Traité de la prière

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Honoré de BALZAC

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notre doctrine sur la prière aura un mérite ; c’est d’être, nous le croyons, un des besoins du siècle. En effet, maintenant le principe religieux doit être mis à la portée des âmes neuves qui se sont comme retrempées, et l’on conviendra que les prières écrites, quoique souvent empreintes d’une étonnante simplicité et d’une naïveté dignes du sujet, sont en quelque sorte étroites et renferment l’âme dans un espace où elle souffre. Cette observation ne concerne en aucune manière les extraits des livres sacrés lorsqu’ils sont bien appropriés aux circonstances mais bien ces sèches prières qui ne se sont échappées d’aucune âme fortement exaltée, et qui, semblables à ces instruments imparfaits qui manquent dans la main de l’ouvrier, loin de porter le cœur vers le ciel, le laissent en chemin.

C’est sous ce rapport que souvent un seul mot produit plus d’effet que toute une oraison, et dans cette interprétation sublime, ô mon père !... adressée à Dieu, sainte Thérèse trouvait pour une semaine de méditation. Oui, Sainte fille, oui, vierge étonnante, il y aura peu d’âmes, parmi celles où brille le feu sacré de l’amour divin, qui ne comprennent ta paraphrase éloquente d’enthousiasme ; et ton âme pleine de tendresse en disant : ô mon père ! se rejetait tout entière avec toute sa force sur le spectacle du monde, sur ce tableau étincelant de bonté ; tu admirais cette prévoyance paternelle qui ne laisse périr aucune race, qui veille au nid de l’hirondelle, au lit conjugal des lions, comme au palais des rois, au chaume des malheureux, aux toits industrieux des fourmis et de l’abeille. Tu t’écriais en voyant le vice toujours découvert et toujours puni… ô mon père. Tu disais : ô mon père, en apprenant que la mère ne survivait pas longtemps à la perte d’un fils, et ton âme, franchissant les espaces, ouvrait la porte des cieux, marchait sur les parvis, et assistait à la fête de ces deux âmes de retour dans les cieux, leur première patrie, et, en voyant le sourire des anges, qui tressaillaient d’amour à l’aspect du mélange de ces deux âmes mille fois heureuses, tu disais : ô mon père !... Comment aurais-tu pu penser à la terre en planant ainsi parmi les torrents de lumière de l’Éden, en respirant d’avance l’odeur des roses éternelles, en écoutant les voix des harpes célestes, en voyant de tes yeux s’agiter les plumes des anges et briller les étincelles de leurs auréoles et mêlant les discours aux discours pleins d’amour qui forment leurs concerts ? Ô mon père, appelle-moi bientôt, à ces banquets, ô mon père, que je puisse parcourir la ligne radieuse que parcourt le soleil ; que je te voie face à face, ô mon père, je t’ai dédié tout mon amour, donne-moi toutes tes grâces !... Tu disais : Ô mon père, et mille fois ô mon père, en lui demandant le trésor de ses grâces pour les malades, les affligés, les voyageurs souffrants, les prisonniers et les condamnés au tardif repentir. Et encore mon père !... quand ton âme chastement ambitieuse désirait connaître les derniers secrets de la nature.

Encore ces paroles ne rendent-elles que d’une manière bien imparfaite les élans, le charme, le sublime d’une méditation sacrée lorsque l’âme y est tout entière, y reste pure, et n’agit que sur elle-même en se dégageant de toutes les souillures terrestres dont elle s’est écartée. Voilà une faible esquisse de ce que nous présumons avoir été le langage intime, la pensée pure de cette sainte si voluptueusement tendre dans ses adorations.

Ainsi la véritable cause de l’indifférence que les peuples de certaines parties de l’Europe avaient naguère en fait de religion, vient de ce défaut dans le culte apparent du christianisme, fruit des annexes de dix-huit siècles, et qui consistait à n’offrir aucune prise aux âmes fortes des hommes plus éclairés et à l’âme plus disposée aux jouissances vives des femmes. La prière envisagée comme nous allons l’exposer, fait disparaître le vice provenu des hommes et rendra aux âmes amoureuses des choses célestes et sublimes un des grands véhicules de l’âme vers les célestes régions, et la religion catholique devra recevoir un nouveau lustre de cette doctrine large et magnifique dans ses effets.

Comme je suis allé dans une sphère de joies lumineuses et de voluptés continuelles par une voie que tout homme peut prendre, j’ai pensé qu’il était charitable de dire aux autres combien furent douces mes initiations, combien fut facile mon allure dans ce sentier dès que j’eus franchi les premiers obstacles ; quels fruits savoureux ont rafraîchi mon palais desséché ; sur quelle herbe molle je me suis reposé, de quelles suavités la Voix enchanta mon oreille, de quels nourrissants parfums mon âme fut réjouie, car mon bonheur étant infini, satisfaisant les ambitions des cœurs humides, un chacun attiré du côté de Dieu, cheminera dans cette voie où se trouve une pâture inépuisable et sans dégoût pour les appétits renaissants, que le monde blase sans les contenter jamais.

Je serai forcé d’entrer en quelques détails de la vie ordinaire, de parler de moi-même ; mais je ne rapporterai que les faits par lesquels je puis correspondre avec les autres, afin qu’en leur disant moi, je leur dise déjà vous ; à ces marques, ils mesureront la distance à laquelle je me tiens, ils reconnaîtront et la vérité de cette Écriture entreprise par les commandements d’un Esprit qui rayonnait en moi !

Ceux qui liront ce livre sont priés d’apporter à cette œuvre le calme nécessaire pour découvrir le sens du Verbe et de l’écouter avec l’attention que le voyageur accorde au guide qui le conduit au gîte hospitalier à travers les précipices, et pendant que tombent les neiges de l’ouragan.

 

 

 

Honoré de BALZAC.

 

Œuvre inachevée.

 

Recueilli dans l’Anthologie littéraire de l’occultisme,

de Robert Kanters et Robert Amadou,

Seghers, 1950.

 

 

 

 

 

 

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