Notice sur le livre d’Énoch 

retrouvé en Abyssinie,

et traduction des premiers chapitres

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

A. BONNETTY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notice sur Énoch. – Ce qu’en disent les historiens sacrés, les Orientaux et les Pères. – Découverte de son livre. – Ses traducteurs. – Historique de sa découverte par M. de Sacy. – Woide. – Bruce. – Ludolph. – Traduction des premiers chapitres.

 

 

Nous avons parlé plusieurs fois du livre d’Énoch, que S. Jude et les anciens Pères ont souvent cité, que l’on croyait perdu, et que MM. Bruce et Ruppell ont retrouvé en Abyssinie et rapporté en Europe ; c’est là que l’on voit écrit que les anges s’unirent aux filles des hommes et procréèrent des géants. L’usage qu’a fait M. de Lamartine de cette fable nous a rappelé le livre d’Énoch, que nous allons faire connaître à nos lecteurs.

C’est au savant et regrettable M. Silvestre de Sacy que nous emprunterons la notice du livre, et c’est d’après la traduction latine qu’il a donnée des premiers chapitres que nous ferons notre traduction française. Mais auparavant, nous croyons devoir donner quelques renseignements sur Énoch lui-même.

Énoch, d’après la Genèse, était fils de Jared et père de Mathusalem. Il naquit l’an du monde 622 (3378 avant J.-C.).

Le texte sacré, après avoir dit qu’à l’âge de 65 ans il engendra Mathusalem, ajoute qu’il marcha devant Dieu pendant trois cents ans ; et puis, sans parler de sa mort, il se sert de cette expression : il ne parut plus, parce que le Seigneur l’enleva du monde 1.

S. Paul, dans son épître aux Hébreux, explique ce passage en ces termes : « C’est par la foi qu’Énoch fut enlevé, afin qu’il ne vît point la mort ; et on ne le vit plus, parce que le Seigneur le transporta ailleurs 2. » L’Ecclésiastique dit qu’il fut transporté au paradis 3. S. Jérôme l’entend du ciel, où il dit qu’il fut ravi comme Élie en corps et en âme 4.

Les Rabbins croient qu’Énoch, ayant été transporté au ciel, fut reçu au nombre des anges, et que c’est lui qui est connu sous le nom de Métatron, ou de Michel, l’un des premiers princes du ciel, et que sa fonction est de tenir note des mérites et des péchés des Israélites 5.

Eupolème, d’après Alexandre Polyhistor 6, dit « que les Babyloniens reconnaissent Énoch, et non les Égyptiens, comme premier inventeur de l’astrologie ; qu’à la vérité les Grecs attribuaient cette invention à Atlas, mais qu’Atlas n’est autre chose qu’Énoch. »

Étienne le géographe le nomme Anacus, et assure qu’il habita la ville d’Iconium en Phrygie. Il ajoute qu’un oracle avait prédit que tout le monde périrait après la mort d’Anacus. Celui-ci étant mort, après avoir vécu plus de 300 ans, les habitants en furent si affligés et le pleurèrent si longtemps, que ce deuil était passé en proverbe, et que l’on disait pleurer Anacus pour exprimer une grande douleur. Il ajoute qu’en effet le déluge de Deucalion suivit de près sa mort.

Énoch, que les historiens musulmans appellent celui que Dieu a enlevé, a toujours été en grande faveur parmi eux. Ils lui attribuent une foule de découvertes, telles que celles de l’écriture, de la couture, de l’arithmétique et de l’astrologie. De même que les chrétiens d’Orient, ils le confondent assez souvent avec l’Orus et l’Hermès des Égyptiens.  Ils assurent que ce dernier a été roi, sacrificateur et docteur, et qu’il a ainsi mérité le surnom de Trismégiste (trois fois grand) que les Grecs lui avaient donné.

Abulfarage, dans son Abrégé des Dynasties, dit qu’il y a trois Hermès, dont le premier est Édris ou Énoch.

Une tradition musulmane, rapportée par d’Herbelot 7, cite à l’appui de cet axiome, la sagesse est préférable aux richesses, l’exemple d’Énoch et de Coré. Dieu avait accordé au premier la science et au second d’immenses richesses ; mais l’un fut enlevé au ciel et l’autre englouti par la terre.

Les Arabes attribuent à Énoch un livre d’astronomie relatif à l’étoile nommée Sirius par 1es Grecs et par les Latins : il fait partie du cabinet des manuscrits orientaux de la bibliothèque du roi.

Il est rapporté dans le Kaherman Nameh que plusieurs savants, ayant consulté tous les livres d’astronomie et d’astrologie pour tirer l’horoscope de Nériman, firent enfin apporter les ouvrages d’Énoch, non pas ceux qui lui avaient été envoyés de Dieu en qualité de prophète, mais ceux qu’il avait composés sur les sciences les plus secrètes. Ces ouvrages d’Énoch ont toujours joui d’une haute réputation chez les Orientaux. Le plus fameux de tous est assurément celui que les Éthiopiens prétendent avoir conservé.

Nos lecteurs savent que, d’après M. de Paravey, les Chinois ont fait d’Énoch leur roi Kiao-nieou ou Ty-lay (le Seigneur arrive8.

Plusieurs Père ont cité le livre d’Énoch ; S. Justin, Athénagore, S. Irénée, S. Clément d’Alexandrie, Lactance, y ont puisé la croyance que les anges s’allièrent aux filles des hommes et en eurent des enfants. Tertullien 9 parle de cet ouvrage en plusieurs endroits. Il pensait que Noé l’avait conservé dans l’arche. Mais plusieurs autres Pères, Origène 10, S. Jérôme 11, S. Augustin 12, le regardent comme apocryphe, et c’est aussi le sentiment de l’Église, comme c’était celui de la Synagogue, qui ne l’avait pas mis dans son canon.

Nous avons déjà dit que ce livre, cru longtems perdu, avait été rapporté par Bruce ; et plus récemment par M. Ruppell, de l’Abyssinie. Le manuscrit qui existait à la Bibliothèque royale copié d’abord par Woide, y fut oublié jusqu’en 1801, où M. de Sacy fit la notice et la traduction que nous allons reproduire 13. Le docteur Gessenius, professeur de l’Université de Hall, a depuis pris une copie du manuscrit de Paris, qu’il se propose de publier en éthiopien et en latin ; enfin le docteur Richard Laurence, professeur d’hébreu à l’Université d’Oxford, en a publié une traduction anglaise, en 1821 14. Comme nous voulons donner une idée suffisante de l’ouvrage, et que nous croyons devoir pour cela, non l’analyser, mais le reproduire dans quelques-unes de ses parties, nous allons, 1o citer la notice que M. de Sacy a composée sur le manuscrit même ; 2o traduire en français les chapitres qu’il a traduits en latin, et dans l’un desquels se trouve le passage de S. Jude.

