La persécution religieuse en Espagne

 

 

 

 

 

 

OUVRAGE ANONYME TRADUIT PAR FRANCIS DE MIOMANDRE

 

 

 

 

 

 

1937

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AUX MARTYRS ESPAGNOLS

 

Passant, qui tourneras une à une les pages de ce livre sincère,

Lis tout, enregistre dans ton cœur, mais contiens ton épouvante et ta colère !

C’est la même chose, c’est pareil, c’est ce que l’on a fait à nos anciens,

C’est ce qui est arrivé du temps d’Henry VIII, du temps de Néron et de Dioclétien.

Le calice qu’ont bu nos pères, est-ce que nous ne le boirons pas la même chose ?

La couronne d’épines pour eux, pour nous seuls ce sera-t-il une couronne de roses ?

Le sel qu’on nous a mis sur la langue jadis, c’était le goût de ce nouveau baptême !

Est-il possible, ô mon Dieu, qu’à la fin vous nous laissiez cet honneur suprême

De vous donner, nous aussi, pauvres gens, quelque chose, et d’être présents !

Et de dire que c’est vrai, et que Vous êtes le fils de Dieu avec notre sang !

La merveille que Vous existiez, il est vrai, ça ne peut pas se payer avec autre chose qu’avec du sang !

L’Évangile de Jésus-Christ que j’ai reçu, ça ne pouvait pas être impunément !

Dans ce monde qui ne croit pas, c’est pas vrai que l’on puisse croire impunément !

Ce n’est pas pour notre confort seulement que Tu T’es donné la peine de naître !

Le monde jusqu’au fond de ses entrailles Vous hait et l’esclave n’est pas meilleur que le maître.

Mais nous autres, nous croyons en Vous et nous crachons à la figure de Satan !

Tous ces pauvres douteurs de doutes, tous ces lâches et tous ces hésitants,

Ce n’est pas des paroles qu’il leur faut, c’est un acte, la voix claire et le cri de quelque chose d’éclatant !

Vous, Vous êtes dans le ciel à présent au delà de la visibilité et de la nue.

Mais nous qui sommes entre leurs mains, c’est bien ! qu’ils nous prennent et nous leur donnerons de notre côté quelque chose à voir et de quoi se mettre plein la vue !

Robespierre, Lénine et les autres, Calvin, ils n’ont pas épuisé tous les trésors de la rage et de la Haine !

Voltaire, Renan et Marx, pas encore ils n’ont touché le fond de la bêtise humaine !

Mais ce million de martyrs avant nous, tous ces innocents pleins de gloire avant nous,

Eux aussi, ils n’ont pas tout versé et ils n’ont pas donné tout,

C’est nous qui sommes là maintenant à leur place et qui sommes là pour un coup !

 

– L’heure du Prince de ce monde, la voici qui est revenue à la fin !

L’heure de l’interrogation finale, l’heure de l’Iscariote et de Caïn !

 

– Sainte Espagne, à l’extrémité de l’Europe carré et concentration de la Foi et masse dure, et retranchement de la Vierge Mère,

Et la dernière enjambée de saint Jacques qui ne finit qu’avec la terre,

Patrie de Dominique et de Jean, et de François le Conquérant et de Thérèse,

Arsenal de Salamanque, et pilier de Saragosse, et racine brûlante de Manrèse,

Inébranlable Espagne, refus et la demi-mesure à jamais inacceptée,

Coup d’épaule contre l’hérétique pas à pas repoussé et refoulé,

Exploratrice d’un double firmament, raisonneuse de la prière et de la sonde,

Prophétesse de cette autre terre dans le soleil là-bas et colonisatrice de l’autre monde,

En cette heure de ton crucifiement, sainte Espagne, en ce jour, sœur Espagne, qui est ton jour,

Les yeux pleins d’enthousiasme et de larmes, je t’envoie mon admiration et mon amour !

Quand tous les lâches trahissaient, mais toi, une fois de plus tu n’as pas accepté !

Comme au temps de Pélage et du Cid, une fois de plus tu as tiré l’épée !

Le moment est venu de choisir et de dégainer son âme !

Le moment est venu les yeux dans les yeux de mesurer la proposition infâme !

Le moment est venu à la fin que l’on sache la couleur de notre sang !

Beaucoup de gens se figurent que leur pied tout seul va au ciel par un chemin facile et complaisant.

Mais tout à coup voici la question posée, voici la sommation et le martyre !

On nous met le ciel et l’enfer dans la main et nous avons quarante secondes pour choisir.

Quarante secondes, c’est trop ! sœur Espagne, sainte Espagne, tu as choisi !

Onze évêques, seize mille prêtres massacrés et pas une apostasie !

Ah ! puissé-je comme toi un jour à voix haute témoigner dans la splendeur de midi !

On avait dit que tu dormais, sœur Espagne, comme quelqu’un, celui-là qui fait semblant de dormir :

Et puis l’interrogation tout à coup, et d’un coup ces seize mille martyrs !

« D’où me viennent tous ces enfants ? », s’écrie celle que l’on appelait stérilisée.

Les portes du Ciel ne suffisent plus à toute cette cohue bon gré mal gré !

Ce qu’on appelait le désert, regardez ! ah ! c’était le désert, dites-vous ? et voilà la source et le palmier !

Seize mille prêtres ! le contingent d’un seul coup et le ciel en un seul coup de flamme colonisé !

Pourquoi frémir, ô mon âme, et pourquoi t’indigner contre les bourreaux ?

Je joins les mains seulement et je pleure, et je dis que c’est bon et que c’est beau !

 

– Et vous aussi, pierres, salut du plus profond de mon âme, saintes églises exterminées !

Statues que l’on casse à coups de marteau, et toutes ces peintures vénérables, et ce ciboire, avant de le fouler aux pieds,

Où le C. N. T. en grognant de délice a mêlé sa bave et son groin !

À quoi bon tous ces bondieux ? le peuple n’en a pas besoin.

Ce que la brute immonde autant que Dieu déteste, c’est la beauté.

Au feu, grandes bibliothèques ! Léviathan de nouveau se vautre et des rayons de soleil il s’est fait litière et fumier !

Toutes ces bouches qui nous interrogent, tout ça, contre tout ça c’était trop difficile de garder son propre carreau !

Fermons-leur d’un coup de poing la gueule, c’est plus simple ! à bas le Christ et vive le taureau !

Il faut faire de la place pour Marx et pour toutes ces bibles de l’imbécillité et de la haine !

Tue, camarade, détruis et soûle-toi, fais l’amour ! car c’est ça la solidarité humaine !

Tous ces curés, vivants ou morts, qui nous regardent, ne dites pas qu’ils ne nous ont pas provoqués !

Ces gens qui nous faisaient du bien pour rien, à la fin c’est une chose qu’on ne pouvait pas tolérer !

Et ceux qui sont déjà morts, eh bien, on ira les chercher jusque dans la terre !

Tous ces squelettes, c’est joliment drôle comme ils rient ! Un malin a ôté sa cigarette de sa bouche et l’a mise entre les dents de ce cadavre qui fut sa mère,

Brûlons tout ce qui est capable de brûler, les morts et les vivants en un seul tas ;

Apportez le pétrole ! Brûlons Dieu ! ce sera un fameux débarras !

 

Tous ces yeux, vivants ou morts, qui nous regardent, c’est vexant ! et puis à quoi est-ce que ça sert ?

 

– Salut, les cinq cents églises catalanes détruites ! et toi, grande cathédrale de Vich, cathédrale de José Maria Sert !

Vous aussi, vous avez su témoigner ! vous aussi, vous êtes des martyres !

Les mêmes églises qu’a vues Jean, églises de Gérone et de Tortose, églises de Laodicée et de Thyatire !

Le vêtement a pris feu avec le prêtre et le cierge a mis feu au candélabre !

Le clocher se tient tout droit un moment par-dessus l’animal évangélique qui se cabre,

Et puis dans un bruit de tonnerre d’un seul coup il s’abat ! il s’effondre, il a disparu !

Église de ma première communion, c’est fini, je ne te verrai plus !

Mais c’est beau d’être fendu en deux, secti sunt ! c’est beau de mourir avec un cri de triomphe à son poste !

C’est beau pour l’Église de Dieu de monter au ciel tout entière dans l’encens et dans l’holocauste !

Monte au ciel, vierge vénérable, tout droit ! monte, colonne ! monte, ange ! monte au ciel, grande prière de nos aïeux !

Cathédrale de José Maria Sert, tu n’étais admirable qu’aux hommes, maintenant tu es agréable à Dieu !

 

– C’est fait ! l’œuvre est consommée, et la terre par tous ses pores a bu le sang dont elle était altérée.

Le ciel a bu et la messe des cent mille martyrs, toute la terre est profonde à la digérer.

L’assassin en titubant rentre chez lui et il regarde sa main droite avec stupeur,

Le saint a pris solennellement possession de sa part qui est la meilleure.

Tout une fois de plus est consommé et dans le ciel il s’est fait un silence d’une demi-heure.

Et nous aussi, la tête découverte, en silence, ô mon âme, fais silence devant la terre ensemencée !

La terre au fond de son entraille a conçu et déjà le recommencement a commencé.

Le temps du labourage est fini, c’est celui maintenant de la semaille.

Le temps de l’amputation pour l’arbre a fini et c’est le temps maintenant des représailles,

L’idée sous la terre qui a germé, et de toutes parts dans ton cœur, sainte Espagne, la représaille immense de l’amour !

Les pieds dans le pétrole et le sang, je crois en Toi, Seigneur, et en ce jour un jour qui sera Ton jour !

J’étends la main droite vers Toi pour jurer entre l’action de grâces et le carnage.

« Ton corps est véritablement une nourriture et Ton sang véritablement est un breuvage. »

De cette chair qui a été pressée, la Tienne, et de ce sang qui a été répandu,

Pas une parcelle n’a péri, pas une goutte qui ait été perdue,

L’hiver sur nos sillons continue, mais le printemps déjà a fait explosion dans les étoiles !

Et tout ce qui a été versé, les anges respectueusement l’ont recueilli et porté à l’intérieur du Voile !

 

Paul CLAUDEL.

 

            Baranques, 10 mai 1937.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA PERSÉCUTION RELIGIEUSE

 

EN ESPAGNE

 

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PREMIÈRE PARTIE

 

CAUSES ET ANTÉCÉDENTS

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I

 

QUE S’EST-IL PASSÉ, EN ESPAGNE ?

 

 

Que s’est-il passé et que se passe-t-il en Espagne ? Que s’est-il passé en particulier dans le domaine religieux ? Telles sont les questions que se posent toutes les personnes cultivées et auxquelles il n’est, en général, jamais répondu.

Ces lignes ont pour but de rappeler, objectivement, des faits ; la relation objective étant par elle-même, dans un cas semblable, une explication.

Il convient, si l’on veut procéder avec méthode, de séparer, de discriminer le fait de la guerre du fait de la révolution. La guerre et la révolution ne sont devenues simultanées qu’à partir du 18 juillet 1936 ; il n’y a entre elles qu’une coïncidence dans le temps mais non une coïncidence dans l’ordre même des faits.

La révolution, qui s’était manifestée de diverses manières depuis l’avènement de la République en 1931 – et même avant – a éclaté le 16 février 1936, à l’heure où se dessinait la victoire électorale du Front populaire. Elle éclate et se développe dès ce moment sous forme de convulsion sociale, entraînant la disparition de l’autorité et de l’ordre.

Elle se prolonge et s’intensifie à partir du 18 juillet 1936 sur toute la partie du territoire espagnol restée sous la domination des gouvernements du Front populaire ou, plus exactement, des comités marxistes et anarchistes qui se sont substitués à eux.

La guerre civile, par contre, commence avec le soulèvement militaire du 18 juillet qui prend aussitôt la forme d’un mouvement de rénovation et de résurrection nationales.

Dans la zone blanche, il n’y a plus désormais de guerre civile, en dehors de celle qui se déroule sur les fronts de combat. En arrière du front il n’y a pas de révolution : la vie est normale, tout est dans l’ordre.

Dans la zone rouge, la guerre civile est aux fronts de combat ; mais, par delà cette guerre civile et la dépassant singulièrement en gravité, il y a la révolution : une révolution dévastatrice qui bouleverse l’économie, supprime la justice, désorganise la vie sociale et détruit tout ce qui a rapport à la religion et à la foi.

C’est ce dernier aspect de la révolution espagnole que nous nous proposons d’étudier dans ces pages.

Devant la multitude des actes de vandalisme qui sont commis contre tout symbole, contre toute institution ou contre toute personne ayant un caractère religieux, l’opinion mondiale, sans pénétrer au fond des choses, se pose cette question : comment un tel désastre a-t-il été possible dans l’Espagne catholique ?

Nous répondons : il ne s’agit pas d’un écroulement de l’Espagne catholique que l’on puisse rattacher à un état de débilité ou de corruption internes ; mais l’Église catholique a été l’objet, de l’extérieur, d’attaques féroces ayant leur origine dans un appétit de destruction et d’extermination. Ces attaques ont été conduites par ceux qui voient en l’Église catholique, comme en toute religion chrétienne, l’obstacle le plus solide à l’implantation du communisme ou du syndicalisme anarchiste dont on ne peut contester qu’ils sont, par leur nature même et par leur objet, essentiellement athées.

La persécution sauvage contre les personnes, les temples et les institutions catholiques de l’Espagne s’est étendue, à peu d’exceptions près, à tout son territoire, à partir du moment où le Front populaire, à la suite des élections du 16 février 1936, a pris le pouvoir.

Aussitôt après ces élections, le gouvernement des gauches consacre son activité à enlever aux partis d’ordre leurs éléments d’organisation et de défense alors que, par ailleurs, il tolère, avec une complaisance cynique, les désordres qui, sous forme d’explosions sporadiques, sans plan apparent et avec une spontanéité affectée, se commettent un peu partout. Tout particulièrement dans l’Espagne du centre, à Murcie et en Andalousie, les violences contre l’Église, la propriété paysanne et les organisations de droite ont un caractère plus accusé : elles se manifestent par l’assassinat, l’incendie, et elles ont pour acteurs les comités soviétiques ou anarchistes qui se sont constitués déjà dans de nombreux petits villages. On peut y voir le prélude de ce que sera la destruction massive réalisée quelques mois plus tard à la faveur de la guerre civile.

Pendant cette période où les éléments extrémistes du Front populaire s’adonnent à l’offensive, et qui s’étend du 16 février au 18 juillet, le gouvernement donne l’impression ou bien de ne pas exister, ou bien de tolérer le désordre. Il ne prend aucune mesure ni pour l’éviter ni pour le réprimer. Il ne prononce même pas une condamnation pour des faits qui bouleversent l’ordre moral, juridique et politique du pays, qui détruisent des vies, des propriétés, qui saccagent le trésor artistique de la nation.

Les désordres se développent ; le gouvernement y coopère ostensiblement. Il participe, le 13 juillet, à l’assassinat de Calvo Sotelo, déclenchant ainsi, par cette suprême provocation, l’indignation des milieux militaires et sa manifestation sous forme de soulèvement général. Le mouvement de résurrection nationale vient de naître, il est un acte de légitime défense.

Fait curieux : pendant cette même période, qui s’étend de février à juillet, on n’enregistre en Catalogne presque aucun acte de désordre analogue. Le gouvernement de la Généralité, qui vient de sortir de prison – où il expiait le soulèvement d’octobre 1934 – semble désirer, pour ses fins particulières, que la Catalogne apparaisse comme une oasis de paix. On doit y voir la preuve que l’ordre était exclusivement un problème de gouvernement et que les prétextes donnés par les gauches pour expliquer le débordement révolutionnaire des masses populaires étaient du cynisme pur. Les masses populaires ne se livrèrent à aucun acte de désordre en Catalogne du 16 février au 18 juillet. C’est une preuve qu’il n’existait dans les masses aucun sentiment d’exaltation contre les religieux, aucun désir d’extermination. Si ce sentiment, si ce désir avaient existé, rien ne les eût empêché de s’exprimer de la même manière que dans le reste de l’Espagne.

Le prétendu ressentiment des masses contre les religieux ne s’est manifesté – en Espagne à partir du 16 février, en Catalogne à partir du 18 juillet – que là où les comités communistes et anarchistes dominaient la rue.

L’Église catholique ne s’effondre d’elle-même. Elle est simplement à la merci des forces de destruction. L’Espagne, durant les deux premières années de la République, puis à partir de février 1936, est soumise à des gouvernements qui ont trompé le pays : ils lui ont promis, avant l’avènement de la République, une tolérance totale en matière de religion : « L’Église libre dans un État libre » ; et cette tolérance s’est transformée successivement en persécution légale et en persécution criminelle.

Les incendies d’églises se produisent déjà à Madrid et en d’autres points de l’Espagne en mai 1931, quelques semaines à peine après l’avènement du nouveau régime. Le ministre de l’Intérieur 1 fait alors entendre une protestation désespérée, pleine d’ingénuité, et les hommes de gauche les plus représentatifs lancent une protestation scandalisée qui s’exprime en un manifeste sur le mode lyrique signé par des personnalités aussi disparates que le docteur Gregorio Marañon et le poète catalan Gabriel Alomar.

Les violences antireligieuses se reproduisent en Espagne chaque fois qu’il y a agitation anarchiste – comme en 1932 dans le bassin de la Cardoner – ou chaque fois qu’il y a un soulèvement révolutionnaire, comme en Catalogne et aux Asturies en octobre 1934.

Personne ne pouvait donc s’étonner de la reprise de l’offensive contre la religion lorsque le Front populaire s’empara du pouvoir le 16 février 1936. On savait avec certitude que les atrocités quasi traditionnelles se reproduiraient en cas de triomphe du Front populaire. Les propagandistes de droite et du centre n’avaient cessé d’en avertir le pays. L’avenir n’était un secret pour personne, pas plus que n’étaient des secrets le programme sectaire des gauches caché sous un masque de libéralisme, et les programmes destructeurs des socialistes marxistes et des anarchistes libertaires qui devaient bénéficier, pour l’exécution de leur plan, du monopole des armes et de la domination absolue de la rue.

 

 

 

 

II

 

MATÉRIALISME CONTRE SPIRITUALISME

 

 

Ce qui s’est passé en Espagne ne peut être un sujet d’étonnement pour personne. Aucun de ceux qui prennent part aux luttes politiques et sociales de notre temps n’ignore ce qu’est le programme marxiste en matière religieuse : il se fonde sur les doctrines de Marx et de Lénine et il a eu sa première réalisation pratique dans la Russie léniniste.

Les propagandistes officiels du marxisme le disent sans détours : « La religion est l’opium du peuple » – c’est une phrase de Marx et non de Lénine comme beaucoup de néophytes du communisme espagnol le supposent 2. – Telle est la formule fondamentale du marxisme à laquelle, en face de la religion catholique ou de toute religion, doit se rallier tout prolétaire révolutionnaire.

« L’idée de Dieu – écrivait Lénine à Gorki en décembre 1913 – a toujours endormi et débilité les sentiments sociaux » ; elle a « jugulé les classes opprimées par le moyen de la foi en la divinité des oppresseurs ».

L’athéisme marxiste n’a rien à voir avec l’anticléricalisme, encore que l’anticléricalisme prépare les esprits à la destruction violente de tout symbole religieux (c’est du moins ce qui s’est produit en Espagne où les marxistes et les anarchistes ont moissonné la récolte semée par les anticléricaux). Mais, avec la logique de leur point de vue, les marxistes répudiaient l’anticléricalisme, qu’ils considèrent comme bourgeois et réformateur et qui pose le problème religieux sur le plan de la raison pure en lui donnant, lorsqu’il est de bonne foi, la solution de la liberté des cultes.

Le marxisme, lui, récuse ce que Lénine appelle « les abstractions idéalistes » des anticléricaux ; il pose le problème sur le plan de la lutte des classes et il le résout par la suppression de tout culte, par la persécution de tout symbole religieux et par une éducation, rigoureusement antireligieuse, des jeunes générations. Pour le marxisme « la liberté de conscience religieuse » des libéraux est un sentiment bourgeois qui doit disparaître en même temps que la bourgeoisie même.

Marx et Engels, pour élaborer leur conception du monde, ont attaqué la religion en la considérant comme d’origine bourgeoise, voire même « petite bourgeoise ». « Toute religion – pensaient-ils – tend à justifier l’état social qui l’a engendrée ; la religion n’est pas chose privée. Pour modifier un état social il faut donc en finir avec sa religion. » C’est très exactement ce qui s’est pratiqué hier en Russie et aujourd’hui – d’une manière effroyable – en Espagne.

Déjà, dans leurs écrits préparatoires, Marx et Engels, à partir de 1844, en arrivèrent à identifier l’athéisme et le communisme, considérant le communisme comme l’avenir certain de l’homme. Dans toutes leurs œuvres, la religion est envisagée comme le principal ennemi ; ils l’accusent d’être l’instrument de domination des classes possédantes. Les communistes s’attaquent précisément aux théories de la Seconde Internationale parce que celle-ci a oublié, d’après eux, que le marxisme implique un athéisme militant et vigilant.

Le marxisme, en outre, n’est pas un matérialisme limité aux principes. « Il faut savoir lutter – écrit Lénine – contre la religion. » Comment ? « Il ne faut pas poursuivre – ajoute-t-il – la lutte contre la religion sous la forme d’une prédication idéologique abstraite. » « Les armes de la critique – avait écrit Marx – ne doivent pas se substituer à la critique efficace des armes. » « La lutte contre les prêtres – écrit-t-il encore, en 1869 – doit se développer surtout dans les pays catholiques. »

Pour lutter contre la religion, il faut arracher ses racines sociales : telle est la doctrine officielle, fondée, nous le répétons, sur les écrits de Marx et de Engels. Cette doctrine, selon un commentateur officiel, M. Lucien Henry, a trouvé de brillants développements en Lénine et les bolchevistes... et s’est manifestée par des applications plus brillantes encore. Telle est aussi la doctrine des anarchistes catalans. Un d’eux, membre du gouvernement rouge, le confirme dans un livre publié en octobre dernier : Péril à l’arrière :

« La destruction de l’Église est un acte de justice... Nier Dieu s’il existait, à la faveur d’une révolution, alors que le peuple, enflammé par une juste haine, se soulève, est une mesure naturelle et humaine... » L’auteur est Peiró, le seul parmi les dirigeants anarchistes qui se soit risqué à condamner comme actes improductifs les assassinats et les persécutions !

« Le vrai bonheur du peuple – écrivait déjà Marx en 1840 – exige l’abolition de la religion. » « Je sais – ajoutait-il dans son langage indigeste – que ma conscience personnelle, considérée dans son essence, s’affirme, non dans la religion, mais, très exactement, dans la religion détruite, surpassée. »

Engels se moque des ingénus qui tentent de rapprocher le christianisme et le communisme : ces gens-là sont de piètres chrétiens et de piètres communistes, car le christianisme est l’ennemi du communisme.

Ses disciples, dans l’Espagne actuelle, n’ont cependant pas tiré profit de cet avertissement qu’Engels leur a donné : « En s’attaquant violemment à la religion, on lui donne l’auréole du martyr et on lui promet une vie plus longue. »

Il est inutile, dans une étude sommaire comme celle-ci, de rappeler ce qui, par rapport à Dieu et à la religion, différencie, sur le plan des idées, un anarchiste d’un communiste. Marx est froid évidemment à côté de ce type de révolté ardent qu’est Bakounine. On a essayé de rapprocher de ce croyant à rebours les brûleurs des églises d’Espagne. Le rapprochement est faux ; ces brûleurs d’églises sont plus criminels que maudits, plus incroyants que désespérés. D’ailleurs, communistes et anarchistes ont coïncidé parfaitement, en Espagne, sur le terrain des horreurs antireligieuses.

Les anarchistes espagnols ont cessé d’être, depuis longtemps, les disciples de Blanqui et de Bakounine, lesquels, avec Kropotkine et les marxistes, souhaitaient la suppression de la religion, mais, à l’inverse de Marx, partisan de la violence, s’imaginaient pouvoir la supprimer par décret administratif.

Engels se moque des communistes français qui, à Paris, en 1871, par décret, comme les conventionnels en 1793, déclarèrent la suppression de Dieu. Le fait, malgré son anachronisme, a eu un écho en 1932 aux Cortès espagnoles quand M. Azaña, président du Conseil, déclara, du banc ministériel : « L’Espagne a cessé d’être catholique. »

Les anarchistes, nous le répétons, ont renié la tradition de Bakounine. Ils se considèrent, avec raison, comme plus marxistes que les Russes de Staline. Ils ont suivi au pied de la lettre la théorie antireligieuse de Marx ; ils ont repris la pratique inaugurée par Lénine et lui ont même donné un caractère plus accusé. Pendant longtemps ils sont restés éloignés des élections et de la politique. Récemment ils firent leur le conseil d’Engels à Bebel : « Répéter aux ouvriers qu’ils doivent rester éloignés toujours de la politique, c’est les jeter dans les bras des curés et des bourgeois républicains. » Les anarchistes espagnols ont attendu le moment opportun pour s’associer aux bourgeois républicains, pour se servir d’eux afin d’atteindre le pouvoir et, une fois au pouvoir, parmi d’autres réalisations de leur programme, tuer les prêtres.

 

 

 

 

III

 

L’INFILTRATION MARXISTE

ET ANARCHISTE EN ESPAGNE

 

 

Il ne manque pas de gens qui, s’en tenant à une vue superficielle des choses, croient que les évènements d’Espagne sont un phénomène spécifiquement espagnol, conséquence d’une décomposition ou d’une décadence du catholicisme dans la Péninsule.

En Espagne, les idéaux religieux ont subi, depuis la Révolution française, la crise qui est propre à l’ensemble du monde moderne. Cette crise s’est manifestée à la suite de la pénétration dans les masses prolétaires des idéologies matérialistes qui ont éliminé de la conscience humaine toute notion d’âme, toute morale de la responsabilité et toute idée de finalité et de transcendance.

Dans ce domaine de l’idée religieuse, les marxistes et les anarchistes, partant de principes différents et ayant en vue, au sujet de l’organisation sociale, des objectifs distincts, aboutissent cependant très exactement aux mêmes conceptions.

Le christianisme, après sa lutte contre la philosophie du dix-huitième siècle et contre cette autre forme du matérialisme : le scientisme du dix-neuvième siècle, a dû affronter, à son tour, l’athéisme marxiste. Les luttes d’aujourd’hui se réduisent en définitive à un choc entre le spiritualisme et le matérialisme. Le champion le plus ferme du spiritualisme reste la religion, alors que le champion le plus certain et le plus énergique du matérialisme est l’athéisme communiste.

Les divergences d’appréciation sur la manière la plus efficace de combattre le matérialisme du monde chrétien et de provoquer un renouveau de christianisme ont entraîné chez les fidèles des discordes regrettables ; pourtant tous admettent que l’ennemi commun est, essentiellement, le matérialisme athée.

Il est évident que, chez des gens qui se disent chrétiens, on peut retrouver des éléments et des pratiques purement matérialistes ; il est évident, de même, que l’on peut rencontrer une véritable spiritualité chez des gens qui se croient ou se prétendent communistes. L’incohérence est chose humaine mais, en l’espèce, elle ne modifie en aucune manière les données du problème général.

Il existe deux camps qui s’opposent irréductiblement. D’un côté, l’esprit religieux, qui s’efforce de ressusciter et de soutenir les grandes traditions constituant le trésor spirituel de l’humanité, qui s’attache à provoquer l’ascension ininterrompue de la conscience humaine à travers tous les cataclysmes et toutes les luttes politiques où se déchirent les peuples, qui accepte enfin que l’homme soit originellement mauvais mais lui offre des possibilités de perfection et de salut.

De l’autre côté, le matérialisme, qui s’efforce de supprimer dans la conscience de l’homme, – réduit au rôle de producteur, – tout stimulant d’ordre transcendant, toute spiritualité et toute consolation morale ; qui s’attache, en somme, à détruire ce qu’il nomme « l’opium » afin d’établir un ordre nouveau, fondé exclusivement sur des bases économiques, pour éviter l’exploitation des plus nombreux par les moins nombreux. Ce matérialisme veut établir sur des bases positives et matérielles la justice sociale, l’égalité entre les hommes et redonner à l’homme cette bonté et force originelles que l’éducation religieuse a corrompues.

Les matérialistes partent en guerre au nom de la liberté et, dans la mesure où ils l’obtiennent pour eux, ils la suppriment implacablement pour les autres. Et c’est ainsi que la liberté ne trouve plus d’autre refuge que celui qui lui est offert par les spiritualistes. Il n’y a là d’ailleurs rien qui doive surprendre, car l’esprit est liberté alors que le matérialisme ne saurait être que fatalité et tyrannie. La lutte contre la religion devient une lutte contre la spiritualité : quand la religion recule, la spiritualité recule d’autant.

L’athéisme marxiste ou anarchiste, par le moyen des revendications de classes, s’est infiltré dans les masses prolétaires ; il s’est transformé en un produit de substitution, un « ersatz » de la religion, de la morale et de la politique.

L’infiltration a pu s’observer, avec plus ou moins d’intensité, à travers le monde entier. Et le monde entier est en lutte, avec plus ou moins de succès, avec plus ou moins d’assurance, avec des programmes plus ou moins disparates, contre la grande aberration de notre époque.

Des circonstances spéciales qu’il ne nous appartient pas d’examiner ici ont permis le triomphe du parti marxiste en Russie et l’accomplissement, grâce à des moyens puissants, de son programme d’anéantissement de l’idée religieuse. C’est ainsi qu’en réalité a été supprimée toute une civilisation : le christianisme byzantin oriental.

Le monde connut déjà les excès de la Commune à Paris. Au cours du second tiers du siècle passé, les idées communistes et anarchistes avaient déjà largement pénétré l’Espagne. Kropotkine, dans ses Mémoires, nous révèle que, vers 1870, l’Internationale avait déjà, dans la Péninsule, plus de quatre-vingt mille affiliés. À la fin du siècle, Barcelone était devenue une des capitales de l’anarchisme mondial. Les propagandistes qui, à Genève et à Milan, ne parvenaient pas à réunir plus de deux cents personnes, rassemblaient à Barcelone des milliers d’auditeurs ouvriers.

En dépit des attentats terroristes, peu de personnes, dans l’élite dirigeante, devinaient la profondeur du mal. Les anarchistes étaient considérés simplement comme des illuminés, des illuminés terribles puisqu’ils lançaient des bombes, mais incapables d’un bouleversement social des masses. Ils agissaient seulement dans le domaine des syndicats ouvriers ; ils détestaient alors la politique et ils n’intervenaient pas dans les élections.

Les anarchistes avaient compris qu’en s’emparant des organisations ouvrières, en les consolidant, en pratiquant la violence terroriste, ils détiendraient entre leurs mains le levier qui les mettrait à même de s’emparer du pouvoir. À leur côté, dans une compétition souvent sanglante, les communistes, qui s’appellent encore « socialistes », poursuivent le même objectif, avec le même plan, mais en utilisant pour le moment une technique moins sanguinaire.

Les anarchistes organisent le « pistolérisme » intégral et ils en font un moyen d’obliger les ouvriers à se soumettre à leurs syndicats, lesquels, par la violence comminatoire, s’imposent autant que les organisations les plus efficaces.

Les socialistes préfèrent fortifier leurs positions par des moyens moins violents et ils collaborent avec le pouvoir bourgeois, même lorsque ce pouvoir est représenté par un Primo de Rivera. Le socialisme d’alors reste un parti bureaucratique, réformiste et quasi officiel. Son affermissement s’accuse avec l’avènement de la République ; les ministères du Travail, des Finances, de l’Instruction publique, des Travaux publics sont aux mains des socialistes. Le parti alimente avec le budget national ses affiliés les plus actifs ; il consolide ainsi son pouvoir, il accroît son influence et sa prédominance. Il exerce une primauté sur les masses ouvrières en Biscaye, aux Asturies, à Madrid, en Estrémadure, dans une partie de l’Andalousie.

L’anarchisme, sans frein depuis la République, opère sur les mécontents ; il fortifie sa position en Catalogne, à Valence, dans la région de l’Èbre, à Murcie, en Andalousie. Les noyaux communistes, stalinistes ou trotskystes n’ont qu’une importance insignifiante au cours des deux premières années de la République. Les socialistes, qui ont déjà épuisé les possibilités du pouvoir en compagnie des républicains, se précipitent, avec Largo Caballero 3 à leur tête, vers un communisme pur ; ils deviennent aussi violents que les anarchistes : la meilleure preuve en est dans la révolution socialiste des Asturies d’octobre 1934.

 

 

 

DEUX ASPECTS DE L’ÉGLISE SAINT-IGNACE À MADRID DÉTRUITE LE 18 MARS 1936,

QUATRE MOIS AVANT LA RÉVOLTE MILITAIRE.

 

 

 

 

 

DEUX ASPECTS DE L’ÉGLISE SAINT-LOUIS À MADRID,

AU MOMENT DE L’INCENDIE, LE 18 MARS 1936,

QUATRE MOIS AVANT LA RÉVOLTE MILITAIRE.

 

 

L’organisation syndicale, la C. G. T. (Confédération générale du travail) est dominée par le socialo-communisme, parti politique. La C. N. T. (Confédération nationale du travail), organisation syndicale, est dominée par la F. A. I. (Fédération anarchiste ibérique).

Regardons maintenant l’évolution politique-sociale en Catalogne. Depuis le début du siècle, la lutte politique en Catalogne s’était développée entre la bourgeoisie et les masses ouvrières non adhérentes à l’anarchisme. Les anarchistes se maintinrent hors de la politique. Pendant des années, et sauf quelques courtes éclipses, l’élément prédominant de la politique catalane fut de type libéral conservateur. Ceci s’explique à la fois par la Solidarité créée, en 1907, au nom de l’idéal catalan et par l’impuissance de la gauche catalane toujours réduite à une petite minorité minée par les dissensions personnelles.

Le panorama politique changea radicalement à l’avènement de la République. Un secteur bourgeois, « l’Action catalane » s’appuya sur la « Gauche catalane » présidée par Macia. Les anarchistes comprirent aussitôt l’intérêt qu’il y avait pour eux à favoriser en Catalogne la prédominance des gauches. Et c’est ainsi qu’en raison de la défection d’une partie du mouvement catalan libéral et en raison de l’aide apportée par la F. A. I., la Gauche put sortir victorieuse, encore qu’avec des succès relatifs, des élections successives qui eurent lieu en Catalogne. Elle put aussi maintenir son monopole au sein du gouvernement de la Généralité autonome.

Vinrent les élections générales de février 1936 : le Front populaire triompha dans quelques capitales comme Barcelone mais non dans la majeure partie de l’Espagne. Cependant, ce succès partiel fut suffisant pour provoquer un assaut du pouvoir à Madrid et à Barcelone. Tous les moyens furent bons : vols de procès-verbaux d’élections, invalidations, nouvelles élections complémentaires, contrainte sous toutes ses formes. Ainsi purent se former des Cortès à majorité de Front populaire, qui soutinrent le gouvernement de gauche qui avait fini les élections.

Et c’est alors que commence le grand travail : le gouvernement se consacre au désarmement de tous les citoyens n’appartenant pas aux organisations prolétaires extrémistes et, sous le prétexte de la tentative de coup d’État militaire, le 18 juillet, il dissout l’armée et distribue des armes aux communistes et aux anarchistes. Les condamnés pour délits politiques ou sociaux (est considéré comme délit social l’assassinat d’un patron, d’un contremaître ou d’un camarade d’atelier) sont déjà sortis de leurs prisons en vertu de l’amnistie gouvernementale, peu de jours après le 16 février. Entre le 18 et le 20 juillet tous les criminels et tous les voleurs ont été libérés et on les a armés de la même manière que les autres miliciens. Le gouvernement de Valence couronne plus tard juridiquement tout l’édifice en décrétant une amnistie pour tous les délits de droit commun commis avant le 18 juillet.

Nous avons à peine besoin de redire qu’après le 18 juillet il n’y a plus ni pouvoir ni juridiction du gouvernement sur les masses. Le gouvernement « légal » fait la politique extérieure et la propagande ; les comités, anarchistes surtout, font la politique intérieure, c’est-à-dire la révolution sociale.

Dans la zone ressortissant aux gouvernements de Madrid et de Barcelone, le pays fut ainsi soumis à partir du 19 juillet à l’autorité quasi exclusive des comités de la F.A.I. (Fédération Anarchiste Ibérique), de l’U.G.T. (Union Générale des Travailleurs), de la C.N.T. (Confédération Nationale du Travail), du P.O.U.M. (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste, trotskistes), P.S.U.C. (Parti Socialiste Unifié de la Catalogne), sans compter les autres comités dénommés « incontrôlables ».

En Catalogne l’U.G.T., le parti séparatiste « Estat catalá », la police et la garde civile tentèrent de limiter l’envahissement et la prépondérance de la F.A.I. ; mais l’attitude du président Companys fit pencher la balance d’une manière décisive en faveur de la F.A.I.

Les comités ont naturellement fait appel aux plus fanatiques de leurs adhérents, aux professionnels déjà endurcis du « pistolérisme » et aux assassins libérés des prisons. Ils les ont largement utilisés dans toutes les tâches d’épuration, d’incendies d’églises, d’extermination des prêtres, d’assauts et de sacs de maisons privées, d’attentats nocturnes. Avec eux et grâce à eux ils ont déclenché tout le mécanisme de la terreur sur une population désarmée.

