Le siège de Jérusalem et l’incendie 

du Temple de l’ancienne loi

 

(LE 8 JUIN DE L’AN 70 DE J.-C.)

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Augustin BONNETTY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVANT-PROPOS

 

 

« La Pall Mall Gazette parle d’un projet formé par la synagogue de Francfort de réunir tous les restes des fils d’Israël en Palestine, et d’y rétablir un royaume hébreu. Déjà des lettres d’invitation ont été envoyées par milliers en Allemagne à tous les descendants de Jacob, et les plus grands financiers paraissent favoriser l’entreprise.

» Les organisateurs du mouvement s’industrient à démontrer dans leur circulaire que tout ira bien, si l’on prie pour le succès comme eux-mêmes le font trois ou quatre fois le jour dans le Shemonch-Earech. Ils interprètent, d’ailleurs, ces paroles de la Bible : – « Retournez à moi et je retournerai à vous » – comme une promesse de prospérité et de puissance quand le peuple d’Israël sera retourné à Jérusalem (Correspondance de Rome, samedi 28 octobre, n° 664, p. 511). »

Devant ce mouvement qui préoccupe la presse d’Allemagne, et auquel les Israélites établis en Suisse sont sans doute invités de prendre part, nous sommes certains d’être agréables à nos lecteurs en leur exposant d’après l’histoire 1, comment et pourquoi le peuple Hébreu fut dispersé sur toute la surface de la terre après la prise de Jérusalem.

L’entreprise des Juifs n’est d’ailleurs pas sans corrélations avec la crise financière en France, laquelle dans un prochain avenir, nécessairement, par une conséquence inévitable 2, doit livrer ce noble et infortuné pays aux fureurs d’une nouvelle révolution, d’où, selon de saintes promesses, renaîtront la foi, la vertu, l’obéissance au Roi naturel et légitime, la fidélité au Souverain-Pontife de la Nouvelle Alliance, au Vicaire de N.-S. Jésus-Christ, dont Aaron et Caïphe furent : l’un, le premier, et l’autre, le dernier précurseur.

 

 

 

 

*********

 

 

 

LE SIÈGE DE JÉRUSALEM

 

 

Le triomphe de Titus, en Judée, et la prise de Jérusalem par le prince est un fait inouï, à jamais célèbre, mais qui n’eut rien de surprenant pour l’Église, alors gouvernée par S. Lin. Avec calme et tranquillité elle attendait l’accomplissement des prophéties et la chute de la cité qui avait renié le Messie, – qui, la première entre toutes celles de l’univers, l’avait persécutée.

« Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses petite sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu 3 ? »

Telles étaient les plaintes du Messie, plaintes d’amour et de regret. Assis sur le mont des Oliviers, et montrant à ses Disciples le temple devenu inutile, le Sauveur ajoutait :

« En vérité je vous dis : Il ne restera pas là pierre sur pierres qui ne soit détruite 4.....

» Or, quand vous verrez Jérusalem investie par une armée, sachez que sa désolation est proche : alors, que ceux qui sont dans la Judée fuient vers les montagnes ; que ceux qui sont au milieu d’elle s’en éloignent ; et que ceux qui sont dans les contrées, n’y entrent point. Parce que ce sont là des jours de vengeance, afin que s’accomplisse tout ce qui est écrit.

» Mais malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là ; car il y aura une détresse affreuse dans le pays, et une grande colère contre ce peuple. Ils tomberont sous le tranchant du glaive, et seront emmenés captifs dans toutes les nations, et Jérusalem sera foulée aux pieds par les gentils, jusqu’à ce que les temps des nations soient accomplis (c’est-à-dire jusqu’aux assises de la vallée de Josaphath) 5. »

Ces prophéties, dont la majesté égale la terreur, n’étaient pas seulement un miséricordieux arrêt de condamnation, afin que les Juifs pussent expier le meurtre du ROI qu’ils s’étaient donné et qu’ils portèrent en triomphe au temple, le Dimanche 20 mars de l’an du Seigneur 33, étendant sur la voie leurs vêtements, jonchant la route de palmes, et chantant : « Hosanna au fils de David : béni soit celui qui vient an nom du Seigneur comme Roi d’Israël !..... Hosanna au plus des cieux !..... C’est Jésus le Prophète de Nazareth en Galilée 6. » Dans sa prescience, le Messie voyait que la révolte religieuse serait suivie de la révolte politique, il savait que les Juifs s’insurgeraient contre leur souverain légitime, après avoir sollicité Pilate de crucifier leur divin Libérateur.

À ces paroles de la démence : « que son sang retombe sur nous et nos enfants 7 », il fallait d’ailleurs un accomplissement.

L’armée qui investit Jérusalem est bien connue. C’étaient les soldats de Vespasien et de Titus, au nombre desquels 9000 Helvétiens 8, heureux de combattre sous un prince originaire d’Avenche, déjà guerrier célèbre avant que son père ait été appelé à gouverner l’empire, et qui était alors environné de plus de force et de renommée que jamais.

