La révocation de l’édit de Nantes

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Charles BARTHÉLEMY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est un acte du gouvernement de Louis XIV dont les protestants, les philosophes et les prétendus libéraux ou libres penseurs n’ont cessé jusqu’à ce jour de faire le plus sanglant reproche au grand roi : – c’est la révocation de l’édit de Nantes.

Pour bien comprendre la portée de cette mesure toute politique, à laquelle la religion n’eut aucune part, – comme il nous sera facile de le prouver, – il faut examiner cet évènement capital dans ses causes, dans sa marche et dans ses suites. « C’est la seule manière – comme l’a dit judicieusement M. le duc de Noailles 1, – de le bien connaître et d’échapper aux déclamations et aux lieux communs, qu’on s’étonne de voir chaque jour répétés par des hommes instruits. Il y a des faits dont il faut tracer l’histoire comme celle d’un homme, en les prenant à leur naissance, et en les suivant à travers leurs transformations jusqu’à leur dénouement...

« Cet acte (ajoute M. de Noailles) 2, appartient en quelque sorte à la nation entière, par l’assentiment général avec lequel il fut accueilli. »

Un exposé de ce qu’était en France le parti protestant avant l’édit de Nantes, – de la condition privilégiée qui lui fut faite par cet édit, – des changements nécessaires que cet édit lui-même a subis, – des causes éloignées et successives qui ont amené de loin et précipité tout à coup sa révocation, est nécessaire pour expliquer et pour justifier cette mesure, acte de sagesse très-réfléchie de la part de Louis XIV, qui eut pour but de constituer sur les bases les plus solides et les plus durables l’unité de la nation et du territoire français dont nous sommes si fiers à juste titre et qui fait de notre pays un pays unique au monde.

Il résultera naturellement de cet exposé des faits, que la révocation de l’édit de Nantes ne fit de tort ni au commerce, ni aux finances, ni à la population, quoiqu’on s’obstine à répéter tous les jours le contraire dans des livres, des revues et des journaux dont le moindre tort, aux yeux de tout esprit sensé, est non-seulement de n’avoir pas étudié la question, mais même d’en ignorer les premiers et les plus simples éléments.

 

 

 

 

I

 

Ce qu’était en France le parti protestant avant l’édit de Nantes.

 

 

Chaque fois que, dans notre histoire nationale, les écrivains arrivent à toucher la question des guerres civiles (qu’on nomme à tort des « guerres de religion »), on est étonné de voir quel embarras ils éprouvent à énoncer les faits les mieux établis, lorsqu’ils sont à la charge du parti protestant, et, – par une contradiction inouïe, – avec quelle étrange facilité ils rendent les catholiques responsables de tous les maux qui affligèrent la France, au XVIe et au XVIIe siècle.

Cette méthode est déloyale, nous osons le dire bien haut ; elle est non-seulement d’un mauvais citoyen, mais (ce qui est pire encore) d’un ennemi de la vérité.

Lorsqu’on invoque à tout instant la tolérance, sait-on et dit-on comment le parti protestant la comprenait et surtout la pratiquait ? Rien de plus intolérant, à l’égard les uns des autres, que les prétendus réformés, et nous n’en voulons d’autres preuves que celles que nous fournissent eux-mêmes leurs chefs et leurs propres historiens.

Luther, dans les États protestants de l’Allemagne, faisait chasser de Wittenberg Carlostadt son disciple, qui – disait-il, – avait méprisé son autorité et avait voulu s’ériger en nouveau docteur, lui reprochant d’agir « sans mission », comme si la sienne eût été bien mieux établie ; et il prêchait l’extermination des Anabaptistes, qui puisaient cependant comme lui leur inspiration dans l’Écriture.

Calvin, de son côté, tyrannisait Genève, en expulsait la secte des « Libertins », faisait brûler Michel Servet pour avoir attaqué le mystère de la Trinité, faisait trancher la tête à Jacques Bruet pour avoir travaillé à renverser ses ordonnances ecclésiastiques, ainsi qu’à Valentin Gentilis « pour hérésie volontaire », et il voulait également qu’on traitât les Anabaptistes « comme des brigands ». Calvin, partisan avoué de l’obéissance passive, s’érigea en législateur despotique du « libre examen » et proclama plus que personne les droits du pouvoir. Il ne lui demandait pas seulement de maintenir l’ordre matériel, mais de punir les offenses à la religion, les germes de l’idolâtrie, les blasphèmes contre la sainte volonté de Dieu 3, déférant sans pitié au magistrat civil « les incorrigibles qui méprisaient les peines spirituelles et ceux qui professaient de nouveaux dogmes », et écrivant, sur le droit d’exterminer les hérétiques par le glaive, des pages, dignes de Néron et de Dioclétien 4. Il prétendait concilier ce qu’il y avait d’incompatible dans ce système avec « le droit du libre examen », en se fondant sur le privilège que Dieu accordait aux élus – disait-il – d’entendre « de la même manière » la divine parole.

C’est d’après ces principes que le parti protestant entendait et appliquait la tolérance, au XVIe et au XVIIe siècle.

Après s’être d’abord révoltés contre l’Église, les prétendus réformés se révoltèrent bientôt contre l’État : dès lors, on les vit commettre mille profanations ; ils allaient partout brisant les croix et les images, incendiant les églises et les couvents, soulevant contre eux la nation profondément catholique.

« Ces outrages aux emblèmes catholiques, qui furent alors un des principaux traits de la réforme, furent aussi une des principales causes de la répulsion qu’elle inspira. Puis, le danger qu’on trouva dans la doctrine des protestants, les soulèvements qu’elle excitait dans l’Allemagne, le caractère séditieux qu’eurent bientôt leurs assemblées... armèrent de plus en plus le parlement et l’autorité contre la secte nouvelle 5. »

Ah ! loin de tirer le rideau sur les évènements du XVIe et du XVIIe siècle, le devoir de l’historien vraiment impartial est de le déchirer ; loin de dissimuler la moindre circonstance des excès où se porta le parti protestant et qui motivèrent des représailles sans doute regrettables mais inévitables, il faut que nous nous y instruisions à force d’horreurs.

Quel spectacle effrayant de meurtres et d’incendies, de sang et de carnage, d’assauts et de combats !

Qui a appris à la France à s’armer contre elle-même, au père à détester son fils, aux frères à se haïr, aux amis à s’entr’égorger, – à tous les citoyens à se faire une guerre cruelle et impie ? Qui ? – le parti protestant !...

C’est lui qui, soulevé contre son roi, a abusé de sa clémence, a intimidé sa constance, a lassé sa patience 6, et l’a forcé à prendre conseil de la nécessité 7.

Nous ne nous posons pas ici en apologiste « quand même » de ces moyens ; eussent-ils été mille fois plus nécessaires, l’humanité les abhorrera toujours et la religion ne les excusera jamais. Eh ! pourquoi en prendrait-elle la défense ? – Elle ne les a pas suggérés. C’est à la politique à justifier ce qu’elle conseille ; la résolution de faire périr les chefs et les principaux capitaines da parti protestant fut une affaire d’État, où la religion n’eut pas plus de part qu’aux proscriptions de l’antiquité grecque ou romaine 8.

Mais, quelque illicite que fût cette voie, nous avons le droit de blâmer encore plus les projets et la conduite des protestants qui n’en ont pas moins été la cause que les victimes.

Les protestants ne se laveront jamais du reproche d’avoir formé l’entreprise d’enlever deux de leurs rois, ni du soupçon trop bien fondé d’avoir voulu pousser plus loin leurs attentats ; on les a prévenus, – qu’ils en accusent, s’ils veulent, Charles IX, Catherine de Médicis, le duc de Guise ; mais, qu’ils n’imputent rien aux catholiques, qu’auparavant ils n’aient fait leur examen de conscience ; sans la Réforme, aurait-on connu les excès auxquels les Français se portèrent, au XVIe siècle ?

Le seul baron des Adrets fit – dans notre patrie – plus de barbares que dix siècles n’en avaient policé. Cet homme, altéré de sang, qui y baignait ses enfants, pour diminuer en eux l’horreur de le répandre, les dressait – sans le savoir – à verser celui des Huguenots 9. Que l’on suive ce furieux dans sa course meurtrière –, on le verra d’abord s’essayer sur sa patrie 10 et la mettre aux fers ; ensuite, passant rapidement du Lyonnais dans le Forez, du Vivarais dans l’Auvergne, de la Provence en Languedoc, ravager les campagnes, brûler ou démolir les églises, voler les vases sacrés, abolir la messe, établir le prêche, forcer les catholiques à y assister, y traîner après lui comme en triomphe un parlement entier 11.

La tour de Montbrison dépose encore de ses cruautés et lui reproche celles de Mâcon 12 ; Saint-Poinct ne fut inhumain qu’à son exemple, comme Montluc ne le devint que pour contenir Montgomery 13 ; et la tuerie exagérée d’Orange 14 ne justifiera jamais ni le sac de Pierrelatte et de Bollène, ni les sauts cruels de Mornas.

Peut-on jeter les yeux sur ces horreurs, sans en détester la cause primitive ? Et à qui persuadera-t-on que l’aventure imprévue de Vassy 15 en a été le signal, et puisse en être encore aujourd’hui l’excuse !

Mais, la mort de quelques hommes tués par des domestiques que la puissance de leur maître rendait insolents, autorisait-elle les calvinistes à commettre toute sorte de profanations ? La religion catholique n’avait pas conseillé ces meurtres, – pourquoi donc l’en punir dans son culte et dans ses prêtres ?

Fallait-il, à cause de la mort de quelques huguenots 16, abattre mille autels, leur élever des tombeaux sur les débris des églises, leur dresser des bûchers de croix et d’images, leur immoler les objets de la vénération des catholiques ?

Fallait-il entrer comme des furieux dans Orléans, piller les richesses des églises, porter des mains sacrilèges sur les choses saintes, les souiller par les plus horribles impiétés ?

Fallait-il abolir la messe à Valence 17, soulever le peuple de cette ville, poignarder son gouverneur ?

Fallait-il s’emparer de Lyon et de ses églises, fouler aux pieds les reliques, sans respect pour des lieux arrosés du sang de vingt mille martyrs 18 ?

Fallait-il massacrer les prêtres de Sainte-Foy 19 ; précipiter les religieux ou leur faire racheter leurs jours par l’apostasie, immoler un vieillard dont tout le crime était d’aller pleurer sur les ruines du sanctuaire ?

Fallait-il inventer des tourments pour faire périr des citoyens, surpasser les tyrans dans le supplice des catholiques, faire horreur aux peuples barbares par le violement des tombeaux ? Les vivants ne suffisaient donc pas à leur colère, puisqu’ils cherchaient des victimes chez les morts ?

Les tombeaux de Jean 20 d’Orléans à Angoulême, de Louis XI à Cléry, de la bienheureuse Jeanne de France à Bourges, de François II à Orléans, des Condé à Vendôme ne furent ni assez sacrés pour imposer à ces inhumains, ni assez profonds pour garantir de leur rage tant de dépouilles respectables.

Telle était la fureur des huguenots ; – on ne trouvait pas même un asile contre elle dans les entrailles de la terre !...

Mais, le parti protestant avait-il attendu le fâcheux évènement de Vassy pour commettre des excès de tout genre ? Et longtemps avant qu’il pût se couvrir de ce prétexte, n’avait-il pas chassé l’évêque de Nîmes de son siège, les chanoines de leur église, les religieuses de leurs couvents ? Ne s’était-il pas emparé à main armée de la cathédrale ? N’y avait-il pas brûlé les images, renversé les autels et substitué le prêche à la messe 21 ?

Avant qu’il fût question de Vassy, les Parisiens n’avaient-ils pas été les témoins ou les victimes de la fureur des huguenots ? Rappelons ici ce jour 22 où les prétendus réformés, devenus furieux par le bruit des cloches, accoururent en foule à l’église de Saint-Médard, forcèrent les portes, entrèrent en armes, brisèrent la chaire, les bancs, les images, les autels, renversèrent prêtres, laïques, femmes, enfants, et essayèrent de faire périr par la flamme ceux qui s’étaient réfugiés dans le clocher de l’église.

Paris vit traîner dans ses rues, comme de vils captifs, des citoyens 23 que ces furieux avaient arrachés du sanctuaire. Si ce scandale ne fut pas le signal de la révolte, il en fut le présage.

Non, le meurtre de Vassy n’aurait jamais allumé le feu des guerres civiles, s’il n’eût couvé depuis longtemps dans le cœur des huguenots ; on n’est pas si prompt à s’enflammer quand on ne porte pas avec soi le principe de l’incendie, – et c’est un grand argument contre le Calvinisme. Qu’on y réfléchisse ; on verra qu’il a manqué dès son origine de cette charité qui caractérise le christianisme, dont le parti protestant se vantait de faire profession.

« Quelle était donc cette religion qui ne sut pas inspirer à ses sectateurs assez de modération et de patience pour tenir contre les premières épreuves de l’opposition ? En vérité, ce n’était pas la peine d’embrasser la Réforme, puisqu’on n’en avait ni l’esprit ni le cœur plus réformés.

« Que répondrez-vous à cette objection, – elle est tirée de la conduite des calvinistes ? Direz-vous que les catholiques n’étaient pas meilleurs ? Quand je vous l’accorderais, vous n’en seriez pas plus avancé ; c’est à ceux qui prêchent la réforme à faire tous les frais de la réformation ; telle est la condition des nouveaux apôtres, ils sont comptables de leurs actions à ceux qu’ils veulent gagner par leurs paroles, et conséquemment les calvinistes devaient se montrer meilleurs que nous ; à plus forte raison, si leur religion était plus parfaite que la nôtre.

« D’ailleurs nous étions en possession, – quel droit avaient-ils de nous y troubler ? »

Ainsi s’exprime un éminent écrivain du siècle dernier 24.

Si les excès du parti protestant avaient pris fin avec la Ligue, le conseil des rois de France n’aurait peut-être jamais songé à détruire le calvinisme. Trompés par une fausse tranquillité et vaincus par une lassitude réelle, les catholiques – nos aïeux – étaient alors incapables de méfiance ; trente ans de guerre intestine les avaient épuisés, ils ne soupiraient qu’après le repos.

 

 

 

 

II

 

Condition privilégiée qui fut faite au parti protestant par l’édit de Nantes.

 

 

Voyons d’abord de quels moyens le parti protestant se servit pour obtenir l’édit de Nantes.

Substituer le mensonge à la vérité n’est pas un art ; mêler l’un à l’autre et les broyer, pour ainsi dire, ensemble, de manière qu’il en résulte des nuances fausses et cependant capables d’éblouir la multitude, est un talent dangereux ; ce fut celui des calvinistes. Qu’on lise leurs histoires, on y verra les actions les plus répréhensibles colorées de motifs honnêtes et légitimes.

S’ils conspirent contre Catherine de Médicis, c’est pour la délivrer de l’oppression ; s’ils attentent à la liberté de Charles IX, c’est pour l’affranchir de l’esclavage ; s’ils tirent l’épée, c’est pour frapper des tyrans qui n’existent pas. On les verra faire révolter cent villes, pour les conserver fidèles ; introduire des troupes étrangères, pour contenir les nationales ; livrer un port au plus cruel ennemi de la France, de crainte qu’il ne tombât en de pires mains.

Et, après cela, on ose dire, en parlant de Henri IV, que, ce prince parvenu au trône en abandonnant la religion protestante, ceux qui la professaient ne lui en demeurèrent pas moins fidèlement attachés.

Où a-t-on donc puisé la matière d’un si bel éloge ? Nous l’avons cherchée partout, nous avons été même jusqu’à la source, – ces assemblées où la fidélité du parti protestant devrait se trouver plus particulièrement consignée, et nous n’avons vu que cabales, que menaces, que confédérations.

Henri III expirant sous le poignard d’un fanatique, Henri IV ne trouva pas le chemin du trône aplani, et désirant s’attacher un parti, que les circonstances lui rendaient plus nécessaire que cher, il ne tarda pas d’accorder aux calvinistes des privilèges dont Henri III les avait privés, parce qu’ils les tenaient moins de sa bonté que de sa faiblesse. Mais, Henri IV ne s’y détermina pas assez promptement pour que « ses fidèles amis » n’eussent pas le temps de murmurer et de se plaindre. Ils le menacèrent de se donner un protecteur, c’est-à-dire de se jeter dans les bras d’une puissance qui pût balancer la sienne.

Duplessis-Mornay, ce protestant qu’on nous peint encore avec les belles couleurs de la fidélité, avec les traits respectables de la droiture, ne désapprouva pas ces moyens. Il écrivit à Henri IV « que les esprits étaient las et agités, et passaient du désespoir à la recherche du remède ; que, pour leur ôter le désir d’un protecteur, il fallait qu’il leur en ôtât la nécessité 25 ».

Dangereuse maxime, dont la moindre conséquence pratique est la résistance aux volontés du souverain. Henri IV en sentit tout le danger ; pour le détourner, il cassa les édits de réunion et fit revivre celui de Poitiers 26. Mais, il ne contenta pas ces esprits inquiets, et lorsqu’il eut abjuré leurs erreurs, ces hommes, « si fidèlement attachés » à ce prince, lui reprochèrent leurs services, lui firent craindre leurs forces, le menacèrent d’une défection.

« Ne doutez pas – osèrent-ils dire à Henri IV, – qu’en abandonnant le parti des réformés, ils ne vous abandonnent aussi à leur tour ; vous connaissez leur promptitude et leur résolution 27. »

À peine ce prince avait-il fait son abjuration solennelle 28 que « ces sujets fidèles » lui présentèrent une requête, par laquelle ils lui déclarèrent qu’ils ne pouvaient plus se contenter de l’édit de Poitiers, ni des conférences de Nérac et de Flex. Quatorze ans auparavant, transportés de joie à la nouvelle de ce même édit, ils l’avaient fait publier aux flambeaux. Maintenant, ils en voulaient un autre ; ils ne l’obtinrent pas, ils l’arrachèrent des mains de Henri IV et de la nécessité des temps.