 

 

 

 

IV

 

LE PLAN DE DESTRUCTION DU CATHOLICISME ESPAGNOL

 

 

Il ne s’est pas produit – nous y insistons – un écroulement de l’Espagne catholique. Comme nous venons de le voir, les atrocités qui ont été commises depuis le 18 juillet sont le résultat logique d’une suite d’évènements dont le début date de loin et qui sont la manifestation, sans cesse croissante, d’une véritable phobie antireligieuse.

Le pays et, avec lui, les institutions catholiques, cèdent par étapes aux partis et aux syndicats qui ont inscrit dans leur programme la révolution permanente et qui sont décidés à imposer à l’Espagne des régimes de violence antireligieuse traduits par l’extirpation de tout symbole, de toute institution, de toute pratique, de tout sentiment religieux. L’opinion publique manifeste bien de temps à autre une certaine inquiétude : témoin le triomphe électoral du centre et des droites en novembre 1933, mais la réaction n’est ni suffisamment étendue, ni suffisamment profonde, ni surtout sagement conduite et utilisée.

Les atrocités qui devaient être commises sont donc, en définitive, le résultat inévitable d’une politique dont beaucoup portent la responsabilité : les uns par imprévision ou par manque d’imagination, les autres par naïveté, étroitesse d’intelligence ou excès d’ingénuité, les autres par un ressentiment malsain. Ceux qui ont eu une vue claire des choses n’ont pas été écoutés par la grande masse de la population, envenimée par la démagogie. Les plus malins ont été sans doute les maîtres actuels de l’Espagne, marxistes et anarchistes : aussitôt qu’ils ont entrevu la possibilité du triomphe, ils ont suivi une route directe et ils ont réalisé implacablement la politique qui devait leur livrer le pays.

Les théories et les agissements du Front populaire sont une grande machine révolutionnaire montée et mise en marche par les propagandistes du Kominterm. Le Front populaire lui-même est une construction habile, dont le but avoué est assez anodin : défendre les démocraties menacées, défendre le libéralisme attaqué, protéger la paix en péril, en somme combattre le fascisme. En Espagne, ce programme théorique se complétait par des appels à la pitié en faveur des prisonniers comme conséquence de la révolte d’octobre 1934 et par des fallacieuses garanties de sécurité, d’ordre, de pacifisme, de respect des personnes et des biens. On a bien vu après ce qu’il en était de ces garanties.

Il a été dit qu’en Espagne beaucoup de catholiques, des ecclésiastiques même, en face d’un tel programme, votèrent pour le Front populaire. De nombreuses femmes catholiques votèrent également pour le Front populaire, croyant ainsi aider à la libération des prisonniers d’octobre 1934, alors que cette libération était déjà assurée par le projet d’amnistie des droites.

C’est ainsi que le Front populaire assaillit le pouvoir. Et nous venons de voir, dans le chapitre antérieur, comment, d’après les directives mêmes du gouvernement ou avec sa complicité, fut alors entreprise une œuvre de destruction des organisations adverses : elles furent mises hors la loi, on désarma les citoyens honnêtes dont la condition sociale faisait autant d’éléments d’ordre. Sous quelque prétexte que ce fût ou, plus simplement, sans prétexte, toutes les circonstances furent utilisées ou provoquées (assassinat de Calvo Sotelo) en vue d’amener le bouleversement total qui devait transporter le pouvoir exclusif des comités, la suprématie incontestée des doctrines anarchistes et marxistes et le règne tout-puissant de la terreur.

Avec de telles doctrines et de telles méthodes, il sera procédé à la destruction systématique de toutes les valeurs essentielles qui sont le fondement de la société espagnole. On détruira l’économie en mettant les fabriques, les banques, et tous les instruments producteurs de la richesse entre les mains des comités ; on entreprendra la marche accélérée vers la famine, toujours mauvaise conseillère.

On appauvrira la civilisation, la culture littéraire, artistique, scientifique en emprisonnant, en tuant ou en obligeant à l’émigration les intellectuels qui ne veulent pas servir le marxisme, voire beaucoup de ceux qui s’offrent à le servir.

On frappera la famille en instituant des bureaux qui expédient « le divorce à la minute ».

On détruira la justice en supprimant les magistrats et les juges.et en les remplaçant par des tribunaux populaires qui jugeront dans un sentiment exclusif de férocité. On substituera même à tout jugement l’assassinat pur et simple : dans les prisons, à domicile ou en rase campagne.

On anéantira la religion considérée comme le plus dangereux des ennemis du fait des valeurs morales et transcendantes qu’elle contient et qu’elle enseigne ; on incendiera les temples, on exécutera les religieux et les ecclésiastiques.

La destruction de l’Église catholique obéit donc à un plan préconçu, qui prévoit d’ailleurs la destruction de toute religion. Ce plan s’est déjà manifesté sous forme explosive chaque fois que, depuis l’avènement de la République, des mouvements marxistes ou anarchistes se sont produits contre le gouvernement, qu’il fût de gauche ou de droite. Dans toute l’Espagne, le gouvernement du Front populaire a favorisé sa mise en application puisqu’elle débute déjà sous forme d’attentats antireligieux dans la nuit du scrutin, le 16 février 1936. À cette date, en effet, on enregistre un peu partout, sous forme sporadique, des incendies, des destructions d’images religieuses et des assassinats. À partir du 18 juillet, la persécution contre l’Église devient intensive et totale ; elle est poussée jusqu’à l’extermination complète dans toute la zone dominée par les rouges.

Par contre, l’Église est sauvée de la destruction et de l’extermination dans toute la zone restée dès le début sous la protection des blancs. Malheureusement, dans la zone récupérée sur les rouges par le mouvement national, les soldats vainqueurs et sauveurs n’ont trouvé que des églises détruites, un clergé assassiné et le souvenir d’atrocités du même ordre.

Partout où les rouges sont restés les maîtres, tout ce qui avait un rapport quelconque avec la religion a été anéanti ; dans la partie de l’Andalousie et de la Nouvelle Castille où ils gouvernent, à Murcie, à Valence, en Catalogne le culte public est complètement supprimé et la messe entendue en secret est un délit puni de mort immédiate.

En Biscaye, depuis qu’existe un gouvernement autonome, il semble que le culte ait été rétabli, imposé par les autonomistes contre le gré des socialistes, des communistes et des anarchistes ; mais ces derniers ne se tiennent pas pour battus ; ils considèrent le cas de la Biscaye comme une exception de peu d’importance, qu’ils doivent tolérer faute d’être, pour le moment, les maîtres incontestés du terrain. Il faut que nous nous arrêtions un instant sur ce cas des Basques que nous traiterons plus longuement à la fin de cet ouvrage. Les autonomistes de Biscaye ont cru à l’effondrement de l’Espagne, et ils ont espéré pouvoir se sauver par leurs propres moyens en pactisant d’abord avec les rouges, en les évinçant ensuite, une fois obtenue l’autonomie. Du point de vue de la liberté du culte, la Biscaye doit donc être considérée comme étant dans une situation exceptionnelle.

Cette situation n’empêche d’ailleurs pas les assassinats : au début de janvier dernier, Bilbao a donné l’horrible spectacle de la tuerie en masse d’otages innocents ; ces atrocités ne peuvent être comparées qu’à l’exécution des militaires en retraite, dans Madrid, et aux assassinats systématiquement perpétrés lors des mois précédents à Barcelone, Valence, Malaga, etc. Les crimes de Bilbao sont une honte, des plus graves qui pèseront sur la guerre civile actuelle. La folie homicide s’acharnant sur des prisonniers, sur des êtres innocents ou désarmés, démontre largement que tout sentiment de pitié, tout sentiment chrétien a disparu, même dans les régions profondément catholiques, soumises à l’influence rouge.

Le gouvernement basque ; par la voix de son président, M. José Antonio Aguirre, a prétendu se justifier en plaçant la question sur le terrain social ; selon lui la lutte est ouverte « entre le capitalisme abusif et un profond sentiment de justice sociale » ; la guerre espagnole ne serait donc pas « une guerre religieuse ».

Tout commentaire est inutile devant la réponse qu’à ces affirmations a cru devoir faire, de Pampelune, dans une lettre ouverte, le cardinal-archevêque de Tolède. On pourra d’ailleurs constater que cette lettre est très respectueuse pour la personne même de M. Aguirre 4.

Celui-ci nie ce que les communistes et anarchistes avouent. L’intention, le plan en vue de réaliser la lutte antireligieuse ne peuvent faire de doute. Jamais l’histoire de l’humanité n’aura enregistré une action aussi furieuse et dévastatrice contre la liberté du culte.

Un des dirigeants révolutionnaires de la Catalogne, Andreu Nin, chef du Parti ouvrier d’unification marxiste (P. O. U. M.), l’a proclamé au cours d’un meeting en ces termes : « La République ne savait comment résoudre le problème religieux ; tous les gouvernements ont traîné avec eux ce problème. Nous, enfin, l’avons résolu totalement en le prenant à la racine : nous avons supprimé les prêtres, les églises et le culte. »

À Genève, en janvier dernier, le représentant du gouvernement de Valence s’est trouvé dans une atmosphère pesante. Impressionné par cette attitude de réserve à son égard, M. Alvarez del Vayo, en dépit de sa ferveur marxiste, s’est vu contraint à déclarer : « L’Espagne sera une démocratie sociale ; elle admettra donc la liberté des cultes. » Or bien : ces paroles ont été enregistrées avec indignation par ceux qui gouvernent l’Espagne rouge, indignation dont s’est fait l’écho un journaliste au service des anarchistes, Ezequiel Endériz, dans un article que publia l’organe des groupements anarchistes de Barcelone : Solidaridad obrera, no du 28 janvier dernier ; et rappelons qu’il s’agit du journal le plus autorisé de l’Espagne révolutionnaire.

Solidaridad obrera n’accorde d’une manière générale aucune valeur aux paroles des diplomates, surtout aux paroles « qui se lancent dans les réunions de Genève » ; il qualifie Alvarez del Vayo de « grand humoriste » car « même en admettant, sur un plan théorique, que l’Espagne laisse subsister le culte dans ses églises, encore faudrait-il déterminer sous quelle forme il subsistera car il est impossible de croire que beaucoup de chances existent en faveur du maintien du système ancien ». Le journaliste applaudit à la destruction « des temples de l’idolâtrie réduits en cendres » et il observe que « par fidélité à la doctrine révolutionnaire, il était impossible d’agir autrement vis-à-vis des temples ». Il rappelle, pour étayer cette justification, la doctrine suivant laquelle « les religions sont un mal incurable des peuples parce que la religion pénètre jusqu’à l’essence même de l’esprit, dans la vie de ce que les tenants des religions appellent « l’âme » et qu’elle s’y installe comme un microbe qui détruit lentement la personnalité de l’homme ». Il conclut alors : « Concentrer toutes les énergies contre l’Église, c’est encore insuffisant. » La preuve qu’il ne faut pas interrompre l’extermination, la voici : « Il ne reste plus un autel debout ; il n’existe plus une seule de ces marionnettes qu’ils plaçaient sur les retables ; c’est à peine s’il subsiste encore des paroissiens et pourtant ils ont la prétention de revenir au culte ! Mais cela ne sera pas ! Ce qu’a dit Alvarez del Vayo à Genève a fait certainement un excellent effet à la Société des Nations ; mais, ici, en Espagne, nous en avons souri. »

 

 

 

 

V

 

L’ÉGLISE ESPAGNOLE EN 1936

 

 

Bien des arguments extraits de la « légende noire » ont été, dans la conjoncture actuelle, repris contre le catholicisme espagnol ; tous s’écroulent par leur base quand on veut bien examiner la situation de l’Église espagnole en 1936. On avait accusé l’Église de s’être mise au service de l’État et d’avoir utilisé l’État pour exercer sa domination sur la société espagnole. Or, depuis 1931, l’Église et le catholicisme étaient persécutés par les gauches, maîtresses de la politique espagnole ; l’Église avait été spoliée et ensanglantée ; les pouvoirs publics l’avaient livrée aux bas instincts d’une plèbe excitée par l’appât du butin et la phobie destructrice ; le pouvoir de l’Église, hors du domaine purement spirituel, était strictement nul.

On accusait le clergé catholique de se maintenir à un niveau intellectuel inférieur à celui qu’exigent les nécessités modernes. Or le clergé régulier, précisément, empêchait que l’analphabétisme prît en Espagne des proportions démesurées. Quand fut proclamée l’interdiction de l’enseignement des religieux, on sut que 600 000 enfants espagnols, appartenant pour la plupart à la petite bourgeoisie et aux classes prolétariennes, seraient du coup privés d’écoles. Les institutions scientifiques catholiques, en particulier dans le domaine des sciences historiques, naturelles, mathématiques, astronomiques, soutenaient le crédit de la science espagnole dans de vastes secteurs de l’érudition et de la recherche.

Citons, entre beaucoup d’autres, les établissements ou œuvres suivants :

a) Institut technique des Jésuites, de Madrid ;

b) Collège de Oña, des Jésuites, avec un laboratoire important de biologie (c’est là que le populaire P. Laburu fit ses études) ;

c) Travaux de musicographie du P. Otaño, Jésuite, à Saint-Sébastien ;

d) Centre de Recherches historiques de la Bibliothèque de l’Escurial. A été dirigé par le P. Zarco Cuevas et ses collaborateurs, tous du plus grand mérite. L’œuvre de classement de la bibliothèque et de publication des documents et catalogues est formidable. (La plupart des volumes en bon état, en particulier les manuscrits arabes, ont été volés par les Rouges) ;

e) Travaux culturels et de recherche des Jésuites à Madrid. Leur revue Religion et culture était une des meilleures, des mieux équilibrées, des plus larges d’esprit. Les PP. Negrete et Félix Garcia (l’un des meilleurs critiques littéraires du moment) étaient l’âme de cette revue. Tous deux sont en prison ;

f) Travaux d’histoire ecclésiastique du P. Villada, Jésuite, dont la bibliothèque est, en cette matière, la meilleure du monde (elle a été brûlée à Madrid) ;

g) Parmi le corps des archivistes du « Centre de Recherches historiques », un bon nombre d’archivistes étaient des prêtres, plusieurs d’entre eux disciples de l’illustre Miguel Asin Palacios ;

h) Université catholique d’été à Santander, qui travaillait parallèlement à l’Université d’État ;

i) Centres de recherches des Bénédictins : à Santo Domingo de los Silos, sous la direction du P. Serrano. Certains chercheurs, comme le P. Urbal, étaient très connus. Recherches sur le symbolisme dans l’art du P. Pinedo à Estebaliz. Recherches sur la culture galicienne des moines de Samos.

En aucune région comme en Catalogne le catholicisme n’a subi une persécution aussi profonde, aussi tenace, aussi complète. Or le clergé catalan se distinguait par sa valeur intellectuelle en même temps que par une compénétration étroite avec le sentiment populaire et collectif des Catalans. Il constituait un clergé pieux, exemplaire, en même temps que libéral dans le meilleur sens du mot. Il était impossible de parler de culture en Catalogne sans citer les organisations intellectuelles des jésuites, des capucins et des bénédictins de Montserrat. On ne pouvait pénétrer dans la bibliographie catalane sans y rencontrer, aux places les meilleures et les plus nombreuses, les historiens, les philosophes, les littérateurs catholiques : laïcs ou ecclésiastiques. On ne pouvait citer les vingt noms les plus illustres de la Catalogne actuelle sans prononcer ceux du P. Miguel de Esplugas, philosophe, du P. Rupert de Manresa, théologien, du docteur Cardó et du docteur Llovera, humanistes, du P. Ignacio Casanovas, historien, des PP. Suñol et Higinio Anglés, musicographes, du P. Albareda, bibliographe, du P. Ubach, spécialiste des études bibliques, du P. Rodés, astronome. Il faut remonter aux temps les plus glorieux de la chrétienté pour retrouver à la fois un tel exemple de compénétration entre le clergé et le peuple et une telle abondance de services rendus par le clergé à la collectivité historique et spirituelle. Cette collectivité éveillait, dans le cœur et l’esprit des religieux, de profondes aspirations ; ils pénétraient en elle et suivaient un chemin que tracèrent et fécondèrent des personnalités éminentes du catholicisme moderne telles que l’évêque Torras i Bages, les poètes Verdaguer et Maragall, l’architecte Gaudi et le peintre Llimona. Tout ce qui appartenait à la substance vive de la tradition, tout ce qui pouvait alimenter la modernité et les aspirations d’une âme collective ambitieuse de créations nouvelles, avait la certitude de rencontrer, parmi le clergé et les catholiques catalans, des serviteurs de premier plan et une masse innombrable de prosélytes. Et pourtant c’est en Catalogne – où ne s’est produite aucune révolution civile – que la phobie antireligieuse a produit ses méfaits les plus profonds ; c’est là qu’elle a agi implacablement avec une rage presque inconcevable de destruction sauvage.

Il est impossible de prétendre qu’entre le clergé catholique et l’âme populaire il y ait eu des divergences ou la moindre opposition. L’âme populaire, conscience éminente de la tradition et continuation historique du passé, n’a certainement rien de commun avec l’agitation plébéienne ni avec les syndicats terroristes. Le peuple, la communauté des citoyens, n’ont rien de commun avec la tourbe agitée, exaltée par une passion mauvaise, par un empoisonnement momentané ; pas plus que la masse amorphe, immobile et terrorisée n’est le peuple. Le clergé et le catholicisme étaient associés à l’âme populaire authentique et l’âme populaire ne les rejetait pas.

Et que pourrions-nous dire au point de vue du sens social ? Les doctrines pontificales de Léon XIII avaient trouvé dans le clergé catalan, et dans toute l’Espagne en général, de fervents apologistes. Le chanoine docteur Carles Cardó – illustre humaniste, traducteur de Sénèque – dirigeait depuis plus de dix ans la revue mensuelle la Parole chrétienne, qui avait acquis un grand prestige et une grande autorité et qui ne ménageait ses critiques ni contre le capitalisme ni contre l’autoritarisme immodéré, ni contre un conservatisme immuable. La Parole chrétienne défendait toujours la cause ouvrière et les libertés publiques. Avec elle une bonne partie de la presse catholique apparaissait comme plus avancée socialement que la presse bourgeoise ou la presse de gauche. Les conférences du P. Laburu S. I., comme celles du docteur Masdexexart, professeur au séminaire de Barcelone, en arrivaient même, par leur radicalisme social, à choquer les auditoires bourgeois et à soulever leurs protestations.

Un écrivain autorisé, prêtre exemplaire et aumônier de la paroisse la plus pauvre de Barcelone, le docteur Angel Carbonell, avait publié un traité volumineux sous le titre le Collectivisme et l’orthodoxie catholique dans lequel il essayait de définir d’une manière purement spéculative ce qu’il y avait de compatible entre les deux doctrines.

Précisément en raison de sa valeur intellectuelle et de son courage moral, ce clergé a été singulièrement persécuté. La haine contre les meilleurs de ses membres est une des caractéristiques les plus patentes de cette révolution dont on peut dire qu’elle a consisté exclusivement en un renversement total des valeurs essentielles. Cette haine s’est manifestée dans tous les milieux. La tourbe des « pistoleros » et des prisonniers de droit commun, sous la protection complice des médiocrités impuissantes élevées au gouvernement, a exécuté les incendies et les crimes. Elle s’est acharnée avec plus de cruauté contre le politicien probe, contre le magistrat intègre, contre le puissant charitable, contre le clergé cultivé ou populaire, contre l’intellectuel irréductible, en un mot : contre l’homme de principes, généreux, libéral, compréhensif et tolérant. Elle a ménagé davantage les égoïstes qui ne se montraient pas sur la place publique, qui restaient en dehors de la politique, qui ignoraient la souffrance d’autrui et qui, au lieu de diriger des industries et de créer des richesses, mettaient leur argent à l’abri ; elle a ménagé ceux qui se désintéressaient de la communauté, de la chose publique.

 

 

 

 

L’UNE DES SŒURS DU COLLÈGE DE LA PAZ, À MADRID,

DIT ADIEU AUX ORPHELINES EN LARMES.

 

 

 

 

À TOLÈDE, DES RELIGIEUSES OBLIGÉES DE « FRATERNISER » AVEC LES MILICIENS.

 

 

 

 

LES MOMIES DES CARMÉLITES EXPOSÉES À LA PORTE DE LEUR COUVENT,

À BARCELONE, 20 JUILLET 1936.

 

 

 

 

UN MILICIEN SE MOQUE DE LA MOMIE D’UNE CARMÉLITE.

 

 

 

Nous ne voulons pas excuser l’Église espagnole de ses déficiences possibles ; mais nous pouvons affirmer qu’aucun doute n’est permis quant au sentiment apostolique et à la sincérité de la foi du clergé espagnol. Le moindre doute dans ce domaine serait une offense grave à la réalité, après les épreuves par lesquelles il passe depuis le 16 février 1936.

Le clergé espagnol a souffert toutes les ignominies et tous les martyres imaginables. On ne trouve rien de semblable à cette souffrance dans l’histoire du christianisme depuis les temps primitifs, depuis les grandes persécutions des empereurs romains. Au début de janvier 1937, on avait déjà enregistré le sacrifice de 11 évêques et de 16 750 prêtres. Parmi ces milliers de martyrs, on ne cite aucun exemple d’apostasie. Un tel clergé gardera une auréole de gloire pour toute l’éternité. Il a suscité l’admiration de tous les Espagnols, croyants et incroyants, tout au moins de ceux qui conservent encore le sens du spirituel.

Il est certain qu’avant la persécution actuelle, des prêtres ont sympathisé avec le Front populaire. Quelques-uns même – bien rares – avaient fait ostensiblement œuvre de propagande en faveur des gauches. Quatre d’entre eux continuent à servir la propagande anarcho-marxiste du gouvernement de Valence : Leandro Lobo, vicaire de San Ginés à Madrid ; José Gallego Rocafal, chanoine de Grenade, en rébellion contre l’autorité ecclésiastique ; Garcia Gallego, chanoine de Ségovie ; Galligás, chanoine de Cordoue. Ceux-là n’ont pas été persécutés ; instruments dociles de propagande anticatholique, ils sont protégés. Ils se sont scandalisés devant les horreurs de la guerre à Madrid ; ils ne se sont pas scandalisés devant l’assassinat de 16 000 de leurs frères, martyrs de leur foi, morts en dehors de la zone de guerre, avant la guerre, et dans des régions où il n’y a même pas eu de révolte militaire.

 

 

 

 

VI

 

QUELS SONT LES AUTEURS DES CRIMES COMMIS ?

 

 

On a déjà parlé, avant les évènements actuels, de la responsabilité des intellectuels de gauche, les seuls qui aient eu la faveur officielle en Espagne au cours de la période récente.

Ces intellectuels ont joué, dans la Péninsule, le rôle historique que les intellectuels jouent parfois dans les révolutions analogues : ils ont préparé les esprits de ceux qui devaient être assaillis afin qu’ils se laissent assaillir et ils ont excité les assaillants afin qu’ils descendent dans la rue. En période révolutionnaire, quand la légalité – en dépit des gouvernements de façade – est mise en vacances, c’est la rue qui dirige et ordonne.

Les mauvais instincts se déchaînent et il devient alors facile à quelques meneurs bien préparés de s’en servir pour « réaliser » la révolution. Il suffit de peu de monde pour y parvenir. Taine calculait que le nombre de ceux qui, inscrits au Club des Jacobins, jugulèrent la capitale terrorisée ne dépassait pas six mille. Si on y ajoute dix mille fanatiques pour la manœuvre révolutionnaire et deux cents hommes pour l’œuvre d’assassinat, on obtiendra le chiffre exact des effectifs suffisants pour pratiquer impunément la dictature de la terreur.

Quelques centaines d’énergumènes, avec des assassins à leurs ordres, purent ainsi, durant trois ans, dominer une cité de 700 000 habitants, comme l’était le Paris d’alors ; de la même manière, et dans des proportions analogues, d’autres énergumènes dominent Madrid, Barcelone et Valence. Les historiens se sont demandé comment on peut expliquer la passivité et la résignation des Parisiens de l’époque ; ils ont souligné le fait de la guerre étrangère et, surtout, la terreur devenue pouvoir autoritaire.

On peut donner une explication identique de la situation à Madrid, mais non pas de celle de Barcelone et de Valence. D’abord, la guerre n’est pas nationale mais civile, encore que, récemment, MM. Azaña et Largo Caballero aient découvert que les miliciens sans patrie luttaient pour l’indépendance de l’Espagne. À Barcelone, comme à Valence, le front de guerre est très éloigné ; en outre ceux qui dirigent la terreur et ceux qui gouvernent légalement ne sont pas les mêmes personnes. Vingt fois déjà, M. Companys – protecteur malgré tout de la F.A.I. – s’est plaint des désordres que lui-même ne peut éviter.

À la lumière de l’histoire, la terreur est toujours apparue comme une atrocité gratuite et inutile, même dans les cas où elle était inévitable ; mais jamais il ne s’est trouvé de circonstances où l’on se soit donné la peine d’imaginer moins de prétextes, et d’aussi futiles, pour la justifier.

En ce qui concerne la révélation de personnalités nouvelles, la révolution rouge est un échec absolu. Elle n’a produit aucun grand tribun comme la Révolution française ; aucun grand organisateur comme la Révolution russe. Les seuls hommes « nouveaux », les seuls hommes de premier plan qui aient apparu en pleine lumière sont des bandits, des dévaliseurs de banques comme Durruti ou des chefs pistoleros comme Garcia Oliver. Afin de pourvoir aux ministères, les partis de gauche ont dû faire appel à des gens presque inconnus, à des hommes de cinquième ordre.

Quels sont donc les fauteurs des incendies et des crimes ? Personne parmi ceux qui ont lu des informations dignes de foi sur la terreur de la Révolution française ou de la Révolution bolchevique n’ignore comment se produisent de semblables catastrophes. Des dirigeants en petit nombre, utilisant quelques déséquilibrés sans âme ou quelques fanatiques, imposent la destruction systématique.

C’est ainsi qu’en Catalogne, des camions, montés par une demi-douzaine de bandits, visitaient les villages, exécutaient le curé qui n’avait pas su, pas pu, ou pas voulu s’échapper, arrosaient l’église de liquides inflammables et y mettaient le feu, faisaient sauter les monuments avec quelques cartouches de dynamite. Si quelques habitants, mus par un sentiment de respect, de culture ou d’amour, prétendaient s’opposer à la destruction, ils étaient rapidement mis hors de cause par l’éloquence persuasive des pistoleros. Les enfants, les curieux et les indifférents contemplaient le désastre ; les autres, l’immense majorité, restaient enfermés dans leurs maisons, prisonniers d’un sentiment d’impuissance, tremblant de terreur depuis que la garde civile, disparue, désarmée ou démobilisée, avait laissé le champ libre aux comités locaux ou aux bandes circulantes. Tous les notables du village, tous ceux qui auraient pu être capables de prendre une décision, d’organiser la résistance, de galvaniser le courage des autres : le pharmacien, le médecin, le boutiquier, le vieux carliste, le chef local de la Lliga, le militaire en retraite, ont été assassinés chez eux, sur la place publique, sur le bord de la route, au cimetière.

Quels sont ceux qui ont commis ces crimes ? Un des chefs anarchistes, Peiró, dans son livre 5, confesse ainsi la vérité : Tous les partis et groupements syndicalistes du Front rouge ont participé aux assassinats.

Il est juste pourtant de signaler qu’en Catalogne les premiers assassinats furent commis par des éléments de la F.A.I., régulièrement non-Catalans, fameux déjà par des révoltes antérieures. Un des faubourgs de Barcelone, La Torrassa, s’est converti en une forteresse de la F.A.I. C’est un cas, très curieux, celui de cette localité tout à fait anarchiste, peuplée d’éléments allogènes. Eux-mêmes se considèrent comme le noyau le plus pur, et prennent, moyennant leur station de radio à eux, des fonctions directives ; ils sont allés même à déclarer, par un grand écriteau, que Murcie a conquis la Catalogne et que là le catalan reste interdit.

La F.A.I., avec ses éléments allogènes, ouvrit en Catalogne la liste des atrocités ; aussitôt tous les comités et tous les groupes rivalisèrent de zèle dans l’assassinat (on dit que le P.O.U.M. trotskyste se distingua tout particulièrement). L’odeur du sang enivra bien des gens. Les impulsions criminelles se firent chaque jour plus basses : on commença par assassiner par passion, par sauvagerie, par soif morbide du crime, puis pour voler et pour maintenir suffisamment haut le prix des rançons.

Cette révolution espagnole, aussi violente que la révolution russe sous plusieurs de ses aspects, se différencie de la Révolution française par son absence totale de sensiblerie. Les marxistes espagnols ne sont pas fils de Rousseau ; ce sont des sectateurs de Lénine. Les anarchistes espagnols ont déjà oublié l’humanitarisme littéraire de leurs premiers maîtres. Parmi toutes les atrocités en Espagne qui sont venues à notre connaissance, nous ne rencontrons aucun cas de sensiblerie. En dehors des cas – ils ne sont pas rares – de vengeance personnelle, on tue des personnes que l’on ne connaît pas ; on arrive dans un village pour procéder à son « épuration » de la même manière que si l’on exécutait un acte de service. D’autres cas, – dans le sud par exemple, – trahissent une violence sadique : viol, stupre, suivis ou précédés de mort ou de mutilation ; on a même été jusqu’à cette invention diabolique de faire mourir des religieuses et des femmes en leur faisant exploser une cartouche de dynamite dans le sexe ; on a déterré et exposé en public des momies de religieuses...

Sadisme et nécrophilie. Les miliciens font creuser leurs tombes à leurs victimes ; à San Feliu de Guíxols, l’exécution dans le cimetière se transforme en une chasse à travers les tombes ; à Puigcerdá, on enterre à demi vivants, près de la route, des malheureux que l’on vient de fusiller sans les achever et qui, dans la terre fraîche, sous les yeux de ceux qui passent, agitent encore leurs mains crispées. Insensibilité, nécrophilie !

Que nous voilà loin des discours jacobins en l’honneur de la vertu ! Garcia Oliver, le ministre de la Justice à Valence, exalte la dignité du prisonnier de droit commun. Il n’y a pas trace d’émotion, même pas de volupté, chez ceux qui conduisent les camions tragiques. On applaudit un milicien qui, par la promptitude avec laquelle il a tué un père et un fils, a évité entre eux une scène pathétique. La guillotine n’est plus qu’un divertissement spectaculaire, par comparaison avec les barbaries des comités espagnols.

On réserve la sensiblerie pour la propagande étrangère. Le Front populaire a répandu des images et des prospectus émouvants. Il a divulgué des photographies d’enfants soi-disant morts à la suite des bombardements aériens. On a pu vérifier que certaines de ces photos proviennent de la Morgue de Paris. En tout cas, dans toute guerre on compte des victimes innocentes et elles suscitent justement la plus grande pitié. Elles sont une protestation contre la guerre. La guerre est toujours terrible, même la guerre juste, même, comme dans le cas de l’Espagne, la guerre défensive, obligatoire. Sans le mouvement de relèvement national, toute l’Espagne serait aujourd’hui ce qu’est la Catalogne. Et la France et l’Europe entière seraient en péril.

Mais – il importe de le remarquer, – ces propagandistes qui exhibent sans pudeur des cadavres d’enfants, victimes innocentes de la guerre, au hasard d’un bombardement, sont les collaborateurs de ceux qui ont assassiné froidement, en dehors de la zone de guerre, des gens sans défense : des enfants en présence de leurs parents, des parents en présence de leurs enfants, des religieux en prière, des religieuses terrifiées... Et tous ces crimes ont été commis dans des villes et villages où ne s’était produit ni soulèvement militaire, ni révolte, ni provocation et qui n’avaient, en somme, donné aucun prétexte à la violence.

 

 

 

 

VII

 

VANDALISME ET RENAISSANCE SPIRITUELLE

 

 

Nous ne pouvons nier que des faits analogues se soient déjà produits en Espagne au cours des siècles. Nous ne pouvons dissimuler nos hontes historiques ; tous les peuples ont eu leurs heures troubles et, dans le cas de l’Espagne, elles sont largement compensées, devant l’humanité, par d’autres heures, beaucoup plus nombreuses, de grandeur et de gloire indiscutable.

Devant les faits d’aujourd’hui, la mémoire ne peut s’empêcher d’évoquer les vandalismes commis aux temps où, certes, ni la Réforme, ni le libéralisme, ni l’école neutre, ni le socialisme, ni l’anarchisme, n’étaient encore apparus dans la vie espagnole. Des faits analogues ont été enregistrés dans les rébellions de Catalogne (Remences), de Valence et des Baléares (Germanies).

Ces mouvements révolutionnaires se produisirent aux quinzième et seizième siècles, époques où dominait l’Église. Déjà, aussi bien en Catalogne qu’à Valence et qu’à Majorque, les révoltés commirent toutes sortes de violences, depuis les séquestrations et les assassinats individuels ou collectifs jusqu’aux assauts, bombardements et sièges de maisons et de villes, jusqu’aux tortures d’enfants et de femmes, aux supplices, aux effroyables représailles. Ce fut toute la gamme des barbaries inhumaines, des fléaux tels que la peste, la faim, toutes les vengeances privées, les destructions des monastères dont on prétendait que leurs clochers avaient servi de postes de tir, toutes les horreurs révolutionnaires.

Des scènes comme celles qui se produisent aujourd’hui eurent lieu dans toute la Catalogne, en 1835, quand on assassina en masse des prêtres et que l’on brûla des couvents. Alors, comme aujourd’hui, il y eut des martyres de religieux et des destructions d’édifices célèbres – certains, comme le monastère de Poblet, magnifique monument d’art, d’histoire et de culture nationale. Alors comme aujourd’hui, les édifices détruits représentaient en Catalogne la vieille civilisation de la patrie. Il semblerait, en voyant se renouveler les atrocités, qu’un siècle entier s’est efforcé en vain de produire la renaissance de la culture catalane. Mais, aujourd’hui, il y a autre chose.

Il y a un fait nouveau et caractéristique dans l’histoire des révolutions espagnoles : c’est que la destruction a été opérée suivant un plan précis, qui appartient à un programme méthodique et que ce programme est très exactement celui qu’a développé la prédication des idéologies marxiste et anarchiste. Ce qui était autrefois la manifestation sporadique d’un sentiment passionnel dévié par l’ignorance et la barbarie, une explosion furieuse de la plèbe, est aujourd’hui la tentative, exaltée par les discours des chefs révolutionnaires, de détruire définitivement les symboles religieux et les personnes de ceux qui représentent et maintiennent la religion.

Nous pensons pourtant que les résultats seront les mêmes que ceux d’autrefois. Autrefois l’impulsion sauvage en vue de détruire les temples a échoué ; elle échouera aujourd’hui encore, malgré que les dégâts soient plus graves et plus étendus, et la destruction plus générale et plus profonde.

Dans la plupart des cas, quelques années suffirent pour la reconstruction, pour la résurrection des églises, quoique, hélas ! ce qui ne ressuscita point, ce fut la grandeur, la beauté des monuments. Si la plèbe crut supprimer l’esprit, elle commit une erreur profonde, car l’esprit renaquit avec une force plus grande. Si elle pensa faire disparaître les religieux, elle y réussit momentanément, mais le sang des martyrs fit germer une moisson nouvelle. Comme toujours, en pareil cas, la victime elle-même, en sa pureté, bénit le coup mortel qui lui fait franchir le seuil d’une patrie définitive et désirée ; et si la victime est impure, le martyre injuste la purifie.

Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que l’œuvre de destruction du Barbare s’exerce toujours et uniquement sur l’œuvre savante des hommes, sur l’art, sur le livre, sans restauration possible. L’œuvre d’art et le livre pourront être remplacés par d’autres ; mais ce ne seront plus les mêmes ; ces valeurs du domaine intellectuel ont été détruites pour toujours.

Dans ces catastrophes il n’y a d’ordinaire qu’inconscience ou simple barbarie, une barbarie furieuse et déchaînée contre une croyance qui ne réside pourtant ni dans les édifices, ni dans leurs habitants. L’esprit est indestructible. Rien ne peut l’étouffer : ni les intentions du vandale, ni celles du criminel, ni celles du fou. « L’esprit – disait déjà Maragall devant les évènements destructeurs de 1909 – se sauve toujours. »

Précisément quand se déchaînèrent les derniers désordres de 1936, un écrivain catalan, le directeur de la Catalogne sociale, M. Ramón Rucabado, venait de publier un livre : Souvenirs sur 1835, dans lequel il remarquait avec justesse : « La vie monastique renaquit aussitôt et, ce qui valait infiniment plus que la résurrection des monastères, de l’art et de la patrie, la perfection chrétienne reparut partout. La dévastation stérile de 1909 est la preuve la plus glorieuse de ce que, dans l’ordre des desseins infernaux, la sécularisation imposée en 1835 avec une rage toute démoniaque resta sans effet. »

Le révolutionnaire Peiró lui-même, dans son livre déjà cité et malgré sa vocation partisane de destructeur d’églises et d’assassin de Dieu, s’est scandalisé des horreurs commises dans l’application de ses propres principes. Il écrit :

« La Rome païenne persécuta avec un acharnement sanguinaire les premiers chrétiens et, cependant, le christianisme triompha dans la conscience des masses populaires et parmi les païens. »... « La persécution et le martyre des premiers chrétiens furent à l’origine du prosélytisme qui mit fin à la Rome des Césars. »... « La Russie soviétique voulut extirper de son peuple le sentiment religieux qui animait les masses paysannes ; elle voulut en finir avec l’influence profonde qu’exerçaient encore les icones sur l’âme des hommes libérés de la tyrannie tsariste ; les bolchevistes ont dû finalement transiger et respecter les racines profondes que la religion avait implantées dans les terres soumises à l’esclavage. » ... « Car (ajoute-t-il, dissertant sur la rage antireligieuse de la révolution espagnole) la persécution du sentiment religieux et des croyances religieuses engendre un droit incontestable – les masses populaires ne doivent pas l’oublier ; – c’est ce même droit que nous revendiquons quand nous sommes persécutés pour nos sentiments politiques et sociaux. »... « Et c’est pourquoi je n’excuse pas la maladresse de ceux qui, dans ce moment, alors qu’il reste encore tant à faire, gaspillent leur énergie à détruire des tableaux et des objets ciselés (sic) sous le seul prétexte qu’ils ont un caractère religieux. » ... « Cette attitude ne participe pas de la justice et elle est parfaitement inutile à la cause de la révolution 6. »

L’anathème général jeté contre la religion – observe-t-il encore – a été si bien pris au pied de la lettre « que l’on a persécuté et exterminé tous les curés et toutes les religieuses uniquement parce qu’ils étaient curés ou religieuses », de sorte que, non seulement eux et elles, mais « les citoyens ayant des idées de droite ou ceux qui, sans les avoir, avaient un jour voté pour les droites, furent assassinés comme des chiens, d’une manière lâche et criminelle » ... « La fureur de la persécution et de l’extermination – dit encore Peiró – va très au delà de toutes les considérations morales et humaines. On verse du sang par plaisir... en dépassant largement la haine et le sentiment de vengeance – qui devaient un jour éclater – jusqu’à nous écraser nous-mêmes et pulvériser notre être physique et moral. »

On ne pourrait demander un témoignage plus autorisé que celui-là. Il nous est donné par un de ceux qui ont dirigé la révolution et qui ont été écœurés par elle.