M. de Sacy commence pal parler de l’édition des lettres de Michaëlis, que M. Buhle, professeur à l’Université de Goettingue, publia en cette ville de 1794 à 1796, et de la plupart des savants, avec lesquels il entretenait correspondance. Parmi ces derniers se trouve une lettre, de M. Woide, qui parle du livre d’Énoch. M. de Sacy en prend occasion de faire connaître Woide, et de faire l’historique de la connaissance du livre d’Énoch en Europe. Voici un extrait de cet article :

« Charles Godefroy Woide, connu par ses travaux sur la langue et les livres coptes, et à qui nous devons l’édition du dictionnaire et de la grammaire de cette langue, publiés à Oxford en 1775 et 1778, vint à Paris à la fin de 1773 pour examiner les manuscrits coptes et surtout, les manuscrits en dialecte du Saïd, qui se trouvaient dans cette ville. Dans deux lettres écrites à Michaëlis et datées l’une de Paris, le 30 janvier 1774, l’autre de Londres, le 8 avril suivant, après son retour de Paris, il lui rend compte de ses recherches littéraires et des manuscrits qu’il a trouvés tant dans la bibliothèque du roi que dans celle de S.-Germain-des-Prés. Je remarque en passant que cette dernière était riche en manuscrits coptes et en possédait plus de vingt, quoique M. Woide dans ses lettres n’en cite que deux, dont l’un contient Daniel et les petits Prophètes, et l’autre un Office de la semaine sainte. Le voyage de M. Woide avait encore un autre objet.

« Le chevalier Bruce, revenu tout récemment de l’Abyssinie, en avait rapporté trois exemplaires du livre d’Énoch. Il en avait offert un au roi de France, et les deux autres, destinés pour sa patrie, n’y étaient point encore parvenus. L’empressement des savants d’Angleterre pour connaître ce livre si fameux dans l’antiquité fut vraisemblablement un des motifs qui déterminèrent le voyage de Woide ; du moins est-ce ce que dit le chevalier Bruce dans la relation de son voyage. « Je me rappelle, dit-il, que quand  on sut en Angleterre que j’avais donné ce livre à la bibliothèque du roi de France, nos savants compatriotes ne me donnèrent pas le temps d’arriver à Londres, où ils auraient pu tout à loisir parcourir une autre copie de ce livre ; mais le docteur Woide partit pour Paris, muni de lettres du secrétaire d’État pour lord Stormont, ambassadeur à la cour de France, dans lesquelles on le priait d’aider le docteur à se procurer l’examen du présent que j’avais fait à S. M. le Roi. M. Woide obtint facilement ce qu’il demandait, et une traduction de l’ouvrage fut rapportée à Londres. Mais je ne sais pas pourquoi elle n’a point encore été publiée ; j’imagine que la conduite des géants n’a pas plus contenté le docteur Woide que moi 15. » On verra par la suite de cette notice à quoi M. Bruce fait ici allusion. M. Bruce se trompe vraisemblablement lorsqu’il dit que Woide remporta en Angleterre une traduction du livre d’Énoch. Il y a lieu de croire qu’il se contenta d’en emporter une copie.

« Dans la première de ses lettres à Michaëlis, Woide s’exprime ainsi : « Vous aurez reçu de moi, par Londres, une petite notice du livre d’Énoch. Je crois que ce manuscrit contient effectivement le livre apocryphe dont les Pères ont parlé. Celse s’est beaucoup arrêté sur ce livre ; et on trouve dans celui-ci des passages pareils à ceux qu’il alléguait. On y trouve aussi ces mots : Voici que le Seigneur vient avec ses myriades pour exercer son jugement, etc. Il y a dans cet ouvrage beaucoup de mots qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire de Ludolf : néanmoins, j’entends tout ce qu’il y a d’essentiel. Il faudra que j’examine de plus près ce livre à Londres. Je me suis contenté pour le moment d’en donner une courte notice à M. Capperonnier... Il présume presque que quelques étrangers copieront cette notice à la bibliothèque, et lui donneront plus de publicité. Elle a été faite à la hâte. »

« Dans la seconde lettre, Woide donne quelques détails sur le matériel du manuscrit, et il joint à sa lettre la copie de la notice du livre d’Énoch, qu’il avait faite lui-même, et celle d’un petit mémoire sur le même livre, que le chevalier Bruce avait présenté au roi avec le manuscrit.

« Il y joint pareillement une notice des manuscrits coptes et saïdiques qu’il avait examinés à Paris, et à la fin de cette notice il dit : « M. de Guignes et l’abbé Barthélemy, que j’estime tous les deux beaucoup, souhaitent que l’on cherche la liaison qui doit se trouver entre l’égyptien et l’éthiopien : j’y ai donc donné un coup d’oeil. On a quelques manuscrits éthiopiens à la bibliothèque du roi, mais plusieurs à celle de S.-Germain-des-Prés. Le temps ne m’a permis que d’en copier un seul, le fameux livre d’Énoch, dont M. Bruce a fait présent au roi de France 16. » Il est bien surprenant que M. Woide, s’il s’était tant soit peu appliqué précédemment à l’étude de l’éthiopien, n’ait pas répondu qu’on ne remarquait aucune analogie entre ces deux langues.

« Dans le mémoire da chevalier Bruce, je remarque plusieurs inexactitudes que je passe sous silence, parce qu’on peut les réformer en consultant la Vie de Peiresc, l’Histoire d’Éthiopie de Ludolf avec le commentaire du même auteur, les passages des anciens auteurs ecclésiastiques, rapportés par Fabricius et d’autres écrivains exacts qui ont parlé de ce livre. Mais je remarquerai que Bruce y suppose, je ne sais sur quel fondement, que le livre d’Énoch, cité dans l’Épître de S. Jude, est différent de celui trouvé en Abyssinie. Cela est d’autant plus singulier que l’on ne trouve rien de semblable dans la relation de son voyage, dans laquelle il en parle en général d’une manière plus exacte. M. Bruce ajoute que les Juifs même d’Abyssinie regardent ce livre comme canonique. J’ai peine à me persuader que les Juifs admettent en quelque lieu que ce soit, dans le canon des Écritures, un livre qu’ils ne possèdent point écrit en hébreu. Quoi qu’il en soit, revenons à M. Woide.

