ATTILLE BEGEY

______

 

 

ANDRÉ TOWIANSKI

 

ET

 

ISRAËL

 

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ACTES ET DOCUMENTS

 

(1842-1864)

 

 

avec une lettre

 

de Mr LADISLAS MICKIEWICZ

 

à l’Auteur.

 

 

 

 

 

ROME

Chez G. ROMAGNA & C.

 

Libraires – ÉDITEURS

Via Marco Minghetti, N. 26-29

 

1912

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lettre de M. Ladislas Mickiewicz à l’auteur

 

 

          Mr A. Begey,

 

Cher Monsieur, l’existence du peuple juif à travers les siècles, depuis sa dispersion, est une des énigmes les plus poignantes de l’histoire. Aujourd’hui beaucoup de catholiques et non moins d’incrédules ne voient d’autre solution à ce problème que ces essais de bannissement, de confiscation et d’extermination, vainement tentés tant de fois au moyen âge et de nos jours. Un journal catholique, qui orne chacun de ses numéros de la croix, lorsqu’il y a quelques années on pilla les Juifs à Alger, imprima ces lignes : « Le Christ a régné trois jours à Alger », et M. Drumont a soutenu que le meilleur moyen de résoudre la question sociale, ce serait de s’approprier toutes les richesses des Juifs et de les distribuer aux prolétaires.

Cette recrudescence de l’antisémitisme est un symptôme d’un ralentissement de l’activité du Christianisme. Il est plus facile de tuer un homme que de le convaincre. Quand l’Église catholique fut lasse de triompher par l’exemple et par la parole, elle recourut au bûcher, comme plus tard la Révolution française, lorsqu’elle eut sa devise de fraternité, liberté, égalité, non plus dans le cœur, mais seulement sur les lèvres, au lieu d’ouvrir ses bras aux nobles, trouva plus simple de les guillotiner. Renoncer à régénérer l’âme et, dès qu’on ne peut plus redresser l’esprit, chercher à anéantir le corps, c’est faire rétrograder le monde.

L’antisémite invoque pour sa justification les vieux péchés d’Israël, en faisant abstraction de cette quantité d’Israélites qui ont plus ou moins subi l’influence lente du Christianisme. L’antisémite oublie surtout qu’il pratique lui-même ce qu’il reproche à Israël. La supériorité du nouveau Testament sur l’ancien ne gît-elle pas dans la substitution, à la loi du talion, du précepte qui ordonne de rendre le bien pour le mal, et à la soif de la vengeance sur le coupable la poursuite de sa conversion ? Or l’antisémite ne croit plus à la toute-puissance de l’Évangile, la réalisation des promesses du Christ ; il n’espère la victoire que de la seule violence ; il prêche non plus l’amour, mais la haine. La loi du talion ne lui suffit pas, puisqu’il est prêt à frapper même le Juif innocent, sans examiner ses actes et uniquement à cause de sa qualité de Juif.

Il n’est pas niable que les errements des Israélites n’aient beaucoup contribué à cet état de choses. Combien d’entre eux ne se font-ils pas les courtisans ou les serviteurs de l’iniquité régnante, raillent les malheureux, se rangent du côté des forts contre les faibles, insultent, par exemple, la Pologne garrottée pour flatter l’autocratie russe et le caporalisme prussien ? Les Sionistes s’imaginent pouvoir retourner en Palestine avant d’avoir compris pourquoi la Providence les en a bannis. Il n’en est pas moins vrai qu’on ne dessillera pas les yeux aux Juifs en leur prodiguant le mépris et l’insulte et en les englobant tous dans la réprobation que ne méritent que certains d’entre eux, enfin en leur jetant l’anathème à tout propos.

Un antisémite ne devrait-il pas commencer par un examen de conscience ? Exècre-t-il les Juifs parce qu’ils exploitent les miséreux ou parce qu’ils l’empêchent d’exploiter ces mêmes miséreux à son propre profit ? Combat-il un parasite ou cherche-t-il à évincer un concurrent ? Il lui faudrait de plus se remémorer le nombre énorme d’adversaires furibonds d’Israël qui adorent le veau d’or à l’égal des financiers israélites les plus inféodés au capital, qui exploitent les puissants et les ouvriers avec plus d’insensibilité que le Juif, dont ils réclament la perte. Les Juifs sont-ils seuls à tourner le dos aux opprimés et à encenser les oppresseurs ? N’avons-nous pas vu ces jours-ci les délégués du Conseil municipal socialiste de Paris s’en aller à Saint-Pétersbourg offrir la croix conquise en 1855 à Sébastopol au gouvernement russe, qui n’a garde de se dessaisir d’aucun des trophées français ramassés sur la neige en 1812, et s’extasier sur l’amabilité des satrapes russes, repus des dépouilles de la Pologne ?

Que les antisémites commencent par aimer les humbles, se saigner en faveur des pauvres, ne pas tendre la main aux persécuteurs. Jusque-là, ils seront mal venus de fulminer contre Israël, eux qui sont les pires ennemis de l’Évangile. N’en détournent-ils pas une foule d’esprits, qui les prennent pour de vrais champions du Christ et méconnaissent une religion dont ils supposent avoir devant eux les interprètes autorisées ?

Un écrivain catholique, Léon Chaine, a dit : « L’antisémitisme est une doctrine de haine. Celui qui est venu en ce monde pour sauver tous les hommes ne peut couvrir et bénir de ses deux bras en croix la guerre d’extermination entreprise contre la race dont il est issu 1. »

Vous avez raison, cher Monsieur, d’essayer d’appeler à méditer ces vérités journellement méconnues tous ceux qui se préoccupent moins de leur prospérité personnelle que de la félicité générale, retardée par ces épidémies morales, aussi fréquentes et cent fois plus meurtrières que le choléra et la fièvre jaune. Il y a nombre d’années que de grands esprits polonais ont essayé de substituer, comme moyen d’action sur Israël, l’amour à la haine. En citant tant de belles idées formulées par ces illustres penseurs sur la question juive, vous facilitez la tâche des pionniers de l’avenir, ardue partout, mais plus ardue en Pologne que n’importe où ailleurs.

Croyez, cher Monsieur, à mes meilleurs sentiments.

 

        Paris, 4 mars 1912.

 

LADISLAS MICKIEWICZ.      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVANT-PROPOS

 

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L’action d’André Towianski dans l’Œuvre de Dieu 2 a eu pour objet, non seulement le salut des individus et des nations chrétiennes, mais aussi le salut d’Israël, qui, n’ayant pas perdu sa haute vocation, malgré le rejet du Messie consommé par ses ancêtres 3, réclamait de Towianski son amour et son sacrifice.

Dans la biographie de Towianski 4, il est fait mention d’Israël, lorsqu’on y traite de l’ancienneté de l’esprit, ou qu’il s’agit de désigner ce peuple de la promesse, et il y est particulièrement question d’un Israélite, Ram 5, avec renvoi pour les détails de sa conversion aux Actes et Documents de l’’Œuvre de Dieu 6.

Dans le premier volume de ces Actes et Documents, il y a le récit émouvant de son baptême, mais la Note est très-sommaire sur l’action antérieure et successive de Ram, qui présente pourtant un intérêt exceptionnel dans l’histoire de l’Œuvre de Dieu.

C’est à compléter cette Note, autant qu’il m’a été possible, que je destine ce livre, dans lequel je réunis les documents épars dans les publications de M. Ladislas Mickiewicz 7 et de M. le Dr François Rawita Gawronski 8, qui ont eu la bonté de m’en permettre la reproduction : et j’y ajoute des documents inédits et des pièces concernant Israël en général, ainsi que des pages tirées des Écrits d’André Towianski 9, afin que ce livre puisse être non seulement une contribution à l’histoire de la grande manifestation de l’Œuvre de Dieu au siècle dernier, mais encore un service actuel et permanent de cette Œuvre à la cause du christianisme dans le monde et particulièrement à Israël 10.

 

ATTILLE BEGEY.      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Les actes, documents et extraits contenus dans ce volume ont été traduits de l’original polonais, ou allemand ou italien, à l’exception des suivants : I, II, III, IX, XIII, XVI, XLVII.

 

 

 

 

 

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1.

 

 

ANDRÉ TOWIANSKI

 

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I.

 

 

André Towianski, appelé – dans les pages qui suivent – tantôt le Serviteur de Dieu, le Serviteur du Verbe et tantôt l’homme de l’époque, le Maître, a été vraiment ce que ces dénominations expriment dans leur plus large acception. Elles étaient justifiées par la sainteté de sa vie et par la force supérieure et céleste de sa parole.

Une foule de témoignages, et le mien entre autres, prouve l’influence de cette parole sur tous ceux qui ont approché André Towianski.

Un savant, froid et mal disposé à l’enthousiasme – le philosophe suisse Lèbre – mort en 1844, et qui vit Towianski une seule fois en 1843, retraça ainsi ses impressions 11 :

 

J’ai vu André Towianski : je ne puis le juger. – C’est un homme extraordinaire. – Toutes les idées du siècle sont en lui.

Il est l’esprit incarné du temps : il en a tous les instincts dans un grand cœur, il a une parole puissante, il a la souveraineté de l’esprit. Sa science, sa clairvoyance, sa puissance sont surhumaines, ou mieux sont celles de l’homme dans un état exceptionnel, nouveau, non pas extatique, mais exalté d’une exaltation pleine de douceur et d’énergie, qui donne à l’esprit le commandement.

« Vivez le plus possible, m’a-t-il dit, ayez un seul but, l’exaltation ; montez toujours, toujours plus haut. Tendez sans cesse à Dieu ; ne vous abaissez jamais. Ne négligez ni la science, ni les arts, mais dominez-les toujours ; gardez votre ton.

« L’homme est libre, il est souverain, il a la force de l’esprit ; ainsi il peut tout et doit à tout commander, car l’esprit est la force de Dieu.

« J’en sais qui pleurent quand ils commencent à lire, car on ne peut sans larmes descendre dans une région inférieure. »

Cet homme est tout puissant d’enthousiasme et d’élan ; il tend d’une aile superbe à des cieux toujours plus hauts ; il est magnifique de commandement, de douceur et de modestie. Il a dans l’universel amour de Dieu une foi sublime, pleine d’énergie..... sa pensée est toute inspirée de bonté, mais d’une bonté héroïque, exalté d’une généreuse miséricorde qui enlève l’âme à des ravissements, à des dévouements admirables, qui la fait monter toujours plus haut, s’éployer toujours plus vaste dans ce vol hardi d’adoration et d’amour. Un cantique de triomphe et un hosanna plein d’allégresse retentit dans ce cœur ; il est emporté sur un char de feu. Je dirai de Towianski : « Ainsi devrait être l’homme, s’il n’était pas pécheur. »

 

 

 

II.

 

 

Le plus grand poète moderne de la Pologne, Adam Mickiewicz, ayant éprouvé les bienfaits de la parole de Towianski, a été l’apôtre le plus fervent de sa mission et, dans son cours de littérature slave au Collège de France à Paris (1840-1844), il lui a consacré sa leçon du 19 mars 1844, en concluant par ces paroles 12 :

 

« Il y a une masse de lumière et de chaleur donnée pour chaque époque, c’est ce qui constitue l’époque ; elle est épuisée, il en faut une nouvelle dose pour ranimer l’humanité et faire surgir une époque nouvelle. Qu’on ne se fasse pas illusion en croyant que l’humanité n’a plus qu’à marcher à petits pas pour s’avancer sans danger ni secousse, non ! Dans la région de la vie tout marche par des crises.

« L’homme ne devient pas peu à peu d’enfant vieillard.

« Il y a une crise physique qui le fait adolescent ; il y a une autre crise physique où il se sent être homme ; il y a une crise aussi qui commence la décrépitude.

« Mais s’il est difficile de trouver une parole, C’est-à-dire un rayon du Verbe, s’il n’est donné au monde de voir l’organe du Verbe que dans un petit nombre d’époques, il est également difficile de le recevoir.

« Il ne peut pas pénétrer chez les hommes qui se sont incrustés dans le passé. Il n’entrera pas dans une intelligence qui n’ouvre ses portes que pour regarder le soleil couchant ; comment verrait-elle le soleil levant ? Il ne peut pas entrer dans un cœur qui tout entier est tourné vers la terre ; comment recevrait-il le feu qui tombe du ciel ?

« Voilà pourquoi le passé lutte contre le Verbe, et pourquoi aussi il est toujours prêt à le combattre. Voilà le sens de cette parole de l’Évangile : qu’on ne verse pas du vin nouveau dans de vieux tonneaux, et qu’on n’attache pas un morceau de pourpre à un vieil habit.

« La première opération pour recevoir le Verbe, l’opération à laquelle Fourier appelait ses disciples, à laquelle Emerson appelle les siens, c’est de faire un effort généreux, et de secouer, comme la poussière d’un vêtement, tous les liens qui nous attachent au monde mort, au monde des livres, au monde des systèmes ; d’ouvrir notre âme pour respirer une fois en hommes libres, et puis d’allumer notre feu intérieur de manière à pouvoir saisir ce ton divin et à pouvoir le nourrir et le conserver, parce qu’il ne peut vivre qu’au milieu de la flamme, et celui qui n’en a pas l’étincelle, c’est en vain qu’il le cherche et qu’il l’appelle.

« Il est si difficile de recevoir l’époque nouvelle, que la Providence éprouve d’une manière terrible les peuples et les individus destinés les premiers à la reconnaître.

« Pouvez-vous vous figurer Jésus-Christ apportant son souffle au milieu des Romains, frappant à la porte des Mécène et des Horace ? Y avait-il un moyen de se faire comprendre de ces hommes frivoles, ambitieux et cruels ? Pouvait-il parler avec les sophistes grecs ? Aussi, les premiers qui l’ont reconnu sortaient d’un peuple qui n’avait plus ni ses rois, ni ses institutions, ni son existence politique, qui était arraché violemment de la terre, séparé de tout ce qui est terrestre, de ce que l’homme a tant de peine d’abandonner volontairement. – Voilà pourquoi la race slave entière, qui n’a presque rien sur la terre, et dont tous les désirs, toutes les espérances reposent en Dieu, a été choisie pour reconnaître la première la nouvelle révélation ; et pourquoi aussi une fraction de cette race, le peuple qui, au milieu de la race slave, est ce qu’est la France dans la race romaine, peuple éternellement agitateur, éternellement agité, la nation polonaise, a été démembrée, effacée de la carte de l’Europe, jetée errante sur le globe.

« Elle arrivait plus d’une fois vers vous non pas sous la forme des systèmes et des livres, mais sous la forme des légions, des régiments auxiliaires, et enfin elle arrive au milieu de vous sous la forme d’une population exilée de sa terre, et qui, en cherchant le mystère de sa propre existence, marche vers le centre de tous les mystères.

« Ces hommes qui n’ont plus rien sur la terre sont les seuls qui doivent comprendre les premiers ce qui doit un jour régner sur la terre. Dieu ne commence jamais à former son armée et sa cour que par des mendiants et des ignorants. C’est sa règle ; s’il y avait un moyen de reconnaître le Messie d’après les livres, les Pharisiens l’auraient reconnu.

« Mais non, il fallait le reconnaître en tirant de sa poitrine l’élément divin qui correspondait à celui du Messie.

« Or, ceux qui étaient capables de le reconnaître se trouvaient parmi ceux qui n’avaient plus rien sur la terre. Mais cette reconnaissance, le moment où on l’acquiert, ce moment, je vous le dis, récompense tous les labeurs et toutes les peines ou de la vie terrestre. Ce moment-là nous fait pressentir déjà notre existence future, que nous n’apprendrons jamais à connaître par des définitions et des dissertations ; ce moment de reconnaissance donne l’esprit et la force de dévouement.

« Eh ! messieurs, vous aurais-je jamais parlé ainsi, aurais-je jamais présumé avoir le pouvoir d’affronter tout ce qu’il y a d’orgueilleux dans les hommes à systèmes, si je ne me sentais pas appuyé par une force qui ne vient pas de l’homme ? Je ne suis pas un docteur ; ce n’est pas à moi de vous enseigner les mystères de la nouvelle révélation ; mais je suis une des étincelles tombées du flambeau, et ceux qui en suivront la trace trouveront peut-être plus facilement que moi Celui qui est la voie, la vie et la vérité.

« C’était ma mission de vous le dire : je prie Dieu de donner à mes paroles quelque chaleur et quelque force pour qu’elles puissent vous conduire vers la source de toute chaleur et de toute force.

« La joie que j’ai éprouvée et qui ne me sera pas ôtée, la joie que j’ai ressentie d’être chargé de vous le dire, fera la joie de toute ma vie et de toutes mes vies ; et comme je ne parle pas appuyé sur un livre, comme je ne vous expose pas un système, je me proclame à la face du ciel le témoin vivant de la révélation nouvelle et j’ose sommer ceux d’entre les Polonais et d’entre les Français qui sont parmi vous et qui connaissent la révélation, qu’ils me répondent comme hommes vivants, qu’ils me répondent : Existe-t-elle oui ou non ? (Ceux à qui s’adresse l’appel se lèvent et la main levée répondent : Oui !) Ceux d’entre les Polonais et d’entre les Français qui l’ont vue incarnée, qui ont vu et qui ont reconnu que leur Maître existe, qu’ils me répondent : Oui ou non !.....

(Ceux à qui s’adresse l’appel se lèvent et répondent : Oui !)

« Et maintenant, mes frères, ma tâche devant Dieu et devant vous est finie. Puisse ce moment vous donner toute la joie et toutes les vastes espérances dont je suis rempli ! »

 

 

 

III.

 

 

George Sand, dans un article paru le 10 avril 1848 dans la Revue Indépendante de Paris ayant trait au Cours de littérature slave d’Adam Mickiewicz, dit 13 :

 

« Nous ne connaissons point nous-mêmes l’homme mystérieux dont la parole a fait, dit-on, une si vive impression sur l’âme enthousiaste de Mickiewicz..... Quiconque connaît la candeur, la modestie et l’abnégation qui font de Mickiewicz un homme à part dans ce siècle de vanités personnelles, une figure sans analogue, chez nous..... quiconque entendra affirmer que cet homme grand et naïf s’est donné un guide et un maître, répondra avec un sourire attendri : “Il en est bien capable.”

« Quant au Maître, nous ne pouvons rien en dire, sinon que dans les deux camps tous s’accordent à le définir un homme extraordinaire, d’une éloquence saisissante et d’un ascendant irrésistible : c’est déjà quelque chose. On lui attribue des miracles de sentiment. Nous ne rions pas de ces miracles-là, nous y croyons ; et à moins de nier le sentiment lui-même, nous ne voyons pas trop ce que, dans cet ordre de faits, il y a d’impossible à la foi, à la conviction que portent avec elles l’amitié, le patriotisme et l’exaltation du sentiment religieux... »

 

 

 

IV.

 

 

Le Sénateur italien Tancrède Canonico (Professeur de droit pénal à l’Université de Turin, avant d’être nommé Président de la Cour de Cassation de Rome) approcha pendant vingt-cinq ans André Towianski, et dans une conférence publique sur « Les temps actuels et la mission d’André Towianski, tenue à Turin le soir du 20 mars 1866, je l’entendis dire ces paroles 14 :

 

« André Towianski est un de ces hommes que la Providence envoie dans les grandes époques de l’humanité pour éclairer le chemin et donner une nouvelle force à l’approche de grands cataclysmes.

« On voit en lui l’esprit vivant de Jésus-Christ et le sacrifice chrétien qui donne la sagesse des choses divines et humaines. À l’humilité, à la douceur et à l’amour se joignent en lui une force rare et un courage indomptable pour se sacrifier tout entier à chaque instant et pratiquer la vérité en toute chose.

« André Towianski, qui fut propriétaire foncier dans son pays, y exerça des charges élevées dans la magistrature. Son existence entière est un exemple vivant et palpable de la voie par laquelle l’homme peut arriver à résoudre le plus grand des problèmes : faire passer dans les actions, c’est-à-dire dans la vie privée et publique, la même hauteur que l’âme contemple et adore ; harmoniser l’extérieur de l’homme avec son intérieur, élever l’être humain tout entier et toute la vie sociale à la hauteur destinée dans la pensée suprême de Dieu.

« Né à la fin du siècle dernier dans un village de la Lituanie, lequel était la propriété de sa famille, il manifesta depuis son enfance ce reflet du ciel qui devait répandre dans la suite tant de chaleur et tant de lumière.

« Dans un âge très tendre encore, il fut poussé à la vie intérieure d’une manière singulière ; il ne pouvait plus rien comprendre par la voie ordinaire des livres et du travail intellectuel ; frappé de cela, il s’appliqua tout entier à suivre cette vocation intérieure, il concentra tous ses efforts sur ce seul point : dépouillement complet de soi, amour sans bornes pour le vrai et pour la justice, sacrifice sans réserve pour s’y soumettre continuellement et les faire triompher partout, et il trouva bientôt par cette voie une nouvelle et plus haute intelligence des choses humaines et divines, dans lesquelles il parvint à un haut degré de sagesse et de force.

« Après avoir rendu d’abord à ses serfs qui se chiffraient par centaines la liberté et la joie intérieures en les aidant par sa parole fraternelle à briser les liens qui entravaient la vie de leur âme, il leur donna ensuite la liberté civile.

« Durant les dix années qu’il fut magistrat, dans le district et ensuite dans le gouvernement de Wilna, il démasqua les fraudes, éventa les injustices, malgré les menaces continuelles d’être envoyé en Sibérie.

« Il combattit sans cesse le vice dans toutes les relations d’une vie étendue et très active parmi les hauts fonctionnaires du gouvernement comme parmi les employés subalternes, dans les salons élégants comme dans l’habitation du pauvre, dans sa rudesse native comme sous la forme d’une vertu trompeuse, et tout cela avec une justesse, une énergie, une mesure, un amour si profond qu’ils ne donnaient lieu à aucun subterfuge, ni à aucune excuse, mais montraient à quel point il était assisté d’une force peu ordinaire. Et quand il fut appelé par la volonté du Très-Haut à quitter le sol natal pour se rendre en France, les larmes et les bénédictions qui l’accompagnèrent témoignaient de l’impression ineffaçable qu’il laissait dans les cœurs.

« Parlez quelque temps avec cet homme, observez sa vie, ses actions de chaque jour et relisez l’Évangile : vous en sentirez plus vivement la profondeur et la grandeur.

« La facilité donnée aux hommes, même aux plus actifs et aux plus ardents, pour connaître et accepter le christianisme dans son essence réelle, faire sentir ce que peut la force intime qu’il renferme ; la lumière pratique qui en éclaire l’application à tous les champs, aux plus grands comme aux plus petits, de la vie privée et publique ; le commencement par conséquent de cette nouvelle époque dont chacun a le pressentiment, l’exemple, l’appel et l’aide à y entrer : voilà ce qu’on trouve en André Towianski.

« Tout ce qui se fait par le moyen de cet instrument n’est pas l’œuvre seule de l’homme, mais c’est l’œuvre de Dieu, qui, tandis que tout semble tomber en ruines et s’écrouler, prépare, sans qu’on s’en aperçoive, les bases de l’édifice futur, et la preuve pour moi réside dans ce fait que la parole de cet homme est vraie, que sa vie est sans tache, qu’il ne cherche rien pour lui-même, mais qu’il tourne tous et tout uniquement vers la vérité vivante, pleine et universelle et vers la voie qui seule y conduit : l’amour et le sacrifice.

« Tel est le caractère supérieur imprimé sur son front, tel est le signe auquel tôt ou tard chacun reconnaîtra d’où il vient et qui l’envoie..... »

 

 

 

V.

 

 

André Towianski est mort à Zurich le 18 mai 1878. Étant présent à son enterrement, j’ai entendu le curé de la paroisse catholique de Zurich prononcer le discours suivant au cimetière, devant la dépouille mortelle de Towianski, au moment où elle allait être descendue dans le caveau :

 

« Lorsqu’un étudiant vient de terminer ses cours, il doit passer un examen, afin de montrer comment il a employé son temps, s’il a rempli son devoir, s’il a acquis les connaissances qui lui seront nécessaires dans sa vie. De même, toute la vie de l’homme n’est qu’un temps d’étude, pendant lequel nous devons nous préparer à la vie éternelle, et dès que nous quittons la vie d’ici-bas, nous sommes aussi obligés de passer un examen, de rendre compte devant le tribunal de Dieu de l’emploi des aptitudes et des forces que Dieu nous a données, ainsi que de la fidélité dont nous avons fait preuve dans l’accomplissement de nos devoirs. Heureux celui qui passera cet examen avec succès et qui sera du nombre de ceux dont l’apôtre saint Jean a dit :

« Heureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur.....

« Ils se reposeront de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent.

« Or, selon notre plus profonde conviction, dans ce nombre se trouvera notre frère André Towianski que nous venons de déposer dans cette tombe, à côté de son épouse qui ne l’a précédé que de peu de jours, après que le Seigneur, souverain maître de la vie et la mort, l’a rappelé de cette terre à l’âge de 79 ans, 4 mois et 12 jours. C’est vraiment une vie longue, mais aussi une vie abondante en œuvres et bien employée.

« Le défunt était un homme très remarquable par les qualités de son esprit, ainsi que par ses actions. Animé d’un amour incorruptible de la vérité, il a préféré perdre la faveur des puissants et s’attirer leur inimitié, il a préféré renoncer à la patrie et à la fortune plutôt que de renier la vérité.

« Profondément religieux, il chercha l’essence de la religion non dans les formes et les pratiques extérieures, mais dans l’esprit qui y est déposé et dans sa valeur intérieure. Animé d’un profond amour de l’humanité, il était socialiste, mais dans la meilleure acception du mot, car il ne tendait pas à une transformation violente et purement extérieure de l’état des choses tel qu’il existe, mais par sa parole, par ses écrits, et surtout par ses actions et ses propres sacrifices, il s’efforçait de contribuer avant tout à la régénération morale de la société, seule base de tout progrès réel, de toute transformation vraie et durable.

« C’est pour cela qu’en jetant un regard sur sa vie, nous pouvons assurément avoir l’espoir que le défunt passera avec succès l’examen devant le trône de l’Éternel, et que le Père miséricordieux lui accordera une résurrection pleine de joie et lui dira : “Bon et fidèle serviteur, parce que tu as été fidèle dans le petit espace où tu te mouvais, je t’établirai sur de plus vastes étendues.”

« Et maintenant, afin d’y contribuer par notre union dans l’amour fraternel, prions ensemble..... 15 »

 

 

 

VI.

 

 

À l’annonce de la mort d’André Towianski, en 1878, la Gazeta Warszawska (Gazette de Varsovie) publia le nécrologe suivant :

 

ANDRÉ TOWIANSKI.

 

« Le 13 mai est mort à Zurich André Towianski de sainte mémoire. Depuis environ quarante ans son nom réveille dans notre pays les sentiments les plus contradictoires, mais on peut dire que sa personne est peu connue.

« Laissant au temps, qui éclaircit et redresse tout, le soin de graver aussi sur cette tombe son infaillible jugement, nous publions relativement à cet homme quelques lignes, dont nous pouvons garantir la vérité.

« André Towianski naquit le 1er janvier 1799 à Antoszwincie, village qui était la propriété de son père dans le district de Wilna.

« Après avoir terminé ses études au gymnase, il entra à l’Université où il se consacra avec ardeur à l’étude du droit, qu’il dut interrompre bientôt à cause d’une maladie très grave, qui mit ses jours en danger.

« Arraché à ses livres, il commença à chercher en Dieu et dans la vie intérieure, à laquelle il s’était senti poussé depuis son enfance, la lumière et la force.

« Il vit ainsi de plus en plus clairement que le principal problème de nos temps, c’est la connaissance et la réalisation de la doctrine de Jésus-Christ. Avec toute l’énergie que lui communiqua son amour, il prit alors ce problème comme l’unique but de sa vie et se voua décidément à la vie chrétienne, pratique, réelle.

« En 1818 il entra dans la carrière publique comme greffier à la Cour de Wilna, où il resta jusqu’en 1827.

« En 1828 il fut élu par la noblesse de la province de Wilna au poste de conseiller à la Cour suprême, charge qu’il exerça pendant plusieurs années consécutives, avant été réélu à l’unanimité.

« Les limites restreintes de cet article ne nous permettent pas de citer quelques-unes de ses actions, qui montreraient avec quelle conscience et quel détachement de tout égard personnel il s’est dévoué et souvent même exposé au danger, pour la défense de la vérité et de la justice.

« Ayant hérité des biens de son père, Towianski se proposa principalement d’améliorer le sort, alors très misérable, des paysans et de les élever moralement.

« Appréciant hautement notre peuple, il désirait ardemment que ses qualités intérieures se manifestassent dans sa vie et devinssent pour lui la source d’une prospérité durable. Se considérant comme le dispensateur et non comme le propriétaire de son patrimoine, Towianski employait ses biens non seulement à secourir matériellement ses paysans, mais aussi à leur procurer quelques moyens de s’animer et quelques aides et soulagements de la vie. Dans ce but, par exemple, il avait établi dans son village, jusque-là d’un aspect morne, un vaste jardin avec des promenades, et fait construire une petite église sur une hauteur.

« Voulant ensuite éveiller et élever dans ses paysans le sentiment de leur dignité, il institua dans son village des assemblées communales, et dès lors ce fut seulement avec le consentement de la majorité qu’il prit des décisions reflétant l’intérêt général.

« Ce fut de cette façon qu’il réussit aussi à faire accepter de ses paysans beaucoup de réformes utiles dans leurs travaux et dans leur manière de vivre. La tutelle et l’amour fraternel, sincère, qu’ils sentaient en Towianski à leur égard, leur avaient inspiré un si grand attachement et une confiance si absolue en lui que le désir de mériter sa considération était devenu pour eux le stimulant le plus puissant à se réformer et s’ennoblir et qu’ils exécutaient par la force de ce stimulant, avec un vrai élan, un grand nombre de travaux au-dessus de la capacité ordinaire du paysan.

« André Towianski profitait aussi de chaque occasion pour alléger le sort des paysans dans les villages voisins et il ne négligeait pas non plus les Israélites, qui étaient captivés par le profond respect qu’il témoignait pour leur sentiment religieux, ainsi que par sa conduite équitable et fraternelle à leur égard.

« Dans ces généreux efforts il était secondé avec ardeur par son épouse Caroline Maxa, unie à lui dans le même esprit et la même tendance.

« En 1840 Towianski partit pour la France et en 1841, le 27 septembre, il commença son action publique à Paris par une allocution adressée à ses compatriotes dans l’église métropolitaine de Notre-Dame et qui était toute empreinte de ce christianisme vivant qu’il avait déjà si largement pratiqué auparavant.

« Ses paroles et ses actions émurent fortement un grand nombre de ses compatriotes, les tirèrent de leur apathie, leur imprimèrent le mouvement nécessaire pour un progrès ultérieur ; à d’autres il découvrit une nouvelle sphère d’idées et de sentiments ; en tous il raviva la foi dans le gouvernement de Dieu sur les évènements de ce monde.

« Ce n’est point ici le lieu d’entrer dans des appréciations relativement à cette époque de l’activité d’André Towianski, époque qui malgré le long temps écoulé est encore le thème de suppositions si diverses et de jugements si faux ; l’éclaircir à fond serait pour ainsi dire présenter l’œuvre même que Towianski a accomplie, ce qui dépasse nos forces et notre but.

« Nous rappellerons seulement que ce n’est pas par la science puisée dans les livres, ni par la force de l’intelligence, que ce n’est pas par l’autorité, ni par la popularité terrestre, mais par la seule force de la vérité et de sa conviction que cet homme gagna à ses hautes tendances plusieurs d’entre nos plus illustres compatriotes et, au milieu du chaos des idées et des passions de ce temps, créa avec ceux qui s’unirent à lui une très étroite union cimentée seulement par le lien moral.

« On sait comment en 1842 le gouvernement de Louis-Philippe expulsa Towianski de France ; étant retourné à Paris en 1848, il fut faussement dénoncé comme ayant pris part à l’insurrection, puis arrêté et condamné à la déportation ; enfin reconnu innocent, il fut remis en liberté.

« Au milieu de ces vicissitudes, rien ne fut changé même pour un moment dans les tendances et dans la conduite de Towianski.

« La considération des injustices qu’il subissait ne l’arrêtait pas dans l’accomplissement de son devoir ; quand on l’offensait, il s’attristait davantage du malheur de celui qui l’offensait que de sa propre offense, et, toutes les fois que la vérité le permettait, il s’appliquait à se faire de son ennemi un ami en Jésus-Christ.

« Sans cette vertu, il lui eût été impossible de soutenir jusqu’à la fin son caractère au milieu des coups et des déceptions continuelles auxquels il a été exposé durant tout le cours de sa vie.

« Avant quitté la France en 1849, Towianski s’établit à Zurich attendant que les temps fussent propices pour agir, sans cesser toutefois, à chaque occasion, de faire entendre sa voix à ceux qui tenaient en main les directions politiques et spirituelles du monde.

« Un grand nombre de personnes de nationalités, de confessions et de positions diverses se rendaient auprès de lui pour demander ses conseils. Il les leur donnait, en entrant dans la position intérieure et extérieure de chacun, dans ses besoins, dans ses difficultés, et en lui présentant les vérités les plus appropriées à sa position.

« Durant vingt-huit ans environ, Towianski passa des journées entières et souvent les nuits dans ce labeur, ne l’interrompant que rarement par le repos et par quelque soulagement. Sa manière de vivre, ses habitudes, comme s’il eût été un soldat en campagne, devaient se conformer aux exigences de son devoir, parce qu’il avait pour principe que l’amour de Dieu et de la vérité doit pousser l’homme à servir Dieu et ses semblables avec au moins autant de zèle et d’exactitude que le monde en déploie pour ses maîtres et ses intérêts terrestres..... Les principales idées de Towianski sont conservées tant dans ses écrits que dans les notes des personnes qui ont eu des entretiens avec lui.

