Cauchy

GÉOMÈTRE, MATHÉMATICIEN, MEMBRE DE L’INSTITUT

(1789-1857)

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Armand BARAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Je suis chrétien avec Descartes, Copernic, Newton, Pascal, Euler, Gerdil ; je suis catholique encore comme l’ont été Corneille, Racine, La Bruyère, Bossuet, Bourdaloue, Fénelon. »

(CAUCHY.)

 

 

 

« Qui pourra peindre le vrai chrétien, remplissant avec foi et amour tous les devoirs de loyauté, de probité, de charité affectueuse, que la religion nous prescrit envers nous-mêmes et envers les autres ? Heureux celui en qui Dieu, pour notre exemple, a voulu ainsi mêler les dons du génie et ceux du cœur ! »

Tel est l’éloge que le célèbre Biot faisait de son collègue à l’Institut, le baron Cauchy.

Augustin-Louis Cauchy, né à Paris de parents très chrétiens, fut élève de l’École polytechnique et de celle des ponts et chaussées, puis attaché jeune encore, en qualité d’ingénieur, aux travaux du port de Cherbourg. Nommé membre de l’Institut et ayant refusé le serment de fidélité au nouveau gouvernement en 1830, il se retira en Sardaigne, où le roi, fier de le posséder, créa pour lui à Turin une chaire spéciale de mathématiques.

En 1832, Charles X l’appela à Prague pour y travailler à l’éducation scientifique du comte de Chambord. En 1838, sa mission accomplie, Cauchy revint à Paris prendre sa place à l’Institut, et après 48 il occupa la chaire d’astronomie mathématique à la Faculté des sciences de Paris. Ses recherches ont porté sur toutes les branches des mathématiques. Il a enrichi plusieurs revues et journaux d’un grand nombre de mémoires sur ce sujet.

C’est là l’abrégé de sa carrière de savant ; mais celle de chrétien mériterait de plus longs détails, pour lesquels nous renvoyons le lecteur à sa Vie, écrite par M. Valson, doyen de la Faculté catholique des sciences de Lyon.

Nous nous bornerons ici à quelques détails édifiants que lui-même nous a fait connaître.

Voici un article de son règlement de première communion :

« Je ne me vanterai jamais du peu de science que j’ai acquis par les soins de mon père, me représentant d’abord que si je sais quelque chose, c’est uniquement à cause des soins que mon père a pris de moi, et ensuite que les sciences humaines ne sont rien auprès de celle du salut, et qu’il ne me servirait de rien de les connaître toutes, si je n’avais cette dernière. »

À l’École polytechnique, où il fut admis à l’âge de seize ans, on le voyait, agenouillé au pied de son lit, réciter ses prières sans aucun respect humain, et à Cherbourg il assistait avec une extrême régularité aux offices de sa paroisse.

Pour rassurer sa mère, inquiète de sa persévérance dans ce milieu si nouveau pour lui, il écrivait :

« On dit que la dévotion me fera tourner la tête ; quelles sont les personnes qui disent cela ? Ce ne sont pas celles qui ont beaucoup de religion ; celles-ci ne m’en ont parlé que pour m’encourager dans ma ligne de conduite, et tout ce qu’on m’a rapporté à ce sujet ne prouve pas qu’elles me blâment... Qu’y a-t-il donc dans la religion qui soit propre à faire tourner la tête ? Serait-ce d’assister aux offices de sa paroisse ? de remplir les devoirs du christianisme ? de s’approcher des sacrements plusieurs fois l’année ? Je ne le pense pas, et la plus grande obligation que je puisse vous avoir, ma chère mère, est de m’avoir élevé de bonne heure dans ces saints exercices. Grâces soient rendues à vous, bien chers parents, qui ne m’avez jamais donné que de bons conseils à suivre et de bons exemples à imiter ! Grâces soient rendues à Dieu, qui m’a fait naître de parents si chrétiens et m’a donné tous les moyens de le servir !

« Si l’on envoyait tous les fous aux Petites-Maisons, on y trouverait plus de philosophes que de chrétiens... En voilà bien long sur ce sujet, mais je tenais à vous prouver que je n’ai pas perdu la tête. Si vous en voulez une autre preuve, ma bonne mère, c’est que je vous aime toujours autant, et que je reste conséquent avec moi-même en vous embrassant de tout mon cœur. »

Il a porté le défi suivant à la science moderne :