« La notice qu’il avait remise au garde de la bibliothèque, et donc il envoyait une copie à Michaëlis, se trouve encore aujourd’hui avec le mémoire du chevalier Bruce, dans notre manuscrit du livre d’Énoch. Je l’avais lue, il y a longtemps, sans savoir avec certitude quel en était l’auteur, attendu qu’elle n’est pas signée, et elle avait fait naître en moi des soupçons qu’un examen plus attentif a changés en certitude... »

M. de Sacy critique ici quelques passages de la traduction de Woide, puis il continue :

« Pour ne point donner à ce morceau plus d’étendue qu’il ne convient, je me bornerai à rappeler que Peiresc, ayant appris par un missionnaire capucin, le P. Gilles de Loche, que les Abyssiniens possédaient un livre sous le nom de livre d’Énoch, et qu’ils le mettaient dans le canon des livres saints, ne négligea rien pour se le procurer ; qu’il obtint effectivement un livre éthiopien qu’on fit passer pour être celui qu’il désirait 17 ; que Ludolf, le père de la littérature éthiopienne, s’étant d’abord procuré une copie du commencement de ce livre, et ayant ensuite fait le voyage de Paris pour le voir par lui-même, à une époque où il avait successivement passé de la bibliothèque de Peiresc dans celle du cardinal Mazarin et dans celle du roi, reconnut l’imposture, et convainquit tous les gens de lettres que ce livre, rempli de contes absurdes, ne portait pas même le nom d’Énoch, et qu’il contenait les visions d’un moine nommé Abba Behaila Michaël. Ludolf poussa cependant les conséquences trop loin, en niant l’existence d’un livre d’Énoch chez les Abyssins 18 ; ce qui prouve seulement que le moine abyssin Grégoire, de qui il avait reçu tant de lumières sur tout ce qui concerne l’Abyssinie, ne lui avait point parlé de ce livre, comme le chevalier Bruce le dit, je ne sais sur quel fondement, dans son mémoire imprimé avec les lettres de Woide. Peut-être Grégoire, qui ne pouvait ignorer que les Abyssins comptaient le livre d’Énoch au nombre des livres de l’Écriture, ne voulut-il pas en faire l’aveu à Ludolf.

« L’opinion de Ludolf devait être adoptée par tous les savants, elle le fut, et on ne pensa plus au livre d’Énoch.

« Cependant le voyage du chevalier Bruce a justifié pleinement l’assertion du P. Gilles de Loches, qui avait excité les recherches de Peiresc.

« À mon arrivée en Abyssinie, dit-il dans le mémoire déjà cité, en 1769, je trouvai le livre d’Énoch dans le canon de l’Écriture Sainte, placé immédiatement après le livre de Job 19. » Outre l’exemplaire que nous avons, M. Bruce en a rapporté deux autres ; l’un se trouve dans le corps des livres, de l’Écriture en langue éthiopienne qu’il a porté avec lui en Angleterre ; il suit, dit M. Bruce, immédiatement le livre de Job, suivant l’ordre établi par l’église d’Abyssinie. Ce voyageur a fait remettre le troisième à la bibliothèque d’Oxford par le docteur Douglas, évêque de Carlisle.

« Je transcrirai ici le jugement que le chevalier Bruce porte de ce livre dans la relation de son voyage.

« Tout ce qu’il y a d’important à dire sur ce livre d’Énoch (ce sont ses propres paroles), c’est que c’est un livre gnostique, contenant l’âge des Émims, des Anakims et des Égrégores, qui sont appelés les enfants de Dieu, qui conçurent de l’amour pour les filles des hommes et qui en eurent des fils qui étaient des géants. Ces géants..... commencèrent à dévorer tous les animaux terrestres ; ensuite ils se jetèrent sur les oiseaux et les poissons, qu’ils avalèrent aussi. Leur faim n’étant point satisfaite, ils consommèrent tout le grain, toutes les récoltes que les hommes avaient préparées, puis tous les arbres, tous les buissons ; enfin ils tombèrent sur les hommes eux-mêmes pour les manger..... À la fin les hommes se plaignirent à Dieu de la voracité de ces injustes géants, et Dieu envoya un déluge qui noya les géants et les hommes.... Je crois que ceci remplit les quatre ou cinq premiers chapitres. Ce n’est pas un quart de l’ouvrage, mais ma curiosité ne me conduisit pas plus loin. La catastrophe des géants et l’équité qui avait accompagné cette catastrophe m’avaient pleinement satisfait. »

« Dans son mémoire, il dit que ce livre, quant à ce qu’il contient, ressemble fort à l’Apocalypse ; qu’il est écrit en pure langue éthiopienne ou ghéez ; qu’il ne s’y trouve pas d’un bout à l’autre un seul mot ambarique (ce qu’il tenait sans doute de quelque Abyssin, n’ayant lu lui-même que les premiers chapitres), en un mot que c’est le livre le plus classique des Abyssins.

« Voyons aussi le jugement que Woide a porté de ce livre, quoiqu’il n’en ait eu certainement qu’une connaissance bien imparfaite.

« Les Abyssins, dit-il, prennent ce livre pour un monument antédiluvien et pour canonique : c’est trop ; mais il est très probable que c’est le même livre d’Énoch qui a été cité par les Pères de l’Église comme un livre apocryphe. Je n’en puis pas développer toutes les preuves, mais il suffit d’en alléguer quelques-unes.

« Dans le livre d’Énoch que les Pères connaissaient, il est dit qu’Énoch avait appris des anges tout ce qu’il savait. Ici, au commencement du premier chapitre, il est dit que les anges ont montré à Énoch tout ce qu’il a vu, et qu’il a entendu des anges tout ce qu’il disait. Celse, en son temps, prit occasion du livre d’Énoch pour faire des reproches à la religion chrétienne ; dans ce manuscrit, il y a des passages et plusieurs visions que l’on ne pourrait justifier qu’en disant ce qu’Origène répondait à Celse : Ce livre n’est pas dans le canon.

« Il parle beaucoup des anges, d’Uriel, de Gabriel et des autres : il parle des divisions des jours et des temps, ce qui se trouvait aussi dans le livre apocryphe d’Énoch, que les Pères avaient.

« J’ignore encore si tous les passages que les Pères ont cités du livre d’Énoch se trouvent dans le manuscrit mot à mot ; mais on y trouve une imitation assez exacte du passage de l’épître de S. Jude. »

« Les lecteurs ne seront pas fâchés sans doute que je leur donne quelques échantillons de ce livre fameux. En les comparant avec les passages que les anciens ont cités du livre d’Énoch, ils se convaincront que ce livre est indubitablement le même que nous possédons aujourd’hui, et ils jugeront de l’opinion que l’on doit en avoir. Les morceaux que je donnerai sont tous tirés des douze premiers feuillets du manuscrit : je les ai traduits, il y a plusieurs années, et je n’ai pas eu le courage de pousser plus loin un travail aussi dégoûtant que pénible par la multitude des fautes dont fourmille le manuscrit. Je me suis quelquefois aidé des passages rapportés en grec par les anciens écrivains ecclésiastiques, pour corriger les fautes du copiste éthiopien ; dans d’autres endroits j’ai eu recours à des conjectures. Certains passages ont été traduits mot à mot, sans qu’il en résulte aucun sens satisfaisant ; et c’est principalement pour cette raison et afin de pouvoir rendre le texte plus littéralement que je donne ma traduction en latin. Je donne cette traduction telle qu’elle est, mes autres occupations ne me permettant pas en ce moment de la pousser plus loin. On jugera peut-être, après avoir lu ces extraits, que l’ouvrage ne vaut pas la peine que l’on s’occupe de le traduire. Je ne pense pas absolument de même. L’antiquité de cet ouvrage, l’usage qu’en ont fait des écrivains respectables, l’autorité dont il a joui, les discussions auxquelles il a donné lieu, sont un motif assez puissant pour que le public éclairé en accueille avec reconnaissance une traduction complète, et même pour faire désirer l’édition du texte éthiopien, accompagné d’une version et de notes critiques. Ce n’est qu’en le lisant et en l’examinant en entier qu’on pourra former des conjectures solides sur la langue dans laquelle il a été originairement écrit, sur l’époque à laquelle il appartient, sur ses auteurs et les écrivains plus anciens qu’ils ont copiés ou imités.