À son arrivée en Judée, Titus fut reçu par les légions V, X et XV, anciens soldats de Vespasien déjà aguerris par leurs campagnes. Il y ajouta la légion XII qu’il fit venir de Syrie et les cohortes qu’il avait prises, à son passage à Alexandrie dans les légions III et XXII. À la suite marchaient vingt cohortes d’alliés et huit ailes de cavalerie, sans compter les forces des rois Sohémus et Agrippa, les corps auxiliaires du roi Antiochus, une forte troupe d’Arabes dont l’animosité contre les Juifs était très prononcée. Les 9000 hommes levés en Helvétie se trouvaient ainsi à côté de soldats venus de toutes les parties de l’empire romain. En s’éclairant avec soin, Titus s’avance en bon ordre sur un terrain déjà noblement foulé par son père, et, toujours prêt à combattre, il va camper sous les murs de Jérusalem. Aussitôt arrivé, Titus divise son armée en trois corps : il établit le quartier-général vis-à-vis de la tour de Psephinos, fait camper le IIe corps du côté de la tour d’Hippicos, et envoie le IIIe, dont la légion X faisait la principale force, prendre place sur la montagne des Oliviers. Des détachements de fantassins, d’archers et de cavaliers sont, dans le même temps, disposés de manière à bloquer complètement la place rebelle et la multitude qui la remplissait 9.

Jérusalem, assise sur deux collines élevées, était encore défendue par des ouvrages et des constructions qui l’eussent rendue forte même en rase campagne. Trois enceintes l’entouraient, excepté du côté des vallées de Hinnom et du Cédron où il n’y en avait qu’une, le terrain étant escarpé ; l’art avait disposé ces murs en angles saillants et rentrants, de manière que l’assaillant eût toujours ses flancs découverts. Des tours la couronnaient, hautes selon que s’élevait ou s’abaissait le terrain, depuis 60 à 120 pieds, et qui, vues de loin, paraissaient à l’œil étonné d’une égale hauteur. Au plus haut sommet, on distinguait la forteresse Antonia, ainsi nommée par Hérode en l’honneur de Marc-Antoine, et qui, depuis Pompée, avait été occupée par la garnison romaine. – Le temple était une espèce de citadelle ayant ses murs particuliers, construits avec plus d’art encore et plus de travail que le reste. Les portiques mêmes qui régnaient à l’entour étaient de bonnes fortifications. Il y avait une source qui ne tarissait jamais, des souterrains sous la montagne, des piscines et des citernes pour conserver l’eau du ciel. Alors qu’ils semblaient être fidèles à l’empire, les Juifs avaient acheté de l’empereur Claude le droit de se fortifier encore, et, nous ne savons sous quels prétextes, d’élever de nouvelles fortifications. Toutes les précautions contre un siège avaient été prévues 10. À l’exception des chrétiens, qui s’étaient retirés après les prophéties de N. S. Jésus-Christ, ou qui, de force, avaient dû s’exiler lors de la persécution occasionnée par le martyre de S. Étienne, presque toute la nation israélite, de la Judée et des diverses provinces, se trouvait réunie dans Jérusalem. Diverses circonstances avaient amené ce fait providentiel. D’abord, pensant effrayer le Gouverneur de Syrie, Cestius Gallus, dans sa tentative d’étouffer l’insurrection naissante, les prêtres de l’ancienne loi (pour les nommer ainsi, car ils n’avaient plus de pouvoir) avaient, de concert avec les chefs de la révolte, ordonné un recensement du peuple, et beaucoup de Juifs étaient montés à Jérusalem. Ensuite, les populations et les garnisons des villes prises par Vespasien au commencement de la guerre étaient venues se réfugier derrière les murs, réputés imprenables, de leur capitale. Enfin, de toutes parts, et avec le même fanatisme, les Juifs s’étaient portés dans Jérusalem afin de célébrer cette Pâque figurative, alors une vaine cérémonie, sans signification et sans efficacité.

Les armées romaines bloquèrent donc la nation juive, dans sa majeure partie, au moment où, par ses fêtes, elle insultait au Dieu de l’Eucharistie et Souverain-Pontife de la Nouvelle-Loi établi à Rome. Des données authentiques, transmises par Josèphe, permettent d’évaluer le nombre des personnes, – hommes, femmes et enfants – surprises et enfermées dans Jérusalem, par l’arrivée prompte inattendue des armées de Titus, à près de 3 000 000, dont 2 556 000 circoncis dits à l’état de pureté 11.

Trois chefs (réduits plus tard à deux) se partageaient le pouvoir militaire et aspiraient à la royauté, chacun de leur côté, remplissant la ville de désordres. Simon occupait l’enceinte extérieure, des trois la plus étendue ; Jean, surnommé Borgiaras, tenait l’intérieur de la ville ; Éléazar s’était retranché dans le temple 12. L’arrivée de Titus amena une certaine union entre ces trois ambitieux. Jérusalem contenait ainsi, au moins, 5 à 600 000 hommes capables de porter les armes 13.