« Cultivez avec ardeur les sciences abstraites et les sciences naturelles ; décomposez la matière ; dévoilez à nos regards surpris les merveilles de la matière ; explorez, s’il se peut, toutes les parties de cet univers ; fouillez ensuite les annales des nations, les histoires des anciens peuples ; consultez sur toute la surface du globe les vieux monuments des siècles passés. Loin d’être alarmé de vos recherches, je les provoquerai sans cesse, je les encouragerai de mes efforts et de mes vœux ; je ne craindrai pas que la vérité se trouve en contradiction avec elle-même, ni que les faits et les documents par vous recueillis puissent jamais n’être pas d’accord avec nos Livres sacrés... Je me suis enfoncé dans l’étude des sciences humaines, particulièrement dans celles qu’on nomme les sciences exactes, et j’ai de plus en plus reconnu la vérité de ces paroles de Bacon, que si un peu de philosophie nous rend incrédules, beaucoup de philosophie nous ramène à être chrétiens. J’ai vu que toutes les attaques dirigées contre la révélation ont abouti à en fournir de nouvelles preuves. »

II était poète à ses heures, dit l’abbé Saillard, et, selon son expression, il aimait, tout en suivant les traces d’Euclide, à cueillir quelques fleurs sur les tombes d’Homère, de Virgile et d’Horace. Comme on le voit par les vers suivants, il défend la science, qu’il aimait tant, dans un langage que n’eussent point désavoué les meilleurs poètes.

 

            Tandis qu’avec fureur d’autres se font la guerre

            Et pour un vain caprice ensanglantent la terre,

            Qui va, dans un moment, disparaître à leurs yeux,

            Plus heureux, l’astronome a regardé les cieux...

            Là se lisent la gloire et la magnificence

            Du Dieu dont l’univers atteste la puissance ;

            Là se peignent encore et le calme et la paix ;

            Là règne sans partage et triomphe à jamais

            Celui qui des soleils a tracé la carrière,

            De la nuit du chaos fit jaillir la lumière,

                    Allumé le flambeau du jour,

                    Transformé la vile poussière

            En cet homme, le fruit, l’objet de tant d’amour.

                    Mais à des spectacles pareils

            Mon esprit se confond, je me tais et j’adore

                    Celui dont le nom glorieux

            Se lit en traits si doux sur les feux de l’aurore

                    Et sur le pavillon des cieux.

 

M. Cauchy, continue le même écrivain, fut associé, de son temps, à toutes les œuvres vraiment utiles ; son éloquence persuasive communiquait partout son zèle, et la plupart de ses collègues de l’Institut se trouvaient entraînés à une coopération sympathique qui les étonnait parfois eux-mêmes. Il devint un des membres les plus actifs de la conférence de Saint-Vincent-de-Paul ; il établit une association pour l’observation du dimanche et pour l’instruction des petits Savoyards.

Le membre de l’Académie des sciences et de la plupart des sociétés savantes de l’Europe et du monde, le rival d’Euler et de Lagrange, l’examinateur de l’École polytechnique, se faisait chaque semaine, à heures fixes, simple maître d’école, pour développer l’intelligence et former le cœur de ces enfants qui, de la Savoie, viennent dans la capitale exercer leur pauvre et pénible métier. Il leur parlait de Dieu, leur enseignait le catéchisme, priait avec eux pour leur apprendre quelques prières.

Il consacra les dernières années de sa vie à l’Œuvre des écoles d’Orient, dont il est regardé à juste titre comme le fondateur.

Qu’elle est belle, cette fière profession de foi du savant géomètre !

« Je suis chrétien, c’est-à-dire que je crois à la divinité de Jésus-Christ avec Descartes, Copernic, Newton, Pascal, Euler, Guldin, Gerdil ; avec tous les grands astronomes, tous les grands physiciens, tous les grands géomètres des siècles passés. Je suis même catholique avec la plupart d’entre eux, et si l’on m’en demandait la raison, je la donnerais volontiers. On verrait que mes convictions sont le résultat, non de préjugés de naissance, mais d’un examen approfondi. Je suis catholique sincère comme l’ont été Corneille, Racine, La Bruyère, Bossuet, Bourdaloue, Fénelon ; comme l’ont été et le sont encore un grand nombre des hommes les plus distingués de notre époque, de ceux qui ont fait le plus d’honneur à la science, à la philosophie, à la littérature, qui ont le plus illustré nos académies. »

En 1815, les jésuites, en butte à des attaques très violentes, trouvèrent en M. Cauchy un énergique défenseur. L’illustre mathématicien plaida puissamment leur cause, au point de vue des intérêts de la science, dans un mémoire éloquent intitulé : Considérations sur les ordres religieux, adressées aux amis des sciences. Nous ne résisterons pas au désir d’en citer quelques lignes.

Voici en quels termes s’exprime le célèbre géomètre, dont personne ne récusera certainement la compétence en cette matière : « Vous êtes sans doute l’ami des sciences, vous estimez la littérature, vous vous intéressez à la saine philosophie et au progrès des lumières ? Eh bien ! ces mêmes hommes ont produit une foule d’ouvrages devenus classiques en littérature, en morale et en philosophie ; des traités savants sur les origines des langues, les mœurs et les institutions des divers peuples, des découvertes utiles dans les sciences, la médecine et les arts.