Réunis à Saumur pour leurs affaires, ils firent la lecture du brevet qui leur permettait de s’y assembler, mais ce ne fut que pour insulter à la bonté du prince, et « ces sujets fidèles » déclarèrent, après cette lecture, que « c’était sans s’y lier et s’astreindre, et sans préjudicier en aucune façon à la liberté de leurs églises, de se pouvoir assembler sans telles et semblables lettres 29 ».

Existe-t-il en France une loi qui donne cette liberté ? En existe-t-il une qui autorise des particuliers à ordonner qu’on arrêterait les « deniers de l’État dans les mains des receveurs 30, et que, là où il n’y aurait ni élection ni recette, on établirait des péages et des impositions sur les rivières ou ailleurs 31 » ?

Sont-ce là des marques « de fidélité, » ou des actes de rébellion ? Mais, quel temps les protestants choisissaient-ils pour arrêter les deniers de l’État ? – Le moment où Henri IV avait la guerre avec l’Espagne, l’instant où l’ennemi avait surpris Amiens ! Ce prince, voulant attendrir le parti protestant par le spectacle de ses embarras, écrivit à « ces sujets fidèles », à Saumur, où ils étaient assemblés, et il ne gagna rien sur eux ; ils lui répondirent, d’un ton à faire juger d’abord qu’ils étaient disposés à céder aux circonstances, mais la fin de leur lettre en démentit bien vite le commencement, et aux plus grandes protestations (car ils n’en ont jamais été avares), ils mêlèrent indécemment leurs demandes et les appuyèrent de menaces. « Les ayant obtenues – disaient-ils, – nous protestons de nous contenter, comme aussi nous protestons de ne jamais consentir d’en être privés 32. »

Voilà des hommes que l’on peut appeler à bon droit « protestants » !

À peine eurent-ils achevé leurs protestations qu’ils donnèrent pouvoir à un conseil du Poitou de se saisir des deniers qui se trouvaient dans les caisses des receveurs.

Les finances sont la dernière chose à laquelle les rois souffrent que l’on touche ; il faut être aussi bon qu’Henri IV pour ne trouver que mauvais un pareil outrage ; ce prince chargea M. de Thou d’aller à Loudun pour représenter aux huguenots sa surprise ; mais, le président s’en étant défendu, le roi leur députa à Vendôme MM. de Vic et de Calignon, pour les assurer qu’il leur donnerait satisfaction. Ulson leur répondit, au nom de l’assemblée, qu’ils ne se pouvaient contenter de ces réponses, qu’ils seraient contraints de chercher quelque soulagement en eux-mêmes, si Messieurs du conseil n’y donnaient ordre.

Voilà cette prétendue fidélité qui commence à se démentir ; – la voici toute démentie.

Les bruits de paix entre la France et l’Espagne étant venus jusqu’à Châtelleraud, – les huguenots, qui allaient perdre par là l’espérance d’inquiéter le roi, redoublèrent leurs sollicitations et leurs menaces, et lui écrivirent « que s’il pouvait être induit et conduit à des révolutions contraires à leurs prétentions, ils seraient obligés d’avoir recours à une nécessaire défense ; qu’ils espèrent que Sa Majesté, ayant le tout bien considéré, saura bien prendre le chemin qu’il conviendra pour ne tomber en ces inconvénients 33 ». Sully, dont les calvinistes ne sauraient récuser le témoignage, nous a conservé 34 une preuve de leur attachement pour Henri IV et de leurs bonnes intentions.

Que l’on se souvienne qu’il est toujours question d’arracher de ce prince le fameux édit de Nantes.

« Madame de Rohan n’avait pas trouvé au-dessous d’elle – dit Sully – de briguer auprès des particuliers, pour y faire agréer, à la pluralité des voix, qu’on prît les armes et qu’on forçât le roi à recevoir les conditions qu’on prétendait lui prescrire, en quoi elle fut merveilleusement secondée par d’Aubigné, connu par sa langue médisante et satyrique ; c’est lui qui avait osé soutenir dans les assemblées, qu’on ne devait plus prendre aucune confiance en ce prince, que la nécessité seule forçait à avoir recours à eux et à les ménager... qu’il ne restait donc plus qu’à profiter de l’embarras pendant un siège pénible 35, de la disette d’argent où il était, du besoin qu’il avait d’eux.... pour obtenir par la force ce que Henri IV refuserait ensuite de leur accorder. »

Jamais conseil ne fut mieux suivi, nous en avons extrait la preuve de leurs propres registres ; la Providence a permis qu’ils se soient conservés, pour démentir et confondre ceux qui oseraient dire, avec Jurieu, « que leurs pères ont obtenu toutes ces grâces et cette précieuse liberté par leurs services, que ce fut un effet de la seule reconnaissance du roi et des bons Français 36 ».

Après des témoignages si irréprochables, on ne peut pas douter que les huguenots n’aient abusé des circonstances critiques où se trouvaient le roi et l’État, pour en obtenir l’édit de Nantes.

Si quelqu’un doutait encore que les huguenots ont forcé Henri IV à leur accorder l’édit, qu’il prenne la peine de lire les lettres de ce roi, de M. Thou et de Calignon à M. de Fresne-Canaye, il y verra des sujets insolents qui reculent à mesure que leur roi avançait en bonté 37 ; nous ne lui garantissons pas qu’il puisse en finir la lecture, tant il en sera indigné.

Mais, venons à l’exposé même de l’édit de Nantes, tel qu’Henri IV le donna huit ans après son avènement au trône (avril 1598), mais à son corps défendant.

D’un côté, la grande opposition catholique de la France y apportait des obstacles ; car, chaque ville catholique, en se soumettant, mettait pour condition à son obéissance que les réformés fussent bannis de la ville et des environs, et n’y exerçassent aucune charge ; et, de l’autre – on l’a vu, – les réformés manifestaient des exigences qui augmentaient les difficultés.

L’édit de Nantes ne fut enregistré au parlement qu’en février 1599, – tant fut vive l’opposition de ce grand corps aux prétentions exorbitantes du parti protestant.

En effet, ce parti entendait rester armé et indépendant, comme un État fortifié au sein de l’État même ; ayant sa justice à lui, ses assemblées, ses forteresses, son gouvernement particulier.

Henri IV sentait les conséquences de telles prétentions, et luttait pour s’y dérober. Il aurait désiré de n’accorder aucun nouvel édit, mais qu’on s’en tînt à celui de 1577, en y ajoutant les articles de Nérac et quelques autres facilités.

Mais, les protestants voulaient un édit nouveau et solennel, l’exercice du culte par tout le royaume, l’entretien de leurs ministres par le gouvernement, des chambres mi-parties dans tous les parlements, la conservation de leurs places, une solde considérable pour leurs villes et leurs garnisons, des assemblées annuelles de droit, d’après le règlement de l’assemblée de Sainte-Foi, et d’autres avantages.

Ce n’était rien moins que la réalisation – au milieu de la France – d’« un État républicain... comme les Pays-Bas, avec un protecteur étranger de qui on pût tirer des secours puissants en temps opportun, et qui nommerait quatre ou cinq lieutenants dans les provinces, avec une « puissance égale entre eux », – comme le disait Henri IV lui-même à Sully 38.

Les articles principaux de l’édit de Nantes étaient :

1o Le rétablissement du culte catholique dans tous les lieux où il avait été interrompu, et la restitution de toutes les églises et biens ecclésiastiques, dont les protestants s’étaient emparés 39 ;

2o La liberté de conscience pour tous, – personne ne devant être, au sujet de la religion, recherché ni molesté en aucun lieu du royaume 40 ;

3o L’exercice public de la religion réformée, et l’érection des temples dans tous les lieux où ledit culte avait été établi par l’édit de 1577 ; en outre, dans tous ceux où il avait existé de fait pendant les deux dernières années 1596 et 1597 ; dans tous les endroits ressortissants immédiatement à un parlement ; dans tous les lieux enfin où cet exercice résultait du droit personnel des seigneurs, d’après la nature de leurs fiefs ou de leur justice, selon les édits de 1570 et 1577, c’est-à-dire, relativement aux seigneurs justiciers, pour eux et leurs sujets, tant qu’ils résideraient eux ou leur famille, et pour les simples possesseurs de fief, pour leurs familles et trente personnes au plus 41 ;

4o L’établissement de chambres mi-parties dans les parlements de Toulouse, de Bordeaux, de Grenoble et de Castres, auxquelles tous les réformés pouvaient appeler de leurs procès 42 ;

5o La libre admission à toutes les charges et à tous les emplois du royaume 43 ;

6o Défenses de toutes cotisations et levées de deniers, fortifications, enrôlement, associations et assemblées autres que celles permises par l’édit, et sans armes, – lesquelles étaient les consistoires, colloques et synodes provinciaux et nationaux, mais avec la permission de Sa Majesté 44.

À cet édit étaient joints deux actes particuliers signés du roi. Par le premier, Sa Majesté s’engageait à payer annuellement une somme de cent quarante mille livres environ pour l’entretien des ministres de la religion réformée ; et, par l’autre, à confier pour huit ans, aux réformés, la garde de toutes les places, villes et châteaux qu’ils occupaient, – le roi se chargeant d’en payer les garnisons moyennant cent quatre-vingt mille écus par an, et d’en nommer les gouverneurs, pris parmi eux. Ces places s’élevaient alors au nombre de cent vingt et une dans le royaume ; il y en avait de deux sortes : les unes n’avaient ni gouverneurs ni garnisons, et se gardaient elles-mêmes ; – telles étaient la Rochelle, Montauban et quelques autres ; c’étaient en quelque sorte des villes libres et presque indépendantes, qui formaient les places les plus assurées à la cause, parce qu’elles avaient à défendre à la fois les privilèges de leur religion et de leur liberté ; les autres appartenaient à des seigneurs particuliers où étaient occupées par les chefs qui s’en étaient emparés pendant les guerres.

« Tel fut l’édit de Nantes, et, pour ainsi parler (dit M. de Noailles) 45, la charte accordée aux protestants, mais non sans une vive opposition de la part de la nation et même du conseil du roi. L’Université de Paris, les parlements, nombre de corporations et de personnes importantes firent des réclamations fondées : Si bien (dit l’Estoile) que les plus opiniâtres poursuivant cet édit furent contraints de se relâcher de quelque chose et de consentir qu’il fût aucunement (en quelque manière) raccommodé, mais non jusqu’au point qu’il eût été nécessaire pour le bien, repos et conservation de ce royaume 46. »

La qualité de « perpétuel et d’irrévocable » qui lui était donnée soulevait surtout les esprits. On blâmait le roi de vouloir par là autoriser « à tout jamais » deux religions en France : aussi le gouvernement avait-il soin d’expliquer « que ces mots, perpétuel et irrévocable, ne signifiaient autre chose que ce qui était porté dans les édits précédents, à savoir que l’exercice de la nouvelle religion ne serait toléré que tant que la cause en existerait, c’est-à-dire, jusqu’à ce que ceux qui en faisaient profession fussent mieux instruits et convaincus en leurs consciences, par le Saint-Esprit, d’erreur et d’hérésie ; que jusque-là le roi témoignait par ces paroles de sa ferme résolution de tenir son peuple en repos pour le fait de la religion, tant que la cause d’icelle durera ; mais que cette perpétuité sera éteinte et que la loi prendra fin, incontinent (aussitôt) que la cause d’icelle ne se trouvera plus parmi nous, et que Dieu aura remis les dévoyés au giron de l’Église catholique 47 ».

On n’abandonnait point cette idée, qu’un jour viendrait où l’unité de culte serait rétablie, et l’édit de Nantes lui-même, comme on vient de le voir, portait dans ses termes le germe de sa révocation.

 

 

 

 

III

 

Changements nécessaires que l’Édit de Nantes subit.

 

 

Les moyens que les calvinistes employèrent pour forcer Henri IV à leur accorder l’édit de Nantis étaient les présages certains de l’abus qu’ils feraient de cette grâce si grande cependant ! Fiers d’un succès qu’ils devaient autant à la situation des affaires, qu’à la trop grande facilité du roi, ils ne tardèrent pas à justifier la méfiance du prince, l’irrésolution de son conseil, la résistance de ses parlements, la crainte publique.

Suivons ces « sujets fidèles », nous les verrons bientôt contrevenir à un édit qu’ils avaient dicté, s’unir par serment, s’assembler sans permission, se soulever sans motif, solliciter des secours étrangers, se liguer contre leur roi, commettre mille ravages.

Le secret qu’ils gardaient sur leurs délibérations est un violent soupçon contre eux ; mais, leur serment est une conviction parfaite.

Ils ouvrirent l’assemblée de Châtelleraud par le serment et promesse, « de ne révéler ce qui serait proposé ou délibéré, et dans le cas que quelqu’un serait recherché ou molesté pour avoir mis à exécution les résolutions de l’assemblée, ou pour s’y être trouvé (chacun jura) d’employer, pour son indemnité, tous ses moyens, biens et vie 48 ».

Voilà donc les calvinistes engagés par serment à exposer leur vie pour l’exécution de leurs résolutions, les voilà enrôlés et prêts à prendre les armes au premier coup de tocsin.

Par l’article 3 de l’édit, les ecclésiastiques devaient être remis en possession des églises ; les calvinistes de Montauban refusèrent, pendant huit ans, d’y satisfaire. Ils avaient rendu une seule église (celle de Saint-Louis) aux catholiques, dans laquelle ils les avaient cantonnés, comme s’ils étaient en Hollande ; c’était un cercle d’où il ne leur était pas permis de sortir, pour faire les plus augustes fonctions de la religion. Et comme le dessein des prétendus réformés était de les bannir entièrement de la ville, quand ils en auraient l’occasion, – en attendant, ils les prenaient par famine. Les prêtres et les chanoines ne trouvaient ni maisons à louer, ni vivres à acheter ; les Ministres avaient défendu de fournir ces secours, sous peine d’excommunication !...

Deux conseillers, députés de la chambre de l’édit de Castres, ne purent pas venir à bout de rétablir l’ordre ; il fallut un arrêt du conseil (du 21 novembre 1606).

Les prétendus réformés avaient réglé à Saumur 49, que tous les ans il se trouverait en un certain lieu secret un député de chaque province peint délibérer sur leurs affaires, et, en conséquence, ils s’étaient assemblés à l’insu de la Cour 50 et contre les dispositions formelles de l’édit 51.

De pareilles entreprises, dont les suites sont toujours très-dangereuses, méritaient un châtiment très-sévère. Mais le roi, aimant mieux faire connaître aux coupables leur faute que la leur faire sentir, donna une déclaration 52 portant abolition pour ceux qui s’étaient trouvés aux assemblées illicites. Deux mois après, les ministres de la religion prétendue réformée firent publier dans leur synode national 53 un acte par lequel ils protestaient contre l’abolition, attendu qu’ils n’avaient pas besoin de permission pour s’assembler ; et parce qu’un des leurs avait osé soutenir à Saumur qu’ils étaient assujettis à cette obligation, non-seulement par les lois du royaume connues de tous les sujets du roi, mais encore par deux articles de l’édit, – ils l’excommunièrent et lui interdirent pour dix ans l’entrée des assemblées politiques.

Au reste, les effets de cette excommunication n’étaient pas peu de chose 54, ils ressemblaient même tellement aux insultes faites par la populace juive d’Amsterdam au malheureux Acosta 55, qu’on dirait que le consistoire avait pris modèle sur la synagogue.....

La régence la plus sage fait souvent naître des mouvements et ne peut presque jamais les prévenir ; ceux qui couvaient sous l’administration de Marie de Médicis éclatèrent, à la majorité de Louis XIII, et fournirent aux prétendus réformés l’occasion de remuer.

Ces « sujets fidèles », plus occupés de leurs intérêts que de ceux de l’État, n’ont jamais fait des vœux bien sincères pour sa prospérité ; qu’on n’en suit point surpris, c’est une suite nécessaire de leurs principes et de leur situation. Ils voudraient étendre le souverain empire de Dieu : or, ils ne sauraient se flatter d’y parvenir, tant qu’une monarchie catholique sera dans la plus brillante prospérité. Il faut donc, ou qu’ils renoncent à ce grand ouvrage, ou qu’ils fassent, presque malgré eux, des vœux contre la nation, et, parce qu’ils supposent en nous la même étendue de zèle..., ils sont dans une méfiance continuelle et s’imaginent peut-être que c’est pour eux qu’il est écrit qu’on ôtera à celui qui n’a pas même ce qu’il semble avoir.

« Voilà ce qui fait leurs alarmes dans nos alliances, leur affliction dans nos succès, leur témérité pendant la guerre, leur inquiétude pendant la paix 56. »

Voilà pour quel motif ils arrêtèrent les deniers des recettes, quand Henri IV manquait d’argent, quand l’ennemi était à nos portes, quand l’Espagnol eut surpris Amiens.

Voilà l’esprit qui présidait à leurs assemblées, qui dicta la réponse insolente d’Ulson, le conseil séditieux de d’Aubigné, leurs serments d’union, leurs résolutions, leurs menaces.

Lorsqu’Henri IV traitait de la paix avec l’Espagne 57, ils pressèrent la reine Élisabeth de se lier avec eux ; au premier bruit du projet de mariage entre Louis XIII et Anne d’Autriche, ils envoyèrent des députés au roi Jacques.