On ne trouve donc aucun argument pour justifier le vandalisme antireligieux en Espagne, aucun argument, tout au moins, qui vaille la peine d’être retenu. Un propagandiste du Front populaire à l’étranger, M. José M. de Semprún Gurrea, qui se dit catholique et qui, dans les circonstances actuelles, a accepté un poste rémunéré du gouvernement anarcho-marxiste de Valence, a publié une brochure pour exposer les déficiences du catholicisme espagnol. Comment ces déficiences pourraient-elles justifier que le « Front populaire » détruise les temples et extermine les curés et les religieuses ?

M. Semprún Gurrea prétend que les attaques contre la religion sont une conséquence naturelle de l’adhésion de la hiérarchie ecclésiastique au mouvement dirigé par le général Franco.

Il n’ignore pourtant pas que le vandalisme antireligieux s’est manifesté par des désordres et des atrocités sans nombre, à partir de l’arrivée du « Front populaire » au pouvoir en février 1936. Contre ces désordres, tous les chefs de l’opposition ont protesté dans des discours prononcés à la Chambre. Ils ont dénoncé la destruction d’ouvrages d’art, de tableaux religieux, de monuments de la sculpture polychrome baroque – orgueil de l’Espagne. Calvo Sotelo, dans un de ses derniers discours, énuméra la liste des crimes commis. Tout cela figure dans les procès-verbaux des séances des Cortès de février à juillet.

Le journal A. B. C. de Madrid publia une liste des désordres dans son numéro du 17 mai 1936. Une énumération partielle des actes de vandalisme commis de février à avril a paru également dans une brochure illustrée éditée en France, en avril, sous le titre le Front populaire en Espagne ; la terreur rouge. Du 16 février au 15 juin inclus, 160 églises furent entièrement détruites ; 251 autres furent incendiées, attaquées ou assaillies ; 269 assassinats furent commis et 1 287 personnes furent attaquées et gravement blessées – parmi elles de nombreux ecclésiastiques. Les éléments du « Front populaire » n’avaient pas alors besoin de la « provocation » militaire pour exercer leur travail de destruction antireligieuse et criminelle.

Il n’y a pas de solution de continuité entre les désordres antérieurs au 18 juillet et les désordres postérieurs : ces derniers sont la suite pure et simple des premiers. Le soulèvement militaire et le mouvement national qui s’ensuivit sont véritablement un soulèvement contre un état de choses qui ne pouvait plus se prolonger et une tentative de libération afin d’éviter la destruction totale de ce que tant d’Espagnols considèrent comme l’âme même de la patrie.

 

 

 

 

 

 

DEUXIÈME PARTIE

 

LES FAITS

_______

 

 

 

 

I

 

AVERTISSEMENT

 

 

Ces pages n’ont pas la prétention d’être une étude complète sur la tragédie espagnole considérée au point de vue religieux.

Tous les éléments d’information en ont été puisés à des sources dont l’authenticité ne peut être mise en doute.

Les faits que l’on connaît le mieux sont ceux qui ont eu lieu en Catalogne ; la proximité de la frontière a permis là une abondance de détails qui manquent pour les provinces de Valence et de Murcie, et pour les zones andalouse, castillane et aragonaise occupées par les Rouges. Même en Catalogne, il y a des régions sur lesquelles on ne possède pas de renseignements.

Tout permet cependant d’affirmer que le tableau offert par la Catalogne se retrouve sur l’ensemble des territoires qui ont été ou qui sont encore soumis à la domination rouge. Cette généralisation des atrocités antireligieuses nous semble corroborée par l’aspect que présentent les localités récupérées par l’armée blanche.

En effet, dès le début du mouvement de restauration nationale, c’est-à-dire depuis la fin juillet jusqu’à ce jour, les troupes blanches ont reconquis d’importants territoires en Andalousie, en Estrémadure, en Nouvelle-Castille et dans le pays basque : eh bien ! partout où a sévi la domination rouge, on a trouvé les églises détruites, sans compter d’autres dégâts de tout genre, et l’on a constaté l’assassinat de prêtres, de religieux et de personnes connues pour leurs opinions catholiques.

La reconquête de ces territoires nous a permis d’obtenir une information illustrée des atrocités commises, information qui fut impossible, par contre, en Catalogne, où la terreur continue à régner : la seule information graphique que l’on possède sur cette province est celle que les envoyés étrangers ont pu se procurer à Barcelone au début des évènements de juillet. Et, de même que les faits qui nous sont connus en Catalogne nous permettent de déduire ce qui se passe dans le reste de l’Espagne, ainsi les vues que nous offrent les photographies venant de la zone rouge récupérée par les Blancs nous donnent l’idée des dégâts opérés en Catalogne.

Faisons observer, enfin, que nous n’avons rien ajouté aux récits (la plupart des cas vécus) des gens poursuivis qui ont réussi à s’échapper, et d’autres témoins qui ont fui la zone rouge ; nous les avons, tout au contraire, dépouillés de tout commentaire, réduits à leur forme schématique.

Nous offrons donc à l’opinion mondiale, et aux futurs historiens, une information fidèle et authentique. Même commis en moindre quantité, les crimes n’en seraient pas moins cruels ; et les criminels ne pourraient se justifier devant le tribunal de la raison et de l’humanité, même s’ils s’étaient acharnés avec moins de fureur sur leurs victimes.

 

 

 

 

II

 

LES TEMPLES DÉTRUITS

 

 

Toute révolution antireligieuse commence par la suppression du temple, lieu de réunion des fidèles. Ceux-ci se trouvent ainsi privés du foyer commun et de son ambiance réconfortante et familière.

Toutes les persécutions contre l’Église catholique ont procédé de même. Aucune cependant, – comme nous l’avons fait observer, – n’a été perpétrée sous la forme, ni avec l’ampleur et le raffinement de destruction que l’on remarque dans l’Espagne rouge d’aujourd’hui. En effet, on n’a pas incendié, pillé ou profané seulement quelques temples, mais, sur une plus ou moindre grande échelle, tous ceux qui se trouvaient en territoire communiste ou anarchiste. De fait, on a supprimé toute possibilité de culte.

Nous avons montré, en outre, que cette destruction implacable obéissait à un plan préparé de longue main. Des bandes d’incendiaires spécialisés ont parcouru les localités, une à une, pour qu’aucun monument religieux n’y échappât.

En Russie soviétique, comme dans d’autres révolutions antireligieuses, l’action contre les temples s’est parfois réduite à la fermeture, au séquestre ou à la déprédation. Cela n’a pas suffi à l’Espagne rouge. On n’a même pas voulu profiter, pour d’autres destinations, du local que le temple représentait. Il fallait le détruire, dans un désir féroce de faire table rase et d’effacer tout souvenir. Dans ce but, après une première attaque incendiaire à base d’essence et de bombes, on en faisait d’autres avec des explosifs, et on a fini par utiliser le pic pour démolir en règle les édifices jusqu’à les faire disparaître ou leur faire perdre tout aspect religieux.

Tout le monde connaît le paysage traditionnel des localités espagnoles, paysage analogue, au point de vue religieux, à celui des autres régions du monde chrétien. La masse, humble ou majestueuse, de l’église paroissiale préside au centre urbain des villes, des villages et des hameaux. Le clocher, voilà ce qu’on aperçoit tout d’abord. Ce sont ces clochers qui donnaient tout leur sens spirituel aux vallées des Pyrénées comme aux étendues désertes de la Castille, comme aux riants rivages méditerranéens ou atlantiques. Autour de ces symboles tournait depuis des siècles le rythme vital des générations. Les ermitages, au sommet des collines, achevaient de « sensibiliser » le paysage.

La révolution marxiste et anarchiste, dans une intention très nette, a pris soin de briser le lien qui unissait les habitants à ces symboles. Le lieu occupé naguère par l’église est aujourd’hui un édifice noirci, ou bien des murs tristes et solitaires, ou bien un tas de ruines informes et même, dans certains cas, une place vide. Quant aux collines, elles ont été décapitées de leurs ermitages.

Nous ne savons pas si les destructeurs, ou ceux qui leur commandaient cette dévastation, ont la moindre idée de la valeur de ces églises, en tant que monuments historiques ou artistiques : lesquels contenaient à leur tour, bien souvent, de nombreux trésors d’art et, bien souvent aussi, étaient des exemplaires uniques dans l’histoire de certaines périodes esthétiques, comme l’époque romane dans le nord et le nord-est espagnols. Quoi qu’il en soit, les faits nous font comprendre que, à leur sens, ces créations d’art, héritage des siècles, n’offrent aucune valeur historique ni ennoblissante pour la nation. Disons plus : au désir d’en finir avec ces monuments à cause de leur caractère religieux s’est ajouté celui de les faire disparaître à cause de leur caractère historique, vu qu’ils représentaient d’autres époques éclatantes et constituaient des types de civilisation que, comme tels, le marxisme veut détruire.

Il est, en effet, impossible, dans toute l’Espagne, et spécialement dans ces régions qui, depuis l’avènement du christianisme, n’ont pas cessé d’être chrétiennes, ou le redevinrent après une courte ou longue interruption, il est impossible de séparer l’histoire du sentiment religieux d’avec celle de la création artistique. Pendant des siècles, ces deux histoires se confondent, comme se confondent la dévotion et la culture, la civilisation et la foi.

C’est pourquoi toute attaque aux symboles religieux devenait forcément une attaque à l’art. C’est pour cela également que toute violence qui aurait pu être commise, sous prétexte d’esprit d’avant-garde, par n’importe quel futuriste furieux contre l’art traditionnel espagnol aurait blessé le sentiment religieux de l’Espagne.

La culture est un complexe qu’on ne peut diviser en secteurs indépendants : c’est une erreur de se figurer qu’on puisse maintenir la tradition et les essences culturelles d’un peuple en en arrachant tout ce qui a été créé par le sentiment religieux de la collectivité ; et c’en est une, non moins grave, contre la culture, de se consoler des atrocités commises en Espagne rouge contre l’art en pensant, – ce qui n’est pas non plus certain, – qu’elles n’ont affecté que les choses ecclésiastiques.

Des périodes entières du roman primitif, du gothique, de la renaissance, du baroque et du moderne 1900 ont été dévastées.

On n’a pas respecté, par exemple, à Barcelone, Sainte-Marie-de-la-Mer, délicat joyau de l’art gothique, lieu de pèlerinage pour tous les esprits sensibles qui visitaient la cité comtale, et dont les murs avaient assisté aux mortifications de saint Ignace de Loyola et conservaient le souvenir des jeunes années de saint Joseph Oriol. La populace criait stupidement tandis qu’on incendiait le temple qui, par sa bienfaisance paroissiale et l’institution du « plat du pauvre », datant du dix-septième siècle, avait habillé et nourri tant de gens nus et affamés.

On a détruit Notre-Dame de la Mercè, monument inséparable de l’organisation, plusieurs fois séculaire, du rachat des captifs, patronne de la Cité comtale, Notre-Dame de la Mercè, dont l’image a vu se prosterner des générations de princes et de conseillers : toute la vie politique, toute la vie civique de la capitale méditerranéenne.

Et, sur les Rambles, Bethléem aussi est tombé un des exemples les plus typiques du baroque espagnol, et qui appartenait autrefois à la Compagnie de Jésus. Il fut détruit en quelques heures. On offrit à la plèbe le spectacle de son incendie. Il n’en est resté que quelque porte.

La fureur destructrice s’est également acharnée contre le temple expiatoire de la « Sainte-Famille », chef-d’œuvre du génie de Gaudí, célébré en pages immortelles par le poète Maragall, exemple unique d’art moderne audacieux et suprêmement original.

Notre-Dame du Carme, autre temple moderne, n’a pas non plus échappé à la destruction, en dépit de ses dispensaires, de ses écoles, de ses entreprises d’assistance sociale.

Est-ce qu’on a respecté Saint-Paul del Camp, exemple pur d’art roman, et qui avait échappé à d’autres révolutions ; avec rage on s’est acharné, à coups de marteau, – nous dit-on, – sur les colonnes et les chapiteaux.

Notre-Dame du Pin a été la proie des flammes : cette merveille gothique au centre de la ville possédait une rosace que M. P. Lavedan considérait à juste titre comme une chose admirable, une pièce unique.

Détruits également l’église votive de la Bonne-Nouvelle, la Conception et Sainte-Anne près de la place de Catalogne, Sainte-Anne avec ses cloîtres, et la chapelle du Saint-Sacrement, du peintre Viladomat, et tant d’autres temples dont la liste serait interminable. A-t-on épargné la très ancienne église romane de Sant Pere de les Puelles : fragment vivant du moyen âge au cœur d’un des centres commerciaux de la tumultueuse cité.

On sait que, pour l’instant, la cathédrale, Saint-Juste et Saint-Philippe ont échappé au vandalisme ; mais il ne faut attribuer ce scrupule à aucun sentiment de respect ou d’esthétique. C’est une simple mesure de prudence : ces temples sont près d’édifices officiels et leur destruction menacerait les maisons voisines.

L’exemple de Barcelone est suivi dans toute la Catalogne. Les vieilles et élégantes cathédrales de Vich, de Lérida, sont incendiées ; les autres sont dévastées.

Nous signalons avec plaisir qu’on a sauvé la cathédrale de Terragone avec ses célèbres tapisseries, ainsi que ses sculptures funéraires qui ont étonné tant d’investigateurs de l’art espagnol du quinzième siècle, et son fameux retable d’albâtre, apothéose de cet art gothique du retable en pierre, si particulier à la Catalogne médiévale.

Avec la cathédrale de Vich ont disparu les peintures murales de José-Maria Sert. Cet artiste, un des plus grands de notre temps, avait consacré des années entières à ce travail, qui devait l’immortaliser.

C’est ainsi qu’avec les temples disparaissent quantité des œuvres qu’ils contiennent. Ne parlons même plus des retables anciens. Mais, dans ces églises et dans ces cathédrales, on trouvait bon nombre de sculptures des précurseurs de la renaissance actuelle : les Vallmitjana, les Campeny, les Amadeu.

À l’exemple de José-Maria Sert, d’autres peintres modernes, tels que Darius Vilá et Vila Arrufat, et des orfèvres tels que Soldevila, Jou, Sunyer, avaient enrichi les nouveaux temples, les uns de leurs toiles, les autres de leurs joyaux. Anciens comme modernes, ils ont vu leurs créations volées, mutilées, profanées.

Il est impossible de dresser l’inventaire des monuments détruits et des merveilles d’art disparues. Le monastère de Sainte-Marie de Ripoll, premier centre culturel de la nationalité, fameux pour son portail roman, a été dévasté. On a profané les sépultures comtales et les cendres des fondateurs de la nationalité ont été jetées dans la rivière du Fresser. On ne sait plus rien des Christs fameux de Piera et de Balaguer ; celui de Caldes de Montbui est disparu.

Le vandalisme ne s’est pas seulement attaqué aux temples publics. L’exercice du culte, prohibé en tant qu’activité collective, est également poursuivi comme liberté individuelle.

On a donc recherché, et détruit systématiquement, les oratoires privés dans les familles. Dans les appartements assaillis par les groupes de terroristes, spécialement dans les beaux quartiers, on s’est acharné d’une façon particulière sur les objets ayant un caractère religieux : images, peintures, livres, etc.

Nombre de personnes ont été assassinées pour avoir voulu défendre ces reliques de leur intimité. Pas même les souvenirs de famille ne sont permis : celui qui ose conserver n’importe quel objet de ce genre porte sur soi sa condamnation à mort.

Jamais peut-être, dans l’histoire des persécutions religieuses, un cas pareil ne s’est présenté : en quelques mois, une région séculairement chrétienne a vu disparaître de son sol tout symbole religieux. À en juger de l’extérieur, on dirait que c’est aujourd’hui un pays parfaitement athée 7.

Mais cet athéisme total et totalitaire a été imposé au moyen de la plus atroce violence. Il s’agit là d’un des attentats les plus criminels que l’on connaisse contre la conscience de l’individu. C’est une injure aussi à la liberté sociale que de refuser à la collectivité le droit de se réunir dans un but supérieur. C’est, en définitive, la négation des droits essentiels à la personnalité humaine.

 

 

 

 

III

 

INCENDIES DE COUVENTS

 

 

Le grand polygraphe Menéndez y Pelayo a dit de certaines périodes de la vieille Espagne que leur société était devenue une « démocratie monacale ». Nous n’allons pas ici reprendre la vieille polémique sur le rôle des ordres religieux dans le développement de la civilisation hispanique.

Il y a des régions du globe, telles que l’Amérique espagnole tout entière, qui ont été civilisées, incorporées à la culture européenne, par ces religieux franciscains et ces Jésuites, si discutés. Il y a le P. Bartolomé de las Casas, apôtre et protecteur des Indiens. Il y a F. Junipero Serra, le Franciscain de Majorque, fondateur de San Francisco et colonisateur de la Californie. Il y a les Capucins catalans qui ont évangélisé le bassin de l’Orénoque. Il y a les missions des Jésuites au Paraguay : quand ils furent obligés de les abandonner, la forêt vierge reprit le sol gagné par la civilisation et par les temples.

Voici bien longtemps que cette polémique a pris fin et, quand on fait le bilan, on est bien obligé de marquer dans la colonne de l’avoir une énorme quantité de bénéfices tant culturels que charitables réalisés par ces ordres religieux, qui foisonnaient en Espagne. En résumé, on ne peut écrire l’histoire littéraire et scientifique de ce pays, ni celle de l’humanisme et de la recherche scientifique, ni celle de la colonisation et de l’européanisation de l’Amérique, si l’on fait abstraction de ces religieux.

Contre eux s’est acharnée la satire voltairienne. Sur eux les anticléricaux vieux jeu ont dégorgé leur mauvaise humeur et leurs colères. Mais, nous y insistons, tout cet anticléricalisme blafard avait disparu de la circulation dans l’Espagne même. C’était le fait de quelques politiciens anachroniques, visiblement dépassés.

C’est pour cela que nous avons pu affirmer que les attaques contre les couvents n’obéissent pas cette fois aux tendances ni aux phobies qui les avaient inspirées autrefois, en 1835 et en 1909. Il y a identité dans les faits, dans leur aspect extérieur (quoi qu’ils soient beaucoup plus graves, dans le cas actuel, à cause de leur extension). Il y a identité, si l’on veut, dans l’objet attaqué ; il n’y en a ni chez l’assaillant, ni dans le but qu’il poursuit.

Nous avons indiqué en passant que, en 1835, il s’agissait d’explosions barbares, d’une sauvagerie tragique de la part d’une plèbe conduite par la lie de la société et préparée psychologiquement à ces excès par la propagande de politiciens et d’intellectuels alors intéressés à limiter l’importance numérique et l’influence du clergé régulier en Espagne.

Comme on l’a constaté depuis, ces incendies de couvents, avec toutes les atrocités consécutives, n’allaient pas au delà de leur explosion immédiate. En outre, ils étaient effectués par des bandes, par des groupes de populace qui n’avaient rien à voir avec le pouvoir public responsable : lequel péchait sans doute par apathie ou par malignité, mais c’était tout.

Dans le cas actuel, au contraire, les groupes qui réalisent l’extirpation religieuse dont nous avons parlé, obéissent à des consignes de partis ou de syndicats qui ont une participation directe, personnelle et prépondérante dans les gouvernements : celui de Valence comme celui de Barcelone ou de Bilbao. Et, comme nous l’avons prouvé par leurs textes, ils se proposent en outre, d’accord avec leur programme social de subversion radicale, la suppression, l’annihilation complète du souvenir de tout esprit religieux, étant donné que ledit esprit est essentiellement opposé à l’idéologie athée, base du marxisme et de l’anarchie.

Ce n’était un secret pour personne que les ordres religieux, persécutés en fait dans l’Espagne républicaine de ces dernières années, accomplissaient en toute discrétion et prudemment leur travail d’apostolat à côté de la hiérarchie ecclésiastique. Personne ne pouvait se plaindre de leur intrusion ni de leur propagande sur le terrain politique. Les ordres contemplatifs se consacraient exclusivement à la prière et à la vie spirituelle ; les ordres actifs à l’apostolat missionnaire ; d’autres à l’étude, ceux-ci au saint ministère, ceux-là enfin aux œuvres de miséricorde ou d’enseignement. Personne ne peut les accuser de s’être consacrés à rien d’autre qu’à cette culture, si l’on peut dire interne, de l’esprit chrétien.

Malgré cela, tous les monastères et tous les couvents ont été incendiés, ou détruits, ou fermés, ou employés à d’autres usages. En définitive, tous supprimés. Par conséquent, inutile d’établir une liste. Elle coïnciderait exactement avec celle de tous les établissements occupés par des ordres religieux sur ce qui est, ou qui a été jusqu’à la reconquête, la zone rouge de l’Espagne actuelle.

Les détails que nous connaissons de la révolution à Sabadell nous permettent de nous faire une idée de la manière dont on a procédé pour cette destruction.

Le 19 juillet, premier jour de la révolution, il ne s’est rien passé de particulier à Sabadell. Le lendemain, lundi, arrivèrent de Barcelone des camions chargés d’armes de toute espèce. Les prêtres, les religieux – comme, d’ailleurs, toutes les personnes de marque – cherchèrent refuge hors de leurs domiciles, mais sans quitter la ville, qui était cernée.

Le mardi, dans la matinée, les miliciens se mirent à incendier les églises. La première brûlée fut la Paroissiale de l’Immaculée-Conception.

La nuit du mardi au mercredi fut celle des grands incendies. On brûla San Feliu Africano, San Salvador, Notre-Dame de Grâce, Saint-Vincent de Junqueres, les églises et les chapelles des Sœurs de Saint-Joseph, des Escolapiennes, et le Sanctuaire de la Santé, ainsi que l’ermitage de Notre-Dame de Togores. Il ne restait plus debout que l’église des Pères Escolapiens, qui fut convertie en ambulance, la chapelle de l’hospice, la petite église des Vieillards abandonnés et celle des Carmélites. On mit aussi le feu aux couvents des Pères du Cœur Immaculé de Marie, des Maristes, des Escolapiennes, et à tous les autres.

Le mercredi matin il ne restait plus debout à Sabadell un seul édifice religieux. Les anarchistes, aidés par quelques éléments de gauche, et même de l’Action Catalane, se mirent à parcourir les localités des environs. Ils détruisirent toutes les églises de cette partie du Vallès, arrivant ainsi jusqu’à Castellterçol, où, pour célébrer ce grand succès de l’incendie de la Paroissiale, ils revêtirent les soutanes et les ornements trouvés dans la sacristie. Puis ils sortirent sur un camion et y parodièrent une cérémonie religieuse. Des miliciens, sur lesquels ils tombèrent près de Palau Solitar, croyant avoir affaire à de véritables prêtres, leur tirèrent dessus et les tuèrent.

Sur ces entrefaites, les éléments syndicalistes demeurés à Sabadell s’étaient emparés de tous les locaux appartenant aux personnalités de droite et aux patrons et avaient commencé les perquisitions à domicile. Il n’y avait plus moyen de sortir de la ville. Le peu qui tenta de s’échapper, entre autres trois Pères Claretiens et deux Escolapiens, le payèrent de leur vie.

Parmi les prêtres assassinés à Sabadell, on cite : le Révérend Cayetano Clausellas, si vénérable par son âge et ses vertus, chapelain de l’asile des Vieillards abandonnés, par disposition expresse du fondateur de cette institution : le docteur Sardá y Salvany ; Angel Rodamilans, moine de Montserrat ; le Révérend Pou, vicaire de l’Immaculée-Conception ; le Révérend Juan Massaguer, vicaire de San Feliu. De la communauté des Claretiens, qui se montait à douze ou treize, seul le plus jeune parvint à s’échapper. Des Escolapiens cinq ou six furent assassinés. Tout cela seulement à Sabadell ; des faits pareils se reproduisent dans des centaines de localités.

C’est aujourd’hui, quand nous évaluons l’ampleur de ce que l’on a supprimé, que nous pouvons nous rendre compte de ce que ces établissements religieux réalisaient, de ce qu’a perdu, à ce jour, la société espagnole soumise à la terreur rouge.

Nous nous rappelons l’éclat du culte dans les monastères bénédictins, où la liturgie sacrée se déployait avec tant de fidélité et de grandeur. Nous pensons aux longues heures de prière publique dans laquelle s’abîmaient les moines pendant la journée, tandis que les ouvriers évangéliques travaillaient à la vigne.

Nous voyons l’œuvre missionnaire et populaire des Franciscains et des Capucins qui, avec l’esprit du Poverello d’Assise, pénétraient dans les recoins les plus hostiles du monde prolétarien, et se faisaient reconnaître comme de véritables frères.

Nous passons en revue les études et les recherches scientifiques accomplies par les Dominicains, sans cette pédanterie de rationalistes d’Athénée ou de piliers de café.

Nous nous rendons compte du travail de sanctification intérieure et de profit spirituel grâce auquel les Carmes édifiaient la communauté chrétienne.

Nous admirons la ténacité avec laquelle les Jésuites poursuivaient, en dépit de tout obstacle, leur labeur de missionnaires et d’hommes de science.

Nous considérons comme irremplaçables les Oratoriens, reclus dais leurs oratoires.

Nous plaignons les malades désormais privés de l’amour, de la tendresse et de l’abnégation avec lesquels les soignaient les Frères de Saint-Jean de Dieu et les Pères Camilliens. Asiles et orphelinats sont maintenant doublement orphelins.

Nous comptons les milliers et les milliers d’enfants qui recevaient une éducation complète dans les très modernes collèges des Escolapiens, des Salésiens, des Maristes et des Frères des Écoles chrétiennes.

Nous voyons enfin quel vide laissent les fils du P. Claret à l’apostolat populaire auprès des masses ouvrières.

 

 

 

 

UNE ÉGLISE DE BARCELONE DÉTRUITE LE 24 JUILLET 1936.

 

 

 

 

 

 

EN CATALOGNE, L’ENFANT JÉSUS COSTUMÉ EN MILICIEN,

AVEC UN PISTOLET ET LE DRAPEAU ROUGE.

 

 

 

 

LES TRÉSORS DU PALAIS ÉPISCOPAL DE VICH JETÉS SUR LE MARCHÉ DE LA VILLE.

Les œuvres d’art des XIVe, XVe et XVIe siècles, les archives, les manuscrits historiques

ont contribué à étudier cet immense bûcher auquel on va mettre le feu.

 

 

 

Si maintenant nous jetons un regard du côté des ordres féminins, alors le champ de l’action évangélique s’élargit à perte de vue sur l’horizon sans bornes de la charité.

Un très grand nombre de couvents de religieuses étaient des centres de prière et de vie contemplative. Que de fois l’avant-garde furieuse de la Révolution s’était arrêtée devant ces femmes inconnues du monde, sans nom personnel, qui s’appelaient simplement : Bénédictines, Clarisses, Capucines, Carmélites, Salésiennes, rigoureusement cloîtrées, soumises au plus austère régime !

Et le nombre illimité des femmes appartenant aux congrégations modernes, menant la vie active, occupées à soigner les malades, recueillir les vieillards et les enfants abandonnés, et dont il semble que tout le travail ne saurait égaler le zèle, le sacrifice et la résignation des Petites Sœurs des Pauvres !

Un peuple peut-il, sans se mutiler, retrancher de lui-même tous ces éléments de vie spirituelle et morale ? Comment remplacer cet immense effort désintéressé ?

Quel est l’homme cultivé et authentiquement libéral qui ne se rendrait pas compte du désarroi spirituel produit par toutes ces destructions et ces suppressions ?

 

 

 

 

IV

 

ATTENTATS À LA CULTURE

 

 

Détruire un temple constitue déjà un attentat contre la culture. Mais cet attentat est encore plus grave si, en même temps que le temple, on détruit aussi les archives ecclésiastiques, et si le travail d’extirpation ne se réduit pas aux monuments, mais, dans la minutie de son vandalisme, vise à la suppression et à la dissolution des publications catholiques, des bibliothèques paroissiales, des centres de culture installés dans les établissements catholiques, ainsi qu’à l’incendie et à la dispersion des bibliothèques conventuelles. Car c’est ce qui est arrivé en Espagne rouge.

Quel hispanisant, quel historien ignore l’importance des archives paroissiales comme source pour l’histoire de la cité, du village, de la province ? C’est dans les livres paroissiaux que, de génération en génération, ont été consignées les données principales de la vie de chaque individu appartenant à la communauté ; c’est grâce à eux que l’on a pu fixer historiquement nombre de dates. Maintes fois l’on a trouvé dans ces archives la documentation fondamentale ou monographique utilisée plus tard dans la rédaction des grandes œuvres historiques, générales ou particulières. Ce monceau de documents, en dépit des efforts de quelques archivistes zélés, a été détruit pour la plus grande partie.

On a traité de même les archives des évêchés, où le matériel amassé était, naturellement, plus abondant et de plus grande valeur.

On sait que Barcelone et Madrid constituent les deux centres les plus importants du monde pour la publication du livre espagnol. Il y avait là, bien entendu, de grandes maisons d’éditions spécialisées dans les ouvrages catholiques.

À Madrid, par suite de la révolution rouge et de la guerre civile, les maisons d’édition, ont pratiquement disparu. Inutile d’insister sur le collapsus que cela représente pour le livre espagnol comme signe de la culture du pays.

À Barcelone, les maisons d’édition, comme les autres industries, ont été collectivisées et sont aujourd’hui dirigées par des Comités d’employés et d’ouvriers. Leur production a diminué, vu le manque du grand nombre d’écrivains et de techniciens qui rédigeaient et corrigeaient les livres et parce que, au point de vue commercial, se sont taries en grande partie les deux sources de rentrée des dites maisons : a) celle des souscriptions à des œuvres en cours de publication ou achetées à terme (parce que le souscripteur, homme fortuné et cultivé, a été assassiné, ou s’est enfui ou se trouve dans la misère) ; b) celles des ventes à l’Amérique (à cause des difficultés d’exportation et par manque d’ouvrages nouveaux). En résumé : la révolution rouge aura réussi à faire perdre à l’Espagne, au moins temporairement, sa suprématie dans la production éditoriale en langue espagnole.

On sait également que la renaissance littéraire de la Catalogne avait fait naître en ce pays d’importantes maisons d’édition. Elles ont souffert comme les autres. Mais celles qui étaient catholiques, telles que la Bibliothèque Balmes et les publications de Montserrat, ont disparu, comme ont dû le faire aussi les maisons non religieuses qui publiaient des livres catholiques en espagnol, et comme ont dû enfin se résigner à supprimer de leur production les ouvrages de genre religieux les maisons, espagnoles ou catalanes, que l’on pouvait considérer comme neutres.

Le livre scientifique, technique ou d’information, le livre en tant qu’instrument de culture, est donc gravement menacé. Il n’y aura bientôt plus sur le marché que les deux types de publications qui infestaient déjà les kiosques et contribuaient efficacement à la subversion morale qui s’est accusée avec la révolution : nous faisons allusion à la littérature pornographique et à celle de la propagande marxiste et anarchiste.

Ainsi sont tronquées, ou retirées de la circulation : la Bible de la « Fondation biblique catalane », monument de la littérature « renacentiste » ; la Bible de Montserrat, somme de science bénédictine ; les éditions philologiques, historiques et apologétiques de la Bibliothèque Balmes, où les seules « œuvres complètes » du philosophe de Vich forment un ensemble de quarante volumes ; la classique Histoire des Papes de Pastor ; l’Apologie de Weiss et tant d’autres œuvres capitales, sans compter des collections populaires, des manuels de diffusion culturelle, des revues et des livraisons de tout genre.

Cela seulement pour la Catalogne, car il va sans dire qu’à Madrid a été brisé l’essor des éditions catholiques et du centre des Hautes Études qu’était l’Escorial.

Nous avons parlé plus haut du travail formidable accompli dans le domaine de la culture par les ordres religieux consacrés à l’enseignement.

L’enseignement des religieux apparaissait pratiquement en Espagne comme le moyen unique, et nous dirions volontiers providentiel, de suppléer aux déficiences matérielles et morales de l’État. L’État n’était pas, financièrement, capable de créer ni de soutenir toutes les institutions d’enseignement, de recherches, etc., qui développaient la culture et maintenaient les grandes traditions intellectuelles du pays. Il ne pouvait pas non plus présenter (en dehors du marxisme) un corps de doctrine morale pour remplacer les principes fondamentaux de l’éducation traditionnelle européenne, basés sur la morale chrétienne. Il ne pouvait pas fabriquer en série de bons maîtres : lorsqu’il l’essaya, à l’époque où les socialistes prédominaient dans le gouvernement de la République, il réussit certes dans la construction des établissements, chose matérielle, mais il n’obtint que les plus pauvres résultats quant à la formation du personnel enseignant : lequel fut improvisé et se montra bien plus animé de fureur propagandiste antireligieuse que de véritable vocation pédagogique.

Comme les établissements religieux, ou les entreprises éducatives fondées par des groupes catholiques, ne poursuivaient aucun but lucratif, ils pouvaient dispenser gratuitement l’enseignement élémentaire aux classes prolétaires et rivaliser aisément avec l’État dans le domaine des enseignements secondaire et supérieur, parce qu’ils étaient scientifiquement mieux doués parfois que les établissements officiels. C’est pourquoi on a souligné que les cadres des professions libérales en Espagne étaient formés presque exclusivement de gens qui avaient été élèves des Jésuites, des Salésiens, des Maristes, des Escolapiens et des Frères de la Doctrine chrétienne, comme également les bonnes familles ne trouvaient rien de mieux pour leurs filles que de les mettre dans les pensionnats d’ordres féminins.

Mais l’action catholique ne se circonscrit pas à ces domaines des enseignements primaire et secondaire, des universités et des pensionnats. Elle s’exerçait en particulier dans l’enseignement pour adultes et dans la formation du personnel féminin pour les bureaux. Un des grands établissements de la Barcelone moderne était l’« Institut de culture et Bibliothèque populaire pour la femme », organisé et dirigé par une dame des plus méritantes : Mme Francisca Bonnemaison, veuve Verdaguer. Spécialisé dans toutes les techniques modernes, cet Institut a, depuis sa fondation, dispensé l’instruction à des dizaines de milliers de jeunes filles, qu’il a ainsi rendues capables de gagner leur vie et d’être utiles à la société.

Du petit groupe paroissial au centre académique de la ville, la culture occupe sa place dans les organisations de caractère-catholique. Elles ne manquent pas de bibliothèques, avec revues et périodiques. Dans les patronages et dans les cercles, on voit communément un noyau de lecteurs, tous ouvriers ou employés. On y donne aussi des cours, des cycles de conférences, des explications scientifiques. Un modèle du genre était le « Cercle d’études de la fédération des jeunes Chrétiens de Catalogne » dont les rangs comprenaient la majorité de la jeunesse des diocèses catalans.

Comme exemple d’institutions plus vastes, – athénées, académies, – nous citerons l’« Académie catholique de Sabadell » et le « Foment de Pietat » de Barcelone.

Toutes les activités propres à la jeunesse trouvaient à se déployer à l’Académie de Sabadell. C’est le docteur Sardá y Salvany, véritable figure apostolique, et son directeur pendant près d’un demi-siècle, qui présidait spirituellement à ses travaux. Dans sa bibliothèque et dans ses archives se trouvaient tous les matériaux pour l’histoire religieuse du dix-neuvième siècle espagnol. Dans sa correspondance figuraient des lettres de Milà i Fontanals, de Rubió i Ors, de Javier Llorens y Barba, de José-M. Quadrado, de Menéndez y Pelayo, de Pereda, de Torras i Bages, etc. Tout a disparu dans les flammes.

Le « Foment de Pietat » avait pour principal objet la culture ecclésiastique. Pendant des années, il avait édité de très nombreuses brochures d’éducation religieuse et morale qui atteignaient les plus hauts tirages (100 000 exemplaires et au delà) jamais obtenus en catalan. Il avait réuni une bibliothèque de plus de 50 000 volumes consacrés spécialement aux sciences ecclésiastiques. Sa maison d’éditions lançait la plupart des publications du clergé intellectuel. Citons ses Analecta Tarraconensia comme publication de hautes études. Ses revues populaires de piété se trouvaient dans tous les foyers. Ses bâtiments, sa maison d’éditions, sa bibliothèque : tout a été détruit.

