t. III, 9. 592.

4 Servius ad Æneid., III, v. 67, p. 274 ; Schol. ad Pindat. Olymp., II, p. 31 ; Demetrius, Triclin. ; Schol. ad Pindal. Olymp., II, p. 146.

5 Voyez Not. ad Cæsar., VI, 14, p. 454.

6 Cap. XVII, p. 54.

7 Brucker, Hist. de la Philos., t. 1, p. 196, 198.

8 Prœm, p. 5.

9 Lucanus, lib. I.

10 Orat. funeb.

11 Luciani Hist., lib. II.

 

 

 

 

 

 

 

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