La double alliance qui allait unir la France à l’Espagne 58, réveilla les soupçons des prétendus réformés et leur fit recommencer leurs menées ; ils reçurent des députés étrangers 59 dans une de leurs assemblées 60, ils formèrent de nouvelles demandes, ils envoyèrent leurs cahiers au roi qui était en chemin avec la reine pour aller en Guyenne, et, parce qu’il n’y répondait pas assez promptement, les ambassadeurs de ce petit corps républicain lui dirent, avec une liberté plus que gauloise et « franchement que, s’il continuait son voyage, de ne point trouver mauvais que les gouverneurs et les capitaines de leurs places de sûreté se tinssent sur leurs gardes 61 ».

L’effet suivit de près la menace ; on se saisit du passage de la Dordogne 62, et Leurs Majestés furent obligées de s’embarquer à Bourg 63 pour arriver à Bordeaux. Dès lors, les huguenots ne gardèrent plus de mesures ; ils dépêchèrent un député 64 au roi d’Angleterre, ils signèrent 65 un traité avec le prince de Condé, ils firent brûler à la Rochelle un arrêt du parlement de Toulouse, parce qu’il condamnait au feu l’acte de perversion d’un apostat 66 ; cependant, la paix fut conclue 67, et ces « sujets fidèles », qui faisaient un si bon usage des places de sûreté, mirent le roi dans la nécessité de leur en accorder la prolongation pour six ans. Munis de ces sauvegardes, ils se soulevèrent toutes les fois qu’ils en eurent l’occasion ou le prétexte.

La justice que l’édit de Nantes rendait, en quelques points, à la religion et à ses ministres, fut souvent contredite par les prétendus réformés, surtout dans le Béarn, où, depuis vingt-deux ans, on travaillait inutilement à rétablir les ecclésiastiques dans la jouissance de leurs biens, dans la possession de leurs églises, dans le droit de faire le service divin.

Louis XIII, ne voulant pas laisser à d’autres mains la gloire de relever les autels de Dieu vivant, marais à Pau, y entra sans pompe, – refusant tous honneurs, jusqu’à ce qu’il eût fait rendre à la religion celui qui lui était dû 68. Sa présence réjouit les catholiques gémissant en silence dans l’oppression ; un même jour vit relever les croix, arborer les images, purifier les chaires, rebénir les cimetières, rebâtir les fonts baptismaux ; les temples changés en églises redevinrent les vraies maisons de Dieu ; on y prêcha, on y baptisa, on y célébra la messe, et la réalité succéda, une seconde fois, à la figure.

Si les profanations et les impiétés peuvent être réparées, ce jour dut en effacer beaucoup devant Dieu. Une reine aveuglée par l’erreur 69 les avait autorisées ; son petit-fils, éclairé par la vérité, vint les désavouer et en faire une amende honorable, par la procession du Saint-Sacrement.

Pendant que Louis XIII s’occupait du soin de rétablir la religion catholique dans le Béarn, les prétendus réformés, assemblés à la Rochelle, prenaient des mesures pour détruire tout ce qu’il aurait fait ; elles furent si bien concertées, qu’en moins de temps qu’il n’en avait employé à cette pieuse expédition, ils chassèrent de nouveau les prêtres, s’emparèrent des églises, usurpèrent leurs biens et remirent les choses dans leur premier état. Mais, prévoyant que le roi punirait un jour ces nouvelles entreprises, et voulant être en état de lui résister s’il rétablissait une seconde fois la religion catholique dans un pays où ils ne voulaient pas la souffrir, – on fit partir de la Rochelle des avis aux assemblées provinciales, afin que chacune se préparât à l’attaque ou à la résistance.

Le parti protestant délibéra à Milhau « que toutes les villes de la province seraient excitées de se mettre en état de garde, réparation et entretien nécessaire pour une juste et légitime défense 70 » et les députés furent chargés de mettre ces choses à exécution.

Le duc de Lesdiguières, informé de ces mouvements, voulut les arrêter dans le bas Languedoc, mais ce fut inutilement. Un ministre huguenot ne craignit pas d’avancer, pendant la tenue du synode national à Aleth, que la paix était la ruine des églises, et qu’en quelque façon que ce fût il fallait susciter la guerre. Par une suite de ce principe, les protestants cherchèrent querelle au roi sur la perception des tailles, et refusant de reconnaître un arrêt du conseil d’État, ils donnèrent ordre à la petite assemblée de Montauban de s’y opposer par toutes voies.

« Permettez-moi une réflexion – dit ici de Caveyrac, – elle est essentielle. J’aperçois jusqu’ici, dans la conduite des prétendus réformés, trois choses dont ils ne se sont jamais départis : le serment d’union, l’arrestation des deniers, la protestation de fidélité ; j’ai fait ce que j’ai pu pour accorder les deux premiers points avec le dernier, et j’y ai perdu mon temps et ma peine.

« Le serment d’union suppose au moins le dessein de résister et de se défendre ; or, cette intention seule exclut toute idée de fidélité ; on n’est pas fidèle quand on n’est pas soumis ; on n’est pas soumis quand on résiste. L’intention est même moins excusable que l’action, parce que celle-ci peut être l’effet d’un premier mouvement, au lieu que l’autre est un acte bien réfléchi, une disposition constante de l’esprit et du cœur et une résistance continuelle.

« Ne m’objectez pas que cette union ne regardait pas le roi et supposait le cas d’une légitime défense ; si on ne tramait rien contre le Souverain ou contre sa volonté, pourquoi ces assemblées secrètes, ces serments de ne rien révéler, ces serments solennels de venger, aux dépens de sa vie, ceux qui seraient recherchés pour avoir exécuté les résolutions ou assisté aux conventicules ? Toutes ces choses sont autant de crimes d’État.

« Eh ! quel était ce cas d’une légitime défense ?

« Je suppose qu’on eût voulu leur ôter les places de sûreté : quel droit avaient-ils de les retenir, de les exiger, d’y prétendre ? Je veux qu’on eût diminué leurs privilèges ; de qui les tenaient-ils ? – de la bonté du prince. Comment les avaient-ils obtenus ? les armes à la main. Je vais plus loin ; ils n’étaient pas en droit de se défendre quand même on aurait voulu abolir leur culte, non-seulement parce que ce culte était une nouveauté introduite dans le royaume par la violence ; nouveauté qui choquait la multitude, qui renversait nos lois, qui changeait nos usages, qui attaquait nos précieuses libertés ; mais, encore parce que, suivant les anciens principes des premiers docteurs de ce nouvel Évangile, les calvinistes devaient “se soumettre aux rois, fussent-ils impies 71” ; ils ne pouvaient donc donner le nom de « légitime défense » à rien de tout ce qu’ils voulaient entreprendre, soit pour la conservation de leurs places, soit pour la durée de leurs privilèges, soit pour le libre exercice de leur religion : donc tout ce qu’ils ont fait ou médité était contraire à la fidélité ; donc, c’était par dérision qu’ils protestaient d’être fidèles.

« Mais, si la seule intention de s’assister contredit leur prétendue fidélité, l’arrestation des deniers royaux la contredit bien davantage 72. »

Qu’on se rappelle la belle lettre qu’ils écrivirent à Henri IV, après la surprise d’Amiens 73 ; la même main qui traçait tant de protestations expédia sur-le-champ un ordre à leur conseil provincial de Poitou, de se saisir des deniers qui se trouveraient dans les bureaux de recette.

Voilà comme les prétendus Réformés ont toujours été fidèles !...

Le renversement de tout ce que Louis XIII avait établi dans le Béarn obligea ce prince d’y envoyer des troupes, mais les mesures que les prétendus Réformés avaient prises rendirent inutiles les efforts du duc d’Épernon ; il fallut leur opposer de plus grandes forces. On leva une armée, elle était de 40 000 fantassins et de 6 000 cavaliers. Le roi, avant d’entreprendre cette guerre, fit assembler son conseil ; le prince de Condé, les autres princes et les grands officiers de la couronne y assistèrent ; il y fut arrêté qu’on marcherait contre les rebelles, et afin que les huguenots ne pussent pas dire qu’on en voulait à leur religion, Louis XIII fit publier « qu’il avait pris les armes contre la rébellion, et non point pour faire la guerre à la religion prétendue réformée, prenant sous sa protection et sauvegarde tous ceux qui se contiendraient en son obéissance 74 ».

Pendant ces préparatifs et malgré cette déclaration, les huguenots assemblés à la Rochelle se disposaient à la plus vive résistance ; ils envoyèrent ordre à toutes leurs villes d’armer promptement ; ils députèrent en Angleterre, en Hollande et en Suisse, pour demander du secours ; c’est alors qu’ils mirent à exécution le projet de diviser la France en huit cercles ; ils firent un règlement en conséquence, s’emparèrent des deniers royaux, des biens ecclésiastiques et chassèrent les prêtres 75.

La résolution de changer la monarchie française en république, sur le modèle des Pays-Bas, avait été formée depuis longtemps ; le comte de Schomberg en avait averti Henri IV 76, et ce prince, bien instruit, n’ignorait pas qu’on avait proposé dans l’assemblée de Montauban de mettre toutes les Églises protestantes de France « en un État populaire », comme les Pays-Bas ; il savait que l’électeur Palatin devait être le protecteur de cet État naissant et que cinq lieutenants commanderaient sous ses ordres dans les provinces, « avec une puissance égale, sans s’arrêter aux princes du sang 77 ».

Les huguenots, se disposant ainsi à résister au roi et à lui enlever sa couronne, ne firent que hâter la perte de leurs places de sûreté et préparer la ruine entière de leur religion. Louis XIII, forcé de conquérir ses propres villes, montrait de loin à son fils ce qu’il devait faire un jour, s’il voulait assurer à sa postérité la paisible possession de son royaume.

Il se rendit maître de Saumur, fit démanteler Saint-Jean-d’Angely, prit Sancerre, Nérac, Pons, Chatillon, Sainte-Foy, Bergerac, Clerac et Caumont ; Montauban seul arrêtant le progrès de ses armes rendit les prétendus réformés de Montpellier si fiers, qu’ils se crurent tout permis : ils firent cesser le service divin, chassèrent les prêtres, pillèrent les églises, en démolirent un grand nombre 78 dans la ville ou aux environs.

Le terrible châtiment des habitants de Monheurt, passés au fil de l’épée, ne fut pas capable contenir les religionnaires ; ils ravagèrent les pays de Médoc, le Quercy et la basse Guyenne, et renouvelèrent leurs premières profanations. Le roi reprit sur eux l’île de Rhé, Royan, Sainte-Foy, Montfrancain. Nègrepelisse, qui avait assommé la garnison, éprouva tout le courroux d’un monarque justement irrité. Saint-Antonin vit pendre quinze de ces chefs séditieux et un de ses ministres.

Tant de sévérité et de succès engagèrent les rebelles à recourir aux supplications. Le roi d’Angleterre et les Pays-Bas s’intéressèrent pour eux, Montpellier se rendit, et Louis XIII, désarmant sa colère, accorda la paix à ces rebelles 79.

Mais, quelle impression peut faire la clémence sur des esprits accoutumés à en abuser ?

Le roi ne tarda pas à s’apercevoir que les prétendus réformés ne pouvaient être contenus ni par les grâces, ni par les châtiments. Obligé de donner du secours aux souverains de la Valteline, – à peine y avait-il fait passer des troupes, que les huguenots, entretenant des intelligences secrètes avec l’Espagne, remuèrent de nouveau ; ils firent équiper des vaisseaux à la Rochelle, ils se saisirent du port de Blavet, s’y emparèrent de six gros vaisseaux ; de là, faisant une descente sur les côtes de Médoc, ils se rendirent maîtres des îles de Rhé et d’Oléron. Castres, Montauban, l’Albigeois et le Rouergue se révoltèrent, Nîmes et Uzès suivirent cet exemple, et la guerre fut plus allumée que jamais.

Dans cette situation, Louis XIII fut obligé de demander du secours aux Anglais et aux Hollandais ; ceux-ci envoyèrent une flotte qui faillit être brûlée par une supercherie des Rochellois ; celle du roi les vengea de cette perfidie, sans le secours des Anglais, qui la plupart, ne voulant pas combattre, firent voile pour l’Angleterre.

Cependant on reprit l’He de Rhé, Saint-Martin et Oléron ; ces succès forcèrent les rebelles à recourir à une clémence dont ils avaient si souvent abusé. Le roi, à la prière des ambassadeurs d’Angleterre et de Hollande, leur pardonna 80. Il n’en coûta aux Rochellois que la perte de leurs vaisseaux, la restitution des biens ecclésiastiques et la démolition d’un fort 81.

L’indignation fut si générale en France, que les prétendus réformés eurent recours au stratagème usé de désavouer cette conduite : mais, ce fut en vain qu’un de leurs synodes blâma hautement ces entreprises. À peine avaient-ils obtenu grâce, qu’ils envoyèrent de nouveau en Angleterre, pour demander des secours.

Le roi Jacques, qui connaissait mieux que personne le caractère et les principes des calvinistes, leur avait refusé constamment son assistance ; Charles Ier, son fils, en usa bien différemment : il fit équiper une flotte. Buckingham la commandait ; il descend à l’île de Rhé, investit le fort Saint-Martin, monte à l’assaut, est repoussé et retourne en Angleterre.

Les succès de Louis XIII, sur terre, ne furent pas moins heureux ; le prince de Condé répara amplement, dans cette occasion, ses fautes passées ; il chassa les rebelles de Soyon, de Belcastel, de Saint-Auban ; il prit Pamiers en deux jours, rétablit l’évêque dans son siège, les chanoines dans leur église, substitua le service divin au prêche, fit trancher la tête à deux rebelles 82, pendre un consul et quelques habitants, en envoya vingt aux galères.

Les Rochellois, trop faibles pour résister, trop obstinés pour se rendre, eurent recours une seconde fois au roi d’Angleterre ; ils lui offrirent d’équiper des vaisseaux, de fournir des matelots, de faire diversion, en cas qu’il fût attaqué, et surtout de n’écouter aucune proposition que de son consentement.

Cent quarante voiles vinrent se montrer devant la fameuse digue et échouer contre cet admirable ouvrage du cardinal de Richelieu. Obligés de se retirer, ils jetèrent leurs alliés dans le désespoir et ne leur laissèrent que les supplications pour ressource. Ils avaient refusé deux fois la paix, parce qu’ils comptaient sur le secours des Anglais ; ils demandèrent grâce à deux genoux, quand ils virent que cette espérance leur était ôtée, et le roi voulut bien la leur accorder. Deux maréchaux de camp signèrent la capitulation, parce que le duc d’Angoulême et les maréchaux de Bassompierre et de Schomberg crurent au-dessous d’eux de traiter de la paix avec des sujets rebelles.

L’extrémité où les Rochellois s’étaient vus réduits ne rendit pas les autres huguenots plus sages ; ils eurent recours à l’Espagne 83 et préférèrent cette dernière ressource au bénéfice d’une abolition.

Louis XIII, obligé d’aller au secours du duc de Mantoue, avait fait publier une déclaration 84 qui enjoignait à tous les prétendus réformés de Languedoc de pour les armes ; mais, à peine eut-il passé les monts, qu’ils recommencèrent leurs hostilités : il fallut donc que Louis XIII, de retour d’Italie, songeât à les mettre pour toujours à la raison. Pendant qu’il était en marche, M. le Prince réduisit Montauban ; le duc de Vendôme Castres, la Trémouille, convertit Nîmes, le maréchal d’Estrées les environs de cette ville. On assiégea Privas et les habitants l’abandonnèrent ; on s’avança vers Alais et il capitula ; on prit le fort de Toulon ; Nîmes souffrit la démolition de ses fortifications, Montauban passa sous ce joug, et le roi donna une troisième fois la paix à ces rebelles 85. Elle n’est connue que sous le nom d’édit de grâce ; le cardinal de Richelieu le voulut ainsi, afin que les prétendus réformés se souvinssent qu’ils n’en devaient plus attendre.

Ainsi finirent des troubles, qui n’auraient jamais commencé sans l’édit de Nantes ; et quel en fut le prétexte ? – l’exécution d’un de ses articles, le rétablissement de la religion catholique dans le Béarn.

Voilà pourtant trois révoltes en moins de dix ans, dont le prétexte était aussi frivole que l’ingratitude des révoltés était marquée ; ils s’unirent au prince de Condé 86, au moment que le roi venait de confirmer leurs privilèges 87 ; ils prirent les armes pour la seconde fois, quand Louis XIII protestait 88 que loin d’en vouloir à leur religion, il la prenait sous sa sauvegarde ; ils se liguèrent avec une puissance catholique 89, tandis que leur souverain volait au secours d’un prince de leur religion 90 ; ils traitaient avec l’ennemi de la France, ils priaient pour sa prospérité, ils l’appelaient sur notre sol ; ils passaient de l’Allemagne à la Savoie, de l’Angleterre à l’Espagne ; ils frappaient contre la France, à toutes les portes ; qu’on vienne nous dire après cela « qu’ils n’ont jamais eu d’intelligence avec les ennemis de l’État 91 ».

Si le roi Jacques eût voulu les écouter, ils se seraient ligués trois fois avec lui ; son fils, moins délicat, s’y lia deux fois sans succès.

Si Buckingham, aidé de leurs jeûnes, eût triomphé de Toiras, qu’ils faisaient jeûner dans le fort Saint-Martin, les ducs de Lorraine et de Savoie étaient prêts à faire diversion en leur faveur. Longtemps avant, Mansfeld et l’évêque d’Halberstad s’étaient approchés pour eux de nos frontières ; enfin, leur dernière ressource fut de traiter deux fois avec l’Espagne, qui les détestait. Jurieu ignorait-il cette alliance, ou bien était-il de mauvaise foi, lorsqu’il écrivait que « le roi a intérêt de ne point ruiner un parti qui ne saurait entrer en intelligence avec l’Espagne 92 » ?