« J’ai lu quelque part, ou seulement ouï dire, qu’il avait été traduit en Angleterre par M. Wilkins, le même je pense auquel nous devons la traduction du Bhaguat-Geeta et du Heetopades ; mais je n’ai pas connaissance qu’il en ait été rien publié et je ne sais même si le fait est vrai. »

 

Voici maintenant la traduction du texte latin de M. de Sacy. On a vu qu’il s’excuse de ne l’avoir pas traduit en français, par la difficulté de se tenir assez près du texte en cette langue. Nous avons donc besoin de nous excuser pour avoir tenté ce que M. de Sacy n’avait pas cru devoir faire. Nous avons tâché de traduire le latin le plus littéralement possible, pour donner une idée plus juste du texte même 20.

 

 

 

 

 

LE LIVRE DE LA VISION D’ÉNOCH.

 

 

Paroles d’Énoch. – Prophétie du déluge. – Science des anges. – Complot des anges pour épouser les filles des hommes. – Naissance des géants. – Les anges enseignent le mal. – Détresse des hommes. – Plaintes adressées au ciel. – Les bons anges intercèdent pour les hommes. – Jugement porté sur les mauvais anges. – Énoch leur signifie leur jugement. – Ils le supplient d’intercéder pour eux. – Sa supplique à Dieu. – Vision du ciel. – La prière des anges est rejetée. – L’âme d’Abel. – L’arbre de la science du bien et du mal.

 

 

CHAP. Ier 21. – Livre de la bénédiction d’Énoch ; comment il bénit les élus et les justes qui seront dans le jour de l’affliction, lorsque tout méchant et tout impie sera expulsé. Voici comment parla Énoch, homme juste, qui (vient) du Seigneur, au temps où ses yeux furent ouverts, et où il vit la vision du Saint qui est dans le ciel, que les anges me montrèrent ; et j’appris d’eux toutes choses ; et je connais ce que je vis ; et cela ne doit point arriver dans cette génération, à cause des élus, mais dans la génération future des (hommes) fort séparés (de Dieu).

C’est pour eux que j’ai parlé avec le Saint et le Grand qui sortira 22 de son tabernacle, le Dieu du monde. Il marchera sur le mont Sina, et on le verra dans sa tente, et il sera manifesté par la vertu de sa puissance du haut du ciel. Et tous les hommes seront frappés d’effroi ; et les Vigilants 23 en seront émus, la crainte et l’effroi s’empareront d’eux sur toute la terre ; et les hautes montagnes seront ébranlées, les collines élevées seront abaissées ; et elles se dissoudront 24 comme un rayon de miel exposé au soleil ; la terre sera submergée, et tout ce qui l’habite périra ; et il y aura jugement sur tous, et sur les justes.

Quant aux justes, il leur donnera la paix ; il conservera ses élus ; sa clémence s’étendra sur eux ; ils seront tous de Dieu 25 ; et ils seront dans le bonheur et la bénédiction ; car la splendeur de Dieu reluira sur eux.

Il viendra avec des myriades de saints, pour juger tous les hommes, perdre tous les impies, et pour convaincre tous les (hommes) de chair et tous les pécheurs et les impies, de toutes les œuvres d’iniquités qu’ils ont commises, et opérées contre lui 26.

CH. II, fol. 3, verso. – Tous ceux qui sont dans les cieux connaissent les œuvres qui s’y font ; comment les luminaires qui y sont attachés ne changent pas leurs voies ; comment chacun d’eux se lève et se couche régulièrement, chacun en son temps, et ne s’écarte en rien du commandement qui lui a été prescrit. Ils voient la terre, et ils comprennent les lois qui la dirigent et la dirigeront jusqu’à la fin ; comment elle ne change en rien son oeuvre devant Dieu, quand elle paraît (c’est-à-dire quand le temps de se montrer est venu, à chaque époque de l’année, à celle de la germinaison, de la floraison, etc.) ; ils connaissent l’été et l’hiver, et comment les jours des eaux, les nuages de rosée et les pluies reposent sur toute la terre (peut-être, réparent toute la terre).

CH. III, fol. 4, verso. – Or il arriva, lorsque les fils des hommes se furent multipliés en ces jours, qu’il leur naquit des filles belles et agréables. Lee anges fils des cieux les virent, en furent épris, et se dirent entre eux : « Venez, choisissons-nous des épouses parmi les filles des hommes, et engendrons des fils. »

Alors Samyasa, qui était leur prince, leur dit : « Je crains que vous ne vouliez pas accomplir votre projet, et que je ne me trouve seul obligé de subir la peine de ce péché. »

Ils lui répondirent : « Jurons tous, et lions-nous par un mutuel anathème, que nous accomplirons notre résolution. »

Ils jurèrent donc tous et se lièrent par un mutuel anathème. Ils étaient au nombre de deux cents, et ils descendirent sur l’Ardis, qui est le sommet du mont Armon. Or ils l’appelèrent de ce nom, à cause du serment de l’anathème auquel ils venaient de se dévouer 27.

Voici le nom des principaux d’entre eux : Samyasa, leur chef, Ouracabarameel, Akibeel, Tamiel, Ramouel, Danyel, Azkeel, Sarakouyal, Azael, Armoris, Batraal, Ananyou, Zawebe, Samsaweel, Irtael, Touryel, Yomayael, Arazyal. C’était là le nom des chefs des deux cents anges, et tous les autres étaient avec eux 28.

CH. VII. – Ils prirent donc des épouses... Et s’étant approchés d’elles, ils leur apprirent la magie et d’autres sciences secrètes, la manière de préparer les simples et de tailler les arbres. Ces femmes donnèrent le jour à des géants dont la taille était de 300 coudées. Ces géants dévorèrent tout le fruit du travail des hommes, de telle torte que ceux-ci ne trouvèrent plus de nourriture. Les géants se tournèrent contre les hommes, ils les dévorèrent, ainsi que les oiseaux, les bêtes sauvages, les reptiles et les poissons, et finirent par se dévorer entre eux et boire leur sang.

Alors la terre porta plainte contre les Injustes.

CH. VIII. – Cependant Azazyel, un des chefs des anges, apprit aux hommes à forger des glaives, des poignards, des boucliers et des cuirasses ; il leur enseigna le moyen de voir ce qui était derrière eux (il leur montra l’art de faire des miroirs) ; avec son aide ils fabriquèrent des bracelets et d’autres ornements ; ils apprirent à se servir de fard pour parer leur visage, à ajouter de la grâce aux sourcils, à faire toutes sortes de teintures, et à tailler toutes sortes de pierres précieuses. Alors le monde fut tout changé, l’impiété s’accrut, la fornication se multiplia, tous les hommes s’abandonnèrent à l’erreur et corrompirent leurs voies.

