Saint Didier

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Lucien BARRÈS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Saint Didier illustre l’Église de France.

Il fut toujours mal vu.

Il contrariait sans le vouloir, par sa manière d’être, par sa manière d’être prêtre, par sa manière d’être évêque, – l’Autorité.

Si ce n’était lui, c’était le diocèse, c’étaient les Gaulois, c’était quelqu’un !

Il était né à Autun. C’est une ville haute.

Je le vois bien en pieds, les bras solidement attachés au tronc et aux mains, le visage bourguignon, l’âme curieuse, rieuse, ironique, et forte. On ne le prend pas par la gueule, et pourtant quand on lui dit de manger, il mange.

La vigne, elle aussi, est plant du bon Dieu.

Didier est comme une vigne. Savant, étudiant, taillé, généreux, beau vivant.

Il sort de l’École Saint-Symphorien qu’animait saint Germain.

On le retrouve en 588, à Vienne, sous la direction de l’évêque saint Numace qui l’estime et qui l’élève.

Il est tout droit.

Les évêques qui suivent : saint Philippe, saint Évance, et saint Vérus, le suivent. Il sait ce qu’il sait.

En 596, il est à son tour évêque de Vienne. Il ne refuse pas.

Ce n’est pas un évêque qui s’ignore, ou qu’on ignore. Il n’est pas occupé ailleurs. Il brille, dit-on, où il est. C’est vrai, puisque Rome aussitôt le voit, et que lorsque saint Grégoire a quelque chose à dire aux Gaules il l’écrit à Didier. Il en reste des archives. Soit qu’il lui recommandât des missionnaires de passage (Augustin et ses compagnons). Soit qu’il lui rappelât l’insoumission et l’anarchie – propres au clergé de France, – à corriger sans aucun retard. Soit qu’à la suite d’une dénonciation il le blâmât de ses lectures, de ses fréquentations, de ses liaisons humanistes, et notamment d’enseigner la grammaire plutôt que le catéchisme !... Soit qu’après information, il lui rendît justice sur les points précédents.

Côté patrie, l’évêque Didier n’apparaît pas non plus insignifiant. Il est évêque avant tout. Il n’est pas politique. Il est chargé d’âmes, et père de beaucoup de monde. Il en prend la responsabilité en privé et en public. Il n’a aucune complaisance pour le pouvoir établi...

Par contre, l’insatiable Brunehaut accrochée à la Cour de son petit-fils Thierry, Roi de Bourgogne, déteste la morale, quand la morale la blesse. Les leçons pastorales de Mgr Didier la blessent. Au lieu de couvrir ou de négliger ses désordres et ses crimes, à la manière des autres évêques, lui les dénonce. Il la donne en mauvais exemple. Principalement, il est libre.

Elle ne le lui pardonnera jamais.

L’an 603, avec la complicité du clergé, elle lance à Châlons-sur-Saône, dans le cadre d’un Concile, des accusations contre Didier et c’était facile car sa manière vivante d’être évêque était, par d’autres évêques, détestée. Il est aussitôt déposé, condamné, et exilé dans l’île de Levise, mal située mais assez lointaine pour que Brunehaut n’entende plus parler de lui.

Lui accepte cette nouvelle vie d’ermite comme une heureuse contribution à sa formation spirituelle. Il ne voit pas la vie en noir ; il la voit en croix. Comme on lui a retiré tout pouvoir, Dieu lui accorde superbement celui des miracles.

Moins de quatre ans plus tard, le prestige de Didier est si populaire que Brunehaut se croit obligée de le ramener dans son diocèse. Elle se prétend magnanime, en fait elle a peur du scandale.

Le gouverneur de Vienne ne l’accueille que pour le mieux vexer. Il est payé pour. Il arrête les prêtres de la cathédrale qui lui sont dévoués. Par intervention de saint Sévère, Didier les délivre. Personne ne lutte avec lui à armes égales.

Thierry, le jeune roi, en est impressionné. Il le convoque à Chalon, pour en tirer quelques conseils pratiques, car la vie de cour l’a démoralisé.

Didier paternellement lui dit, en tête-à-tête, ce qu’il en déduit, et l’invite à épouser une femme comme il lui faut, par exemple la fille de Vittéric, roi des Visigoths...

Brunehaut devine que Didier a tout pouvoir sur n’importe qui, et que Thierry pour encore un peu flancherait. Elle se terre devant lui mais confie à trois assassins à sa solde, Bessan, Betton et Galifred, la triste besogne de suivre l’évêque quand il rentrera à Vienne et de le supprimer.

C’est dans les Dombes, à Cormoranche, qu’ils lui tombent tous les trois dessus par sûreté, et à coups de bâton. Blessé, Didier suit son chemin. C’est donc bien un évêque qui va à pied, sans équipage. Il prie comme si rien d’extraordinaire ne lui arrivait. Il s’est même sans doute un peu défendu, sainement, comme un Bourguignon qui se respecte. Mais à son âge, seul contre trois... Il continue. C’est sa formule : continuer. Il avance. C’est toujours ça de gagné. Il ne se plaint pas. Il ne crie pas à l’aide. Il ne se retourne pas en arrière. Les trois employés le poursuivent, le grêlent de pierres, le moquent jusqu’à Pressigny où il tombe comme un point final.

La ville s’empressa de changer de nom – Saint-Didier-sur-Chalaronne – qu’elle conserva même quand en 620, un 11 février (jour de sa seconde fête), son corps fut ramené pompeusement (Brunehaut étant supprimée) à Vienne.

 

 

Lucien BARRÈS, Saint Didier.

 

Recueilli dans Les saints de tous les jours de mai, 1958.

 

 

 

 

 

 

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