La conduite du parti protestant est comme un livre où le roi de France et ses ministres ont lu ce qu’on pouvait attendre d’un peuple inquiet et remuant qui tourmenta son bienfaiteur (Henri IV), qui s’arma contre ses rois, qui voulut détruire la plus ancienne monarchie du monde.

Qu’on ne cherche donc pas ailleurs la cause de la révocation de l’édit de Nantes. Louis XIV voyait derrière lui les maux dont nous avons retracé la mémoire ; il se rappelait les entreprises des prétendus réformés, sous deux monarques, dont l’un (Henri 1V) les combla de biens, et l’autre (Louis XIII) les leur conserva ; il éprouvait lui-même des mouvements dont le bruit sourd se faisait assez sentir pour indiquer la nécessité d’en tarir la source. Y avait-il d’autre moyen d’y parvenir, que celui de bannir de son royaume une religion qui formait un État dans un État, qu’on pouvait regarder comme le foyer de toutes les dissensions, le quartier de réserve des mécontents, l’arsenal des guerres civiles ?

Lorsqu’Henri IV, excédé par les réformés, trompé par ses confidents, se détermina à donner ce fameux édit, un cri général, poussé par tous les Ordres de l’État, se fit entendre dans son Conseil, dans ses parlements, dans sa capitale, – dans toute la France. Mais, ce cri fut étouffé par la bonté du prince, par le crédit de son entourage, peut-être aussi par la circonstance des temps et le besoin de repos ; « l’édit fut accordé, – dit de Chiverny – et tous les vrais catholiques plus prudents serviteurs de l’État, jugeant bien le mal qu’il porterait tôt ou tard au roi ou à ses successeurs, par la connaissance et expérience que chacun avait des desseins, cabales et conduite toutes contraires à la monarchie qu’ont partout ceux de cette religion ; cela fut cause que force personnes de grande qualité et condition en donnèrent de très‑bons et salutaires avis au roi ; et je puis dire, avec vérité, que j’y apportai tout ce qui était de mon devoir ; mais tout cela fut en vain, car Sa Majesté était obligée de trop longue main, et avait toujours trop près de lui des personnes de cette religion, qui, par leurs artifices, empêchèrent qu’il n’écoutât ses fidèles serviteurs... Tellement que, ledit édit, avec force articles sur ce très-importants, leur était accordé... Le parlement de Paris passa à la vérification de cet édit, le 25 février 1599, ensuite de quoi on commença l’exécution partout, bien qu’avec grande peine et péril pour les commissaires, et peu à peu l’autorité du roi l’a fait recevoir partout, à la honte et confusion de cet État ».

L’expérience ne tarda pas à justifier ces alarmes. Henri IV connut le mal trop tard pour le réparer 93 ; Louis XIII et Richelieu moururent trop tût pour y apporter le dernier remède ; mais, ils avancèrent bien la guérison, en ôtant aux rebelles leurs places de sûreté et leurs chefs.

La gloire d’abattre ce dangereux édifice était réservée à la prudence de Louis XIV.

 

 

 

 

IV

 

Causes éloignées et successives qui ont amené de loin et précipité tout à coup la révocation de l’Édit de Nantes.

 

 

Pour apprécier sainement un grand coup d’État, c’est peut-être moins encore dans son principe que dans ses effets et ses suites qu’il faut en chercher la condamnation ou la justification.

Quelles furent donc les suites de la révocation de l’édit de Nantes, « considérées comme torts » ?

Nous ne craignons pas de répéter cette formule générale, sur laquelle se basent les erreurs et les mensonges relatifs à cet important évènement, et tout d’abord qu’il nous soit permis de dire avec de Caveyrac :

« Entreprendre de changer les idées d’une nation n’est pas une petite affaire ; y réussir est un grand succès 94. »

Et M. de Noailles a dit, avec un grand sens :

« Cette mesure (la révocation de l’édit de Nantes)... ne fut pas de la part de Louis XIV un acte spontané et imprévu, mais le résultat d’un système qui datait de son avènement à la couronne, et dont l’intérêt politique fut le principal fondement...

« La révocation de l’édit de Nantes... est un des évènements dont on a le plus méconnu les causes, dénaturé le caractère, exagéré les conséquences, et dont le récit, transmis jusqu’à nous avec le cortège des préventions antireligieuses du XVIIIe siècle, est devenu un texte de lieux communs, qui passent aujourd’hui de bouche en bouche et se répètent sans examen...

« Ce qu’il importe aussi de remarquer, c’est que, dans toute cette affaire, Louis XIV marcha constamment avec l’opinion, sur laquelle agissaient deux motifs principaux, l’impression qui restait des évènements passés, et les idées générales du temps sur la tolérance 95. »

Il nous faut d’abord examiner impartialement – les faits et les chiffres sous les yeux, – le tort que la France a souffert par la révocation de l’édit de Nantes.

Pour estimer le dommage causé par la sortie de France des prétendus réformés, il faut les considérer sous les rapports essentiels de sujets « riches, industrieux, soldats et contribuables ».

Mais, avant tout, voyons le nombre « exact » des calvinistes qui sortirent de France.

Or, nous allons prouver que :

1o Il n’est pas sorti cinquante mille personnes, à la révocation de l’édit de Nantes.

En avançant cette proposition, nous savons que nous nous éloignons énormément de l’opinion commune, et nous nous attendons à passer au premier abord pour un homme ami du paradoxe.

Mais, est-ce notre faute, si le vulgaire (et Dieu sait combien de gens on peut mettre dans cette classe !) adopte inconsidérément toutes les exagérations, s’il les écoute, s’il les aime, s’il s’en repaît ?

Nous embarrasserions beaucoup de personnes, même parmi celles que l’on croit les mieux instruites, ou qui devraient l’être, si nous les priions de nous citer un seul monument « respectable » dans lequel elles aient pu puiser « avec sûreté » tout ce qu’elles disent « sans garant » des « prétendus » maux causés à la France par la sortie des calvinistes, et surtout si nous leur demandions dans quels registres elles ont trouvé « ces millions de fugitifs » dont on appauvrit à plaisir la France, sur la foi d’une tradition orale ?...

Une seule réflexion aurait dû nous mettre en quelque défiance à cet égard.

« De qui tenons-nous ce que nous croyons savoir là-dessus ?... D’une main intéressée à nous tromper, d’une bouche 96 qui, à force d’exagérer, de crier, de se plaindre, a fait de la plupart des Français autant d’échos dont les discours... ont multiplié à l’infini des pertes peu considérables. Et voilà comme les erreurs historiques s’introduisent, se fortifient, se perpétuent chez nous 97. »

Heureusement celles que nous avons à détruire ici ne sont fondées sur rien de solide, verba et voces, et, en cela, elles tiennent davantage de la nature de ce qui leur a donné l’être, – un écho, un fantôme de voix, echo vocis imago, comme dit le poète latin 98.

Aussi, ne voulons-nous employer que les autorités du parti protestant pour désabuser les esprits trop prévenus ou fourvoyés en cette question.

On possède, dit-on « des mémoires d’une fidélité avérée, dans lesquels on peut voir que, sans exagérer, il est sorti de France plus de deux millions de personnes  ».

Nous admettons un moment l’existence de ces registres ; mais, leur exactitude, c’est autre chose.

Eh ! par quel enchantement ces contrôleurs des fugitifs auraient-ils pu en voir sortir de France deux fois plus qu’il n’y en a jamais existé ?

Au temps où les calvinistes de France recouraient à la protection de l’Angleterre et lui offraient, en retour, leurs bras contre nous, ils disaient – par leurs députés, – à la reine Élisabeth : « qu’elle obligerait UN MILLION de personnes de toutes qualités, desquelles le service, selon les occasions, ne lui serait peut-être pas toujours inutile 99 ».

On conviendra que si le nombre des calvinistes eût été alors plus considérable, c’était bien le cas de n’en rien dissimuler à celle qu’ils voulaient déterminer par des offres de service, à celle à laquelle « ils promettaient de se joindre si à propos et en si bonnes armes, qu’ils espéraient qu’elle ressentirait qu’elles n’auraient été du tout inutiles 100 ».

Quand ces « sujets fidèles » menaçaient Henri IV, trop lent à leur accorder un édit dont il les connaissait capables d’abuser, ce roi – dont on ne suspectera, nous le croyons, ni le discernement, ni le témoignage, – chargea de Vic et de Calignon, de dire aux prétendus réformés assemblés à Vendôme, « qu’ils pouvaient bien se contenter des articles de Nérac et de Flex, puisque le nombre de ceux de leur religion ÉTAIT PLUS GRAND en 1560 et en 1577 qu’il ne l’était dans ce moment 101 ».

Or, c’est en portant ce nombre au plus haut, que de Caveyrac supposa, dans un premier mémoire 102, que les calvinistes étaient un million, au temps de l’audacieuse requête de Coligny ; et depuis cette époque jusqu’à l’avènement de Henri IV au trône, de combien ce nombre ne dut-il pas être diminué par quatre batailles perdues, par vingt sièges meurtriers, par cent combats livrés, par la lassitude des uns, par le retour des autres, par l’épuisement de tous ?

Avancer que les forces du parti protestant s’étaient toujours soutenues dans ce premier degré de puissance, serait une assertion un peu hardie, dont les apologistes des réformés ne se chargeraient pas sans risquer de laisser soupçonner leurs clients de n’avoir fait que de faibles efforts en faveur de Henri IV que l’on vit prêt à s’embarquer pour l’Angleterre.

Eh ! que deviendraient alors ces reproches si souvent réitérés par les calvinistes, de l’avoir servi de toutes leurs facultés ? que deviendrait la belle prétention de l’avoir porté sur le trône ? Ne voulant pas sans doute renoncer à des titres si précieux, le parti protestant ne peut en conserver la chimère, qu’en convenant que le nombre de ses membres était déjà au-dessous d’un million, au temps où Henri IV leur disait – par ses députés, – qu’il était moindre qu’en 1577.

Mais, qu’est-il besoin de conjectures, quand un calviniste 103 nous fournit des preuves ? Cet apologiste des réformés de France écrivait qu’on ôtait à ses frères « les libertés les plus naturelles, les plus inviolables, les mieux fondées » ; c’est-à-dire, qu’on élaguait encore, en 1680, leurs privilèges exorbitants ; et quoique accoutumé à exagérer les maux et les pertes de son parti, ce calviniste ne comptait « qu’un million d’âmes privées de ces concessions 104 » usurpées.

Si l’on veut bien faire attention à la date de cette plainte, voisine de cinq ans de la fuite des religionnaires, on comprendra que, quand même ils auraient tous pris le parti de se retirer chez l’étranger, il n’eût pu en sortir – suivant ce compte – que la moitié de ce que contiennent ces « mémoires d’une fidélité avérée » que nous avons ci-dessus cités et, qui portent à « plus de deux millions » le nombre des calvinistes fugitifs.

Mais, où étaient donc ces mémoires, lorsque les historiens protestants du XVIIe siècle déclamaient tant contre la révocation de l’édit de Nantes, quand Benoist et Jurieu faisaient tous leurs efforts pour persuader à l’Europe que la France était considérablement affaiblie par la perte de ses plus fidèles et industrieux habitants ?

C’était bien le moment de produire les preuves d’une émigration si nombreuse. On voulait encourager les ennemis de Louis XIV et lui en susciter de nouveau : – quoi de plus propre à opérer ce double mal, que l’itinéraire de deux millions de sujets, dont on aurait pu appauvrir ce monarque, sans en enrichir les autres souverains ; ce qui eût fait, dans l’équilibre des forces, comme quatre millions d’hommes perdus pour la France ?

S’il y avait eu la moindre ombre de fondement à une exagération si énorme, pense-t-on que ces écrivains, peu délicats, s’en fussent fait un scrupule ; cependant, ils n’ont rien dit qui en approche : on voit, au contraire, dans leurs ouvrages, ces nuées de fugitifs se dissiper à mesure qu’on avance vers le temps de leur fuite.

Un pamphlétaire du XVIIIe siècle 105 en suppose plus de deux millions, Limier 106 plus de huit cent mille, Basnage 107 trois ou quatre cent mille, la Martinière 108 trois cent mille, de Larrey 109 deux cent mille. Benoist, contemporain de cet évènement, dit « plus de deux cent mille âmes sortirent VOLONTAIREMENT du royaume pour aller chercher ailleurs la liberté de leur conscience 110 » ; et nous, nous ne craignons pas d’assurer qu’il en est sorti à peine cinquante mille.

Et nous nous fondons d’abord sur les grandes précautions prises pour empêcher la fuite des religionnaires ; nous en empruntons le détail de ce même historien :

« On gardait les plus secrets passages des frontières ; les archers couraient les grands chemins, les milices battaient la campagne. On promettait des récompenses à ceux qui déclareraient les fugitifs et des châtiments à ceux qui les auraient recelés. Les côtes étaient gardées avec une exactitude incroyable. L’amirauté avait ordre de visiter les vaisseaux et s’en acquittait avec une grande sévérité. On avait l’œil jusques sur les barques des pêcheurs. Des frégates croisaient pour arrêter tous ceux qui se serviraient des commodités maritimes pour se sauver. Il n’y avait ni ville, ni village, ni rivière, ni ruisseau où il n’y eût des gens préposés pour observer ceux qui passaient. Ils étaient chargés de courir le grand chemin le jour et la nuit, et étaient récompensés à proportion de leurs captures. Ceux qui, cherchaient à se sauver du côté de la terre avaient des peines incroyables à surmonter ces obstacles ; les difficultés n’étaient guères moindres du côté de la mer, on y faisait une visite si exacte des vaisseaux qu’il était presque impossible de se cacher 111. »

Si ces précautions étaient telles que Benoist les raconte, il a dû être bien difficile aux prétendus réformés de sortir en foule ; on ne comprend pas même comment cinquante mille personnes auraient pu échapper à tant de surveillants ; et on se le persuadera bien moins, quand on aura vu ces fugitifs réduits à la nécessité de jouer toutes sortes de personnages, quand on aura vu les uns se transformer en colporteurs « chargés d’Heures et de chapelets ; les autres en chasseurs ou en courriers. Il s’en déguisait en villageois menant du bétail aux marchés des villes voisines ; en crocheteurs chargés de fardeaux, ou traînant la brouette ; en conducteurs de charrettes chargées de fumier ; les uns charriaient à la civière, les autres à la hotte. Il y en avait qui empruntaient l’habit de soldat, ou les couleurs de la livrée 112 ».

Les filles se déguisaient en servantes, les femmes en nourrices ; toutes risquaient avec courage leur pudeur, pour sauver leur conscience, et craignaient moins la brutalité des guides que la rencontre des gardes 113.

Ces filles de Sion, plus occupées du soin de se déguiser que du désir de plaire, « brunissaient leur teint avec des sucs d’herbes et ridaient leur peau par des pommades 114 » : étrange extrémité qui suppose au moins autant d’obstacles que de zèle !

Ces détails empruntés du même historien préparent le lecteur à croire qu’il est sorti bien peu de monde ; ce qui nous reste à dire là-dessus l’en convaincra, en dépit de ces fameux Mémoires, si l’on fait attention que nous apportons en témoignage un calviniste contemporain ; c’est toujours Benoist que nous copions :

« De toutes ces manières, – dit cet apologiste des fugitifs 115, – il sortit tant de monde de tous les côtés du royaume, qu’à peine peut-on le croire, et il semble qu’il y a de l’exagération dans les relations qui en expriment le nombre. Il y en a qui portent qu’au mois d’août 1687 il était arrivé en Suisse 6 600 Français, et, au mois de septembre suivant, 5 500 ; voilà donc 12 100 personnes. De tous les autres côtés, la désertion était à proportion égale, et on ne voyait sur les côtes d’Angleterre et des Provinces-Unies que vaisseaux pleins de réfugiés, comme d’ailleurs on en voyait arriver dans toutes les villes des Pays-Bas et de l’Allemagne. »

Benoist, qui se tait ici sur le détail, quand il lui eût été plus aisé de savoir le nombre des débarqués en Hollande et en Angleterre que celui des nouveaux hôtes de Suisse, nous donne lieu de penser qu’il n’a rien trouvé de plus fort à dire que ce qui lui a paru presqu’incroyable. Ainsi, quand nous supposerons qu’il en est passé autant en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, qu’en Suisse, on ne pourra pas nous accuser d’avoir rien dissimulé, et cependant « il n’en sera pas sorti cinquante mille ».

Observons que la Suisse était le grand débouché du Lyonnais, du Bourbonnais, du Dauphiné et du Languedoc.

« Les Suisses étaient particulièrement chargés du passage de ces familles affligées » (dit Benoist) 116. Le grand nombre prit donc cette route par préférence, et, proportion gardée, il dut en passer plus par ces gorges qu’il n’en sortit de nos ports.