Amazarak instruisit les magiciens et ceux qui préparent les simples.

Armaros apprit à rompre les charmes ; Barkayal à observer les astres (pour y lire l’avenir) ; Kebabyel à tracer les caractères (magiques) 29 ; Tamiel l’astronomie ; Asaradyel à observer les mouvements de la lune 30.

Les hommes, voyant leur perte assurée, poussèrent des gémissements et leur voix parvint jusqu’au ciel.

CH. IX. – Alors Michael, Gabryel, Rafael, Souryan et Ouryan regardèrent du haut du ciel, et virent des fleuves de sang qui coulaient sur la terre, et toutes les iniquités dont elle était couverte, et se dirent entr’eux : « Les cris de la terre sont parvenus jusqu’à la porte du ciel, et maintenant, ô saints des cieux, les âmes des hommes se plaignent vers vous, disant : Faites-nous rendre justice auprès du Très-Haut. »

Et les anges dirent au Seigneur leur roi :

« Vous êtes le Seigneur des seigneurs, le Dieu des dieux, le Roi des rois ; le trône de votre gloire est dans toute la génération du siècle, et votre nom est haut et glorieux dans toutes les générations du siècle. Vous, Bénit et Glorieux, avez fait toute chose, votre pouvoir s’étend sur toute chose, et tout est ouvert et manifeste devant vous ; vous voyez toute chose, et rien ne peut se cacher à vos regards ; vous avez vu ce qu’a fait Azazyel, comment il a enseigné toute iniquité sur la terre, et comment il a mis à découvert tous les secrets du monde qui sont dans les cieux. Samyasa, à qui vous avez donné le droit de commander à ceux qui sont avec lui, leur a appris le secret de la magie ; ils se sont choisi des femmes parmi les filles des hommes, ils se sont souillés avec elles, et ils leur ont appris tous les péchés. Ces femmes ont enfanté des géants, et c’est par là que la terre a été couverte de sang et de crimes.

« Et maintenant voilà que les âmes de ceux qui ont péri crient, et leurs plaintes se sont élevées jusqu’aux portes du ciel, et leurs gémissements redoublent, et ne peuvent cesser 31, en vue de l’injustice qui a lieu sur la terre. Vous connaissez toutes choses avant qu’elles arrivent et vous ne nous dites rien. Que faut-il que nous fassions dans cette circonstance ?

CH. X. – Alors le Haut, Grand et Saint, parla et envoya Arsayalalyor au fils de Lamech (à Noé) avec ces paroles :

« Dis-lui en mon nom : « Couvre ta tête » ; et alors annonce-lui la fin qui doit arriver. Toute la terre périra ; les eaux du déluge se répandront sur toute la terre, et tout ce qui est en elle périra. Et puis annonce-lui comment il pourra se sauver et comment sa race s’établira sur toute la terre. »

Le Seigneur dit encore à Raphael :

« Attache les mains et les pieds à Azaziel, et lance-le dans les ténèbres. Ouvre le désert qui est dans Dondael, jette-le en cet endroit ; jette sur lui des cailloux aigus et raboteux ; couvre-le de ténèbres, il y demeurera jusqu’au siècle ; cache sa face, afin qu’il ne voie pas la lumière ; il sera au jour du grand jugement pour être envoyé dans le feu.

« Purifie la terre que les anges ont corrompue ; annonce-lui la vie ; afin que les hommes ne périssent pas à cause des mystères que les Vigilants ont dévoilés, et dont ils ont instruit leurs fils ; toute la terre a été corrompue par les œuvres de la science 32 d’Azaziel ; mets sur son compte tout ce péché. »

Puis le Seigneur dit à Ga33briel :

« Va vers les trompeurs et vers les réprouvés, et vers les fils de fornication, et fais disparaître les fils de fornication, les fils des vigilants du milieu des hommes. Qu’ils sortent et qu’ils combattent les uns contre les autres ; qu’ils périssent massacrés ; l’éternité des jours ne luira point pour eux ; ils t’adresseront leurs prières 34, mais pour eux, on n’accordera pas même à leurs pères, qui espèrent la vie éternelle, au lieu de la vie éternelle, chacun 500 ans. »

Puis le Seigneur dit à Michel :

« Annonce à Samyasa et à ses compagnons, qui se sont unis avec des femmes pour se plonger avec elles dans toutes les impuretés : lorsqu’ils auront vu tous leurs fils égorgés, et ceux qu’ils aiment dévoués à la perdition, attache-les pour 70 générations sous les collines de la terre, jusqu’au jour de leur jugement et de leur perte, jusqu’à ce que le jugement qui est pour les siècles des siècles soit consommé.

« En ces jours ils seront conduits aux lieux les plus profonds du feu, pour y être tourmentés et enfermés pour les siècles des siècles.

« Et Samyasa et ses compagnons seront consumés par le feu et périront jusqu’à la consommation des générations.

« Fais périr toute âme livrée à la joie, et tous les fils des vigilants qui ont opprimé les hommes. Que tout oppresseur disparaisse de la surface de la terre, que toute oeuvre mauvaise soit détruite, que la plante de la justice et de la droiture apparaisse, et que le fruit de justice et de droiture soit en bénédiction.

« Elles seront plantées dans le siècle avec délices.

« Et alors tous les saints confesseront (mon nom) et ils seront remplis de vie, jusqu’à ce qu’ils aient engendré mille (fils) ; et les jours de leur jeunesse et de leurs fêtes se passeront en paix.

« En ces jours tous les ouvrages de la terre seront faits en justice ; elle sera toute couverte d’arbres et remplie de bénédiction. Tout arbre de délice et de joie sera planté dans son sein ; la vigne y sera semée, et cette vigne produira des fruits à satiété. Toute semence confiée à la terre produira mille mesures pour une ; et une mesure d’olives 35 produira dix mesures d’huile.