« On compte parmi eux des docteurs éminents, des orateurs illustres. Ils ont donné à la jeunesse les instituteurs les plus instruits et les plus dévoués. Leibniz, Vincent de Paul, Bossuet, Fénelon, les considéraient comme les maîtres les plus sages, les plus expérimentés, les plus habiles. À leur école se sont formés les hommes les plus illustres dans tous les rangs de la société... Grâce à leur sage direction, on a vu avec admiration des guerriers, des magistrats, des savants, des académiciens dont les noms sont dans toutes les bouches, donner à la pratique des vertus les plus sublimes un temps précieux, consacrer leurs soirées et les heures que les heureux du siècle passent dans les plaisirs, soit à visiter les prisonniers et les maisons de refuge des jeunes condamnés, soit à instruire les enfants des pauvres Savoyards ; fidèles en cela à une noble résolution que ces maîtres vénérés leur avaient inspirée.

« Et maintenant comment serait-il possible de condamner ces hommes et de les poursuivre comme de vils malfaiteurs ? Sans doute, vous ne considérez pas comme des ennemis de la civilisation et des lumières ceux-là mêmes qui ont éclairé et civilisé tant de peuples divers ? Vous ne considérez pas comme ennemis des talents et du génie ces habiles instituteurs dont Grotius et Henri IV ont dit qu’ils surpassaient tous les autres par la science et la vertu ; ces maîtres éminents qui ont eu pour élèves Corneille, Bossuet, Molière, Montesquieu et tant d’autres ? Vous ne considérez pas comme ennemis des gloires de la patrie ceux dont les leçons ont formé les Condé, les Villars, les Molé, les Lamoignon, les Belsunce ? Vous ne considérez pas comme ennemis des sciences les instituteurs des Descartes, des Cassini, des Tournefort ; ceux dont les travaux ont été souvent cités avec honneur par les Laplace, les Lagrange, les Delambre ; ceux qui, de nos jours encore, ont eu pour admirateurs et pour amis les Ampère, les Freycinet, les Coriolis ?

« Mais si les jésuites ne sont atteints et convaincus que d’avoir travaillé pour la plus grande gloire de Dieu, d’avoir aimé les hommes dans la vue de plaire à Dieu et de s’être sacrifiés pour eux avec joie ; d’avoir rendu par leurs travaux d’éminents services à la religion, à la philosophie, à la littérature, aux sciences et aux arts, comment expliquer tant de préventions hostiles et incompréhensibles ? Pourquoi ne pas rendre justice aux jésuites comme à d’autres ? Pourquoi seraient-ils moins estimés de nous que de nos voisins, plus maltraités par une nation polie que par les sauvages du Paraguay ? »

Dans un autre écrit publié à la même époque, et intitulé : Mémoire à consulter adressé aux membres des deux chambres, Cauchy s’exprime ainsi :

« Quoi donc ! vous avez proclamé bien haut la liberté de conscience, la liberté des cultes, la liberté d’enseignement, et vous proscrivez des citoyens français qui font profession de se consacrer à l’exercice des vertus chrétiennes ? La loi, qui ne veut pas les reconnaître pour les protéger, les reconnaîtra pour les persécuter et torturer leur conscience ! Bien plus, on les forcera eux-mêmes d’être les exécuteurs de la sentence portée contre eux..., et l’on proposera sérieusement à des législateurs d’adopter une mesure si étrange !

« Vous ne demandez pas à un homme qui veut se consacrer à l’instruction publique s’il est ou s’il n’est pas disciple de Vichnou, du grand lama, de Mahomet ; vous ne lui demandez même pas s’il croit ou ne croit pas en Dieu. Mais vous lui demandez s’il est ou s’il n’est pas disciple de saint Dominique ou de saint Ignace ; et s’il a le malheur de pratiquer non seulement les préceptes, mais encore les conseils de l’Évangile ; s’il a le malheur de s’appeler Bourdaloue, Porée, Lacordaire ou Ravignan, il faudra qu’on se le montre au doigt comme un homme que la loi met en suspicion, qu’elle déclare incapable de rien apprendre à la jeunesse ; il faudra qu’il subisse l’ignominie de se voir diffamer à la face de la France, dont il est la gloire par la voix de ses législateurs ! »

Les derniers moments de cette vie de foi et de science furent entourés de toutes les consolations religieuses ; et, le jour de sa mort, un de ses amis disait : « Tout le monde est convaincu que ce saint homme est allé droit au paradis. Ce bon M. Cauchy ? il sera entré au ciel comme il entrait dans nos chambres, sans frapper à la porte. »

Le célèbre abbé Moigno a résumé ainsi son jugement : « Ce fut un puissant génie, une vaste intelligence, un grand caractère ; mais ce fut en outre un saint, un ange de pureté et de charité, et sa mémoire sera éternellement bénie. »

 

 

 

Armand BARAUD, Chrétiens et hommes célèbres au XIXe siècle,

Tours, Maison Alfred Mame et Fils.

 

 

 

 

 

 

 

 

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