Mais, pour nous convaincre qu’il n’en a pas fui, en tout, cinquante mille, il n’y a qu’à les suivre dans les asiles qui leur furent ouverts ; Benoist sera encore notre guide :

« Il en passa beaucoup à Genève, elle vit en peu de mois presque doubler le nombre de ses habitants ; mais, pour se garder des menaces de la France, elle fut contrainte de faire sortir tous ceux qui s’étaient réfugiés dans son sein 117. »

En effet, on compterait – à Genève – à peine cinquante familles de réfugiés français, et elles sont toutes originaires de Nîmes, d’Alais, d’Anduse et d’autres lieux circonvoisins. Tout le reste que nous estimerons un peu au-dessous de la moitié du nombre des habitants de ce temps, c’est-à-dire à environ dix mille, ne firent que traverser la Suisse et allèrent s’établir en Allemagne. La Suisse en eut très-peu pour sa part ; Benoist le donne à entendre, quand il dit que « les cantons fournissaient des pensions à ceux qui s’arrêtaient dans leur pays 118 ». Généralement parlant, les luthériens n’en reçurent point ; Benoist est encore notre garant. « Les luthériens ne furent pas tous rigides ; le marquis de Bareth permit à beaucoup de gens de s’établir dans ses États 119. » Il reçut environ six cents fugitifs, presque tous Languedociens, qui habitent la ville de Christian-Herlan. Benoist dit encore « qu’il s’en retira beaucoup dans les terres des princes de la maison de Lunebourg, et plusieurs milliers dans la Hesse 120 ». Pour sentir que ces « plusieurs milliers » se réduisent tout au plus à deux ou trois mille, il ne faut qu’écouter le même Benoist, quand il parle du Brandebourg. « Ce pays (dit-il) en logea un bien plus grand nombre 121. »

Or, les mémoires de la maison de Brandebourg, écrits sous les yeux du « grand » Frédéric, et par une main 122 dont on ne saurait ni méconnaître le beau pinceau, ni dissimuler le goût pour la fiction, n’en avouent que vingt mille, dont on peut bien sur l’étiquette retrancher quelques milliers : on ne fera jamais tort au souverain ni à l’historiographe, quand on ne doutera que de la moitié de ce qu’ils disent.

Le Danemark ne voulait pas recevoir des calvinistes ; mais, la reine, résistant aux représentations de tous les corps de l’État, donna asile à quelques-uns qui subsistaient encore, dans le siècle dernier, au nombre de cinquante familles.

Les Provinces-Unies, dont Benoist ne nous dit rien de détaillé, quoiqu’il ait écrit sur les lieux, offrirent de bâtir mille maisons pour les réfugiés ; elles n’en firent pourtant « construire que quelques-unes de retraite pour des filles et des femmes sans asile 123 » ; les villes firent des collectes, mais toutes ne s’empressèrent pas de recevoir les fugitifs, « chacun se conduisant en cela selon la prudence particulière de son gouvernement 124 ».

Cette réticence nous autoriserait peut-être à réduire à bien peu de chose le nombre des réfugiés retirés en Hollande ; mais, nous aimons mieux en accorder à Benoist et aux protestants autant qu’en auraient pu contenir les maisons dont on projeta la construction, que de nous arrêter davantage à discuter ce fait historique.

Ainsi, nous supposerons que, malgré toutes les difficultés qui s’opposaient à la retraite des fugitifs, et surtout à leur embarquement (difficultés bien reconnues par Benoist et nullement contestées), il a pu passer dix mille individus dans toute l’étendue des Provinces-Unies.

À l’égard de l’Angleterre, – si les registres du parlement sont fidèles, si le récit que fit Guillaume III du nombre et du besoin des refugiés est vrai, il n’y en avait que six mille quand il fit cette proclamation 125 par laquelle il promit secours, non-seulement à ceux qui étaient venus se réfugier dans ses États, mais encore aux autres qui voudraient y venir chercher asile.

Cette invitation, faite longtemps après les premiers moments de la fermentation, ne produisit pas un grand effet, et bien en prit aux calvinistes de France que l’Angleterre abandonna lâchement à la paix de Ryswick.

De tout ce que nous venons d’extraire d’un écrivain calviniste et contemporain, il résulte :

1o Que les religionnaires fugitifs ne trouvèrent d’asile qu’en Suisse, en Brandebourg, à Bareth, en Danemark, chez les princes de Lunebourg et de Hesse, en Hollande et en Angleterre ;

2o Que s’il y en a de répandus dans les autres souverainetés, c’est l’effet de cette manie de s’étendre, qui est commune aux Protestants avec les Juifs, ou de cette légèreté par laquelle seule ils tiennent encore à la France, et non celui d’une plus grande émigration ;

3o Que, suivant les dénombrements que Benoist n’osait ni affirmer, ni produire, ni croire, il en est passé au plus :

 

        En Suisse.........................................................12 100

        Chez le margrave de Bareth..................................600

        Dans les terres de la maison de Lunebourg.......2 000

        Chez le prince de Hesse.....................................3 000

        Chez l’électeur de Brandebourg......................15 000

        En Danemark.........................................................200

        En Hollande.....................................................10 000

        En Angleterre.....................................................6 000

 

        TOTAL............................................................48 900

 

Nous ne comptons pas les dix mille qui ont pu passer à Genève, parce qu’il ne fut pas permis à cette ville de les retenir ; et, c’est en partie ceux-là qui allèrent se réfugier dans le Brandebourg. Nous disons « en partie », parce qu’il s’en faut bien que les États du roi de Prusse aient eu pour leur contingent autant de Français qu’on le dit, ni même tous ceux que nous venons d’accorder aux protestants.

Que l’on consulte Ancillon 126, il écrivait sur les lieux et immédiatement après que tous les établissements furent faits ; il écrivait pour la gloire du Dieu des réfugiés et pour celle du prince qui leur offrait un refuge ; on ne peut donc le soupçonner ni d’avoir ignoré leur nombre, ni de l’avoir diminué. Or, cet historiographe des colonies protestantes dit que celle de Berlin, « la plus considérable de toutes, était de deux mille communiants » ; ce qui, à raison de cinq têtes par souche, dont trois en âge de communier, faisait environ trois mille trois cent trente-trois personnes (3 333). Les colonies des villes de Magdebourg et de Hall viennent après ; supposons-les un peu moindres, et de quinze cents communiants chacune, – ce qui fait pour Magdebourg deux mille cinq cents (2 500), et pour Hall (2 500). Lipstadt eut pour sa part « les pensionnaires », et Francfort-sur-l’Oder, « les étudiants ». Ces deux qualités n’emportent pas avec elles l’idée du grand nombre, et nous n’ôterons rien aux bienfaits du souverain, quand mous lui donnerons du zèle, de la générosité et des moyens à concurrence de cinq cents pensions accordées à la portion inutile des fugitifs : Lipstadt contenait donc tout au plus cinq cents personnes (500). À l’égard des étudiants, – quoique les calvinistes aient toujours eu une grande propension à dogmatiser, – nous ne croyons pas qu’on ait pu tirer de la masse des transfuges au delà de cent écoliers ; c’est comme deux cent mille pour le royaume de France ; ainsi, Francfort-sur-l’Oder n’eut que cent personnes (100). Prenslo est qualifié de « petite colonie », comptons-la pour cinq cents (500). Quant à Magdebourg et à Koepnick, l’une avait plusieurs familles », l’autre « quelques-unes » ; il y avait aussi des réfugiés dans quelques villages, mais « sans pasteurs ». Évaluons donc ces « quelques familles » à deux cents personnes (200). À l’égard de « Königsberg, ils n’y formèrent pas d’établissements, parce qu’il y avait des Français catholiques ». TOTAL : 9 633.

Le total – suivant Ancillon – étant de neuf mille six cent trente-trois personnes, nous avions donc raison de dire qu’on pouvait retrancher une partie de ce que nous avions accordé aux protestants, et la moitié de ce qu’on lit, sur cela, dans les mémoires de la maison de Brandebourg.

Nous croyons que voilà des preuves dont on ne saurait contester l’authenticité ; c’est battre les protestants avec leurs propres armes. Cet avantage ne sera pas le dernier que nous remporterons sur eux, il est même le présage de ceux que la vérité ou la vraisemblance nous prépare.

Déjà, on s’aperçoit que le tort fait à la France par la fuite de 50 000 habitants n’a pas dû être bien considérable ; mais, quelque médiocre qu’il paraisse, au premier coup d’œil, il est à propos de l’évaluer en détail ; c’est le seul moyen d’arrêter le cours d’une erreur progressive qui ne s’est déjà que trop accrue.

Examinons donc séparément chacun des « prétendus » dommages causés par la sortie de ces 50 000 protestants de France, et d’abord :

2o Quel a été l’argent exporté par les fugitifs ?

Il n’est pas étonnant que de nos jours on grossisse prodigieusement la perte en argent que la France fit, à la révocation de l’édit de Nantes, quand, presqu’au moment de cet évènement, il y avait des gens assez mal instruits, ou mal intentionnés, pour la faire monter à des sommes immenses.

L’abbé de Choisy a écrit que quelques-uns la portaient à deux cents millions.

Il est bon de remarquer qu’on savait si peu alors ce que pouvait produire dans l’État un vide de deux cents millions d’espèces, que les ministres eux-mêmes ignoraient la quantité d’argent numéraire qu’il y avait en France, et pour s’en assurer, ils eurent recours à Gourville, qui, par des évaluations idéales, parvint à conjecturer que la France était riche de cinq cents millions d’espèces 127 et ses estimations d’à peu près fixèrent sur ce point la croyance du ministre des finances 128.

Que cette masse numéraire soit donc la base de nos opérations, et, pour épargner à nos lecteurs l’ennui inséparable des calculs et des réductions, donnons à l’argent exporté la valeur du cours de ce temps-là, ou plutôt ne lui ôtons pas ce que le type du prince lui donnait ; nous aurons bientôt trouvé la somme exportée.

Il est certain que chaque particulier n’a pu exporter que sa quotité d’argent répartie au marc la livre ; nous ferons voir tout à l’heure que cette manière d’évaluer l’exportation est avantageuse à ceux qui ont intérêt d’en grossir l’objet : mais, avant tout, nous devons rappeler la déclaration du 14 juillet 1682 qui défendait la vente des immeubles, sous peine de confiscation, et celle du 21 août 1683 qui accordait aux dénonciateurs la moitié des biens délaissés.

Si ces ordonnances – données dans la vue d’arrêter par l’attrait des possessions ceux qu’on prévoyait devoir bientôt courir après leur culte, – ne produisirent pas partout ce bon effet, elles empêchèrent au moins les ventes ; ainsi, les immeubles n’ayant pas pu être dénaturés, leur valeur n’a pas dû être emportée.

Nous devons encore mettre sous les yeux du lecteur l’édifiant étalage des charités que les nations faisaient aux fugitifs.

« En Suisse on allait au-devant de leurs besoins, on les logeait, on les nourrissait, on les pourvoyait de tout ce qui leur était nécessaire 129. »

« Les Provinces-Unies ordonnèrent des collectes qui produisirent des fonds immenses, pour concourir au soulagement de ces malheureux ; les particuliers imitèrent le public, et chacun donna des marques de sa compassion et de son zèle 130. »

« En Angleterre on fit des collectes considérables en leur faveur, et on leur donna des secours en arrivant qui firent espérer à la plupart qu’ils seraient plus heureux à l’avenir 131. »

En Brandebourg la misère des fugitifs était si grande, que « l’Électeur fut obligé d’en renfermer deux mille dans une maison de charité construite pour eux 132. »

Benoist de qui nous empruntons ces détails nous donne une bien petite idée des sommes exportées, quand il dit : « Plusieurs Français ont sorti du royaume quelque argent, les uns plus, les autres moins 133. »

À ces faits, qu’on ne pouvait contester, ajoutons des conjectures. – Que pouvaient donc emporter avec eux tant de pauvres artisans ou cultivateurs qui faisaient le grand nombre des fugitifs ? Quelle était la richesse numéraire de quelques gentilshommes bas-Normands, Dauphinois, Périgourdins ou Cévenols qui sortirent ? Et s’il était vrai qu’ils n’eussent pu se sauver « qu’en corrompant les gardes, les officiers de l’amirauté et les capitaines de frégate 134 », une partie du peu qu’ils avaient ne serait-elle pas restée en France ?

Plus on réfléchira là-dessus, et plus on se persuadera qu’en répartissant au marc la livre sur tous les habitants de la France les cinq cents millions d’espèces, pour n’en faire sortir que ce qui revient à chaque individu fugitif, on traite très-favorablement les partisans de l’exportation exagérée, puisque c’est supposer qu’il est sorti des gens opulents, en proportion de ce qu’il y en avait en France, – supposition que le tableau de la misère des fugitifs dément.

Dans cette hypothèse, en prenant le dénombrement de la fin du XVIIe siècle pour vingt millions d’habitants, – cinq cents millions d’espèces, répartis sur vingt millions d’habitants, font vingt-cinq livres par tête ; et douze cent cinquante mille livres pour le contingent de cinquante mille transfuges.

Il faut bien se rendre à l’évidence mathématique. Il n’est sorti de France que 50 000 fugitifs ; Benoist, Ancillon et les registres du parlement d’Angleterre en font foi ; aucun n’a pu vendre ses immeubles, les déclarations du roi y avaient mis bon ordre ; la plupart des fugitifs étaient dans la misère, au moins à leur arrivée chez l’étranger ; les collectes, les pensions et les hôpitaux sont là pour le témoigner ; il n’y avait que cinq cents millions d’espèces en France, les mémoires du temps et les registres des monnaies l’attestent ; l’usage des lettres de change était interdit par état et par indigence à presque tous ces pauvres errants de fait et de droit : ils n’ont donc pu emporter que de l’argent comptant, et les sommes ont dû être proportionnées à la masse commune, à moins que ceux qui restaient en France ne se fussent dépouillés pour enrichir ceux qui en sortaient, – générosité dont on n’a ni preuve ni présomption : il n’a donc été exporté que douze cent cinquante mille livres.

Mais, quand nous voudrions accorder, pour un moment, à Benoist et au parti protestant, que la révocation de l’édit de Nantes a fait expatrier « deux cent mille personnes » comme il l’assure, l’exportation en argent ne serait que de cinq millions. Voilà bien de quoi tant gémir sur un événement qui a, peut-être, épargné à la France plus de sang qu’il ne lui a coûté d’argent.

Il faut bien se garder de prendre pour la mesure de l’argent exporté la quantité qu’on en a vue circuler en Allemagne, au XVIIe siècle ; les guerres de Louis XIV ont plus répandu d’or et d’argent dans ces contrées que vingt édits révocatifs n’auraient pu y en apporter.

Les Français vivaient avec tant de noblesse, ou si on l’aime mieux, avec tant de luxe dans les pays où ils faisaient la guerre, qu’on aurait pu les suivre à la trace de l’or qu’ils semaient 135.

Le départ des réformés n’a donc nullement appauvri d’argent notre pays ; il reste à répondre à une autre question importante.

3o Quelle a été l’industrie exportée ?

Pour bien juger du tort que la fuite des calvinistes a pu faire à la France, relativement à l’industrie exportée, il faut s’assurer de l’état où se trouvaient nos manufactures et nos arts, au temps de cette émigration, et faire, pour ainsi dire, l’inventaire de nos richesses d’alors, à cet égard.

Une perte quelconque ne peut jamais être qu’en proportion de la masse, ou de la valeur de la chose perdue. Là où il n’y a rien, on ne peut rien perdre ; et là où il y a peu, – souvent en perdant tout, on ne perd pas grand-chose.

Cela posé, de quel prix et de quelle consistance pouvait être chez nous l’industrie, en 1685 ?

Nos plus belles fabriques ne faisaient que de se former, notre commerce – à peine sorti des mains de Colbert, son créateur, – n’avait pas encore eu le temps de passer dans celles qui auraient pu l’emporter chez les rivaux de la France. Eh ! que leur auraient-elles porté qu’ils n’eussent déjà, ou qu’ils ne pussent avoir sans ce secours ?

Les tapisseries de Flandres et d’Angleterre étaient renommées plusieurs siècles avant qu’on ne songeât à les imiter à Beauvais et aux Gobelins. Les draps fins de Hollande, d’Angleterre et d’Espagne ont servi de modèle à ceux d’Abbeville, de Louviers 136 et de Sedan 137. Rouen a tiré de la Flandre espagnole la fabrication des brocatelles de laine ; Amiens, celle des camelots de poil. Le métier à bas nous vient des Anglais 138 ; le secret de l’écarlate, des Hollandais, la quincaillerie, de l’Allemagne. Ypres pourrait revendiquer l’art de teindre qu’elle possédait supérieurement dès le XIIe siècle 139, Moulins à foulon 140, presses, calandre 141, forces 142, apprêt des draps et des toiles, – tout cela nous est venu des pays où l’on voudrait nous persuader que les réfugiés ont porté leurs arts.

Le nom seul d’une infinité d’étoffes annonçait encore, au XVIIIe siècle, que nous devions à l’étranger la manière de les fabriquer : Draps londrins, londres larges, mahou, serges de Londres et d’Ascot, anacostes, sempiternes ou impériales, malbouroux (sic) ; toutes ces étoffes semblaient n’avoir reçu et conservé leur dénomination que pour nous aider à désabuser ou à convaincre nos lecteurs.

Quand Colbert voulut jeter les premiers fondements du commerce, il ramassa de tous côtés des matériaux, des constructeurs et des manœuvres ; Louis XIV, qui secondait si bien son ministre, chargea le comte de Comminges, son ambassadeur en Angleterre 143, de prendre des éclaircissements sur cette matière. Il attira Vanrobais et lui prêta une somme assez considérable pour ce temps-là. Il eut besoin d’ouvriers étrangers ; l’apprentissage fut abrégé pour eux d’un an 144, et on leur accorda le droit de naturalisation et de regnicole 145.

Qu’on veuille bien observer ici, que dans le temps que l’on appelait les étrangers au secours de nos établissements naissants, on en excluait les nationaux calvinistes : preuve évidente qu’on ne les croyait pas d’une nécessité absolue pour notre commerce, ou qu’on voulait s’accoutumer de bonne heure à s’en passer. C’est par l’un de ces deux motifs qu’un arrêt du Conseil 146 réduisit au tiers le nombre des artisans calvinistes des communautés de Languedoc. Un arrêt du parlement de Rouen 147, allant plus loin, fixa leur nombre à un réformé sur quinze catholiques. Il ne leur fut pas permis à Paris d’être au delà de vingt sur trois cents dans la mercerie ; il y avait des communautés d’arts et métiers dans lesquelles on n’en recevait pas un seul. Ils étaient exclus de toutes les nouvelles manufactures ; les fabricants d’Autun, de Dijon et d’Amiens n’en admirent aucun parmi eux.