« Ainsi donc purifie la terre de toute oppression, de toute injustice, de tout péché, de toute impiété, de toute souillure ; fais-les disparaître de la terre ; et tous les hommes seront justes, et ils me reconnaîtront pour leur Dieu, et béniront mon nom ; ils m’adoreront tous, et la terre sera purifiée de toute corruption, de tout péché, de tout châtiment, de toute douleur, et je ne leur enverrai plus de déluge à jamais dans toutes les générations. »

CH. XI. – « En ces jours j’ouvrirai les trésors de bénédiction qui sont dans le ciel, et je les répandrai sur la terre et sur les œuvres et sur les travaux des hommes. La paix et l’équité seront les compagnes des fils des hommes dans tous les jours et dans toutes les générations. »

CH. X, sec. III. – Mais avant toutes ces choses, Énoch avait été caché, et aucun homme ne savait ce qu’il était devenu ni où il était, et toute sa vie s’était passée avec les saints et les vigilants. Moi, Énoch, je bénissais le Seigneur, Grand et Roi du siècle, et les Vigilants m’appelaient Énoch le scribe, et le Seigneur me dit :

« Énoch, scribe de justice, va, et annonce aux vigilants du ciel qui l’ont abandonné, ainsi que la demeure sainte qui est pour les siècles, qui se sont souillés avec des femmes, et ont fait comme les filles des hommes, se sont choisi des épouses, et se sont livrés sur la terre à toutes sortes de corruption, que jamais sur la terre ils n’auront ni paix, ni rémission pour leurs péchés, car ils ne se réjouiront point dans leurs fils ; ils verront le massacre de tous ceux qui leur étaient chers ; ils gémiront sur la perte  de leurs fils, ils feront entendre leurs prières, et on ne leur accordera ni miséricorde ni paix. »

CH. XIII. – Énoch donc dit à Azazyel :

« Tu n’auras point de paix ; un jugement solennel a été prononcé contre toi, il t’enveloppera ; il n’y aura pour toi ni rémission, ni prière, ni miséricorde, parce que tu as enseigné l’oppression, et à cause de toutes les œuvres de blasphème, d’oppression et de péché que tu as enseignées aux hommes. »

Alors me dirigeant vers eux, je leur dis ces paroles à tous, et ils furent tous saisis de crainte, et ils me prièrent de dresser le mémorial de leur demande, d’écrire en leur faveur pour que miséricorde leur fût faite, et de faire parvenir le mémorial de leur prière au Seigneur du ciel, parce qu’il ne leur était plus permis de parler, ni même de lever les yeux vers le ciel, à cause de la confusion qui les couvrait, pour le péché dont ils avaient été reconnus coupables.

Alors j’écrivis le mémorial de leur prière et de leur supplication, c’est-à-dire la demande de la paix et du repos pour leur esprit et pour chacune de leurs œuvres.

Et m’avançant, je m’arrêtai auprès des eaux de Dan, Dan qui est à droite du couchant d’Hermon, lisant le mémorial de leur prière, jusqu’à ce que je m’endormis.

Et voilà que dans mon sommeil, des visions se présentèrent à moi : je tombai (le visage coutre terre), et je vis la vision de la plaie, pour que je la racontasse aux fils des cieux, et que je leur adressasse des paroles de reproche.

M’étant éveillé, je vins à eux : ils s’étaient tous assemblés, livrés à la plus profonde tristesse et la face couverte, à Oubilsalayel, lieu situé entre le Liban et Seneser. Je leur racontai toutes les visions que j’avais eues, et tout ce que j’avais appris dans mon sommeil. Je commençai donc à adresser ces paroles de justice et de reproche aux vigilants du ciel.

CH. XIV. – « Voici le livre des discours de justice, et les reproches à adresser aux vigilants qui appartiennent aux siècles, selon que me l’a prescrit le Saint et le Grand dans cette vision.

J’ai vu dans mon sommeil que je parlais en mon esprit et avec ma langue et ma poitrine de chair, que le Haut a données aux hommes pour qu’ils pussent converser avec lui et le comprendre. De même qu’il a créé les hommes pour qu’ils comprissent les paroles de l’intelligence, ainsi il m’a donné d’instruire et de blâmer par mes paroles les Vigilants fils du ciel.

J’ai écrit votre demande, et dans ma vision il m’a paru que ce que vous demandez ne vous sera jamais accordé dans les jours des siècles ; le jugement a été confirmé sur vous : votre demande ne vous sera pas accordée ; dès ce jour, vous ne monterez plus au ciel, et il a donné ordre à la terre afin que vous soyez liés dans tous les siècles des siècles.

Mais, auparavant, vous verrez la mort de vos fils chéris ; vous ne pourrez en jouir ; ils tomberont devant vous, frappés du glaive, et votre prière ne servira ni pour eux ni pour vous : vos gémissements et vos supplications ne seront pas exaucés. Telles sont les paroles du livre que j’ai écrit.

Mais voici la vision qui m’est apparue : Les nuées me tenaient embrassé, et un nuage plus léger me poussait ; le cours des étoiles et la lueur des éclairs me pressaient en avant, tandis que les esprits 36 m’emportaient dans leur vol, tout tremblant : ils me transportaient en haut dans le ciel, jusqu’au pied d’un mur, bâti de pierres de grêle (de cristal), et entouré d’une langue de feu ; mes craintes augmentèrent ; cependant, je traverse la langue de feu, et je m’approche d’un grand palais qui était bâti de pierres de grêle ; les lambris et le sol étaient de pierres de glace aussi ; le toit était formé d’étoiles errantes et d’éclairs, entre lesquels on voyait des chérubins 37 de feu 38 ; autour des murs brillait un feu ardent, et la porte en était enflammée.

J’entrai dans cette demeure, qui était brûlante comme le feu et froide comme la glace ; on n’y peut goûter aucune douceur ni aucune vie. La crainte s’empara de moi ; ému et tremblant, je tombai la face contre terre.

Je vis alors en vision un palais beaucoup plus vaste, dont toutes les portes étaient ouvertes devant moi, et qui était bâti au milieu d’une flamme vibrante. Tout s’y trouvait en abondance, gloire, magnificence, grandeur, à un point qu’il est impossible de dire. Le sol est de feu ; les étoiles et les éclairs l’entourent, et le toit est aussi de feu.

Au milieu, je vis un trône élevé, semblable aux charbons ardents, et plus éclatant que le soleil. On entendait les voix des chérubins, et des fleuves de flamme s’échappaient de ce trône, sur lequel les regards ne peuvent se fixer.

Le Grand y siégeait dans sa gloire ; son manteau brillait plus que le soleil, et était plus blanc que la neige, et aucun ange ne pouvait entrer et arrêter ses yeux sur sa face, la face du Magnifique et du Rempli de gloire. Aucun oeil charnel ne pouvait le voir. Des fournaises de feu empêchaient qu’on n’approchât du lieu où le Grand se tenait sur son trône, ayant un feu allumé devant lui ; aucun de ceux qui étaient autour de lui ne pouvaient l’approcher ; des myriades de myriades (d’anges) étaient devant lui.... Les saints qui l’entouraient ne s’éloignaient ni le jour ni la nuit.

Il me fut donné de m’approcher jusqu’à lui, la face couverte d’un voile, et tremblant de frayeur.

Le Seigneur m’appela et me dit : « Approche, Énoch, et sois attentif à ma voix. » Et il m’enleva et me fit arriver jusqu’à sa porte : mon visage était détourné vers la terre.