« Durant la vie de Towianski, de nombreux écrits et notes qu’il n’avait ni écrits, ni dictés, ni même lus, circulèrent sous son nom, ce qui l’obligea à revoir soigneusement tous ses écrits et ses notes et à y apposer sa signature. Maintenant ses écrits vont être imprimés et le public pourra ainsi connaître plus à fond de quoi il s’agit 16.

« Jugé si diversement par les hommes, il est déjà devant le trône de l’Éternel, et l’applaudissement ou la désapprobation du monde ne le touchent plus. Mais son esprit, animé de l’amour de Dieu et de l’humanité, désire ardemment, nous en sommes certains, que ce qu’il a conçu, répandu et confirmé par sa vie entière, soit pris consciencieusement en considération. »

 

 

 

 

 

 

2.

 

 

RAM

 

–––

 

 

 

VII.

 

 

Et maintenant passons aux détails relatifs à Ram.

Mr le Dr Rawita Gawronski dit dans l’opuscule qu’il lui a consacré 17 :

 

« Towianski et Jean-André Ram 18 sont tous deux originaires de la Lituanie. La culture polonaise avait provoqué au commencement du XIXe siècle en Lituanie un réveil intellectuel extraordinaire, dans toute la force du terme. Il semble que toutes les parties de la vie spirituelle de la Lituanie étaient devenues une force tendue et mouvante extraordinaire. Les noms les plus grands et les plus méritants dans toute la Pologne se rattachent à Wilna et à la Lituanie. Lelewel, Danilowicz, les Sniadecki, Adam Mickiewicz, Jules Slowacki, ont tous brillé non seulement en Pologne, mais dans tout le monde cultivé de la Lituanie, et ils n’ont pas été les seuls à s’épanouir à Wilna, d’où, comme de la louve de Rome, sont issus jadis Kiejstut et Olgierd et les Olgierdowicy, et dont est également originaire Julien Klaczko, grand, non par la gloire de ses armes, mais par l’intelligence et l’amour de la patrie.

« Gerson Ram naquit à Wilna 19. Nous ne connaissons pas les motifs qui l’ont poussé hors du pays et encore moins ceux qui l’ont amené à Paris. Il semble qu’il était du nombre de ces rêveurs enthousiastes qui, pour quelques motifs intérieurs dont ils ne se rendent pas bien compte eux-mêmes, se précipitent vers des mondes inconnus, vers la lumière, lors même qu’ils devraient s’y brûler.

« À la fin de 1840 Towianski arriva à Paris. C’est à la même époque que Ram a dû s’y montrer 20. Le 15 août 1841 Mickiewicz écrivait une lettre enthousiaste à Bogdan Zaleski, laquelle se termine ainsi :

 

« Car une voix s’est fait entendre et le sort en est jeté.

« Le fardeau secret des années

« A produit son fruit : un miracle s’est accompli

« Et il réjouit le monde 21. »

 

« Le 27 septembre de la même année Towianski adressait sa première allocution à ses compatriotes dans l’église métropolitaine de Notre-Dame, et le 7 août 1842 Ram Gerson signait la pétition adressée au Ministre Secrétaire d’État en France à l’occasion de l’expulsion de Towianski du territoire français. À cette époque donc il adhérait déjà à la doctrine du Maître et bientôt il devait en devenir le propagateur zélé – ayant vu dans le Maître “la porte du salut d’Israël” – et se joindre entièrement aux Serviteurs de l’Œuvre de Dieu. »

Nous arrêtons ici nos citations du travail de Mr. Gawronski.

 

 

 

VIII.

 

 

Ram n’était pas à Paris le 27 septembre 1841, par conséquent il n’assista pas à l’Acte de l’annonce de l’Œuvre de Dieu, acte par lequel Towianski a commencé solennellement sa mission à Notre-Dame, au milieu des émigrés polonais assemblés. Nous verrons bientôt par son propre récit 22, qu’il n’est arrivé à Paris qu’en 1842, peu de temps avant le départ de Towianski pour la Belgique, départ qui eut lieu le 19 juillet 1842 23.

Towianski n’avait pas quitté Paris depuis le 27 septembre 1841 et, pour mieux éclaircir à ses compatriotes ce qu’il avait annoncé d’une manière sommaire à Notre-Dame, il s’était mis à leur disposition depuis le 27 mars jusqu’au 30 avril 1842, en recevant chaque jour chez Mickiewicz toutes les personnes qui se présentaient à lui dans ce but ; il avait déclaré à la clôture de ces réunions qu’il recevrait à l’avenir chez lui à Nanterre tous ceux qui, ayant reconnu l’appel de Dieu, sentiraient devoir prendre une part réelle et active à l’accomplissement de cet appel.

Ram donc a dû apprendre à son arrivée à Paris au milieu de l’émigration, l’évènement si extraordinaire qui s’y était produit, et, dans des circonstances que nous avons le regret de ne pas connaître, il a dû avoir alors avec lui cet entretien, à la suite duquel s’est opérée sa conversion.

Néanmoins nous lisons dans une allocution prononcée par Adam Mickiewicz à cette époque 24 une allusion très caractéristique à cette conversion : Ram n’y est pas nommé, mais les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles l’allusion est faite donnent la certitude que ce n’est qu’à lui qu’elle se rapportait. Nous faisons suivre ici l’allocution elle-même en entier, car elle reproduit d’une manière frappante le ton dans lequel l’Œuvre de Dieu agissait alors sur les esprits :

 

« Le Maître ne nous apporte rien de nouveau, car déjà avant Jésus-Christ on saisissait déjà beaucoup de vérités ; Notre-Seigneur non plus n’a rien apporté de nouveau, mais il a apporté un nouvel esprit, il a manifesté en lui cette vie, ce Verbe de Dieu, dont le monde avait vécu dès le commencement et qu’il perdait peu à peu. Le monde entier avait besoin, avait soif de quelque chose, et personne n’était en état de le lui donner. De même, aujourd’hui, tous les partis politiques, toutes les sectes religieuses cherchent la vérité et de là sont même nées des hérésies. Dans la voie matérielle, rien ne saurait plus satisfaire le monde. Ainsi la France possède cette liberté pour laquelle nous avons tant lutté, elle a la justice, elle a ses jurés ; l’industrie et les arts ont acquis chez elle le plus haut degré de développement ; en un mot elle a tout ce que la terre peut donner, et tout cela ne la tranquillise pas : les Français sentent que cela ne suffit pas. La Société démocratique demande l’égalité, la liberté, mais nous aussi nous les voulons. Et vous ne seriez pas arrivés ici 25 si vous ne cherchiez pas quelque chose et n’aspiriez pas à quelque chose. Or, nous vous rendons le témoignage que ce quelque chose, le Maître nous l’a apporté dans sa personne. Il faut, mes frères, que vous sentiez bien que nous n’apportons aucune science ni aucune théorie, le temps de l’enseignement est déjà passé, il faut exécuter, produire, il faut l’action, et le Maître nous a indiqué cette voie. Il concentre la vie qui depuis le temps de Jésus-Christ était éparpillée, il ne la gaspille pas. Et voici qu’il s’est présenté à nous comme un homme parfait. Il nous fallait de toute nécessité un homme et il est venu pour nous servir de modèle. Lorsque Jésus-Christ prédisait la destruction de Jérusalem, il ne disait pas aux Juifs : observez le mosaïsme, sinon les Romains vont consommer votre perte ; les Juifs ne l’auraient pas cru et lui auraient répondu par des textes tirés de leur loi. Mais Jésus-Christ a présenté la vie, a communiqué le mouvement à l’esprit ; et par ce mouvement il éveillait l’amour de Dieu et de l’humanité.

« Les anciens Juifs conservèrent longtemps cet esprit. Quand le grand-prêtre, entré dans la partie du Sanctuaire appelée Saint des Saints pour se mettre en communication avec Dieu, en sortait, il en rapportait tant de force qu’il en donnait à tous ceux qui l’entouraient, et tous sentaient qu’il s’était entretenu avec la divinité. En vain alors le Préteur romain eût tenté de leur persuader qu’il n’y a pas de Dieu.....

« C’est ce qu’à la longue les hommes perdirent, au point que l’instinct même de cette vie s’oblitéra en eux, et cette vie est pourtant le seul signe auquel on puisse se reconnaître. Le Maître, dont je ne fais ici pour ainsi dire que répéter les paroles, nous l’a expliqué par un exemple : si un père priait quelqu’un sur son départ de saluer son fils, le fils, d’après le ton du discours, le geste et la vie avec lesquels le voyageur répéterait les paroles : “Saluez mon Jean”, reconnaîtrait aisément si l’étranger s’est entretenu ou non avec son père ; ce serait en vain qu’on chercherait à le tromper. De même Jésus-Christ disait aux Juifs lui demandant qui l’avait envoyé : “Je viens de la part de mon Père, et si vous aviez connu mon Père, vous me reconnaîtriez.”

« Personne ne peut contrefaire ce sentiment. Si, mes frères, je ne sais quel imposteur venait me dire ici qu’il est de la Lituanie, je reconnaîtrais bientôt à telle ou telle de ses paroles qu’il n’y a jamais été. Plus d’un nous parle de la Pologne et d’après son sentiment, son mouvement, son intérêt pour une chose étrangère, par exemple, pour ce poêle, nous nous disons en nous-mêmes : c’est quelque industriel qui feint de s’intéresser à la Pologne. Il doit en être ainsi de nous ; nous devons, dans nos entretiens avec le Polonais, le Français, le Juif, avoir une telle attitude qu’on reconnaisse ce que nous voulons. Pour plusieurs, notre manière d’agir sera incompréhensible, comme s’ils ne nous entendaient pas et n’avaient pas d’organe pour nous comprendre. Il paraît que cela leur est inutile, mais cela ne peut nous arrêter.

« Au siècle dernier, un exorcisé confessait que lorsque Jésus-Christ commença à prier pour ses ennemis, ils ne purent comprendre cet acte, et la terre non plus n’était pas en état alors de le concevoir. Nous devons aimer nos frères qui ne sentent pas la grandeur de l’œuvre ainsi que nos ennemis, quoique ce soit parfois très-difficile ! Ils invoquent quelquefois et en guise d’excuse qu’ils n’ont jamais entendu que l’Œuvre ait profité en rien à la Pologne et cependant, tout éloignés qu’ils soient, ils en ont entendu assez pour savoir calomnier. D’autres pour se justifier nous répètent : pourquoi ne nous avez-vous pas tout dit ? pourquoi ne nous avez-vous pas instruits ? Or ce sont un sentiment et une force qui ne se laissent pas enseigner à qui ne les a pas. Vous également, mes frères, lorsque vous avez déployé l’étendard de la révolution, vous n’avez enseigné ni chapitré personne. Vous avez crié : “L’heure est venue de se battre”, et quiconque avait le même sentiment que vous s’unissait à vous.

« Or, en voyant le Maître, il faut reconnaître et croire qu’il apporte le même ton, la même vie qu’a apportée Jésus-Christ à son époque et que lui il apporte à la sienne, c’est-à-dire la lumière pour la seconde des sept époques. De nouveaux besoins se font déjà sentir, les anciennes vertus ne suffisent plus : de même que Jésus-Christ n’a pas aboli les anciennes lois et les a seulement animées d’une nouvelle vie, de même aussi le Maître rélève tout ce qui s’est abaissé : la famille, la nation, la religion. Car il ne s’agit pas ici de la Pologne seule, mais du globe entier, de l’humanité entière.

« L’Église actuelle ne possède déjà plus que les formes : elle a complètement perdu l’esprit, la vie de Jésus-Christ. Le Pape est devenu un excellent administrateur, jurisconsulte, voire même diplomate. L’archevêque de Paris, homme pur selon la terre, n’est que le meilleur Préfet de France. Vous reconnaîtrez plus tard, mes frères, dans le cours de votre vie, que personne ne peut tirer d’eux aujourd’hui aucun esprit ni aucune lumière. En vain demanderiez-vous à un prêtre, en vous confessant, d’apaiser vos doutes ; s’il avait du moins la conscience de dire : “Cela, je l’ignore, moi-même ; mais j’ai entendu qu’il y a ici tel ou tel saint homme, un prophète qui, peut-être, vous éclaircira cela mieux que moi, adressez-vous à lui. » Mais le prêtre au contraire étouffera tout mouvement d’esprit en vous. Qu’y a-t-il d’étonnant que de tels hommes ne puissent aller au cœur de personne et ne puissent convertir un Juif, lorsque les Juifs sont les seuls encore qui, pendant ces dix-huit cents ans, aient gardé le sentiment véritable de Dieu ? Quand un rabbin dans sa synagogue gémit du fond de l’esprit, il reçoit une secousse spirituelle plus pure et une force qu’il communiquera aux autres, et comment le prêtre, dont la foi est faible, pourrait-il le convertir ?

« Ce même Juif qui sent Dieu distinguera aussitôt d’où chacun puise sa force ; nous avons vu – car je ne vous fais pas ici, mes frères, de théorie, je vous parle de ce dont nous avons tous étés témoins – qu’un Juif, au bout d’un quart d’heure d’entretien avec le Maître, a été converti, mais ce dernier lui avait adressé une parole qui lui était connue et qui l’a ébranlé tout entier 26. Lorsque les Apôtres, après la descente du Saint-Esprit, eurent reçu le don des langues, le don des sciences, de prophétie, etc., ce mouvement de l’esprit se maintint longtemps encore parmi les chrétiens, mais l’Église déjà au VIIe siècle après Jésus-Christ commença à l’étouffer et quiconque éveillait en soi une vie plus puissante était obligé de se réfugier dans les forêts, dans la solitude, d’où surgirent les monastères, comme quelque chose d’extraordinaire.

« Tout s’efforce de nous ravir cette force, à tel point que pour ne la point perdre, vous êtes obligé de la cacher en vous. De là toutes les conspirations et les associations ; car sentant une force en vous, vous craignez qu’on ne vous la dérobe et vous l’enfermez en vous-même, ou dans le cercle d’un petit nombre de compagnons pour la conserver, fût-ce de cette manière. Le monde vous guette de toutes parts pour vous la ravir. Combien il est difficile après la confession et la communion de persévérer deux jours dans ce même sentiment ; mais cela ne saurait durer ainsi plus longtemps. La vie d’aujourd’hui ne suffit plus. Les Jésuites, par exemple, sont plus vertueux que beaucoup de gens : ils prient, font l’aumône, encouragent à la résignation, mais ils détruisent le mouvement de l’esprit et propagent la paresse spirituelle. Or c’est là le péché et la mort ; une pareille vertu aujourd’hui est un péché, et c’est à cause de cela qu’ils ont perdu toute influence et toute considération au milieu des hommes. Notre-Seigneur Jésus-Christ, en établissant le christianisme, a recommandé l’humilité, la soumission, et non d’abandonner le ton.

« Si l’on vous donne un soufflet sur une joue, disait-il, présentez l’autre : si l’on vous prend votre tunique, donnez aussi votre manteau, mais ne quittez jamais, au grand jamais, le ton de l’esprit ; par la persévérance vous vaincrez le mal. Les premiers chrétiens accomplissaient tout cela sincèrement, dans la vérité, mais bientôt on commença à l’accomplir sans sacrifice chrétien, par paresse d’esprit et enfin par lâcheté. Voilà comment la Pologne s’est laissée frapper et torturer ; on lui a arraché une manche, elle a abandonné aussi son manteau (la Galicie) jusqu’à ce qu’on l’eût complètement dépouillée. Cela en est venu à ce point que même dans la vie privée nous disons : c’est un brave homme, on peut l’injurier, sans qu’il vous provoque en duel, c’est un bon homme, on peut ne pas lui rendre ce qu’on lui doit, il est plus facile de ne rien toucher de son débiteur que de lui adresser une réclamation. Aujourd’hui c’est un péché qu’une pareille résignation, une telle humilité, il n’est plus permis de se renfermer ainsi en soi. Montrez votre valeur, et humiliez-vous devant Dieu. Je dois vous dire, mes frères, que notre œuvre est expressément une œuvre de réclamation. Il faut revendiquer la vie divine comme dans cette parabole de l’Évangile où le maître envoie ses serviteurs auprès de ceux auxquels il avait loué sa vigne, afin d’en réclamer le produit ; lorsqu’ils eurent chassé le premier, le maître en dépêcha un second qu’ils chassèrent également ; il envoya alors son fils qu’ils tuèrent, enfin il vint lui-même et leur retira sa vigne qu’il confia à d’autres. Il en est de même avec nous ; le mal, en voyant l’Œuvre de Dieu, fera tous ses efforts pour en détruire le ton : il tâchera même qu’on nous rende la Pologne, mais nous ne voulons pas d’une Pologne qui ne serait pas sur le chemin de la volonté de Dieu.

« Il y a chez nous en Pologne de grands et puissants esprits, et parmi nos Juifs et parmi notre peuple, nos paysans, des Israëls 27. Or, maintenant, toutes les nations émancipées en esprit sont appelées à l’Œuvre, particulièrement la Pologne et la France.

« La France entière est basée et elle est développée sur le puissant esprit du catholicisme ; elle n’acceptera ni n’écoutera nulle autre voix. Ce n’est pas sans motifs, mes frères, que Dieu nous a envoyés en France ; nous devons l’éveiller en montrant en nous ce que le Maître a apporté dans sa personne, et en y joignant notre individualité. Notre vie tout entière ne suffirait pas, ni même des siècles, pour nous rendre tout-à-fait semblables au Maître ; il faut donc que chacun, dans la mesure de ses forces, éveille la vie ; lors même qu’il n’atteindrait pas la perfection et n’avancerait qu’avec difficulté, qu’il serve comme il peut. Il faut reconnaître cette force ; et quand on ne peut la puiser d’autre part, il convient de l’implorer de Dieu lui-même.

« Tout ce qui est ancien nous est contraire ; il faut détruire partout où nous le pouvons l’ordre ancien et tous ses petits cercles. Mais il ne suffit pas de réveiller ce sentiment en nous, il faut le manifester, le présenter en nous à la Pologne et à la France, et par elle au globe entier, à toute l’humanité. Les Français cherchent partout cette force, ils ne peuvent plus vivre de ce qu’ils ont aujourd’hui et ils le sentent très bien ; c’est pourquoi il nous faut les servir de toutes nos forces et les aider à s’affranchir.

« J’ai eu, il y a quelques jours, la visite d’un Français éminent, il m’exposait le vide et le manque de vie qui existe partout et me disait : “Nous voyons que vous êtes les Juifs de la nouvelle alliance ; il est temps : nous sommes prêts, donnez-nous une nouvelle vie ! »

« Mais le temps n’est pas encore venu, les Français voudraient de nouvelles idées, mais ce n’est pas cela qui importe, les idées ne profiteront déjà plus à personne.

« Et vous, Polonaises, il faut que vous sachiez que l’époque actuelle est pour vous très importante, c’est l’époque de l’émancipation de la femme. Le Maître a manifesté clairement que c’est une partie essentielle de l’Œuvre. Quiconque ne reconnaît pas cela et ne le sent pas n’est pas dans l’Œuvre. Les femmes sont appelées à l’égalité ; les esprits n’ont point de sexe, ils sont égaux entre eux, et destinés à des actions qui correspondent aux différences de leurs organismes. Femmes, vous avez été jusqu’à présent des esclaves ; on vous assignait un rôle secondaire, le plus commode pour le mari. La femme ne pouvait se mêler de rien. On lui abandonnait le soin de la cuisine, du ménage. On avait une fausse conception de ses qualités ; une fille qui, depuis son enfance, s’occupait volontiers de la cuisine, soignait les enfants, était vouée par son entourage à la cuisine ou bien on l’enfermait dans un cloître, comme n’étant pas faite pour le monde, car une pareille cendrillon ne pouvait ni attirer à la maison un riche gentilhomme, ni soutenir l’honneur du nom, tandis qu’on s’empressait autour de celle qui l’emportait sur ses compagnes par sa fausseté et sa vanité. Leur éducation leur enseignait l’affectation et la dissimulation, l’art de cacher leurs sentiments réels et de briller seulement par les apparences.

« Les femmes ont senti cette oppression et ont commencé à s’émanciper par des moyens impropres : elles ont méprisé toute retenue, et se sont mises à écrire des romans encore plus libres que ceux des hommes. Or il faut reconnaître que dans l’Œuvre les femmes sont appelées à la fraternité et à un rôle important. Toutefois cet esprit des femmes s’est déjà éveillé chez nous, à preuve : Émilie Plater 28, qu’on ne comprenait pas, dont on se moquait à Varsovie. Combien de nos femmes, telles que Claudine Potocka 29, auraient été plus capables que beaucoup d’hommes, tant par l’intelligence que par la force de l’esprit, de siéger dans les conseils et sur les bancs du gouvernement !

« Cette oppression, cette contrainte déjà ancienne en Pologne, en se répandant davantage dans le cercle familial, se pratiqua sur une plus vaste échelle dans toute la nation.

« Par suite de cela, les vieux esprits de nos ancêtres, les seigneurs, sont passés dans les paysans ; ils ont préféré naître dans la misère, afin de pouvoir seulement vivre dans une plus grande indépendance d’esprit, sans contrainte et assujettissement au faux.... Nous reparlerons de cela plus amplement une autre fois. Rappelez-vous, mes frères, que Dieu ne nous a point vainement envoyés en France... »

 

 

 

IX.

 

 

Nous avons parlé jusqu’ici de la conversion de Ram, mais nous n’avons pas encore fait mention de son baptême.

Ram ne l’a reçu que plus tard ; il s’était d’abord « christianisé par l’esprit », en acceptant l’essence du christianisme ; il n’avait pas encore accompli la forme ; il aimait, il croyait, il soupirait déjà après Jésus-Christ et voulait Le servir.

Nous avons vu que M. Rawita Gawronski mentionne la signature que Ram donna déjà le 7 août 1842 à la pétition adressée au gouvernement français au sujet de l’expulsion d’André Towianski : cette pétition portait quarante-cinq signatures par ordre alphabétique 30 et la vingt-huitième est celle de « Ram Gerson aux Batignolles » : nous reproduisons cette pétition ici, car elle est le premier acte public découlant de sa nouvelle foi, et elle a le cachet de l’esprit supérieur dont étaient animés les fidèles disciples du Maître injustement expulsé :

 

        Monsieur le Ministre !

 

Nous soussignés, avons appris qu’André Towianski vient d’être expulsé du territoire français par ordre du Gouvernement.

Nous ignorons les motifs de cet ordre, il ne nous appartient pas de les apprécier ; mais nous savons avec quel acharnement la malveillance avait poursuivi Towianski durant son séjour parmi nous. Nous savons que personne n’est venu de la part de l’autorité lui demander des explications sur la cause des attaques auxquelles il a été en butte. Nous craignons que la calomnie n’ait surpris la religion du Gouvernement, et dans ce cas, nous vous devons, Monsieur le Ministre, nous le devons à nous-mêmes, de rendre un témoignage éclatant à la vérité, en nous portant tous ensemble, et chacun en particulier, garants de la pureté des intentions et de la conduite de l’homme dont nous sommes les amis et les disciples.

André Towianski, connu dans son pays comme citoyen probe et vertueux, longtemps magistrat à la Cour suprême de Lituanie, entouré de l’estime de ses compatriotes, et respecté même par l’administration russe, quitta, il y a deux ans, sa terre natale, abandonna une fortune considérable, qui doit avoir été confisquée par le Gouvernement russe, laissa ses cinq enfants, sur le sort desquels il y a lieu de tout craindre, et vint en France nous apporter la parole de salut.

Ce n’est pas le lieu, Monsieur le Ministre, de vous raconter tout le bien que sa parole opérait parmi nous.

Elle nous réconciliait avec Dieu, avec nous-mêmes et avec nos pénibles devoirs : elle nous raffermissait dans nos sentiments de chrétiens et de Polonais, elle guérissait les maladies du corps et de l’âme !

Elle nous a régénérés ! Nous avons reconnu cette parole être celle de vérité et de vie ; nous avons reconnu André Towianski pour un de ces hommes que la Providence envoie aux peuples dans les grandes époques de sa miséricorde.

Nous nous sommes promis solennellement de garder cette parole au fond de nos âmes : il nous est douloureux de rester séparés de celui qui l’a fait germer, qui avait la force de la faire fructifier.

Son absence, chacun de nous la ressent comme la plus grande des peines qu’il ait eu à subir dans une vie déjà si souvent et si cruellement éprouvée.

Agréez, nous vous prions, l’assurance du plus profond respect, avec lequel nous avons l’honneur d’être,

            Monsieur le Ministre,

                         Vos très humbles serviteurs

      Paris, ce 7 août 1842.

 

 

 

X.

 

 

L’année suivante et précisément le 27 mars 1843, Ram, s’associant à une nouvelle manifestation publique des Serviteurs de l’Œuvre de Dieu, signait un autre acte que nous verrons ensuite, et cette fois il le signait de son nouveau prénom Jean-André.

En effet, dans cet intervalle, entre ces deux actions de Ram, un grand évènement s’était accompli pour lui. Il avait reçu le baptême, d’abord chez lui, in articulo mortis, le 22 octobre 1842, par un des serviteurs de l’Œuvre et puis solennellement à l’Église de Saint-Séverin au mois de décembre suivant : voyons ici la Note authentique qui a été rédigée d’après le récit de Ram lui-même, et du frère qui l’a ondoyé 31 :

 

GERSON et, après son baptême,

JEAN ANDRÉ RAM.

 

Ram, natif de Wilna, fils d’un riche marchand de cette ville, poussé hors du pays par un besoin impérieux de son esprit ainsi que par un concours extraordinaire de circonstances, arriva à Paris peu de temps avant le départ de Towianski pour la Belgique et, ayant reconnu en lui par révélation « la porte du salut pour Israël », accepta l’Œuvre de Dieu. Quelques mois après, atteint soudainement d’une maladie mortelle, il eut un violent désir de recevoir le baptême. Dans le même moment Romuald Januszkiewicz, qui ne savait rien de cela, étant entré à l’église de Notre-Dame-des-Victoires, reçut en priant devant la statue miraculeuse de la Mère de Dieu un avertissement intérieur (qu’il a toujours appelé dans ses récits un ordre formel de la Sainte Vierge) d’aller au plus vite chez Ram pour le baptiser. Il lui avait été révélé en outre d’acheter dans ce but une croix chez une femme qui vendait des objets de piété dans le vestibule de l’Église et la révélation lui apprenait encore qu’il rencontrerait en allant chez Ram la marraine qui devait l’accompagner pour l’accomplissement de ce saint devoir. Effectivement, à peine fut-il sorti de l’Église et se fut-il procuré la croix et l’eau bénite, qu’il rencontra, sur la place de Notre-Dame-des-Victoires, Xavière Deybel (plus tard la femme d’Edmond Mainard), qui, cédant à une forte impulsion intérieure, était sortie sans savoir pourquoi. L’ardeur de la foi et de la vénération la plus profonde qu’ils ressentirent dans leur âme pour cette révélation reçue par Romuald leur témoigna à tous deux que Xavière Deybel était bien la marraine destinée à Ram ; ils se hâtèrent donc et trouvèrent Ram touchant presque à sa fin, mais brûlant du désir de recevoir le saint baptême.

Après l’avoir reçu, il eut une vision ; il vit un nombreux cortège de Saints, au milieu desquels resplendissait saint Casimir, cortège qui le reçut et l’introduisit dans l’Église de Jésus-Christ qui est dans les cieux. Après cela, étant revenu complètement à la santé et ayant reçu de Towianski un écrit dans lequel il l’appelait à s’humilier devant Jésus-Christ dans l’esprit et dans la forme, il fut baptisé publiquement dans l’église de Saint-Séverin de la main de l’abbé Kajsiewicz, assisté de quelques autres prêtres polonais, témoignant par son attitude et ses pleurs, qu’on entendait dans toute l’église, avec quelle humilité, quelle contrition et quel feu il répondait à l’appel de Jésus-Christ, appelant Israël après des siècles de résistance à prendre sa voie. Tout le cercle des frères présents à cet acte appuyait Ram de son sentiment. Même les prêtres hostiles à l’Œuvre étaient émus, sentant distinctement en cela l’action de la Grâce de Dieu.

 

 

 

XI.

 

 

Après l’écrit du Maître mentionné plus haut, et qui a disposé Ram au baptême à l’église, le Maître a envoyé de Bruxelles à Adam Mickiewicz, dans une lettre du 27 novembre 1842, l’écrit suivant pour être lu par lui dans le cercle des serviteurs de l’Œuvre ; cet écrit était non seulement un service pour Ram en vue de son baptême, mais aussi une réponse à tous les frères qui avaient épanché leur douleur au Maître « au sujet des outrages qui s’élevaient contre l’Œuvre du Seigneur ».

La matière de cet écrit dépasse donc le sujet particulier du baptême de Ram, mais il s’y rattache en ce sens qu’il a été pour lui un grand appel à correspondre dignement à la nouvelle vocation qu’il avait acceptée, et c’est pour cela que nous l’avons placé ici. Sur le point particulier du baptême, André Towianski, en répondant à des questions que lui posait Mickiewicz dans une lettre antérieure, disait, dans cette lettre du 27 32 : « Le baptême du frère Gerson est d’une grande importance, il est conforme à la volonté de Dieu. Le monde nous regarde et nous juge. La prudence est nécessaire dans chaque manifestation : vous pouvez vous adresser au clergé français, en lui faisant connaître que Gerson s’est préparé dans le cercle fraternel à accepter l’étincelle chrétienne : au reste il faut avoir une pleine soumission dans l’accomplissement de la forme, sans montrer de singularité : que cette soumission demeure dans l’esprit de Gerson !... »

Voici quelle est la teneur de cet écrit 33 :

 

 

 

XII.

 

 

Paroles du Maître :

 

Baptême de Ram.

 

27 novembre 1842.

 

        « Mes bien aimés frères,

Le frère Gerson m’a fait part du désir de son esprit d’accepter la foi en Jésus-Christ, de s’humilier devant le Verbe de Dieu incarné.

Recevez dans votre union fraternelle cette réponse à la question du frère, et que ce souvenir de nos entretiens passés soit à l’honneur et à la gloire du Dieu tout-puissant, Un dans la Très-Sainte Trinité, et en mémoire du prochain anniversaire de l’effort de la nation, souffrant à cause du Verbe 34.

Et d’abord, mes frères, remercions le Seigneur pour avoir fait miséricorde à notre frère et élevons vers Lui nos supplications afin qu’Il daigne par sa grâce incliner chacun à l’acceptation de sa volonté en hâtant le moment de l’unité promise en Jésus-Christ, de la paix et de la fraternité universelle, qui mettront fin à l’infortune de l’homme.

Que ce fruit du Royaume de Dieu au milieu de vous, hâté par votre amour, témoigne devant le Seigneur de votre amour dans l’action ; que la venue, au milieu de vous, de ce fruit du Royaume de Dieu, dont la maturité a été hâtée par votre amour, atteste au Seigneur que vos actions sont pénétrées de cet amour, et que l’abondance de sa grâce se répande sur vous dans vos actions ultérieures.

 

        Frère Gerson !

 

L’heure est proche ! Le Seigneur appelle de nouveau Israël à accepter sa volonté dans Jésus-Christ.

C’est l’unique voie du salut, du progrès, droite et facile par l’amour du Père. Des siècles se sont écoulés et s’écouleront et le Verbe du Seigneur sera tout pour l’homme : le livre de l’Évangile, où est déposé le Verbe, sera l’unique loi, l’unique lumière, et Celui qui a donné cette lumière à la terre sera la plus grande hauteur que l’homme puisse atteindre sur la voie du Verbe.

Dieu a permis les détours, la semence céleste a rencontré des obstacles ici-bas, mais Dieu ne permettra pas l’anéantissement de sa pensée dans le Verbe ; Il veille et veillera sur elle durant les siècles.

« Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point », a dit Jésus-Christ. Et l’homme et les peuples, après des siècles de résistance, s’humilieront devant le Verbe tout-puissant.

La résistance à la Volonté suprême a substitué à la voie droite et au fardeau léger destinés à l’homme un détour funeste et une existence pénible.

 

L’histoire douloureuse et sanglante de l’homme démontre clairement cette vérité.

Tout pour le Verbe, tout par le Verbe. Nous approchons du grand moment où le Seigneur demandera compte des semailles célestes.

L’homme doit déjà offrir au Seigneur les fruits de la très sainte semence sur les routes de sa vie privée et publique.

Tout ce qu’il y a de plus infime dans l’immensité de Dieu porte son fruit au Seigneur ; et c’est également par son fruit qu’est honoré ce qu’il y a de plus élevé et de plus saint.

Cet hommage par le fruit de la semence céleste tirera de sa misère l’homme qui depuis des siècles adresse au Père cette prière : « Que votre nom soit sanctifié, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »

Le passé fournit la semence ; la terre n’a pas vu les fruits de la semence, parce qu’elle n’a pas vu la grande voie du Seigneur, elle n’a pas vu l’homme grand dans les voies du Seigneur, aveuglée qu’elle était par la maturité de cet homme sur la voie de Mammon.

C’est la première fois que le fruit mûr de la très sainte semence doit se montrer sur la route de l’homme et sur celle des peuples.

Et tout ce qui, des semences de Jésus-Christ, est arrivé à maturité, est appelé à produire son fruit.

L’interruption de l’ordre destiné par le Créateur au développement et à la production du fruit conduit à la perte du grain. La religion, la politique et toute opération de l’homme, la force du Seigneur et le champ de son application, sont un devant le Seigneur et doivent être un pour annihiler sa misère.

 

Dieu appelle l’humanité à l’accomplissement de son Verbe ; tout ce qui existe sur la terre doit aider à atteindre ce but, qui est le bien universel, et ne pas écarter de la route qui y mène, tandis que les détours conduisent à la misère générale. – Ainsi disparaîtront les effets de la résistance, les dissensions, les hérésies, conséquences de l’abandon du Verbe de Dieu par l’homme.