Et l’énumération pourrait continuer.

N’oublions pas l’œuvre culturelle des séminaires. Dans chaque diocèse, le fonctionnement d’un séminaire suppose un cloître de professeurs, une organisation, une bibliothèque spécialisée. Un bibliophile d’envergure, le docteur Jaume Barrera, avait fait de la bibliothèque et des archives du Grand Séminaire de Barcelone un modèle de bibliothèque ecclésiastique. Tout cela a été dévasté.

Quant aux ordres religieux, le nom seul de Montserrat, déjà cité, représente un des plus glorieux chapitres de l’histoire ecclésiastique d’Espagne. La bibliothèque de ce monastère, comprenant 150 000 volumes, spécialisés en philologie ancienne et orientale et en histoire de l’Église, avec ses manuscrits et ses textes enluminés, ses rarissimes incunables gothiques, son imprimerie dont la tradition remonte aux origines de l’art typographique, ses Analecta Montserratensia et sa Catalonia monastica ; ses musées biblique, égyptien, assyrien, lapidaire, préhistorique et montserratien : tout cela faisait de Montserrat un nid de culture authentique et profonde. Les salles et les corridors du monastère étaient ornés de peintures d’artistes classiques et modernes. Ce précieux trésor, patiemment amassé par la communauté bénédictine, a passé aux mains de l’athéisme rouge.

Rappelons aussi les bibliothèques que les Capucins possédaient dans divers couvents, surtout celui de Sarrié avec ses 100 000 volumes, celui de Igualada, avec ses 50 000 volumes, tous brûlés. Dans mainte de ces bibliothèques on conservait des incunables et d’autres livres rares d’une valeur incalculable. Tout a été dispersé ou détruit.

Et ne parlons pas des bibliothèques, archives et documentations constituées en particulier par des ecclésiastiques se consacrant à l’étude. Voici perdu le fruit de nombreuses années de travail et de recherches patientes. Dans les incendies et les destructions qui eurent lieu à Madrid en 1934, l’éminent paléographe P. Villada perdit toute sa documentation et tout ce qu’il avait lui-même écrit sur l’histoire ecclésiastique, laquelle se confond avec l’histoire culturelle, de l’Espagne. Ce cas, alors isolé, et qui causa tant d’émotion dans les milieux érudits du monde entier, est maintenant généralisé dans l’Espagne rouge.

 

 

 

 

V

 

MARTYRE DU CLERGÉ SÉCULIER

 

 

Le spectacle de toute cette destruction prend un aspect plus tragique encore lorsqu’on envisage le tableau des victimes immolées par la férocité antireligieuse.

Les dirigeants marxistes et anarchistes décidèrent dès le début l’extermination de tout ce qui pouvait représenter la hiérarchie et la fonction ecclésiastique. On procéda à l’accomplissement de ce programme d’une manière tellement systématique qu’il est impossible de n’y point voir la préméditation.

Les premiers groupes qui commencèrent les excès détruisirent et tuèrent sans contrôle. En ce qui concerne ces actes-là on peut, si l’on veut, invoquer le délire et l’exaltation produits par l’éclatement de la guerre civile. Mais le fait est que, sitôt le calme rétabli et la lutte civile limitée aux frontières militaires, les milices marxistes et anarchistes se sont consacrées à l’extermination dans un intérieur totalement pacifique.

Ce prurit d’extermination a été tel qu’il ne s’est pas borné à incarcérer, à faire passer en jugement ou à tuer ceux que l’on supposait hostiles aux aspirations prolétaires, mais que les miliciens se livrèrent à la chasse individuelle du prêtre et du religieux, quel que fût son rang et sa qualité.

Pour justifier ces premières attaques, on inventa des accusations, on présenta le clergé comme le pire ennemi du peuple et de ses aspirations.

La calomnie que l’on fit circuler consista à dire que le clergé, régulier comme séculier, était d’accord avec les organisations fascistes et avec les forces militaires qui devaient se soulever, et que cet accord n’était pas seulement verbal et passif, mais bien actif. On en vint à accuser des religieux et des prêtres d’avoir tiré le 18 juillet contre les forces révolutionnaires qui s’opposaient au mouvement national.

C’est ainsi qu’on excita les foules pendant ces jours très agités et qu’on les prépara à l’exécution de tous les ecclésiastiques qui tomberaient entre leurs mains. Cette fureur sembla trouver quelque justification quand on put remarquer qu’en effet, à Barcelone, d’un couvent déterminé : celui des Carmélites, sur la « Diagonal », on faisait feu contre les groupes révolutionnaires. Seulement il était également évident que les religieux n’ont jamais tiré, mais que c’étaient d’autres éléments qui, pour des raisons stratégiques, avaient pénétré dans le couvent et s’y étaient fortifiés. C’est une chose qui peut arriver dans n’importe quelle guerre. D’autre part, ce cas du couvent de la « Diagonal » est resté unique.

Depuis lors, et malgré que toute lutte civile eût cessé dans l’intérieur de la zone rouge entière, les miliciens et les membres des comités ont pu tuer impunément tous les ecclésiastiques qu’ils ont rencontrés.

Les victimes abondent surtout dans les localités éloignées de la capitale, dont les curés furent totalement surpris. Dans certains évêchés, comme ceux de Lérida, de Tarragone et de Vich, l’acharnement fut tel qu’il reste à peine quelques survivants du clergé de ces diocèses.

D’après les données officielles que l’on possède du 19 juillet au début de février, dans les zones occupées par les Rouges ont été sacrifiés 16 750 prêtres et 11 évêques. Tous sont tombés sous les balles, la mitraille, la dynamite ou l’essence des marxistes et des anarchistes : le vieux curé comme le jeune vicaire, le malade et l’impotent, le bienfaiteur du peuple, le maître d’école, le journaliste, l’érudit, le retraité. Peu de persécutions dans l’histoire de l’Église présentent un nombre si élevé de martyrs, sacrifiés en si peu de jours.

Ces sacrifices ont été faits, littéralement, par tas. Un milicien, attaché comme chauffeur aux services de la Généralité, a raconté qu’à Gérone, en sa présence, soixante prêtres furent attachés ensemble, mis en tas, et brûlés vifs.

Parmi des centaines d’épisodes que nous pourrions rapporter, nous en citerons seulement quelques-uns. Ces épisodes, à eux seuls et par eux-mêmes, expliqueront la nature du mouvement contre-révolutionnaire qui se dressa en Espagne et qui poursuit la vengeance de tant de victimes immolées au Moloch anarchiste.

Les hauts dignitaires ecclésiastiques ont donné des preuves d’inébranlable fermeté dans l’accomplissement de leurs devoirs pastoraux. Aucun d’eux n’a essayé de se sauver, tant qu’il a pu faire quelque chose dans son diocèse. Onze évêques ont, au prix de leur vie, attesté la foi qu’ils avaient enseignée.

Les journaux ont relaté le traitement infâmant qui fut imposé à l’évêque de Sigüenza : il fut promené tout nu devant ses anciens paroissiens de l’Immaculée Conception, à Madrid.

On connaît la mort de l’évêque de Barbastro : les révolutionnaires locaux n’ayant pas voulu l’exécuter, il fut fusillé par les miliciens qui partaient pour le front d’Aragon et qui traitèrent de lâches ceux qui s’étaient refusés à commettre ce crime.

Nous connaissons la mort, sans en savoir les détails, des évêques de Ciudad Real, de Guadix, de Malaga, de Cuenca, de Guadalajara.

Nous possédons les détails de la mort qui fut infligée à l’évêque de Lérida, en même temps qu’à un bon nombre de ses prêtres. Arrêté et mis en prison dès le début de la guerre civile, cet évêque, le docteur Salvi Huix, de l’ordre de l’Oratoire de Saint-Philippe de Néri, se montra immédiatement des plus attachés à ceux qui souffraient avec lui les peines de la prison. On comptait parmi eux les Révérends Cortecans, Reig, Lamolla, les frères Macarulla, Fábregas, Farreri, Aymeto et d’autres recteurs des paroisses de la ville. Le jour où ils devaient être exécutés, on les avisa qu’ils seraient transportés, de nuit, au château de Montjuïch, à Barcelone. Cette nouvelle leur fit concevoir quelque espérance d’être mieux traités. L’après-midi, arrivèrent en effet les camions qui devaient les emmener. Mais, au lieu de prendre la route de Barcelone, ils s’arrêtèrent devant la porte du cimetière de Lérida. Alors ils comprirent qu’on allait les exécuter. Ils descendirent et s’agenouillèrent autour de l’évêque, lui demandant, avec des larmes dans les yeux, sa suprême et efficace bénédiction. L’évêque les encouragea avec amour : « Soyez vaillants, mes enfants, car, avant une heure, nous serons tous réunis en présence de Notre-Seigneur ! » Ensuite, le prélat récita à haute voix le Credo, que tous les autres condamnés accompagnèrent avec une grande dévotion. Puis, on leur fit creuser à chacun son trou dans le cimetière, on les plaça au bord de ces trous, et les miliciens, s’étant éloignés de quelques pas, firent feu. Ainsi chaque victime tombait dans sa fosse respective.

On connaît le mot d’un des assassins :

– Comme ça, nous nous épargnions la peine de traîner les cadavres jusqu’à la fosse. Ils s’enterraient eux-mêmes en tombant. Nous n’avions plus, comme travail, qu’à leur jeter dessus la chaux et le sable.

– Mais, objecta quelqu’un, s’il y en avait eu qui n’étaient pas encore morts.

– Ceux-là, eh bien ! là-dessous, ils mouraient vite. Je vous garantis que pas un n’est sorti.

Parmi ceux qui faisaient partie de ce groupe tragique, on nomme : les deux frères Nimbô, López-Pina, Casimir Sangenis, ex-député aux Cortès, Joan Rovira i Roure, député par la « Lliga » au Parlement catalan, les prêtres Pin et Ramon, le frère du chanoine docteur Reyné, Ignaci Morera et un enfant de seize ans, de la famille Pené, sur qui l’on trouva quelque feuilles écrites en allemand : il étudiait cette langue et l’on crut qu’il s’agissait de documents nazis.

Toutes les églises de Lérida furent incendiées pendant les premiers jours de la révolution. Le jour où la colonne Durruti, qui partait pour le front d’Aragon, passa par la ville, les miliciens mirent le feu à la cathédrale, après avoir traité de lâches leurs camarades de Lérida qui n’avaient pas osé la détruire : la cathédrale brûla pendant deux jours.

D’autres atrocités furent commises à Lérida. Le curé, de Saint-Laurent, plein d’inquiétude, était à la recherche d’un refuge. C’était l’après-midi du lundi 20 juillet. Malgré son accoutrement de paysan, il fut reconnu par des femmes et des gamins qui se mirent à crier : « Tuez-le ! Tuez-le ! » Le prêtre tenta en vain d’échapper à ses assaillants. Trois soldats arrivaient, en sens contraire, avec leurs armes : le Comité révolutionnaire venait de les licencier et ils portaient le bonnet des miliciens communistes et anarchistes. Un des soldats chargea son arme et la foule s’ouvrit, tant pour échapper à la décharge que pour offrir la victime au bourreau. Les coups de feu retentirent, et le curé tomba mort au milieu des cris de la populace.

À Tarragone, on voulait tuer le cardinal-archevêque, docteur Francisco Vidal y Barraquer et son coadjuteur le docteur Borrás. Tout était prêt pour le sacrifice, quand le cardinal fut arraché des mains des miliciens par l’intervention d’un conseiller de la Généralité (aujourd’hui réfugié à Paris) sur la promesse qu’on l’emmenait pour le brûler vif à l’endroit le plus central de Barcelone. Lorsqu’on apprit que cette promesse n’avait pas été tenue et que le cardinal avait réussi à s’échapper, alors on brûla vif le coadjuteur Borrás.

Nous avons d’autres détails sur ce qui s’est passé à Tarragone. Jusqu’au lundi 20 juillet, midi, tout fut absolument normal. Aux premières heures de l’après-midi, arrivèrent de Barcelone trois camions chargés de miliciens. Ils étaient commandés par le député et chef de la majorité de gauche du Parlement catalan, Manuel Galès.

– Nous voulons brûler les églises ! hurlaient les miliciens.

– Alors, venez à Santa-Clara ! ordonna Galès.

Parmi les ecclésiastiques fusillés, outre le coadjuteur de l’évêque, figurent :

Le docteur Pau Rosselló, professeur au Séminaire, spécialiste ès sciences exactes ; les prêtres Juan Morava, familier du cardinal, Mur, bénéficier de San Juan ; le docteur Company, professeur au Séminaire, et le recteur de la paroisse de la Trinité : Cartenyà.

Un des prêtres assassinés, le Révérend Antoni Fuster, était atteint de déficience mentale. C’est pourquoi on lui avait fait cesser ses études. Il fit preuve de tant de piété que l’évêque lui conféra les ordres majeurs, mais sans permission de confesser ni de prêcher. Il ne pouvait qu’officier. Tout Tarragone le considérait comme un « innocent ». Malgré cela, il fut fusillé le 23 juillet.

Il convient de mentionner aussi l’assassinat du Révérend Parera, prieur de l’hôpital civil de Tarragone, dont la charité et l’abnégation ne seront contestées par aucun habitant de cette ville. Son bourreau fut Josep M. Vernet, ancien aide de peintre, figure importante du mouvement révolutionnaire de Tarragone, et qui a commandé en personne quelques-unes des patrouilles d’assassins. Après avoir fusillé le Prieur, il raconta que jamais plus il ne tuerait de prêtre, car chaque nuit sa victime lui apparaissait. Et il ajoutait :

– J’avais juré de le tuer, parce que, un jour, comme je peignais à l’hôpital, j’aperçus une jeune nonne. Et chaque fois que j’en avais l’occasion, je causais avec elle. Un jour, tandis que je lui parlais, passa Mn Parera. Il l’appela, et je ne revis plus la nonne. Ce jour-là, j’ai juré de le tuer.

On a également assassiné à Tarragone beaucoup de personnes non ecclésiastiques, parmi lesquelles don Angel Roset, inspecteur d’enseignement primaire à Lérida, et son beau-frère Vidiella, au domicile de qui il s’était réfugié. On l’accusait d’avoir offert des costumes de première communion à des enfants pauvres.

 

 

 

 

 

APRÈS LA PROFANATION DES SÉPULCRES DE L’ÉGLISE DES CARMES À MADRID,

LES MILICIENS SE LIVRENT À UNE MASCARADE.

 

 

 

 

À MADRID, LES MILICIENS FUSILLENT LA STATUE DU SACRÉ CŒUR

AU CERRO DE LOS ANGELES.

 

 

 

 

UN ASPECT DU CERRO DE LOS ANGELES,

APRÈS LA DESTRUCTION DU MONUMENT DU SACRÉ CŒUR.

 

 

 

Comme on peut s’y attendre, les conseillers des évêques, les membres du chapitre des cathédrales, ont aussi payé un fort tribut à la révolution. Dans les diocèses où les marxistes et la F. A. I. furent dès le début les maîtres, les chanoines figurèrent parmi les premiers prisonniers. Et, naturellement, parmi les premières victimes. À peine si quelques chapitres comptent encore quelques survivants. À ce point de vue, on peut donc également considérer les évêchés de Lérida, de Vich et de Tarragone comme dés diocèses martyrs.

Voici la liste des assassinés dans le clergé de Vich : le docteur Lladó, premier chanoine ; le docteur Serra Jordi, vicaire général martyrisé ; le docteur Ordei, professeur au Séminaire ; le docteur Moles, chanoine, professeur de théologie ; le docteur Clará ; le docteur Marti, chanoine, et plusieurs moines et recteurs. Mainte de ces victimes était une grande figure dans le domaine de la science, de l’action catholique et de l’apostolat ; ainsi Pere Verdaguer, poète.

Mais ce sont les curés qui comptent le plus de victimes. Ils ont donné d’innombrables preuves d’héroïsme. Ils ont écrit les pages les plus glorieuses du livre de l’actuelle révolution espagnole, par leur constance exemplaire, leur grandeur d’âme, leur abnégation, leur mépris des tortures, leur joie en face du martyre.

À cause de sa popularité, le curé devait fatalement être reconnu par les miliciens et les groupes de la F.A.I. Dans des milliers de cas, le recteur est la première victime qu’il y ait dans chaque localité. Comme le presbytère est en général contigu à l’église, le pillage et l’incendie de la paroissiale coïncide avec l’assassinat du curé. Malgré que, bien souvent, ils auraient pu se défendre, jamais ils ne se dérobèrent au sacrifice. Tous ils se sont comportés en chrétiens dans ces circonstances suprêmes. Les épisodes concrets que nous connaissons rappellent l’héroïsme des saints de la primitive Église. Il faudrait, pour les raconter, la plume d’un Chateaubriand.

À Rubí, fut assassiné le curé : docteur Josep Guardiet, un des prêtres les plus remarquables du diocèse de Barcelone. Il publiait un hebdomadaire : Endavant. Lorsqu’on lui proposa de s’enfuir, il répondit qu’il ne croyait pas qu’on trouverait dans la localité une seule personne qu’il pût seulement soupçonner d’avoir l’intention de l’assassiner. Il mourut entouré de jeunes gens de l’« Action catholique », en adressant un cantique de louange à Jésus-Christ. Les miliciens refusèrent de tirer : il fallut que l’un d’eux vînt tuer les victimes, une à une.

À Falset, dans l’évêché de Tarragone, on arrêta le recteur avec deux de ses vicaires. Après avoir subi toutes sortes d’interrogatoires et de vexations, on les laissa partir à condition qu’ils s’en allassent dans la montagne. Quand on estima qu’ils avaient fait suffisamment de chemin, on convoqua la population à grands cris pour partir en chasse avec les chiens. Tout ce monde se mit à la poursuite des prêtres, que l’on assassina sitôt rejoints.

Toute la paroisse d’Alp, en Cerdagne, aimait son recteur. Personne, dans la population, n’avait même l’idée de le molester. Mais survinrent les miliciens de Puigcerdá, et ils intimèrent aux habitants l’ordre de brûler l’église et de tuer le curé. Sous la menace des revolvers, ils incendièrent l’église, mais refusèrent d’exécuter le recteur. Alors, le groupe de Puigcerdá les menaça de fusillade. En dépit de leur horreur, ils préparèrent donc le sacrifice sur la place. Le recteur demanda seulement, avant de mourir, qu’on lui laissât prononcer quelques paroles. Elles furent si émouvantes que ses paroissiens ne purent tirer. Furieux, ceux de Puigcerdá saisirent leurs fusils pour faire feu contre ceux d’Alp. Le recteur s’écria : « Tirez, mes enfants, n’ayez pas peur. Si vous ne le faites pas, vous serez les victimes. Je mourrai volontiers pour vous. » On entendit une multiple décharge, sans qu’on pût préciser de chez qui elle partait, et le curé tomba mort. Auparavant, il avait béni ses bourreaux et tous les assistants, et il s’était signé. La décharge lui brisa le crâne et fit jaillir sa cervelle. La population d’Alp vit depuis lors dans un état d’oppression indescriptible.

À Pobla de Segur, le Révérend Tapies, très aimé de tous, même des membres du Comité révolutionnaire local, fut aussi condamné à mort par des miliciens venus du dehors. En apprenant la sentence, ses paroissiens tentèrent de le sauver. Les miliciens l’avaient déjà conduit sur la place publique pour l’exécuter. Il repoussa ceux qui voulaient le délivrer, en leur disant :

– Laissez-les me tuer. Je demande seulement qu’on ne m’enlève pas ma soutane. Dans, aucune révolution je ne l’ai quittée. Je ne veux pas le faire non plus aujourd’hui.

Il causa encore un moment avec ceux qui l’entouraient, faisant preuve d’une grande sérénité et, s’adressant aux miliciens : « Maintenant, vous pouvez tirer », dit-il. Et il mourut, en pardonnant à ses bourreaux. Les membres du Comité firent disparaître son cadavre, tellement ils craignaient l’indignation de la foule.

Voici comment mourut le docteur Josep Samsó, curé de Sainte-Marie de Mataró. On l’avait longtemps retenu comme otage. Ses paroissiens, le maire et beaucoup d’autres personnes, essayèrent en vain d’obtenir sa libération. En prison, il exerçait son ministère, confessant et exhortant les autres détenus. Le jour où les miliciens de la localité furent appelés au front, ils déclarèrent qu’ils ne partiraient point si on ne leur livrait pas la personne du recteur. Ils l’emmenèrent au cimetière, situé dans le haut du pays. Ils le placèrent face au mur pour le fusiller.

– Un homme dont la conscience est nette, déclara-t-il, doit mourir en faisant face.

Et il se retourna du côté des fusils.

À Bellmunt del Priorat, on conduisit le curé et sa gouvernante à l’église, où – farce ignoble – on fit le simulacre de les marier. Il leur fallut souffrir atrocement avant de mourir. L’après-midi du même jour, on organisa un bal dans l’église.

À Vilafranca del Panadés, sur vingt et un prêtres qu’il y avait là, deux ou trois seulement furent sauvés. On les vexa publiquement de la façon la plus grossière, et publiquement ils furent exécutés par ceux qui voulaient les obliger à blasphémer le nom de Dieu.

Nous connaissons en détail ce qui s’est passé à Olot.

Le 25 juillet, un bruit de trompettes et de clairons mit en émoi toute la ville. Les miliciens de San Joan les Fonts, localité voisine, avaient commencé l’incendie des églises, en mettant le feu à la paroissiale et au couvent des Carmes. Le trésor et les archives de la paroisse purent être sauvés et mis en sûreté au musée municipal.

À deux heures de l’après-midi, survinrent des camions, qui transportèrent les révolutionnaires au Sanctuaire de Notre-Dame de Tura, patronne d’Olot, où il existait un musée de peintures sur toile. Le maire provisoire, M. Garganta, accourut au sanctuaire pour éviter la destruction du trésor artistique. Son intervention fut vaine.

Les révolutionnaires poursuivirent leur œuvre en brûlant l’église et le couvent de la Providence, occupés et dirigés par des Clarisses qui se consacraient à l’enseignement. Le lendemain, ils s’en prirent au couvent des Capucins, où ils incendièrent et détruisirent totalement l’édifice et avec lui son intéressante bibliothèque. Ce travail effectué, ils se retournèrent contre le collège des Escolapiens, dont ils brûlèrent l’église, mais en laissant intact le bâtiment, afin d’y installer leur quartier général. Ensuite, ils allèrent au couvent des religieuses du Sacré-Cœur de Marie, en incendiant également l’église. Ils détruisirent aussi les chapelles de l’hôpital et « dels Dolors », ainsi que les ermitages des environs et les chapelles en plein bois connues sous le nom de « oratores ». Pas un seul édifice religieux ne reste debout.

Parmi les premières victimes périrent le Révérend Deu, natif d’Olot, qui résidait en dehors de la localité et qui, au moment où la révolution éclata, s’était transporté chez un de ses familiers, s’y croyant plus en sûreté ; le Révérend Félix Farró, maître de chapelle de la paroisse et directeur de l’Orphéon d’Olot ; le Révérend Bonet, économe de Saint-Jacques de Llierca ; le recteur de la Cot ; le Révérend Mir, directeur de l’hebdomadaire : La Tradició catalana ; le Révérend Josep, chapelain inscrit au sanctuaire de Notre-Dame du Tura ; le P. Vicent de Besalú, assassiné aux Planes, après avoir subi un terrible calvaire ; le P. Timoteu de Palafrugell, capucin ; le P. Sastre, pourchassé par les révolutionnaires de telle manière que, quand ils le rattrapèrent, il était devenu fou ; Manuel Serra, de la Lliga et gérant des Ateliers d’imagerie religieuse « Renaixement » ; J. Rodó, fabricant de dentelles, ainsi que ses deux frères, et Ramon Deu, droguiste.

Le Révérend Farró fut conduit en présence de la populace. Là, il fut complètement déshabillé. On plaça ses vêtements à ses pieds, on les imbiba de pétrole. Il fut ainsi brûlé vif.

À Vich, le Révérend Miralpeix, frère de la Supérieure générale des Sœurs tertiaires dominicaines, se trouvait au lit, gravement malade. Le médecin, un communiste, l’obligea à se lever et à se présenter devant le Comité révolutionnaire. Il répondit à l’interrogatoire par un « Vive le Christ-Roi ! » et fût immédiatement condamné à mort.

Un prêtre d’Olius fut invité à comparaître devant le tribunal populaire, sur l’assurance qu’il ne pouvait rien lui arriver de mal. Pendant qu’il s’y rendait, sans méfiance, les miliciens lui tirèrent quelques coups de revolver dans les jambes. Le prêtre tomba, perdant son sang. Alors, les assassins allumèrent tranquillement leurs cigarettes, et ce n’est que quand ils les eurent fumées qu’ils se décidèrent à achever leur victime. Il mourut en prononçant des paroles de pardon.

Voici le cas du curé de la paroisse de Tordera :

Lorsque la révolution éclata, il était malade. Aussitôt rétabli, il fut arrêté et incarcéré. Le soir même du jour où fut effectuée son arrestation, les révolutionnaires l’emmenèrent en dehors de la ville. On l’obligea à se mettre, le dos tourné, contre le mur d’une maison abandonnée. Une fois qu’ils l’eurent fusillé, les assassins se retirèrent, sans même vérifier son décès. Le pauvre prêtre n’était pas mort, en dépit des blessures graves qu’il avait reçues à la poitrine et à la main. La nuit venue, il reprit ses sens : en se traînant et en s’appuyant avec les mains sur le mur, il parvint à s’éloigner de cet endroit. Ensuite, au prix d’un effort plus grand, il arriva, par des chemins qu’il connaissait, à une maison de paysans chez qui il trouva refuge. Le lendemain, un des fusilleurs, passant devant l’endroit de l’exécution, s’aperçut de la disparition de la victime : il courut alors communiquer au Comité cette chose inexplicable. Sur le mur, on voyait les traces de mains ensanglantées. En suivant ces traces, et avec l’aide des chiens, après quelques heures de recherches, on parvint à retrouver le curé. On le hissa dans une voiture et à Terranegra, à quelques kilomètres de Tordera, il fut de nouveau fusillé. On tua également le paysan qui l’avait secouru.

À San Esteban Sasroviras, province de Barcelone, les révolutionnaires enlevèrent dans l’église les objets du culte et tout ce qu’elle pouvait contenir de combustible : ils l’entassèrent sur la place et y mirent le feu. Quand le tout fut en flammes, ils s’emparèrent du curé, l’attachèrent et le jetèrent dans le bûcher.

Le recteur de Palafrugell fut assassiné à La Bisbal. Pendant les premiers jours de la révolution, les actes de sauvagerie commis à Palafrugell furent si nombreux que le curé, en voyant brûler son église, devint fou. C’est dans cet état qu’il fut transporté à La Bisbal et exécuté.

Un fait semblable, peut-être plus horrible encore, arriva à Lloret de Mar. Les révolutionnaires arrêtèrent le recteur et les autres prêtres de la paroisse. Ils furent tous interrogés. Avant d’incendier l’église, les miliciens avaient fait main basse sur tous les objets de valeur qu’elle contenait : ne trouvant pas dans la sacristie certaine pièce artistique célèbre, en or et en pierres précieuses, qu’ils supposaient là, ils soupçonnèrent les prêtres de l’avoir mise à l’abri et les soumirent à un interrogatoire général. Ne pouvant rien apprendre ainsi, ils infligèrent le martyre au recteur. Les souffrances du prêtre furent tellement atroces qu’il en devint fou. Et c’est dans cet état qu’on le fusilla.

Près de Valls, un prêtre fut brûlé à petit feu en présence de vingt personnes arrêtées sous l’inculpation de menées fascistes. Tandis que le prêtre endurait ce martyre, on fusilla devant lui ces vingt témoins, l’un après l’autre.

À Ripoll, furent assassinés les prêtres dont les noms suivent : le Révérend Ragué, bénéficier, conservateur du Musée folklorique ; Torrents, maître de chapelle du monastère ; Santenach, qui dirigeait une école primaire ; Caballeria, organiste du monastère ; Vilalta.

À Sitges, on comptait, à la mi-septembre, une cinquantaine d’assassinats, dont ceux de trois prêtres. L’un d’eux avait exactement quatre-vingt-trois ans.

À Sant Hilari Sacalm, pendant la première semaine de la révolution, on put authentifier vingt assassinats, dont ceux d’un prêtre de soixante-dix ans et d’un autre, plus jeune, le Révérend Guilla. On assassina également une dame de vingt-cinq ans, qui avait été auparavant arrêtée pendant deux semaines et interrogée chaque jour minutieusement sur la signification d’un document chiffré qu’elle possédait. Ce document compromettant semblait indiquer le refuge de quelques prêtres. La femme ne voulut jamais révéler le sens du document, même au moment où les miliciens braquèrent sur elle leurs armes. Elle fut, finalement, exécutée. En guise de trophée, de preuve de son crime, on montra sa gabardine aux clients de l’hôtel.

À San Feliu de Guíxols, quelques jours après le début de la révolution, on mit en prison un grand nombre d’hommes passant pour de droite : parmi lesquels Anacon Girbau, de la Lliga, le Révérend Ponjuan de La Bisbal, et quelques autres prêtres. Au moment de l’exécution, dans le cimetière, Anacon Girbau essaya de s’échapper en sautant par-dessus les petits murs et les monuments. Les miliciens se mirent en chasse après lui au milieu des tombes.

À Vallfogona de Riucorp, dans le nombre considérable des assassinés, figure en premier lieu le Révérend Miquel Piera, prêtre de quatre-vingt-deux ans, propriétaire de l’établissement balnéaire de cette localité. Il s’était réfugié chez le curé de la paroisse, qui fut assassiné à son tour sous prétexte qu’il avait donné asile au Révérend Piera. Ensuite on assassina le médecin de l’établissement, qui fut mis sous séquestre par les révolutionnaires.

À Roses, on assassina le curé Francisco Fonclara et les deux vicaires.

À San Pere Pescador (province de Gérone), on assassina le curé, le Révérend Cargol. Il était natif de Roses et très aimé dans le pays.

Voici enfin quelques renseignements sur les martyrs de Barcelone :

Parmi les curés de paroisse assassinés figurent ceux de la Bonanova, de San Josep Oriol, de San Juan de Gracia, de Santa Mónica, dont le cadavre fut jeté au milieu de la Rambla et soumis à toutes sortes d’outrages, tandis que les voyous du « Barrio Chino » endossaient ses habits et les ornements sacerdotaux qu’ils avaient pillés dans les églises, et celui de Santa Maria de Sans qui, avant d’être fusillé, fut cruellement martyrisé. Ajoutons-y le Révérend Domingo Avellaneda, aumônier. Le curé de la paroisse Sant Just i Pastor, devint fou en face des actes de barbarie auxquels on le contraignit à assister. Dans cet état, c’est en vain qu’il chercha où se réfugier. Pendant plusieurs jours, il erra, perdu, dans les rues de Barcelone, dormant sous les porches ou sur les bancs des places publiques et mangeant à l’hôtel Ritz converti en restaurant populaire. On y donne à manger en échange des bons que délivrent les comités révolutionnaires et les organisations syndicales. Ces bons n’étaient pas refusés au pauvre curé, que les révolutionnaires prenaient pour un ouvrier malade. Après quelques jours, un milicien chargé de la distribution des bons lui fit observer qu’il devait exhiber son carnet syndical.

– Un carnet, moi ? s’écria le prêtre, je n’en ai pas besoin !

Et il ajouta :

– Je suis le curé de Sant Just !

Cette déclaration remplit de stupeur les membres du syndicat. Le pauvre dément fut appréhendé sur l’heure et assassiné le soir même.

Parmi les prêtres morts à Barcelone, nous trouvons le Révérend Federic Muset, organiste et maître de chapelle de Santa Maria del Mar. Il avait alors trente-trois ans et était le frère du Révérend Josep Muset, organiste de la cathédrale. Personnalité éminente dans le monde musical de Catalogne, ses compositions de chant religieux avaient mérité les éloges les plus chaleureux. Pendant l’Exposition Internationale de Barcelone, en 1929, il était organiste du Palais des Missions, de Montjuich.

On soupçonna que, chez le boulanger Plácid Armengol, de la Bonanova, son fils, qui était prêtre, célébrait la messe clandestinement. On exerça des représailles en tuant, le même jour, le père, la mère, les trois enfants et le mitron.

Dans une pension, installée dans un appartement de la rue Marti y Juliá, le mercredi de la première semaine de la révolution, quelques prêtres avaient pu se réfugier. On les avait admis, parce qu’on ne se doutait pas de leur identité. Un groupe de miliciens vint pour les arrêter. Un de ces prêtres, homme audacieux, sauta par la galerie et put ainsi arriver à l’étage inférieur, dont les occupants le firent sortir sans pitié. Lorsqu’il arriva à la porte de la rue, il tomba sur les miliciens qui montaient la garde. À leurs questions, il répondit : « Je vais au kiosque acheter le journal du soir. » Il put ainsi échapper à la mort. Les quatre autres furent arrêtés et assassinés. C’étaient J. Huguet, vicaire des Josepets ; Ramon Massaguer, vicaire de l’Immaculée-Conception de Sabadell ; Aly, vicaire de Sans ; et Fidel Rauric, recteur de Campins.

Nous relevons également, dans la liste des victimes barcelonaises, le nom du Révérend Alfons Ramirez, collaborateur de la « Fondation biblique catalane », professeur à l’« Institut de Culture et Bibliothèque Populaire pour la Femme », directeur littéraire de la maison d’éditions : Eugenio Subirana. C’était un prêtre très zélé, qui dirigeait des œuvres d’action sociale ouvrière.

Une autre victime est le Révérend Gil Parès, ancien chapelain custode de « La Sainte-Famille », homme charitable et d’esprit supérieur, très estimé surtout dans le quartier ouvrier où il exerçait son ministère. C’était un grand ami de Gaudí et l’un de ses collaborateurs. Les révolutionnaires ont également tué un de ses frères et deux autres personnes qui lui avaient donné asile.

 

Le Comité révolutionnaire de Figueres, – cas exceptionnel, – ne tolérait point les profits personnels. Parmi les deux cents victimes sacrifiées en cette ville figurent la plupart des ecclésiastiques (présidés par l’archiprêtre) de la localité et des environs. Le Révérend Fages, propriétaire, s’était réfugié chez des gens qui, en paiement de leur hospitalité, lui demandèrent de faire un testament en leur faveur. Ce testament une fois obtenu, le maître de la maison dénonça le Révérend Fages, qui fut exécuté. Quand le Comité vint pour séquestrer les biens du mort, le dénonciateur les réclama, en exhibant le testament. Le Comité fit fusiller le dénonciateur et sa femme, et invita le peuple à assister, au château, à cette exécution.

 

À cette rage de meurtre n’ont pas même pu échapper les prêtres attachés à des établissements de bienfaisance. C’est le cas du Révérend Parera, Prieur de l’Hôpital de Tarragone, déjà cité, qui ne vivait que pour ses malades, les soignant jour et nuit, et partageant avec les plus pauvres le peu qu’il possédait. C’est le cas aussi du vieux Révérend Cayetano Clausolles, chapelain des Petites Sœurs des Pauvres, à Sabadell.

La chasse au prêtre a revêtu les formes les plus inimaginables. Il y en a qu’on a découverts à un étage élevé et lancés dans la rue par le balcon. Il y en a qu’on a repincés dans un lieu désert et fusillés ou martyrisés lentement, en les ficelant à un arbre ou à une haie. Parfois on les a traînés par les rues ou les routes, attachés à un camion. Parfois enfin, on leur a enfoncé des aiguilles sous les ongles des mains et des pieds.

On n’était en sécurité nulle part. M. Fernand Muller, consul de Norvège à Barcelone, ne considérant plus sa vie comme assurée en cette ville, quitta l’Espagne. La cause de son départ fut un drame qui s’était déroulé dans sa propre maison. Il hébergeait chez lui, pour donner une éducation catholique à ses fils, un jeune prêtre. Malgré que ce précepteur se trouvât sous la protection du pavillon norvégien et que M. Muller lui-même s’opposât à son arrestation, en expliquant que l’ecclésiastique n’avait jamais fait de politique, les miliciens l’enlevèrent de vive force et l’assassinèrent immédiatement. M. Muller embarqua sur l’heure sa femme, ses fils, sa mère et ses beaux-parents pour la Suède, son pays natal, et les rejoignit peu de temps après.

Quelques ecclésiastiques qui, au prix de mainte difficulté, parvinrent à échapper à leurs persécuteurs, décédèrent néanmoins par la suite, à cause des mauvais traitements et des malheurs qu’ils avaient endurés. Deux prêtres du diocèse de Vich périrent dans leur fuite, ensevelis par une avalanche au cœur des Pyrénées. Trois autres, réfugiés en Italie, sont morts victimes de leurs souffrances.

Les séminaristes aussi ont été immolés, simplement parce qu’aspirants au sacerdoce. À ce point de vue, les diocèses de Lérida et de Tarragone ont été particulièrement éprouvés.

C’est chose notoire que le clergé se recrutait dans les classes prolétaires. Une certaine veuve Colay, résidant en un des quartiers populaires de Barcelone, avait consacré sa vie à ses huit enfants, tous ouvriers, sauf l’un d’eux, le plus délicat, qui avait la vocation sacerdotale et venait de sortir du Séminaire. Ses frères sont affiliés à la C.N.T. Le jeune prêtre se réfugia chez sa mère. Les miliciens vinrent le chercher là, ils enfermèrent la mère et tandis que la pauvre femme, au désespoir, cognait contre la porte, ils exécutèrent son fils. Un des frères est devenu fou.