À ces preuves particulières, joignons-en une générale et bien authentique ; c’est la déclaration de 1669, concourant par sa date avec les beaux règlements de Colbert ; son dispositif 148 eût été une inconséquence, si le secours des calvinistes eût été un besoin ; le gouvernement aurait abattu d’une main ce qu’il élevait de l’autre, et c’est un reproche que l’histoire doit réserver pour d’autres administrations.

On peut donc conclure, sans trop hasarder, que les calvinistes français ne sont pas arrivés chez l’étranger les mains pleines d’industrie, parce que nos rivaux savaient déjà tout ce qu’on aurait pu leur apprendre.

Quant aux damas et aux velours de Gênes, aux taffetas d’Angleterre, d’Italie et de Florence, aux gros de Naples, aux serges de Rome, aux satinades de Turin, aux points, gazes et glaces de Venise, – les étrangers connaissaient les mines où nous avons puisé ces trésors d’industrie et n’avaient pas besoin des réfugiés pour leur en montrer le chemin ou leur en faciliter la conquête, moins encore de leurs mains pour les exploiter. Longtemps avant qu’ils prissent le parti, peu sage, de s’expatrier, les fabricants de Lyon représentaient 149 au cardinal Mazarin que les droits excessifs des soieries perçus, dans certains cas, jusqu’à trois fois sur une même matière, avaient tellement rebuté « les marchands étrangers, que ceux d’Allemagne, de Flandres, de Hollande, d’Angleterre et de Portugal n’achetaient plus rien à Lyon, la nécessité les ayant forcés d’imiter nos étoffes ou de recourir ailleurs ».

Si ces droits immodérés n’ont pas été tout à fait le principe de l’établissement de quelques manufactures de soieries chez l’étranger, ils ont bien pu en avancer le moment ; et cet évènement, fâcheux pour notre commerce, est heureux pour notre démonstration, puisqu’il donne à la formation de ces fabriques une date fort antérieure à toute émigration.

Que l’on renonce donc à nous persuader que notre industrie est sortie avec nos concitoyens, que « les réfugiés français ont élevé chez les étrangers des manufactures de toute espèce » ; que, grâce à ces transfuges, « l’Angleterre, la Hollande, le Danemark, la Suède, les États du roi de Prusse et ceux de l’impératrice-reine de Hongrie, peuvent se passer de nos marchandises 150 ».

Si ces nations ont su attirer, étendre et perfectionner les arts chez elles, pourquoi leur en enlever la gloire ? Et qu’avaient-elles affaire des Français pour cela ? N’avaient-elles pas les mêmes ressources dans l’esprit, les mêmes passions dans le cœur, les mêmes facilités dans les moyens ? Que fallait-il tant pour établir des manufactures ?

Connaître l’utilité des arts, appeler des artistes, dresser des artisans ; toutes ces choses se sont opérées en France sans le secours d’une révolution chez les Italiens ; elles auraient donc pu s’opérer chez les peuples du Nord, indépendamment de l’émigration des calvinistes de France.

La Flandre, la Hollande et l’Angleterre étant parvenues longtemps avant nous à se procurer les avantages que nous tenons d’elles, et longtemps avant la révocation de l’édit de Nantes, ceux que nous tenons, comme elles, des Italiens, – les Allemands auraient pu en faire autant ; un demi-siècle plus tôt ou plus tard en eut fait la différence.

« Mais – écrivait de Caveyrac, en 1758, – que fabrique-t-on chez eux qui puisse causer nos regrets ou exciter notre envie ? Des bas et des chapeaux de laine, de gros draps, de petites étoffes, des toiles dont nous avons appris d’eux la fabrication. Ils sont encore bien loin de ce point où il faut qu’ils arrivent pour pouvoir se passer entièrement de nous ; on peut même augurer qu’ils ne s’en passeront jamais, à moins qu’ils ne mettent des sentinelles sur toutes les avenues pour empêcher que le luxe ne s’introduise chez eux ; et quelque sage que soit en cela le gouvernement d’un État, il sera vrai de dire qu’il ne se suffira à lui-même que parce qu’il vivra de privation : je n’excepte pas même celui de Brandebourg, quoi qu’en puisse raconter l’auteur des Mémoires de cette ancienne maison. Cet écrivain, dont la plume, semblable à la baguette d’une fée, embellit ou enlaidit à son gré tout ce qu’elle touche, fait plaisir à beaucoup de lecteurs, mais n’en persuade aucun ; ainsi il a beau transformer des feutres en castors, du verre en cristal, de petits miroirs en grands trumeaux, du drap d’Usseau en drap d’Abbeville, des galons – que nos laquais ne voudraient pas porter, – en dorure de Lyon et de Paris, trente métiers à faire des bas de soie, en des manufactures nombreuses, – toutes ces belles descriptions ne séduisent que les sots ; le sage ne s’y prend pas, et plus on cherche à l’éblouir par la beauté du coloris, plus il se défie de la vérité de la peinture.

« Telle est l’idée que les personnes éclairées se forment de ces manufactures que nos réfugiés ont établies, comme les Apôtres plantaient la foi 151. »

La fuite des calvinistes de France ne nous a donc fait aucun tort relativement à l’industrie exportée, parce que ces mines, connues de plusieurs nations, étaient ouvertes pour toutes. Ils ne nous ont porté aucun préjudice, quant à l’exploitation de ces mines, puisque nos fabriques se sont prodigieusement accrues et perfectionnées sans leur secours. Et s’il faut faire quelque différence de ces temps au siècle suivant seulement (le XVIIIe), elle est toute en faveur de ce dernier, – comme nous allons le prouver, en examinant la question qui suit :

4o Notre commerce a-t-il souffert de la fuite des calvinistes ?

C’est moins par des raisonnements que par des faits qu’il faut répondre à cette question ; mais, qui pourrait peindre ce que l’imagination peut à peine se représenter ?

Et ici encore nous laissons la parole à de Caveyrac ; c’est lui qui va nous tracer le tableau comparatif du commerce et du luxe au XVIIe et au XVIIIe siècle :

« Qui pourrait réunir sous un même point de vue ces amas de différentes richesses répandues dans toute la France, richesses bien réelles ; richesses que le seul commerce produit, depuis que les fruits de l’agriculture, qui faisaient nos trésors, ne fournissent guères qu’à nos besoins ?

« Entrez dans les maisons des particuliers, vous serez étonné de la somptuosité des ameublements, – il y en a pour toutes les saisons ; vous serez ébloui par l’éclat des vernis et des dorures, – on en voit de toutes les couleurs. Les portes extérieures sont sculptées, celles des appartements sont dorées ; les escaliers sont ornés de peintures, les plafonds et les lambris ne sont qu’or et azur ; le bronze a pris la place du fer, et l’or moulu celle du poli des ferrures ; on ne veut plus que des verres de Bohême ou des glaces pour vitres.

« Il y a aujourd’hui dans Paris plus de tableaux de bons maîtres qu’il n’y en avait autrefois du pont Notre-Dame ; plus de trumeaux qu’il n’y avait de miroirs de toilette ; plus d’urnes, de groupes et de services de porcelaine qu’il n’y avait dans le dernier siècle de tasses à thé. Il y a des meubles de rechange chez ceux dont les pères avaient pour toute tapisserie en hiver une triste Bergame, et en été un mur bien ou mal blanchi.

« Parmi cette portion du sexe que le libertinage entretient dans l’aisance et dans l’oisiveté, beaucoup ne voudraient pas, dans leurs antichambres, des meubles dont nos grand-mères auraient paré leurs cabinets, et plusieurs peuvent dire : “Ma vaisselle plate et mes gens.”

« Le financier surpasse le seigneur dans ses ameublements ; le marchand l’égale : le petit bourgeois n’est pas loin de l’imiter ; l’artisan de Paris a son trumeau, sa pendule et sa satinade.

« On voit tous les jours des tableaux rouler dans les boues, et ne se préserver de leur outrage la faveur d’un vernis encore plus précieux ; des chevaux plus chargés de rubans qu’un pourpoint de nos vieux parents traînent ces chars de triomphe de la fortune où le nombre des laquais surpasse toujours celui des maîtres ; ce n’est plus le drap d’Usseau qui les couvre, ni les couleurs qui les distinguent ; on les reconnaissait à la livrée, on les méconnaît à la boutonnière ou au galon.

« Enfin, des monceaux de vaisselle et des boisseaux de diamants mettent le comble à une opulence “qui le mettra peut-être un jour à nos malheurs”.

« Que diraient nos pères s’ils voyaient ces lourdes masses d’argent ciselé, – eux dont les assiettes, s’ils en avaient, et les cuillères étaient si minces, qu’on y apercevait l’empreinte du pouce ou de la dent ?

« Que diraient nos mères, à la vue de ces riches écrans, – elles qui n’en connaissaient pas l’usage, ni peut-être le nom ?

« Que dirait Anne d’Autriche, si elle voyait, à une demoiselle des chœurs ou des ballets, des bracelets, des girandoles, des aigrettes, des rubans, une sultane, un bouquet, un collier, un esclavage, une rivière de diamants, – elle à qui Louis XIII, dans sa magnificence, ne donna que douze ferrets d’aiguillette enrichis de petits diamants, le jour que Buckingham semait des perles dans le Louvre ? Que diraient les dames du palais, qui les ramassaient avec empressement ?

« Ces somptuosités, dont l’excès se trouve à Paris, ne sont pas renfermées dans la seule capitale ; on les voit dans toutes les grandes villes commerçantes du royaume...

« Mais, ce qui manque à celles que la situation du pays, la paresse des habitants et d’autres causes, étrangères à la fuite des calvinistes, éloignent de ces sources de richesses, se trouve avec profusion partout où le commerce verse ses trésors, et c’est la règle générale dont il faut se servir pour connaître s’il a perdu ou gagné depuis la révocation de l’édit de Nantes 152. »

Après avoir tracé ce tableau, de Caveyrac prenant à partie l’auteur d’une certaine « Lettre d’un patriote sur la tolérance civile des Protestants de France », – libelle où les bévues coudoient les erreurs, les mensonges et la mauvaise foi, presqu’à chaque page, à chaque ligne, souvent à chaque mot, – de Caveyrac dit à ce prétendu « patriote » :

« Peut-on mettre cette question en problème et s’appuyer pour cela sur des mémoires décriés, mémoires méprisés par celui même qui en a fait la collection ?

« Dispensez-moi, Monsieur, de vous dire ce que j’en pense, ou plutôt, jugez-en par la délicatesse que j’ai eue de n’en faire aucun usage contre vous, dans le dénombrement des fugitifs 153.

« Si vous saviez, comme moi, de quelle manière on procède à ces sortes de mémoires, vous verriez que ce sont plutôt des compilations que des recherches, une espèce d’ouvrage de rapport, un tout composé de pièces et de morceaux, où l’on distinguerait sans peine la différence des mains, à la diversité des opinions et des vues.

« J’ai contribué une fois, sans le savoir, à la grosseur d’un volume qui fit la réputation d’un intendant ; je ne le connaissais pas, j’en étais même éloigné de deux cents lieues ; mais il avait demandé des éclaircissements à quelqu’un qui eut recours à moi, et je fus bien surpris de trouver mon mémoire mot à mot dans son ouvrage ; heureusement pour la chose, j’y avais apporté quelque attention ; et quand je n’y en aurais mis aucune, le magistrat n’en aurait pas moins retiré toute la gloire qu’il en attendait. C’est assez que ces messieurs mettent leur nom à un ouvrage, alors on n’est jamais mieux traité que quand on est jugé sur l’étiquette : aussi mon intendant serait-il parvenu aux premières places où la fortune le conduisait par la main, si la Providence ne l’eût arrêté par le bras.

« Cette manière de composer un livre m’a tellement resté dans l’esprit, que je me méfie des mémoires de la plupart des intendants, comme Laocoon se méfiait des Grecs et de leurs présents.

« N’allez pas croire, Monsieur, que, dans l’embarras de répondre à vos cinq intendants, je cherche à me sauver la faveur d’une querelle ; ils n’ont rien dit dont il ne soit aisé de montrer le faible ou le faux.

« Celui de Rouen attribue la chute des fabriques de chapeaux de Caudebec à la fuite des religionnaires, quand il aurait dû en voir la cause dans le défaut de matière et dans l’infidélité des ouvriers. Le vigogne étant devenu rare et cher par suite de la guerre, les fabricants lui substituèrent des laines du pays ; l’étranger s’en aperçut, se dégoûta de nos chapeaux, et nos manufactures tombèrent ; heureusement celles des castors les ont remplacées.

« Les Allemands ont appris de nous à faire des chapeaux de laine ; nous avons appris des Anglais à en faire de poil. Qu’avons-nous perdu à cela, ou plutôt, que n’avons-nous pas gagné ?

« Nous tirions le vigogne de l’Espagnol, nous tirons les peaux de castor de nos colonies ; la perte des caudebecs est donc pour nous un bénéfice, et c’est le cas où l’on peut regarder le luxe comme un bien. Mais, notre gain ne se bornerait pas là, si on voulait réduire le prix des peaux au moins au taux où elles étaient avant la dernière guerre. Il y a eu sur cela une économie mal entendue, que d’autres appelleraient un monopole et une sorte de mauvaise foi de la part de la Compagnie des Indes, qui ruinera tôt ou tard cette branche de notre commerce.

« Nos castors s’étaient introduits en Portugal et y prenaient faveur, mais il n’est pas possible qu’ils s’y soutiennent en concurrence de qualité avec ceux des Anglais, au prix où sont les peaux. Quand la matière est trop chère, le fabricant s’en dédommage par des mélanges et par une moins bonne fabrication, et l’étranger qui s’en aperçoit se pourvoit ailleurs. Ce qui est arrivé à Caudebec et à Neufchâtel, à la fin du dernier siècle (le XVIIe), arrivera bientôt aux manufactures de castors, si on n’y apporte un prompt remède ; j’en fais volontiers la réflexion, puisque mon sujet m’en fournit l’occasion ; mais, quoique personne ne puisse en être blessé, je l’aurais supprimée, si ce que je dis de la ruine prochaine de nos fabriques de castors ne conduisait pas à la cause de celles de nos chapelleries, que l’intendant de Rouen, et beaucoup d’autres après lui, ont méconnue.

« Au reste, la retraite des calvinistes ne dut faire qu’une légère sensation dans le commerce de la Normandie, puisque ce magistrat ne s’est aperçu que de ce tort.

« Ce que l’intendant de Caen dit est si vague, que vous n’auriez pas dû le citer. Si les religionnaires, qui étaient les plus forts marchands, se retirèrent, comme il l’écrit, cet évènement fut heureux pour ceux qui restèrent, et les plus faibles remplacèrent les plus forts. »

« Quelle confiance peut-on prendre dans un avis qui n’est pas même français ?

« L’intendant de Poitou regrette une manufacture de droguets 154 que le luxe aurait fait tomber, si sa mauvaise qualité lui en eût laissé le soin. Ce qu’il dit de celle de la Châtaigneray est si peu important, que, si j’en parle, c’est pour avoir occasion de louer la sagesse qui préside au conseil de commerce 155 ; elle vient de préserver cette manufacture d’une ruine totale dont nos colonies septentrionales auraient souffert.

« L’intendant de Guienne n’a trouvé de diminution que dans les villes de Clérac et de Nérac ; c’est bien peu de chose pour une aussi grande province. Eh ! quel commerce faisait-on dans ces villes ? À Nérac, celui des farines ; à Clérac celui du tabac ; – l’un et l’autre ont dû être interrompus par la guerre. Pourquoi donc en attribuer l’altération à la retraite des prétendus réformés ? Je souffre pour mon lecteur et pour moi-même de m’arrêter à des discussions si misérables ; terminons-les, à la confusion de l’intendant de Tours.

« Rien ne montre plus le peu d’exactitude des recherches de certains de nos préfets des provinces, que le Mémoire de celui-ci. Quoique les erreurs qu’il contient ne soient pas de petite dimension, on n’a besoin que du calcul pour les relever. Cet intendant dit 156 « que le tarif de la soie de Tours montait alors, tous les ans, à dis millions de livres ; que la manufacture faisait travailler sept cents moulins et occupait 40 000 personnes pour dévider de la soie ». Voilà trois erreurs dans quatre lignes.

« La première est celle des dix millions de livres de soie. Cette quantité énorme, réduite en balles de 160 livres, faisait 62 500 balles qui seraient passées forcément par la douane de Lyon. Or, le mémoire des marchands de cette ville, que j’ai déjà cité (p. 102), dit que, de 20 000 balles, de soie qui venaient à leur douane, année commune, il n’en arrivait plus que 3 000 ; la manufacture de Tours ne pouvait donc pas consommer 62 500 balles, quand même tout ce qui entrait dans le royaume aurait été pour son compte.

« La seconde erreur consiste à n’avoir supposé que sept cents moulins pour ouvrer cette quantité de soie, tandis que quatre fois autant auraient à peine suffi ; en voici la preuve. Des dix millions de livres de matière, il faut en distraire le tiers, c’est-à-dire trois millions trois cent trente-trois mille trois cents livres cinq onces et deux gros, destinées pour la chaîne des étoffes, parce qu’elles arrivent de Piémont, de Bologne et d’autres lieux de l’Italie, toutes ouvrées et prêtes à mettre en teinture ; il restait donc six millions six cent soixante-six mille six cent soixante-six livres dix onces et cinq gros pour la trame ; et c’est cette quantité qui a dû être ouvrée à Tours ! Or, un moulin à trois vergues, c’est-à-dire, des plus grands, ne peut ouvrer que deux mille cinq cents livres de soie par an ; c’est un fait certain. Il aurait donc fallu 2 731 moulins, au lieu de 700, que M. l’intendant en suppose.