Le héros, qui a paru comme un prodige sur la terre et qui a disparu 35, n’a pas cessé d’être le grand Magistrat du Seigneur dans l’œuvre du Seigneur, réclamant le fruit de la semence de Jésus-Christ. Précurseur de l’époque de la pratique du Verbe, c’est sur lui que repose encore, sans avoir été accomplie, la Pensée divine du salut de l’homme, et il vit aujourd’hui d’une vie plus élevée, plus sainte et il achève ce qu’il a commencé.

Pour préparer l’homme à produire le fruit du Verbe, le Seigneur a remué le globe par son grand serviteur.

Le remuement de la terre est nécessaire à l’œuvre de l’esprit.

Les peuples sont prêts à donner leur fruit, les chaînes anciennes entravent pour un temps l’offre à Dieu de ce qui s’est élaboré pour Lui dans l’esprit des peuples, et de même qu’au commencement de Sa route on ravit momentanément sous toutes sortes de formes et par différents procédés au Seigneur des armées le fruit du Verbe qui lui est dû.

Mais les peuples doivent produire eux-mêmes le fruit de la semence de Jésus-Christ. Leur action sera leur fruit.

Les peuples sont appelés à prendre en main leur propre cause devant le Seigneur.

Les peuples et les gouvernements se présenteront humblement devant le même Seigneur et ils Lui rendront compte des dons qu’ils en ont reçu, mais il ne saurait accepter que la justification de celui qui est libre.

 

Des millions d’hommes opprimés sur des routes, dont la force inférieure n’a pas permis jusqu’à présent l’accès au Verbe, désirent ardemment satisfaire aux lois du Royaume céleste : une petite partie oppose de la résistance à la volonté de Dieu, des millions n’ont pas livré leur esprit à la prépondérance des forces inférieures, ils n’ont pas renié l’amour de Dieu et le Verbe de Dieu.

Aujourd’hui, le mal, dans le but d’anéantir ce tressaillement d’esprit si dangereux pour lui, prend des formes saintes, et le Seigneur le permet, comme épreuve définitive de l’amour avant sa grande œuvre.

Dieu se hâte de venir au secours des peuples qui ont traversé l’orage des temps, sans laisser s’éteindre en eux l’étincelle de Jésus-Christ. Il ne permet pas à l’orphelin de perdre son trésor.

Le rayon de la grâce, qui a brillé pour le salut de l’homme à l’Orient, se tourne aujourd’hui vers l’Occident, destiné à initier l’extension et la pratique du Verbe.

Les soupirs de l’Orient entretiennent ce rayon et le conserveront pendant le temps de la grande Œuvre de la Miséricorde.

De tristes champs, longtemps arrosés des larmes de l’esclave 36, où les péchés de millions d’hommes sont effacés, apportent aujourd’hui un secours spirituel à l’œuvre sainte.

Frères – auxquels nous sommes fraternellement unis et qui vous lamentez –, qu’à notre appel vos soupirs et vos désirs soulèvent vos poitrines d’un chant agréable à votre Père, que ce chant soit un hommage ; saluez le rayon naissant de la grâce, conservez à la terre ce don du ciel, jusqu’à ce que le Seigneur, par l’extension de la fraternité, change votre affliction en joie.

Ce qu’Il a fait pour son serviteur en Israël, qui a rompu les rangs ennemis par la force d’un esprit docile à Sa volonté, le Seigneur le fera aujourd’hui pour des millions de serviteurs, placés sur la route de Sa volonté et prêts à aimer dans leur ennemi l’instrument des réclamations du Père.

Et si l’homme, dans sa résistance à la Volonté suprême, retarde encore la fraternité déjà sanctionnée par Dieu, votre esprit entendra cet appel fraternel et le réalisera.

 

Tout pliera et partout devant la volonté de Dieu manifestée par Jésus-Christ.

Tout deviendra possesseur du fruit de l’amour du Père dans le Verbe.

Toute autorité sur la terre s’exercera d’après la loi de Jésus-Christ et facilitera aux peuples leur unique intérêt, leur unique bien, source de bonheur, le progrès par le Verbe dans la loi de l’amour, de la liberté et de la vérité.

Il y aura des autorités par la grâce de Dieu, soutenues par la grâce, dignes de la grâce, gouvernant avec l’aide de la grâce.

Le Père ne livrera pas ses enfants dociles à sa volonté, à une force inférieure, qui – ou bien impose la servitude extérieure, ou bien rassasie de Mammon l’esprit inapte à porter le joug, l’unit avec le royaume inférieur, l’éloigne de la grande voie du Verbe, le retient sur le détour où cette domination et cet esclavage ont leur raison d’être de par la permission de Dieu qui flagelle ainsi celui qui a abandonné sa voie.

À cause du manque d’amour, ce qui est supérieur a été soumis à ce qui est inférieur, afin que cette oppression par ce qui est inférieur enfante l’amour pour ce qui est supérieur ; or il n’y a de supérieur que le Dieu des armées et tout ce qui de par l’amour est avec le Seigneur.

Seul l’amour pour ce qui est supérieur libère de l’oppression d’une force inférieure. Le Seigneur compte les sacrifices purs, les larmes, mais il ne donne pas le fruit à moins qu’on n’ait accompli sa pensée. La preuve en est que des nations sœurs peuvent répandre le sang l’une de l’autre et augmenter simplement leur infortune.

 

Le Seigneur et Père, l’Amour parfait, a ordonné à l’homme par son Verbe de se former à son image et à sa ressemblance, et, suivant le degré de l’amour, il le manifestera à l’homme et aux peuples dans des jours prochains.

Les peuples seront appelés par la loi du Verbe, et non par la volonté de l’homme, à être des colonnes du Verbe, lumineuses et puissantes par la lumière du Verbe. Il y aura de grands magistrats de la volonté du Seigneur, morts pour le Verbe, abaissés – qui ressusciteront, se relèveront par le Verbe – et dans leur puissance, en protégeant et propageant le Verbe, s’acquitteront envers lui ; et Jésus-Christ, dans ce triomphe de son Verbe, prendra leurs actions sous son égide.

O mes frères, tout aujourd’hui pour l’homme est dans le Verbe du Seigneur – et puisse cette volonté suprême (dans le Verbe, qui – à mesure que le temps est révolu – dégage l’homme de la contrainte qu’il était permis jusqu’ici de lui imposer) devenir notre étoile conductrice dans l’œuvre du Seigneur pour son Verbe.

 

Le Verbe manifesté dans les actions accomplit l’œuvre du Seigneur ; mais celui qui n’est pas docile au Verbe n’aura point de part aux bienfaits de l’œuvre du salut de l’homme par le Verbe.

Le Seigneur proportionne aujourd’hui ses bienfaits à l’amour qu’on a pour Dieu et pour Sa volonté.

Par une voie ardue et en évitant la voie facile, Israël a atteint un haut degré par l’effort de l’esprit s’élevant vers le Seigneur. Mais, sans l’accomplissement de la volonté du Seigneur dans le Verbe, il demeure encore bien éloigné du degré de sainteté qui lui est destiné.

La grandeur, la puissance de l’esprit, sans l’amour, sans l’attendrissement de l’esprit, ne conduisent pas vers le Seigneur, car le Seigneur est la grandeur, la puissance, l’amour et la tendresse.

L’acceptation de la volonté divine constitue l’adoration suprême – l’accomplissement de cette volonté, le suprême amour.

Cette adoration, cet amour de Dieu mènent à l’amour et à l’adoration du Verbe – qui font naître le désir d’appliquer le Verbe aux actions et de le pratiquer sur toutes les routes de la vie privée et publique de l’homme.

À ce saint désir vous êtes appelés avant tous les autres, frères, exilés et martyrs du Seigneur, souffrant pour le Verbe, préparés par votre infortune à votre grand ministère.

 

Vous avez accepté ce saint désir, mes frères, aux jours de la grâce du Seigneur pour vous ! Fortifiés par cette grâce, aux jours prochains du combat de l’Idée du Seigneur dans le Verbe contre l’Idée de la terre, contraire à sa réalisation, exposez votre amour aux traits de ceux qui manquent d’amour et des impies, qui, parce que vous propagez et pratiquez le Verbe, vous réprouveront comme destructeurs du Verbe.

Mais ce sont vos frères, et de par la loi du Seigneur ils ont droit à votre amour. Le Seigneur n’a exclu personne de l’union d’amour dans son Œuvre, il n’a pas encore séparé ceux qui servent par amour de ceux qui, se dressant devant vous avec le droit que le Seigneur leur donne à votre amour, servent par contrainte, et toute créature devra servir le Seigneur, dans sa grande Œuvre.

Souvent, c’est un faible fil qui retient ce qui est supérieur dans les chaînes de ce qui est inférieur. La prière et l’amour délivrent l’esprit de ses liens, tandis que tout manque d’amour enfonce davantage l’esprit du frère dans la terre, et cèle la nature de son esprit.

L’amour du Seigneur, dans ces jours de la grâce, vous a fait rompre ce fil. Par l’amour pour le frère, acquittez-vous envers le Seigneur !

Tout dans l’immensité est redevable au trésor de l’amour du Père, et l’homme s’acquitte, dans la personne du frère, de sa dette envers le Père. Que cette pensée, mes frères bien aimés, calme la douleur que vous causent les outrages contre les débuts de l’Œuvre du Seigneur. La douleur dont vous faites mention dans votre lettre est l’acquittement de la dette de votre amour.

Jésus-Christ a montré la loi de la souffrance venant de l’amour et l’a confirmée par ses larmes sur les péchés du monde.

 

Ces jours sont le temps où se déposent les fruits, et chacun les produit selon sa nature. L’amour suprême 37 ne punit pas le mal sans qu’il ait produit son fruit, mais heureux celui qui efface par la crainte et par l’amour son mal avant la production du fruit.

Le Seigneur incite plus fortement aujourd’hui l’homme à produire les fruits, avant que le grain céleste ait produit le sien.

Le Seigneur lui-même récolte le fruit, juge et traite l’homme suivant son fruit.

À mesure que l’homme recouvre ses droits, sa liberté d’esprit et étend sa fraternité, le Seigneur le délivre de la juridiction de son frère, en le soumettant à son propre jugement et à l’amour du frère.

Tenons, ô mes frères, la vue de notre esprit dirigée seulement sur la route de notre service – et le pilote suprême, qui veille éternellement, recueillera nos peines partielles et les amènera à l’unité du Verbe. Mais les obstacles et les traits du mal pleuvent et pleuvront sur nous – c’est la loi d’ici-bas, loi du combat entre ce qui est supérieur et ce qui est inférieur.

Ces traits viendront de ceux qui, manquant de zèle pour le progrès et fixés à un point de leur pèlerinage, ne supportent pas l’appel au mouvement du Seigneur.

Ces traits viendront de ceux qui, par l’émancipation de leur esprit avant l’époque de la liberté d’esprit, multiplient leurs mouvements pour une vie qui n’est pas selon le Seigneur et emploient la grâce, l’éveil de la grâce donné pour l’accomplissement du Verbe et le progrès, au culte de Mammon sur la route terrestre.

Ces traits viendront enfin de ceux qui, dans une élévation impure de l’esprit, dans les rêveries, l’exaltation, la jouissance de l’esprit, mélangent, par le péché de l’esprit, la terre avec l’esprit et produisent un fruit illégitime de l’esprit.

 

Aujourd’hui le Seigneur, pour la gloire de son Verbe, libère davantage l’esprit et sa grâce éveille davantage l’homme qui, pour avoir ses aises, n’obéit pas à ces saintes impulsions.

La grâce, une fois gaspillée, selon la loi céleste ne revient plus. Le pèlerin indigne est délaissé avec un compte aggravé au milieu des peines de son pèlerinage, devenu d’autant plus difficile que Mammon a abondamment récompensé le pécheur par des honneurs auxquels n’a droit que le pur affranchissement de l’esprit pour le Seigneur. Et alors, pour le pécheur, l’appel à entrer dans la voie pure du Seigneur devient extrêmement pénible.

Dans l’époque de la vie terrestre, le repos de l’esprit – et dans l’époque de la vie de l’esprit, le faux mouvement de l’esprit – sont devenus le malheur de l’homme. Le péché d’esprit est plus grave que le péché terrestre.

Par la grâce ainsi gaspillée, la route terrestre, avec ses serviteurs, est aujourd’hui à son point culminant. La voie du Seigneur, de même que ceux qui vénèrent cette voie, sont abaissés. L’homme approche de la limite permise par le Seigneur, et le Seigneur soumet à la discipline d’un plan immuable tout ce qui est sorti, durant les siècles, de l’ornière du Verbe. En traçant la voie à l’homme par le Verbe, il a fixé aux détours de la volonté des bornes que les entreprises des forces inférieures contre ce qu’il y a de supérieur ne sauraient dépasser ; la volonté a des limites qui sont une condition du progrès.

Au commencement de la route du Verbe, ce qui est inférieur guide par les détours ce qui est supérieur ; – les ténèbres, le chaos règnent, mais l’amour pour ce qui est supérieur naît – le saint désir parvient au trône du Seigneur – l’heure du Seigneur sonne – les détours, les replis de terrain disparaissent – ce qui a été élevé sur la terre sans le Verbe, sans Jésus-Christ, s’effondre – le Verbe du Seigneur, le produit de l’amour, la valeur véritable, demeurent. Le Verbe resplendit, Jésus-Christ triomphe.

Le Seigneur, triomphant par le fruit de son Verbe, séparera sous son étendard, par le droit de son amour et de la vérité, les unités mélangées des peuples, portant des pensées du Seigneur particulières, et par là facilitera l’accomplissement de la Pensée du Père.

Il tracera la forme des gouvernements d’après ces pensées – en rendant à chacun ce qui lui est dû, il épurera le compte du frère avec le frère et il écartera les obstacles à l’amour, au progrès.

 

Tout par le Verbe, tout pour le Verbe.

Ainsi le Seigneur, dans son amour, attire l’homme à lui par son Verbe. Il récompense de la sorte le produit de l’amour, fruit du Verbe.

Dieu le Père a manifesté par Jésus-Christ, engendré par lui, sa Volonté suprême devant être accomplie pendant les siècles par l’homme, qui tire son origine de la terre.

Le Fils lui-même a montré le véritable plan du Père à l’homme autant que celui-ci – qui commençait à faire ses premiers pas dans la voie du Seigneur – pouvait l’accepter ; il lui a découvert une partie du Verbe, et a laissé le reste pour être dévoilé dans la suite des siècles, au fur et à mesure de la maturité de l’homme jusqu’à l’époque de l’épanouissement de l’amour.

Celui qui porte en lui le ciel et qui l’aime, ne s’effrayera pas de l’étendue de son pèlerinage. L’amour, le ciel lui montreront l’espace qui sépare le Seigneur de la créature.

 

L’homme a déjà, de la vie du Seigneur, passé l’âge de l’enfance – il entre dans la période de la jeunesse – et le voile des mystères, selon la promesse de Jésus-Christ, se lève pour lui. – Le sceau du Seigneur est brisé.

Dieu n’a pas besoin d’être voilé ; plus il est connu, plus il est loué : c’est seulement la faiblesse de l’homme à supporter la lumière qui l’obscurcit.

Le jeune homme, plus son amour croîtra, adorera davantage le Père, connaîtra davantage la volonté du Père dans son Verbe – par cet amour et cette connaissance s’augmentera en lui progressivement la conscience de ce qui doit encore être caché au siècle ; l’amour, qui est le salut, s’épanouira.

 

Vous recevrez de nouveaux dons joints à de nouvelles obligations, jeune homme du Seigneur, et vous aurez un nouveau compte avec votre Seigneur – l’acceptation et l’usage que vous ferez de ces dons vous traceront votre direction séculaire, vous répondrez, devant Dieu et devant la postérité, de cet usage, car dans ces jours du Jubilé du Seigneur sa volonté ne se retirera pas de l’homme.

La très sainte page de la constitution de l’amour s’étale devant vous pour votre vie plus pleine en votre Seigneur. – Le Père fait alliance avec son enfant devenu adulte.

Une plus grande lumière, une plus grande conviction, une plus grande découverte des sources de votre bonheur et de votre malheur faciliteront votre pèlerinage.

Le Verbe du Seigneur donne aujourd’hui à votre âge ce qui lui est dû. Seulement, ne vous dites pas que ces moyens connus de vous qui vous tournaient vers le Père alors que vous étiez dans l’âge de l’enfance doivent être les mêmes pour vous maintenant que vous êtes devenu jeune homme. Limiter ainsi la puissance et la sagesse du Seigneur des armées devient aujourd’hui la source de l’infortune de l’homme, doté davantage des biens de la terre et appelé à un plus grand service du Seigneur.

Le Seigneur vous a permis de connaître l’espèce de croûte limoneuse de ce marécage qui est notre globe : il vous y a comblé de plus de grâces que les autres ; et vous l’en rémunérez d’une façon sacrilège en ne voulant rien voir au-delà de la croûte sur laquelle vous êtes juché, vous repoussez les instruments du Seigneur qui tendent à vous élever au-dessus de ce niveau et, en couvrant des apparences de la persévérance dans la foi le fruit de votre orgueil, vous crucifiez l’esprit d’amour du Christ, qui s’offre éternellement à vous tirer de cette bassesse.

Heureux les millions qui ne dominent pas, qui ne sont pas comblés de dons et qui se préparent à dominer dans les tabernacles du Père.

Vous, ô mon frère, dont Jésus-Christ m’a ordonné d’aimer le bien à l’égal du mien, si vous n’obéissez pas à l’appel de l’amour de notre Seigneur Jésus-Christ, si vous n’avancez pas dans la voie du Verbe avec toute l’ardeur désirable, vous pavanant pendant les siècles, vous ramperez sur le bourbier que vous avez tant aimé, et vous vous y traînerez de plus en plus péniblement, tant que vous ne reconnaîtrez pas ce qu’est votre Seigneur, ce que sont les échelons supérieurs de votre pèlerinage vers le Seigneur et ce qu’est le bourbier, cet état très-inférieur et passager que le Seigneur permet au pénitent.

 

Au milieu de cet appel général de l’homme à la discipline du Verbe, au progrès par la voie du Verbe, guidé par la grâce, vous prévenez l’appel du Seigneur, frère Gerson, vous accomplissez le devoir unique de l’homme. Que les caractères d’Israël soumis à la volonté du Seigneur dans Jésus-Christ vous rendent agréable à votre Seigneur – qu’ils fortifient l’esprit du serviteur du Verbe pour la défense et le triomphe du Verbe. Fort par la foi, hâtez-vous de satisfaire à votre Seigneur en déposant le fruit de votre amour dans l’œuvre du Seigneur.

Que votre amour, nouveau en force de vie et de production, s’accroisse de l’amour de la Volonté de Dieu dans le Verbe.

Après vous être soumis, mon cher frère, dans l’esprit, à Jésus-Christ, vous lui devez votre soumission dans la forme et selon les rites, comme témoignage exigé de l’homme, présenté et recommandé par le Verbe.

Les formes et les cérémonies qui accompagnent le Verbe, manifestent la grâce sous une enveloppe terrestre, pour le salut de la terre, aident la terre à accepter l’esprit. Elles unissent la plus grande hauteur à ce qui est inférieur, rapprochent le ciel et la terre. Toute forme et toute cérémonie de l’Église porte l’essence du Verbe. L’éveil extérieur que produit la cérémonie soulève le voile qui couvre les sens. Elle dispense à l’esprit le trésor céleste.

L’homme en progressant sur la voie du Seigneur augmente sa connaissance du Verbe, pénètre de plus en plus la profondeur des formes du Verbe, et ces saintes enveloppes terrestres d’un objet céleste sont éternelles et immuables comme le Verbe lui-même.

En croissant, ô mon frère, dans l’amour de la Volonté du Seigneur, vous reconnaîtrez comment ce qui est le plus saint et uniquement salutaire est rejeté par des millions d’hommes, ou bien, incomplètement accepté et appliqué à la convenance de l’homme, et ne reçoit pas l’hommage qui lui est dû ; ce péché, en détournant de la voie du Verbe, augmente l’infortune. Vous le reconnaîtrez et dans votre amour vous verserez des larmes, et vos larmes seront une satisfaction donnée au Verbe de votre Seigneur.

 

Vous me demandez, mon frère, des éclaircissements touchant votre route ultérieure.

Vous devez sans retard manifester votre humilité, votre soumission devant l’autorité du Verbe, devant la sainte Église établie par Jésus-Christ ; dans l’ardeur de votre esprit, vous rendrez hommage à la Pensée du Père qui a établi sur la terre une autorité gardienne de sa volonté dans le Verbe.

Notre-Seigneur lui-même a commencé l’œuvre du salut de l’homme par le Verbe en recevant le baptême ; il s’est soumis à cette cérémonie et nous en a laissé la loi pour les siècles !

Sans le baptême, sans l’élévation de l’esprit par la voie du Verbe, et dont le baptême est le témoignage et l’engagement sacramentel, il n’y a point de salut pour l’homme. En n’élevant pas ton esprit, ô homme, tu ne parviendras pas à ton Père.

Faites cela, mon cher frère, et l’humilité d’Israël sera agréable au Seigneur.

Vous abandonnez, mon frère, les caractères d’Israël par lesquels vous avez brillé et vous entrez dans une voie nouvelle pour vous. L’amour fraternel en Jésus-Christ vous adoucira vos premières difficultés. Dans votre petitesse d’aujourd’hui, dans votre humilité, dans votre soumission réside la grandeur du Seigneur, parce que c’est la véritable étincelle du Seigneur et, quoique fort éloignée de l’immensité des rayons de l’amour parfait, elle en est l’image et la ressemblance.

Que cette étincelle du Seigneur sous l’aile du Père, dont vous avez reconnu la volonté dans le Verbe, se développe en vous sous la loi des enfants dociles, et arrive à sa plénitude dans le pèlerinage qui vous est destiné.

Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la paix et l’amour de Jésus-Christ dans l’amour fraternel soient avec vous, frère bien aimé, pour alléger votre pèlerinage vers votre Seigneur !

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   . 38

 

Votre Frère et Serviteur    

ANDRÉ TOWIANSKI.        

 

 

 

XIII.

 

 

La cérémonie du baptême de Ram à l’Église eut donc lieu le 15 décembre 1842 ; en voici le document officiel 39 :

 

DIOCÈSE DE PARIS

PAROISSE SAINT-SÉVERIN

 

Extrait du registre des actes de Baptême.

L’an mil huit cent quarante-deux

le quinze décembre, ont été supplées les cérémonies du baptême à Jean André né le quinze mai 1812 à Wilna en Pologne

Fils de Abraham Gerson Ram

et de Malcha Ram son épouse

Demeurant   .   .   .   .   .   .   .   .   

Le Parrain a été : Nicolas Radwanski 40

Aux Batignolles, Rue Truffaud.

La Marraine a été : Anne Xavière Deybel

Rue d’Amsterdam 1.

Lesquels ont signé avec nous et le néophyte ondoyé le 22 octobre précédent.

Certifié conforme à la minute déposée aux archives de l’Église et délivré par moi soussigné Vicaire de la dite Église,

Paris, le 23 novembre 1911.

 

L. SIMONNE         

Vicaire à Saint-Séverin

Paris.            

 

 

 

XIV.

 

 

Ram resta à Paris après son baptême, élaborant en lui-même les saintes vérités qu’il avait reçues et partageant la vie des serviteurs de l’Œuvre. Nous avons fait mention plus haut de sa signature au bas de l’acte public du 27 mars 1843.

Cet acte était la protestation vigoureuse de soixante serviteurs de l’Œuvre contre l’abjuration que le Prince Swiatopolk Piast de Mirski avait fait de la foi catholique pour passer à la foi schismatique russe, et elle était faite au nom de la Pologne, de la France et de la race slave qui a en horreur les traîtres : la signature de Ram figurait par ordre alphabétique la 48e 41 : Ram Jean-André, aux Batignolles.

Le 11 mai 1843, Mickiewicz écrit à Towianski que Ram l’engage à « informer le Maître qu’il sent le besoin d’accomplir quelque sacrifice, mais qu’il ne sait pas lequel 42 ».

Towianski a dû donner des conseils pour aider Ram à connaître la volonté de Dieu et, quant à l’action extérieure à laquelle il se sentait poussé, il y a un avertissement pour lui dans ces paroles 43 :

 

Bruxelles, 20 juin 1843.      

 

C’est trahir grandement l’Œuvre que d’entreprendre de soi-même une action quelconque avant de s’être transformé. La première opération à faire en soi est de s’humilier devant Dieu et devant la créature : c’est-à-dire devant la pensée de Dieu. Car l’élévation, l’orgueil, ce n’est autre chose qu’une ligue formée avec l’esprit du mal.

 

 

 

XV.

 

 

Ram sentit après cela la nécessité de poursuivre plus à fond son travail intérieur, et, dans ce but, il s’éloigna de Paris. Mais il semble que Mickiewicz s’en étonne, car Towianski écrit à Mickiewicz le 1er juillet 1843 : « Peut-être l’éloignement du frère Ram de Paris est un besoin de son esprit : entrez dans sa position, ô Adam ! car toute action extérieure, avant qu’il ne se soit purifié intérieurement de la contagion aristocratique, serait stérile. »

Dans cette profonde préparation d’esprit, Ram sent enfin quel est son devoir : nous donnons ici la suite de la Note recueillie d’après son récit 44 :

 

Ram, obéissant à la voix intérieure, se mit à voyager en France pour annoncer l’Œuvre de Dieu aux Israélites français : dans ce voyage la grâce de Dieu lui aplanit tout, il trouva, dans chacun de ses besoins, des conseillers et des auxiliaires...... et il en retirait de nouvelles forces pour l’accomplissement d’un devoir si difficile. Il parcourut plusieurs grandes villes du nord, de l’ouest et du sud de la France, mais lorsque cet apostolat parvint à la connaissance du gouvernement français il fut exilé de France 45.

Alors ne sachant où aller et s’inquiétant de cela dans sa prière, il fut poussé vers Rome par un ordre exprès reçu d’en Haut ; car étant arrivé à Marseille et ne sachant encore ce qu’il ferait, un jour qu’il se baignait dans la mer il entendit une voix qui l’appelait : « Ram ! » Croyant s’être trompé, il se remit de son premier moment d’effroi, mais lorsque la même voix se fit entendre une seconde fois : « Ram !.... », il tomba sur sa face et dit ces paroles du prophète Samuel : « Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute 46 » ; et la voix reprit encore plus fortement : « Ram, à Rome..... »

Il se mit aussitôt en route et étant arrivé à Rome, il rencontre Towianski qui, dans le même moment, quittait la ville.

 

Ici il faut savoir qu’André Towianski était parti de Bruxelles pour aller à Rome demander la bénédiction du Pape sur son action ; le 27 septembre 1843, après une traversée des plus orageuses, il débarquait sur le territoire pontifical : le 1er octobre il était arrivé à Rome et en attendant qu’il fût reçu par le Saint-Père, il passait ses journées dans la solitude et le recueillement. Mais la persécution qui avait commencé à Paris, le suivit aussi à Rome. Le 21 octobre il recevait l’ordre de la police pontificale de quitter la ville dans les vingt-quatre heures. Toutes les tentatives qu’il avait faites pour obtenir une audience du Saint-Père ayant échoué, il partit, mais au moment où il quittait Rome il rencontra près de la Porta del Popolo Ram qui arrivait de Marseille et qui ignorait tout ce qui s’était passé : Ram retourna en arrière et accompagna Towianski jusqu’à Ronciglione, où Towianski rédigea pour le Pape l’écrit qu’on verra dans la suite.

Continuation de la note :

 

Ram accepta la mission, qui n’était pas facile à remplir, de remettre au Saint-Père un écrit de celui qu’il venait de condamner et d’exiler.

Ram, ayant accepté cette mission comme un ordre de Dieu, fit une retraite de neuf jours pour implorer l’aide divine, pour cette action. Au cours de cette retraite, il rencontra le confesseur du Pape, auquel il fit une confession générale, gagna sa sympathie et son union et ayant obtenu par son entremise une audience de Grégoire XVI, il remit cet écrit au Saint-Père, qui était entouré des prélats de sa maison 47.

C’était le 4 novembre, jour de la St. Charles. Ram, dans une grande élévation d’esprit, se présenta au Pape comme Juif converti et comme serviteur de Œuvre de Dieu.

Son élévation d’esprit extraordinaire, sa vénération pour ce qui faisait l’objet de son message et pour la Pensée de Dieu qui repose sur le Siège apostolique firent une grande impression sur le Saint-Père et sur son entourage ; par suite de cela trois Prélats de la Maison du Pape visitèrent secrètement Ram, eurent avec lui un entretien sur l’Œuvre de Dieu, et, après lui avoir assuré à la fin qu’ils partageaient tout ce qu’ils avaient entendu de lui, ils le munirent d’argent et lui donnèrent des souvenirs saints.

 

 

 

XVI.

 

 

L’Écrit déposé dans des conditions si exceptionnelles aux pieds du Saint-Père, et accompagné du témoignage personnel de Ram lui-même sur l’Œuvre de Dieu et sur son Serviteur, était le suivant 48 :

 

 

Ronciglione le 25 octobre 1843.      

 

          Saint-Père,

 

Voici la quatrième année qui passe depuis que, par l’ordre de Dieu, révélé à moi très-indigne, j’ai quitté mon pays pour transmettre aux individus et aux nations la volonté de Dieu, l’appel que Dieu fait dans ces jours, afin que sa miséricorde promise pour les temps actuels puisse découler de sa source. Et envers Vous, Saint-Père, premier magistrat du Seigneur sur la terre, j’ai reçu le devoir le plus sacré à remplir. Dieu est maître, pour faire sa volonté sur la terre, de se servir, quand il lui plaît, des instruments les plus indignes ; Dieu est maître d’envoyer son dernier serviteur à son premier magistrat. En quittant mon pays afin d’obéir à Dieu, pour la première fois j’ai désobéi au gouvernement sous lequel Dieu m’a fait naître, car il est juste d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.

En France, m’appuyant sur la grâce promise par le Seigneur à son Œuvre, faible poussière, fortifié par le sacrement de la sainte Eucharistie, j’ai eu le courage d’annoncer, dans l’église archicathédrale de Paris, le commencement de l’Œuvre de Dieu et de l’époque chrétienne supérieure ; cet acte a été accompli le 27 septembre 1841.

Ensuite, j’ai transmis la volonté de Dieu à mes frères réfugiés ; je les ai sommés d’être prêts en vue des grands jours qui s’approchent pour le monde ; je leur ai expliqué qu’après les souffrances qui devaient les disposer, ils sont, plus particulièrement que d’autres, destinés à servir l’Œuvre de Dieu ; je leur ai exposé ce qu’il faut faire pour que le meilleur Père cesse d’affliger notre malheureuse nation ; j’ai montré qu’aucun effort terrestre, révolutionnaire, ne réussira à cette nation.

Dieu a béni ; sa Grâce a germé ; et il en est déjà qui brûlent d’amour pour sa volonté qui leur a été transmise, et sont enflammés du saint désir de se sacrifier pour offrir à Dieu les fruits de cet amour en faisant triompher l’étendard de Jésus-Christ dans leur vie privée et publique.

Ils sont pleins de foi que la même Grâce qui a germé dans un petit nombre germera dans des milliers de cœurs, et que les efforts de l’homme n’arrêteront plus le cours de la volonté de Dieu.

C’étaient mes premiers actes sur le champ de ma mission. Le gouvernement français m’a condamné pour cela sans m’entendre ; il m’a ordonné de quitter la France ; j’ai obéi. Mon compte est devant Dieu, et Vous, ô Père, premier magistrat de Dieu sur la terre, Vous devez donner votre haute opinion sur ce que je fais ; l’homme l’attend de Vous !

Le temps d’accomplir ma mission auprès du Saint-Siège étant arrivé, je viens à Rome pour adorer en Vous, Saint-Père, la pensée de Dieu, pour vous exposer sa volonté, pour vous rendre compte de mes actions et recevoir votre bénédiction selon la volonté de Dieu.

Instrument trop faible, quand je me prépare dans la retraite, en implorant de Dieu la force nécessaire pour accomplir mon devoir, je reçois de votre gouvernement l’ordre de quitter Rome à l’instant. Séparant votre volonté, ô mon Père, de l’ordre de votre gouvernement, je m’empresse de recourir à votre personne ; mais on me refuse dans votre palais la grâce que j’implore, de pouvoir à vos pieds demander de vive voix ou par écrit votre protection. Je sens alors le devoir de m’expliquer devant votre gouvernement ; on me repousse également, on me refuse la parole, on me réitère l’ordre de quitter Rome à l’instant. La volonté de Dieu souffre la persécution, mais tôt ou tard elle triomphe.

J’ai obéi, j’ai quitté Rome ; mais comme l’ordre de votre gouvernement ne m’a pas déchargé du devoir d’accomplir la volonté de Dieu, Dieu, qui m’en a chargé, étant seul maître de m’en décharger et, comme je crains, aussi de laisser sur ma conscience une grave responsabilité, dans le grand intérêt du salut de l’homme – à peine hors de Rome je Vous l’expose, mon Père, autant que, dans une chose si sainte, j’ose le faire par écrit et à la hâte.

 

        Ô Père !

 

Quand tous les moyens pour présenter la volonté de Dieu au Saint-Siège sont ôtés à l’homme, Dieu met sur votre conscience le fardeau d’accomplir sa volonté, d’accomplir les devoirs qui, par sa volonté, pèsent aujourd’hui sur le Saint-Siège ; et depuis que cet écrit est à vos pieds, votre compte est devant Dieu. Les temps sont accomplis, la volonté de Dieu sera faite, l’homme qui n’obéit pas à l’amour obéira à la force de Dieu, et le Verbe de Dieu vivra, triomphera sur la terre..... Ô Père ! le pouvoir m’est donné de vous le dire.