À San Sadurní de Noya, un tailleur du nom de Fidel Santacana, lors des évènements du 6 octobre 1934, s’était porté garant des accusés de sa ville, pour lesquels il se dévoua. Néanmoins, comme il avait un fils séminariste, il fut exécuté : le fils d’abord, le père ensuite.

La presse française a divulgué le stratagème employé par les Rouges pour s’emparer des ecclésiastiques qu’ils soupçonnent de s’être réfugiés quelque part. Une femme jeune, l’air désolé, se présente, en disant : « Venez vite. C’est pour confesser quelqu’un qui va mourir ! » L’homme avoue sa qualité de prêtre. Il est aussitôt appréhendé, et exécuté.

Cette rage antireligieuse s’est également acharnée sur les sacristains, les bedeaux, les gouvernantes, et les ouvriers dont le seul crime est de s’occuper du temple.

Les simples fidèles sont eux aussi poursuivis, pour peu qu’ils occupent quelque charge dans les organisations d’action catholique ou de n’importe quelle association ayant un caractère plus ou moins religieux, fût-ce de simples ouvriers.

Les révolutionnaires ont ainsi arrêté le notaire de Tarrasa, don Francisco Badia, au moment où il se mettait à table. On l’emmena en lui annonçant qu’on allait le tuer. Ne comprenant pas pour quelle raison, puisqu’il n’appartenait à aucun parti et que ses activités étaient purement professionnelles, il en déduisit – de son propre aveu – qu’on voulait le tuer uniquement parce qu’il était catholique, chose qu’il ne voulait point cacher, mais qu’au contraire il tenait à honneur de proclamer. Cette déclaration suffit à le faire exécuter, et sur-le-champ, par les miliciens.

Beaucoup sont morts ou ont été incarcérés uniquement parce qu’ils figuraient sur les listes de membres de confréries ou de congrégations. C’est par milliers que l’on compte les gens qui, pour ce seul fait, sont incarcérés et considérés comme otages, autant dire des victimes probables.

Dans ce sens, l’association d’action catholique la plus persécutée et la plus décimée est la « Fédération des Jeunes Chrétiens de Catalogne ». L’abréviation de cette entité F. J. C. a donné naissance à l’épithète « fejociste », qu’on a volontairement confondu avec celle de « fasciste ». En trois ans seulement d’activité, elle était arrivée à compter 20 000 affiliés, pour les diocèses de la province ecclésiastique de Tarragone.

Les miliciens, en un seul jour, fusillèrent vingt et un détenus dans la prison de Sabadell, en majorité des jeunes gens appartenant à des groupes catholiques.

Il faut citer le cas d’un président de groupe, qui fut condamné à mourir, à petit feu. Lorsqu’il avait déjà les jambes à moitié brûlées, on lui intima de blasphémer le nom de Dieu et de renier le catholicisme. Il s’y refusa, avec la plus grande fermeté. Les bourreaux ravivèrent alors le feu, jusqu’à ce que le jeune homme eût expiré.

Les associations féminines ont été également l’objet de vexations cruelles. La fureur marxiste s’est heurtée là à la fermeté et à la décision des femmes chrétiennes. En voici un exemple :

Un comité local convoque une jeune femme de chambre, membre notoire de l’« Action catholique ». Le Président l’interroge :

– Crois-tu encore à ce Dieu, qui ne parle jamais, et qui ne se défend pas quand on brûle ses images et ses temples et quand on tue ses ministres ?

Et elle de riposter :

– Qu’est-ce qui vaut mieux : l’image ou la personne ?

– La personne, lui est-il répondu.

– Eh bien, répond-elle, voyez ! Le Christ s’est laissé persécuter, couronner d’épines et crucifier sans se défendre. Ce n’est donc pas étonnant qu’il se taise maintenant qu’on détruit ses images. Il a permis ces tourments sur sa personne parce que le monde le persécutait et que, en échange, il voulait, lui, racheter le monde. Vous aussi, vous faites partie de ses pauvres persécuteurs, et s’il se tait quand vous détruisez et tuez, c’est parce qu’il veut prolonger son sacrifice de rédemption par le tourment de ses images outragées et de ses prêtres torturés.

 

 

 

 

VI

 

MARTYRS DES ORDRES RELIGIEUX

 

 

C’est en masse qu’on put trouver des victimes dans les rangs des Ordres religieux. Le tribut payé par certains d’entre eux au Moloch communiste et anarchiste s’élève à 80 pour 100 de leurs membres.

Voici un résumé, très bref, des pertes subies par les différents ordres, dans la seule Catalogne.

Les Bénédictins possédaient à Montserrat la communauté la plus nombreuse d’Espagne, et l’une des principales de l’Ordre. Les agents de la Généralité ayant, dès les premiers jours, mis le monastère sous séquestre, la communauté se dispersa. Dans le monastère proprement dit, aucun excès ne fut commis contre les personnes. Mais, sitôt arrivés dans les diverses localités où ils étaient allés se réfugier, les moines furent fait prisonniers, maltraités et tués.

À Barcelone furent assassinés : Le P. José Maria Fontseré, homme de quatre-vingt-deux ans, le plus âgé du monastère ; le P. Domingo González, cinquante-deux ans ; le P. Juan Roca, cinquante-six ans, musicologue éminent et ami personnel de Pablo Casals, de M. Millet et de Mompou ; le P. Ambrosio Busquets, trente-trois ans, humaniste, spécialisé en patristique, traducteur de saint Bernard, et qui était en train de préparer une édition critique de l’Hexameron de saint Basile ; le P. Placido Feliu, directeur de la Escolania Montserratina ; le F. Eugenio Erauzkin y Aramburu, trente-cinq ans, chargé de l’imprimerie du monastère ; le F. Ignacio Guilá, vingt-deux ans, chargé des ateliers de reliure.

Tous ces religieux s’étaient réfugiés à Barcelone, dans divers domiciles. La persécution se resserrant, ils furent obligés de les quitter et ils se groupèrent dans un appartement de la Ronda de San Pedro, numéro 7, au troisième, seconde porte, logement depuis longtemps loué par la communauté, pour héberger les Pères et les Frères de passage à Barcelone. Le 19 août, à 11 heures du soir, les miliciens se présentèrent à l’appartement et s’emparèrent de sept religieux. Ils les entassèrent dans deux voitures et les livrèrent à un groupe qui les exécuta. Leurs cadavres furent transférés au dépôt de l’hôpital-clinique, où une religieuse de Sainte-Claire, âme admirable, les ensevelit dans des suaires blancs. Elle parvint ensuite à se procurer dans l’établissement quelques cercueils de zinc, dans lesquels ils furent placés. Un public assez nombreux suivit leur enterrement : deux moines, frères de communauté des victimes, étaient perdus dans le cortège et discrètement récitaient les prières funèbres.

Parmi les personnes qui furent plus tard assassinées à Barcelone, mentionnons spécialement : dom Luis Palacios et dom Veremundo Boquer.

Le P. Palacios était docteur en Théologie, professeur du Séminaire Syrien de Jérusalem, Conseil de la Province Monastique Bénédictine espagnole et, récemment, professeur de langues orientales au Collège Pontifical de Saint-Anselme, à Rome. Auteur d’une Grammaire syrienne et d’une Grammaire araméenne, il en préparait une sanscrite. Il était né à Benaber (province de Burgos) et il avait quarante-trois ans.

Le P. Veremond Boquer, vingt-cinq ans, natif de Cornudella (province de Tarragone), avait préparé son doctorat d’histoire ecclésiastique à l’Université Grégorienne de Rome. Il avait fait sa thèse sur « Les Bullaires monastiques en Catalogne au moyen âge ». Il était actuellement archiviste du Couvent de Montserrat et successeur du P. Anselm Albareda. Ce fut un des derniers moines ayant quitté le monastère.

À Molins de Rey, furent arrêtés et ensuite fusillés Dom Francisco Sanchez, le P. Leandro Mestres et Dom Bernardo Siméon. À Tarragone, le P. Elias Salomon et dom Odon Querol. À Gelida, le F. Bernardo Vendrell. À Pedralbes, on fusilla, après les avoir arrêtés à Barcelone et internés quelques semaines à la Prison Modèle : dom Martin Canys, dom Ambrosi Caralt, dom Silvestre et dom Useol Ferrer.

À Sabadell, fut assassiné le P. Angel Rodamilans, musicien éminent, qui avait dirigé la chapelle du monastère et qui, actuellement, se consacrait à la publication des œuvres du grand compositeur P. Casanovas, mort à la fin du dix-huitième siècle. Il était allé à Sabadell, où il avait sa famille Il y fut reconnu par un révolutionnaire. On lui proposa de renier l’Église. Il confessa, au contraire, sa foi, et on le fusilla.

Le nombre des martyrs de Montserrat s’élève à plus de trente.

Les martyrs franciscains sont déjà cinquante en Catalogne, quoique l’Ordre fût peu nombreux dans la région. Tous leurs couvents ont été incendiés. On a détruit l’imprimerie de celui de Vich. L’Ordre avait des professeurs éminents et des prédicateurs en renom.

L’Ordre le plus populaire en Catalogne était celui des Capucins. Leurs couvents ont été incendiés ou transformés en bureaux pour les anarchistes. On est informé de l’assassinat de plus de trente Capucins, parmi lesquels :

Le P. Oriol, de Barcelone, écrivain notoire. Il résidait à Manrèse. C’était le fils du docteur Barjau, professeur d’hébreu et d’arabe à l’Université, et le frère du curé d’une paroisse de Barcelone. Les révolutionnaires s’emparèrent de sa personne et l’emmenèrent dans les environs de la ville. Ils le déshabillèrent et l’attachèrent à un arbre, et le fouettèrent jusqu’à lui infliger de très graves blessures. Après cette fustigation, ils lui déclarèrent qu’ils lui feraient grâce s’il se décidait à renier Dieu. Il leur répondit qu’il ne le ferait jamais. Les assassins insistèrent. Alors, il récita le Te Deum. À chaque mot qui sortait de ses lèvres, il recevait un coup de fouet. Il perdit plusieurs fois connaissance. Et chaque fois qu’il revenait à lui, il reprenait son Te Deum, avec ferveur. C’est ainsi qu’il mourut, en véritable martyr. Le Président de l’Association de la Presse de Manrèse, qui put voir son cadavre au cimetière, a raconté que le corps était couvert de plaies, et celles qu’il portait à la face laissaient deviner que la barbe lui avait été arrachée ;

Le P. Fermin de la Cot. Il avait été professeur de morale pendant quarante ans. Avant le 19 juillet, il résidait à Sarriá. Il mourut sous les balles ;

Le P. Modesto de Mieras, professeur de dogmatique ;

Le P. Rafael de Mataró, secrétaire provincial, récemment nommé vicaire de Pompeya ;

Le P. Agustin de Monclar. Il avait été secrétaire provincial et c’était un des directeurs de la revue philosophique Criterion ;

Le P. Alfonso de Ajal, soixante-seize ans. Pendant quarante ans il avait été missionnaire dans les pays d’Amérique ;

Le P. Vicente de Besalú, sacrifié à Olot ;

Le P. Zacarias de Llorens, à Barcelone ;

L’étudiant F. Sébastian, aussi à Barcelone.

À la gare d’Olot, furent tués à coups de crosse de fusil deux frères lais et deux étudiants qui les accompagnaient. Les miliciens les obligèrent à descendre du train et, après les avoir identifiés, les assassinèrent. L’un d’eux, le plus vigoureux, fut attaché préalablement, pour l’empêcher de se défendre.

Le P. Ezéquiel de Mataró. Brûlé vivant. Le supplice eut lieu entre Arenys de Mar et Arenys de Munt. Le P. Ezequiel s’était, au début de la révolution, réfugié au domicile d’amis à lui, à Arenys de Mar.

Le P. Vicente de Peralta, assassiné à Sarriá. C’était un des collaborateurs les plus assidus des « Études Franciscaines », où il traitait ordinairement des sujets mystiques.

À Sarriá furent également assassinés un étudiant et les frères lais Prudencio et Eloy de Vianya, ce dernier vieux portier du couvent.

À Tarragone, un des frères capucins, presque complètement nu, fut traîné dans les rues par les pieds, sa tête cognant contre les pavés.

 

Les couvents de Capucins qui ont été détruits sont ceux d’Olot, Manrèse, Igualada, Borges Blanques, Arenys de Mar et Ajuda de Barcelone.

Le couvent de Tarragone fut complètement pillé. Il n’a pas été brûlé parce qu’on l’a converti en caserne de miliciens.

On vient dernièrement d’incarcérer en Catalogne les PP. Martin de Barcelone, Doroteo de Villalba et Alejandro de Barcelone. Le P. Martin était directeur de la revue Études Franciscaines. Le P. Doroteo était professeur de dogmatique.

Le bâtiment de Pompeya, à Barcelone, fut, dès le premier jour, converti en ambulance. Malgré que le séquestre eût été mis par la Généralité, on ne put empêcher toutes les images (entre autres les chefs-d’œuvre des frères Llimona) d’être brûlées.

La bibliothèque du couvent de Sarriá ne put être sauvée. On effectua bien la translation de tous les livres dans le local de l’ancienne mairie de ce quartier ; mais les révolutionnaires pénétrèrent dans le local, jetèrent les livres dans la rue et les brûlèrent. Il y en avait plus de 100 000 : parmi lesquels une quarantaine d’incunables, un exemplaire complet de la Bible d’Alcalá de Henares, un exemplaire de la première édition de la Bible d’Anvers, et mainte autre merveille.

À Barcelone, les Carmes furent les premières victimes. Comme nous l’avons dit, au début de la Révolution, leur couvent, situé sur un point stratégique, à la Diagonal, fut occupé par quelques militaires. À cause de quoi, les religieux, accusés de trahir la cause révolutionnaire, furent fusillés ou égorgés en totalité. Et l’on traita de même les Carmes des autres couvents. Bien rares ceux qui purent sauver leur vie.

Les Rédemptoristes, les Dominicains et les Augustins étaient peu nombreux en Catalogne. Leur installation ne faisait donc que commencer. Leurs couvents furent incendiés ou convertis en bureaux pour les anarchistes.

 

Les Jésuites n’existaient plus comme communauté en Espagne. Mais nombre d’entre eux étaient restés dans leur patrie, à titre individuel, participant à des activités culturelles ou religieuses. Ils furent recherchés avec un acharnement spécial. Plus de quarante ont subi le martyre 8. Beaucoup d’autres ont disparu : ils sont en prison ou en danger de l’être.

À Valence, on a fusillé le P. Simon, recteur du Collège, et le P. Parera, natif de Manrèse.

Le P. Murall, provincial (province d’Aragon), fut arrêté à Barcelone et fusillé avec trois autres Jésuites. Il tomba, seulement blessé. Quand le peloton d’exécution se fut éloigné, il put se relever et se réfugier dans une maison, d’où on le conduisit dans une clinique. Quelques semaines plus tard, guéri de ses blessures, il put traverser la frontière 9.

Voici d’autres noms :

Le P. Trullàs ;

Le F. Codina ;

Le P. Braulio Martinez, fusillé à Tarragone. Son cas mérite une mention spéciale. Né à Murchante (Navarre), il avait alors quatre-vingt-cinq ans. Tarragone entière connaissait son apostolat. Pendant plus de trente ans, il avait occupé la chaire de Droit Canon au Grand Séminaire. Il alternait son travail professoral avec la charge de confesseur à la prison, pour laquelle il était le plus célèbre et le plus admiré. Les détenus professaient envers lui une grande vénération. Personne ne se rappelle avoir vu le P. Martinez avec une soutane neuve. Bien souvent il n’avait plus de quoi s’habiller, ayant tout distribué aux malheureux. L’hiver précédent, il était resté sans douillette, parce qu’il l’avait donnée à des affamés qu’il visitait, comme d’ailleurs tous les pauvres de la ville.

Au moment où nous écrivons ces lignes, on nous communique la nouvelle de la disparition du P. Ignaci Casanovas, de la Compagnie de Jésus. S’il existe entre les intellectuels du monde un minimum de solidarité spirituelle, il faut qu’on fasse quelque chose pour sauver cet homme. Le P. Ignaci Casanovas est un des grands humanistes de notre temps. C’est sur son initiative qu’ont été fondés à Barcelone des établissements de culture aussi importants que la Bibliothèque Balmes et l’Oficina Romanica. Dès le début du siècle, sa personnalité s’imposa, à l’occasion des fêtes du cinquantenaire de la mort du philosophe Balmes, célébrées à Vich. Sous le titre de Apologétique de Balmes, il publia alors un livre qui résume la pensée apologétique de l’auteur de la Philosophie Fondamentale et du Critérium. Il publia ensuite des conférences sur le Fait de la Révélation, qui lui valurent une grande notoriété. Et plus tard, une traduction en catalan de la Métaphysique d’Aristote. À l’époque de sa maturité, il se consacra à deux œuvres qui rendront son nom impérissable. L’une d’elles, absolument terminée, est l’édition critique des œuvres complètes de Balmes, et l’autre la publication de la « Correspondance » de ce philosophe. Dans la même collection où figurent ces lettres fameuses, le P. Casanovas a publié deux autres livres aussi importants qu’originaux : la biographie du grand humaniste catalan du dix-huitième siècle Josep Finestres y Montalvo, et sa Correspondance, annotée. Ces deux ouvrages apportent une contribution des plus documentées à l’histoire culturelle du dix-huitième siècle espagnol.

 

 

 

 

STATUES RELIGIEUSES MUTILÉES.

 

 

 

 

À OROPESA, LE SÉPULCRE PROFANÉ DE LA FONDATRICE

DU COUVENT DES FRANCISCAINES À VAL DE SANTO DOMINGO (TOLÈDE).

 

 

 

 

UNE IMAGE DU CHRIST MUTILÉE.

 

 

 

 

AUTELS PROFANÉS À SANTA-OLALLA (TOLÈDE).

 

 

 

 

ÉGLISE DÉVASTÉE À FERNAN-NUÑEZ (CORDOUE).

 

 

 

 

EXEMPLE DE DESTRUCTION À ANTEQUERA.

 

 

 

Le P. Casanovas est aussi censeur et collaborateur éminent de l’Institut de culture catholique : « Foment de Pietat », dont nous avons parlé et qui avait en cours de publication une édition populaire de la Bible. Il éditait aussi une revue spécialement destinée aux prêtres, la plus ancienne du genre en Catalogne, intitulée : Lo Missatger del Sagrat Cor de Jesus. Dans cet établissement, le P. Casanovas ne cessa de travailler à réaliser les plans de propagande culturelle catholique qu’avait esquissés son ami le grand évêque : Torras i Bages ; lequel, après avoir occupé quarante années le siège épiscopal de Vich, mourut en odeur de sainteté.

Peu d’hommes en Catalogne ont jamais eu le prestige et l’autorité dont jouissait le P. Casanovas, que la Révolution choisit aujourd’hui comme une victime de plus.

Les Oratoriens possédaient trois « oratoires ». Ils furent, comme les autres, persécutés et décimés. Leurs établissements ont été pillés et profanés, quelques-uns brûlés. On compte chez eux environ dix morts.

De la Congrégation de l’Oratoire, ont été assassinés à Barcelone les PP. Alejo Soler, Candido Vila, José Serra, José Jordana, Joaquin Serra et les FF. Emilio Prat et Joaquin Ballera ; à Vich, les PP. Felius et Font.

 

Les frères de Saint-Jean de Dieu étaient distribués dans nombre d’hôpitaux, d’asiles et d’orphelinats en Catalogne. Ils en furent violemment délogés. On les mit en prison et, après les avoir torturés, on en assassina le plus grand nombre. À Castell de Fels, ils furent exécutés avec un raffinement de traîtrise. On ne peut encore préciser le nombre de ces martyrs, mais on sait qu’il est déjà fort élevé.

Les ordres se consacrant à l’éducation des enfants étaient principalement ceux des Escolapiens, des Salésiens, des Frères des Écoles chrétiennes et des Maristes. Ils ont vu incendier, détruire ou mettre au pillage la plupart de leurs collèges à Barcelone et dans les principales villes de la Province. Les plus éprouvés sont les Maristes, avec leur centaine de victimes, sans compter les incarcérés.

Voici un détail exemplaire sur ces assassinats :

Au début d’octobre dernier, on arrêta dans le port de Barcelone cent personnes qui s’apprêtaient à s’embarquer sur le Cabo San Antonio de la compagnie Ibarra. Parmi ces personnes figuraient quarante-deux Frères Maristes, que l’on fusilla immédiatement, tandis que les autres restaient à la disposition des tribunaux populaires. Cette expédition (car c’en est une) fut organisée par l’entreprise que le chef anarchiste Aurelio Fernandez et son secrétaire Portela avaient créée à Barcelone, dans le but de monopoliser l’octroi des passeports. Ces passeports ne sont souvent que des condamnations à mort. Les « employés » de ce singulier bureau extorquent à ceux qui désirent s’enfuir tout l’argent qu’ils peuvent, parfois des sommes fort élevées, et puis ils communiquent le renseignement aux brigades d’exécution, lesquelles se chargent de cueillir les fugitifs au moment de leur départ, pour les appréhender et les exécuter.

Nous pouvons également fournir des détails sur ce qui est arrivé aux Maristes d’Avellanes, dont le couvent est situé à 14 kilomètres de Balaguer. Il contenait 230 religieux. L’isolement où ils vivaient fit qu’ils ne furent pas informés des évènements révolutionnaires avant le 22 juillet.

Ils décidèrent de se réfugier dans le maquis, où ils vivaient dans une inquiétude perpétuelle. Au bout de huit jours, croyant que la situation s’était améliorée, ils décidèrent de retourner au couvent.

Deux jours après, ils reçurent la visite de quatre individus de la F. A. I. qui leur donnèrent un délai de huit heures pour abandonner le monastère, et cela sans exception pour personne, vieillards ni malades. Les Pères essayèrent de sauver ce qui avait quelque valeur dans le couvent et le chargèrent sur huit chariots. Les deux cent trente religieux se répartirent dans les villes de Vilanova, d’Ors et d’Avellanes.

On leur avait promis qu’il ne leur arriverait rien. Mais, au bout de deux semaines, on leur intima, sous menace de mort, de rendre au couvent tous les objets qu’ils en avaient emportés. Ils effectuèrent la restitution sur les mêmes chariots, et les anarchistes en profitèrent pour les insulter et les menacer. Le couvent avait déjà été mis au pillage par les miliciens ; les images religieuses et les objets du culte avaient été brûlés.

La persécution contre les personnes des religieux ne tarda guère. Quelques-uns trouvèrent un refuge chez des particuliers, d’autres s’enfuirent dans la montagne, certains (se cachant dans des tranchées profondes qu’ils creusaient eux-mêmes. La persécution alla en s’aggravant, et tout religieux que l’on trouvait était fusillé immédiatement. Il en périt ainsi beaucoup.

Le 24 septembre, on ordonna aux religieux de se réunir. Quelques-uns parcoururent les localités pour transmettre l’ordre. Sur les 230 on arriva à en réunir 108. Qu’étaient devenus les 122 autres ?...

On leur déclara qu’ils allaient être transportés en France. Sous escorte de gens de la F. A. I., les 108 Frères furent donc conduits à Puigcerdá. Leur rachat avait rapporté un million et demi de pesetas. Dans certaines des localités par où passa le cortège, se formèrent de petits groupes de manifestants proférant des insultes et des menaces et chantant l’Internationale. Arrivés à Puigcerdá, tous les Frères furent fouillés. Si l’on trouvait sur eux un crucifix ou une image religieuse, cela leur valait de nouvelles insultes.

En dépit des conventions, quinze des religieux arrivés à Puigcerdá restèrent en détention et ne purent être sauvés. Ceux qui franchirent la frontière se dirigèrent sur Toulouse et de là passèrent en Navarre, par Bayonne. Ils se refugièrent au couvent de Villafranca.

 

Un des ordres les plus répandus en Catalogne était celui des Fils de l’Immaculée-Conception, du P. Claret. Dès le 19 juillet, ils furent expulsés de leurs maisons et persécutés. Ils comptent plus de deux cents martyrs. Tous ceux de Barbastro furent assassinés. Dans le couvent de Cervera, ancienne Université, il y en avait plus de 150 : on leur donna une heure de temps, le 20 juillet, pour vider les lieux. Ne sachant où aller, ils se réfugièrent dans les bois ; harcelés par la faim, il leur fallut chercher un autre refuge. Le P. Jover, préfet des novices, s’en fut à Vallbona de les Monges avec quatorze d’entre eux, pour les loger chez leurs parents. Quand ils connurent leur arrivée, les miliciens se mirent à leur faire la chasse. Tous y passèrent, même le P. Jover, fusillé en présence de son propre père. D’après le Diario Vasco du 7 février dernier, des personnes récemment échappées de Catalogne racontent le supplice d’autres novices de Cervera à qui, avant de les tuer, on enfonçait des grains de rosaire dans les oreilles jusqu’à leur perforer le tympan. On leur faisait aussi avaler des rosaires et des médailles, pour leur faire abjurer leur religion, mais ils ne cédaient jamais.

Parmi les religieux des autres couvents dont on déplore la mort, on cite le P. Puigdessens, philosophe. Il avait été professeur au Séminaire de Tarragone et il laisse des ouvrages d’une inestimable valeur : parmi lesquels son étude psychologique du P. Claret, étude que l’on considère comme une des meilleures qui aient été publiées sur la vie de ce saint. Le P. Puigdessens résidait à Vich.

 

Plus nombreux encore étaient les ordres féminins. Ils possédaient des couvents jusque dans les plus petites localités de Catalogne. Ils n’ont pas subi autant d’assassinats que les ordres masculins. Mais les outrages ont été pires.

Cela n’a point suffi qu’on ait séparé les Petites sœurs des Pauvres de leur protégés : malades, vieillards, enfants abandonnés, anormaux de toutes sortes ; qu’on ait fermé les pensionnats de demoiselles ; que les filles d’ouvriers dans les écoles gratuites restent désormais sans instruction ; qu’on ait rejeté à la rue les filles dont la rééducation morale était en bonne voie ; qu’on ait décloîtré les religieuses qui se consacraient à la prière et à la mortification ; qu’on ait ainsi privé de ressources tant de femmes sans moyens d’existence ; qu’on ait interrompu le travail manuel de celles qui s’y consacraient pour venir en aide aux enfants et aux pauvres honteux...

Non, cela n’a pas suffi. Les attentats à la pudeur se sont multipliés. On a publiquement fait affront à des jeunes filles sans défense. Dans la plupart du cas, le viol n’a été que le prélude de la mort.

Un des principaux parmi les couvents envahis de Barcelone fut celui du Bon Pasteur, sur la « Diagonal ». C’était une maison de rééducation pour filles indociles. On en hospitalisait là trois ou quatre cents. Les miliciens arrêtèrent les cinquante nonnes surveillantes et les enfermèrent dans un pavillon. Puis ils firent main basse sur les provisions. Pendant cette première nuit, et les suivantes, une énorme orgie se déroula dans le couvent. De nouveaux miliciens vinrent prêter main-forte aux assaillants. Les parents de quelques jeunes filles hospitalisées là s’empressèrent de venir les chercher ; mais comme beaucoup d’entre elles venaient de localités de l’intérieur du pays et que, pendant les premiers jours de la révolution, toute communication avec Barcelone était interrompue, elles ne purent être remmenées. Quelques-unes disparurent dès la première nuit, et d’autres racontèrent qu’on les avait soumises aux plus répugnantes violences. Certaines de ces filles ainsi enlevées n’avaient pas plus de quinze ans ; la plupart avait entre quinze et vingt ans.

Cinq Tertiaires Dominicaines de l’Annunciata furent violées et fusillées à la Rabassada, aux environs de Barcelone. Parmi elles il y avait la Mère Dominga Fosses, qui jusqu’à ces derniers temps avait été Supérieure de la Communauté de Clarisses résidant à Montserrat. Ces nonnes, quelques mois avant la révolution, s’étaient transportées à Barcelone, et établies rue Trafalgar, no 50, dans un local servant d’école et de pension de femmes sans famille. Un groupe de miliciens vint perquisitionner là et signala une de ces pensionnaires comme religieuse. Terrorisée, la pauvre femme répondit qu’elle ne l’était pas et désigna, l’une après l’autre, les cinq nonnes réfugiées. Ces dernières furent arrêtées sur-le-champ et emmenées à la Rabassada où, comme nous venons de le dire, elles furent violées, puis fusillées. Une, qui vivait encore, fut transportée à l’hôpital, où elle expira le lendemain.

Un autre genre de crimes, et qu’ignorait jusqu’ici le monde civilisé, fut la profanation des tombes de religieux et de nonnes, – caractéristique ignominieuse des premiers jours de la révolution à Barcelone. Les momies et les squelettes furent exposés sur la voie publique, dans des positions grotesques, dont la vue donna lieu à des scènes de moquerie outrageante.

À Vich, avant l’incendie de la cathédrale, on profana les tombes de saint Bernard Calvo et de l’évêque Torras i Bages, grande figure de la renaissance littéraire et religieuse, auteur de la Tradició Catalana. On joua au football avec leurs crânes. La nécrophilie fait partie de l’action révolutionnaire.

Nous pourrions remplir des pages et des pages, rien qu’à raconter les exécutions, à détailler la gamme de brimades, de menaces, de mauvais traitements et d’aberrations dont les pauvres religieuses furent victimes. Dans ce document, de pure information, nous avons décidé de nous abstenir de tout détail truculent. Et d’ailleurs ici la plume se refuse à décrire ce que les miliciens et les anarchistes n’ont pas hésité, eux, à commettre.

 

 

 

 

VII

 

LA PERSÉCUTION EST GÉNÉRALE

 

 

Les faits que nous venons de rapporter ne concernent qu’une cinquantaine de localités en Catalogne. Mais il faut penser que cette région en comprend plus de mille, et nous savons par ailleurs que tout est pareil dans les autres. Des renseignements qui nous sont parvenus il est donc permis de déduire ce qu’il en est dans le reste du pays. Et nous pouvons également, d’après ce que nous savons de la Catalogne, nous faire une idée de ce qui s’est passé dans les autres zones soumises à la terreur rouge.

Sous ce titre : les Crimes du Front populaire en Espagne, grande enquête par Charles Ledré, on a déjà publié un récit des atrocités. Divers chapitres de cette brochure sont consacrés à l’incendie des églises et au martyrologe des ecclésiastiques. On y mentionne les dévastations et les incendies de l’archevêché de Tolède, des églises de Madrid, de la cathédrale de Siguënza, des églises d’Andalousie, d’Estrémadure, des Asturies et de la province de Santander.

On y raconte les massacres des Enfants de Marie dans le collège de Pozuelo, à Saint-Sébastien, et dans le collège de Daimiel, où furent assassinés trente et un religieux dont le Provincial ; et de quatorze Claretiens dans la région de Ciudad Real ; l’incendie et le pillage de divers collèges, noviciats et couvents de Capucins en Andalousie et en Valence ; la destruction de collèges et l’assassinat de Salésiens (plus de quarante le 15 septembre) à Alcalá de Guadaira, à Moron, à Málaga, à Ronda et à Ciudadela de Minorque ; la fusillade, près de Madrid, de dix novices des Écoles chrétiennes, tirés au sort parmi leurs camarades ; les assassinats de la Chartreuse de Montalegre, de l’Escorial, etc., etc.

À côté du martyre de l’évêque Huix, du P. Oriol de Barcelone, des curés de Rubi et d’Alp, peut figurer dignement celui du curé de Fontarabie.

Arrêté chez lui, il fut conduit au fort de Guadalupe. En route, les miliciens lui crachèrent au visage et le criblèrent de coups de pied. On le laissa pendant nombre de jours enfermé dans un cachot. Puis on l’emmena à Irun. Chaque nuit, on le conduisait au cimetière pour le fusiller. Après l’avoir mis en joue, on lui disait : « Non, ce sera pour demain ! » Et on le remmenait dans sa prison. Lorsque les nationaux furent pour la première fois sur le point de prendre Irun, le curé de Fontarabie refit une fois encore l’ascension de la colline de Guadalupe. Une fille s’approcha de lui, en criant : « C’est moi, bandit, qui va te supprimer ! » Mais son revolver ne fonctionnait pas bien. Elle rata son coup. On le réincarcéra dans la forteresse, près des canons. Les soldats rouges venaient le torturer. Ils l’obligeaient à multiplier les génuflexions, à prier pour les communistes, à improviser des sermons. Parfois, le pauvre curé cédait et, au milieu des cris et des blasphèmes, il commençait un sermon que ses bourreaux interrompaient avec des coups.

Une nuit, un peu avant la fin, un milicien dit au curé : « Allons ! Assez de mensonges ! Dis-nous la vérité. Avoue que ton bon Dieu n’existe pas, et que vous êtes tous autant d’hypocrites, qui trompez le peuple ! » Le vieillard répondit :

– Je suis disposé à mourir, mais vous n’arriverez jamais à me faire renier le Christ.

Ils le rouèrent de coups, lui crachèrent au visage et le rejetèrent de nouveau, sans vivres, sans pain même, au fond de son cachot. Le dénouement s’approchait.

– Creuse ta tombe ! lui dirent-ils, le dernier jour.

Le pauvre curé se mit au travail. Mais il n’en pouvait plus.

– Fainéant ! tu n’en finiras jamais. Écoute ! Tu vois, là-bas, ce bouquet d’arbres ! Cours-y, et tu seras libre !

Le curé, hésitant, n’osant pas y croire, se dirige du côté qu’on lui indique. Il essaie de courir, il trébuche, il tombe, se relève, se remet en marche. Dès qu’il arrive au premier arbre, le milicien vise et tire...

 

 

 

 

 

 

CONCLUSIONS

_________

 

 

 

 

I

 

LE BILAN

 

 

On ne peut pas encore établir le bilan du vandalisme antireligieux en Espagne rouge au cours de cette fatidique année 1936.

Ce que nous avons exposé n’est qu’une imparfaite esquisse, un échantillon si l’on peut dire de l’épouvantable réalité.

Le jour où l’on aura pu tracer le tableau total et exact, ville par ville, des atrocités commises, alors nous connaîtrons avec précision l’étendue de la catastrophe.

Parce qu’il faudra dresser la liste, le martyrologe des ecclésiastiques sacrifiés ;

la liste des personnes assassinées pour leurs idées religieuses ;

la liste des églises, ermitages, oratoires et chapelles incendiées et parfois détruites pierre à pierre ;

celle des cloîtres, tours et clochers de valeur artistique irremplaçable ;

celle des chapiteaux, tombeaux, fonts baptismaux, plaques et retables en pierre ;

la liste des profanations sépulcrales ;

la liste des vols : croix, trésors, pierreries, objets du culte ;

la liste des vols et destructions commis sur les tableaux, maîtres-autels, Christs, statues de la Vierge de grande valeur artistique ou historique ;

la liste des musées et des archives paroissiales et conventuelles incendiés ;

la liste des établissements pillés ou détruits, tels que : fondations de culture historique, littéraire et scientifique émanant d’ordres religieux ou de groupements catholiques, maisons d’édition catholique, collèges et instituts d’enseignement, hôpitaux, refuges, garderies, etc., etc.

 

Tel est le panorama, illimité, de la destruction. Une armée de charité et d’intelligence. Un paysage, rendu sublime par tant de monuments, réserve et dépôt des siècles, et désormais dépourvu de ces éléments vivants de sa spiritualité. Des chapitres entiers de la peinture, de l’architecture et de la sculpture médiévales, et qui ne seront plus qu’un triste souvenir. Les sources d’information de l’histoire locale et régionale taries ou dispersées. Des centaines, des milliers de malades, d’impotents, de lépreux, de misérables, désormais assistés, non plus par la charité mais par la bureaucratie, – si tant est qu’elle les assiste. Des milliers d’enfants privés de toute instruction, de toute éducation.

C’est une tentative de meurtre contre la civilisation, en visant une de ses bases essentielles. L’arrêt du mouvement ascensionnel d’une renaissance artistique et spirituelle. Une foule sans nombre de blessures saignant sur le grand corps de la Patrie. C’est la mutilation des organes essentiels à la vie de la collectivité historique. L’élimination des éléments les plus dévoués, indispensables à la société, tant sur le plan de l’action que sur celui de la pensée.

Tout cela est perdu. Et dans la plupart des cas, pour toujours. Valeurs irremplaçables, et que regretteront en vain les générations à venir. Et pour le reste, comment le rétablir ? Quel formidable effort de reconstruction sera nécessaire pour rendre à la patrie outragée, blessée, mutilée, son authentique et beau visage ?

En peu de mois, on a fait plus de mal qu’en mille années. On a détruit ce qu’on avait mis quinze siècles à édifier. Pour retrouver quelque chose de pareil, il faut se reporter aux incursions des Barbares. Ni les guerres de la Reconquête, ni les invasions médiévales, ni les débarquements de pirates, ni les luttes sociales des quinzième et seizième siècles, ni le brigandage, les guerres et les soulèvements du dix-septième, ni les rivalités civiles et internationales (comme celle d’aujourd’hui) du début du dix-huitième siècle, que devait aggraver la décadence des pays favorables à la maison d’Autriche, ni les expéditions de la Révolution et de Napoléon, ni les révoltes et guerres civiles répétées du dix-neuvième siècle n’avaient causé un tel désastre. Certaines de ces luttes ont ébranlé la culture jusqu’à son évanouissement ; aucune ne l’a mis, comme celle-ci, en si grave danger de mort.