« La troisième erreur est dans le nombre des personnes employées à dévider de la soie. Les 6 666 666 livres 10 onces et 5 gros avaient besoin, en premier lieu, d’être dévidées. Une femme ne dévide qu’une livre de soie par jour, encore faut-il que la matière soit bonne et l’ouvrière assidue.

« Nous supposerons, par an, 300 jours de travail non interrompus, et conséquemment 300 livres de soie, dévidées par chaque personne : cette première opération aurait donc occupé 22 222 personnes.

« La seconde opération est le doublage de la soie. Une femme fait alors le double de besogne : il en fallait donc la moitié moins pour doubler que pour dévider, c’est-à-dire 11 111.

« À ces deux opérations, il faut joindre celle du dévidage de l’organsin, au retour de la teinture. Mais, parce que 3 333 333 livres 5 onces et 2 gros auraient diminué d’un quart à la teinture, nous les réduirons à 2 millions 499 mille 999 livres 12 onces. Les rouets de Lyon n’étant pas encore connus, une femme ne pouvait guère dévider par jour au delà de 4 onces de cette soie fine, – ce qui faisait, pour 300 jours, 75 livres : le dévidage de l’organsin devait donc occuper 33 333 personnes.

« Voilà donc 66 666 personnes employées au dévidage et doublage des soies et organsins ; M. l’intendant n’en compte que 40 000 : il y a donc erreur de 26 666 personnes qu’il aurait pu faire entrer dans l’énumération des torts causés à la ville de Tours par la révocation de l’édit de Nantes, sans compter celles employées à dévider la trame sur les canettes, dont on pourrait régler le nombre sur celui des métiers, c’est-à-dire à 8 000.

« Je supprime toute réflexion sur les mémoires des intendants ; et je reviens à vous, Monsieur, dont les citations ne sont pas d’une exactitude bien scrupuleuse ; je m’en suis aperçu plus d’une fois, mais surtout ici, où vous faites parler l’intendant de Touraine selon votre cœur. Il n’a pas dit ces mots essentiels, « avant cette révocation funeste 157 » ; et, quoiqu’il ne paraisse pas l’approuver, il n’est pas assez déraisonnable pour lui attribuer la chute de Tours.

« La nécessité des peuples, les enrôlements forcés, la douane de Lyon et les toiles peintes y ont concouru, avec les violences que les religionnaires ont souffertes. » Il y a donc un peu d’infidélité, soit dans la manière dont vous présentez la chose, soit dans le langage que vous faites tenir à votre intendant, et j’ai dû le faire apercevoir à mon lecteur, afin qu’il vous croie un peu moins sur votre parole, surtout quand vous lui dites, que vous n’avez pas « chargé le tableau », et que « personne ne peut révoquer en doute les faits » dont je viens de démentir la frivolité et la fausseté. Vous avez tellement grossi le mal, qu’il n’y a ni vérité, ni vraisemblance à tout ce qu’il vous a plu attribuer à la révocation de l’édit de Nantes.

« Eh ! pourquoi voit dans cet évènement la cause des variations qui prennent leur source dans la vicissitude des choses humaines ? Les fabriques ne sont pas tellement attachées au lieu de leur naissance, qu’elles ne s’expatrient quelquefois par goût, par caprice ou par nécessité. Je sais que plusieurs ont souffert une grande diminution, et que quelques-unes ont pris fin : mais, ces changements doivent être attribués, ou au luxe, qui, a proscrit une infinité d’étoffes de basse qualité, on à la mode, ce tyran des Français, qui ne soumet jamais mieux les hommes à ses lois, que lorsqu’il parvient à les faire promulguer par les femmes ; ou à l’émulation, qui a transporté les arts d’un pays dans un autre 158 ; ou à l’avidité des fabricants, qui a altéré les qualités ; ou à la misère des temps, qui a contraint l’ouvrier d’abandonner les fabriques 159 ; ou aux guerres, qui ont rendu les matières plus rares et les exportations plus difficiles ; ou aux droits multipliés 160, qui ont détruit l’équilibre de la concurrence ; ou à la cherté des vivres, qui a produit ce même effet ; ou à des préférences, qui ont enrichi des villes aux dépens des autres. Quelquefois aussi, une rapidité désordonnée a fait étendre un peu trop loin certaines branches de commerce, et le tronc en est resté desséché.

« Il ne manque à ces inconvénients que celui d’une liberté indéterminée, dont on ne cesse de nous prêcher les avantages ; si le ministère se laisse prendre à ces dehors trompeurs, cette génération verra périr notre commerce, et on dira un jour à nos neveux, que LA GÊNE DES CONSCIENCES A RUINÉ LES FABRIQUES 161. »

De Caveyrac a été prophète et prophète trop véridique en écrivant ces lignes en 1758 ; il ajoute :

« J’aurais beaucoup de choses à dire contre ce système, mais elles m’écarteraient trop de mon sujet, auquel l’empressement de finir et la crainte de fatiguer me ramènent : parcourons donc rapidement l’histoire des révolutions de nos fabriques.

« La mode a substitué l’étoffe de goût au brocard d’or ; les velours de trois couleurs aux velours plains ; les petits satins aux étoffes trop soyeuses ; le broché au liseré ; les bas unis aux bas brodés ; les mantelets aux écharpes ; la broderie aux cartisanes ; les rubans de soie aux rubans d’or et d’argent.

« L’émulation a porté la rubanerie de Tours à Saint-Étienne, à Saint-Chaumont, à Alais ; les draps du Levant, dans plusieurs villes du Languedoc ; les petites étoffes de soie, au bourg Saint-Andiol ; toute sorte de fabrication à Nîmes ; les filatures de soie dans vingt endroits ; les mûriers dans plusieurs provinces ; le métier à bas dans tout le royaume ; et au moment où j’écris, les villes de Lavaur et du Puy ne voient-elles pas s’élever dans leur sein des fabriques de soie qu’elles doivent aux soins de Messieurs leurs Évêques ; l’un est en cela le restaurateur du commerce, l’autre en est le créateur.

« La terre versait ses dons sur Lavaur, et ses habitants les prodiguaient. Ils filaient si mal les coques de soie, qu’au dévidage le déchet égalait souvent la matière. Ils étaient si peu ambitieux, que le profit immense de la main-d’œuvre ne les touchait pas.

« M. de Fontanges les a éclairés sur leurs intérêts ; et cette matière, autrefois si défectueuse, s’est pour ainsi dire purifiée à la voix du pasteur, et a pris sous ses yeux différentes formes. On file des trames d’Alais à Lavaur, on y fabrique des étoffes de Lyon ; et cette denrée ne sort du pays qui l’a produite qu’après avoir enrichi le cultivateur et l’artisan.

« Monseigneur l’évêque du Puy 162 prenant la bobine eu main, sans quitter la plaine, a jeté des semences de richesses, là où il avait fécondé celles de la religion : ses vues ont eu le même objet, son zèle la même ardeur, ses soins les mêmes succès que ceux de son confrère ; mais il a plus fait que lui, parce qu’il avait beaucoup plus à faire.

« Pour établir une manufacture de soie, dans des montagnes où l’on n’en connaissait que le nom, il fallait concevoir l’entreprise, encourager l’entrepreneur, lui rendre le gouvernement favorable, obtenir des exemptions, donner de l’émulation, inspirer de la confiance, créer un nouveau peuple et rendre propres au travail délicat de la soie, des doigts faits, tout au plus à manier les fils de quelques dentelles grossières.

« M. Lefranc de Pompignan est venu à bout de ces difficultés, parce qu’il n’est rien dont les vertus et les talents réunis ne triomphent.

« Les villes de Lavaur et du Puy auront donc des manufactures de soie qui feront nécessairement quelque tort à celles de leurs voisins, parce que « l’émulation – qui a l’art de multiplier les fabriques, – n’a pas la propriété d’augmenter la consommation ».

« Mais, tandis que l’émulation provigne le commerce, l’avidité des fabricants le déracine.

« Le Dauphiné envoyait autrefois au Levant une grande quantité de petites étoffes, – l’infidélité des fabricants a ruiné ce commerce. Il est facile de duper les Turcs, il est difficile de les ramener à la confiance ; aussi ce peuple a-t-il un proverbe rempli de bon sens : « Si tu me trompes une première fois, c’est ta faute ; si tu y reviens, c’est la mienne. »

« Nîmes fabriquait douze mille pièces de buratte, étoffe dont la chaîne est de fleuret qui, per sa nature molasse, prête tant qu’on veut ; le fabricant fit ramer cette étoffe, et mise en œuvre, elle se raccourcissait dans l’armorte ; les paysannes du Languedoc n’en veulent plus, et la fabrique est diminuée de moitié. »

De Caveyrac cite encore bien d’autres exemples 163, qu’il serait trop long de rapporter : voici sa conclusion, – elle est des plus rationnelles :

« J’ai voulu prouver que les changements arrivés dans certaines de nos fabriques avaient pour cause la cherté des matières, la multiplicité des droits, les préférences exclusives ;... toutes ces choses étaient de mon sujet et de mon ressort : je dis donc, pour me résumer là-dessus, qu’il n’est pas raisonnable de penser que ces révolutions arrivées dans notre commerce aient la révocation de l’édit de Nantes pour principe et la fuite des prétendus réformés pour moyen, j’aimerais autant qu’on dît que leur retraite fit crouler le pont de Moulins 164.....

« Ces évènements (la décadence de nos fabriques) sont plus prochains qu’on ne pense, et comme on pourrait bien un jour en accuser l’abolition du calvinisme, je les annonce afin que la troisième génération, si ma réponse mérite de la voir, puisse trouver dans ce que j’écris, la solution à tout ce que les prétendus réformés pourraient écrire sur cette matière.

« On y verra, – dit de Caveyrac au prétendu patriote, que vous avez porté pour preuve de la diminution frappante survenue dans le commerce, les villes de Nîmes, de Lyon, de Marseille, et d’autres endroits considérables du royaume 165, quand ces villes n’ont jamais été si florissantes.

« Nîmes s’est tellement agrandie, qu’on a parlé plusieurs fois de lui donner une nouvelle enceinte, ses faubourgs s’étendant déjà jusqu’aux anciens murs des Romains. Cette ville vient de faire des embellissements 166 dont je consacre ici la mémoire, de crainte qu’on ne crût, un jour, à leur beauté, qu’ils étaient du siècle d’Auguste. Le nombre de ses habitants a augmenté du double ; elle avait à peine cinquante métiers à bas, au temps de la révocation de l’édit, et elle en compte aujourd’hui quatre mille dans sa jurande ; elle n’avait que six cents métiers de différentes petites étoffes de peu de valeur, et elle en a dix-huit cent soixante de toute espèce.

« Lyon renferme des richesses immenses et un peuple prodigieux. Cette ville n’avait que 69 000 habitants, au dénombrement de la fin du XVIIe siècle, elle en a actuellement (1758) deux cent mille.

« La ville de Marseille est trois fois plus riche et plus peuplée qu’avant la peste...

« Ce qu’on voit dans Bordeaux d’embellissements, d’agrandissements et de peuple est surprenant...

« Si la ville de Rouen n’a pas étendu sa réputation par la beauté de ses édifices, elle a augmenté son crédit par la richesse de son commerce, dont toute la province de Normandie se ressent. Qui eût dit à l’intendant qui déplorait la perte de quelques chapeaux, que vingt ans après, les manufactures de différentes toiles rouges, et à carreaux, de siamoises rayées et brochées, de mouchoirs, fichus et steinkerques, occuperaient utilement tant de monde, que le peuple en abandonnerait le travail de la terre ?

« Le commerce est bien florissant, là où les récoltes ont besoin qu’un arrêt du Conseil 167 leur fasse rendre des mains enlevées à l’agriculture par les fabriques.

« Voilà des preuves incontestables de l’accroissement de notre commerce et de la légèreté de vos assertions ; j’aurais pu les réduire en deux lignes, mais le détail m’a paru nécessaire pour ne laisser ni lieu de douter à ceux qui pensent bien, ni occasion de répliquer à ceux qui ne sauraient se taire. »

Il nous reste maintenant à examiner les torts que la fuite des Calvinistes a pu faire à la France, relativement aux forces de terre et de mer ; donc :

5o Quel est le tort causé à la France par la fuite des Calvinistes, considérés comme soldats ?

De tous les dommages que la France a pu souffrir par la retraite des religionnaires, celui que nous examinons dans ce moment est le plus petit, soit qu’on l’envisage du côté des avantages procurés, ou de celui de la force perdue.

Les nations étrangères n’ont dû trouver dans les fugitifs qu’un nombre de soldats proportionné à la masse expatriée, à moins que Dieu n’eût dressé subitement au combat les mains de ses serviteurs, ou que « la rage », dont parle Jurieu, n’eût transformé ces troupeaux de brebis égarées en des légions foudroyantes.

Ne supposons à nos concitoyens fugitifs, ni grâces surnaturelles, ni sentiments odieux, et traitons-les comme le reste des hommes.

Il est sorti 50 000 personnes, qui composent 10 000 familles de cinq têtes chacune. De ces cinq têtes, il y avait un vieillard, un père, une mère et deux enfants : par conséquent, une famille ne fournissait qu’une seule tête, propre – par le genre du sexe et la nature de l’âge, – à cultiver la terre, les arts, ou les armes ; cette dernière profession n’a donc pu avoir pour son lot que 3 333 personnes, – voilà le gain.

Quant à la perte, on doit l’évaluer d’une autre manière ; Louis XIV a eu jusqu’à 500 000 hommes de troupes de terre et de mer, ils étaient pris sur une masse de vingt millions de sujets ; c’était donc deux et demi pour cent. Or, si les 50 000 fugitifs eussent resté en France, ils auraient fourni leur contingent de troupes, qui, à raison de deux et demi pour cent, aurait fait 1 250 hommes. Voilà la perte.

Si l’on admet les 200 000 fugitifs de Benoist, on n’y gagnera pas grand-chose ; la perte ne sera que de 5 000 hommes de troupes triplement réparée par les 15 000 soldats irlandais bien aguerris qui arrivèrent an France en 1690, avec armes et bagages, sons la conduite du fameux maréchal de Chateaurenaud.

Nous pourrions ajouter à ces premiers calculs des conjectures historiques.

Benoist et Jurieu, assez attentifs à exagérer nos pertes, ne disent pas un mot des régiments ou des soldats réfugiés ; le premier parle seulement de quelque jeunesse, qu’il anoblit à son gré, « et dent on forma des compagnies en Brandebourg et dans les Provinces-Unies 168 ».

Mais, ni les Suisses, qui ont des soldats à revendre ; ni les Anglais, qui les haïssent trop pour s’y fier ; ni les princes de Hesse, de Bareth et de Lunebourg, qui n’eurent que peu de réfugiés pour leur lot, n’ont eu des régiments ni même des compagnies composées de ces transfuges.

Ancillon donne à l’électeur de Brandebourg une compagnie de gardes du corps, une de grenadiers à cheval, deux de grands mousquetaires et trois régiments de réfugiés ; mais, le fait ne saurait être vrai dans la totalité, si ce que cet historien dit du nombre des réfugiés est véritable.

Que l’on se rappelle que nous n’en avons trouvé – d’après lui, – que 9 633 ; or, les trois régiments, de deux bataillons seulement, chacun de quatre compagnies, composées de 150 hommes, feraient beaucoup au delà du nombre des personnes qui passèrent en Brandebourg en état de s’adonner à l’agriculture, aux arts ou aux armes : et, dans ce cas, que seraient devenues « ces landes et ces sables déserts des États du roi de Prusse, changés en campagnes fertiles et riantes par les réfugiés ? » Que serait devenue « cette industrie qui a été la base de la puissance de ce sage et redoutable monarque 169 » ?

Il n’est pas inutile de rappeler, à ce propos, que le prétendu « patriote » a dit que « la ville de Berlin seule renferme plus de vingt mille habitants français que le désespoir a chassés de leur patrie 170 ».

Voltaire, à qui un zéro de plus ne contait rien quand il ne diminuait pas sa fiction, ou qu’il ajoutait quelque chose à l’agrément de sa narration, n’a trouvé que dix mille réfugiés, dans cette capitale du Brandebourg 171 ; voilà déjà un retranchement de moitié avec lequel nous ne tenons pas quitte « le patriote ». On fit en 1755 un dénombrement dans les États du roi de Prusse, et, il ne se trouva dans Berlin que 6 654 réfugiés français : le « patriote » n’avait donc exagéré que des deux tiers en sus, – ce n’est pas trop. Il y gagnerait encore, si on voulait bien croire le quart de tout ce qu’il dit ; mais, plus nous avançons, et moins on trouve de raisons d’ajouter foi à ce qu’il lui plaît d’affirmer.

« Vous avez voulu – lui dit de Caveyrac – que la révocation de l’édit nous eût appauvris en sujets, et nous n’en avons pas perdu la moitié tant qu’en une campagne de Bohême ; en richesses, et nous n’avons jamais eu tant d’argent ; en industrie, et nos fabriques ont quadruplé ; en soldats, et les nations étrangères n’ont eu que 3 000 réfugiés à leur service, quand nous gagnâmes, sur l’Anglais seul, 15 000 hommes, quand nous opposions 500 000 hommes à toute l’Europe liguée contre nous 172. »

 

 

 

Charles BARTHÉLEMY,

Erreurs et mensonges historiques, vol. II, 1879.