« Dieu tout-puissant ! Tu vois que moi, le plus faible et le plus indigne, j’ai tâché d’accomplir ce que Tu m’as ordonné ; Ta volonté repose par Toi sur ton magistrat, et dès lors, ô mon Dieu, Tu feras ce qu’il Te plaira. Que seulement Ta miséricorde, pardonnant mes nombreux défauts, daigne me permettre de m’acquitter de cette partie de ma mission auprès du Saint-Siège ! Dans la prière et l’humilité, j’attendrai tes ordres futurs, et je ne cesserai d’implorer ta miséricorde pour que je puisse avec le temps, adorant ta pensée dans ton premier magistrat, baiser les pieds de celui que Tu nous as destiné pour nous conduire vers notre salut ; que je puisse, comme Tu me l’as ordonné, accomplir ma mission envers le Saint-Siège, le servir dans ces grands jours où le fardeau des devoirs pèse sur lui plus qu’il n’a pesé jusqu’ici.

« Daigne, ô le meilleur Père, inspirer à ton premier magistrat cet amour et cette clémence que Notre Seigneur Jésus-Christ ne refusait pas aux pécheurs, pour que cet amour et cette clémence fortifient ma faiblesse, et que je puisse, selon Ta volonté, offrir au Saint-Siège les fruits de mon amour et de mon dévouement.

« Repousse, ô le meilleur Père, les efforts du mal, et pardonne à ceux qui, conduits par le mal, entravent Ta volonté sur la terre, car Ta miséricorde est pour tous et pour tous les siècles. Que cette miséricorde daigne combler notre Père de la Grâce et du bonheur éternel ! »

Dans quelques heures, je serai hors de vos États, mon Père ; ne le pouvant personnellement, je me jette en esprit à vos pieds, j’adore en Vous la pensée de Dieu, et j’implore, si Vous m’en jugez digne, votre bénédiction sur ma route pénible.

Ô Père ! Dieu tient ses regards fixés sur nous et nous juge ; Vous reconnaîtrez ma pureté, sinon dans cette vie, j’ose le dire, Vous la reconnaîtrez devant le Tribunal de Dieu !

Je dépose ma prière aux pieds de Votre Sainteté par un des Israélites à qui il m’a été donné, en remplissant ma mission envers Israël, de faire connaître ses erreurs 49, et qui est arrivé de Paris à Rome baiser vos pieds et implorer votre bénédiction dans le travail qu’il a entrepris pour la conversion de ses frères afin d’accomplir le vœu de son âme.

 

ANDRÉ TOWIANSKI, Polonais de Lituanie.    

 

 

 

XVII.

 

 

Ayant quitté les États du Pape, André Towianski retourna en Suisse par le Piémont, et c’est de Marengo, le glorieux camp de bataille où Napoléon remporta la mémorable victoire du 14 juin 1800, qu’il écrivit cette première lettre à Adam Mickiewicz dans laquelle par les mots « Dieu a pris des mesures, le ton a été transmis », il fait allusion à la rencontre providentielle de Ram à Rome 50 :

 

Marengo, 9 novembre 1843.      

 

        Frère Adam,

 

Je vous écris du premier endroit où nous nous sommes permis de nous reposer 51. Communiquez aux frères les quelques mots ci-joints ; faites-en part aussi aux frères français.

En m’’expulsant ainsi, le mal ténébreux a projeté d’arrêter la pensée suprême. Mais Dieu, en le permettant à cause des fruits de l’homme, a pris des mesures. Le ton a été transmis au Pape. Cette partie de l’Œuvre étant accomplie, les résultats dépendent de Dieu ; et en ceci l’esprit a tout fait ; de la sorte Dieu miséricordieux a épargné à l’homme d’avoir à s’expliquer devant les ténèbres et l’endurcissement. Le mal, ignorant les voies de la Providence, peut triompher un certain temps. Il convient que vous scrutiez ces voies en esprit pour vous fortifier vous-même par cet examen, ainsi que les frères, afin de tenir tête au mal par la force de votre esprit.

Je me rends directement en Suisse : là j’attendrai votre décision ultérieure. Je vous informerai de l’endroit où nous nous arrêterons.

Faites-moi connaître ce que vous avez décidé au sujet de vos leçons 52. Il est très important pour nous que la Volonté Suprême soit sondée à cet égard.

Je vous embrasse, mon frère, et par vous tous mes frères.

 

ANDRÉ.      

 

 

 

XVIII.

 

 

Nous n’avons plus de nouvelles de Ram jusqu’à l’année suivante, où il a été chargé par Towianski d’une mission apostolique auprès de Rothschild à Francfort. En attendant il demeurait à Soleure et y partageait la vie active des Serviteurs de l’Œuvre. Sur ces entrefaites, le gouvernement de Soleure, qui avait été jusque-là bienveillant pour Towianski, changea tout-à-coup ses dispositions (probablement par l’influence du représentant de la Russie à Berne) et, le 28 août 1844, lui ordonna de quitter le Canton. Towianski demanda un délai à cause de la maladie de sa femme et on le lui accorda, jusqu’au 15 octobre. Ram partit de Soleure le 20 octobre 1844, mais non uniquement pour gagner Francfort ; il se proposait, aussitôt sa mission auprès de Rothschild remplie, d’aller à Jérusalem ; cependant une fois à Francfort, au lieu de poursuivre sa route, il revenait sur ses pas et ne reprenait effectivement son voyage pour Jérusalem que le 18 novembre 1844, en partant de Bâle, où il avait rejoint le Maître qui, à la suite de nouveaux ordres 53, avait dû quitter Soleure le 7 novembre ; et là il se préparait ultérieurement à son saint pèlerinage et recevait avant de partir un Écrit intitulé Idée sur Jérusalem 54.

La nouvelle que le départ de Ram s’était effectué de Soleure le 20 octobre est donnée par la lettre suivante de Romuald Januszkiewicz à un des frères de Paris 55 :

 

Soleure, 20 octobre 1844.      

 

Aujourd’hui à neuf heures du matin, Ram a quitté Soleure pour se rendre à Jérusalem.

Grâces soient rendues à Dieu qui a permis que nous puissions encore nous voir avant son départ ; nos âmes en avaient besoin pour nous fortifier mutuellement par nos entretiens et nous tendre la main. Nous avons passé toute la nuit à converser.

Je l’ai conduit chez les sœurs César 56 qui l’ont reçu avec un grand amour et elles nous ont donné une soirée musicale ; un prêtre est venu, et Ram a raconté à tous son service à Rome.

Je suis triste et ému depuis notre séparation ; bien que nous devrions être des soldats, nous n’avons pu, en nous faisant nos adieux, retenir nos larmes ; tant de moments graves, tant de services accomplis ensemble nous ont unis ; je suis un de ceux qui l’ont le plus aimé et je l’avais pressé le plus tendrement contre mon cœur. En nous faisant nos adieux sur le tombeau de Kosciuszko, nous avons juré ensemble fidélité à l’Œuvre sainte 57...

 

 

 

XIX.

 

 

Voici maintenant quel était l’écrit remis par le Maître à Ram le 18 Novembre 1844 à l’occasion de son voyage à Jérusalem :

 

Idée touchant Jérusalem donnée au frère Jean-André Ram, le jour de son départ pour la Terre Sainte le 18 novembre 1844 à Bâle.

À Jérusalem se trouve le sommet des erreurs d’Israël, le sommet de l’opiniâtreté, le sommet de l’esprit de la terre. Pour les Israélites, c’est dans ces erreurs seulement que consiste la sainteté suprême ; en réalité, c’est le plus grand endurcissement conte la volonté de Dieu joint aux plus saintes formes.

Ils vont en pèlerinage pour se maintenir dans le faux, dans la dureté, dans l’esprit de la terre, afin d’opposer une plus forte résistance à la volonté de Dieu, à l’esprit de Jésus-Christ, de demeurer dans leur endurcissement, de ne pas se laisser émouvoir mais de persévérer dans leur obstination, tandis que Dieu se sert de tous les moyens propres à émouvoir Israël qui, chaque fois que lui arrive un plus grand appel de Dieu à accomplir sa Volonté dans le Verbe, élargit davantage la route par laquelle il se dérobe à l’obéissance au Seigneur.

Le lieu même exalte et idéalise le refus de se soumettre à la Volonté de Dieu, que le Verbe a transmise à l’homme, et à l’Idée du Christ, c’est-à-dire au genre d’opération que cette Idée exige pour le progrès. Là le point dur se maintient plus facilement, là se trouve la plus grande concentration de l’endurcissement ; de même que Paris est le siège de la jouissance des nerfs relâchés, ainsi Jérusalem est le siège de la jouissance de l’esprit concentré, endurci.

C’est l’obstacle que rencontre la pensée divine qui disperse Israël par toute la terre pour qu’il se soumette à la Volonté du Seigneur. Les Juifs endurcis font tous les sacrifices, à condition de ne pas se soumettre à la Volonté suprême de Dieu, au progrès, à l’opération marquée par le Verbe de Dieu. Le mal de l’homme répandu sur la terre est amené là à son point culminant et essentiel : les points moins essentiels, tels que l’amour du gain, de Mammon et les autres détours d’Israël, disparaissent. Jusqu’à présent tout a échoué contre la dureté d’Israël. Dieu a brisé le faux idéal, et l’idéal véritable, approprié à l’état actuel d’Israël, n’avait pas été indiqué ; par une punition permise de Dieu, aucune voie ne s’ouvrait devant Israël.

Aujourd’hui une lumière accessible, un idéal tangible et la bonne route s’offrent à Israël, et ce sera la dernière épreuve de l’amour d’Israël envers Dieu, épreuve de la docilité d’Israël à la Volonté de Dieu. L’acceptation ou le rejet tracera de nouveau la direction à Israël pour les siècles. Et ceux qui résisteront à la Volonté de Dieu ne cesseront de faire leur pèlerinage dans le mépris et l’abaissement ; tandis qu’aujourd’hui Dieu ouvre les portes de Jérusalem à ceux qui sont dociles à sa Volonté.

 

 

 

XX.

 

 

Ram arrivait à Jérusalem vers la mi-janvier 1845 et la Note relative à son récit dit à ce propos :

 

En 1845 Ram fit le pèlerinage de Jérusalem ; là il annonça l’Œuvre dans les Synagogues, présenta l’appel et la réclamation de Dieu à Israël et reçut à ce sujet l’accession de beaucoup de ses anciens coreligionnaires. La Providence le protégea pendant tout ce voyage. Le capitaine d’un vaisseau français s’étant uni à ce qu’il avait entendu de lui sur l’Œuvre de Dieu, le reçut sur le bateau aux frais du gouvernement français, quoique Ram eût été exilé de France pour avoir annoncé l’Œuvre ; et il lui assura de la même manière le retour d’Égypte en France.

 

 

 

XXI.

 

 

Ram a écrit, cependant, à Paris le 15 mai 1845, avec plus de détails, une relation de son voyage, et nous trouvons sa lettre parmi les documents de la brochure de M. Gawronski 58 :

 

Le 18 novembre 1844, après avoir reçu à Bâle l’Écrit du Maître Idée touchant Jérusalem, et la visite des frères Israélites qui séjournent en cette ville, je me suis mis en route pour effectuer mon pèlerinage par Marseille, Malte, Constantinople, voyageant pendant plus de deux mois. Je suis arrivé à Jérusalem vers le milieu du mois de janvier 1845.

Je donnerai verbalement aux frères des détails de mon voyage ; ici je me propose de décrire seulement le point essentiel de mon service, c’est-à-dire l’appel aux frères Israélites à Jérusalem.

Je vous prie, mes chers frères, à l’audition de ces paroles, de vous transporter avec moi à Jérusalem, et de sentir en esprit toute la difficulté de ma position, et en même temps la responsabilité qui eût pesé sur moi si, par manque de continuité dans le sacrifice, je ne m’étais pas tenu devant mes frères d’Israël dans la plénitude du ton de l’Œuvre sainte. Dans ce moment décisif, je m’oubliai complètement et, me rappelant seulement la tâche dont j’étais chargé et que je portais dans mon âme, je cherchai dans ma prière et dans mon travail d’esprit les moyens de remplir mon message.

Ayant fait connaissance avec beaucoup d’Israélites, je leur déclarai que j’étais venu à Jérusalem uniquement pour leur communiquer une heureuse nouvelle, et que, dans ce but, je voudrais m’entretenir avec eux.

Le 29 janvier à neuf heures et demie du matin, plus de soixante Israélites s’étaient réunis dans la Synagogue Médras. Me tenant au milieu d’eux, je soupirai ardemment vers Dieu et je leur parlai en ces termes :

 

        « Frères et amis !

 

« Dieu a permis que je puisse vous communiquer, à vous qui êtes rassemblés dans un lieu si pur et si saint, une heureuse nouvelle venant de Dieu et que notre nation attend depuis tant de siècles.

« Il y a déjà quatre ans passés qu’un homme de Dieu a paru sur la terre d’Europe et, par l’ordre de Dieu, a annoncé aux autres nations et à Israël, notre frère, que Dieu a eu pitié de nous et appelle Israël à son Œuvre sainte.

« De nombreux siècles se sont écoulés pendant lesquels nous avons prié seulement, sans nous efforcer de sonder quelle est la Volonté de Dieu à notre égard. Et voici que le jour est proche où Dieu, par son véritable serviteur, nous fera connaître sa Volonté suprême.

« L’Homme de Dieu, avec l’autorisation du Seigneur, nous apporte le Verbe vivant. Sa mission est de décharger notre nation du fardeau qui l’oppresse depuis des siècles, d’unir les nations dans la fraternité, de sauver Israël, d’amener à le reconnaître sur la terre pour le premier frère et de nous mettre tous sous un seul très-saint Étendard 59.

« Plusieurs fois Dieu a parlé à Israël par ses serviteurs, les prophètes, et aujourd’hui il lui parle de nouveau par son véritable serviteur. C’est seulement de lui que nous pouvons apprendre quelle est la grandeur d’Israël et quelle haute vocation est la sienne dans l’Œuvre sainte. En lui seulement nous puiserons une lumière nouvelle pour notre vie future.

« Je vous répète, ô mes frères, que Dieu, par son Serviteur, renouvelle son appel à Israël comme il l’a fait autrefois par les saints prophètes. Notre nation, pendant tant de siècles, n’est pas parvenue à comprendre la Volonté de Dieu. Dieu a eu pitié d’elle, et aujourd’hui il vous envoie son Serviteur, pour vous faciliter le commencement et vous éclaircir sa Volonté, ainsi que la réalisation de cette Volonté sur la terre.

« Ce n’est que par l’accomplissement de la Volonté de Dieu que nous serons délivrés du fardeau qui nous oppresse si douloureusement sur la terre ; c’est seulement en répondant à l’appel de l’Homme de Dieu qu’on reconnaîtra la supériorité d’Israël sur les autres nations ; et l’Homme de Dieu, le Serviteur du Seigneur, nous sera un secours dans cette œuvre sur la terre.

« Mes frères ! Dieu m’est témoin que depuis longtemps j’avais senti devoir vous apporter ces paroles de consolation, qui étaient parvenues à nos oreilles, que nous avions acceptées dans nos âmes et qui nous avaient unis par la promesse de servir l’Œuvre très-sainte ; mais, comme homme, j’ai eu beaucoup d’obstacles sur la terre et j’en ai retardé la réalisation. J’en suis coupable devant vous.

« Mais puisque Dieu miséricordieux m’a amené auprès de vous et m’a permis de m’unir avec vous dans cet esprit, je vous conjure, mes frères, au nom de Dieu, d’éveiller votre esprit qui est si grand devant Dieu, de comprendre sa Volonté qui nous a été apportée par le Serviteur de Dieu, dont notre nation a attendu la venue depuis tant de siècles. Même dans votre éloignement vous arriverez à vous en rendre compte. À vous qui habitez cette ville sainte, incombe le devoir de chercher la source d’où sont sorties les paroles de consolation, de les accepter et de les répandre par tout Israël.

« Pour moi, à qui Dieu a permis de me trouver aux pieds de l’Homme de Dieu, d’entendre de sa bouche la parole de vérité et de vie, de l’accepter dans mon âme et de déposer devant Dieu le serment de servir son Œuvre sainte, je lui rends des actions de grâce, de ce qu’Il se soit servi de moi comme instrument pour vous révéler ce Verbe, ô mes frères 60, et je me tiens devant vous prêt à vous donner toute l’aide de mon esprit et de mon corps. »

 

Telle est la substance, et pour ainsi dire les termes, de mon allocution aux Israélites de Jérusalem, au cours de laquelle j’ai évité, comme vous le voyez, de toucher à aucun de ces détails auxquels Israël est enclin de s’accrocher, et dont il se serait occupé aussitôt pour chercher des interprétations à y appliquer.

Il s’agissait uniquement de cela : d’éveiller l’esprit d’Israël avec tout l’amour, toute la foi et toute la pureté possibles, et de l’appeler au travail intérieur.

Dieu a béni ce moment. Les assistants furent touchés, les uns davantage, les autres moins : mais ils furent tous, presque sans exception, émus et attendris.

Quelques-uns me demandèrent tout de suite des explications, à quoi je répondis... qu’aujourd’hui il s’agit seulement que vous acceptiez tous ma parole dans votre âme.

Le lendemain, cinq délégués de la Synagogue vinrent chez moi. Je leur éclaircis quelques points et, pendant plusieurs jours, abordant chaque détail qui touche à l’état actuel d’Israël et à sa vocation future, je leur expliquai quels sont aujourd’hui leurs devoirs et leurs obligations.

De Dieu dépend maintenant la direction que mon service accompli à Jérusalem tracera aux frères Israélites.

En prenant congé, nous nous sommes séparés agenouillés en esprit, si je puis m’exprimer ainsi : le groupe entier m’a accompagné jusqu’aux portes de la ville. Avant de quitter Jérusalem, j’ai été témoin de la résolution prise par eux d’écrire sur-le-champ aux frères habitant la Pologne et au protecteur des Israélites de la Terre Sainte, qui demeure à Amsterdam, en leur rapportant ce qu’ils ont entendu de moi, et en les priant de tâcher de connaître de plus près le Verbe révélé 61 : et de plus, comme ils ont coutume d’envoyer quelques-uns des leurs chez les frères qui habitent dans différents pays, ils recommanderont principalement à celui qui ira en France d’aller à la source d’où est dérivée ma mission chez eux. Et puisque Dieu m’a permis de l’accomplir heureusement, je vous appelle, mes frères, à partager avec moi, dans la joie de vos âmes, cette bénédiction du Seigneur.

 

Paris, 15 mai 1845.

 

J. A. RAM.      

 

 

 

XXII.

 

 

Au sujet de ce voyage et de son importante mission, Ram avait reçu, aussitôt arrivé à Paris, cette lettre d’André Towianski qui demeurait alors à Richterswyl (Canton de Schwyz) 62 :

 

Au frère Jean André Ram.

 

          Frère Jean,

 

Le devoir du Serviteur de l’Œuvre Sainte comporte trois parties :

1o l’acceptation de la lumière ;

2o l’éveil du mouvement, selon la lumière reçue, dans l’esprit et dans le corps ;

3o l’action, la marche par la route éclairée.

Les contrariétés ont préparé le serviteur de Dieu à Odessa 63, à Rome, à Jérusalem : dans ces endroits, vous avez combattu votre homme, rendu le corps docile à l’esprit : vous avez aimé la lumière et avez éveillé le mouvement dans l’esprit et dans le corps selon la lumière que vous avez reçue. Il vous reste l’action, la troisième partie de votre service envers Dieu. – Vous vous êtes tenu sur la voie de Dieu : désormais vous devez marcher ; vous avez vaincu le péché d’Israël et vos nombreuses contrariétés : vous devez maintenant vous vaincre vous-même, votre propre esprit, dans l’action, en marchant sur la voie de Jésus-Christ : – vous devez vous tenir dans le sacrifice de Jésus-Christ.

Vous vous êtes tenu dans le sacrifice de votre esprit et de votre corps, mais dans les ténèbres, poussé par la Volonté de Dieu ; sans votre volonté pleine, sans votre mérite, sans vous soumettre entièrement à la Volonté de Dieu – et l’effroi que Dieu vous a envoyé vous a maintenu dans la crainte, dans le sacrifice, vous a sauvé. La marche sur la route éclairée par le mouvement de votre esprit et de votre corps, c’est votre croix blanche. Avec la croix blanche, vous accomplirez votre mission, et le Bras de Dieu sera avec vous.

Ce degré de sacrifice porté par vous dans l’esprit, vous le devez à Israël afin de l’aider à remplacer la croix noire qu’il porte depuis des siècles, par la croix blanche. Vous êtes un instrument pour faciliter à Israël l’acceptation du Verbe de Dieu, pour lui montrer la Pensée de Dieu présentée par Moïse... et transmise dans le Verbe de Dieu. Vous êtes un apôtre chrétien pour Israël.

Vous avez reconnu et commencé votre route pleine et nouvelle à Einsiedeln, dans ce lieu où s’est accomplie la pensée de Dieu. Là Meinrad a jeté la pure semence du Verbe de Dieu. Depuis plus de dix siècles, il s’y conserve au milieu du monde corrompu ; là s’accomplit dans sa pureté la première partie du Verbe de Dieu : par la prière, par l’esprit, le corps se macère. Examinez-vous, en vous comparant à cette semence pure, et humiliez-vous devant cette base pure du christianisme, et, après en avoir accepté et affermi le ton en vous, maintenez-vous avec ce ton sur les degrés ultérieurs du Verbe de Dieu que vous avez occupés en tâchant de vous élever sur les degrés supérieurs que vous pourrez occuper.

En cela consiste votre vocation, votre couronne, votre acquittement envers Dieu pour vos siècles. Ici votre mérite est certain : et, avec votre mérite, l’aide d’en Haut. Israël attend d’avoir un prêtre en vous ; méritez de l’être !

Frère Jean, mon service et mon soupir élevé pour vous vers le Seigneur des armées ne cesseront de vous accompagner.

 

      25 avril 1845, Richterswyl.

 

ANDRÉ TOWIANSKI.      

 

 

 

XXIII.

 

 

Cette lettre montre à quelle profondeur de travail le Maître appelait Ram, ne lui permettant ni de s’enorgueillir ni de se tranquilliser après aucune de ses actions, même les plus brillantes, et exigeant de lui une élaboration chrétienne toujours plus intense. Ram, comme on le voit, était allé à Einsiedeln, endroit célèbre pour son sanctuaire bénédictin, fréquenté par le Maître et les anciens Serviteurs de l’Œuvre, et enfin il avait dû venir à Paris s’y entretenir plus longuement avec les frères sur son action de Jérusalem et sur sa direction ultérieure. Dans une réunion du Cercle fraternel à laquelle Ram était présent, Adam Mickiewicz tint à propos de lui l’allocution suivante 64 :

 

Paroles du frère Adam au Cercle fraternel à Paris.

 

Tout dans l’Œuvre se fait par miracle, et notre unique devoir est d’être dans une disposition d’esprit telle que les colonnes du Seigneur puissent miraculeusement agir du milieu de la nuit.

L’humanité a porté jusqu’à présent la croix noire ; aujourd’hui elle est appelée à la remplacer par la croix blanche, qui n’est autre chose que l’attachement à la Volonté de Dieu et la soumission à sa direction en toute foi et tout amour. – « Ma croix, a dit Jésus-Christ, est légère et mon joug est doux. »

Noter l’idée ne suffit plus. – Aujourd’hui chacun des frères doit témoigner de l’accomplissement du service par tout son être devant les frères et leur montrer l’exemple.

Chaque service commencé dans l’esprit doit être réalisé jusqu’au bout. Il n’y a pas à se préoccuper du résultat, car dans l’Œuvre de Dieu il s’agit seulement de reconnaître le bon ou le mauvais fruit.

Le Cercle est appelé à se présenter comme un seul homme, et puisque nous ne connaissons pas le nombre d’âmes appelées, il est de notre devoir de soutenir de notre esprit et de notre amour nos frères qui sont plus bas que nous, parce que un seul de ces appelés, par son retard, arrête le moment de l’action.

On ne peut aider Israël qu’en prenant sa croix, en l’aidant à détruire la pierre qui comprime son esprit.

L’Église catholique lui ordonne de croire que Jésus-Christ était Dieu, ce qu’Israël ne comprendra pas d’un coup : il faut donc lui montrer d’abord que ce que Jésus-Christ a apporté est la vérité et lui demander s’il a quelque chose contre cette vérité.

Israël n’aura pas besoin d’accomplir la cérémonie du baptême à l’église ; il se christianisera par l’acceptation du nouvel esprit 65. Le frère Ram a dû satisfaire à cette forme, parce qu’il était dans l’intention de Dieu qu’il soit connu du monde et qu’il devienne manifeste qu’Israël a appelé à Jésus-Christ le Pape, Vicaire de Jésus-Christ.

Vous devez savoir, mes frères, que selon la loi de la terre, l’autorité enraie partout le mouvement pur des hommes vers Dieu. C’est ce qui se passe dans l’Église, en France et chez d’autres peuples. Nous devons nous préserver, dans notre cercle, de l’influence de cette loi ; et puisque nous sommes les gardiens de la vérité, chaque fois qu’elle souffre par le fait de l’autorité, nous devons, après avoir au préalable rendu à la terre ce qui appartient à la terre, réclamer hardiment auprès de l’autorité elle-même.

 

      Dimanche, 17 mai 1845.

 

 

 

XXIV.

 

 

Ayant accepté de faire devant Dieu le travail qui lui était demandé, Ram poursuivait sa mission de Prêtre en Israël et allait de nouveau à Francfort.

De là il écrivait ce qui suit à Adam Mickiewicz 66 :

 

28 juillet 1845, Francfort s/M.

 

        Mon cher frère Adam,

 

J’ai reçu votre lettre du 22 juillet : vous m’avez apporté beaucoup de force et d’énergie ; or, je me souviens que chaque fois que je venais chez vous comme un cadavre, je m’en retournais plein de vie, et que dire maintenant que je suis si éloigné, tout seul, dans de telles peines ! Votre petite lettre, frère Adam, a pu me faire beaucoup de bien ! Vous m’avez ranimé, mon cher frère, de quoi je remercie Dieu et le Maître, et les Anges de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Le 21, les gendarmes ont voulu m’expulser et c’est à grande peine que mes frères 67 m’ont obtenu un délai de huit jours. Le 25, après notre réunion, nous avons senti tous que je devais me rendre à l’ambassade française, accompagné de trois Rabbins, et ainsi fut fait. À quatre heures de l’après-midi, nous nous rendîmes à l’ambassade. Les Rabbins qui m’accompagnaient étaient de Hambourg, de Leipzig et de Darmstadt, hommes ayant l’usage du monde et parlant bien le français. Je les pris avec moi pour qu’ils rendissent témoignage de ce que je leur avais apporté et de la proclamation et de l’appel que j’avais faits. Là Dieu me permit d’agir hardiment, avec simplicité et liberté.

Je parlai pendant une demi-heure de l’Œuvre et je dis tout ce que Dieu m’inspira. On m’écouta avec une grande humilité. Je dis que la France pense se tirer d’affaire parce qu’elle a expulsé le Maître, l’envoyé de Dieu, et expulse aussi d’autres personnes (ses disciples), et qu’elle ne veut rien entendre, en quoi elle se trompe grandement.

Ce que l’envoyé de Dieu a apporté pour la France, la France doit l’accepter et le réaliser, si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain, et ce jour est proche. De même Israël, pendant tant de siècles, n’a pas voulu réaliser la volonté de Dieu sur la terre, et maintenant le jour est proche où Israël cherchera lui-même ce qu’il doit faire, et l’homme de Dieu a l’ordre de Dieu pour trois nations. Nous, comme premiers serviteurs de l’Œuvre sainte, nous avons l’obligation de le communiquer à ces nations. Dieu l’exige de nous.

Alors les Rabbins firent la déclaration suivante : « Nous venons pour notre frère Ram, témoigner qu’il n’est pas venu nous appeler à quelque complot révolutionnaire, non, Monsieur, il nous a apporté une parole de consolation, que nous attendions depuis longtemps et dont nous ne pouvons nous passer. » Ils lui montrèrent leurs papiers attestant qu’ils sont Rabbins assermentés et dirent à l’ambassadeur : « Vous savez sans doute pourquoi nous en agissons ainsi ; quoique nous soyons Allemands, nous sentons aussi, par ce que nous a dit notre frère, que la France a une grande vocation et qu’elle ne peut pas demeurer ainsi. »

Enfin l’ambassadeur me montra un rapport me concernant, dans lequel on lui disait de me retirer mon passeport français ; mais l’ambassadeur, fortement ému, me dit : « Eh bien ! que dois-je faire avec M. Ram ? J’ai entendu que vous êtes contraint de vous éloigner de Francfort ; où pensez-vous vous rendre maintenant ? »

Je dis que j’irai là où Dieu m’indiquera d’aller, et où je pourrai communiquer le Verbe de Dieu. Je sens seulement que Dieu exige cela de moi, mais qu’il n’y a pas encore de route tracée pour moi. L’ambassadeur dit alors à son secrétaire de me rendre mon passeport : je ne leur ai pas demandé de visa.

Mon cher frère, il m’est difficile de tout relater ; mais que faire quand je ne puis pas mieux m’expliquer ? J’espère en Dieu, que si même vous ne comprenez pas mon explication, vous comprendrez du moins mon esprit, et lorsque Dieu nous réunira, je vous donnerai alors tous les détails. Ce que je puis vous écrire, mon frère, c’est qu’en sortant de l’ambassade nous ressentîmes tous une grande joie et que Dieu nous avait bénis.

Pendant ces quelques jours, je ne voyais pas où aller, mais Dieu et l’Esprit agissaient ; or, tandis que j’étais dans les soucis, le 27, je reçois une lettre d’Amsterdam. C’était une réponse à une lettre que j’avais écrite de Jérusalem à M. Lehr. Son père, Ekiwa Lehr, me répondait que ma lettre de Jérusalem avait été pour eux une vraie bénédiction, qui, depuis longtemps, leur faisait défaut. Depuis quelques mois, il se fait chez eux un grand travail ; ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire, ils sentent seulement que les temps sont graves. Ils font des prières et des jeûnes à cette intention. Il y a cinq semaines que la Hollande et l’Angleterre se sont unies à ce travail. Son frère est allé depuis quelques semaines à Londres, pour décider ce qu’ils doivent faire, et par conséquent ils désirent de toute leur âme, puisque je suis celui à qui Dieu a permis de se rendre à Jérusalem, que je parte pour Rotterdam où je le trouverai ; et que de là nous nous rendrons à Londres avec lui et avec un Rabbin de Rotterdam.

C’est ainsi que Dieu conduit les choses, mon cher frère.

Demain je partirai sûrement d’ici ct irai directement à Rotterdam. Ce soir nous nous réunirons pour les adieux. J’ai fait ici ce que j’ai pu ; Dieu et l’Esprit feront le reste. On voit que telle est la volonté divine.

Adieu, mon frère. Que Dieu et le Maître nous appuient tous dans nos services.

 

Frère RAM JEAN.

 

 

 

XXV.

 

 

Nous n’avons pas de documents relatifs au séjour de Ram à Rotterdam ni à celui qu’il fit à Londres. Pour sûr il y a accompli son devoir de Serviteur de l’Œuvre et on peut l’induire de quelques mots d’une lettre de Mickiewicz au Maître en date du 1er Août 1845 et de la réponse du Maître que nous rapporterons dans la suite, ainsi que de cet extrait d’une lettre du frère Romuald Januszkiewicz du 19 de ce même mois 68 :

 

Lausanne, 19 août 1845.      

 

..... On m’annonce de Paris que Ram est arrivé à Londres le 4 août, et que le 7, étant chez un Rabbin très pieux et d’un esprit supérieur à celui de bien d’autres, il parla de l’Œuvre en présence de soixante israélites rassemblés. Son témoignage fut accueilli différemment par les assistants ; néanmoins il a trouvé de l’union chez plusieurs et dès lors il travaille avec ces derniers.....

 

 

 

XXVI.

 

 

Mais hélas ! de graves dangers d’esprit devaient aussi attendre Ram à Londres ; la tentation de la terre, de Plutus, devait l’assaillir.

Mickiewicz le pressentait et, dans un post-scriptum d’une lettre en date de 1er Août, adressée au Maître, il lui disait 69 : « J’ai écrit fortement au frère Ram, afin qu’à Londres il ne se donne pas le ton de banquier et de Juif civilisé.

« Je l’ai supplié qu’il se tienne en garde contre cette tentation : j’ai été saisi de la peur qu’un grand mal n’y guette Ram..... »

Ram a dû beaucoup lutter contre la tentation et faire de grands efforts. Il a quitté Londres se proposant de retourner à Jérusalem, ainsi qu’il résulte d’une lettre de Mickiewicz à Ferdinand Gutt du 18 septembre 1845 70 :

 

Adam Mickiewicz à Ferdinand Gutt.

 

18 septembre 1345.      

 

Vous recevrez sous peu une lettre de moi par une occasion, et vous apprendrez verbalement tout ce qui de notre part peut vous intéresser. Maintenant je n’écris que pour précéder l’occasion et vous l’annoncer. Nos deux frères de retour du pèlerinage qui, comme vous le savez, n’avait qu’un but religieux, ont reçu l’ordre de quitter la France sans délai.

Ram voulait se rendre en Terre Sainte par Marseille, mais il n’a pu obtenir de passeport pour Marseille, et a été contraint d’aller en Suisse. Nous regardons cela comme une bénédiction pour lui. Là il trouvera conseils et direction.

Romuald a l’intention aussi d’aller vous voir.....

 

 

 

XXVII.

 

 

Mais déjà à la fin de ce même mois de septembre, ayant été vu à Paris, le pauvre Ram produisait une pénible impression : Mickiewicz la relate ainsi qu’il suit 71 :

 

Lausanne, 30 septembre 1845.