CH. XV. – Et m’adressant la parole, il me dit : « Écoute, ne crains rien, Énoch, homme juste, et scribe de justice ; approche avec confiance, et sois attentif à ma voix. Va et dis aux vigilants qui t’ont envoyé pour intercéder pour eux : c’était à vous à prier pour les hommes, et non aux hommes à prier pour vous. Pourquoi avez-vous abandonné le Ciel élevé et saint, qui est depuis les siècles, et pourquoi vous êtes-vous souillés avec les femmes, filles des hommes ? Pourquoi avez-vous pris des épouses, comme le font les fils de la terre, pour en avoir des fils qui sont devenus des géants ?

« Vous, spirituels, saints, vivant de la vie des siècles, vous vous êtes souillés avec les femmes, et vous avez commis les mêmes souillures, les mêmes crimes que les hommes, qui sont chair et sang. Eux sont mortels, et c’est pour cela que je leur ai donné des femmes, afin qu’ils en aient des enfants, sur toute la terre. Mais vous, vous avez été créés, dès le commencement, spirituels, vivant de la vie des siècles, et ne devant jamais mourir ! C’est pourquoi je ne vous ai point donné d’épouses, puisque vous étiez spirituels, et habitant le ciel.

« Maintenant les géants qui sont nés de l’esprit et de la chair seront appelés les mauvais esprits sur la terre, et ils y feront leur séjour. Les mauvais esprits sont sortis de leur chair ; ils ont été créés d’en haut ; leur commencement et leur source viennent des saints vigilants.

« Ils seront l’esprit mauvais sur la terre, et on les appellera les esprits des mauvais ; les esprits du ciel habiteront le ciel ; les esprits de la terre, qui ont pris naissance sur la terre, y habiteront.

« Les esprits des géants seront comme des nuées, qui opprimeront, corrompront, tomberont, combattront, briseront tout sur la terre, et la couvriront de deuil. Ils ne pourront manger du froment, et ils auront soif ; ils se tiendront cachés, et les esprits ne s’élèveront pas 39 contre les fils des hommes et contre les femmes, parce qu’ils viennent (d’eux) 40.

CH. XVI. 41 – « Ils périront tous jusqu’au jour du grand jugement qui sera consommé sur les vigilants et les impies. Maintenant, va dire aux vigilants qui t’ont envoyé pour intercéder pour eux, créés depuis le commencement :

« Vous avez été dans le ciel, mais ses secrets ne vous seront plus dévoilés ; vous avez connu de vils mystères, et dans la perversité de votre cœur, vous l’avez révélé aux femmes, et c’est par ces mystères que les hommes et les femmes ont commis toutes sortes de maux sur ta terre. – Dis-leur : c’est pour cela qu’il n’y aura pas de paix pour vous. »

SECT. V, CH. XII ou plutôt XXII…….! Je vis les âmes des fils des hommes qui étaient morts, et leur voix arrivait jusqu’au ciel en forme de plainte. Alors m’adressant à l’ange Raphaël, qui était avec moi, je lui dis : « Quelle est cette âme dont j’entends la voix et qui se plaint ? » – Il me répondit : « C’est l’âme qui sortit d’Abel quand son frère Caïn le tua, et elle se plaint de lui jusqu’à ce que sa race soit effacée de la terre, et périsse du milieu des hommes.... »

CH. XVII ou plutôt XXXI. – Après cela je tournai mes yeux vers l’aquilon, et je les fixai sur les montagnes. Je vis sept monts couverts de nard, de purs aromates, d’arbres odoriférants, de cinnamomon et de papyrus. De là, je regardai par-dessus les sommités des monts qui sont au loin vers l’orient, et je passai au-dessus de la mer Érythrée 42, fort loin au-delà, et je dépassai l’ange Zetiel ; j’arrivai dans le jardin de la Justice, et je distinguai dans les forêts qui y étaient plantées de grands et beaux arbres, admirables à la vue, et dont le parfum d’agréable odeur se répandait au loin.

Il y avait l’arbre de la science, dont le fruit donne une grande science à celui qui le mange. Cet arbre est semblable à une fève grecque (faba Graecae43, et son fruit, excellent au goût, ressemble à une grappe de vigne. Le parfum qui sortait de cet arbre se répandait au loin, et je m’écriai : « Oh ! le bel arbre, et combien, sa vue est agréable ! » L’ange Raphaël, qui était avec moi, me dit : C’est l’arbre de la science, dont voulurent manger ton vieux père et ta mère l’hébraïque 44, qui t’ont précédé. Ils connurent la science ; leurs yeux furent ouverts, ils surent qu’ils étaient nus ; et ils furent chassés du jardin. »

 

C’est ici que finit la traduction de M. de Sacy. Nous formons des vœux pour que quelques-uns de nos savants, sachant le Ghéez, et aidés des traductions qui existent, traduisent tout l’ouvrage en français.

 

 

A. BONNETTY.

 

Paru dans les Annales de philosophie chrétienne

en septembre 1838.

 

 

 



1  Genèse, ch. v, v. 18 et 19.

2  Aux Hébreux, ch. XI, v. 5.

3  Ch. XLIV. v. 16, d’après la Vulgate ; car le grec ne parle pu du paradis.

4  In Amos, ch. VIII.

5  Voir Fabricius, Codex apocryphus Vet. Test.

6  Dans Eusèbe, Préparat. évang., l. IX, ch. 17.

7  Bibliothèque orientale, au mot Moussa.

8  Voir le no 92, tom. XVI, p. 120, et le tableau III.

9  Tertullien, de Cultu foemineo, l. 1, 2 ; 11, 10. – De Idololat. ch. IV et XV. – Apologet., ch XXII.

10  Homili. XXVIII In Numer. – Contra Celsum, l. V. et ailleurs.

11  De Script. eccl. ch. IV. – In epist. ad Titum. – etc.

12  De Civit. Dei, l. XV, ch. 23, l. XVIII, ch. 38.

13  Elle fut insérée dans le Magasin encyclop., 6e année, t. 1, p. 309.

14  Nous l’examinerons d’après M. de Sacy, dans le second article.

15  Voyage en Nubie et en Abyssinie, etc. ; par J. Bruce, t. II, p. 419.

16  M. Woide s ’exprime de même dans son Mémoire sur la littérature copte, inséré dans le Journal des savants de l’année 1774, mois de juin, p. 342.

17  Gassend. vita Peiresc ad an. 1633.

18  Illud autem prorsus vanum est, quod AEgidius Lochensis capucinus, ampl. viro Peireskio de prophetia Enochi retulit, quasi illa AEthiopice adhuc exstaret in libro Mashafa Henoch, liber Enochi dicto. Hist. aethiop. l. III, c. IV.