Dans toute la zone dominée par les Rouges en Espagne, il n’y a plus un seul curé en exercice ; il n’existe plus aucun presbytère, ce lieu d’asile cordial et secourable ; l’Église ne préside plus au passage dans la vie des générations, n’offre plus cette compagnie d’amour qui va du berceau à la tombe ; on n’entend plus aucune messe, sinon en secret. Plus d’angélus le soir, plus de gais matins dominicaux. La Noël de 1936 en Espagne rouge fut la plus triste que jamais le pays ait connue depuis qu’il est constitué en communauté historique et même avant, depuis qu’existent les peuples de cette grande race hispanique, pieuse et énergique, un Noël sans églises, sans cantiques, sans crèches, sans illusion pour personne. Peut-il y avoir des êtres assez insensibles pour ne pas se rendre compte de ce que cela représente ? On peut demander ce que le comte Ugolin demandait au Dante : e se non piangi, di che pianger suoli ?

Les fondations bibliques, les revues franciscaines, les séminaires philologiques, les chercheurs bénédictins ne publient plus de livres ; on ne médite ni on n’écrit plus dans les cellules des couvents ; la Escolania de Montserrat s’est tue ; les chorales ont retiré de leurs répertoires les œuvres au sujet religieux ; les poètes ne doivent plus trouver leur inspiration dans la Foi.

L’Escorial n’est plus un nid de spiritualité, une ruche de science et de piété augustiniennes, c’est une forteresse marxiste.

Pensionnats ou écoles populaires gratuites, on a fermé les collèges qui absorbaient la moitié de la population scolaire. Il n’y a même plus d’enseignement supérieur officiel dans la majeure partie des localités de la zone rouge. L’Université ne fonctionne plus ; puisque les professeurs considérés comme de droite ont été assassinés ou ont dû s’enfuir, et puisque ceux de gauche sont partis. Bref, la révolution rouge est un « collapsus » des plus dangereux dans l’enseignement du pays.

 

 

 

 

TABERNACLE BRISÉ ET TABLEAU LACÉRÉ À FERNAN-NUÑEZ (CORDOUE).

 

 

 

 

L’ÉGLISE DE LA PURIFICATION À ALMENDRALEJO (BADAJOZ)

APRÈS LA DOMINATION ROUGE.

 

 

 

 

STATUES MUTILÉES À CABRA ET CHOZAS.

 

 

 

 

CE QUI RESTE D’UNE ÉGLISE ENTRE MILLE.

 

 

 

 

L’ÉGLISE DE GETAFE DÉTRUITE PAR LES ROUGES

AU COURS DE LEUR RETRAITE VERS MADRID.

 

 

 

On ne voit plus de nonnes dans les garderies, ni dans les hôpitaux, ni dans les cliniques (où les médecins les plus sceptiques les admettaient). Il n’y a plus de Sœurs des Pauvres auprès des malades, des enfants, des invalides, des lépreux, des anormaux.

Par contre, plus un sourire sur le visage de ces populations méditerranéennes. Soudain, tout le monde est devenu terriblement sérieux. C’est la terreur qui règne, dans ce royaume de voleurs et d’assassins, où prêchent les cuistres, où pontifient les ratés. C’est l’empire de la dynamite, de la mitrailleuse et du revolver ; l’empire du crime, du vol et de la sexualité déchaînée.

Rien n’est plus durement puni, dans cet Empire, que la plainte ou la protestation ; presque autant que le sourire (chose mal vue, espèce de provocation). Rien de plus férocement traqué que la liberté non pas seulement de parler mais même de penser : le Procureur du Tribunal Populaire de Barcelone a réclamé la peine de mort pour deux fillettes du lycée parce que l’une d’elles avait écrit dans son journal intime quelques phrases peu aimables pour les miliciens marxistes.

Depuis que le monde est monde, personne n’aura soupiré plus ardemment après le moindre souffle de liberté que ces millions d’Espagnols qui vivent, – si l’on peut appeler cela vivre – sous les gouvernements de Barcelone et de Valence. En Russie même, on a davantage de liberté.

 

 

 

 

II

 

LA DÉVASTATION OBÉIT À UN PLAN

 

 

Dans toute cette affaire, la destruction, intensive et massive, a obéi à un plan.

On peut, dans ces incendies de couvents et ces assassinats d’ecclésiastiques, retrouver comme une tradition. La méthode peut paraître la même, identique le courant de barbarie à celui des époques antérieures. Mais le mobile, l’intention, et le but sont différents, très vingtième siècle.

Cette fois, les révolutionnaires s’étaient préparés avec soin. Ils avaient des informations précises sur le domicile des prêtres. Ils connaissaient l’emplacement non seulement des églises (celui-là était bien visible) mais encore des chapelles et des oratoires privés. Ils étaient au courant de l’état d’esprit, dans chaque localité, des personnes hostiles à la destruction des monuments religieux ; et c’est pour cela que les équipes mobiles purent fonctionner immédiatement.

Ce qui a le plus surpris en effet les victimes : ecclésiastiques, industriels, politiciens, propriétaires ruraux, membres des professions libérales, c’est la célérité avec laquelle ils furent recherchés, dès le premier moment, d’après des listes établies, ce sont les renseignements minutieux, que les terroristes utilisaient, sur les bureaux, les affaires, les amitiés, les fréquentations de toutes les personnes qu’il s’agissait d’éliminer.

L’homme le plus aveuglé constate qu’il y a là, vraiment, un plan, une préparation, l’exécution méthodique d’un programme révolutionnaire.

Deux jours après le soulèvement militaire, la totalité de la Catalogne était aux mains des communistes et des anarchistes. En quelques heures, les comptes courants dans les banques étaient bloqués. Au bout de deux jours, on procédait à l’extermination de toute chose religieuse. Au bout de quelques semaines, on réalisait la socialisation des industries, le, divorce à la minute, l’élimination des éléments de direction.

Lorsqu’on étudie les cent trente-trois jours de terreur en Hongrie, on observe un programme pareil, des dispositions identiques, une même technique dans la barbarie et l’assassinat. Mais, dans cette Hongrie de 1919, la « densité » du crime fut moindre, et beaucoup moindres aussi les excès antireligieux. Tandis que, dans la zone rouge espagnole, à partir du 19 juillet, on a assassiné en masse, par groupes ou individuellement, chaque jour ; et la proportion des crimes s’est accentuée, dans l’intérieur, à chaque revers des miliciens sur les divers fronts.

Attribuer les responsabilités au général Franco, c’est exactement comme d’accuser l’amiral Horthy d’avoir entrepris la restauration nationale. Le général Franco n’a pas attendu qu’il n’y eût plus de remède ; il est arrivé à temps pour sauver, d’un coup, plus de la moitié de l’Espagne.

Si, comme conséquence de la réaction contre l’anarchie, on perd des libertés et des conquêtes démocratiques, qu’ils ne s’en prennent qu’à eux-mêmes, ceux qui ont livré le pays à la férocité des communistes et des anarchistes, ceux qui ont préféré à une République tolérante, où pouvaient vivre tous les Espagnols, une République renfrognée, intolérante, persécutrice, instrument de subversion sociale et de barbarie.

Bref, la religion, le christianisme, l’Église espagnole et ses fidèles sont les premières victimes de la Révolution espagnole. Il est donc naturel que le monde chrétien tout entier se soit soulevé d’indignation et d’horreur devant des atrocités de cette envergure.

L’état d’esprit des catholiques espagnols a été exposé, d’une façon magnifique et pleine de charité apostolique, par le cardinal-archevêque de Tolède, docteur Isidro Gomá, dans sa lettre pastorale du 23 novembre 1936, datée de Pampelune, que nous reproduisons en appendice à la fin de ce volume.

Cependant il y a – nous ne voulons pas le cacher – quelques dissidents. Leur cas est le scandale de la chrétienté. Ce sont les nationalistes basques, qui font partie du gouvernement de Bilbao ; et neuf catholiques, ayants adhéré au gouvernement de Valence, plus ou moins agents de la propagande rouge à l’étranger.

 

 

 

 

III

 

LE CAS DES BISCAÏENS

 

 

Nous avons fait allusion, dans la première partie de notre ouvrage, au cas des nationalistes basques (Bizcaitarras). Et le cardinal-archevêque docteur Gomà l’a traité de la façon la plus élevée, avec des arguments que nous avons repris.

Voyant dans la révolution actuelle la possibilité de réaliser leur idéal politique, et croyant peut-être, en outre, éviter la terreur chez eux en pactisant avec les Rouges, les Biscaïens décidèrent de former avec les dits Rouges un gouvernement à Bilbao, en accord avec celui de Valence.

Le gouvernement de Bilbao, qui fait une propagande pour son compte, avec des arguments tout à fait distincts de ceux qu’emploient Valence et Barcelone, a insisté sur le fait (que nous ne récusons point) de la mort de quelques prêtres catholiques attachés au nationalisme basque.

Le cas du Pays basque est, il faut le reconnaître, totalement différent de celui du reste de l’Espagne. Au Pays basque, par exemple, en dépit de l’alliance entre anarchistes et marxistes, le gouvernement de Bilbao a tout intérêt à dire que la lutte actuelle est une guerre civile et non une révolution sociale ; alors que, à Valence et à Barcelone, toute la presse marxiste et anarchiste exalte la révolution sociale et la met en pratique. Pour la même raison, le Pays basque a intérêt à conserver le culte catholique, alors que, dans le reste de la zone rouge, ce culte a été complètement supprimé.

Pour éclaircir en deux mots la situation, disons (personne ne peut nous démentir) qu’il s’agit, en Pays basque, d’une guerre de nationalités ; tandis que, dans le reste de l’Espagne, il s’agit, de la part des Blancs, d’une guerre de récupération nationale et, de la part des Rouges, d’une guerre de subversion sociale.

Les Biscaïens (nous y insistons) ont profité de l’occasion de la guerre civile et de la révolution pour obtenir leur autonomie et, dans ce but, n’ont pas hésité à pactiser avec les Rouges.

De leur côté, en Catalogne, dans les provinces du Levant et dans les autres territoires de la zone rouge, les marxistes et les anarchistes, maîtres de la situation, ont profité des circonstances pour instaurer la révolution sociale.

Le cas du Pays basque a posé la question de l’attitude du clergé dans la guerre actuelle.

Précisons.

Dans toute l’Espagne, à partir du 16 février 1936, le clergé a été persécuté, avec plus ou moins d’acharnement suivant les régions. Mais, à partir du 18 juillet, dans toute la partie de l’Espagne restée au pouvoir des Rouges, il l’a été jusqu’à l’extermination. Cette persécution n’obéissait point à des raisons politiques mais à la phobie antireligieuse.

Dans aucun cas, le clergé n’a été belligérant. Le clergé, en Espagne, a cessé de prendre part aux disputes politiques, depuis les dernières guerres civiles du dix-neuvième siècle. À partir de la Restauration (1876), malgré que celle-ci représentât la déroute du carlisme, l’Église garda les meilleures relations avec le Pouvoir, libéral et parlementaire, sauf quelque courte période de tension avec certains gouvernements de la monarchie. Elle resta neutre à l’avènement de la République. Des catholiques de marque avaient contribué à l’instauration du nouveau régime. Et certains députés aux Cortès Constituantes étaient prêtres.

Devant le programme du Front populaire, précédant les élections de février 1936, la hiérarchie ecclésiastique ne put faire moins que de manifester quelque alarme, – alarme tristement justifiée par les évènements subséquents. Quand survint, en juillet, la réaction contre les persécutions, le clergé espagnol persista dans son attitude de victime neutre. Nulle part, en Espagne, aucun ecclésiastique n’avait pris les armes, aucun n’était impliqué dans le soulèvement national contre la Révolution.

Que s’est-il passé depuis le 18 juillet ? Dans toute la zone rouge, le clergé a été atrocement persécuté, et pas un de ses membres n’a eu recours aux armes. Dans la zone blanche, il a participé au mouvement national, mais a posteriori et comme tous les autres éléments de la population. Il peut donc y avoir de jeunes ecclésiastiques qui combattent maintenant dans les rangs de l’armée de Franco, et qui ont été mobilisés comme les autres citoyens : leur cas est absolument identique à celui de tant de prêtres français, italiens ou belges, qui combattaient dans les tranchées, pendant la Grande Guerre, pour la cause de leur nation. Le clergé, par la plume du cardinal-archevêque de Tolède, n’a fait son appel au monde qu’au mois de novembre, quand la persécution religieuse était accomplie.

 

Le cas du Pays basque est singulier.

Dans Euzkadi même, dans les localités où la domination rouge s’exerçait depuis le 16 février et depuis le 18 juillet, avant l’octroi de l’autonomie et après lui, des excès se sont produits contre les églises et le clergé catholique.

Les Biscaïens catholiques obtiennent leur autonomie en échange de leur collaboration avec les Rouges, déjà en pleine guerre civile. L’autonomie est accordée et approuvée par une petite fraction des Cortés, réunies au début d’octobre, à Madrid. Alors, la lutte se complique en Pays basque. Politiquement, le clergé est divisé entre sympathisants avec le carlisme et sympathisants avec l’autonomie. Et, dans cette lutte, il y a des victimes de chaque côté, mais ce sont les victimes d’une guerre civile, d’une guerre de nationalités, et non pas d’une persécution religieuse.

Le gouvernement de Bilbao, au milieu de février dernier, a publié et répandu la liste des ecclésiastiques de Biscaye, de Guipúzcoa et d’Alava, sympathisants avec le nationalisme basque, qui ont péri de mort violente dans cette guerre. Tous moururent pendant le mois d’octobre, époque où les adversaires se rencontrèrent. Aucun depuis. Le gouvernement de Bilbao lui-même évalue à 30 le nombre de ces victimes, mais il donne seulement le nom de 12 de ces victimes dans les provinces vasques et en Navarre. Il note en outre qu’il y a environ 150 prêtres en prison, pour être adversaires de l’unité espagnole.

Eh bien ! tout cela certes est déplorable, comme l’est n’importe quelle guerre. Mais ces 12 ecclésiastiques sont des victimes (je les plains) de la lutte politique, de la passion, de l’aveuglement de parti ; ces 150 prisonniers sont arrêtés pour des motifs politiques. On peut, dans le même ordre d’idées, citer le cas (le lecteur le verra dans un appendice) de certain pasteur protestant, belligérant du Front populaire, qui a été fusillé pour ses activités révolutionnaires, et non pas évidemment pour ses croyances.

Par contre, les 11 évêques et les 16 750 ecclésiastiques assassinés dans les zones où les Rouges exercent ou ont exercé leur domination, ceux-là ne sont pas intervenus dans la lutte. Ils sont victimes, exclusivement, du vandalisme antireligieux, morts en témoignage de leur foi.

Tel est le fait qu’il faut souligner, fait énorme ; telle est la conclusion la plus ferme et la plus éloquente de tout ce que nous avons examiné dans ces pages.

Il n’y a eu et il n’y a de persécution religieuse que dans le camp des Rouges ; chez les Blancs, il n’y a pas un seul cas de persécution pour croyance religieuse.

Les Biscaïens eux-mêmes n’ont pas évité les assassinats de religieux catholiques : ces assassinats ont été perpétrés par des Rouges en territoire basque.

Nous avons raconté, plus haut, le martyre du curé de Fontarabie. Le jour du massacre des otages, au début de janvier, à Bilbao, parmi les 210 victimes on compte les Révérends Zoilo Aguirre, curé de Altos Hornos, et José M. Irasmendi, renommé pour sa bonté, et dont le père et le frère avaient été assassinés par les Rouges un mois auparavant ; Silvio Herrero, président des syndicats catholiques ; et tant d’autres personnalités hautement représentatives dans le champ catholique, et qui n’avaient pas pris les armes.

 

 

 

 

IV

 

NEUF CATHOLIQUES (?) ROUGES

 

 

Les neuf catholiques appartenant au gouvernement de Valence ont fait plus que donner leur adhésion ; les situations qu’ils occupent et les activités qu’ils déploient représentent beaucoup plus.

Ils se sont fait connaître par un manifeste sous la forme d’un appel pathétique « aux catholiques du monde entier », protestant : « Avec toute la force de nos convictions contre un évènement aussi détestable que le bombardement de notre cher Madrid. » C’est pourquoi, « devant Dieu et devant l’histoire, nous élevons notre voix pour exprimer à toutes les puissances de la terre notre horreur devant ces crimes ».

Ce document porte en premier lieu la signature de M. Ossorio y Gallardo, ambassadeur du gouvernement de Valence à Bruxelles, puis celles de J.-M. de Semprun, représentant du gouvernement rouge en Hollande, de l’écrivain José Bergamin, et de quelques chanoines, en tout neuf.

Nous ne voulons discuter la personnalité d’aucun des signataires. Nous renonçons à faire la critique à laquelle ils prêtent, aux points de vue intellectuel, politique et religieux. Observons seulement que l’attitude de ceux qui, sans être de la carrière diplomatique, exercent ainsi des fonctions extraordinaires accordées par Valence, perd toute garantie d’impartialité. Autrement valable serait cette protestation si les signataires, au lieu de jouir de la protection des Rouges, étaient aussi des persécutés, ou tout au moins des indépendants.

Mais, même à les supposer indépendants, quelle sorte de conscience est la leur, pour protester contre un fait de guerre (si déplorables qu’en soient les conséquences) tel que l’attaque de Madrid, alors qu’ils n’ont pas ouvert la bouche quand il s’est agi du lâche assassinat de 16 750 prêtres et de la destruction de milliers d’églises et de monuments religieux situés à l’arrière ? Là réside le scandale de leur attitude.

Ils pourront ainsi émouvoir certains intellectuels au jugement faible, et dénués de sens critique. Mais la masse des chrétiens du monde entier, – qu’ils n’en doutent pas ! – se sentira près des 16 750 martyrs, près de ceux qui, comme l’évêque Huix, le P. Oriol de Barcelone, les curés de Fontarabie, d’Alp, de Rubì et tant d’autres, ont versé leur sang en témoignage de leur foi, près de tous ceux-là et non pas de ceux qui se sont embusqués dans les ambassades et dans les organisations de propagande rouge.

L’insensibilité de M. Ossorio n’a rien qui nous étonne. Il était, en 1909, gouverneur de Barcelone. Par son imprévoyance, il se désigne comme un des responsables de cette « semaine tragique », prélude de l’année tragique actuelle, où s’est déchaînée la plus furieuse violence contre les personnes et les monuments de la religion, incendiant la plupart des églises et des collèges de Barcelone, détruisant les ornements et les joyaux artistiques, violant les sépultures et promenant les momies dans les rues au milieu des sarcasmes de la plèbe.

La plus grande responsabilité retombe sur ceux qui, tels M. Semprun et M. Bergamin, s’acquièrent une triste notoriété en tentant de justifier (sous prétexte des déficiences de l’action catholique en Espagne) la persécution actuelle.

Un chrétien intransigeant ou désespéré peut ne pas être satisfait du spectacle présenté par la chrétienté, il peut demander des réformes. Il peut prêcher l’épuration, la prière et la spiritualité. Il peut souhaiter l’épreuve du martyre, – à condition de commencer par lui-même. Mais, en aucun cas il ne mérite son nom de chrétien, s’il marche au bras du tyran, du sbire déchaîné contre une victime inoffensive et désarmée.

On peut soutenir – en se plaçant au point de vue de l’éternité – que l’Église espagnole avait peut-être besoin de passer par une si dure épreuve. Mais je ne sache pas qu’aucun Père de l’Église (ce serait vraiment d’une ironie... excessive) ait été partisan des Nérons, les considérant comme des instruments de la Providence. Que ces gens ne soient pas d’accord avec les tendances politiques du gouvernement de Burgos, parfait ! Mais il est inouï que leur passion partisane les amène, non seulement à maudire Burgos, mais à approuver et à servir les plans de l’athéisme et de l’irréligion la plus sauvage.

Bref, tout leur est permis, si leurs convictions les opposent au mouvement du général Franco, tout sauf de se mettre, en qualité de catholiques, au service de la barbarie tartare. Personne ne se scandalise de ne pas les voir adhérer à Burgos, ni même de ne pas se soumettre à la hiérarchie ecclésiastique ; mais c’est un énorme scandale, s’ils cautionnent et s’ils servent des anarchistes assassins.

L’attitude incroyable de ces gens (ils sont par bonheur très peu nombreux) n’aurait pas la moindre importance si elle n’avait contribué à créer des confusions dans d’autres esprits et dans des groupes de la bonne foi desquels nous ne voudrions pas avoir à douter.

Au début de février, quelques catholiques français ont lancé un manifeste pour la paix. La paix ! quelle conscience chrétienne ne la désire pas ?

Ce document est pour le moins équivoque. Il s’inspire de sentiments généreux et chrétiens, il affecte la neutralité mais, en fait, par ses origines, son fond et son expression, il est manifestement tendancieux. Il n’a d’ailleurs trompé personne en France, mais il nous a fait, à nous autres Espagnols, une énorme peine, simplement.

Il est vraiment douloureux que, dans ce manifeste, on fasse encore allusion à la responsabilité des « initiateurs d’une guerre civile ou étrangère », comme si ces initiateurs étaient les dirigeants du mouvement national.

Non, il n’y a pas ici d’autres initiateurs que ceux qui ont commencé à tuer et à incendier à partir du 16 février. Et, sans la révolte nationale de juillet, toute l’Espagne serait aujourd’hui ce que sont les provinces de Valence et de Catalogne.

Il est douloureux que, dans la relation des calamités, on ne mentionne que l’investissement de Madrid, fait de guerre, d’ailleurs provoqué par la cruauté qui consiste à convertir une ville en forteresse, alors qu’on ne dit mot des destructions en masse, des exécutions et des milliers d’assassinats commis sans aucun risque en dehors de la zone des hostilités.

Il est douloureux que l’on désigne comme un danger pour la paix internationale les secours prêtés par certaines puissances, alors qu’on passe sous silence l’aide apportée par le bolchevisme et par les recrues des indésirables de tous les pays (gens pour la plupart sans patrie et sans principes) partant pour leur compte et leur avantage dans une guerre de pillage et d’extermination.

Il est enfin extrêmement douloureux que, dans une guerre qui dépasse la politique, et même la nationalité, dans une guerre qui affecte les valeurs spirituelles les plus intimes et les plus universelles en même temps, dans une guerre décisive pour l’avenir de notre humanité occidentale, des hommes aussi responsables que Jacques Maritain, Marc Sangnier, Emmanuel Mounier et d’autres, veuillent se placer, nouveaux Romain Rolland, au-dessus de la mêlée, demandent la paix sans conditions, mettent sur le même plan bourreaux et victimes, persécuteurs et persécutés, et perdent à tel point le sens critique et le sens moral qu’il leur paraisse juste de laisser tant d’horreur sans une sanction qui rétablisse l’équilibre éthique.

Il est significatif que le manifeste de ces catholiques français n’ait été publié que dans des journaux communistes ou appartenant au Front populaire. Par le fait même, ces catholiques se placent, spirituellement, en dehors de la chrétienté.

Les ouvrages de Maritain, par exemple, avaient pénétré dans les milieux les plus sérieux de l’Espagne catholique ; ils avaient influé sur le renouveau catholique chez les intellectuels. Mais, aujourd’hui, devant l’étrangeté de son attitude, les amis de son œuvre ne peuvent plus être les amis de sa personne ; et il ne pourra plus recruter ses amis personnels que parmi les ennemis de sa philosophie.

Cette guerre d’Espagne est une pierre de touche. Elle nous affecte d’une façon totale, et elle nous met à l’épreuve. Devant le cas de l’Espagne, lés équilibristes tombent par terre. Et l’on comprend (jusqu’à l’évidence) qu’une haute pensée doit toujours être appuyée par la fermeté du caractère 10.

 

 

 

 

V

 

LA VISITE DES PASTEURS ANGLAIS

 

 

Pour que la note humoristique ne manque point à ce tableau tragique, voici que la presse (le Temps du 17 février) nous informe qu’une commission de clergymen appartenant à l’Église anglicane et aux églises libres protestantes, de retour en Angleterre après avoir visité Barcelone, Valence et Madrid, nous a communiqué (exactement le 15 février) son rapport, dont voici le résumé officiel :

 

« Nous n’avons pas trouvé de preuve d’une propagande organisée d’athéisme, comme celle qui a existé en Russie soviétique. Nous n’avons pas entendu parler de caricature de Dieu, du Christ, de la Vierge ou des Saints, comme il y en a eu dans d’autres pays. Il y a un fort mouvement anticlérical en Espagne, mais non pas un mouvement antireligieux 11. »

N’était le respect que nous devons à ces ecclésiastiques, nous définirions leur geste une « organisation de la confusion ». Parce que ce qu’ils ont vu ne contredit point ce qui est arrivé et que nous avons rapporté, très sommairement d’ailleurs, en ces pages.

Nous n’accusons pas les Gouvernements rouges d’organiser la propagande de l’athéisme, ni de publier des caricatures contre les personnes divines, quoiqu’il soit facile de démontrer l’existence de cette propagande et de ces caricatures. La propagande et les caricatures n’ont certainement plus aucune nécessité, car on a été infiniment plus loin. Car, en fait, il y a une situation athée, une réalité antireligieuse, et celui qui a détruit totalement les images peut s’épargner de les caricaturer. L’esprit critique le plus élémentaire eût exigé de ces respectables ecclésiastiques que, au lieu de se borner à ne pas voir, ils se fussent au contraire efforcés de voir un peu plus ;

de voir quelques-unes des milliers d’églises incendiées ou détruites ;

d’obtenir des nouvelles de l’une quelconque des 16 750 victimes sacrifiées ;

de lire un des journaux que l’on publie dans la zone rouge, ou le livre de Peiró, ou les déclarations de n’importe quel chef anarchiste, membre du gouvernement ;

de faire cette simple remarque que même dans la forme de salutation : « Adieu », le mot de Dieu est défendu dans les relations courantes en zone rouge et que son emploi expose aux plus graves dangers ;

d’observer que les noms religieux des villes et des rues ont été remplacés par des noms laïques 12 ;

de constater enfin qu’il n’y a plus de culte, ni de publications religieuses et que, par exemple, les éditions bibliques de Montserrat et de la Fondation Biblique catalane ont cessé.

D’après une information complémentaire rapportée par d’autres journaux, les propagandistes gouvernementaux ont permis aux clergymen anglais de voir dans les librairies, comme par hasard, quelques Bibles de la « Société Biblique » de Londres, ce dont les braves pasteurs se sont déclarés satisfaits 13. Évidemment il y a, par là-bas, beaucoup de livres. Sur le marché on trouve non seulement des Bibles, mais, par monceaux, et d’occasion, des ouvrages religieux de tout genre, provenant du pillage des couvents et des bibliothèques particulières. Un vieux libraire de Valence en a fait une telle rafle qu’il pense réaliser une fortune le jour où il pourra exporter et vendre un bien si facilement acquis.

Les maîtres de l’heure n’ont pas encore pensé à expurger les dépôts de livres existants. Allant au plus pressé, ils ont supprimé toute vie religieuse collective. Ils ont détruit toute une culture religieuse. On ne peut plus se dire « adieu ! » ni en conversation ni dans la correspondance privée, on ne peut plus posséder aucun symbole religieux. Il nous semble bien que tout cela est un peu plus que de l’anticléricalisme.

 

 

 

 

VI

 

CONTRE TOUTE CULTURE

 

 

Nous ne voulons pas conclure ces réflexions sans rappeler que ce vandalisme ne se borne point à la destruction des monuments religieux.

En veut-on une preuve de plus ?

Au début de janvier dernier, la presse de Barcelone nous a informé, laconiquement, que l’on avait détruit la plupart des statues qui décoraient « la Promenade, connue autrefois sous le nom de Salon de Saint-Jean et aujourd’hui sous celui de Salon de Fermin Galán ».

Ce Paseo rappelle au bon Barcelonais une période particulièrement robuste et optimiste dans la vie et la croissance de la cité comtale : le moment de l’Exposition de 1886. Dans les terrains de la vieille Citadelle, détruite par la Révolution de 1869, et dans ceux qui leur sont contigus, furent installés le Parc et le Paseo actuels. Alors la Catalogne, mue par son esprit de renaissance, en accord profond avec le reste de l’Espagne, se retournait vers ses anciennes gloires, y cherchant à la fois des présages et des stimulants pour de nouveaux triomphes. C’est ainsi que, bornant le « Salon de Saint-Jean » ou rangées autour de son Arc de Triomphe, se dressaient les statues des fondateurs, des législateurs, des héros, des politiciens, des navigateurs et des artistes de la Catalogne d’autrefois.

Les meilleurs sculpteurs du dix-neuvième siècle catalan, précurseurs de cette école qui nous a donné, entre tant d’autres, un Llimona et un Clara, avaient dressé ce monument multiple en l’honneur des gloires de la Patrie.

C’étaient Manuel Fuxá, Pere Carbonell, Josep Reinès, Venanci Vallmitjana, Antoni Vilanova et Josep Llimona lui-même à ses débuts. La ville allait devoir au « Salon de Saint-Jean » des journées d’émotion. Son nom reste associé au souvenir des grandes Fêtes civiques qui inaugurent le nouveau siècle.

Sur les huit statues, six ont été renversées : celles de Jofre le Pileux, Ramon Berenguer Ier, Pierre le Grand, Jaume Ferrer, Roger de Lluria et Bernat Desclot. Les journaux relatent cet acte de vandalisme, sans aucun commentaire, mais sans pouvoir dissimuler leur secrète satisfaction.

Le gouvernement de la Généralité n’a pas protesté – pourquoi ? – il n’a pas même annoncé qu’il poursuivrait les coupables. Il n’a pas non plus protesté lors du renversement de la statue du général Prim, symbole du libéralisme espagnol du dix-neuvième siècle. Approbation ou impuissance, cela revient au même. Après avoir avoué, par vingt déclarations successives, au cours de ces neuf mois infernaux, qu’il était incapable d’empêcher les assassinats quotidiens et systématiques, il était bien naturel qu’il ne se mêlât point d’incarcérer les destructeurs d’une demi-douzaine de statues. Lorsqu’on a armé les criminels sortis de prison pour qu’ils aillent tuer et assassiner, et brûler toutes les églises du pays, et détruire, en quelques semaines, les trésors de beauté, d’émotion, de grandeur, que quarante générations avaient créés et accumulés et qui avaient traversé sans dommage des époques de malheur et de décadence, résisté de leur mieux aux guerres, aux invasions, aux luttes civiles, aux misères de plus de dix siècles, quand on a fait cela, on a perdu toute raison d’exiger que la destruction de six statues vous indigne au delà d’un léger haussement d’épaules.

Quelques statues de moins, qu’est-ce que ça fait ? Eh bien ! si, cela fait quelque chose. Car cela démontre que toute cette destruction obéit à une doctrine et suit un plan. L’argument en effet selon quoi les actes de vandalisme sont dus à des poussées aveugles, a des ruées iconoclastes des masses, cet argument n’a jamais eu la moindre valeur, et il en a aujourd’hui moins que jamais. C’est un prétexte. Les masses n’ont rien à voir avec tant de ruines. On ne peut pas non plus continuer à dire (comme si cela atténuait en rien les atrocités) que l’on a seulement détruit ce qui sentait la religion. Non. Dès le premier moment, sans cause et sans excuse, dans des milliers de localités, dans des provinces où jamais ne s’était produit le moindre soulèvement militaire, ni la moindre lutte civile d’aucun genre, ni même la plus légère protestation verbale, on s’est mis à détruire systématiquement, par équipes spécialement préparées, tout ce qui de près ou de loin rappelait la religion, l’histoire, la tradition, le sentiment et la conscience, bref la culture de l’âme, qui est la seule culture.

Résumons-nous : la révolution anarcho-marxiste d’Espagne est l’explosion de tous les sentiments négatifs : antireligieux, anticulturel, antihistorique, antilibéral, antiartistique, antiespagnol et, pour ce qui concerne la Catalogne, suprêmement anticatalan.

 

C’est un plan que l’on exécute, un plan qui a été prêché avec insistance pendant des années et que beaucoup avaient dénoncé aux braves citoyens sceptiques et naïfs. Ce plan a été appliqué en particulier par le chef anarchiste Garcia Oliver, actuellement ministre de la Justice de la République, lequel, dans un discours, certes mémorable, prononcé en janvier à Valence, a déclaré la guerre non pas seulement aux curés et aux moines, mais aux juges et aux magistrats, et aussi aux professeurs et aux intellectuels, considérés « comme les millionnaires de la culture ».

 

On trouvera à l’appendice VII de ce volume des preuves « officielles » du vandalisme antiartistique.

 

 

 

 

VII

 

LE CAS DE L’ESPAGNE CONSTITUE UN EXEMPLE

 

 

Remarquons, avec optimisme, que malgré tant d’excès, l’idée ni le sentiment religieux n’ont été détruits en Espagne. Comme aux siècles passés, l’Espagne reste le boulevard de la Foi. Dans la zone blanche, l’esprit religieux apparaît comme le soutien moral le plus solide ; et dans la zone rouge, clercs et séculiers ont donné les plus nobles exemples d’héroïsme et de sainteté, et qui prendront une place brillante dans le long martyrologe chrétien.

Pour suivre, pour illustrer sa tradition chrétienne, l’Espagne a donné toute une série de grandes figures dans l’ordre de la sainteté : Thérèse de Jésus, Ignace de Loyola, Jean de la Croix. Cette tradition vivante, profonde, constante, refleurit aujourd’hui grâce à la persécution, dans une sorte de phalange de martyrs : nous venons de décrire sommairement leurs supplices.

Nous sommes en présence d’une sainteté nouvelle et hardie. Ces martyrs ont attesté leur foi de leur vie. La conscience religieuse de tous les Espagnols (pour ne pas dire de tous les hommes, à quelque religion qu’ils appartiennent) se sent par eux réconfortée et purifiée. Leur façon de témoigner de leur idéal religieux est certes plus noble que celle des neuf dissidents catholiques qui ont donné leur adhésion au gouvernement de Largo Caballero et de Garcia Oliver, l’assassin de l’archevêque Soldevila, et qui ont obtenu en échange : l’un, M. Ossorio y Gallardo, une ambassade en Belgique, tandis qu’un autre, M. José Bergamin au service de la propagande rouge, figure à Paris dans des réceptions organisées par des écrivains communistes.

Le supplice des premiers martyrs a témoigné de la vérité du christianisme. Les martyrs de l’Espagne actuelle témoignent irréfutablement de la foi espagnole. Il était réservé à nos temps d’aberration que quelques dissidents chrétiens servissent les Nérons et les Dioclétiens d’aujourd’hui.

Ces pages, où nous avons essayé en vain de contenir notre émotion, s’adressent, non seulement aux chrétiens, mais à tous les êtres cultivés et sensibles de la planète. Qu’ils considèrent la situation angoissante de millions d’êtres humains qui, sans compter les privations matérielles, se voient empêchés de vivre d’accord avec les ordres de leur conscience, qui sont les règles suivies pendant des siècles par le progrès de notre monde occidental. Qu’ils examinent le tableau que, sur le plan du spirituel qui est celui de la liberté, présente une région de l’univers, célèbre par sa culture vigoureuse et sa joie intérieure, soumise aujourd’hui à un régime incompatible avec la dignité de l’âme humaine. Qu’ils contemplent cette explosion de barbarie, ce vaste anéantissement des créations de l’art, de la bienfaisance, de la religion, de l’humanitarisme. Qu’ils pensent avec quelle facilité cette épidémie de haine et d’extermination peut contaminer d’autres nations, et combien c’est chose nécessaire pour le monde civilisé, pour la liberté, pour l’esprit enfin, que la fureur marxiste et anarchiste soit brisée en Espagne avant qu’elle ait pu déborder sur leur propre patrie.

Aux esprits libéraux en particulier, signalons la fin d’un article de l’académicien français Louis Bertrand 14, qui, après avoir constaté, en Espagne rouge, la persistance de cet esprit inquisitorial et laïque « abolissant la liberté de conscience, la liberté de penser pour laquelle nous avons tellement combattu, renouvelant des tortures immondes, un raffinement de cruauté bestiale », déclare : « Et, avec cela, les règles les plus élémentaires du droit des gens indignement violées. L’assassinat des otages, les minorités désarmées, assassinées et suppliciées. »

Et, ce mot de la fin :

« Tout homme libre, tout civilisé ne peut que protester avec indignation contre une telle dégradation de l’espèce, contre l’horreur de vivre sous un pareil régime. »

Le cas de l’Espagne est une formidable leçon. Il y a, dans l’histoire, des peuples prédestinés à la tragédie : tel a été le peuple espagnol. Mais cette tragédie peut servir à préserver les autres peuples de désastres pareils. Tel est le sens (il n’y en a pas d’autre), le sens largement humain, que donnent à leur douleur les Espagnols d’aujourd’hui. Que leur drame évite d’autres drames !

 

 

 

 

 

 

APPENDICES

 

_________

 

 

 

 

I

 

LA PRÉTENDUE PERSÉCUTION CONTRE LES PROTESTANTS

 

 

La propagande rouge a fait courir le bruit que les partisans du mouvement national traitaient les protestants espagnols de façon cruelle, assassinant leurs pasteurs et incendiant leurs chapelles.