 

J’ai reçu une très-douloureuse nouvelle concernant Ram. Il se trouvait à Paris dans une si terrible chute d’esprit et même dans un tel abaissement que les frères Bournier ne l’ont plus reconnu...

 

 

 

XXVIII – XXIX.

 

 

Nous voyons après cela Ram à Bruxelles : Mickiewicz écrit à son sujet ce qui suit 72 :

 

Octobre 1845.

 

        À Madame Gutt.

 

Ram a écrit de Bruxelles, il gémit et s’inquiète qu’on ne lui écrive pas (quoique je lui eusse écrit plusieurs fois).

C’est singulier comme notre Ram tombe facilement dans une crainte et un tremblement vraiment judaïques.

Eustache 73 lui a répondu, parce que ma santé était mauvaise à ce moment.

 

 

        À Madame Caroline Towianska.

 

Novembre 1845.      

 

J’envoie la lettre que Ram a écrite de Bruxelles. J’ai pressenti et prévu un grand assaut du mal contre Ram à Londres, dont je l’avais averti. Je ne sais pas dans quelles dispositions Ram s’y est trouvé ; il a dû cependant manquer plus d’une fois et non légèrement, puisqu’il est parti de là dans un si mauvais état, accablé et presque affolé, comme il l’écrit lui-même.....

 

 

 

XXX.

 

 

C’est avec la plus profonde douleur que le Maître avait vu le misérable état de l’âme de Ram : il avait voulu l’aider, mais en vain ! Beaucoup plus tard il lui a adressé la lettre suivante 74 :

 

        Frère Jean André,

 

L’heure de Dieu a déjà sonné pour vous et je m’adresse de nouveau à vous, y étant obligé comme votre frère et votre serviteur destiné par la miséricorde de Dieu. Par une disposition miraculeuse de Dieu, transporté du fond de la Lituanie sur le champ où se fait l’Œuvre de Dieu, vous vous êtes converti à Jésus-Christ, vous avez accepté sa voie présentée dans cette Œuvre, et vous avez promis solennellement à Dieu dans votre âme et à votre baptême de la suivre fidèlement et avec persévérance ; et enfin ayant témoigné de la miséricorde que vous avez éprouvée devant le magistrat suprême de l’Église, vous avez commencé votre vocation apostolique pour Israël, vous avez témoigné devant vos anciens coreligionnaires en France, en Allemagne, à Jérusalem, de la miséricorde de Dieu qui descend aujourd’hui pour Israël dans l’Œuvre de Dieu ; par votre feu israélite, élevé à la hauteur du feu chrétien, par les trésors de votre esprit vivifiés par la Grâce, par votre force, votre sérénité et votre joie, vous avez montré ce qu’est l’esprit d’Israël et combien sa vocation est haute et impérissable.

Mais après tout cela, lorsqu’il a plu à Dieu, pour éprouver votre fidélité et pour votre mérite plus grand et votre progrès plus accéléré, de vous exposer à la tentation du mal, vous, mon frère, appelé à être apôtre du christianisme pour Israël, qui auriez dû le premier vaincre son péché principal : l’adoration et l’amour de la terre, de Mammon, ces idoles, ces faux dieux – vous avez succombé à la tentation du mal et dans un aveuglement inouï, ayant oublié tout ce qui dans le courant de ces années bénies avait eu lieu en vous et par vous sous l’action de la Grâce de Dieu, vous avez détourné votre esprit du ciel et l’avez tourné vers la terre, vous vous êtes jeté avec hardiesse et assurance dans la voie terrestre, vous vous y êtes adonné tout entier, vous avez violé le commandement de Dieu : « Je suis le Seigneur ton Dieu, tu n’ auras point de dieux étrangers devant ma face », et par cette idolâtrie vous avez renié le Seigneur votre Dieu, vous avez trahi aussi Israël, votre frère.

Dieu a permis, en punition, que vous éprouviez des succès dans la voie du péché, afin que le mal accepté dans votre esprit, cette trahison, produisît son fruit dans la plénitude, pour votre compte futur devant Dieu, et aujourd’hui vous jouissez de la prospérité terrestre sur la route d’un si grand péché ; la terre vous récompense généreusement de vous être détourné du ciel, cette terre qui a crucifié Jésus-Christ à cause du sacrifice suprême qu’il a accompli pour le salut du monde !

Puisse Dieu, dans sa miséricorde inépuisable, avoir pitié de son serviteur infidèle ! Puisse-t-il ne pas le châtier dans sa colère ! En élevant cette prière vers le Seigneur des armées, je sens en moi un espoir joyeux que sa miséricorde brillera sur vous, mon frère, si vous faites, pendant qu’il en est temps encore, un effort dans votre esprit pour vous réveiller de votre léthargie coupable – si vous acceptez le rayon de la Grâce qui vous avertit et si vous frémissez du danger actuel qui vous menace, vous et votre avenir ; si vous vous tournez avec votre ardeur primitive vers le but qui vous est destiné par la volonté du Seigneur votre Dieu, et si vous commencez sans retard la pénitence à cause de votre vie tout entière.

J’attends avec grand effroi la direction que vous vous tracerez, frère Jean, serviteur de l’Œuvre de Dieu, naguère fidèle et béni par Dieu, votre Seigneur ! Mais quelle que soit cette direction, le miracle de Dieu que vous avez éprouvé et les actions que vous avez accomplies sous l’action de la Grâce de Dieu ne cesseront de témoigner devant le ciel et la terre que la miséricorde de Dieu a été ouverte, et que la voie du salut destinée à être acceptée a été présentée à Israël dans ces jours du Jubilé du Seigneur, où Dieu appelle de nouveau, après des siècles d’une dure pénitence et d’une pénible infortune, Israël, comme son fils premier-né, à occuper le poste qui lui est assigné, et à commencer la marche qui lui est destinée dans la liberté, l’amour, la vie et la joie de l’esprit et de l’homme.

 

 

 

XXXI.

 

 

Que s’est-il passé après cet appel ? Nous publions quatre lettres jusqu’ici inédites de 1850-1852-1854-1856 de notre frère vénéré Romuald Januszkiewicz, l’ami, le plus grand ami de Ram, dont les deux premières sont adressées à Ram lui-même, et les deux autres aux frères entourant le Maître ; elles éclairent la suite des rapports avec Ram et donnent la clef du douloureux mystère qui a enveloppé sa fin :

 

Première lettre de Romuald Januszkiewicz à Jean Ram.

 

Soleure, 14 décembre 1850.

 

        Frère Jean,

 

J’ai reçu à Zurich ta dernière lettre du 2 courant et datée de Hüll au moment même de mon départ pour Soleure. Attristé de l’état actuel de ton esprit, j’ai souffert pendant tout le voyage et, luttant ainsi avec mes pensées, je suis arrivé à Soleure. N’avant pas égard à l’heure tardive, j’allai au tombeau de notre Père 75 à Zuchwil, afin de mendier aide, secours et protection pour toi, mon frère.

À peine fus-je tombé au pied du mausolée versant des larmes et plongé dans mes pensées à ton sujet, à peine eus-je déposé devant Dieu ma prière et mon souci dans l’humilité de mon esprit, que se présentèrent dans mon âme deux tableaux de ta vie, si vivants et si douloureux que je prie Dieu de me donner la force de te les retracer fidèlement !

 

        Premier tableau.

 

Ram, choisi le premier parmi Israël, à l’appel de Dieu, se tient plein d’humilité et de soumission devant le Seigneur et devant son Serviteur, l’Homme de Dieu ; il renonce aux pieds de Jésus-Christ à la dureté d’Israël et accepte le symbole du chrétien : le signe de la sainte croix, et, avec ce signe, il prend le mouvement, la vie nouvelle de l’esprit, le sacrifice de Jésus-Christ.

Après avoir fait cette promesse, il obtient la liberté de l’esprit, il renonce à Mammon et aux anciens détours qu’il avait si longtemps suivis. L’étincelle divine, l’étincelle de Jésus-Christ s’allume en lui ; fortifié par ce baptême de l’Esprit-Saint, tout son être s’enflamme et il accepte le joug doux de la croix de Jésus-Christ et sa voie sainte, pour lui-même et pour l’indiquer aux autres, en récompense de quoi il devient chrétien, frère, apôtre du Verbe sur toutes les routes de la vie privée et publique.

Avec ce flambeau brûlant dans l’âme, sans dons brillants sur la terre, sans posséder beaucoup de science et de talents, mendiant presque l’appui, mais ayant Dieu dans le cœur et l’amour de l’accomplissement de sa sainte volonté, et rempli ainsi de joie d’esprit pour avoir été tiré de l’infortune et de l’esclavage spirituel par l’Homme de Dieu, il parcourt hardiment le monde d’un bout à l’autre, il s’arrête en France, à Rome et à Jérusalem. Il appelle le premier serviteur de la sainte Église au devoir envers Jésus-Christ, il remue Israël endurci et le réveille de son sommeil afin qu’il ne reste pas sourd à cet appel de Dieu. Dans une assemblée à Jérusalem, il manifeste que le Royaume de Dieu est venu sur la terre pour tirer Israël de la si longue servitude dans laquelle il gémit à cause de sa résistance à la volonté de Dieu. Partout il répand, d’une manière inusitée, le mouvement et la vie, car la Grâce de Dieu appuie son serviteur fidèle.

Dans le cercle des serviteurs de l’Œuvre sainte où ce grand serviteur a donné l’exemple d’un amour, d’un sacrifice et d’un dévouement peu communs pour tous, il a aidé par là les jeunes frères à entrer et à aimer la voie de Jésus-Christ, ce dont chacun des frères porte le témoignage dans son âme.

 

        Deuxième tableau.

 

Ram, dans la misère intérieure, dans la chute, dans le reniement de Dieu et de son Œuvre sainte, en désavouant ce qu’il a aimé, ce qu’il a promis devant le Verbe vivant, en quittant la voie de Jésus-Christ, a offensé le ciel, a préféré Mammon à la plus grande hauteur, s’est voué à la mort, a perdu le mouvement de son esprit, l’unique trésor du vrai chrétien, du vrai Israël, et il a tellement abaissé son grand esprit que la bassesse l’a dominé tout entier et qu’il s’est soumis à la loi inférieure. La Grâce de Dieu s’est éloignée de lui, parce qu’il s’en est privé volontairement, qu’il n’a point estimé les dons du ciel, et maintenant il se traîne sur la terre sans consolation, sans joie dans l’âme, poursuivi de lieu en lieu par les tourments, l’infortune, les maladies et l’indigence, et, au milieu de ces châtiments de Dieu, à l’exemple d’Israël opiniâtre dans le désert, désirant seulement la terre et ne l’obtenant pas, à cause de son infidélité et son manque de confiance en Dieu, il a rendu sa voie, si douce et si facile autrefois, terriblement douloureuse et difficile aujourd’hui. Il a perdu si misérablement beaucoup d’un temps tellement précieux pour le service de Dieu, son propre progrès et celui d’autrui. Il voit avec indifférence son état et sa misère, et le mal le domine tout entier au point qu’il n’est déjà plus capable de se reconnaître. Il ne voit ni ne sent que la main de Dieu s’est appesantie sur lui et qu’à tout moment il peut être appelé à rendre compte de ses actes au terrible mais juste tribunal de Dieu. Agitée par ces sentiments, mon âme n’avait ni repos ni refuge en elle-même : par la crainte et le chagrin que j’éprouvais de l’état si triste de mon frère, je commençai à recourir plus impétueusement au tombeau de notre Père et, comme sous une aile protectrice, j’y cherchai refuge et consolation, je gémissais et je priais sans interruption avec un effort de plus en plus grand, voulant attirer sur moi son doux regard, mais l’obscurité d’une nuit noire et le silence du tombeau étaient la seule réponse à mes larmes et à mes gémissements. Je ne cessai pourtant pas, et priant de plus en plus, je criai vers Dieu humblement : « Ah ! Seigneur, votre miséricorde serait-elle déjà épuisée pour mon frère ? Daignez avoir pitié de lui et ne le jugez pas selon votre justice, mais selon votre miséricorde !..... » – Me tenant ainsi devant ce tombeau dans le sentiment de mon néant, je ne cessai d’implorer Dieu.

Tout d’un coup un sentiment puissant saisit mon âme : « Par la douleur, l’humilité, le sacrifice et le dévouement de saint Paul, il peut se sauver. » Je baisai avec une joie enfantine la froide pierre du tombeau et je remerciai Dieu de sa protection et du secours renfermé dans les paroles qui m’ont été données pour toi, mon frère.

D’après ces paroles, je sentis profondément que tant que tu n’auras pas satisfait à Dieu, au Maître et aux frères, tu ne seras pas appuyé par la Grâce de Dieu. Rappelle-toi, mon frère, qu’après sa conversion saint Paul a été fidèle à Jésus-Christ et ne l’a jamais plus offensé.

En t’offrant ma douleur en sacrifice, je prie Dieu qu’Il te permette de l’accepter avec le même attendrissement et la même humilité qui m’ont animé en le mendiant à Dieu et avec lesquels tu l’as accepté toi-même de mes mains au matin de tes jours, lorsque pour la première fois tu t’es jeté dans les bras de Jésus-Christ, couché sur ton lit de mort, déjà à ta dernière heure, lorsque la cité des Saints et ton protecteur, saint Casimir, regardaient avec souci et crainte quelle voie tu accepterais, la voie de Jésus-Christ ou la voie païenne, et qu’à cause de ton tressaillement pur et ardent tu as enfin reçu le saint baptême. Puisses-tu aussi aujourd’hui, mon frère, étant dans un si grand besoin, obtenir un pareil tressaillement pour Dieu, en réparation de tes péchés ! Une messe sera dite pour toi à cette intention le 14 courant à 8 heures du matin à Zuchwil.

Je ne puis te cacher l’affliction du chef de l’Œuvre sainte, qui voit avec tristesse et douleur, les larmes aux yeux et le soupir dans le cœur, que tu n’es plus dans les rangs des serviteurs de Dieu.

Tous les frères présents à la source de la miséricorde de Dieu 76 s’unissent dans une même prière à Dieu à ton intention, mon cher frère, demandant au Seigneur que tu puisses tirer de toi-même l’énergie chrétienne nécessaire pour ramener ton esprit à ton ancien poste, que tu réjouisses notre Maître et nos frères, en nous donnant promptement des nouvelles de toi et de ta ferme résolution, et que, par l’effort de ton esprit, tu causes une déception à l’enfer, qui a tant désiré nous le ravir pour en faire sa propriété.

Que la protection de la très sainte Vierge et de notre chef, au tombeau duquel j’ai mendié cette grâce, ne cesse de veiller sur toi, ce que je te souhaite de toute mon âme.

Je te salue et t’embrasse fraternellement en Jésus-Christ.

 

Ton frère et serviteur           

 

signé : ROMUALD JANUSZKIEWICZ.    

 

Je t’envoie cette lettre à la veille de Noël.

 

 

 

XXXII.

 

 

Seconde lettre de Romuald Januszkiewicz à J.-A. Ram :

 

13 décembre 1852.      

 

        Frère Jean,

 

Je te remercie des paroles de salutation que tu m’as envoyées dans ta lettre à mon frère Eustache. Je les accepte avec un sentiment fraternel, sentant qu’elles dérivent de cet amour chrétien qui nous a unis, que je te garde fidèlement et qui, je l’espère, ne te sera pas ravi non plus ; ce que je demande à Dieu dans mes indignes prières.

C’est toujours avec une vive joie que je me rappelle ces temps d’élévation de notre vie où, si nous n’étions pas encore pleinement au poste de serviteurs de l’Œuvre de Dieu, du moins nous ne cessions pas de persévérer dans nos communs et purs désirs, nos tendances et nos efforts, notre soumission à la volonté de Dieu et notre conviction que sa Grâce appuiera notre faiblesse dans l’accomplissement de nos devoirs envers Lui, envers le prochain et envers les peuples frères. Ces temps s’offrent aujourd’hui plus vivement à mon esprit, parce que nous nous approchons du 15 décembre, anniversaire de ton baptême, mon cher frère, anniversaire d’un grand moment pour toi, inscrit dans le ciel et sur la terre, lorsque, tout pénétré de vénération pour la très-sainte essence de ce sacrement, tu l’as reçu aussi dans la forme sainte qui représente cette essence et as témoigné par là devant la terre que l’Esprit de Dieu t’avait touché, que des champs nouveaux et plus élevés s’étaient ouverts pour toi dans l’Œuvre de Dieu, que tu avais vu et reconnu les nouveaux devoirs attachés à ce champ, que tu les aimais et les considérais comme le but essentiel de ta vie, que tu reconnaissais la loi de Jésus-Christ pour ta loi suprême et n’en admettais d’autre licite qu’autant qu’elle serait conforme à cette loi suprême, et qu’elle aiderait à l’accomplir. Puisse cette même Grâce te toucher aussi aujourd’hui, afin qu’appuyé par elle, tu continues d’en produire le fruit pour une longue vie bénie, et qu’éclairé par elle, tu ne cesses jamais de voir ce qui est essentiel et ce qui est secondaire, dans la vie de l’homme sur la terre, puisqu’on n’intervertit jamais impunément cet ordre de Dieu, et que le bonheur terrestre établi sur le malheur de l’esprit finit tôt ou tard et n’est véritable que si Dieu nous le donne comme supplément, en récompense de notre zèle à rechercher le Royaume de Dieu et sa justice. Ce que je te souhaite, mon cher frère, dans mes indignes prières et avec tout l’amour que je puis avoir pour toi ; uni à toi par une même vocation de Dieu et connaissant les pénibles réclamations de Dieu relativement au fruit de sa Grâce.

Reçois librement cette expression de mes sentiments, avec le même sentiment et la même confiance que je te l’adresse. Ils sont uniquement inspirés par le désir du triomphe de l’Œuvre sur les obstacles de la terre et par mes vœux pour ton propre bien.

 

ROMUALD JANUSZKIEWICZ.      

 

 

 

XXXIII.

 

 

Paris, 11 août 1854.      

 

... Ram est arrivé chez nous le 8 et il part aujourd’hui pour le Hanovre dans le but de chercher des ouvriers pour sa fabrique. Il doit y rester trois semaines et retourner ensuite par Paris pour rester quelques jours avec nous. Il m’est difficile de décrire la douloureuse impression qu’il a faite sur moi ; le serviteur qui s’était tant dévoué pour l’Œuvre sainte est devenu aujourd’hui l’esclave de l’esprit de la terre. Je l’ai reçu avec un sentiment fraternel et pendant deux jours nous sommes restés continuellement ensemble ; il a vu quelques frères et deux fois le P. Édouard 77, qui vous mande de ses nouvelles. Il n’a pas perdu encore ses sentiments pour l’’Œuvre, mais son esprit incline complètement vers la terre ; il ne pense qu’à bien vivre, de plus l’amour de lui-même est à un haut point éveillé en lui. Il est flatté de ce que les Anglais le tiennent pour un grand homme et heureux d’avoir maintenant 400 livres sterling par an et peut-être mille plus tard. Je l’ai servi comme j’ai pu, avec la préoccupation d’accomplir mon devoir ; je lui ai montré son reniement de Dieu, je lui ai exposé que Dieu a amené son rapprochement actuel de nous autres, serviteurs de l’Œuvre, afin qu’il retourne au but véritable de la vie qu’il a abandonné, et qu’il renoue ses relations avec l’Homme de Dieu. Je lui ai représenté aussi comment après son arrivée chez nous il n’a pas dit un seul mot concernant le Maître, ni demandé de ses nouvelles ; je lui ai reproché avec une grande douleur son indifférence pour son plus grand bienfaiteur et, pleurant sur son infortune, je lui ai raconté comment un Français nommé Pandelle, qui avait connu le Maître en prison 78 et qui est revenu maintenant des pontons, a rencontré il y a quelques jours l’un de nos frères, que sa première parole a été pour demander des nouvelles du Maître et qu’il s’est enquis de lui avec le plus vif sentiment. « Et toi, mon frère, qui as reçu tant de sacrifices de sa part, compare-toi avec ce Français et vois où tu en es. » Il reconnut que c’est vrai, montra même une certaine douleur, mais le ton sûr, terrestre, prédomine en lui ; il n’a plus cette sensibilité d’esprit qui le caractérisait autrefois, mais seulement la sensibilité terrestre, qui ne saurait lui donner la force de faire le pas décisif pour se tirer de son abaissement. Il a voulu me faire divers cadeaux, mais je ne les ai pas acceptés, lui déclarant que j’apprécie cette marque de sa bienveillance envers moi, mais que par vénération pour le lien sacré qui nous a unis, je ne puis rien accepter de lui, parce que cela vient par une voie contraire à celle qui avait établi ce lien, que je suis resté fidèle à notre union et que je ne cesserai de prier Dieu afin qu’elle se renoue entre nous, et que je m’efforcerai jusqu’à la fin de mes jours de lui garder cette fidélité. C’est ainsi que nous nous sommes quittés....

 

 

 

XXXIV.

 

 

Paris, 2 novembre 1856.      

 

... Ram a été ici il n’y a pas longtemps. Il est toujours le même, avec cette différence seulement qu’il est poussé encore davantage vers la terre, parce qu’elle le paie bien : ces derniers temps il a gagné 33.000 francs ; il travaille dans une grande fabrique aux alentours de Londres, dans laquelle on fait des mosaïques de scories de cuivre. Il achète ces masses de scories et il en retire encore une partie de cuivre, qui lui rapporte de gros bénéfices. En un mot, étant sur le point de faire fortune, il est enivré de son succès. Je ne l’ai vu qu’un petit moment ; il doit venir me faire une visite ; mais il est visible que déjà il m’évite. C’est un effrayant exemple, car il montre à quoi l’inclination de l’esprit vers la terre, cette consommation du fruit de l’arbre défendu, a amené ce serviteur appelé de l’Œuvre de Dieu ! Ô Dieu, daignez nous préserver de ce péché et pénétrez nos cœurs de la crainte de la pénible mais juste expiation qui attend ce péché !...

 

————

 

On voit par ces lettres que Ram n’avait pas vraiment renié la foi : il avait seulement faussé sa voie ; il n’avait pas voulu rejeter Jésus-Christ : mais il avait succombé à la tentation contre laquelle jadis, lors de son baptême, le Maître l’avait averti et mis en garde, et il s’est consacré au culte de Mammon !..... Ayant mis de côté l’Œuvre de Dieu, il n’avait plus la force de la servir ! La Grâce de Dieu l’avait touché, enflammé ; la terre l’a assoupi et enseveli !..... – Quel sort terrible ! quelle mort d’esprit, pire que le suicide ! Et combien de chrétiens sont dans le même état que lui et, sous des apparences saintes, servent des dieux étrangers ! Mais l’Œuvre de Dieu dévoile et attaque jusqu’au bout ces péchés dont la source est dans l’esprit : elle aide à réaliser sur une plus grande échelle la parole de Notre Seigneur « qu’on ne peut servir deux maîtres 79 » : malheur à celui qui rejette cette parole.....

Nous ne trouvons plus aucune trace de Ram après cette époque ; nous aimons à croire cependant qu’il aura pu avant de mourir réaliser l’espérance que manifestait à son égard le Serviteur de Dieu, c’est-à-dire, se pénétrer de repentir et mériter de Dieu le pardon de sa très grave offense !.....

 

 

 

 

 

 

3.

 

 

SERVICES DIVERS À ISRAËL.

 

––––––

 

 

 

XXXV.

 

 

Dans le courant de l’année 1843, avant d’aller à Rome, Towianski avait fait, au mois d’août, un voyage à Francfort dans le but de servir Israël dans la personne de Rothschild : nous n’avons pas les détails de cette action : on a publié cependant une lettre de Towianski datée de cette ville, que nous reproduisons ici et qui est un appel fait au représentant de la puissance juive et en même temps une introduction à des actions ultérieures 80 : toujours est-il que Towianski a eu à cette occasion plus d’un entretien avec lui :

 

Francfort s/Main, 15 août 1843.      

 

        À Rothschild.

 

Dieu a entendu les pleurs et les supplications d’Israël pendant les siècles.

Il a résolu de le tirer de la misère et de l’abaissement.

Il a destiné à celui qui est grand devant lui d’être grand sur la terre.

Pour sauver Israël, il veut faire alliance avec lui.

De l’acceptation de la Volonté de Dieu dépend le salut d’Israël.

Bientôt Israël entendra la voix de son Seigneur, et, dès maintenant, il doit se préparer à sa grande heure.

La Pensée de Dieu a reposé sur votre race.

À cause de sa Pensée sur Israël, le Seigneur a élevé la race élue.

Plus grands sont les dons de Dieu, plus grands sont les mérites, mais aussi plus grands seront les comptes à rendre.

Les enfants de la race élue n’ont pas connu jusqu’à présent la Pensée de Dieu, et leurs multiples sacrifices ainsi que leurs vertus n’ont pas été l’accomplissement de la Pensée de Dieu.

Les défunts souffrent et attendent leur salut des vivants, et l’accomplissement de la Pensée de Dieu par les vivants contribue au salut des défunts.

C’est par l’ordre d’en Haut que je vous annonce cela afin que vous prépariez votre esprit à la grande heure où Dieu vous appellera à son service.

L’homme porte en lui la Volonté de Dieu.

Le chaos de la terre obscurcit la lumière de l’esprit.

L’amour ardent de la Volonté de Dieu attire sur l’homme le rayon de la lumière divine.

Dans ces jours de sa Miséricorde, Dieu appelle l’homme à retourner sur la voie qu’il a quittée.

Celui qui est plus avant dans l’accomplissement de la Pensée de Dieu est destiné à occuper un échelon plus élevé sur la terre.

Cette loi du Seigneur rend Israël grand.

Par la faute d’Israël, cette loi depuis des siècles ne s’accomplit pas pour lui. Ce qui est inférieur à Israël devant Dieu abaisse Israël sur la terre.

La prééminence sur la terre, ne venant pas de la Pensée de Dieu, sera détruite : la prééminence d’après la valeur de l’esprit est éternelle.

Grand devant Dieu, grand sur la terre : c’est la loi de Dieu, et l’Œuvre de Dieu qui commence appliquera à chacun sur la terre la mesure de Dieu.

Appelé par la volonté de Dieu à l’Œuvre de la Miséricorde du Seigneur, je vous manifeste la Volonté de Dieu et remplis par là mon devoir. Je laisse à votre conscience d’accomplir le vôtre.

Comme homme faible, je ne vous donne qu’une faible parole, mais mon amour fraternel et ma vénération pour la race élue sont grands.

Ô Dieu tout-puissant, par votre Miséricorde, donnez-lui la force de comprendre maintenant votre Volonté et de l’accomplir à la grande heure d’Israël !

 

 

 

XXXVI.

 

 

L’action de Towianski n’a pas été sans effet ; elle a dû l’amener à une entente spirituelle avec Rothschild, car Towianski l’année suivante chargea Ram d’aller à Francfort et de remettre entre les mains de Rothschild une lettre datée de Soleure le 1er octobre 1844 et portant ces lignes : « Je vous envoie, mon frère, un frère d’Israël que Dieu a appelé plus tôt à son service », et ce frère était Ram 81 :

 

        André Towianski à Rothschild.

 

Soleure, 1er octobre 1844.      

 

Conformément à la Volonté de Dieu je vous parle de nouveau comme à l’instrument et au magistrat du Seigneur, dans le service de Dieu pour le salut d’Israël, et c’est afin d’être pur devant le tribunal de Dieu et devant votre esprit, ô mon frère, que je remplis maintenant mon devoir envers vous.

Ce que je vous ai exposé doit déjà produire par vous ses fruits pour Dieu.

Grands sont les progrès de l’Œuvre de Dieu depuis que je vous ai vu et parlé ; Dieu a béni sa Pensée.

Déjà la volonté de Dieu a été accomplie à Rome ; toutefois non comme se l’imagine l’homme, ignorant des voies de Dieu.

Le Pape connaît déjà la Volonté de Dieu ainsi que doit la connaître toute magistrature du Seigneur. Dieu voit et compte.

L’appel de Dieu à Israël est imminent. Les grands jours d’Israël s’approchent. Le Seigneur manifestera à Israël, comme il y a des siècles, la puissance de son bras, sur la terre.

Que chaque magistrat appelé de Dieu veille dans Israël : qu’Israël se prépare à l’acceptation de la Volonté de Dieu par le sacrifice de l’esprit et de la terre – terre pour laquelle, il y a des siècles, Israël oublia la Volonté divine et s’attira la colère de Dieu.

Israël de la région d’esprit appuie et tend les bras à Israël sur la terre.

L’esprit, par la Volonté de Dieu, s’unit à l’homme, les défunts s’unissent aux vivants, afin que dans l’union fraternelle l’Œuvre de la Miséricorde divine s’accomplisse.

Le voile qui obscurcissait Israël depuis des siècles se lève.

Tout croyant voit, et que celui qui ne voit pas, efface son péché pour voir.

Conformément à l’appel du Seigneur, la Volonté de Dieu se manifestera bientôt à Israël et c’est seulement l’acceptation de la Volonté du Seigneur par Israël qui peut sauver Israël. L’esprit d’Israël s’affranchit de ses liens terrestres et se prépare à l’acceptation de la grande Miséricorde de Dieu !

Israël doit être grand sur la terre comme il est grand devant Dieu, non sur la route qu’il suit, mais sur la route que Dieu lui montre en ces jours. En vertu de ma tâche, je ne cesserai de prier en union avec Israël, qui veille de l’autre monde, et appuie l’accomplissement de la Pensée de Dieu.

« Ô Seigneur ! secourez par votre miséricorde la race élue, sur laquelle repose votre Pensée du salut d’Israël, en ces jours grands et redoutables : qu’elle ne jette pas loin d’elle le trésor de cette foi que vous, ô Seigneur, n’avez pas abandonné Israël, que vous avez élevé et béni miraculeusement la race élue comme instrument de votre Œuvre du salut d’Israël ; afin qu’elle ne s’oppose pas à votre Volonté et ne devienne pas l’instrument de l’oppression d’Israël et ne s’ouvre pas le chemin de l’infortune pour des siècles.

« Ô Seigneur ! donnez à vos serviteurs la force de vaincre l’esprit du mal, qui, pour éprouver la fidélité – envers vous – de l’instrument que vous avez choisi, l’accuse et l’empêche d’accomplir son devoir et à l’approche du service s’emploie auprès de la magistrature pour entraver votre miséricorde envers Israël. »

Je vous envoie, ô mon frère, un frère d’Israël que Dieu a appelé de bonne heure à son service, qui, par son esprit israélite, a accompli de nombreuses tâches dans l’Œuvre de Dieu, a appelé le premier magistrat du Seigneur, siégeant à Rome, à s’acquitter de son devoir envers Dieu, et aujourd’hui a l’obligation de servir vous, mon frère.

Vous portez tous les deux la Pensée de Dieu sur vous. C’est la volonté de Dieu que, unis dans votre esprit israélite, vous serviez Dieu.

 

ANDRÉ TOWIANSKI.    

 

 

 

XXXVII.

 

Les résultats de cette action envers Rothschild à Francfort sont mentionnés dans ces quelques lignes d’une lettre d’André Towianski à Mickiewicz 82 :

 

        À Adam Mickiewicz.

 

Soleure, 5 novembre 1844.      

 

Je vous informe, mon cher Adam, de ce qui s’est passé de plus important chez nous.

Le service envers Rothschild a été heureusement accompli. Mon écrit et la parole de Ram ont excité son esprit. Il s’est soumis, s’est humilié et a tressailli pour la volonté de Dieu. La sœur Amélie 83 en union avec la sœur Anne 84 ont attaqué l’esprit du mal en lui : l’esprit israélite s’était enfoncé dans la terre et il a été nécessaire que ce fruit du bien et du mal fût produit au moment où devait s’accomplir la Pensée du Seigneur qui repose sur lui.

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Le frère Ram se prépare au pèlerinage projeté et le frère Romuald nous accompagne 85.

 

 

 

XXXVIII.

 

 

L’ardeur de Ram avait ranimé l’action sur le champ d’Israël : nous en donnons un exemple dans cette lettre de Mickiewicz à Towianski :

 

Le 1er août 1845 86.      

 

Je vous envoie la copie d’une importante lettre de Ram 87. Par cette lettre je vois que le temps approche de faire un appel à Israël. Celui-ci est remué par vos sacrifices, et le service de Ram est un signe que nous devons faire quelque manifestation publique. L’appel doit-il venir du Cercle ou de vous ? Ou bien des deux côtés séparément ? Je ne sais pas. Il me semble que vous n’avez pas encore de champ d’une action publique, que le cercle doit faire d’abord élaborer un appel, mais pour cela j’attends de vous l’idée et le ton.

J’ai annoncé aux frères que ces jours-ci, probablement le 12, à l’anniversaire de la destruction de Jérusalem, nous irions à la Synagogue pour nous unir spirituellement avec nos frères d’Israël.

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

 

 

 

XXXIX.

 

 

Le Maître lui répondait ce qui suit 88 :

 

        À Adam Mickiewicz.

 

Bâle, 5 août 1845.      

 

Le mouvement que Dieu a suscité en Israël par le moyen de Ram et tant d’ensemencement de notre part doivent produire leur fruit ; après quoi un champ d’action s’ouvrira à nous, et ce me sera l’occasion d’exposer la volonté de Dieu. Aujourd’hui déjà par suite de la marche de l’Œuvre sainte, ce n’est plus à nous à prendre l’initiative, à faire pénétrer de force, comme au temps de l’’ensemencement, mais c’est à l’homme à réclamer lui-même le trésor céleste.

C’est une heureuse pensée que de chercher à profiter d’un jour mémorable ; je vous conseille de le faire d’une manière très générale, en vous félicitant de ce que Dieu ait eu pitié d’Israël et lui ait désigné un homme-frère qui doit montrer ce que Dieu exige pour pardonner ses fautes à Israël et lui marquer à travers les siècles un avenir heureux. Dans ces jours de direction pour l’homme et pour les nations appelées par la volonté souveraine et conviées par l’homme-frère à coopérer à la grande œuvre, vous désirez entrer en communion fraternelle avec Israël.