19  Voici, d’après Bruce, les livres que l’on trouve encore en Abyssinie : 1o l’Ancien et le Nouveau Testament, en livres séparés, que l’on ne voit guère réunis, entre lesquels celui qui tient le premier rang est l’Apocalypse, qu’ils appellent la vision de Jean Abou Kalamsis, ce qui lui semble une corruption d’apocalypsis. 2o Les Actes des Apôtres, qu’ils appellent synnodos, servant de loi écrite pour le pays. 3o Le livre de Haimanout Abou, collection des ouvrages des Pères grecs, traitant ou expliquant certains articles de foi. 4o Des traductions des ouvrages de S. Athanase, de S. Bazile, de S. Jean Chrysostome et de S. Cyrille. Il est à présumer qu’il y a des discours ou des œuvres qui nous sont inconnus. 5o Le Synaxar, ou la Fleur des saints, en 4 énormes volumes in-fol. Nous recommandons cette indication aux nouveaux bollandistes. 6o L’Organon Denghel, ou Instrument musical de la vierge Marie. 7o Enfin le livre d’Énoch, dont on parle dans cet article. Voir Bruce, tom. II, p. 405. (Note du directeur).

20  M. Pichart, de la société asiatique, a traduit une partie de la traduction latine dans l’introduction du livre de l’Amitié, traduit de l’hébreu, d’Hénoch, rabbin du XIIe siècle. Mais il a visé plus à l’élégance qu’à la simple reproduction des idées et des mots, et surtout il n’a traduit que les traits principaux ; notre traduction est littérale et complète. (N. du directeur.)

21  Manuscrit, fol. 3, recto.

22  Mysla zayywatsa. Si on lisait Mysâla, on pourrait traduire parabolam (illam) quod, etc.

23  C’est le nom que M. de Sacy a traduit par vigiles, qui peut aussi signifier les éveillés, les courageux. M. Pichart l’a traduit par gardiens.

24  Yytmaschawou. Je lis yytmahawou, que le sens exige.

25  Yyscherhou. Ce mot, qui devrait être écrit par un saut (s) et on harm (H), est écrit par un schat (sch) et un haut (H). Il y a de semblables fautes d’orthographe presque à chaque ligne.

26  C’est le fameux passage cité dans l’Épître de S. Jude, v. 14 et 15 : δο λθεν χύϱιοϛ ἐν μυριάσιν άγίαιϛ (al. άγίαιϛ ἀγγέλων vel άγίων ἀγγέλων) αὐτοῦ, ποιῆσαι χρίσιν χατἂ πάντων, χαὶ ἐλέγξαι πάνταϛ τοὺϛ ἀσεβεῐϛ αὐτῶν περὶ πάντῶν τῶν σχληρῶν ὧν ἐλάλησαν χατ᾽ αὐτοῦ, άμαρτολοὶ ἀσεβεῐϛ. Plusieurs écrivains anciens et modernes ont tiré, de cette citation, des conséquences contre l’authenticité de l’Épître de S. Jude. Ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans l’examen de cette discussion. On peut seulement remarquer que ce reproche, s’il était fondé, serait commun à plusieurs autres lettres des Apôtres, car Origène et S. Jérôme ont observé, avec raison, que l’on trouve dans les écrits des Apôtres plusieurs passages tirés de divers livres apocryphes. Voy. J.-E. Grabe, praefat. ad testam. 12 patriarch., dans le Codex pseudepig. veter. test. de Fabricius. Au reste, on pourrait supposer que l’auteur du livre d’Énoch aurait emprunté ce passage de S. Jude.

27  Le nom de Hermon s’écrit en hébreu par un heth, et il vient de la racine haram qui signifie dévouer, consacrer à Dieu par une sorte d’anathème. Dans l’éthiopien, la lettre aspirée, qui devrait commencer ce mot, est omise ; ce qui prouve que ce livre a été traduit en éthiopien d’après un original grec, et non sur un texte hébreu. Dans la chronique syriaque de Grégoire Bar-Hebraeus (p. 3), on lit : Tempore Sethi, quando filii ejus beatam vitam paradisi recordati sunt, in montem Hermon secesserunt, et vivebant moribus (et non in deserto, comme on lit dans la traduction imprimée) puris et sanctis a matrimoniis abstinentes, unde vocati sunt vigiles et filii Dei. Cette tradition semble être due aussi à l’interprétation du mot hermon, dérivé de haram, mettre hors de l’usage commun, consacrer. Peut-être haram est-il l’origine du mot grec ἄρημοϛ.

28  Dans le fragment conservé par le Syncelle, ces mots appartiennent à la phrase suivante : οὖτοι χαὶ ο λοιπο πἀντεϛ….. ἒλαϐον ἑαυτοῐϛ γυναῐχαϛ.

29  Ou signa. On lit dans le grec : τἀ σημεῐα τῆϛ γῆϛτἀ σημεῐα τοῦ ἡλίου. Ceci paraît avoir été abrégé par le traducteur éthiopien.

30  On lit ici dans le grec une ou deux phrases qui semblent nécessaires pour lier ce qui suit avec le récit précédent. Μέτἀ δὲ ταῦτα ἤρξαντο ο γίγαντοϛ χατεσθὶειν τὰϛ σἀρχαϛ τῶν ἀνθρώμων, χαὶ ἢρχαντο οἱ ἄνθρώμωι ἐλαττωσθαι ἐπὶ τῆϛ γῆϛ…

31  Dans le grec on lit : χαὶ οὐ δύναται (ὁ στιναγμὸϛ αὐτῶν) ἐξελθεῐν ἀπὸ προσώπου τῶν ἐπι τῆϛ γῆϛ γινομένων ἀδιχημάτων. Je crois donc qu’il faut substituer potest à possunt.

32  In doctrina operis ou plutôt in operibus doctrinae, comme on lit dans le grec : ἐν τοῐϛ  ἔργοιϛ τῆϛ διδασχαλεῐαϛ Ἀζαὴλ.

33  Il y a dans l’éthiopien katalou, occiderunt. C’est visiblement une faute, peut-être faut-il lire bahalou, dixerunt. J’ai suivi le grec où on lit : εἷπον.

34  Il y a dans le grec ἐρώτησιδ.

35  On lit dans l’éthiopien elyas ; c’est un mot grec.

36  C’est-à-dire venti vehementes, c’est un hébraïsme.

37  Il y a dans le texte kiroubel.

38  Il y a ici quorum coelum erat aqua, que nous avons passé.

39  Cette négation est vraisemblablement de trop. Elle ne se lit point dans le grec. En général, la fin de ce chapitre et le chapitre suivant sont remplis de fautes et peu intelligibles.

40  Je supplée ces mots d’après le grec : ότι ἐξ αὐτῶν ἐξεληλύθασι. Mais le traducteur éthiopien a lié le mot venerunt avec les mots a diebus, comme le prouve la division du chapitre.

41  Je passe ici une ou deux lignes dont on ne peut tirer aucun sens.

42  Il y a dans le texte Erytri.

43  Le mot employé ici répond dans la version éthiopienne du N. T. en S. Luc, ch. XV, v. 16, au mot grec τῶν χερατιων. Ludolf dit que les Éthiopiens entendent par là une sorte de tamarin. V. le Dict. éth. de Ludolf, édit. de Londres, 1661, col. 28 et 435.

44  Cette expression, dit M. de Sacy, présente un anachronisme remarquable. M. Laurence l’a traduite par veuve.

 

 

 

 

 

 

 

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