 

 

 

 

 

 



1 Histoire de Mme de Maintenon et des principaux évènements du règne de Louis XIV, tome II, p. 204 (1848).

2 Ibid.

3 Calvin : Institut. christ. relig. p. 550.

4 Michaelis Serveti Defensio orthodoxæ fidei contra errores, ubi docetur jure gladii coercendos esse haereticos. – (1554.)

5 M. de Noailles : l. c. sup., p. 208 et 209. – Cf. Germain : Histoire de l’Église de Nîmes, tome II, p. 79, et Bossuet : Histoire des variations, tome I, p. 90, édition de 1816.

6 Charles IX écrivait après la Saint-Barthélemy à Schomberg, son ambassadeur en Allemagne : « Il ne m’a pas été possible de les supporter plus longtemps. » (Voyez dans notre première série des Erreurs et mensonges historiques, p. 169, la Saint-Barthélemy.)

7 Voyez le discours de Montluc, évêque de Valence, aux Polonais, vers lesquels Charles IX l’avait envoyé en ambassade.

8 Voyez la Saint-Barthélemy, dans notre première série des Erreurs et mensonges historiques, p. 168 à 237.

9 Brantôme : Éloge de Montluc.

10 Le baron des Adrets était né en Dauphiné.

11 Le parlement de Grenoble. – Voyez Alard : Vie du baron des Adrets.

12 Le protestant d’Aubigné, qu’il ne faut pas toujours croire sur sa parole, prétend que des Adrets lui ayant fait un discours horrible de plus de quatre mille meurtres de sang-froid, et d’inventions de supplices INOUÏS, et surtout des sauteries de Mâcon, ajouta qu’il avait rendu aux catholiques QUELQUE REPRÉSAILLE. (Histoire universelle, tome I, livre III ch. IX, p. 216, édition de 1626.)

Ce discours n’est pas vrai, ou du moins des Adrets n’a pas pu dire que ses cruautés étaient des représailles de Mâcon, puisqu’elles les avaient précédées. Pierrelatte et Bollène furent prises et saccagées avant le 25 juin 1562 ; les soldats de Montbrison sautèrent, le 16 juillet ; les catholiques de Morus éprouvèrent le même sort dans le même temps ; et Tavannes ne prit Mâcon que le 19 août. Ce n’est pas le seul endroit où le bon d’Aubigné laisse dormir sa grande droiture ; ce sont autant de manques de bonne foi. – Ces sauteries – le mot l’indique assez – consistaient à précipiter les condamnés du haut d’une tour ou d’un pont. (Voyez Bossuet : Histoire des Variations, tome II, livre X, p 53, édition de 1816.)

13 Montgomery, ayant pris Navarrins, promit la vie sauve à quelques gentilshommes, mais on les poignarda. Il serait assez difficile de justifier cette mauvaise foi. Montluc s’en vengea au Mont-de-Marsan. Il est digne de remarque que Duplessis-Mornay, cet historien si intègre, ne dit pas un mot de la capitulation violée, que d’Aubigné biaise, que de Thou la raconte froidement, que la Popelinière en fait l’aveu sans détour.

14 Il y a beaucoup à retrancher de ce qu’on a écrit sur les cruautés exercées, à la prise d’Orange ; les principales narrations de ce fait sont suspectes à force d’être uniformes, parce qu’elles partent de la même source. Varillas a copié de Thou, et celui-ci et d’Aubigné ont copié Théodore de Bèze, et l’emportement de ce dernier est connu ; ainsi, ces quatre autorités n’en font qu’une, de laquelle il est permis de douter : il faut donc chercher la vérité dans d’autres monuments. Les mémoires particuliers des lieux et des temps voisins de cet évènement sont préférables à tous autres.

On voit, dans l’Histoire de Mines, par Ménard (tome IV, preuves, p. 1 à 15), sept journaux de ce temps-là, dont six sont composés par des huguenots ; le second même est du ministre Jean Deyron. Or, aucun journal ne dit un mot de ces cruautés, quoique ce fût une belle matière à annotations ; surtout l’odieux de ces excès pouvant être mis sur le compte du pape, dont les troupes servaient sous les ordres de Serbellon.

Or, Nîmes et Orange ne sont distantes que de sept lieues, et ces journaux font mention des meurtres de Vassy et d’autres faits moins intéressants et plus éloignés. On trouve, il est vrai, dans Ménard (ibid., preuve CVII, p. 289), une délibération des habitants, où il est question des cruautés d’Orange ; mais, le détail a plus l’air d’une terreur panique que d’une relation circonstanciée ; et, cependant, ce que le consul expose est bien au-dessous de ce que Varillas et de Thou racontent. Or, si on considère que ce consul avait intérêt de grossir le mal, puisque son but était de faire prendre les armes aux habitants, on retranchera encore beaucoup de son exposé. Mais, voici un fait qui détruit les trois quarts de ce qu’on a avancé là-dessus. Que l’on se souvienne de l’état où de Thou et son copiste ont réduit la ville d’Orange : hommes, femmes, enfants, tout y fut passé au fil de l’épée, les maisons démolies ou brûlées, la ville rasée et défruite ; qu’on n’oublie pas aussi que cette cruelle expédition se fit le 5 ou 6 du mois de juin, et que les sauts périlleux de Mornas sont du 16 juillet. Que l’on se rappelle à présent ce que d’Aubigné et Th. de Bèze écrivent, l’un dans son Histoire universelle (t. I, p. 207) ; l’autre dans son Histoire ecclésiastique (livre XII, p. 271) : Ceux d’Orange mirent sur des radeaux les cadavres des catholiques tués à Mornas, avec cet écriteau : PÉAGERS D’AVIGNON, LAISSEZ PASSER CES BOURREAUX, ILS ONT PAYÉ À MORNAS.

Comprend-on comment un mois après la destruction totale d’une ville, il s’y est trouvé des gens d’assez bonne humeur pour plaisanter de la sorte ? Concluons donc, ou que Th. de Bèze et d’Aubigné mentent en ceci, ou qu’ils ont menti dans le récit des cruautés arrivées à Orange : nous laissons le choix à leurs partisans.

15 Quoi qu’en disent les protestants, cet évènement n’avait pas été prémédité. Brantôme entendit de ses propres oreilles et plusieurs qui étaient avec lui, que le duc de Guise, près de mourir, se confessa de ce massacre, priant Dieu n’avoir rémission de son âme, s’il y avait jamais pensé, et s’il en fut jamais l’auteur.

16 La Popelinière, auteur protestant dont on ne peut suspecter ici la sincérité, dit qu’il n’y eut que quarante-deux personnes tuées à Vassy. (Histoire des cinq rois, p 148.)

17 Le même jour (26 avril 1561), les huguenots en firent autant pour la seconde fois à Nîmes. – (Voyez le deuxième Journal cité ci-dessus.)

18 Les protestants jetèrent dans le Rhône la tête de saint Irénée.

19 En Agenois.

20 Surnommé le Bon ; il était père de Charles d’Orléans et grand-père de François Ier.

21 Le 21 décembre 1561. – Voyez les sept Journaux de l’Histoire de Nîmes, l. c. sup.

22 Le 27 décembre 1561. – Voyez Mezeray : Abrégé chronologique, tome V, p. 52 et 53.

23 Au nombre de trente-quatre.

24 De Caveyrac : Apologie de Louis XIV et de son conseil, sur la révocation de l’édit de Nantes, etc. (1758), p. 12 et 13.

25 Histoire de l’édit de Nantes, imprimée à Delft, chez Arien Boman, édition de 1695, livre II, p. 106.

26 Déclaration donnée à Mantes, le 4 juillet 1591.

27 Mémoires de la Ligue, tome V.

28 Le 25 juillet 1593.

29 Procès-verbal de l’Assemblée de Saumur, tenue en 1557, tome I.

30 Ibid.

31 Procès-verbal de l’Assemblée de Loudun, en 1596, tome I.

32 Lettre du 19 mars, manuscrite, citée par de Caveyrac, 1. c. sup., 42.

33 Lettre du 12 mars 1597. – Procès–verbal de l’Assemblée de Châtelleraud, tome II.

34 Mémoire de Sully, tome I, p. 505, édition de Londres.

35 Le siège d’Amiens.

36 Politique du Clergé, p. 110 et 111.

37 Voyez les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, fonds de Brienne nos 220 à 226.

38 Mémoires de Sully, Économies royales.

39 Article 3 de l’édit.

40 Article 6 de l’édit.

41 Articles 7, 8, 9, 10, 11 de l’édit.

42 Articles 30, 31, 32, 33, etc., de l’édit.

43 Article 27 de l’édit.

44 Article 82 de l’édit et 34 des articles secrets.

45 L. c. sup., p. 230.

46 Journal du règne de Henri IV.

47 Conférences ou commentaires sur l’édit de Nantes, par P. de Belley, conseiller au parlement ; publie en 1690.

48 Assemblées politiques, tome III (1605).

49 Règlement de l’Assemblée de Saumur, article XIX (1611).

50 Réponse du chancelier Brulard aux députés de la Rochelle, le 31 janvier 1612.

51 Articles LXXVI et LXXVII.

52 Du 24 avril 1612.

53 Tenu à Privas, au mois de juin 1612.

54 Pour le détail de tout ce qu’on fit souffrir à cet excommunié, voir Ménard : Histoire de Nîmes, tome V, livre XIX.

55 Voyez Bayle : Dictionnaire historique et critique, article ACOSTA.

56 De Caveyrac, l. c. sup., p. 49.

57 Paix de Vervins.

58 Mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, et de l’Infant Philippe IV avec Élisabeth de France.

59 Jean-François de Biondi, envoyé du roi d’Angleterre.

60 À Grenoble.

61 Mercure français, tomes III et IV (1615).

62 Mille cavaliers et trois mille fantassins s’étaient emparés de ce passage.

63 Le 6 octobre 1615.

64 De Bonivet.

65 Au camp de Sanzay, le 27 novembre 1615.

66 Le comte de Candale.

67 À Loudun, le 3 mai 1616.

68 Mercure de France, tome VI (1620).

69 Jeanne d’Albret, mère de Henri IV.

70 Article IV de l’assemblée de Millau, du 11 novembre 1620.

71 Aecolampade, in Daniel, lib, III, cap. XVI.

72 L. c. sup., p. 54 à 56.

73 Le 19 mars.

74 Déclaration du 24 avril 1621.

75 Procès-verbal de l’assemblée de la Rochelle, tome VI.

76 Lettre du 13 février 1597.

77 Mémoires de Sully.

78 Trente-six églises furent démolies.

79 Le 28 octobre 1622.

80 Édit du mois de mars 1626.

81 Le fort de Todon.

82 Beaufort et d’Arros, – l’un gouverneur de Pamiers, l’autre de Mazières.

83 3 mai 1629.

84 15 janvier 1629.

85 Nîmes, juillet 1629.

86 27 novembre 1615.

87 Déclaration du 2 novembre 1615.

88 Déclaration du 24 avril 1621.

89 L’Espagne.

90 La Valteline (1625).

91 Politique du clergé, p. 204.

92 Ibid., p. 113.

93 Mémoires d’État (édition de Paris, 1636, in-4), p. 316.

94 L. c. sup., p. 71.

95 L. c. sup., p. 272 et 273.

96 C’est de Voltaire qu’il est ici question.

97 De Caveyrac, 1. c. sup., p. 74.

98 Ovide : Métamorphoses, liv. III.

99 Procès-verbal de l’assemblée de Châtelleraud (1597).

100 Ibid.

101 Procès-verbal de l’assemblée de Vendôme, tome II.

102 Mémoire politico-critique, p. 9.

103 Benoist : Histoire de l’édit de Nantes, tome IV, 3e partie, liv. XVI, p. 414.

104 Ibid.

105 Lettre d’un Patriote, etc., p. 12.

106 Histoire de Louis XIV, tome IV, p. 289.

107 Unité de l’Église, p. 120.

108 Histoire de Louis XIV, livre LXIII, p. 327 (édition de La Haye, 1742).

109 Histoire d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, tome IV, p. 664 (édit. in-fol., de Rotterdam).

110 L. c. sup., tome III, 3e partie, p. 1014.

111 Ibid., tome V, 3e partie, livre XXII, p. 830 et 832. – Liv. XXIV, p. 946, 947.

112 Ibid., p. 951.

113 P. 953.

114 Ibid.

115 Ibid., p. 957.

116 Ibid., p. 958.

117 Ibid.

118 Ibid.

119 Ibid.

120 Ibid., p. 959.

121 Ibid.

122 Celle de Voltaire.

123 Ibid.

124 Ibid., p. 960.

125 Elle est de 1689.

126 Histoire des réfugiés français dans les États de Brandebourg.

127 Le sage, judicieux et patient auteur des Recherches et Considérations sur les finances de France (de Forbonnois), dit (tome I, p. 297) que ce qui se passa aux monnaies, à la refonte de 1689, porte à croire qu’en 1683 il y avait cinq cents millions d’espèces ; on peut s’en rapporter avec confiance au témoignage d’un homme devant lequel toutes les archives et tous les cabinets se sont ouverts.

128 Pelletier.

129 Benoist : Histoire de l’édit de Nantes, p. 958.

130 Ibid., p. 960.

131 Ibid. « Des milliers de réfugiés en Angleterre étaient dans la nécessité. » – La Martinière, l. c. sup., livre IV, p. 664.

132 Ancillon, l. c. sup. (Berlin, 1690, in-8), p. 287.

133 Ibid., p. 294.

134 Benoist, l. c. sup., p. 949.

135 De Caveyrac, l. c. sup., p. 96 et 97.

136 La manufacture de Louviers, établie par lettres patentes du 20 octobre 1681, accordées aux sieurs Picard et Langlois, était pour fabriquer des draps façon d’Angleterre.

137 L’article 8 des règlements pour les draps de Sedan fait connaître qu’ils sont imités de l’étranger jusques dans leur largeur. Ceux façon d’Espagne auront une aune et demie ; ceux façon d’Hollande une aune et un quart.

138 Cette ingénieuse machine appartenait à la France par droit de naissance ; ce n’était point un fugitif, mais un mécontent qui la porta chez les Anglais, et ce fut la faute du ministère d’alors. (Voyez de Caveyrac : Premier Mémoire politico-critique, p. 112.)

139 Ipra colorandis gens prudentissima lanis. – Guillaume le Breton : Philippide, liv. II.

140 On voyait encore – au siècle dernier, – un de ces moulins sur la rivière de Bresles, qu’on appelait le moulin d’Hollande.

141 La calandre royale de la rue Louis-le-Grand fut apportée d’Angleterre par l’abbé Hubert, qu’Orry avait chargé de ce soin.

142 On a essayé plusieurs fois d’imiter les forces des tondeurs à l’anglaise ; l’avantage d’y réussir était réservé à la seconde moitié du siècle dernier. On y travaillait avec succès à Darnetal, on avait fait venir pour cela un ouvrier anglais. Ce ne fut pas là la seule obligation que nos fabriques durent à M. de Trudaine.

143 En 1665. Voyez ses instructions et dépêches.

144 Lettres-patentes pour la manufacture de Sedan, de 1666, article 167.

145 Lettres patentes pour la manufacture d’Elbeuf.

146 Du 24 avril 1667.

147 Du 13 juillet 1665.

148 Voyez l’article 30.

149 En 1659.

150 Lettre du Patriote, etc., p. 19.

151 P. 104 et 105.

152 P. 106 à 110.

153 Suivant les mémoires des intendants, il n’y avait en France, à la révocation de l’édit de Nantes, que 312 325 calvinistes, non compris ceux de Béarn, dont aucun ne sortit, et où presque tous se convertirent ; et il n’y eut que 31 395 fugitifs.

154 Les fermiers du roi, abusant de la dénomination des Cadisés, voulurent percevoir les droits sur cette étoffe comme sur certains Cadis de Languedoc ; le conseil du commerce décida très-sagement en faveur de cette fabrique.

155 Lettre d’un patriote, p. 23.

156 Lettre au Patriote, p. 22.

157 Lettre du Patriote, p. 22.

158 « La ville de Lyon fournissait des forces à tondeurs à toute la Normandie, Vire en fournit à présent à Lyon. Vienne en Dauphiné avait trente moulinets pour fabriquer les lames d’épée ; on les fait aujourd’hui en Forez. » Note de Caveyrac, p. 120, note 1.

159 « Les belles linières de Bulle ont pris fin par la misère du pays, que les inondations de la rivière de Bresbe ont ruiné. » Ibid., note 2.

160 « Le premier impôt sur les cartes porta cette fabrication en Angleterre et ôta le pain de la main à un nombre prodigieux de personnes de Rouen. Le dernier impôt a fait tomber la fabrique de Béziers et établi celle d’Espagne. Les droits sur le pastel ruinèrent cette industrie dès le commencement du dernier siècle ; le Tiers État demanda en 1615 la réduction à 9 sols par balle. » – Ibid., note 3.

161 P. 120 et 121.

162 Jean-George le Franc de Pompignan, frère du poète de ce nom. Aussi distingué par sa piété que par ses talents et sa charité, l’illustre évêque du Puy fut traîné dans la boue par Voltaire et les sophistes du XVIIIe siècle. Mais, il y a des injures qui honorent !...

163 P. 124 et 125.

164 Il fut construit en 1684 sous la conduite de Mansard, et croula en 1686.

165 Lettre du Patriote, p. 23.

166 « Ils coûtent déjà douze cent mille livres. » – De Caveyrac, p. 140.

167 Cet arrêt est de 1723. Il ordonne la cessation de tout métier depuis le 1er juillet jusqu’au 15 septembre et n’excepte que Rouen et Darnetal.

168 Benoist : Histoire de l’édit de Nantes, p. 958.

169 Lettre du Patriote, p. 16.

170 Ibid.

171 Deuxième lettre au roi de Prusse, p. 39.

172 L. c. sup., p. 149.

 

 

 

 

 

 

 

 

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