Voilà le mouvement, je m’en remets à vous pour l’appliquer, mon frère, en le modifiant selon les circonstances, les forces, etc.

 

 

 

XL.

 

 

Après avoir reçu la lettre qu’on vient de lire, Mickiewicz traçait par cette petite note, dictée par lui à Félix Wrotnowski, l’Ordre du service à la Synagogue 89 :

 

11 août 1845.      

 

Se trouver à huit heures aux portes de la Synagogue, rue Neuve St-Laurent, 14. On entre par la rue St-Laurent. Après que vous aurez passé devant la loge du portier, on vous fera pénétrer à gauche dans la cour ; la porte principale est tout de suite à droite. Dès que le seuil du temple est franchi, aller directement devant soi vers de grandes portes, et là tout alentour il y a des galeries pour les étrangers. Mr Prague et les huissiers indiqueront les places. Rester la tête couverte. Prier sans s’agenouiller, assis sur les bancs. Les femmes vont au premier étage au-dessus de l’entresol, la porte à droite, et là on occupe la place qu’on veut. Le temple sera peu ou presque point éclairé.

Nous y resterons une heure ; ensuite le frère Adam, accompagné de trois frères, ira chez le Rabbin.

Persévérer pendant toute la journée d’aujourd’hui jusqu’à celle de demain 12 dans la prière, en entretenant en nous le sentiment : que nous nous associons à la douleur d’Israël partout où sur la terre il pleure la destruction de Jérusalem. Nous, Polonais, nous devons éveiller en nous un sentiment identique en nous rappelant le massacre de Praga 90 et la prise de Varsovie ; pour les Français, c’est Waterloo qui réveillera ce même sentiment. Humilions-nous devant l’esprit d’Israël, qui durant 1800 ans a su conserver une douleur aussi vive que si son malheur datait d’hier.

Si, au cours de la prière, frère Adam sentait qu’il faut se mettre à chanter Dieu est notre refuge 91, il commencerait, lui seul, et nous répéterions après lui la première strophe deux fois.

 

 

 

XLI.

 

 

Voici en quels termes Mickiewicz relatait ensuite à Towianski ce qu’il avait fait à la Synagogue 92 :

 

16 août 1845.      

 

Quand je vous parle par écrit, j’ai le même sentiment que j’ai éprouvé à notre première et à notre dernière rencontre ; c’est comme si quelque chose s’embrasait et crépitait dans mon cœur. Mon espoir en Dieu est de quitter ce monde dans ce même sentiment. Voilà ce que j’ai à vous dire de moi.

La sœur Anne vous racontera par le menu les différentes tâches qui ont été menées à bien. Il est impossible de tout narrer par écrit. J’ai sans cesse beaucoup de besogne et je vois que je ne suis pas affranchi des détails et qu’il me faut suffire avec le peu que chaque jour apporte.

J’ai accompli à la Synagogue un travail important, celui d’ouvrir la voie à nos frères français. Les Israélites d’ici sont peut-être les moins élevés. Le Rabbin était surtout exaspéré de ce que je lui ai parlé du deuil de Jérusalem, car ici ils ne veulent que jouir ; et que rien ne leur est plus difficile que de pâtir. Le jour de deuil d’Israël a été précisément pour eux un jour de très fort appel. Ce n’est pas sans la volonté du Seigneur que nous avons choisi ce jour. Le Rabbin m’a interrompu à plusieurs reprises, et a voulu se sauver, mais je l’ai retenu ; mes dernières paroles ont été :

« Je parle au nom des Synagogues de notre pays, dont nous avons entendu les cris déchirants, je parle au nom des Synagogues de l’Orient et de l’univers entier », et ces paroles ont éveillé quelque attention chez les Juifs présents.

Mon allocution publique à la Synagogue ouvrira aux Français la voie d’un service plus actif.

 

 

 

XLII.

 

 

Le Maître répondit par la lettre suivante 93 :

 

        À Adam Mickiewicz.

 

Bâle, 21 août 1845.      

 

Je vous remercie, mon frère, de ce que vous m’écrivez à votre sujet. C’est la Volonté de Dieu et mon désir depuis la grande heure de notre rencontre, que nous accomplissions notre pèlerinage ici-bas comme l’ont fait ailleurs nos esprits, en servant Dieu et l’humanité.

Votre action à la Synagogue fait faire un grand progrès à l’Œuvre, elle constitue une époque dans l’Œuvre.....

Poursuivons notre route, sans égard à la terre et aux évènements. Il ne s’agit pas de faire, mais il s’agit que ce que nous faisons devienne un idéal de la pratique du Verbe de Dieu pour les siècles.....

Dieu pardonne aujourd’hui les péchés terrestres, mais non pas les fautes de l’esprit ; il exige impérieusement que l’esprit accomplisse le devoir, le sacrifice chrétien ; il exige la vie et l’énergie spirituelle.

 

 

 

XLIII.

 

 

Aux actions éclatantes envers Israël succédaient des actions toutes simples : Mickiewicz écrivait par ex. à Towianski le 17 septembre 1845 94 :

 

Nous avons ici un jeune Israélite polonais qui s’est fortement enflammé pour l’Œuvre. Il a un corps dur, de là un feu intérieur qui l’agite et le met dans un état maladif. J’ai travaillé hier avec lui, il s’est attendri, s’est délivré de l’oppression, j’ai l’espoir qu’il sera des nôtres.....

 

 

 

XLIV.

 

 

En 1853 Romuald Januszkiewicz envoyait à Zurich, où demeurait alors Towianski, ces détails très intéressants sur la conversion et le baptême de l’israélite Lewenstein 95 :

 

Paris, 6 avril 1853.      

 

.......... Je vous écris sous l’impression que nous a fait éprouver le baptême de Stanislas Lewenstein.

Rettel 96 avait fait sa connaissance il n’y a pas longtemps ; Dieu a béni ses services, après lesquels ce frère Israélite demanda à entrer dans le sein de l’Église de Jésus-Christ et à se mettre dans les rangs des serviteurs de l’Œuvre de Dieu. Le baptême eut lieu dimanche dernier, l’après-midi, dans la chapelle de Notre-Dame de Sion, où se trouve une communauté de religieuses composée presque exclusivement de nouvelles converties israélites. Cette sainte cérémonie se déroula sous la conduite de l’abbé Ratisbonne, assisté de cinq prêtres, dont deux étaient polonais : l’abbé Joseph Smolenski et l’abbé Terlecki. Les parrains étaient Léonard Rettel et Marie Letronne 97. L’assistance était si nombreuse que la chapelle pouvait à peine la contenir : il y avait environ deux cents personnes, parmi lesquelles quelques-uns de nos frères. Il est difficile présentement de rendre les sentiments qu’éveillèrent en nous les paroles inspirées par le Saint-Esprit de ce vénérable prêtre ; il montra aussi de la bienveillance pour les serviteurs de l’Œuvre, bienveillance que nous refuse habituellement le clergé. Si peu que j’en sois capable, j’essayerai de vous donner au moins une idée générale de son allocution. D’abord il rendit témoignage au néophyte en disant combien il a soupiré après la vérité que Jésus-Christ a apportée, avec quel désir il entre dans son Église. Il fit mention de son illustre origine en Israël, qui a produit tant de prophètes et de patriarches. Il lui montra l’importance du saint baptême : comment en le recevant il fait le premier pas vers son salut, mais que ce n’est que le début sur la grande voie chrétienne, car ce n’est ni le nom de chrétien ni même la lumière et la connaissance puisées dans l’Évangile qui le sauveront, si, par sa vie conforme à ces très saintes vérités, il n’amasse des mérites pour son salut. Il dit qu’il est maintenant comme une branche d’olivier qui s’était déjà desséchée et qui par la Grâce de Dieu est entée à nouveau à l’arbre de Jésus-Christ. Il s’agit donc que cette branche, puisant dès lors la vie à cet arbre, produise des fruits propres à sa nature et que ce n’est que par ces fruits offerts à Dieu qu’il s’acquittera envers sa miséricorde infinie, dont il éprouve en ce moment les effets.

Il parla des parrain et marraine en l’encourageant à suivre leurs traces, car il sait dans quelle voie ils marchent, quels sacrifices ils font pour Dieu et pour leurs patries..... qu’il a aussi autour de lui des frères qui suivent la même voie chrétienne et qui sont prêts à se dévouer pour le servir.

Ensuite, parlant avec sentiment de la Pologne, il le félicita d’appartenir à une nation qui a rendu de si grands services au christianisme..... qu’il doit répondre à tous ces bienfaits de Dieu qui lui ont été si généreusement octroyés en devenant un serviteur, un soldat de Jésus-Christ et un apôtre de la Pologne.....

Le frère Stanislas Lewenstein fut très ému, et, quand il sortit de la chapelle, on le conduisit dans une salle séparée, où il se trouva au milieu des frères. Alors Rettel, au nom de tous, exprima à l’abbé Ratisbonne notre reconnaissance et notre ardente union aux vérités que la Grâce de Dieu lui avait inspirées, en le remerciant en même temps de son sentiment pour la Pologne et pour nous. Afin de nous rapprocher du frère Stanislas, nous l’avons invité hier à un modeste dîner, auquel vingt-huit frères prenaient paît.

Nous nous sommes unis ardemment à son projet de se rendre au plus tôt auprès de l’Homme de Dieu. Rettel et Joseph Marszewski furent nos interprètes : l’amour et l’harmonie régnèrent pendant toute la durée de la réunion, qui de six heures du soir se prolongea en conversations jusqu’à dix heures.

Je me préoccupai beaucoup de trouver un souvenir qu’on pût lui offrir et qui lui rappelât ce moment si solennel de sa vie. Y avant réfléchi presque toute la nuit, j’entendis comme une voix me dire : « Donne-lui un souvenir de l’autel du Seigneur : la robe d’innocence dans laquelle il a reçu le baptême et le cierge qu’il a tenu en main comme un symbole de la lumière divine. » Je me rendis promptement chez les religieuses et j’achetai ces souvenirs, afin de les remettre au parrain et à la marraine, qui les lui offrirent en y joignant quelques paroles de sentiment.

La sœur Marie me rendit les débours et fut si réjouie de cette pensée qu’elle ne put trouver de parole pour me remercier. Je donnai de ma part au frère Stanislas une petite croix de Jérusalem faite avec le bois d’un arbre du jardin des Oliviers, en exprimant le souhait que ce saint souvenir nous éveille à contribuer au triomphe de Jésus-Christ, comme nous en avons le modèle vivant dans la personne de l’Homme de Dieu. Le frère Stanislas nous a dit qu’il compte se rendre chez le Maître le 7 au matin et que c’est avec un grand désir et une grande joie qu’il attend ce moment.

Que Dieu daigne le bénir dans une chose si importante pour lui.

J’ajoute que, sous l’impression d’une si grande solennité, j’ai senti de mon devoir d’écrire à Ram, en lui racontant ce que j’ai vu et senti, dans l’espoir que le souvenir de la grande cérémonie qu’il a accomplie autrefois réveillera son esprit 98....

 

 

 

XLV.

 

 

La lettre suivante est une relation de l’acceptation de l’Œuvre de Dieu par l’ex-rabbin Zychlinski 99 :

 

Nanterre, 1er février 1864.      

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   

Il y a quelques jours, j’ai eu la visite inattendue de Mr Zychlinski, ancien et célèbre Rabbin de Biala, et depuis treize ans catholique et chrétien, non par la forme seulement mais par le besoin de son esprit et une conviction profonde.

Ayant entendu parler de moi par un émigré polonais qui demeure à Versailles, il est venu exprès à Nanterre pour s’entretenir avec moi au sujet de l’Œuvre de Dieu.

Les douloureuses vicissitudes de sa vie, le service à l’armée sous le commandement du général Rózycki 100, ensuite l’exil depuis l’année 1852, des pressentiments auxquels il a su obéir et surtout la Grâce de Dieu, opérèrent en lui un si grand changement que le désir du véritable christianisme naquit en lui. Il m’a dit que Moïse était pour lui un grand homme, fortifié par une grâce extraordinaire de Dieu, mais que, dans Jésus-Christ, il avait reconnu le vrai Dieu et son Seigneur et, à cause de cela, il s’était soumis à sa très sainte volonté, en acceptant la foi catholique et que depuis lors son âme était remplie d’une joie qu’il n’avait jamais connue auparavant. Il me parla de son pressentiment d’une époque chrétienne supérieure et que tout Israël en Pologne accepterait bientôt le christianisme véritable. J’éprouvai une grande joie en voyant un vieillard de soixante-cinq ans adorer et aimer notre Seigneur Jésus-Christ avec la profondeur de l’esprit d’Israël, plein de vie et de feu, et surtout avec humilité. Je lui racontai la conversion miraculeuse de Ram et lui lus ensuite le passage de la lettre du Maître au frère Félix Niemojewski touchant Israël 101. Sa joie fut impossible à décrire ; attendri jusqu’aux larmes, il répétait dans l’ardeur de son esprit qu’il n’y a qu’un serviteur de Dieu qui puisse porter en lui un si grand amour pour Israël.

Il n’a pas accepté l’amnistie ; c’est pourquoi je lui donnai l’écrit Powody 102 et en outre la brochure Do Rodaków 103.

Il sortit dans la joie d’esprit, en bénissant l’heure où il avait connu l’appel de Dieu à l’époque chrétienne supérieure. Il me promit de venir bientôt et de rester plus longtemps, pour me communiquer un travail qu’il a commencé depuis nombre d’années afin de faciliter aux Israélites l’acceptation du christianisme, en s’appuyant sur les lois de Moïse et les livres des Prophètes qu’ils n’ont pas compris jusqu’à présent et en les interprétant...

 

 

ROMUALD.

 

 

 

XLVI.

 

 

Voici encore une lettre du même Romuald datée de Nanterre, 27 avril 1864, laquelle témoigne toujours en faveur d’Israël chrétien 104 :

 

....... Il n’y a pas longtemps que j’ai fait la connaissance chez le frère Bonkowski 105 d’un digne Israélite de Kamieniec en Podolie, nommé Fabien Godefeld, auquel le frère Bonkowski a déjà rendu beaucoup de services, en lui facilitant la connaissance de l’Œuvre de Dieu par les écrits qu’il lui a communiqués ; il lui a donné aussi la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ par Catherine Emmerich, qu’il lit avec une grande ardeur. C’était précisément le jour de Pâques, dont il désirait célébrer la fête, et il me demanda si je connaissais l’adresse d’une Synagogue polonaise. Un entretien très important s’ensuivit, au cours duquel je lui racontai mon entretien avec ses coreligionnaires dans cette même Synagogue, dans quel sentiment je leur avais présenté l’appel de Dieu et avec quel mouvement ils y avaient répondu. De là un épanchement mutuel tant de sa part que de la nôtre. Le frère Bonkowski lui donna le pain sans levain qu’il l’avait prié de lui procurer pour ce jour, et nous le rompîmes en signe d’union avec ce désir et ce souhait que Notre Seigneur Jésus-Christ et la vérité qu’il a apportée triomphent sur la terre, puis j’ajoutai : « Prions Dieu que cette miséricorde de Dieu qui nous est apportée par l’Homme de Dieu ne soit rejetée ni par nous ni par Israël. »

Alors, essuyant les larmes de ses yeux, il dit avec un grand sentiment qu’il demande à Dieu une seule grâce : c’est de ne pas rentrer au pays sans avoir été à Zurich 106 ; que le plus grand désir de son âme est de rendre hommage à cette source (ainsi qu’il s’exprima). Quand cela se réalisera-t-il ? Il l’ignore, il sait seulement qu’il le désire.....

 

 

 

XLVII.

 

 

Dans le recueil des Écrits d’André Towianski, on trouve ce résumé de son entretien avec l’Israélite converti par l’Œuvre de Dieu, Louis D. 107 :

 

1. Une grande chose s’est faite en vous à Einsiedeln, car dans votre âme, possédée par le mal, la miséricorde de Dieu a jeté une étincelle chrétienne.

2, Dieu, par là, met la croix sur vous, c’est-à-dire, vous impose le devoir de maintenir cette étincelle, d’être toujours tel que vous étiez à Einsiedeln ; et cela est difficile, car Satan, le monde et le corps y mettront obstacle : c’est donc comme s’il s’agissait de maintenir un flambeau allumé au milieu de la pluie et du vent.

3. Cependant, telle étant la volonté de Dieu, il en résultera pour vous une direction décisive : ou bien vous maintiendrez en vous la croix par l’amour, l’humilité, le travail intérieur, depuis le matin jusqu’au soir, ce qui s’appelle le sacrifice d’esprit, ou, dans le cas contraire, le démon recouvrera de nouveau son pouvoir sur vous et vous poussera sur les détours : il ne craint que la croix de Jésus-Christ.

4. Mais ce n’est pas assez de maintenir la croix dans l’esprit, il faut encore que l’homme, par la force de la croix, fasse vivre son corps de cette mème vie dont vit son esprit : c’est le sacrifice de corps. Mais ce n’est pas tout encore ; il faut que vous agissiez, que vous viviez sur la terre et, qu’en agissant, en vivant, vous soyez tel que vous étiez à Einsiedeln : ceci est le sacrifice d’action ; et lorsque tout cela est réuni, il y a le triple sacrifice chrétien, c’est-à-dire la croix entière de Jésus-Christ, le plein christianisme. C’est ce que Dieu exige aujourd’hui de l’homme.

5. Mais pour maintenir cette croix, ce sacrifice, ce feu céleste, il faut être pur, c’est-à-dire ne pas aimer la terre, ni l’enfer. Le feu céleste ne peut brûler que sur un fond pur. Nous lisons dans l’Imitation de Jésus-Christ : « Je cherche un cœur pur et c’est là que je trouve mon repos..... Si vous voulez que je demeure avec vous..... rendez nette la maison de votre cœur. » Dans celui qui aime la terre ou l’enfer, le feu céleste ne peut s’allumer, quand même il prierait et se mortifierait continuellement.

Il y a donc trois choses nécessaires au chrétien : 1o que son fond soit pur ; 2o que le feu céleste y brûle ; et 3o que, par la force de la croix, cette pureté et ce feu soient maintenus et manifestés dans les actions, dans la vie.

6. C’est là tout, c’est là ce que Jésus-Christ a apporté : c’est la volonté de Dieu transmise à l’homme dans le Verbe de Dieu. Celui qui fait cela marche droit ; chaque pas qu’il fait le rapproche du but. Tout le reste n’est qu’une aide. Ainsi, les formes, les cérémonies de l’Église, le jeûne et autres mortifications du corps, les pèlerinages, la musique, les images, l’entretien fraternel, les livres, etc., ne sont que des moyens pour aider à accomplir ce tout, cette essence dont nous venons de parler. Celui qui veut atteindre le but, doit travailler et prier Dieu pour connaître quelle aide, quel moyen il doit employer, mais quant au but, il n’y en a qu’un, et il est toujours le même.

7. Celui qui ne porte pas cette croix et qui au contraire porte en lui le mal, doit faire un plus grand effort, car il doit en même temps chasser le démon qui a acquis des droits sur lui et porter la croix ; c’est la pénitence par laquelle l’homme paye à Dieu sa dette plus grande. Celui qui fait toutes les autres choses et ne fait pas celle-là, ne fait rien, car c’est par cela seulement qu’il peut satisfaire à Dieu.

8. Puisque vous voyez maintenant l’essence, il faut que vous la voyiez toujours de même. Il peut arriver que l’homme, à cause de sa paresse, s’endorme et laisse de côté sa croix, mais s’il voit toujours de même cette essence, il ne se laissera plus tromper par le mal, il se réveillera, se repentira, reprendra la croix et avec elle, il marchera en avant. En tout, voyez donc uniquement l’essence et employez tout le reste comme moyen ; ne prenez jamais les moyens pour l’essence, pour le but.

9. Jusqu’à présent l’homme ne faisait pas cela et même ne le connaissait pas. Dieu n’exige pas de l’homme tout à la fois ; le sacrifice de l’ancienne loi consistait en holocaustes, mais Jésus-Christ a apporté un sacrifice nouveau, supérieur, le sacrifice de soi-même, de son être tout entier, et aujourd’hui, après dix-huit siècles, Dieu réclame de plus en plus fortement ce sacrifice, cette croix. C’est pourquoi il y a et il y aura de grands fléaux sur la terre. Mais si l’homme prend cette croix et la porte, Dieu le délivre des autres croix.

10. À Turin vous avez reçu le baptême de l’eau, mais vous ne vous êtes pas converti dans l’esprit, car vous êtes resté sous le pouvoir du mal. À Einsiedeln, vous avez reçu le baptême du Saint-Esprit, c’est-à-dire le Saint-Esprit a allumé en vous le feu céleste, a fait un commencement que vous devez maintenir par la croix.

Sans le baptême point de salut ; car comment maintenir la croix, le sacrifice, ce feu céleste, quand il n’est pas allumé ? Si vous maintenez cette croix, ce sacrifice, ce feu, cela vous méritera le salut, le ciel.

11. Quand vous aurez fait cela, ce sera une grande chose pour Israël tout entier. C’est à celui qui est appelé le premier à faire un tel pas qu’il est le plus difficile de le faire, mais dès qu’il y aura un seul qui l’aura fait, il sera plus facile à d’autres de le faire. Jusqu’à présent les Israélites, pour la plupart, n’acceptaient que la forme chrétienne ; il n’y en a presque pas encore qui aient accepté l’essence toute entière ; vous devez être le premier Israélite chrétien.

 

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4.

 

 

PAROLES DU SERVITEUR DE DIEU POUR ISRAËL

 

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XLVIII.

 

 

Les documents reproduits jusqu’ici confirment ce qui a été dit au commencement touchant la mission d’André Towianski ; mais les résultats de son action auraient été bien plus considérables si la résistance de l’homme – la défection de serviteurs de l’Œuvre tels que Ram – la regrettable hostilité de l’autorité ecclésiastique – n’eussent entravé la réalisation des plans de la divine Providence que le Serviteur de Dieu annonçait comme étant prochaine. Mais ces plans s’accompliront tôt ou tard, fût-ce même au prix de nouvelles douleurs et sans l’aide destinée.

Les pressentiments de Towianski en 1845 pour le progrès général d’Israël recevaient peu après leur confirmation dans les réformes politiques de tous les peuples d’Europe à leur égard en 1846, 1847, 1848 et dans les généreuses tentatives d’Adam Mickiewicz lui-même à cette époque, ces réformes ayant été les avant-coureurs du vaste mouvement spirituel qui avait dû les suivre.

Towianski n’a cessé jusqu’à la fin de sa longue carrière d’être animé de cette foi et de porter en lui le plus grand amour et le plus grand dévouement pour Israël, et d’être prêt à le servir, et nous ne pouvons relire sans une profonde émotion les lettres adressées par lui à Félix Niemojewski à l’occasion des évènements patriotiques de Varsovie du mois de février 1861, lesquelles, en montrant ces évènements dans la lumière chrétienne, résumaient pour la Nation et pour Israël leurs devoirs et en même temps l’idéal qu’ils devaient atteindre 108. Nous nous bornerons à extraire de ces lettres une partie de ce qui se rapporte à Israël 109.

Voici les paroles du serviteur de Dieu :

 

Dieu a abaissé son regard de miséricorde sur les aînés de ses enfants dont Il a dit, il y a des siècles : « Mon fils premier-né Israël. » L’étoile d’Israël, qui n’a pas brillé pendant des siècles, se lève de nouveau pour lui.

Qu’Israël reconnaisse donc son temps et qu’il s’élève au-dessus de la terre, qu’il a trop aimée dans le passé : qu’il s’élève à la hauteur de l’Esprit d’Israël, et il comprendra facilement l’appel que, dans ces jours de miséricorde, Dieu fait à Israël ; il comprendra facilement la voie que Dieu lui a destinée, et dans cette voie il s’unira à ses frères, aujourd’hui ses compatriotes, au milieu desquels il a trouvé jadis l’hospitalité ; et dans cette union par les qualités d’Israël, par la foi en Dieu, l’amour de Dieu et le feu de l’esprit, il aidera ses frères compatriotes pour le bien de la commune patrie.

Que ceux qui ont été si fidèles à la volonté de Dieu transmise par Moïse deviennent aussi fidèles à la volonté de Dieu transmise par Celui qui est bien plus grand que Moïse ; qui, par amour du salut de l’homme, est descendu de la suprême hauteur céleste à l’extrême abaissement de la terre, s’est soumis à ses lois, et a supporté avec patience ses iniquités ; qui a montré à l’homme sa route entière jusqu’à la fin du monde, a montré toute la pensée de Dieu reposant sur l’homme, toute sa destinée ; qui a montré aussi à Israël, pour son progrès ultérieur, ce degré de la voie de Dieu qu’est le christianisme ; degré supérieur à celui qu’a atteint Israël, par la loi de Moïse, et où il s’est arrêté jusqu’à ce jour, résistant pendant des siècles au progrès dans la voie de Dieu. Quiconque, ayant accepté un certain degré de cette voie, veut y rester éternellement, résiste à la volonté de Dieu, à la pensée de Dieu qui repose sur lui et rejette son salut, celui-là, après que son temps sera accompli, passera de la loi de l’amour sous la loi de la force et de la punition de Dieu, afin que la volonté immuable de Dieu, le salut que Dieu a destiné s’accomplisse pour chacun. Après qu’Israël eut rejeté la volonté de Dieu, le Verbe de Dieu et qu’il eut crucifié le Verbe incarné, après cette faute horrible qui depuis dix-neuf siècles a tracé à Israël une direction de pénitence, l’obstination avec laquelle il résistait pendant ces siècles de pénitence à la volonté de Dieu, au Verbe de Dieu, a été un grand péché. Mais ce péché n’a pas encore atteint sa plénitude, car jusqu’à présent le christianisme n’a pas été présenté à Israël dans toute son essence et sa lumière ; c’est plutôt par la force que par l’amour des chrétiens qu’Israël a été poussé à accepter, non le christianisme, mais la forme chrétienne seule, et en acceptant la forme chrétienne seule, Israël renonçait à l’ancienne essence, à l’ancien bien d’Israël, et ne remplaçait pas ce bien par un bien beaucoup plus élevé, le bien chrétien.

Aujourd’hui Dieu appelle de nouveau Israël à accepter sa volonté, son Verbe ; à accepter le progrès qu’il a destiné à l’homme par son Verbe ; à accepter la loi de la grâce, l’amour et son fruit, le sacrifice, supérieur à tous ceux qu’Israël offrait à Dieu pendant des siècles. En appelant Israël à ce degré plus élevé de sa voie, Dieu lui éclaire ce degré par une lumière plus grande, qui a été présentée par Jésus-Christ et qui dans ce temps où commence l’époque chrétienne supérieure, devient par la grâce de Dieu plus compréhensible à l’homme, et est appliquée davantage à sa vie privée et publique. Par suite de cette lumière plus grande, ce qui jusqu’à ce jour était seulement un objet de foi, de sentiment, d’exaltation, devient désormais une réalité sur la terre, devient une chose que l’homme peut connaître même par ses propres sens, et après l’avoir connue, glorifier davantage et accomplir plus facilement.

Or si, après une telle effusion de la miséricorde divine, après que la connaissance de la volonté de Dieu, du Verbe de Dieu, lui aura été facilitée, Israël ne voulait pas connaître cette volonté, ou si, l’ayant connue, il la rejetait, alors le péché d’Israël devant Dieu deviendrait complet ; le fruit complet de sa résistance à la volonté de Dieu serait déposé, et la plus fervente prière d’Israël n’effacerait pas ce péché, ne compenserait pas son devoir principal, qui est de suivre la route que Dieu a destinée par son Verbe à l’homme, et d’abord à Israël, son fils premier-né. Un tel compte devant Dieu tracerait à Israël une direction douloureuse pour une longue suite de siècles, et la génération actuelle, après avoir rejeté la miséricorde divine et préparé par cela de nouveaux obstacles aux générations futures d’Israël, éprouverait d’affreux tourments d’esprit, étant forcée de voir de l’autre monde les souffrances de ses frères.

Qu’Israël cesse donc de juger le christianisme d’après les chrétiens dans lesquels il n’a point vu de christianisme, mais seulement les formes chrétiennes, et de la part desquels il a éprouvé pendant des siècles les effets de leur manque de christianisme.

Qu’Israël regarde aujourd’hui comme son premier devoir de connaître le christianisme qui lui est présenté dans une vérité plus complète et dans un éclat céleste plus complet ; et après en avoir pris connaissance, qu’il n’écoute point ce que ses ancêtres, hommes instruits, mais nullement éclairés par la lumière céleste et n’ayant point vu l’étoile d’Israël, ont dit de Jésus-Christ et du christianisme ; qu’il n’écoute point les hommes, mais qu’il écoute et accomplisse sans retard l’appel que fait aujourd’hui à Israël son Seigneur et son Dieu qui l’a tiré de la terre d’Égypte, de la maison de servitude, et qui aujourd’hui, par la même miséricorde, veut le tirer de la servitude et des ténèbres où son esprit reste captif depuis des siècles.

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Que, dans sa miséricorde, Dieu n’induise pas en tentation ces frères, mais les délivre du mal et leur facilite l’accomplissement de leurs devoirs, dont la substance est : de connaître la volonté de Dieu et de commencer à l’’accomplir ; d’accepter la direction qui leur est destinée et de marcher durant les siècles dans cette direction, en suivant l’étoile que Dieu, dans sa miséricorde, montre aujourd’hui à Israël ! Que ce soit l’objet de nos désirs, de nos prières, de notre sacrifice, à quelque degré que ce sacrifice puisse être nécessaire, car notre indifférence à cet égard serait un péché contre l’amour du prochain, souillerait d’une tache ignominieuse notre caractère chrétien et arrêterait pour longtemps, et cela par notre faute, la fraternité qui nous est destinée. 

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5.

 

 

FEUILLES DÉTACHÉES

 

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XLIX.

 

 

Les paroles d’André Towianski que nous venons de rapporter ci-dessus 110 achèvent la série des documents que nous nous étions proposé de réunir concernant le sujet de notre livre ; mais nous ajoutons encore quelques pages glanées dans le premier volume de ses écrits 111 comme un exemple des services qu’il rendait au prochain pour lui faire sentir l’essence vivante de la loi de Dieu et l’aider à l’appliquer, car ce point nous étant commun avec nos frères d’Israël, ces services peuvent être considérés comme étant rendus à Israël lui-même.

 

 

I.

 

CE QUE DIEU RÉCLAME.

 

Le serviteur de Jésus-Christ, dans l’époque actuelle, transmet à l’homme la réclamation de Dieu, lui montrant que jusqu’à présent la Pensée, la Volonté, le Verbe de Dieu n’étaient pas accomplis par l’homme ; il montre les détours par lesquels l’homme s’est éloigné de la voie chrétienne qui lui a été tracée par le Verbe de Dieu ; il montre le chemin qui, faisant sortir le plus directement de ces détours, peut faire entrer l’homme dans sa voie véritable.

Le serviteur de Jésus-Christ transmet de plus à l’homme l’appel de Dieu pour qu’après avoir pris la voie chrétienne, il accélère son progrès, aborde l’époque supérieure ; dans ce but il présente une lumière chrétienne plus étendue, propre à cette époque, il présente les moyens qui facilitent l’accomplissement de cet appel.

..... Les nations plus âgées par l’âge de l’esprit sont appelées à entrer les premières dans cette époque, car le temps est déjà accompli pour elles, leur heure a sonné, et Dieu ne leur permet pas de rester plus longtemps à leur ancien poste, de même qu’on ne permet pas aux écoliers de rester dans la même classe au-delà d’un temps fixé par les règlements, quoique plus d’un, à cause de sa paresse, serait bien aise d’y demeurer et de ruminer seulement ce qu’il sait, pour ne plus se donner de peine dans ses études.

C’est de là que viennent les pressions, les souffrances qui oppriment les nations appelées à l’époque supérieure ; de là vient que, sur les routes anciennes et par les moyens anciens, rien ne leur réussit plus, comme la Pologne, notre patrie, en est un exemple trop frappant.

... Après la venue de Jésus-Christ, s’est ouvert pour l’homme un compte plus difficile, celui de l’accomplissement de la Volonté de Dieu, du Verbe de Dieu, transmis par Jésus-Christ ; ont commencé la responsabilité et la punition pour la non-acceptation et le non-accomplissement de cette Volonté, de ce Verbe. Jésus-Christ a dit : « Si je n’étais point venu et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point le péché ; mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché. »

Combien de guerres, de conquêtes, de désastres et de malheurs divers en ont été la suite ! Jérusalem est tombée, détruite par les Romains, et Israël, errant jusqu’à présent, expie sur la terre le rejet du Verbe de Dieu. La puissance de Rome a croulé, et l’histoire de l’homme est jusqu’à présent si triste, si sanglante, parce que l’homme a continué sa conduite passée comme si Jésus-Christ ne fût jamais venu en ce monde.

..... Et aujourd’hui bien des choses arrivent déjà, parce que la réclamation et l’appel de Dieu se transmettent à l’homme. Malgré le progrès terrestre si grand, les malheurs, les désastres se multiplient ; l’homme voit surgir devant lui de nombreux problèmes qu’il ne peut plus résoudre par aucun effort sur son ancienne route.

 

 

II.

 

L’ÉPOQUE PASSÉE, L’ÉPOQUE PRÉSENTE.

 

Avant Jésus-Christ, l’homme offrait à Dieu des sacrifices sanglants, des holocaustes, il offrait ses biens terrestres ; depuis Jésus-Christ, durant l’époque passée, il offrait son corps plutôt que son esprit, en le macérant, en réprimant la concupiscence de la chair ; aujourd’hui, dans l’époque chrétienne supérieure, l’homme est appelé à s’offrir tout entier à Dieu, à lui offrir son esprit, son corps et sa vie, chacune de ses actions, à se soumettre à la loi du Verbe de Dieu, à élever ainsi tout son être, et à faire par là le progrès que Dieu lui a destiné par son Verbe.