Elle est ainsi arrivée à émouvoir le vénérable doyen docteur Inge, de Saint-Paul de Londres, qui envoya une lettre ouverte à la revue The Spectator où il reprenait les accusations fantaisistes de la Church of England Newspaper :

 

« Le pasteur évangélique de Salamanque a été fusillé. Il paraît que, avant de l’assassiner, on exécuta sous ses yeux sa femme et ses deux enfants, l’un d’eux âgé de moins d’un an. À Valladolid, le pasteur fut mis en prison avec sa famille dès le début de la guerre civile ; le bruit court que la prison fut incendiée et tous les détenus carbonisés. Il semble certain que le pasteur de Miajadas et sa femme ont été fusillés. Celui de Saragosse fut condamné à mort, et les curés catholiques se réunirent pour jouir du spectacle de l’exécution, qui grâce à l’intervention du consul n’eût pas lieu. Deux pasteurs protestants furent assassinés à Grenade. Le pasteur de Cordoue, menacé de mort par un curé qui lui avait volé les meubles de son école et les emportait en camionnette, ne dût son salut qu’à la fuite. À Jerez, on a mis en prison une maîtresse d’école parce qu’elle n’était pas catholique, et plusieurs protestants ont été tués à Ibahernando. »

 

Tel est l’ensemble d’atrocités inventé par la propagande rouge. Le quartier général de Salamanque a organisé, pour chacune de ces accusations, une enquête dont les résultats ont été communiqués, officiellement, à la presse internationale. Voir le Journal de Genève du 24 décembre dernier, article dont voici le résumé :

Le pasteur de Salamanque, don Atiliano Coco, n’a pas été assassiné. Il jouit d’une excellente santé, ainsi que sa femme et ses enfants. Membre du parti radical-socialiste, le pasteur Coco l’avait quitté, lors de sa dissolution, pour entrer dans « l’Union Républicaine ». Affilié à la Ligue des Droits de l’Homme, il travailla dans diverses sociétés secrètes. Accusé de répandre des nouvelles hostiles au mouvement national, il fut arrêté le 30 juillet, mais relâché peu après.

Il y a deux pasteurs à Valladolid : un Anglais, M. Willes, et un Espagnol, M. Borovia Muñoz. Tous les deux sont en parfaite santé, d’où l’on conclut qu’ils n’ont pas été victimes avec leurs familles d’un prétendu incendie de la prison de la dite ville.

Le pasteur de Miajadas, M. Liñan Andueza, que l’on prétend fusillé ainsi que sa femme, avait disparu à la mi-juillet, après avoir travaillé à Miajadas avec des éléments du Front populaire, auquel on le suppose affilié. Il est parti de Miajadas pour Badajoz, où il réside actuellement, 5, cale Castillo Militar, avec sa femme (dont le nom de famille est Muñoz).

Il est inexact que le pasteur de Saragosse ait été condamné à mort. Inutile de dire qu’il est impossible que le clergé catholique de cette ville se soit réuni pour assister à son exécution. Le dit pasteur : M. Heras Benito, craignant des représailles en réponse au bombardement de la Basilique de Notre-Dame-del-Pilar (représailles qui n’eurent jamais lieu), sollicita du gouverneur civil la permission de se retirer à Jaca. On lui en facilita les moyens, et il se trouve encore aujourd’hui dans cette ville, en parfaite santé.

À Grenade, où l’on dit que deux pasteurs furent assassinés, résidaient de nombreux ministres protestants. Citons parmi eux don S. Palomeque qui, en dépit de ses idées avancées et de ses relations avec les dirigeants du Front populaire, restait en liberté. Il se trouve actuellement à Tanger, après avoir passé par Séville, en août.

Don David Chorin partit également pour Gibraltar, au début de la guerre civile. MM. Zamora en Yeste et Fernández Guzman continuent à officier à Grenade, ainsi que don Luis Gonzalez. Par contre, M. Iñiguez Martelo, propagandiste actif de la révolution rouge, fut arrêté et mis à la disposition des autorités militaires. Les accusations très graves qui pesaient sur lui ayant été prouvées, il fut condamné à mort et exécuté. Don José Garcia Fernández, accusé de propagande en faveur des rouges, fut interrogé, et remis en liberté aussitôt qu’il eût démontré son innocence.

Le pasteur de Cordoue, M. Garcia Marzo, a quitté son domicile en compagnie de sa femme, obtenu un sauf-conduit, et il est parti pour Séville, et de là pour Tanger. Sa chapelle, fermée pour cause d’abandon par l’autorité militaire, n’a été attaquée par personne, encore moins p.ar un curé catholique.

À Jerez on n’a molesté aucun protestant. Le pasteur d’Ibahernando est celui-là même qui était parti de Miajadas à Badajoz. Il est complètement faux qu’un pasteur du nom de Blanco ait été tué à Cadix.

 

Bref : en Espagne nationaliste personne n’a été poursuivi, et moins encore exécuté, pour ses idées religieuses.

 

 

 

 

II

 

UNE RÉPONSE NÉCESSAIRE

 

 

Lettre ouverte 15 du cardinal-archevêque de Tolède à M. José Antonio Aguirre, à Bilbao, président du gouvernement basque.

 

Pampelune, le 10 janvier 1937.        

 

Une main amie, fort intéressée, comme il se doit à tout bon catholique et patriote, à ce que la lutte si cruelle où se consume l’Espagne, prenne fin, me fait parvenir un exemplaire du journal Euzkadi, de Bilbao, no 7485, où se trouve inséré le discours prononcé par vous, le 22 décembre dernier. Par les allusions réitérées que vous faites au silence de la hiérarchie ecclésiastique sur certains points déterminés dont on ne peut dissimuler la gravité à l’heure actuelle, je crois de mon devoir de vous répondre, comme étant, de par la volonté du Saint-Siège, en mon humble personne, le plus haut représentant de cette glorieuse hiérarchie ecclésiastique espagnole.

Je ne crois pas sortir de mes attributions d’évêque, soit parce que je suis compris dans l’appel général que vous adressez à la conscience universelle et à la hiérarchie, soit encore parce que je suis assuré de traduire le sentiment de votre évêque, mon vénérable et très cher frère de Vitoria, aujourd’hui absent du diocèse. Je ne veux pas non plus que cet écrit perde le caractère d’une Instruction pastorale adressée à mes diocésains, puisque aussi bien les questions traitées dans votre discours et qui font l’objet de cette lettre touchent tous les Espagnols, qui jamais autant qu’aujourd’hui n’ont eu besoin d’orientation dans les graves problèmes de l’ordre politico-religieux.

Avant d’entrer en matière, permettez-moi de vous exprimer un double vœu :

Cette lettre n’a pas pour but d’ouvrir une polémique. Je me place sur le plan où vous-même appelez la hiérarchie, non pour entamer un dialogue qui nous conduirait difficilement à un accord, mais pour répondre, en toute charité, à vos demandes, avec l’espoir certain que par la loi même de la charité qui ne cherche pas le bien propre, mais celui de tous, nous parviendrons à une pensée concordante, après avoir dissipé les doutes que soulèvent vos questions adressées à la hiérarchie. Pour cela même, ne vous croyez pas obligé, par courtoisie, de répondre à ce simple écrit, car je ne pourrais vous suivre.

Mon autre désir est que, puisque vous avez là-bas de faciles moyens de propagande, vous donniez à ces feuillets la plus grande publicité. Je suis torturé à la pensée que ce cher peuple basque n’a pas connu toute la vérité sur les problèmes de doctrine et de fait qui ont été débattus ces temps derniers ; et quand la vérité, par le magistère catégorique des pasteurs de l’Église, a voulu se faire jour et éclairer les intelligences, des ombres se sont interposées, par suite de considérations humaines, plus attentives aux conquêtes de l’ordre politique qu’aux intérêts de l’ordre surnaturel qui requièrent la primauté en tout.

Ceci posé, je dois vous dire, M. Aguirre, que j’ai lu votre discours d’un trait. Il a laissé en mon âme l’impression d’avoir entendu la voix d’un catholique convaincu, aimant son pays de cet amour qui vient après l’amour de Dieu et ayant très noblement travaillé au bonheur de son peuple. Si l’orateur est le vir bonus dicendi peritus, vous êtes, M. Aguirre, un bon orateur. Dieu vous a donné une âme bonne et, pour votre part, vous l’avez mise, de toute votre force, au service de ce que vous jugez être une bonne cause, la défendant bravement avec toutes les ressources de votre intelligence, de votre cœur et de votre éloquence.

 

 

Quelques objections.

 

Ainsi vous êtes. Quant au fond de votre discours, bien que reconnaissant les multiples vérités qu’il contient, je ne pourrai pas dire de même. J’aurais à lui opposer de sérieuses objections. Mais mon intention n est pas d’en faire une analyse, ni de censurer ses points de divergence avec mon jugement ; je tiens seulement à rechercher ce qui nous unit sur le terrain lumineux et paisible de la pensée chrétienne dont nous nous inspirons tous deux, pour en tirer les conséquences les plus profitables à tous en ces graves moments.

Je laisse de côté la partie de votre discours où vous exposez ce qui est déjà acquis et esquissez des projets pour l’agrandissement du peuple basque. Nous aspirons tous au plus grand bien pour toutes les régions de l’Espagne, d’où dériverait le plus grand bien pour la grande patrie, l’Espagne, multiplication plutôt que somme des biens particuliers de chaque région. C’est une erreur déplorable, issue de l’amour qui aveugle quand il se fourvoie, de croire qu’un essaim de petites républiques puisse procurer à tous les Espagnols un bien supérieur à celui qui nous viendrait d’un grand État bien gouverné, où l’on tiendrait compte des reliefs spirituels et historiques de chaque région. Se renfermer dans ces petits égoïsmes de contrée, c’est réduire le volume et le ton de la vie, de l’État et de la région. Un gros diamant, réduit en plusieurs, perd automatiquement la plus grande partie de sa valeur.

Mais cela est du droit politique, dont il n’est pas question ici. Suivent deux affirmations absolues que vous tentez de prouver sans y parvenir, et qui sont en flagrante contradiction avec les faits et avec la conscience de la plus grande partie de la nation. « La lutte s’est délimitée, dites-vous, entre le capitalisme abusif et égoïste et un profond sentiment de justice sociale. – Que le monde entier sache que la guerre qui se déroule dans la République espagnole n’est pas une guerre religieuse, comme on a voulu la présenter.

Permettez-moi de commenter simplement ces deux affirmations.

Quant à la première, je ne crois pas qu’il se trouve une douzaine d’hommes qui aient pris les armes pour défendre leurs propriétés, ni pour se défendre contre les brimades de ceux qui possèdent les terres et les font valoir. Nous admettons qu’un fond d’injustice sociale soit l’une des causes lointaines du désastre ; mais nous nions catégoriquement que cette guerre soit une guerre de classes. Un prétexte n’est pas une raison : et les revendications ouvrières n’ont été qu’un prétexte de la guerre. Et celle-ci a été plus cruelle et plus dure là où raison et prétexte étaient moindres : dans les Asturies, en Biscaye, en Catalogne, là où l’ouvrier est économiquement au niveau, ou au-dessus, des mieux payés d’Europe 16.

De plus, une raison ne s’impose pas par l’ultime des raisons qui est la guerre, si ce n’est quand ont échoué tous les recours d’ordre légal et moral pour arbitrer les querelles sociales de classe. Or la guerre éclata alors qu’un réseau serré de lois protégeait l’ouvrier et facilitait son accès à la propriété et sa participation aux entreprises. Et la guerre n’a pas cessé ; elle s’est au contraire transformée en querelle intestine entre les ouvriers, dans les contrées qui lentement se soviétisent. En tant qu’instrument, la guerre a été une vaste exploitation de riches et de pauvres, non au profit de la communauté, mais à celui des plus malins, des audacieux, des forts.

Celui qui conduit la guerre, Franco, n’a pas fait le jeu des riches ; au contraire, il prêche, sur tous les tons, la nécessité d’une plus grande justice sociale. Ils se comptent enfin par douzaines de mille ceux qui se sont enrôlés dans la guerre, sans autre avoir que le fusil qu’on a mis dans leurs mains, ni d’autre idéal que leur Dieu et leur Patrie.

La seconde affirmation qui pourrait contenir une allusion à mon opuscule le Cas de l’Espagne, et qui est un appel au monde entier, ne concorde pas avec la réalité. Cette guerre est au fond faite d’amour ou de haine envers la religion. C’est l’amour du Dieu de nos pères qui a mis les armes à la main de la moitié de l’Espagne, même si l’on admet dans la guerre des motifs moins spirituels ; la haine a dressé contre Dieu l’autre moitié. D’un côté se trouvent les campements convertis en temples, la ferveur religieuse, une sage confiance dans la Providence ; de l’autre, des milliers de prêtres assassinés et d’églises détruites, la fureur satanique, l’acharnement contre tout signe de religion. Et maintenant, des centaines d’athées arrivent de Russie pour donner une forme doctrinale à cette grande ruine religieuse et sociale.

Cette même Euzkadi ne pourrait pas justifier l’association de catholiques et de communistes sans le facteur religieux. N’a-t-on pas affirmé que cette collusion était la seule manière de sauver la religion en Biscaye et en Guipúzcoa, quand les hordes rouges l’auraient chassée du reste de l’Espagne ?...

De fait, il n’y a aucun acte religieux d’ordre social dans les régions occupées par les rouges : dans celles qui sont protégées par l’armée nationale, la vie religieuse a retrouvé une vigueur nouvelle. Un pacte politique et militaire, fragile comme les promesses sur des lèvres inconséquentes, maintient en Biscaye prêtres, églises et culte. Que se passera-t-il quand il faudra rompre les pactes, quand surviendra le désordre d’une déroute, ou l’hégémonie d’une victoire communiste ? Nous lisons qu’on a déjà brûlé quelques églises en Biscaye. En dernière heure la radio annonce l’assassinat de prêtres par les communistes...

 

 

Prêtres assassinés et exilés.

 

Et nous arrivons au plus grave de votre discours, à l’appel angoissé que vous faites à la conscience universelle.

Vous affirmez que les insurgés ont assassiné de nombreux prêtres et religieux bien méritants sans autre motif que leur attachement à leur patrie basque.

Je ne discute pas les adjectifs : je fais seulement une réflexion sur le fait de la mort violente de certains prêtres basques. Plus que personne nous l’avons déploré. Fusiller un prêtre est horrible, parce qu’il est l’oint de Dieu, situé, de ce fait, sur un plan surhumain où ne devraient atteindre ni le crime, quand il y a crime, ni les sanctions de la justice humaine qui supposent le crime. Cependant nous déplorerions aussi profondément l’aberration de certains prêtres qui les conduirait devant un peloton d’exécution, parce que le prêtre ne doit pas descendre de ce plan de sainteté, ontologique et morale, où le situe sa consécration en vue de sublimes ministères. C’est-à-dire que s’il y eut injustice, de quelque côté qu’elle vienne, nous la déplorons et la réprouvons avec la plus grande énergie. Nous ne croyons pas qu’il y en ait une à bien aimer son propre pays : pour cela, nous nous refusons à croire que quelques prêtres aient été fusillés sans autre motif que leur attachement à leur peuple basque.

 

Et ici le Président catholique du gouvernement d’Euzkadi demande, le cœur endolori : Pourquoi le silence de la hiérarchie ?

 

Je vous assure, M. Aguirre, la main sur mon cœur de prêtre, que la hiérarchie ne s’est pas tue dans ce cas, bien que sa voix n’ait pas retenti à la tribune bruyante de la presse ou de la harangue politique. Elle aurait été moins efficace. Mais moi je puis vous indiquer le jour et l’heure où ces exécutions cessèrent brusquement, moins nombreuses d’ailleurs que le laisse entendre votre discours. Et comme ce fait lamentable a été exploité au grand préjudice de l’Espagne, il convient, en ces moments si graves, de mettre les choses au point. Je vous assure que ces prêtres succombèrent pour un motif qu’il n’y a pas lieu de consigner en cet écrit, et que le fait n’est imputable ni à un mouvement qui a pour principal ressort la foi chrétienne dont le prêtre est le représentant et le maître, ni à ses chefs qui furent les premiers surpris en apprenant ce malheur. Ne mettez pas en cause la hiérarchie, pour laquelle le prêtre est comme la prunelle des yeux et le prolongement de son être officiel et public.

En échange, laissez-moi vous interroger à mon tour, M. Aguirre. Pourquoi votre silence, le vôtre et celui de vos partisans, devant cette hécatombe de prêtres et de religieux, fleur de l’intellectualité et de la sainteté de notre clergé, qui ont été fusillés en Espagne rouge, horriblement maltraités, par milliers et par milliers, sans procès, pour le seul délit d’être des personnes consacrées à Dieu ?... Rien que dans les six chapitres reconquis de Tolède, M. Aguirre, sur les seize que renferme mon diocèse, deux cent un prêtres ont succombé sur les cinq cents et quelques qui exerçaient saintement leur ministère. Comptez les milliers qui ont été bassement assassinés dans les régions encore dominées par les rouges.

Votre catholicisme me paraît bien faible sur ce point, M. Aguirre, puisqu’il ne se révolte pas devant cette montagne de corps inanimés, sanctifiés par l’onction sacerdotale et qui ont été profanés par l’instinct bestial de vos alliés ; il ne vous laisse voir que la douzaine de prêtres, quatorze selon la liste officielle, – moins de deux pour mille – qui ont succombé, victimes de possibles égarements politiques ; et encore en admettant qu’il y ait eu des vices de forme dans leur jugement.

 

Pourquoi le silence de la hiérarchie – demandez-vous – quand il est certain et de notoriété publique que des prêtres basques sont exilés de force et transportés en des terres éloignées de leur sol natal ?

 

Qui les a exilés ? Je le demande. Eux-mêmes, la plupart du temps, par prudence et suivant la coutume universelle dans les moments de bouleversements politiques populaires. D’autres fois, cas d’ailleurs très rares, les supérieurs religieux légitimes, c’est-à-dire la hiérarchie, qui n’a pas à rendre compte en public de ses décisions. Parfois, nous le supposons, les deux autorités d’accord, la civile et l’ecclésiastique, pour éviter de plus grands maux : et, dans ce cas, ce n’est pas devant le président du gouvernement d’Euzkadi qu’elles doivent se justifier. Peut-être aussi l’autorité militaire ou l’autorité civile – respectant la forme requise dans un État catholique – ont usé, simple hypothèse, du droit qui appartient à toute république d’éloigner un citoyen dangereux. Mais nulle autorité espagnole n’est obligée d’obtenir ou de demander le consentement du président d’un gouvernement politiquement hétérodoxe. Comment, d’autre part, une hiérarchie, qui n’est pas autre chose que la forme organisée de l’autorité sociale, pourrait-elle ignorer que le plus grand danger d’une société est le citoyen qui travaille à la désorganiser ?

 

 

La hiérarchie et la défense du régime.

 

Et quand de nombreux catholiques de la république espagnole ont demandé si un catholique est obligé de défendre le régime légalement constitué, pourquoi ce silence de la hiérarchie ?

 

M. Aguirre, si, comme nous le croyons, vous vous adressez à la hiérarchie ecclésiastique, votre question n’est pas seulement superflue, elle est de plus entachée d’une accusation tacite qu’un catholique ne doit pas porter contre les représentants de l’autorité de l’Église.

Oiseuse, avant tout, est cette question ; parce que vous, catholique, avocat, député et ami de prêtres, vous n’ignorez pas la doctrine, aussi vieille que le christianisme, qui oblige le catholique à défendre le régime légalement constitué. Vous savez que lorsque l’Espagne se donna le régime actuel, l’Église le reconnut officiellement. Une abondante littérature pastorale préconisa le rattachement au régime, bien qu’il en coûtât à beaucoup de sacrifier momentanément des principes politiques qui paraissaient mieux en harmonie avec la vie et l’histoire de notre pays. Vous savez que la hiérarchie, au risque de déplaire aux impatients et aux outranciers, soutint le principe intangible du respect au régime, quand bien même cette hiérarchie dût être la première victime des intempérances doctrinales et des excès législatifs des hommes qui le représentaient. Et ce sera la gloire de cette hiérarchie, sans que lui soient imputables les erreurs de quelques hommes qui ne surent pas tenir avec honneur ni justice la charge que le pays leur avait confiée.

Où conduit, M. Aguirre, votre inopportune demande, sinon à confondre des notions, embrouiller des faits et répandre la défiance à l’égard de chefs que vous paraissez tenir en si grande estime ? Vous confondez les notions, parce que personne n’est encore apparu qui se soit élevé contre le régime, lequel reste en principe celui que le pays s’est donné : et j’emploie cette formule, aussi démocratique que fallacieuse, parce que déjà l’histoire s’est prononcée sur un moment d’hallucination de notre vie politique qui a conduit l’Espagne au bord de l’abîme. Vous brouillez les faits, parce que vous confondez, dans une malencontreuse promiscuité, le geste viril d’un peuple qui veut se sauver, avec la manœuvre politique dont le but est d’ériger en canton indépendant la Biscaye auparavant si espagnole. Enfin, vous répandez la défiance à l’égard de la hiérarchie qui s’est maintenue dans les sphères élevées de la vérité et de la charité et que vous voudriez voir mêlée, tout au moins dans l’esprit de ce pays si chrétien, à une querelle qui le conduira obligatoirement à la ruine après la paix idyllique dans laquelle il vivait depuis des siècles et après le bien-être qu’il avait conquis par les efforts de son intelligence et de ses bras.

 

 

La défense contre l’agression injuste.

 

Vous reprochez enfin à la hiérarchie son silence devant l’attitude de la jeunesse basque qui, en grande partie chrétienne, et interprétant avec rectitude la doctrine chrétienne du droit de défense, a pris les armes contré une agression injuste mais aurait voulu trouver là où la justice a sa base, – c’est-à-dire en la hiérarchie, – une voix qui approuve sa conduite conforme au droit.

Langage doublement injuste parce qu’il fait abstraction d’un fait bruyant comme le fut l’intervention de la hiérarchie dans le mouvement basque, il y a cinq mois, et parce qu’il voudrait la contraindre, pour l’entraîner à sanctionner publiquement une sottise et une injustice : cela n’est pas digne d’un homme qui se dit lui-même président d’un gouvernement.

Il est des situations sociales qui obligent à la plus grande circonspection de langage. Vous êtes chef d’un pays, tout au moins vous vous arrogez ce titre et cette charge. Par là même, vous êtes son directeur et son législateur, son mentor et son père, selon les attributions que la doctrine chrétienne reconnaît au président politique d’une nation. Et ces attributions sont incompatibles avec la dissimulation et l’astuce.

Ce qui arrive démontre qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. De plus, quand il s’agit d’un catholique, il n’est de situation spirituelle pire que celle créée par la nécessité de fermer délibérément les oreilles à la vérité. En effet, cette attitude des Jeunesses basques, soi-disant conforme au droit, a été condamnée par la hiérarchie dans les termes les plus défavorables, quand survint l’accord basco-communiste. Écoutez, une fois encore, la voix de la hiérarchie contenue dans le document pastoral publié en août dernier, que nous avons sous les yeux.

« Il n’est pas permis – disaient dans ce document LL. Exc. les évêques de Vitoria et de Pampelune – en aucune façon et sur aucun terrain, et encore moins sous la forme si cruelle de la guerre, dernière raison des peuples pour imposer leur raison, de diviser les forces catholiques devant l’ennemi commun...

« Encore moins permise et absolument illicite, après la division, est l’union avec l’ennemi pour combattre son frère, la compromission de l’idéal du Christ avec celui de Bélial ; entre les deux, aucun accommodement n’est possible...

« Cette chose défendue devient monstrueuse quand l’ennemi est ce monstre moderne, le marxisme ou communisme, hydre à sept têtes, synthèse de toutes les hérésies, diamétralement opposé au christianisme en sa doctrine religieuse, politique, sociale et économique... »

 

Voilà la doctrine chrétienne classique du droit de défense ! Nous n’entrons pas dans la question politique à laquelle fait allusion votre dernière question sur l’agression injuste, de laquelle dérive l’autre question morale du droit de défense contre l’injuste agresseur. Là aussi la hiérarchie, par la plume d’un sage et vénéré prélat, s’est prononcée, donnant un jugement lumineux et les directives les plus sûres ; il n’y a pas encore un mois qu’en l’université grégorienne de Rome – le grand centre mondial des études ecclésiastiques – la leçon de morale d’un professeur espagnol spécialisé en la matière traitait du cas de l’Espagne. Résumant sa critique de la coalition basco-communiste, conclue assurément pour l’exercice du droit de défense contre l’agression injuste, un nationaliste clairvoyant, aussi bon Basque que fervent catholique, faisant face à la mort huit jours après qu’eut éclaté le soulèvement militaire, la qualifiait d’hétérodoxe, d’imprudente et d’hypocrite. C’est une opinion de qualité émise en une heure solennelle de la vie.

Une voix qui approuve une conduite conforme au droit !... Rien n’est plus conforme au droit que de dire la vérité, et quand la vérité s’est prononcée de cette chaire sacrée , – suivant votre expression, – la justice trouve sa base la plus ferme, c’est un devoir pour tous de la répandre aux quatre vents, surtout pour ceux qui gouvernent les peuples, au lieu de la dissimuler parmi des sophismes et des insinuations tendancieuses.

Non, M. Aguirre, il ne s’agit pas d’une question de droit, ni de morale. Il s’agit bien plutôt de la moralité d’un procédé pour faire aboutir des revendications politiques qui constituent un désir du peuple. Nous comprenons l’aspiration d’un peuple raisonnable et fort, et même, dans notre conception politique personnelle de l’État espagnol, nous l’approuvons et nous voudrions la voir cristallisée en une formule qui assure à la fois l’union indissoluble avec la grande patrie et la reconnaissance publique des vertus et de l’histoire du peuple basque. Il y a quelques semaines, nous précisions notre pensée dans un simple écrit où nous disions : « La véritable solution devrait être la suivante : qu’au sein de l’unité intangible et robuste de la grande patrie, se pussent conserver les caractéristiques régionales, non pour accentuer les différences, toujours très relatives devant la substantialité du fait séculaire qui nous pétrit dans l’unité politique et historique de l’Espagne, mais plutôt pour rendre plus étroits, par l’apport de chacun à l’effort de tous, les liens qui naissent des profondeurs de l’âme des peuples ibériques et que nous impose le contour de notre territoire et la voûte suave de notre ciel incomparable. Ainsi les traits physiques et psychologiques distinctifs des fils traduisent mieux l’unité féconde des pères. »

Mais vous avez pris un mauvais chemin, M. Aguirre ; pour la défense de la tradition et de la patrie une alliance a été conclue avec des gens sans tradition ni patrie ou qui travaillent contre elles deux par un postulat de leur doctrine politique. Dans le désir de conserver au sein du peuple basque les pures essences de notre religion très Sainte, peut-être plus goûtée et pratiquée en Biscaye que dans aucune autre partie du monde, on a commis la folie d’aller la main dans la main, et l’arme au poing avec ceux qui veulent, selon le premier point de leur programme (les évêques allemands viennent de le rappeler), extirper le nom de Dieu de la vie politique et du tréfonds des consciences. Avant ce rappel de l’épiscopat allemand, vos alliés avaient réalisé ce programme, de manière horrible, sur le sol sacré de l’Espagne soumis au sceptre de fer des communistes. Là se trouvent les provinces de Catalogne, de Valence, de Murcie, de la Nouvelle Castille et une grande partie de l’Andalousie : plus d’églises, plus de prêtres, plus de culte, plus de Christ, plus de Dieu.

 

 

Invitation à la réflexion : Conclusion.

 

Je vous invite à une méditation sereine, M. Aguirre ; et si vous êtes un catholique fervent, le pauvre primat de l’Église d’Espagne, qui ressent comme personne la déchirure profonde qu’une méprise politique a produite parmi les fils de nos deux mères, l’Église et l’Espagne, ce prélat vous invite à une méditation ascétique dans laquelle, plaçant votre pensée et votre conscience devant Dieu, devant ses justes jugements, devant le moment suprême où l’on voudrait avoir tout bien fait, vous décidiez ce qui vous paraît le meilleur pour le bien spirituel et matériel de votre peuple.

Ne craignez pas de revenir sur vos pas. Il reste encore beaucoup à sauver dans cette belle et riche Biscaye. Il reste ses belles cités, ses industries florissantes, des milliers de vies menacées de succomber en une lutte fratricide ou victimes de la misère et du désespoir. Il reste l’honneur, qui n’est jamais aussi pur que lorsqu’il est le fils d’un redressement héroïque. Il reste la paix, aujourd’hui profondément troublée par une guerre féroce et par les haines plus féroces qui en dérivent, la paix qui déjà depuis des semaines aurait embrassé la justice si, dans les montagnes du Guipúzcoa, les frères de ce beau pays s’étaient donné la main pour la facile conquête des côtes de la mer Cantabrique depuis Irun l’infortunée jusqu’à Oviedo la martyre.

Il reste Dieu et tant de choses que Dieu maintient sur cette terre bénie de Biscaye. Aidez votre peuple, M. Aguirre, à conserver Dieu en péril chez Lui. Ce n’est d’ailleurs qu’une façon humaine de parler, parce que Dieu a voulu se soumettre, sans rien perdre de sa puissance redoutable, à l’inconstante liberté de l’homme. Vos alliés ne vous aideront pas dans cette tâche, car la Biscaye ne peut être une exception dans le monde communiste. Et je tremble pour Dieu en Biscaye – ainsi que je tremblerais pour une Espagne sans Dieu comme le serait une Espagne communiste – le jour où des navires russes débarqueront sur les rivages rocheux de la mer Cantabrique quelques milliers de ces hommes rouges, sans Dieu, qui détruiront l’équilibre dans lequel se maintiennent aujourd’hui les forces alliées. L’épiscopat allemand vient de dire dans une lettre pastorale : « Entre le communisme et notre catholicisme (qui est aussi celui de la Biscaye), il y a autant d’écart qu’entre le jour et la nuit, entre le feu et l’eau ; et si les communistes dressent le drapeau rouge à travers l’Europe centrale et occidentale, il ne restera plus qu’un champ de décombres et l’Église catholique sombrera dans le chaos et la désolation. »

J’achève cette longue lettre, M. Aguirre, et avec elle les ennuis qu’elle vous cause. Offrez-les à Dieu, charitablement. On me dit que ces temps derniers on constate en Biscaye une intensification de la vie religieuse. Jamais on ne pense davantage à Dieu que lorsqu’on touche du doit l’impuissance de l’homme dans ces terribles calamités que l’humanité n’a pu rayer de son histoire : la faim, la peste, la guerre, qui vont ordinairement de pair... J’ai prêché dans les églises de Bilbao ; je me suis agenouillé bien souvent devant la Vierge bénie de Begoña ; j’ai admiré la ferveur religieuse et les vertus chrétiennes de ce peuple ; je vénère et j’aime ce clergé de Biscaye, d’esprit si sacerdotal, intelligent, zélé, si intimement mêlé à son peuple qu’il peut lui dire comme l’Apôtre : « Je t’ai engendré pour Jésus-Christ. » Et je frissonne à la pensée qu’un jour, peut-être peu éloigné, on pourrait descendre des autels la croix bénie du Christ, transformer les églises en magasins ou en prisons, faire taire le sacrifice et la prière publique, assassiner les prêtres, ou les obliger à se réfugier dans les montagnes, faire disparaître enfin le sourire de la Mère de Begoña qui est l’enchantement de la grande cité. Ce n’est pas un cauchemar invraisemblable, puisqu’il se réalise déjà dans une grande partie de l’Espagne.

Au nom de tous ces amours que, comme tout bon Basque, vous gardez enracinés dans votre cœur ; pour l’amour de Dieu qui veut que nous ne fassions qu’un avec Lui, je vous invite à rechercher, en tant que père et conducteur de ce peuple, des points de contact, à choisir des méthodes et à trouver une formule douce et efficace pour lui rendre la paix perdue. Quand bien même on n’obtiendrait pas davantage, on aurait le plus grand bien que puissent désirer les peuples parce qu’il est le fondement et le couronnement de tout bien. Qui sait si, avec la paix, et en plus de la paix, ne pourraient se réaliser les aspirations légitimes de ce noble peuple basque ?

Pensez-y, M. Aguirre, tandis que je reste votre ami et serviteur dans le Christ et que je vous bénis, vous et votre peuple affectionné.

 

LE CARDINAL ARCHEVÊQUE DE TOLÈDE.

 

 

 

 

 

III

 

LES MARTYRS DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

 

 

En 1932, la Compagnie de Jésus fut dissoute en Espagne. Ses noviciats et ses Collèges d’instruction supérieure furent transférés à l’étranger. Les Pères jésuites qui étaient restés en Espagne y vivaient dispersés. C’est pour cela que la Compagnie n’a pas autant souffert que les autres ordres religieux.

Voici cependant la liste des Pères et Frères jésuites dont la mort est à peu près certaine. Beaucoup d’autres ont disparu, ou se trouvent en grand danger à Valence ou à Barcelone.

 

 

Province d’Aragon.

 

P. Félix Cots, Barcelone, 21 juillet 1936.

P. José Romá, Barcelone, 21 juillet 1936.

F. Felipe Iriondo, Barcelone, 21 juillet 1936.

P. Braulio Martinez, Tarragone, 21 juillet 1936.

P. Ramon Vendrell, Tarragone, 21 juillet 1936.

P. José M. Vives, Tarragone, 21 juillet 1936.

F. Lorenzo Isla, Tarragone, 21 juillet 1936.

P. Luis Baguñà, Gérone, 14 août 1936.

P. Joaquin Valenti, Gérone, 14 août 1936.

P. José A. Vergés, Gérone, 14 août 1936.

P. Miguel Mendoza, Barcelone, août-septembre 1936.

P. A. José Sampol, Barcelone, août-septembre 1936.

P. Tomás Sitjar, Gandia, septembre 1936.

F. Constantino Carbonell, Gandia, septembre 1936.

Deux Frères coadjuteurs, Gandia, septembre 1936.

P. Pablo Sori, Valence, septembre-octobre 1936.

F. Vicente Sales, Valence, septembre-octobre 1936.

F. José Tarrats, Valence, septembre-octobre 1936.

F. Ignacio Vila, San Vicente de Castellet.

P. José Muñoz, Barcelone, 14 octobre 1936.

P. Paulino Bertran, Manrèse, octobre 1936.

F. Juan Aragonés.

F. José Llatje, Tortosa.

P. Francisco Audi, Tortosa, octobre-novembre 1936.

F. Carlos Moncho, Tortosa, octobre-novembre 1936.

P. Juan Rovira, Tortosa, octobre-novembre 1936.

P. Jesus Ballesta, Madrid.

 

 

Province d’Andalousie.

 

P. Inocencio Muñoz, Malaga.

F. José Garcia Molina, Malaga.

P. Luis Cordillo, Malaga.

P. Leopoldo Barba, Malaga.

P. Ezequiel Gonzalez.

 

 

Province de Leon.

 

P. Nemesio Gonzalez, Gijon.

P. José Ruiz, Santander.

F. Gregorio Ruiz (novice), Santander.

F. Nicolas Serrano, Santander.

P. Agustin Fernandez.

P. José A. Iañez.

P. Marcial Mayorga.

 

 

Province de Tolède.

 

P. Martin Juste, Tolède.

F. Agustin Diaz, Tolède.

F. Félix Palacios, Tolède.

P. Ricardo Tena, Azuaga.

P. Ignacio de Velasco, Madrid.

P. Manuel de Larragan, Madrid.

P. Juan Gómez Hollin, Madrid.

P. Zacarias Garcia Villada, Madrid.

 

 

 

 

IV

 

MARTYRE DES PP. FELIX COTS ET JOSÉ ROMÁ

ET DU F. FELIPE IRIONDO

 

(d’après le témoignage oral du P. JOSÉ M. MURALL).

 

 

Le 16 juillet, fête de Notre-Dame du Carmel, je fus relevé de la fonction de Provincial. Je demandai alors à mon successeur, le P. Alfredo Mondria, la permission de me retirer à la maison de retraites que nous avons à Bonanova, afin de pouvoir travailler plus à l’aise. La communauté de cette maison se composait des PP. José Romá, ministre, et Saderra, confesseur des retraitants, du F. Iriondo, qui prenait soin de la maison et des domestiques. À ce moment, il y avait là aussi le P. Bassols, qui faisait travailler quelques enfants.

Le dimanche 19, il y eut des coups de fusils tirés dans les rues de Barcelone. Ce jour-là et le suivant, les révolutionnaires se mirent à incendier les églises, mais n’avaient pas encore commencé les fusillades. Je pensai que nous devions quitter la maison où nous étions, surtout à cause des enfants qui travaillaient là et qui, se trouvant ainsi hors de Barcelone, n’auraient pas pu sortir. Je dis à mes camarades que ceux d’entre eux qui concevaient quelque inquiétude pouvaient se transporter ailleurs. Nous emmenâmes le P. Saderra dans une autre maison. Et le P. Romá se retira à l’Hôpital des aveugles de Sainte-Lucie, qui était tout près. Nous restâmes donc tous deux, le F. Iriondo et moi. Nous ne soupçonnions pas alors qu’il y eût des massacres.

Le mardi 21, vers les neuf heures du matin, le P. Roma nous demanda par téléphone comment nous étions. Sur notre réponse qu’il n’y avait rien de nouveau, il dit qu’il viendrait passer un moment avec nous : ce qu’il fit. Peu après, je vis s’approcher de la maison le P. Cots, sans doute pour nous donner quelques instructions. Je me rappelle qu’en le voyant, il me vint à l’esprit de le comparer au Bon Pasteur, qui s’occupe de ses brebis. Il me dit de quitter ma soutane, mais je ne pus le faire immédiatement, parce que je n’avais pas d’autre vêtement sous la main.