Dans l’époque passée, le corps de l’homme étant plus dur, plus rebelle à l’esprit, devait être dompté, travaillé, macéré par les croix terrestres, par les privations, les souffrances, afin de devenir docile à l’esprit ; aujourd’hui que ce but est atteint en partie, que le corps est plus en état de participer à la vie de l’esprit, il doit être travaillé, macéré et élevé par l’esprit, par la force de la croix de Jésus-Christ portée dans l’esprit. Dans l’époque passée, l’homme ne faisait que se préparer à la croix plus complète, aujourd’hui il est appelé à accepter et à porter cette croix dans son esprit, dans son corps et dans sa vie, dans ses pensées, ses paroles et chacune de ses actions ; car il est dans la destinée de l’homme que la croix de Jésus-Christ, le sacrifice chrétien complet accepté par l’homme, remplace les sacrifices du corps seul, les privations, les souffrances endurées dans le passé ; il est dans sa destinée que les croix terrestres soient remplacées par la croix céleste que Jésus-Christ a portée et a transmise.

 

 

III.

 

TON DE MOÏSE ET TON DE JÉSUS-CHRIST.

 

Des tons nombreux qui préparaient l’homme au christianisme sont déjà passées. Le ton de Moïse, ton qui élevait Israël dans la voie de Dieu transmise à l’homme, depuis la création du premier homme à l’image de Dieu, est devenu un péché pour Israël depuis que Jésus-Christ a transmis au monde la voie de Dieu dans sa plénitude et qu’il a appelé le monde à s’élever aux degrés supérieurs de cette voie.....

Dans ces jours qui commencent l’époque chrétienne supérieure, le monde étant appelé de nouveau à accepter le christianisme et à avancer dans son progrès chrétien, c’est un péché de plus en plus grand que de s’arrêter non seulement sur un détour, mais même sur un point quelconque de la voie de Dieu, ainsi que le fait Israël qui se refuse à sortir de la loi ancienne et à s’élever à la loi nouvelle en acceptant la voie chrétienne.

..... S’arrêter dans le progrès, dans ce travail pour le salut, c’est résister à la pensée, à la volonté de Dieu, qui est que toute créature progresse dans sa vie éternelle, s’élève sans cesse à la hauteur destinée, accepte le salut destiné.

Tous les tons préparatoires passent, tous les sentiers s’effacent, tous les feux inférieurs s’éteignent, tandis que le ton, la voie et le feu céleste que Jésus-Christ a apportés sur la terre survivront aux siècles, subsisteront éternellement : « Je suis la voie, la vérité et la vie... Je suis venu pour jeter le feu dans la terre et que désiré-je sinon qu’il s’allume ? » a dit Jésus-Christ.

 

 

IV.

 

LA LOI DU SACRIFICE.

 

Au temps de Jésus-Christ, la loi terrestre gouvernait le monde, et l’esprit de l’homme, obéissant à son besoin inné de liberté et de vie supérieure, s’émancipait en tous sens et voguait librement, lié par rien, pas même par la loi de Moïse, qui imposait une discipline plutôt au corps qu’à l’esprit...

L’esprit d’Israël s’émouvait et se dégageait par des efforts faits dans l’exaltation, dans les vols d’esprit, dépourvus de sacrifice... Mais Notre Seigneur Jésus-Christ a soumis l’esprit à la loi du sacrifice, de la croix ; il lui a tracé la direction du dégagement et de l’élévation véritable, unique direction conduisant à la hauteur que le Verbe de Dieu a assignée au genre humain.....

Il y a d’innombrables espèces de faux dégagements de l’esprit, et elles se multiplient de plus en plus avec la civilisation, le progrès terrestre de l’homme, et de la décadence de la civilisation chrétienne, du progrès chrétien. Le faux dégagement de l’esprit est devenu, on peut le dire, la maladie générale du genre humain.....

Le dégagement d’esprit le plus élevé, mais non chrétien, st fait jusqu’à présent dans la prière d’Israël, qui, rejetant la voie chrétienne, l’amour et le sacrifice chrétien, dégage son esprit dans la prière, par l’exaltation seule, par le seul vol forcé, et sur cette voie non chrétienne, par la puissance d’Israël atteint le trône même du Seigneur des armées.

Tu es allé entendre hier l’opéra de la Juive de Halévy : or Éléazar offre un exemple de cette sorte de dégagement d’esprit. Dans son endurcissement, il ne cherche point à rejeter de son cœur l’orgueil, la haine, l’acharnement, il ne se sacrifie, ne se vainc en rien, et combien il dégage puissamment son esprit dans la prière, pour étouffer la voix du cœur et de la conscience qui s’éveillent pour se fortifier dans son mal, pour assouvir sa vengeance ! Jésus-Christ a montré comment il faut dégager l’esprit d’après sa loi : qu’il faut le faire par un motif chrétien, dans le désir d’accomplir la très-sainte Volonté de Dieu, le Verbe de Dieu, pour son progrès chrétien, pour voir par l’esprit dégagé ce que l’esprit enfoui dans le corps n’a pas pu voir, pour prendre d’en Haut la lumière et la force chrétiennes, et employer ce trésor céleste à l’accomplissement sur la terre des devoirs de sa position et de l’état dans lequel Dieu a placé l’homme ; qu’il faut le faire dans l’amour de Dieu, dans l’aspiration, dans le souci et la pureté chrétienne, et cela en détachant l’esprit de la terre, de Mammon, dans le renoncement de soi-même, de sa propre satisfaction : qu’il faut le faire dans le ton chrétien, dans l’humilité, la soumission, la tendresse, le sentiment ; qu’il faut le faire par la seule force du sacrifice chrétien d’esprit, ce qui est l’extrême opposé des élans, des vols, de la rêverie, qui se font sans aucun sacrifice ; que le dégagement dans la prière doit être un pareil travail, un pareil sacrifice, doit être la croix et non une satisfaction.

Il n’y a qu’un tel dégagement de l’esprit qui unisse au Ciel, qui attire la grâce, l’aide des puissances du Royaume du ciel ; tout autre dégagement est dans les limites de la terre ou de l’enfer, et par ce dégagement ce n’est plus l’homme seul, mais c’est l’esprit même qui devient habitant de ces royaumes.

 

 

V.

 

LES VERTUS EXTÉRIEURES.

 

Considérons les dommages qu’éprouvent, par rapport à leur salut, ceux qui récitent un grand nombre de prières sans apporter dans cette action l’esprit qui y est propre.

Jésus-Christ a dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Quand on honore Dieu des lèvres, quand, après avoir récité des prières machinalement, on croit avoir tout fait, on est satisfait ; on n’aspire alors à rien de plus, et l’on ne prend pas la croix de Jésus-Christ, sans la force de laquelle il est impossible de progresser dans la voie chrétienne.

C’est ainsi que souvent ceux qui portent de lourdes croix extérieures, qui, par exemple, s’imposent de rudes mortifications corporelles, font des jeûnes rigoureux, et rejettent la croix intérieure, l’amour, le sacrifice, ne recherchent pas la vérité, la Grâce de Dieu, par conséquent, sont intérieurement dans la sécheresse et le délaissement, et pourtant se croient riches de leurs mérites extérieurs.

Il est souvent plus facile, après une faute, de s’humilier devant Dieu et de prendre la croix de Jésus-Christ ; il est souvent plus facile aux pécheurs publics de se convertir qu’à ceux qui se croient justes.

C’est pour cela qu’Anne, Caïphe, les scribes et les pharisiens ont rejeté la vérité et la grâce descendues du ciel, et sont morts dans l’endurcissement ; tandis que Madeleine, la Samaritaine, le bon larron se sont convertis et ont reçu la vérité et la Grâce. C’est ainsi qu’à cause de ses vertus extérieures, l’homme peut tomber dans un des plus grands péchés, l’orgueil, l’endurcissement.

Dans ce péché l’homme s’arrête sur un point de sa route fausse, qui devient tout pour lui, il s’y crée un royaume à part d’où il exclut toute tendance, tout progrès, toute vie supérieure, où il juge le Verbe de Dieu, le ciel ; il fait des systèmes, des doctrines contraires à la loi de Jésus-Christ, propage ces fruits de son péché, et par là étouffe la vie chrétienne. C’est contre ce pèche que Notre Seigneur s’est le plus élevé ; il avait des paroles de pardon, de miséricorde, de consolation pour d’autres pécheurs, pour Madeleine, pour la femme adultère, etc., tandis qu’il faisait entendre les menaces de Dieu à ceux qui, tout en accomplissant rigoureusement les préceptes de la loi, en pratiquant les vertus extérieures, portaient en eux ce grand péché, cet endurcissement de l’esprit. « Malheur à vous qui payez la dîme de la menthe et qui avez abandonné ce qu’il y a de plus important dans la loi, la justice, la miséricorde, et la foi..... Vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat..... Vous êtes semblables à des sépulcres blanchis..... Vous paraissez justes aux yeux des hommes, mais au dedans vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité 112..... » À ce même péché d’orgueil et d’endurcissement s’appliquent ces paroles de Notre Seigneur : « Vous fermez aux hommes le Royaume des cieux, car vous n’y entrez point vous-mêmes, et vous vous opposez encore à ceux qui désirent y entrer 113. » C’est ce péché qui a fait que Notre Seigneur a été jugé et crucifié, c’est ce péché qui, pendant des siècles et encore de nos jours, s’est opposé et s’oppose le plus à ce que le Verbe de Dieu ressuscite et vive sur la terre par l’homme.....

 

 

VI.

 

PRENDRE LA CROIX.

 

Prenez dans votre âme le sacrifice, la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, cette force céleste, cette violence qui seule emporte le Royaume céleste 114 et seule peut sauver.

Ne vous satisfaites pas de la prière morte et inactive, faite dans le dégagement, l’exaltation et le vol d’esprit, sans soumission à Jésus-Christ, sans la croix de Jésus-Christ, sans renoncement de vous-même, sans effort pour émouvoir et humilier votre âme, pour y éveiller l’amour, le sentiment, la contrition ; une telle prière n’est pas chrétienne et n’a pas la force de sauver. Renoncez aux méditations, aux contemplations également mortes et non chrétiennes, dans lesquelles les faux dévots analysent et combinent les choses les plus saintes, que l’on ne doit et ne peut chercher à connaître et accepter que dans la crainte de Dieu, par l’amour et le sacrifice ; renoncez au travail de la tête, que ces faux dévots prennent pour le travail chrétien de l’âme ; renoncez aux faux principes par lesquels ils dénaturent et appliquent faussement les vérités chrétiennes les plus saintes et jusqu’aux paroles mêmes de Notre Seigneur Jésus-Christ ; renoncez à tous ces faux moyens qui, en empêchant de rentrer en soi-même et de s’accuser devant Dieu, amènent au contraire à justifier ses péchés et ses déviations les plus graves, à les considérer même comme des vertus, et comme la voie chrétienne. Tandis que le mal retient votre âme dans les liens de la mort, gardez-vous de prendre cet esclavage et cette mort pour la vie chrétienne libre qui vous est destinée ; ne vous laissez pas séduire par le fait que dans cet état d’esclavage et de mort, en dégageant votre esprit et en vous détournant de toute vie sur la terre, vous ne produisez pas de fruits frappants du mal et vous accomplissez avec zèle les formes chrétiennes.

Vous pénétrant de cette position si dangereuse pour votre salut, sentez, à quel degré d’abaissement peut arriver un esprit d’Israël lorsque, après avoir perdu son premier feu par lequel il brillait et s’élevait dans les siècles de sa vie éternelle, cet esprit, par la haine de la croix de Jésus-Christ, se refuse à accepter le feu supérieur destiné à l’homme par le Verbe, le feu que Jésus-Christ a apporté et dont il a dit : « Je suis venu pour jeter le feu dans la terre, et que désiré-je sinon qu’il s’allume ? »

Sentez qu’en rejetant constamment ce feu, cette vie céleste, ce fruit de l’amour et du sacrifice, et en vous bornant à accomplir les formes chrétiennes, vous avez amené votre esprit à un tel état de mort, que la vérité, la liberté, la vie d’esprit du prochain, au lieu de vous réjouir et de vous stimuler à l’union avec lui, vous provoquent et vous oppriment intérieurement ; que, ne vous unissant pas à la vérité, vous appuyez le faux et vous reniez Jésus-Christ.

 

 

VII.

 

PRIÈRE VIVANTE.

 

Considérant la prière comme la source de la lumière et de la force, par conséquent comme la source de la vie et le commencement de toute action, éveillons dans notre prière l’amour de Dieu, du prochain, de la patrie et de tous nos devoirs dans cet amour : connaissons la volonté de Dieu, nos devoirs et mettons-nous à les accomplir. Recourons le plus souvent à une telle prière afin de vivre dans notre âme, sans interruption, de la vie chrétienne et de produire les fruits de cette vie à l’égard de Dieu, du prochain et de la patrie dans chacune de nos pensées, de nos paroles et de nos actions, privées et publiques. En priant ainsi, gardons-nous surtout des prières fausses, de ce péché défendu déjà dans la loi de Moïse : « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur, ton Dieu 115. » Que notre prière ne soit pas seulement une forme ou seulement le dégagement et l’élévation de l’esprit sans égard aux devoirs que nous devons accomplir dans notre vie pratique, mais qu’elle soit le sacrifice plein déposé à Dieu, dans notre esprit, dans notre homme et dans toute notre vie, sacrifice déposé dans l’accomplissement des devoirs de l’état, de la position où Dieu nous a placés pour notre salut. Que cette prière vivante, active, s’accomplisse dans notre esprit dans le ton que Jésus-Christ a transmis, dans le sentiment, l’humilité, la contrition, et accomplie ainsi dans l’esprit, qu’elle s’accomplisse dans ces mêmes caractères dans l’homme, dans notre corps, et se manifeste dans nos actions privées et publiques. – Plus d’un qui s’adonne à la prière en négligeant les devoirs de sa vocation souffre pendant des années dans la sécheresse et la mort intérieure, puisqu’il n’a pas l’intention d’employer la Grâce qu’il demande pour l’accomplissement des devoirs que Dieu lui destine, par conséquent pour la gloire de Dieu, pour le triomphe de Jésus-Christ sur la terre.

 

 

VIII.

 

ADORATION PURE.

 

Vous avez déjà accompli, mon frère, de grandes actions sur le champ de l’Œuvre de Dieu..... il ne faut plus que cette union de la prière à toutes vos actions pour que la Grâce de Dieu se répande sur vous dans votre vie entière, dans toutes vos actions.

Mais l’action de la Grâce s’arrête là où à de grandes actions chrétiennes succèdent des actions païennes, où, comme autrefois Israël dans le désert, après avoir adoré le vrai Dieu on revient au culte des dieux étrangers.

Pour le chrétien qui sur des petits champs devient adorateur de Jupiter, le ciel se ferme et une longue suite de souffrances s’ouvre, pour qu’il adore Dieu partout, sur les petits comme sur les grands champs de sa vie.

 

 

IX.

 

LE PÉCHÉ DE L’ORGUEIL.

 

Pour détruire un aussi grand péché que l’orgueil et acquérir une aussi grande vertu que l’humilité, la lumière chrétienne plus étendue de cette époque est d’un grand secours, car à chaque pas se montre ce qu’est Dieu et ce qu’est l’homme, ce que sont les terribles jugements de Dieu. Vous voyez parfois dans une pauvre chaumière comment un enfant amaigri, maladif, couvert de haillons, à peine au monde, souffre déjà, se tord, donne du tourment, pâtit, s’impatiente, mord sa mère, etc. ; l’infortune l’accable intérieurement et extérieurement. Pourquoi cet enfant vient-il au monde déjà sous ce pouvoir du mal et au milieu de ces contrariétés, quand tant d’autres au milieu de l’abondance, de la santé et de la liberté, éprouvent les bienfaits de la Grâce, qui est sur eux ? Peut-être qu’autrefois cet esprit s’est rebellé contre Dieu, et qu’aujourd’hui par cette pénible infortune, il expie déjà depuis le berceau son orgueil, tant qu’il ne l’aura pas effacé et vaincu par la douleur.

Qui ne serait ému de cet exemple dont j’ai été témoin au pays ? Il y avait un jeune Juif, bossu, maladif, couvert entièrement d’ulcères, auquel de braves gens donnaient par pitié un travail facile, plutôt pour la forme, afin de l’occuper, qu’il eût des distractions et gagnât quelques sous.

Ces bonnes gens satisfaisaient à ses besoins et l’entouraient de leurs soins et de leur sentiment, lorsqu’un jour un bouledogue brise soudain sa chaîne, traverse la foule des travailleurs, se jette sur ce jeune Juif avec acharnement et le mord cruellement.....

Au milieu de telles pressions, plus d’un esprit qui se serait laissé aller à s’enorgueillir, à lever son front altier et à se mesurer avec le Seigneur des armées, s’humilie, se jette dans la poussière, brisé par la puissance de Dieu...

 

 

X.

 

ÉLÉVATION VRAIE.

 

Quel horrible péché d’orgueil qu’il y a non seulement à rejeter, mais à fouler aux pieds tout ce que Jésus-Christ a apporté du ciel pour sauver l’homme et par ses exemples a montré d’amour et de sacrifice, d’humilité et de patience ! Allumez donc en vous l’amour de Dieu et du prochain, attisez ainsi l’étincelle du feu céleste ; veillez, prenez de la peine, gémissez, tourmentez-vous devant Dieu, tournez et haussez votre esprit vers Dieu, non à la manière israélite, dans l’ardeur et l’élévation seulement, mais chrétiennement, c’est-à-dire éveillez en vous le sentiment, l’humilité, la contrition, attendrissez-vous devant Dieu, émouvez-vous, animez en vous la tendresse pour Dieu et pour tout ce qui est sur la voie de Dieu. Cet effort, cette peine, ce travail intérieur pour accepter et maintenir en vous ce ton, sera votre sacrifice, votre croix qui, portée constamment, vous sauvera, car elle éloignera de vous le mal qui, en vous endurcissant, ne vous permet pas de vivre selon la loi de Jésus-Christ, vous éloigne de l’humilité et vous pousse dans le détour pernicieux de l’orgueil.....

 

 

XI.

 

ISRAËL SOMMITÉ SUPRÊME.

 

Les qualités qui pour des millions d’hommes sont une grandeur n’ont pas satisfait à ce que Dieu exigeait de feu Adolphe 116. – Autant que je le sens, il portait en lui l’esprit d’Israël, qui à cause de son âge, est appelé à devenir la sommité suprême sur la terre. Et Dieu exigeait de notre compatriote qu’il sacrifiât une partie de ses sentiments de famille pour Dieu, pour son progrès, qu’il se détachât du degré où il était, qu’il aspirât à un degré plus élevé et se dirigeât vers ce degré ! Heureux celui qui, appelé par la volonté de Dieu à un progrès de plus en plus élevé, ne se satisfait pas du degré où il se trouve, mais spontanément, par amour de Dieu et de sa volonté, se détache de ce degré et monte à des degrés de plus en plus élevés !

Celui-là ne se tourmentera, ne se consumera d’aucun désir, sans considérer si ce désir est conforme à la volonté de Dieu, s’il ne doit pas y renoncer, le laisser à la disposition de Dieu et éveiller en lui un désir plus élevé et en enflammer son âme : celui-là n’aura pas à souffrir sous la force de Dieu, qui le détacherait du degré inférieur où il se trouve et le stimulerait à s’élever plus haut.....

 

 

XII.

 

« JE SUIS LE SEIGNEUR TON DIEU. »

 

Gardez-vous bien, ma sœur, d’adopter cette opinion si généralement répandue dans le monde que votre santé dépend des médicaments, des eaux, des bains, en un mot des forces et des moyens terrestres : tout dépend pour l’homme de son compte devant Dieu et de la direction que Dieu lui trace d’après ce compte... Quand Dieu trace la direction de la santé et de la vie, ou de la maladie et de la mort, tous les moyens terrestres employés par le malade doivent servir à accomplir cette volonté de Dieu ; c’est pourquoi dans la même maladie, ce qui fait du bien à l’un nuit à l’autre... Attribuer de l’importance aux forces terrestres seules, sans avoir égard à la puissance de Dieu qui gouverne et dirige tout, est une grande faute pour le chrétien et encore plus pour le serviteur de l’Œuvre de Dieu ; c’est un genre d’idolâtrie, auquel le monde presque tout entier succombe....... Heureux celui qui au XIXe siècle chrétien accomplit le commandement de Dieu donné à l’homme déjà par Moïse : « Je suis le Seigneur ton Dieu, tu n’auras point de dieux étrangers devant ma face 117. » Heureux celui qui, au milieu des illusions venant de la terre élevée si haut aujourd’hui, met sa confiance en Dieu et non dans la terre ! Mais grande est l’illusion quand le malade, prenant un remède, recouvre la santé ; c’est pour l’homme une grande épreuve, qui démontre si, étant chrétien, il accomplit au moins la loi de Moïse qui défend l’idolâtrie ou s’il agit comme le font, par exemple, les faux dévots, en étouffant les réclamations de Dieu par les formes de la piété, l’adoration des ministres de la religion et l’appui mis en eux, sans recourir à Dieu.....

 

 

XIII.

 

RIEN N’EST IMPOSSIBLE À DIEU.

 

Toute nation opprimée, ne connaissant pas les décrets de Dieu, ne connaissant pas le jour et l’heure de sa délivrance, doit être prête chaque jour et à chaque heure à accomplir les décrets de Dieu qui doivent la délivrer, à accomplir tout sacrifice qui peut lui être destiné dans ce but ; elle doit être prête à faire cela sans avoir égard... même à l’évidence de l’impossibilité, car il n’y a rien d’impossible à Dieu, et le manque de confiance en la puissance de Dieu, et tout ensemble la confiance dans les forces de la terre constituent un grand péché défendu déjà à l’homme dans la loi de Moïse : « Je suis le Seigneur ton Dieu... tu n’auras point d’autres dieux devant ma face 118. »

L’empressement de l’homme à tout sacrifice intérieur ou extérieur qui peut lui être destiné attire sur lui la bénédiction de Dieu dans l’accomplissement du sacrifice destiné.

 

 

XIV.

 

« TU N’AURAS POINT D’AUTRES DIEUX DEVANT MA FACE. »

 

Gardez surtout votre âme, mon frère, de tout tressaillement inférieur ; que les mouvements de votre âme que vous devez à Dieu et à tout ce qui est sur la voie de Dieu, ce qui est pur, innocent, ne s’éparpillent pas dans les détours, pour le mal, pour l’enfer.....

Combien il est facile à votre âge de livrer votre âme à une coquette qui présente les formes de l’amour, de la tendresse, du sentiment et qui dans l’esprit est unie avec le mal, porte en elle la pierre, l’endurcissement, tend non à l’amitié avec l’homme mais à le subjuguer pour en tirer le triomphe infernal d’avoir des esclaves ! Sous cet assaut de l’enfer, plusieurs perdent l’innocence de leur âme.....

Oh ! veillez sans cesse sur votre âme, mon frère, vous rappelant le commandement de Dieu donné par Moïse : « Tu n’auras point de dieux étrangers devant ma face. Tu ne te prosterneras point devant eux ni les serviras, car Je suis le Seigneur ton Dieu, le Dieu jaloux 119..... » L’homme éprouve toujours les conséquences funestes de cet esclavage. Devenir amoureux, comme on dit, d’une jeune fille de haute naissance, ayant reçu une belle éducation, douée de talents, riche, quand bien même elle porterait en elle cet endurcissement et ce désir de subjuguer, n’est pas regardé comme un péché dans le monde.

Mais l’Œuvre de Dieu, mettant en pratique l’enseignement de Jésus-Christ, montre que le tressaillement de l’âme pour le mal, l’action de livrer son âme au mal, sous quelque forme que ce soit, est un péché mortel, car il cause la mort à l’âme et par conséquent est beaucoup plus pernicieux que les péchés véniels qui ont leur source dans la terre et non dans l’enfer. Si vous voyez, par exemple, qu’une personne qui, soupirant uniquement après une amitié pure, désire se marier et dans ce but cherche à plaire, regardez ces efforts de sa part comme la terre pure et rendez hommage comme à une parcelle du ciel à son aspiration vers une union si peu appréciée par le monde corrompu.

Vous prouverez votre amour de Dieu en rendant hommage aux parcelles divines qui se manifestent sous diverses formes sur la terre, en honorant la vérité, la justice, en vénérant ce qui est supérieur, noble, et cet amour réalisé vous apportera un grand mérite.

 

 

XV.

 

LA PIERRE ANGULAIRE.

 

Chacun a son point, sa pierre de scandale, qui doit devenir la pierre angulaire de sa régénération... Pour Israël vivant dans les vols de l’esprit orgueilleux, Jésus-Christ, l’Agneau de Dieu doux et humble, est devenu la pierre de scandale ; mais soit aujourd’hui, soit dans des siècles, Il devra être accepté et reconnu pour la pierre angulaire.....

Notre Seigneur Jésus-Christ a touché le fond de l’âme, il a provoqué les opiniâtres et les a amenés à produire le fruit de leur haine pour la Volonté, le Verbe de Dieu, et enfin a permis que ce fruit fût produit afin que cela éveillât l’homme au progrès durant les siècles.....

 

 

XVI.

 

LE CALVAIRE.

 

Israël n’a laissé à Notre Seigneur, pour confirmer son enseignement céleste, d’autre champ que le Calvaire ; de même son serviteur (Towianski) est exclu des champs qui lui sont destinés. Le péché d’Israël n’a pas arrêté la mission du Sauveur, tout a été accompli pour le salut du monde ; mais quelle direction en est résultée pour Israël et pour le monde !.....

 

 

XVII.

 

JUDAS.

 

Vous m’écrivez : « J’ai lu dans Catherine Emmerich les paroles suivantes : La Très-Sainte Vierge avait souvent averti Judas, mais sans résultat, car une sorte de malédiction pesait sur lui depuis sa naissance..... »

Le ciel trace à l’homme la route qui le conduit à sa destinée essentielle, à l’accomplissement de la pensée de Dieu qui repose sur lui ; mais l’enfer 120 aussi trace à l’homme la route qui le conduit à la destinée que dans ses desseins il a mise sur lui. La Grâce de Dieu présente les bonnes œuvres pour le salut de l’homme, et le mal lui présente les vices pour sa perdition. Ces deux directions sont à tout moment devant l’homme, et du choix de l’homme lui-même, de son inclination vers le ciel ou vers l’enfer, dépend laquelle de ces deux directions sera acceptée, par conséquent laquelle de ces deux destinées se réalisera pour lui.

Quiconque est sous la puissance du mal, gouverné par le mal, se trouve sous le poids plus ou moins grand de la malédiction et il ne peut s’affranchir de cette puissance du mal et de cette malédiction qu’en déposant devant Dieu la mesure marquée d’efforts de pénitence et de gémissements ; toutefois il peut, au milieu même de la possession, étant gouverné par le mal, par cet effort et ce gémissement, repousser le mal et ne pas commettre l’action que le mal a projeté d’accomplir par lui.

Quoique au milieu de ses grandes contrariétés Judas fût poussé par une force si grande du mal, quoiqu’il portât un compte si lourd, il pouvait néanmoins repousser le mal, ne pas commettre son crime et se sauver de la perdition.

..... Mais Judas n’a pas lutté, n’a pas vaincu le mal ; au contraire, il a repoussé obstinément toutes les aides que la miséricorde de Dieu n’a pas cessé de lui présenter jusqu’au dernier moment pour son salut ; par là il a donné une pleine union au mal, s’est identifié avec le mal dans la haine contre le ciel descendu sur la terre dans la personne du Seigneur et du Rédempteur du monde. C’est pourquoi, aussitôt que cette mesure pleine de mauvaise volonté a été épuisée pour lui et qu’il est arrivé au terme de son détour, il a produit le fruit criminel auquel le mal l’a poussé pour qu’après la production de ce fruit, dans une longue et pénible opération, il combatte et vainque son mal et par là se sauve.

C’est ainsi que ceux qui repoussent les aides de la miséricorde de Dieu et qui demeurent opiniâtrement dans leur mal peuvent épuiser la miséricorde de Dieu et parcourir la route de Judas, ainsi que nous en avons malheureusement de fréquents exemples.

 

 

XVIII.

 

LA DESTRUCTION DE JÉRUSALEM.

 

Le péché de la haine contre le ciel, contre le joug, contre la croix de Jésus-Christ, est celui qui attaque le plus la pensée de Dieu qui repose sur l’homme, qui attaque le plus la volonté, le Verbe de Dieu. C’est pourquoi ce péché a pour l’homme de graves conséquences, non seulement dans cette vie, mais aussi dans la vie éternelle.

C’est ce péché qui a attiré les châtiments de Dieu sur le peuple d’Israël, qui a amené la destruction de Jérusalem, la dispersion et l’esclavage de ce peuple. C’est ce péché qui est la source des malheurs et des souffrances qui oppriment l’homme depuis dix-neuf siècles, depuis la passion et la mort de Jésus-Christ.

Bien des calamités qui ont fondu et fondent encore de nos jours sur les nations appelées les premières..... ne sont que la conséquence de leur participation plus ou moins grande à ce péché terrible.

 

 

XIX.

 

« JE SUIS VENU POUR JETER LE FEU..... »

 

Le mouvement de l’esprit ressentant et manifestant de l’effroi à chaque offense faite à Dieu, s’il est le fruit non pas seulement d’une exaltation momentanée, mais de l’amour et du sacrifice constamment entretenus, c’est le sommet du caractère chrétien, de l’amour pour tout bien et de l’horreur pour tout mal, le sommet de cette vertu qui fait qu’on prend sur soi l’intérêt de Dieu, ce qui se rapporte à la gloire ou à l’offense de Dieu, ainsi que l’intérêt du prochain, ce qui se rapporte à son salut. Ce mouvement est une partie de la vie du Verbe de Dieu sur la terre, est un point lumineux et vivant au milieu des ténèbres qui règnent dans le monde. Il perce les nuages du chaos et du faux par lesquels le mal plonge l’homme dans les ténèbres et le tient sous son joug ; il ouvre le canal qui unit le ciel à la terre, et le ciel descend sur la terre pour s’unir à ce mouvement et l’appuyer. C’est pourquoi un tel mouvement porte en soi la puissance céleste qui donne la victoire sur le mal grandissant dans le monde ; ce mouvement est donc le seul moyen efficace d’opposition au faux là où tout exposé de la vérité est inefficace. Il n’y a point d’autres moyens contre l’enfer se manifestant sur la terre que de lui opposer le ciel avec amour, sacrifice et énergie.

C’est toute autre chose de voir l’enfer avec indifférence, et de discuter sans vie sur l’enfer, ou de faire ce mouvement d’esprit qui frappe l’enfer ; la force n’est que dans le mouvement de l’esprit, portant en lui les sentiments chrétiens qui caractérisent le feu céleste dont Jésus-Christ a dit : « Je suis venu pour jeter le feu dans la terre, et que désiré-je sinon qu’il s’allume 121 ? »

..... Notre Seigneur Jésus-Christ manifestait ce mouvement toutes les fois qu’il rencontrait le mal.

Il l’a manifesté lorsque, étant encore enfant, il pleurait sur l’abaissement des Israélites établis en Égypte ; lorsque, allant de ville en ville, il frappait les péchés qui y étaient enracinés, et menaçait les pécheurs du jugement de Dieu ; lorsqu’il chassait les marchands du temple, et criait aux pharisiens : « Malheur, malheur à vous !..... » ; lorsque, par la puissance divine, il chassait les démons ; lorsqu’il pleurait sur l’opiniâtreté et la ruine future de Jérusalem !.....

Toute la vie de Jésus-Christ a été une suite ininterrompue de ce mouvement, de cette douleur, qu’il épanchait pleinement devant le Père éternel, et qu’il manifestait seulement en partie devant l’homme, encore incapable d’accepter la plénitude de ces tons célestes.

 

 

XX.

 

HAUTEUR D’ISRAËL ET HAUTEUR CHRÉTIENNE.

 

Vous vous sauverez vous-même et vous contribuerez au salut de votre parent autant que vous accepterez la croix que vous ont imposée les vérités présentées par la volonté de Dieu et que vous atteindrez, par la force de cette croix portée continuellement, l’élévation chrétienne qui vous est destinée et qui vous a été montrée. Il en est en effet qui, occupant un degré élevé dans les royaumes faux, ne se soumettent qu’à une élévation correspondante dans le Royaume de Jésus-Christ. L’esprit de plus d’un de ces dignitaires des faux royaumes souffre et gémit de ce que son élévation fausse ne puisse pas se rencontrer et se mesurer avec une élévation véritable, chrétienne qui lui corresponde. N’étant pas chrétien, il ne peut soumettre son élévation fausse au christianisme qu’il ne voit pas élevé à une hauteur égale à la sienne, et, sans cette soumission, sans s’humilier, il ne peut devenir chrétien, entrer dans le Royaume, dans l’Église de Jésus-Christ ; il ne peut donc être sauvé.

C’est ainsi qu’Israël, même pur, souffre et se tourmente depuis des siècles, ne trouvant pas dans le triste état actuel du christianisme une élévation chrétienne correspondant à la sienne, n’y trouvant que la forme seule, sans l’essence et sans l’action chrétienne. Israël sent que son élévation surpasse l’élévation chrétienne de ceux qui l’appellent au christianisme ; que son esprit est supérieur au leur ; que dans l’esprit d’Israël l’amour et le feu pour Dieu sont plus grands. Mais si aujourd’hui, après l’infortune qu’il éprouve depuis des siècles, il lui était donné de se rencontrer et de se mesurer avec la vraie grandeur chrétienne, je sens qu’Israël, en majeure partie, s’humilierait dans la joie de l’esprit devant cette grandeur, s’y soumettrait avec amour et qu’ensuite par la force du feu d’Israël il passerait en peu de temps de l’élévation d’Israël à l’élévation chrétienne.

 

 

XXI.

 

L’AVENIR D’ISRAËL.

 

Ne vous effrayez pas, mon frère, de la gravité des fautes d’Israël ; ces fautes sont devant Dieu, mais la dure pénitence d’Israël est aussi devant Lui, ainsi que ses mérites passés et son mérite actuel de n’avoir pas laissé éteindre en lui jusqu’au bout le feu israélite de l’amour de Dieu. Ce feu, c’est le trésor séculaire et le plus précieux d’Israël, et lorsqu’Israël, se jetant dans la poussière devant Dieu, purifiera son feu et l’emploiera à l’accomplissement de la volonté de Dieu, la miséricorde extraordinaire de Dieu, qui se répand sur le monde dans ce jubilé de la Grâce, pourra l’affranchir promptement de la pénitence dure et prolongée qui se fait dans la sécheresse et la mort de l’esprit, et lui ouvrir la voie facile et courte dans laquelle, avec la force de son feu pur et avec la force de la Grâce de Dieu qui appuie ce feu, Israël pourra réaliser un progrès accéléré en occupant promptement le poste qui lui est destiné, et, sur cette voie, payer à Dieu et au prochain ses dettes, en ayant tout le mérite, dans la liberté, dans la gloire et la vie de l’esprit de l’homme. De tels serviteurs, de tels prêtres, Israël les attend en ceux qui sont appelés les premiers d’entre sa nation, afin de pouvoir, dans ces jours qui commencent l’époque, accepter plus facilement la direction salutaire pour les siècles.

 

 

 

 

 

 

6.

 

 

DERNIER APPEL

 

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L.

 

 

Mr Gawronski cite 122 comme données à Ram, avant son départ pour Jérusalem, quelques paroles d’André Towianski à un Israélite concerti. Mais il ressort, tant de la teneur de l’Écrit auquel il les emprunte 123, que de sa comparaison avec les autres documents incontestablement adressés à Ram, ou rédigés à son intention 124, que cette fois ce n’est pas de lui qu’il s’agit. Nous reproduisons cependant, nous aussi, ces paroles, parce qu’on ne saurait mieux terminer que par ce cri de l’âme du Serviteur de Dieu aux enfants d’Israël un ouvrage qui leur est consacré :

 

Réveille-toi, réveille-toi, frère d’Israël, de ta longue léthargie ! Sors du tombeau où tu as enseveli ton esprit ; rappelle-toi les siècles passés d’Israël et, pendant leur cours, ces jours de lumière et de vie et ces actions pures et grandes, fruits des jeûnes, des prières israélites d’autrefois, et d’une foi, d’une confiance, d’une obéissance sans bornes à Dieu ! Prends en horreur l’esclavage et les ténèbres de tes jours actuels, cette boue du présent, ce fruit de l’obéissance au mal et de la désobéissance au Seigneur ton Dieu qui, il y a des siècles, a tiré Israël de la servitude d’Égypte, et, lorsque les temps ont été accomplis, l’a appelé à servir son Œuvre dans cette époque chrétienne supérieure, lui a ouvert les portes de Jérusalem et l’appelle au banquet nuptial dans la vie libre et joyeuse qui lui est destinée. Reviens donc à ton origine, deviens véritable Israélite et, dans un moment béni de Dieu, tu deviendras Israélite-chrétien, une étoile et un modèle pour les jeunes générations. Le feu israélite pur de l’amour de Dieu t’élèvera promptement et facilement du degré inférieur, juif, au degré chrétien supérieur de ta route. En ne devenant pas premièrement Israélite véritable, tu ne monteras pas plus haut, tu continueras de croupir dans ta boue juive et poursuivras ta pénitence dans la suite des siècles.

Ce n’est plus le temps pour toi, frère d’Israël, de t’occuper de subtilités spirituelles, dans lesquelles il n’y a que mort et jouissance de l’esprit, approfondissement doctrinaire sans élévation, vol et dégagement de l’esprit, sans amour et sans sacrifice, sans vie et sans action de l’esprit !

Accepte au plus tôt le seul travail où il y ait la vie et l’action, la croix de Jésus-Christ et la joie en Lui. C’est uniquement par ce travail que tu te régénéreras et vivras, et par cette vie tu accompliras dans cette époque ta grande vocation israélite pour la gloire de Dieu et le salut d’Israël !

 

Ainsi soit-il !

 

 

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APPENDICES

 

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I.

 

 

L’état très misérable où les Papes avaient tenu les Juifs à Rome inspirait à une âme hautement chrétienne les paroles suivantes prononcées solennellement à Rome même dans la Basilique de Santa Maria in Trastevere, le 29 mars 1848 :

 

« .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  . 

« Mais que dirons-nous, mes chers fidèles, d’un peuple qui, tandis que, jaloux de sa dignité, il s’élève à une plus parfaite organisation et jette un cri puissant auquel répondent en chœur la Seine et le Danube, le Pô et la Brenta, l’Olone et le Tessin, tient à ses côtés, comme une esclave répudiée par lui, une famille, partie intégrante, active, elle aussi, de la société civile ?

« C’est, mes chers fidèles, un sujet trop palpitant et trop grave pour tolérer qu’on l’enveloppe de périodes obscures et subtiles ; nous en parlerons, donc, tout à fait franchement et clairement. Et nous dirons qu’entre ces murs-mêmes de la ville où flotte le drapeau de la régénération italienne, il y a un coin bourbeux et malsain dans lequel ce serait une ironie et une insulte que d’arborer ce drapeau ; où végète et languit un peuple généreux qui aime aussi la patrie commune, qui appartient lui aussi à la famille italienne et auquel un préjugé inconcevable aujourd’hui a refusé sa part de liberté : je veux parler du peuple d’Israël.

« Dans les traités d’économie politique et dans de savants ouvrages appelés à une grande publicité, des voix autorisées se sont déjà élevées plusieurs fois contre cette injustice atroce : aux pieds de nos Alpes un peuple vaillant, notre frère (le Piémont), a déjà sanctionné par une loi la rédemption civile des sectateurs de Moïse. Il y avait là la voix du siècle, qui pourrait être jugée contraire aux intérêts et aux principes de l’Évangile. C’est pourquoi IL EST TEMPS DÉSORMAIS QUE L’ÉVANGILE PARLE LUI AUSSI : et je pense que c’est le devoir de ceux qui le prêchent de confier les longs gémissements de ce malheureux peuple à cette même Croix qui nous a été donnée comme le symbole de la fraternité et de l’amour et qui, sans égard aux différences d’origine ou de foi, ne cherche dans l’homme et ne veut connaître en lui que la main et l’image du Créateur.

« Est-ce donc au nom de cette même Croix sur laquelle a été scellé un pacte d’amour entre la victime et ses bourreaux que nous vouerons à la persécution et à l’opprobre les descendants innocents de ces derniers ?

« Puisque le peuple juif expie la faute de ses Pères, continuerons-nous les injustices et les abus de nos Pères ? Nous, chrétiens, nous, disciples de ce livre divin qui annonçait la liberté des esclaves et la rédemption des miséreux, nous nous servirions de Jésus-Christ pour faire injure à Jésus-Christ ?..... (Ici l’orateur continue dans un ton très touchant à parler contre l’intolérance et il ajoute) :

« À qui donc la faute si les visages de ces malheureux, à force de rougir ou de se cacher, sont devenus impassibles, s’ils se sont même souillés ? N’est-ce pas nous qui leur avons fermé les portes et leur avons difficultué l’exercice de la vie sociale ?..... Vous dites qu’ils ont des vices ?..... Qui donc ose parler des vices d’autrui ? Qu’il se lève pour que je lui répète la parabole de l’adultère ! Ah ! il faut en finir, mes chers fidèles, avec les persécutions, les dissensions, les rancunes ! » (Et il conclut éloquemment en faisant un appel aux juifs et aux chrétiens pour qu’ils s’aiment et s’embrassent aux pieds de la Croix en frères, en brebis d’un même troupeau, d’un même pasteur).

(Extrait d’un sermon sur la TOLÉRANCE prononcé par le Rév. Chanoine Ambroise Ambrosoli ; voir le n. 14 du journal religieux politique de Venise, Labaro, année 1848, bibliothèque Marciana.)

 

 

 

II.

 

 

Paroles de l’israélite ARMAND LÉVY.

 

Adam Mickiewicz a écrit dans le Symbole politique polonais : « À Israël, notre frère aîné, respect, fraternité et égalité complète de tous les droits civils et politiques. »

Ce Symbole politique, il le donna, le 29 mars 1848, à la Légion Polonaise qu’il créait à Rome pour aider l’Italie à reconquérir son indépendance.

Or, en ce même jour, le roi Charles-Albert signait le décret émancipateur des Israélites de ses États. Et, moins de trois semaines après, au moment où les Israélites commençaient la Pâque, les portes du Ghetto, à Rome, tombèrent pour toujours.

Trente ans plus tard, le Conseil communal de Rome, sur la proposition du conseiller Samuel Alatri, ancien député au parlement national et chef de la communauté israélite, faisait poser une plaque de marbre commémorative sur la maison où avait habité Adam Mickiewicz ; et son buste était solennellement placé au Capitole.

Et maintenant voici qu’à l’occasion du 25° anniversaire de sa mort, un pieux et savant rabbin de Rome, le docteur Moïse Ascarelli, a traduit en hébreu le Livre de la Nation polonaise et des Pèlerins polonais 125.

Ce livre qu’Adam Mickiewicz écrivit en 1832, au lendemain de la deuxième prise de Varsovie, et qui, aussitôt paru, fut traduit en allemand, en français, en anglais, en italien, a valu à Adam Mickiewicz d’être appelé l’Isaïe polonais : car on reconnut que jamais encore l’accent des prophètes de Sion ne s’était retrouvé chez personne à un si haut degré.

Mickiewicz expose, en ce livre, pourquoi la Pologne est tombée et ce que les Polonais doivent faire pour mériter qu’elle se relève. En pleurant sur sa nation, il reproche à la France de l’avoir abandonnée. Pour nous aussi, il a quelques paroles sévères, comme en ont eu nos prophètes. Or il a beaucoup aimé la France. Il a également beaucoup aimé Israël.

Adam Mickiewicz a dit dans son cours au Collège de France : « Ce n’est pas sans raison providentielle que les Israélites existent depuis tant de siècles au milieu des Polonais et que leur sort se lie intimement avec celui de la nation polonaise..... Peuple le plus spiritualiste de la terre, capable de comprendre ce qu’il y a de plus sublime dans l’Humanité, mais arrêté dans son développement, le peuple d’Israël n’a cependant cessé d’espérer son Messie. » Et il ajoutait : « Quel malheur serait-ce pour l’univers si ce peuple, le seul qui n’ait jamais douté de la Providence, tombait dans l’apostasie ! »

Adam Mickiewicz persévéra dans son amour pour Israël jusqu’à la fin. Son dernier projet fut, en Orient, le projet relatif aux Israélites, qu’il m’y dicta et qui avait pour objet la préparation de leur égalité en Pologne. Malheureusement il mourut le 26 novembre 1855 à Constantinople.

Des israélites et des chrétiens ont ensemble veillé à son lit de mort, ensemble suivi son cercueil. Et quand un monument funèbre lui fut élevé en 1867, à Montmorency près Paris, où il repose 126, des voix israélites se sont unies, sur sa tombe, aux voix chrétiennes pour rendre hommage à son génie et glorifier son amour de l’Humanité.

Alors le Président de l’Alliance israélite universelle, Crémieux, proclama la reconnaissance des Israélites envers Adam Mickiewicz pour avoir promu l’égalité des Israélites et des Chrétiens en Pologne par leur union dans un égal amour de la patrie polonaise. – En disant que Mickiewicz avait été compris, Crémieux faisait allusion à cette sublime journée du 25 février 1861, dans laquelle, à Varsovie, les Polonais, tant israélites que chrétiens, versèrent ensemble leur sang dans la coupe du sacrifice national, et qui fit dire au vieux prince Adam Czartoryski : « Ceux qui savent mourir d’une même mort doivent pouvoir vivre d’une même vie. » Adam Mickiewicz me disait, peu de jours avant sa mort : « Je ne voudrais pas que les Israélites s’en allassent de Pologne ; car l’union de la Pologne et d’Israël est destinée à renforcer moralement notre République, comme jadis la renforça militairement l’union de la Lituanie à la Pologne. Lorsque les Israélites étaient partout massacrés et brûlés ou chassés, ils trouvèrent en Pologne la plus large hospitalité jointe à un rare esprit de tolérance. Mais, maintes fois, les seigneurs y oublièrent que le mépris est plus lourd à supporter que les coups, comme aussi les Israélites se renfermèrent trop exclusivement dans leurs propres intérêts. »

Et néanmoins l’oubli dans lequel ils tinrent longtemps les intérêts polonais n’empêcha pas le plus grand génie de la Pologne contemporaine de leur rendre ce témoignage : « Chez nous, disait Mickiewicz, demeurent des millions d’hommes appartenant à un peuple qui est l’aîné de tous les peuples civilisés, le peuple juif, qui du fond de ses synagogues ne cesse, depuis des siècles, de pousser des cris auxquels rien dans le monde ne ressemble, de ces cris dont l’Humanité a perdu la tradition. Or, s’il y a quelque chose qui puisse ramener sur la terre la vérité du ciel, ne seraient-ce pas ces cris dans lesquels l’homme concentre et exhale toute sa vie ?... »

 

 

 

III.

 

Discours de M. le Rabbin ASTRUK, vicaire du Grand Rabbin de Paris.

 

        Messieurs,

 

Il n’était pas possible qu’aux regrets dont vous avez entendu la chaleureuse expression, une voix juive ne vînt pas ajouter son tribut de reconnaissance en faveur de Joachim Lelewel 127.

Cette voix, c’est celle de l’Alliance Israélite Universelle, qui apporte par mon organe, au bord de cette tombe, un solennel hommage à celui dont nous regrettons tous ici la perte.

Les Juifs, messieurs, ne sont pas ingrats ; ils ressentent vivement les bienfaits dont on les comble, et jamais ils n’oublient une noble parole ou une généreuse action, quand même cette parole et cette action eussent été commandées envers eux par une stricte justice. Joachim Lelewel, grâce à ses travaux historiques, avait reconnu sans peine les qualités de la race hébraïque, objet de tant de persécutions depuis dix-huit siècles. Il avait vu que partout les Juifs ne demandaient qu’à s’incorporer dans les sociétés dont ils étaient les membres naturels, mais que partout des lois exceptionnelles, des mesures oppressives leur défendaient l’accès du droit commun, et avec cette autorité puissante que donne au savant la possession du vrai, Lelewel ne craignait pas de rendre aux Israélites le témoignage public qu’ils avaient le droit d’attendre de son impartialité. Proscrit lui-même, exilé loin de sa patrie, il exhortait solennellement ses concitoyens à ouvrir leurs bras aux Juifs, ces proscrits d’un autre genre, et à traiter en frères ces hommes dont ils étaient séparés par des préjugés d’un autre âge.

Bien plus, messieurs, Lelewel n’hésita jamais à consacrer sa plume à la défense de ceux qu’il avait jugés dignes de sa sympathie. Il y a deux ans à peine, en 1859, on vit se renouveler à Varsovie, contre les Juifs, des attaques qui pouvaient avoir les plus déplorables conséquences. Lelewel y répondit avec son courage et son énergie accoutumés ; et ne croyez pas que cet homme d’élite, que cet apôtre éloquent de la liberté religieuse, ne formait pour les Juifs que des vœux stériles et s’en tenait à une polémique trop souvent impuissante ; il avait fait ses preuves. En 1831, la volonté du pays lui avait confié le soin le plus précieux qui puisse être donné à un homme, celui de présider à l’éducation de la jeunesse. Lelewel, ministre de l’instruction publique, fit tomber toutes les barrières qui défendaient aux Israélites l’accès des universités polonaises. Il provoqua l’abolition d’une loi odieuse qui frappait d’un impôt l’entrée des Juifs dans certaines villes du Royaume. Cet homme de cœur était convaincu, par l’exemple de la plus grande et de la plus libérale nation du monde, que les Juifs régénérés au nom de la justice, au nom de l’humanité, doivent être infailliblement pour leur patrie des fils dévoués, des défenseurs ardents.

Ô Lelewel, à ton heure dernière, en cet instant où l’homme voit passer devant lui tous les évènements de sa vie, ton noble cœur a dû sentir une bien douce, une bien légitime satisfaction !

Tu as pu te dire que tes conseils avaient été entendus et que tes concitoyens avaient accepté le glorieux héritage de tes grands sentiments et, comme le patriarche de la Bible, tu as pu, de ton lit de mort, envoyer une suprême bénédiction à ces enfants de Varsovie, à ces jeunes hommes chrétiens et juifs, séparés hier encore par tant de haines, et réunis aujourd’hui dans une fraternelle et patriotique étreinte.

Sois donc béni à ton tour, et ton souvenir conservé par tes concitoyens restera à jamais dans le cœur des Israélites du monde et de tous les amis de l’humanité.

 

(Les funérailles de Joachim Lelewel, proscrit polonais. – Paris, 1861. – Brochure in-8o.)

 

 

 

 



1  Les catholiques français et leurs difficultés actuelles, Paris, 1903.

2  Œuvre de Dieu est l’appellation donnée par antonomase à toute l’action par laquelle André Towianski a accompli sa mission en présentant le degré supérieur du christianisme que l’homme, dans son ascension continuelle, doit atteindre à notre époque, – et a coopéré ainsi à l’Œuvre du salut dont il est dit dans l’Écriture Sainte : « Notum a sæculo est Domino opus suum (Act. XV, 18) ; meus cibus est ut faciam voluntatem ejus qui misit me ut perficiam opus ejus (Joan. VI, 34) ».

3  Voir : Attilio Begey e Alessandro Favero : Monsignor Arcivescovo Luigi Puecher Passavalli, Torino, Fratelli Bocca, editori, 1911, pag. 64-73.

4  André Towianski, par Tancrède Canonico, Turin, Typ. Bona, 1897, traduction de l’italien. (Cet ouvrage a été aussi traduit en polonais ; il est déposé dans toutes les bibliothèques des communes de France et d’Italie.)

5  Ouvrage cité, page 33.

6  Kilka aktów i dokumentów dotyczacych dzialalnósci Andrzeja Towianskiego ; Rzym, 1898, page 29 (ce volume concerne la Pologne ; d’autres volumes, en français ou en italien, concernent la France et l’Italie).

7  Wspóludzial Adama Mickiewicza w Sprawie Andrzeja Towianskiego ; 2 volumes par Ladislas Mickiewicz, Paris, 1877.

8  Andrzej Towiański i Jan Andrzej Ram, par le Dr François Rawita Gawroński, Lwów, 1911.                                                                                                                   

9  Pisma Andrzeja Towiańskiego ; W. Turynie, 1882, 3 volumes.

10  Dans le cours de mon travail, il m’est parvenu de Pologne une petite brochure très remarquable, sous le titre : « Sprawa Polska a Zydai » (La cause de la Pologne et les Juifs), par Andrzej Baumfeld – Warszawa – Ksiegarnia E. Wendego, 1911, dans laquelle j’ai trouvé que l’auteur, à propos de l’œuvre d’assimilation des Juifs avec les Polonais, qui intéresse fortement cette nation, dit : « Les assimilateurs oublient que toute la culture de la Pologne (et par conséquent aussi celle de ces Polonais qui se tiennent sur le terrain de la pensée indépendante) est chrétienne... et ce n’est que par cette voie qu’on peut s’unir réellement avec elle. L’intelligence juive est obligée de se mettre sur le terrain chrétien, de passer par le christianisme pour se rencontrer avec le patriotisme polonais. Et que celui qui s’attribuerait après cela “une pensée indépendante”, se souvienne d’abord quelle voie ont suivie les libres penseurs d’origine catholique ou chrétienne. La plus grande erreur des assimilateurs est de croire qu’on puisse franchir – d’un bond – des siècles de développement spirituel. L’évolution naturelle des plus hautes inspirations juives a été le christianisme. La prophétie de l’ancienne loi est un pas vers lui. Les Juifs d’autrefois n’ont pas fait ce pas – et depuis lors il les attend, comme une nécessité inévitable. »

11  Wspóludzial, ci-dessus cité, vol. 1, p. 189.

12  Vol. II, p. 204-209, Paris. Au Comptoir des Imprimeurs-réunis, 1845.

13  Cet extrait a déjà été imprimé dans le volume Quelques Actes et Documents concernant André Towianski et la France, Reims, 1905, pag. 6.

14  Stamperia dell’Unione Tipografico-Editrice, Torino, 1366.

15  Voir : Un Saint des temps modernes, par Wanda Szerlecka, Paris, 1912, chez Amat éditeur.

16  Ils le furent en effet à Turin en 1882 : voir plus haut la note 9.

17  Pag. 3.

18  Avant son baptême : Gersom Ram. (A. B.)

19  Le 15 mai 1812, de Abraham Gerson Ram et de Malcha Ram. (A. B.)

20  On verra qu’il n’y arriva que plus tard. (A. B.)

21  Ces vers se rapportent à l’apparition d’André Towianski. (A. B.)

22  V. Kilka Aktów i Dok., déjà cité, page 29.

23  Sur ce départ qui eut lieu par ordre du gouvernement français, voir les détails dans la biographie de Towianski, pag. 28-29.

24  Wspól. tom. 1, p. 65.

25  Il s’adresse à ses compatriotes exilés. (A. B.)

26  C’est là l’allusion à la conversion de Ram.

27  Mickiewicz veut faire allusion ici à tout ce qui est Israël, par l’ancienneté de l’esprit, quelle que soit sa religion ou sa nationalité. (A. B.)

28  Héroïne de la révolution de Pologne en 1830-31. (A. B.)

29  Héroïne de la charité et du patriotisme à la même époque. (A. B.)

30  Actes et documents concernant André Towianski et la France. Reims, Typ. Coopérative, 1905, page 3 (dans les Bibliothèques des Communes de France).

31  Kilka Aktów, déjà cité, I, p. 29.

32  Wspól., I, p. 55.

33  Wspól., II, pag. 178, et Gawronski, pag. 23 : cet écrit n’a jamais été revu par le Maître.

34  Towianski appelle ainsi les longues douleurs de la nation, après la répression terrible de la grande révolution de 1830, dont l’anniversaire (29 novembre) approchait. (A. B.)

35  Napoléon Ier. (A. B.)

36  Allusion au servage des paysans. (A. B.)

37  Le texte dit : Konstytucyjna (constituant). (A. B.)

38  Ici finit la matière de Ram : dans le texte publié par Mr Gawronski, cette lettre a une suite où le Maître répond particulièrement à d’autres personnes. (A. B.)

39  Inédit.

40  Un des Serviteurs de l’Œuvre qui ont signé avec Ram la pétition au Ministre. (Voir ci-dessus la note 30.)

41  Wspóludzial, tom. I, p. 192.

42  Id., p. 88.

43  Gawronski, p. 32.

44  Kilka Aktów, I, p. 29.

45  Ces expulsions, si fréquentes dans le système monarchique, ont inspiré plus tard à MM. Michelet et Quinet une pétition aux membres du Gouvernement provisoire, qui commençait par ces mots : « Notre France délivrée porte encore plus d’une souillure du temps de la captivité. La plus honteuse est celle des lois barbares, inhospitalières contre les réfugiés, lois absurdes, contradictoires, qui invitaient pour repousser, recevaient pour outrager, qui soumettaient tant d’hommes héroïques aux caprices, aux haines, aux peurs d’un homme de police. » (Korespondencya A. Mickiewicza, tom. III, p. 5). (A. B.)

46  I, Reg. III, 10.

47  De mes souvenirs personnels, résultant de ce que j’ai entendu dire par d’anciens Serviteurs de l’Œuvre, j’ajouterai ici qu’au premier abord le Pape reçut Ram avec un sourire légèrement ironique, en disant : « Ah ! ah ! un Juif converti. » Car tout le monde connaît le profond mépris et les mortifications publiques auxquelles, encore à cette époque, les Juifs étaient exposés à Rome (voir appendice I). Mais lorsque Ram, après s’être humblement prosterné, se releva et parla du plus profond de son âme, comme un ancien prophète, le Pape devint très sérieux et l’écouta attentivement jusqu’au bout. (A. B.)

48  Pisma, tom. I, p. 43.

49  Ram n’était donc pas le seul converti, déjà alors. (A. B.)

50  Wspóludzial, tom. I, p. 120.

51  Nous, c.-à-d. Towianski et sa femme. (A. B.)

52  Le cours de littérature slave au Collège de France. (A. B.)

53  Par un Décret de l’Oberamtmann de Soleure Th. Pflüger, en date du 28 octobre 1844, on faisait notifier à Towianski que sa demande de rester à Soleure, bis zur Beibringung eines neuen Reisepasses statt eines ausgelaufenen, n’avait pas été accueillie par le Gouvernement du Canton ! (A. B.)

54  Wspóludzial, II, p. 239, et Gawronski, p. 35.

55  Inédite.

56  Dames de Soleure unies à l’Œuvre.

57  Tout près de Soleure, à Zugwyl, il y a un tombeau où sont déposés des restes mortels de Kosciuszko : le cœur du Héros est dans un mausolée à Rapperswil (lac de Zurich) dans la cour du Musée national polonais. (A. B.)

58  P. 37.

59  L’étendard de l’Œuvre de Dieu est la sainte image de J.-Christ sous la figure de l’Ecce Homo. (A. B.)

60  Il est facile de comprendre que ce mot verbe est employé ici et ailleurs dans le sens de Parole divine, petite parcelle de ce Verbe qui est tout entier uniquement dans la personne de Jésus-Christ. (A. B.)

61  Voir la note précédente.

62  Gawronski, p. 36 (manuscrit de la bibliothèque de Rapperswil).

63  Nous ignorons ce qui est arrivé à Ram dans cette ville. (A. B.)

64  Voir Wspóludzial, I, p. 230 : et aussi Gawronski, p. 39, où par erreur matérielle il est imprimé : « Idea Pana przez Brata Rama podana Koln, au lieu de : « przez Brata Adama », comme son contenu aussi le démontre.

65  Ces paroles venant du grand poète qui avait été peu de mois auparavant l’interprète de l’écrit du Serviteur de Dieu appelant Ram au baptême (voir p. 31) ne doivent pas être envisagées comme une contradiction à l’esprit de cet écrit. (A. B.)

66  Gawronski, p. 40.

67  Les israélites de Francfort unis avec lui. (A. B.)

68  Inédit.

69  Wspól., I, 293.

70  Wspól., I, 298.

71  Inédit.

72  Wspól.. I, 297 e Il, 9.

73  Januszkiewicz.

74  Pisma Andrzeja Towianskiego, tom. III, p. 296.

75  Kosciuszko.

76  Le mot « source » désigne l’endroit où était le foyer des disciples entourant le Maître. (A. B.)

77  Le Père Édouard Dunski, officier dans la révolution polonaise et ensuite prêtre et apôtre dans l’Œuvre de Dieu (v. volume Dunski, Documents et lettres, Paris, 1857, Typ. de Henri Plon).

78  Voir la Biographie d’A. Towianski, Chap. IV. Pandelle était, comme Towianski, prisonnier politique, en 1848, à Paris.

79  Matth., VI, 24.

80  Wspóludzial, texte polonais, tom. II, p. 195, et Gawronski, texte original allemand, p. 32. Cet écrit, plutôt qu’une lettre, est un sommaire de plusieurs entretiens qui l’avaient précédé, et sa forme lui vient de là : il appartient, comme les précédents XII, XIX, XXII, aux Écrits non revus par Towianski et qui par là n’ont pas été admis dans la collection des trois volumes publiés après sa mort et renfermant son enseignement. (A. B.)

81  Wspóludzial, tom. II, texte polonais, p. 196, et Gawronski, texte original allemand, p. 34.

82  Wspóludz., I, 189.

83  Noskowska.

84  Gutt.

85  À Bâle.

86  Wspól., I, p. 276.

87  C’est probablement la lettre de Francfort du 28 juillet (voir Doc. XXIV).

88  Wspól., I. p. 277.

89  Wspól., I, p. 278.

90  Faubourg de Varsovie tristement fameux pour les excès des Russes contre les Polonais en 1794. (A. B.)

91  Psaume XLV (46). (A. B.)

92  Wspól., I, p. 279.

93  Wspól., I, 282.

94  Wspól., I, 292.

95  Inédit.

96  Léonard Rettel, patriote polonais et homme de lettres, émigré, décoré en 1831 de la grande médaille pour son héroïsme pendant la révolution, un des premiers Serviteurs de l’Œuvre de Dieu à Paris, décédé le 21 mars 1885. (A. B.)

97  Mariée plus tard à l’auteur même de cette lettre. (A. B.)

98  Cette lettre nous manque.

99  Inédit.

100  Edmond, fils du colonel Charles Rózycki, célèbre dans l’histoire de la révolution de 1831, chef du cercle des Serviteurs de l’Œuvre à Paris – et dévoué à l’Œuvre comme lui.

101  Voir à la suite le § XLVIII.

102  Motifs pour lesquels l’amnistie ne peut être acceptée (Voir Pisma, t. III, p. 7).

103  Voir Pisma, III, p. 100.

104  Inédit.

105  Un des patriotes émigrés, dits du Belvédère, pour la défense héroïque d’une redoute de Varsovie portant ce nom, en 1881.

106  Résidence d’André Towianski.

107  Pisma, II, p. 291.

108  Les évènements de Varsovie pendant les mois de février et de mars 1861 sont restés dans l’histoire de la Pologne comme l’exemple le plus sublime de l’esprit du christianisme vivant dans l’âme d’un peuple et se manifestant sur le champ le plus difficile, celui de l’oppression politique la plus cruelle. La police russe avait en ces jours lancé plusieurs fois des pelotons de Cosaques et de Circassiens dans une charge furieuse contre la foule du peuple polonais, désarmée et inoffensive, dans les rues de Varsovie, sans qu’elle eût aucunement provoqué cet acte de brutalité. La foule n’avait jamais opposé de résistance, malgré les nombreuses victimes que chaque charge faisait au milieu d’elle. Une force morale extraordinaire la soutenait : et c’était cette force qui frappait le gouvernement plus que toute violence, et lui faisait croire à un complot et à l’inspiration de nouveaux révolutionnaires. Le gouvernement appela même à Varsovie un de nos frères, serviteur de l’Œuvre, lui demandant si ce n’était pas de Towianski que venait ce mouvement.

L’enterrement des victimes donna lieu à une manifestation des plus solennelles : une centaine de milliers de citoyens de toutes classes y assista.

La douleur nationale les avait toutes fondues dans un seul sentiment : toute diversité de condition et de foi avaient disparu : les membres du Consistoire Israélite prirent part à l’enterrement avec l’Archevêque de Varsovie, en leurs vêtements sacrées, et les jours suivants le Consistoire se rendit à la Cathédrale de Varsovie, où il pria avec le peuple dans les stalles d’honneur : l’Archevêque, à ce qu’on a dit, se rendit à son tour à la Synagogue et y pria avec les Juifs : le Consistoire offrit aux catholiques un grand Christ sur la Croix et les catholiques offrirent à la Synagogue de riches objets du culte.

Je puise tous ces détails dans les souvenirs que j’ai recueillis lors d’un voyage en Pologne, que j’effectuai il y a quelques années. Le Rabbin de Varsovie fit ensuite à la Synagogue une commémoration des victimes, très-touchante, en les proposant à ses fidèles comme un haut modèle d’amour et de sacrifice à imiter, et je dois à la courtoisie de mon confrère de Varsovie, l’avocat L. Meyet, d’avoir eu le bonheur de la lire dans le volume Kazania Izaaka Kramsztyka, Kraków, 1892, dont il m’a fait cadeau ces jours-ci.

Je crois qu’un recueil de faits démontrant l’élévation de l’esprit d’Israël, lorsqu’il se trouve vis à vis d’une élévation chrétienne correspondante, serait vraiment édifiant. (Voir appendices II et III. – Pendant que le volume est sous presse j’apprends avec douleur la mort prématurée de mon confrère Meyet.)

109  Pisma, tom. III, p. 76.

110  § XLVIII.

111  Pisma, déjà cité.

112  Matth., XXIII, 23, 25, 28.

113  Matth., XXIII, 13.

114  Matth., XI, 12.

115  Exod., XX, 7.

116  Condamné à la Sibérie comme insurgé, il n’eut d’autre aspiration pendant son exil que de revoir sa chère mère. Après de longues années et des démarches incessantes, il obtint la grâce du Czar, mais, aussitôt après avoir touché la terre natale et embrassé sa mère, l’état de sa santé empira rapidement et il mourut (18 juin 1857). (A. B.)

117  Exod., XX, 2, 3.

118  Exod., XX, 2, 3.

119  Exod., XX, 5.

120  C’est-à-dire l’invisible puissance du mal.

121  Luc, XII, 49.

122  Page 10.

123  Pisma, tom. II, p. 300 (le titre de l’écrit est : Wyjatki z odpowiedzi pewnemu Israelicie nawróconemu (Extraits d’une réponse à un Israélite converti.)

124  Voir ci-dessus aux §§ XII, XIX, XXII, XXX.

125  Ces paroles d’Armand Lévy sont une partie de la préface à cette traduction. – Paris, Librairie du Luxembourg, 1881.

126  Les restes mortels de Mickiewicz ont été transférés plus tard à Cracovie, dans le Panthéon de la Pologne, la Cathédrale de Wawel, à côté des tombeaux des rois et de Kosciuszko. (A. B.)

127  Le plus grand historien moderne de la Pologne. (A. B.)

 

 

 

 

 

 

 

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