Sur ce, s’approchèrent de la maison six individus avec des « mausers » et, derrière eux, un autre qui les dirigeait. La femme du propriétaire s’effraya. Je lui dis que, si ces gens appelaient, on vînt m’avertir. C’est ce qui eut lieu. En me présentant devant ces hommes, je leur demandai ce qu’ils voulaient. Ils ripostèrent en me demandant si nous avions des armes. Je leur dis que non, et ils montèrent pour fouiller la maison. Un d’entre eux m’avertit : « Ôtez tout de suite votre soutane, sinon l’on vous tue ! » Alors, le F. Iriondo m’apporta une mauvaise blouse. Le chef procédait à la perquisition. Je l’accompagnai quand il monta dans ma chambre, mais il me dit, sur un ton d’irritation : « Filez tout de suite, sinon je vous tue ici même ! » Nous descendîmes tous, devant la maison. Le chef mit un banc auprès de la porte et nous fit signe de nous y asseoir, mais il nous commanda de nous relever immédiatement. Avant de nous en aller, j’intercédai pour le P. Cots, en leur disant de le respecter, parce qu’il ne faisait point partie de cette maison, où il n’était venu que pour nous rendre visite. Le chef ne tint aucun compte de cette remarque et dit :

– Tout le monde aux autos !

Deux voitures attendaient dans la rue, avec les écriteaux : F.A.I. et C.N.T. Les trois prêtres, nous montons dans la première, et le F. Iriondo, derrière, dans la seconde. On voyait que notre chauffeur agissait par contrainte, ainsi que l’autre individu de Estat Catalá. La consigne fut donnée : « Au syndicat de la rue de Salmeron ! » Le chauffeur nous dit que, si nous voulions, il forcerait la vitesse pour nous délivrer. Nous n’acceptâmes point, croyant que ce serait plus dangereux pour nous et pour lui. Je me souviens que, pendant la route, le P. Cots répétait : « On va nous fusiller ! » J’ajoutai que nous devrions nous préparer à mourir. Ce que nous fîmes, en nous confessant mutuellement.

Arrivés au Syndicat, on nous laissa dans les autos, environ sept minutes. Pendant ce temps, notre voiture fut entourée par quelques syndicalistes, qui nous insultèrent d’une façon horrible, en disant entre autres choses : « Nous devons vous tuer parce que vous êtes des prêtres : il ne faut pas qu’un seul en réchappe ! »

On descendit du syndicat. Au lieu de l’homme de l’Estat Catalá, monta dans notre voiture un individu habillé en soldat, qui commanda au chauffeur : « À la Rabassada ! » Arrivés à cette route, au bout d’à peu près dix minutes, on nous fit descendre. Comme je me trouvais près de la portière, je sortis le premier. Derrière moi venaient les PP. Cots et Romá. Sur la route, on nous dit : « Montez vers la colline ! » Malgré que nous nous rendissions parfaitement compte de ce qui allait nous arriver, nous étions tout à fait calmes. Avant de quitter la route, je prononçai ces paroles : « Je meurs pour Jésus-Christ, je ne regrette rien et je pardonne à tout le monde ! » Les autres Pères s’exprimèrent à peu près de même. Sur ces entrefaites, le F. Iriondo sortit de l’autre voiture en criant : « Absolution ! » Le P. Romá la lui donna à voix haute, en faisant le signe de la croix. Alors le Frère se joignit à nous. Nous marchions sur une ligne, moi à gauche, le F. Iriondo à droite, et les deux autres au milieu. Quand nous eûmes gravi environ quatre mètres, on nous dit : Halte ! et nous reçûmes une grêle de balles. En les sentant, je levai instinctivement le bras droit. Une balle m’effleura la tête et m’atteignit au bras que j’avais levé. Je ne perdis pas connaissance. Je sentis seulement comme un courant électrique et je m’écroulai, la tête appuyée sur mon bras blessé. Alors, j’entendis ces mots : « Bandit ! assassin ! il veut s’échapper ! » Il me sembla reconnaître le F. Iriondo, qui remuait dans l’herbe. Ils l’achevèrent.

Je me rappelle que je pensais : « Mais je ne suis pas mort. Je n’aurai pas la joie de mourir martyr ! » Je respirais avec force, sans pouvoir m’en empêcher. Alors, quelqu’un dit : « Celui-là respire encore ! » Mais un autre répliqua : « Qu’est-ce que ça fait qu’il respire, puisqu’il a sa cervelle dehors ? » C’est que je perdais beaucoup de sang par la tête... Puis, je n’entendis plus rien.

Deux ou trois minutes après, je voulus me relever et je regardai mes compagnons. Les PP. Cots et Romá étaient restés penchés, leurs têtes se touchant presque. J’éprouvai un grand soulagement à voir ces martyrs et je jurai de témoigner de leur supplice. J’essayai de me lever, mais je retombai. Mon bras blessé me pesait, comme du plomb. Je rampai vers la route, pour me le faire soigner, mais je retombai encore. Néanmoins, j’avançais peu à peu. Un cycliste passa, qui me demanda : « Blessé ? » Je le priai de m’emmener à un endroit où l’on me panserait, mais, sans plus se soucier de moi, il partit, en me disant d’attendre le passage d’une auto.

Je regardai en bas, dans la direction de San Genis. Quoique je n’y visse pas bien clair, ayant perdu mes lunettes, j’aperçus une maison. Je me laissai rouler du côté de cette maison. Mais on ne me répondit pas. Je me dirigeai vers une autre maison, forçai un grillage qu’il y avait devant. On sortit pour me recevoir. En me voyant dans cet état, on eut pitié de moi, mais on n’osa point me laisser entrer. J’avouai à ces gens que j’étais un prêtre, et alors ils me permirent d’entrer. Ils parlèrent entre eux et décidèrent : « Emmenons-le dans une clinique du voisinage ! » Je leur demandai de me laisser m’étendre sur un lit parce que je ne pouvais plus me tenir.

Juste à ce moment, une auto de la F.A.I. se présenta. Le conducteur demanda s’il y avait un blessé, proposant de l’emmener. Puis il dit : « Où allons-nous ? » Je lui répondis qu’il me ferait plaisir en m’emmenant dans une clinique. Il hésita un instant, puis :

– Bah ! dit-il, c’est toujours un acte d’humanité que de soigner un blessé. Allons dans une clinique.

En arrivant, il dit à la Supérieure qu’il amenait un blessé, et il partit. Dans la clinique, on recousit la blessure de ma tête et on mit mon bras dans le plâtre.

Comme les anarchistes savaient où j’étais, ils se présentèrent plusieurs fois à la clinique, dans l’intention de me reprendre. De cela, le docteur ni les religieuses ne me disaient rien. Quand ils venaient demander s’il y avait là un blessé, le docteur répondait qu’on lui en avait bien amené un, mais qu’il était parti, une fois guéri. Quand ils voulaient perquisitionner, il les laissait seuls ; et, comme ils voyaient les autres malades bien tranquilles, ils ne se doutaient de rien. Ils n’entrèrent jamais dans ma chambre.

Sitôt arrivé dans la clinique, j’essayai de téléphoner aux nôtres pour les avertir du danger qu’ils couraient. Je ne me rappelai pas d’autre numéro de téléphone que celui du Père Provincial, mais ce dernier s’était transporté dans une autre maison. J’appelai la Supérieure pour lui dire ce qu’il en était, et la suppliai de me mettre en communication avec quelqu’un des nôtres. Je leur racontai tout ce qui venait d’arriver, parlant en latin, car dans la salle où j’étais il y avait un enfant malade. Je leur recommandai instamment d’essayer d’identifier le cadavre des trois martyrs, et de faire, quant à eux, tout leur possible pour se disperser et s’échapper.

Je demeurai à la clinique presque un mois, jusqu’au 16 août. Ce jour-là, je me rendis dans une maison, où je restai encore un mois, jusqu’à ce que la Providence me donnât le moyen de me transporter en Italie. Je quittai donc cette maison le 15 septembre, le 16, le bateau levait l’ancre, pour m’emmener à Marseille, où je débarquai le 17. Enfin, le lundi 21, j’avais le bonheur de rejoindre mes frères de la Communauté de San Remo.

 

 

 

 

V

 

RÉCIT D’UN ÉTUDIANT

 

 

Le Diario de Navarra, du 6 février dernier, raconte comment se sont échappés, après six mois de difficultés, trois étudiants du Collège que tenaient en Catalogne les Missionnaires du Cœur de Marie. Du récit de l’un d’eux, José M. Misser, nous extrayons ceci :

– Il est impossible que la haine de l’Enfer puisse porter à de pires excès. Les Rouges sont possédés par une véritable folie de haine contre la religion et ses ministres. M. le Magistral de Vich, le docteur Lladó, ayant demandé la permission d’adresser quelques mots aux assassins qui le tenaient en joue sous leurs fusils, leur dit : « Si, dans mon enfance, ma sainte mère ne m’avait pas inculqué la crainte de Dieu, si l’on ne m’avait pas, depuis mes plus jeunes ans, nourri de la doctrine chrétienne, je serais comme vous. C’est pourquoi, maintenant plus que jamais, je vous pardonne et je vous aime. Mes frères, je voudrais vous embrasser tous ! »

Mais le chef lui fit couper la langue ; ensuite on le fusilla, avec le docteur Ordeig, professeur au séminaire de cette ville. Et combien de héros sont restés anonymes ! Moi-même, je me suis heurté un jour au cadavre d’un tout jeune homme qui avait la tête complètement défigurée à coups de couteau. Je le fouillai, et trouvai dans les poches de son gilet un Rosaire et le Petit Office de la Sainte Vierge. Qui cela pouvait-il bien être ?

La liste des martyrs de notre Congrégation s’allonge chaque jour. Elle doit aujourd’hui contenir près de deux cents noms. Notre frère Julian Villanueva dit à un des miliciens qui le mettaient en joue avec leurs revolvers : « Si tu veux me tuer, je ne bougerai point d’un pas. Mais je crois que ce n’est pas ton heure. Un jour viendra où nous nous reverrons en face d’un juge auprès duquel ne te serviront de rien tes armes ni tes blasphèmes. Et comme nos destinées seront alors différentes ! » Ainsi parla le vaillant religieux navarrais et, pour lors, on le laissa tranquille. Une semaine s’étant écoulée, trente miliciens vinrent cerner la ferme où le brave frère était employé. Ils l’en tirèrent par ruse, et le fusillèrent au milieu de la route. Le P. Girona, Supérieur de l’Université de Cervera, subit un traitement pire encore. Il s’était réfugié à Manrèse, mais comme sa renommée de prédicateur était considérable, il fut promptement découvert, et fusillé, non sans avoir eu auparavant la langue, les oreilles et le nez coupés.

Mais le cas le plus épouvantable est celui qui eut lieu dans ladite ville de Cervera (province de Lérida), où furent sacrifiés jusqu’à huit cents missionnaires. Le P. Joan Maria Buxó, comme il avait été docteur en médecine avant d’embrasser la carrière ecclésiastique, se réfugia à l’hôpital, où il exerçait avec amour son ancienne profession. Vers la mi-septembre, arriva, du front de Huesca où il avait été blessé, un gros garçon d’une vingtaine d’années. Lorsque, grâce aux soins du P. Buxó, ce soldat rouge fut hors de danger, il dit à son sauveur : « Je te reconnais. Tu es un type de l’Université. J’en ai déjà descendu soixante-sept, tu seras le soixante-huitième. » Le Père ne cessa pas ses soins pour autant, de sorte que, dans la semaine, il put donner l’exeat au blessé. Qui l’aurait dit ? Cette brute, avant de quitter l’hôpital, assassina à coups de revolver le P. Buxó et quelques autres religieux malades, dont un pauvre aveugle de soixante-dix ans.

Aux noms des héros navarrais que vous connaissez déjà, vous pouvez ajouter ceux-ci, du martyre desquels je suis absolument certain : le F. Julian Villanueva ; les étudiants Teodoro Ruiz et Teodoro Dublan, tous deux de Bargota ; et Antonio Elizalde, de Echauri.

 

 

 

 

VI

 

UNE PREMIÈRE LISTE

 

 

Un groupe de prêtres, réunis à Rome, a dressé la liste suivante des curés assassinés en Catalogne pendant les premiers jours de la Révolution. Sur cette liste ne figurent que les noms des prêtres dont la mort fut immédiatement et rigoureusement vérifiée :

 

1. Antonio Forn, recteur de San Juan de Gracia.

2. Joaquin Canyis, recteur du Carmel, à Barcelone.

3. Fernando Molins, économe de Santa Monica.

4. Noguera, inscrit à Santa Monica.

5. Manuel Bargunyo, San Andres.

6. Gil Pares, Barcelone.

7. Palau, sacristain de Belen.

8. Moré.

9. Solano, inscrit à Santa Maria del Mar.

10. Delie, Santa Eulalia de Ronsana.

11. Rafart, inscrit à San Agustin.

12. Bota, Bonanova.

13. Teodoro Ferrer, Bonanova.

14. José Vich, économe des Josepets.

15. Delfin Ribas, séminaire.

16. Rigual, vicaire de Sant Pere de les Puelles.

17. Carrau, San Juan de Gracia.

18. Gelpi.

19. Orengo, vicaire de San Jaime.

20. Joaquin Pages.

21. Doménech, Vallcarca.

22. Antonio Vergés, Grand séminaire.

23. Le curé de la Prison modèle.

24. Derié, Sainte-Thérèse.

25. Torra, Bonanova.

26. José Colom, Gracia.

27. Malo, Casa Antúnez.

28. Casas, San Andrés.

29. Bellera, économe de San Quintin de Mediona.

30. Gelong, vicaire de Mediona.

31. Cuscó, recteur de Gavá.

32. Joaquin Massuet, vicaire de Gavá.

33. Paradis, recteur de Santa Oliva.

34. Catasus, curé de Torre Bonia.

35. Ballart, San Adrian del Besos.

36. Jaime Marti, San Adrian del Besos.

37. Viadiu, San Feliu de Codines.

38. Germá, San Feliu de Codines.

39. Boquet, San Feliu de Codines.

40. Guardiet, recteur de Rubi.

41. Ferrando, San Juan Despi.

42. Huguet, Barcelone.

43. Bosoms, vicaire de Monistrol.

44. Antonio Vinyals, Martorell.

45. Cuyas, vicaire de Martorell.

46. Marti, Trinidad de Vilafranca.

47. Grau, bénéficier de Vilafranca.

48. Balada, Vilafranca.

49. Espasa, Vilafranca.

50. Pedro Sadurni, Vilafranca.

51. Olivella, Vilafranca.

52. Le curé de « Las Mercedarias » de Martorell.

53. Casamitjana, Vallirana.

54. Le vicaire de Vallirana.

55. Buigas, Villanueva.

56. Dou, Villanueva.

57. Font, San Adrian del Besos.

58. Guilló, San Cugat del Vallés.

59. Abarcat, Castellar.

60. Torras, Castellar.

61. Mariné, Gelida.

62. Baranera, Canyet-Badalona.

63. Colomer, Reixach.

64. Castellá, Valldoreix.

65. Massana, Olesa.

66. Orriols, Marganell.

67. Roig, Cunit.

68. Batlle, Argentona.

69. Sala, Albiñana.

70. Puig, Lavern.

71. Busquets, Masquefa.

72. Oliveras, économe de « la Conception », de Barcelone.

73. José Gili, bénéficier de Sainte Maria, Igualada.

74. L’ancien recteur de Conillas.

75. Bordas, Sitges.

76. Le recteur d’Alp.

77. Eugenio Arnau, Ripollet.

78. Civil, Molins de Rey.

79. Crespi, Esparraguera.

80. Alfredo Cisa.

81. Pou, l’Immaculée de Sabadell.

82. Rovira, La Floresta.

83. Ribot, Castellet.

84. Cayetano Clausellas, Sabadell.

85. Rosell, Olivella.

86. Enrique Sacasses, doyen de Granollers.

87. Juan Fortuny.

88. Quintin Mallofré, San Andrés.

89. J osé Samsó, recteur de Santa Maria de Mataró.

90. José Pla, Fomento de Piedad.

91. Manuel Roca, Vallbona.

92. Le curé des Petites sœurs des Pauvres.

93. Rusó, Hospice.

94. Juliá, Granollers.

95. Estrada.

96. Torrents, La Concepción, Barcelone.

97. Vidal, séminaire.

98. Torrents, séminaire.

99. Camps, ancien recteur de Capellades.

100. Luis Homs Ginesta, bénéficier de Sant Pere de les Puelles.

101. Ramón Homs Ginesta, aumônier des Petites Sœurs des Pauvres à Barcelone, r. Casp.

102. José Homs, Tarrasa.

103. Gaspar Vilarubias.

104. Domingo Avellaneda, secrétaire du Vicariat, Barcelone.

105. Eufemio Rodriguez, chanoine de Barcelone.

106. Luis Rocabert.

107. Sevillano, paroisse de Sainte Marie del Mar.

108. Godall, Badalona.

109. Eloi, Sans.

110. Ramon Massaguer, Sabadell, paroisse de la Conception.

111. Jané, Hospitalet.

112. Francás, Salomon.

113. Juncosa, Santa Eulalia de Villapiscina.

114. Raventós, Masllorens.

115. Escoda, Villarodona.

116. Le vicaire de Villarodona.

117. Luis Miquel, économe de San José de Mataró.

118. Palet, Cornellá.

119. Borrás, Vilasar.

120. Pedro Soler, Écoles chrétiennes de Premiá.

121. Peris, recteur du séminaire.

122. Roca, San Cugat del Vallés.

123. Le recteur de San Justo.

124. Luis Feliu, San Justo, de Barcelone.

125. Giral, Badalona.

126. Giral neveu, Badalona.

127. José Riera, Badalona.

128. Juan Icart, curé de San José Oriol.

129. José Juliano, économe de la paroisse de Cristo-Rey, Barcelone.

130. Federico Muset, maître de chapelle de Santa Maria del Mar.

131. Nicolau, paroisse du Corpus Christi, Barcelone.

132. Oliveras, paroisse de la Conception, Barcelone.

133. Palau, sacristain de l’église de Bethléem, Barcelone.

134. Parès, frère de Gil Parès, Sainte Famille, Barcelone.

135. Le curé de Sainte-Marie de Sans.

136. Le curé de Sainte-Monique, Barcelone.

137. Fidel Rauric, curé de Campins.

138. José Vich, paroisse des Josepets, à Barcelone.

139. Guilla, sant Hilari Sacalm.

140. Le curé de Bellmunt del Priorat.

141. Francisco Pelegri, curé des Carmélites, Borges Blanques.

142. Palet, Coronellà.

143. Le curé de Falset.

144. Un vicaire de Falset.

145. Autre vicaire de Falset.

146. Ponjuàn, La Bisbal.

147. Luis Burgaroles, Sant Feliu de Guixols.

148. Fornells, Matarô.

149. Jané, Hospitalet.

150. Borràs Aguilera, Igualada.

151. Francisco Ma Colomer, bénéficier de Santa-Maria, Igualada.

152. P. Creus, bénéficier de Santa Maria, Igualada.

153. José Forn, bénéficier de Santa Maria, Igualada.

154. Marcos Terradellas, paroisse de La Soledad, Igualada.

155. Le curé de Palafrugell.

156. Aymeto, Léride.

157. Fàbregas, Léride.

158. Esteban Farreri, Léride.

159. Lamolla, Léride.

160. Le curé tel Carme, Léride.

161. Le curé de Sant Llorenç, Léride.

162. Le curé de Sant Joan, Léride.

163. Pin, Léride.

164. Ramon, Léride.

165. Reig, Léride.

166. Bonet, Sant Jaume de Llierca.

167. Deu, Olot.

168. Félix Farró, paroisse d’Olot.

169. Mir, Olot.

170. Le curé de La Cot.

171. José Piarnal, curé de Tura.

172. Tapies, paroisse de Pobla de Segur.

173. Pedro Bragulat, curé d’Arcabell.

174. Ferrer Saló, Puigcerdà.

175. Jaime Marti, Puigcerdà.

176. Antonio Monso, Puigcerdà.

177. Antonio Tort, Puigcerdà.

178. Caballeria, Ripoll.

179. Ragué, Ripoll.

180. Santenach, Ripoll.

181. Vilalta, Ripoll.

182. Francisco Fontclara, curé de Rosas.

183. Un vicaire de Rosas.

184. Autre vicaire de Rosas.

185. Juan Massaguer, vicaire de Sant Felui, Sabadell.

186. Cargol, curé de Sant Pere Pescador.

187. Ribot, Sant Vicens de Castellet.

188. Cartanyà, Tarragone.

189. Company, Tarragone.

190. Antonio Fuster, Tarragone.

191. Juan Moravá, Tarragone.

192. Mur, Tarragone.

193. Antonio Parera, Tarragone.

194. Pablo Rosselló, Tarragone.

195. Jaime Catasus, Tarrasa.

196. Le curé de Tordera.

197. Le curé de Vallfogona de Riucorp.

198. Miguel Piera, Vallfogona de Riucorp.

199. Le curé de Perafita.

200. Joan Vallés, Vich.

201. Pedro Verdaguer, Vich.

202. Buigas, Vilanova y Geltrú.

203. Dou, Vilanova y Geltrú.

 

 

 

 

VII

 

LE VANDALISME ANTIRELIGIEUX

ET ANTIARTISTIQUE EN CATALOGNE

 

 

Le « Comissariat de Propaganda » de la « Generalitat de Catalunya » vient d’éditer en France une brochure sous le titre : Le Sauvetage du patrimoine historique et artistique de la Catalogne. Elle est illustrée avec des photographies de belles pièces de l’art catalan du moyen âge.

Le but de cette brochure est de démontrer que la « Conselleria de Cultura », le service d’entretien des monuments et les techniciens des musées, bibliothèques et archives de la Catalogne ont beaucoup travaillé à partir du 19 juillet 1936 pour « sauver des flammes les trésors d’art accumulés par le temps dans les musées, les églises et les maisons particulières » (p. 1).

On sait qu’il n’y a pas eu de guerre en Catalogne ; que la révolte militaire a été vaincue au bout de deux jours à Barcelone ; que tout ce qui est arrivé en Catalogne a été le résultat d’une révolution intérieure, avec des destructions massives et l’empire de la terreur ; et enfin que cette révolution a été dirigée par des éléments qui ont gouverné (!) la Generalitat pendant ces dix mois d’anarchie.

La brochure de la Generalitat n’explique pas pourquoi a-t-il fallu sauver des flammes les trésors d’art. Qui a gouverné la Catalogne, depuis le 19 juillet si ce n’est la Generalitat ? Elle est donc responsable des actes de vandalisme qu’on a commis copieusement depuis cette date en Catalogne ; il ne faudrait donc pas parler de ce qu’on a sauvé, mais de ce qu’on a détruit ; la liste la plus intéressante serait, bien plus que celle des monuments et des objets qu’on a sauvés, celle des monuments et des objets qu’on a détruits. Et expliquer pourquoi ; car rien ne justifie une seule destruction.

La brochure n’explique donc pas pourquoi dans une région située très à l’arrière, où les autorités ont proclamé à partir du 19 juillet qu’elles étaient maîtresses de la situation et qu’on vivait là normalement, il a fallu sauver les objets artistiques des musées, des églises et des maisons particulières. Imagine-t-on le gouvernement d’un pays quelconque, où il serait le maître incontesté, faisant le bilan des œuvres qu’il a sauvé des flammes ? S’il y avait des flammes, et elles n’étaient pas dues à un cataclysme naturel, il y avait des incendiaires. Et, qui étaient ces incendiaires ? On les connaît : les comités des partis et des groupements syndicaux qui commandaient à la Generalitat.

La brochure n’explique non plus pourquoi étaient en danger, justement, les objets artistiques des musées, des églises et des maisons particulières ? Pourquoi attaquait-on les trésors artistiques et historiques, les monuments religieux et les collections des amateurs d’art ?

Par les mots qui définissent le but de la brochure en question, son auteur a défini les caractères même de la barbarie.

De la lecture de cette brochure on déduit :

Qu’ont subi le danger de l’incendie les objets des musées ;

Que la plupart des églises de la Catalogne ont été détruites, incendiées ou saccagées, et que les églises sauvées de la destruction ont été dépossédées de tous leurs objets, de sorte qu’il ne reste aucune église en Catalogne ni propre au service du culte, ni en conditions de le rétablir. Les explications que donne la brochure sur l’emploi auquel seront destinées certaines églises non détruites, nous indique qu’on considère comme disparu pour toujours le culte catholique en Catalogne.

On déduit encore que non seulement ont été attaqués les monuments religieux, mais aussi les monuments purement artistiques ou historiques, comme le fameux arc romain de Barà, détruit à la dynamite et maintenant en reconstruction.

On déduit, enfin, qu’on a pillé et saccagé les maisons particulières. On ne dit pas sous quel prétexte. On justifie le pillage au nom du « bien public ».

 

Voici quelques allusions aux actes de vandalisme : « Que ces lignes soient un hommage... aux citoyens anonymes qui arrachèrent aux flammes presque tous les objets du musée du séminaire de Barcelone... à ceux qui sauvèrent les cathédrales et les monastères ; à ceux qui éteignirent les premières lueurs qui menaçaient de réduire en cendres le musée de Vic et à tous ceux qui réussirent à imposer la valeur, purement morale, des monuments artistiques voués à être détruits par l’incendie dans l’exaltation des premières journées révolutionnaires » (p. 1-2).

 

Remarquons que ces sauveurs sont des citoyens anonymes, c’est-à-dire n’appartenant pas évidemment aux groupes révolutionnaires, et donc ennemis du gouvernement. D’ailleurs ces mots sur la valeur des objets, « purement morale », pour éviter de dire religieuse, sont impayables.

« La Conselleria de Cultura... lança les premiers décrets... alors... que les églises brûlaient » (p. 3).

« Et on confia à une entreprise particulière l’opération d’extraire des cendres des autels brûlés dans les églises de Catalogne l’or qui y était mêlé » (p. 4).

« Voilà comment, petit à petit, l’action de ces citoyens enthousiastes et anonymes se propagea. Le spectacle de la destruction fit naître une envie furieuse de conserver » (p. 5).

Et voilà comme le rédacteur de la brochure s’attendrit sur les incendiaires de couvents :

« Les plus exaltés, lorsqu’ils allaient mettre le feu à un couvent, séparaient d’abord les objets du culte et les soumettaient à l’expertise des spécialistes d’art... » (p. 5).

Voilà comme nous apprenons l’incendie de plusieurs églises de Barcelone :

« Lorsque le calme revint, on procéda à l’examen des édifices brûlés. Cela permit de sauver en partie le trésor artistique des églises de « la Mercè », du « Pi », de « Saut Cugat », de « Santa Agna » et de quelques autres. Les brigades municipales murèrent toutes les portes et fenêtres praticables pour éviter les dangers de l’invasion des vagabonds et des profiteurs » (p. 5).

« Parmi les projets de réforme des édifices mis sous séquestre », on mentionne :

« De l’église de Bethléem, au style baroque, détruite à l’intérieur, mais conservant intactes toutes les façades, on en fera un grand marché aux fleurs » (p. 6).

Voici des nouvelles de Lérida :

« La cathédrale nouvelle fut brûlée par des groupes irresponsables, malgré la résistance que les habitants de Lérida, enthousiastes des belles choses, leur opposèrent. Dans cet incendie, les stalles du chœur, sculptées par Bonifàs, furent détruites. »

« L’église de Sant-Llorenç fut aussi victime d’un incendie... » (p. 10).

De Vic :

« Cette ville a perdu l’église gothique de la « Mercè », le décor baroque de beaucoup d’églises et couvents et la partie néo-classique de la cathédrale décorée par J.-M. Sert » (p. 11).

« Manresa, qui a vu la destruction de trois monuments très importants du quatorzième siècle (Carmel, Sant Miguel et Sant Domènec) conserve intacte la cathédrale... » (p. 15).

La Conselleria mit sous contrôle « toutes les démolitions, si urgentes et nécessaires fussent-elles. Cela évita la disparition de quelques monuments religieux et la mutilation ou la restauration peu heureuse des bâtiments civils et des monastères mis sous séquestre » (p. 16).

« Un des problèmes... fut le sauvetage des peintures murales conservées encore sur place, souvent dans des églises à moitié détruites ou bien utilisées pour des besoins qui pouvaient leur être nuisibles » (p. 16).

« Le récit des catastrophes arrivées en Aragon... décida la Generalitat à détacher quelques délégations... » (p. 17).

« On détacha les peintures murales de la Salle Capitulaire de Sixena, car par suite de l’incendie du monastère le toit de cette salle était tombé et ses peintures étaient exposées aux intempéries » (p. 17).

La brochure établit le bilan (p. 18) le 31 décembre 1936. Il s’adresse à « la plupart des gens » qui croient « que la Catalogne a sacrifié sur l’autel de la Révolution un très important pourcentage des objets artistiques que les siècles lui avaient légués ».

« Telle était aussi notre conviction lorsque nous avons commencé nos travaux... Mais... quoique L’ON AIT PERDU DE GRANDS MONUMENTS ET DES PIÈCES DE TOUT PREMIER ORDRE, ce que l’on a perdu est... moins considérable que ce que d’après les apparences on pourrait croire » (p. 18).

Pour le prouver, le rédacteur de la brochure établit la statistique du trésor meuble (sculpture, peinture, orfèvrerie, étoffes, broderies, etc.) de l’art médiéval de Catalogne. Il se réduit au seul trésor meuble et au seul art médiéval, dont les musées, les cathédrales et les collections privées possédaient la plupart. Le reste était possédé par les églises paroissiales et rurales, celles qui ont été détruites et où on a commis des dégâts. Le tiers de ce que possédaient ces églises a été détruit, d’après le témoignage officiel de la Generalitat.

À la fin de la brochure, on publie la liste des « monuments essentiels de l’art médiéval catalan ».

Voici par ordre alphabétique de localités ceux qui, officiellement, ont été détruits :

 

Albatarrec. – Peinture sur table de Jaume Ferrer, quinzième siècle. (Brûlée.)

Argentona. – Retable, seizième siècle. (Brûlé.)

Barcelone. – Église de Santa Maria de Pi, quatorzième siècle. (En partie brûlée.)

– Église paroissiale de Sarrià. Retable de Jaume Serra, quatorzième siècle. (Brûlé.)

– Église de Santa Anna, quatorzième siècle. (En partie détruite.)

– Table de Pere Serra, quatorzième siècle, et trois tables de Bermejo, quinzième siècle. (Brûlées.)

– Église de Santa Maria del Mar, quatorzième siècle. (Intérieur brûlé.)

– Deux tables du Mestre de Sant Jordi. (Brûlées.)

Bellpuig. – Retable de Ferrer Bassa, quatorzième siècle. (Disparu.)

Caldes de Montbui. – Majesté, douzième siècle. (Brûlée en partie.)

La Granadella. – Trois retables gothiques, quinzième siècle. (Brûlés.)

Lérida. – Cathédrale nouvelle. (En partie brûlée.)

Manresa. – Église du Carmel, quatorzième siècle. (Détruite.)

– Église de Sant Miquel, quatorzième siècle. (Détruite.)

– Église de Sant Domènec, quatorzième siècle. (Détruite.)

Sant Esteve d’En Bas. – Église, douzième siècle. Retable de Jean Gascò, seizième siècle. (Brûlés.)

Sant Jean de les Abadesses. – Église Sant Pol. (Abside mutilée.)

Sant Marti Sarroca. – Église treizième siècle. Vierge romane. (Brûlées.)

Sant Pere de Vilamajor. – Retable de Jean Gascò, quatorzième siècle. (Brûlé.)

La Seu d’Urgell. – Missel, quatorzième siècle. (Disparu.)

– Calice, quinzième siècle. (Disparu.)

Tiana. – Fragment d’un retable de Jaume Huguet, quinzième siècle. (Brûlé.)

Vic. – Cathédrale. (En partie brûlée.)

Vilovi d’Onyar. – Retable de l’an 1300. (Brûlé.)

 

La brochure donne une liste des collections privées mises sous séquestre ; elle ne fournit toutefois aucun détail sur les pièces sauvées ; or, on sait qu’une belle partie des œuvres d’art de ces collections ont été détruites ou volées ; plusieurs de celles-ci sont en vente à l’étranger.

En conclusion, on ne peut accorder de crédit à cette brochure de la Generalitat, parce qu’elle est tendancieuse et cache une grande partie de la vérité.

Par contre, on peut d’après ce document officiel déduire avec certitude que :

au point de vue religieux :

Toutes les églises, les monastères et les couvents de la Catalogne ont été brûlés, ou saccagés, ou dépourvus de leurs objets religieux ;

et au point de vue artistique :

ON A PERDU DE GRANDS MONUMENTS ET DES PIÈCES DE TOUT PREMIER ORDRE.

 

 

***, La persécution religieuse en Espagne, 1937.

 

Traduction de Francis de Miomandre.

 

 

 

 

 

 



1 Miguel Maura, catholique.

2 Traduction française des œuvres de Marx : Œuvres philosophiques, t. I, p. 84, Costes, 1927.

3 L’histoire de Largo Caballero, collaborateur de Primo de Rivera, n’annonçait pas le futur Lénine espagnol, proclamé par MM. Araquistain et Alvarez del Vayo, revenant de Russie en 1935.

4 Voir à l’appendice, le texte de cette lettre.

5 Joan PETRO. Perull a la reraguarda. Edicions Llibertat. Mataro, 1936. Voici les mots exacts à la page 6 : « ... J’affirme avec pleine responsabilité que tous les secteurs antifascistes, en commençant par Estat Catalá et en finissant par le P. O. U. M., en passant par la Gauche Républicaine et par le P. S. O. C., ont donné un contingent de voleurs et d’assassins égal, au moins, à celui donné par la C. N. T. et la F. A. I. »

6 PEIRÓ, op. cit., p. 69-71 et passim.

7 Dans le but de démontrer qu’on a sauvé les objets d’art religieux en Catalogne, la Généralité a organisée à Paris, à partir du mois de mars 1936, une Exposition d’Art catalan ancien. Les pièces exposées étaient, pour la plupart, déjà dans les Musées. Une petite part, des objets d’orfèvrerie spécialement, ont été sauvés de la destruction et du vol : ce n’est qu’une petite part de ce qui a disparu. D’ailleurs, ce n’est pas dans les collections et les Musées que l’œuvre d’art religieux a sa vie propre, mais dans les églises, aujourd’hui dépouillées. Voire l’appendice no VI.

8 Voir l’Appendice III.

9 Voir à l’appendice IV son récit.

10 Au moment où nous corrigeons les épreuves de ce livre, un autre « appel » vient jeter de nouveau le trouble dans les consciences. Cette fois le prétexte est le bombardement de Guernica, alors qu’on a déjà prouvé que la destruction de la ville sacrée des Basques est due aux Rouges avant de se retirer, continuant ainsi l’emploi de la tactique destructive déjà employée par eux, comme tout le monde sait, à Irun et à Eibar.

Nous voyons avec grande peine, signant cet appel, les noms de François Mauriac, Charles Du Bos, Gabriel Marcel, Jacques Maritain, Jean de Pange, etc. « Rien ne justifie, rien n’excuse – disent-ils – des bombardements de villes ouvertes... » Et ils adressent un « appel angoissé... pour que cesse immédiatement le massacre des non-combattants ».

Parfait, absolument d’accord. Mais alors on se demande pourquoi ces écrivains catholiques n’ont pas protesté contre le bombardement des cathédrales de Saragosse et de Palma de Majorque et des villes ouvertes comme Valladolid ; les massacres de non-combattants comme ceux de Malaga, Madrid, Barcelone et partout dans la zone rouge ; les massacres d’otages à Bilbao, à Barcelone, à Tarragone ; l’extermination du clergé et la destruction des églises, par milliers et milliers de cas, dans la zone rouge. Nous lançons aussi un pourquoi angoissé.

Par suite de l’occupation de Biscaye par l’armée blanche, nous venons d’apprendre ce que sont devenus les édifices religieux, en pays basque, sous la domination des milices rouges.

Lorsque les milices rouges occupaient encore Durango, elles consentirent à ce que l’église de Sante Maria de Uribarri soit occupée et profanée : elle servit de poudrière d’abord et de magasin d’intendance ensuite. Les couvents furent également occupés et transformés en casernes pour les miliciens rouges. L’église Sainte-Anne fut transformée en écurie et l’église de Tabira fut profanée ; la statue de saint Pierre y fut fusillée et décapitée.

11 La visite s’est reproduite, en avril, avec le doyen de Canterbury en tête, et les mêmes résultats pour la propagande rouge.

12 Le journal officiel du gouvernement de la Generalitat a publié déjà plusieurs listes des localités catalanes, qui portaient le nom d’un saint, et qui ont été changés par d’autres noms laïques. Le journal El Diluvio a publié la liste de 79 noms changés.

13 Et la Junta de Défense de Madrid a ouvert hune chapelle protestante un dimanche matin pour que la comtesse Attlee, qui était aussi partie en mission, puisse entendre le service divin. Cela prouve seulement qu’on soigne la propagande en Angleterre.

14 Louis BERTRAND, l’Espagne de toujours, dans la Revue universelle du 15 février 1937.

15 Le texte original de cette lettre ouverte a été publié en espagnol par l’imprimerie Bescansa, de Pampelune.

16 Il convient d’expliquer cette affirmation du docteur Gomà : Le standing de vie de l’ouvrier espagnol dans le Nord et en Catalogne était égal ou supérieur à celui de l’ouvrier européen le mieux payé, non seulement par la rétribution du travail, mais aussi par le degré de son bien-être, auquel contribuait le climat, le bon marché des loyers et de quelques produits alimentaires, etc.

 

 

 

 

 

 

 

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