« C’est à une telle ville, à une telle nation que Titus faisait la guerre. Comme le lieu se refusait à un assaut et à un coup de main, il résolut d’employer les terrasses et les galeries. On distribua la tâche aux légions, et les combats furent suspendus jusqu’à ce que tous les ouvrages imaginés ou inventés par le génie moderne (c’est Tacite qui parle !) pour forcer les villes, fussent élevés contre Jérusalem 14. »

Cette cité devait tomber. Le Sauveur l’avait dit. Les prodiges l’annonçaient. « On vit des bataillons s’entrechoquer dans les airs, des armes étinceler, et des feux s’échappant des nues éclairer soudainement le temple. Les portes du sanctuaire s’ouvrirent d’elles-mêmes » ... et, le jour de la Pentecôte, (quelle coïncidence !) une voix, plus forte que la voix humaine, répéta plusieurs fois : « SORTONS D’ICI » ; en même temps, on entendit comme un grand mouvement de départ 15.

Mais les Juifs étaient fanatisés. Ils rejetaient les offres de Titus qui leur offrait d’accepter leur soumission 16 et désirait épargner leur temple.

En six mois, les abords et les faubourgs de Jérusalem furent donc nettoyés, la place enfermée dans un fossé de circonvallation flanqué de 13 redoutes, les tours d’approche appliquées aux murailles, les béliers mis en batterie, les trois enceintes prises d’assaut, la forteresse Antonia occupée, le feu mis au temple de Salomon (15 Loüs, 8 juin de l’an 70 de J.-C.) 17, et la ville définitivement prise, réduite et incendiée 18.

Le 28 février (70), Titus campait à Gabath-Saoul et opérait sa première reconnaissance ; le 1er août, les aigles romaines couronnaient les tours de Jérusalem, la fanfare entonnait le chant de la victoire, le peuple révolté contre Dieu et son souverain légitime jetait, affolé, des armes maudites, et Titus rendait grâce au Dieu qui avait combattu, non pour lui, mais pour l’Église.

« Quand Titus eut franchi les murailles, il admira par-dessus tout la ville, à cause de la solidité des fortifications et des tours que les séditieux avaient abandonnées, par un véritable acte de démence. Remarquant donc la hauteur de la base massive de ces tours, la grandeur des blocs employés et leur assemblage parfait, ainsi que la largeur et la longueur des tours elles-mêmes, il dit : « Nous avons combattu avec la faveur de Dieu ; c’est un Dieu seul qui a pu chasser les Juifs d’ouvrages pareils, car que pouvaient la main de l’homme et la puissance des machines contre de semblables tours ? » Il revint à plusieurs reprises sur ce point, en causant avec ses amis 19. »

Les soldats romains avaient à peine poussé leur cri de victoire, leurs joyeuses clameurs retentissaient encore, et le glaive vengeur n’était pas essuyé, que Titus, achevant sa mission, donna ordre d’incendier et de détruire Jérusalem jusque dans ses fondements. De la cité déicide il ne devait rester que des ruines pour apprendre aux peuples à venir comment s’accomplissent les châtiments de Dieu. Après que la charrue eut passé sur le sol, Jérusalem perdit le nom de capitale de la Palestine, qui fut donné à la ville de Césarée. Titus épargna les trois tours Phasaël, Hippicos et Mariamme afin qu’elles subsistassent comme un témoignage de la valeur romaine. À l’occident de la ville il conserva également un pan de mur pour y établir la citadelle de la garnison. La légion X et une partie de la cavalerie y prit aussitôt ses campements.

L’héroïsme de Titus pendant ce siège restera à jamais digne d’admiration. Avec une armée que tous les calculs laissent en dessous de 80 000 hommes 20, il réduisit en six mois 3 000 000 d’âmes retranchés dans une ville forte dont les murailles semblaient défier le monde. Mais Jérusalem était incapable d’héroïsme, car elle était révoltée ; dès lors, ses actes étaient sans valeur et sans force ; la cicatrice devenait un stigmate et la mort une honte. Il y eut une opiniâtreté incroyable, des rages indicibles, des cris épouvantables. Une mère mangea son enfant. Jérusalem était maudite. Dieu l’avait abandonnée.

Le nombre des prisonniers faits par les Romains monta à 97 000 ; parmi ceux-ci on remarquait Simon et Jean, les chefs de la révolte ; le siège lui-même coûta la vie à 1 100 000 Juifs. Tous ne périrent pas par le glaive : la peste et la famine se déclarèrent dans Jérusalem dès le commencement du siège (une partie du blé ayant été incendiée par accident) ; le feu en étouffa un grand nombre ; d’autres périrent asphyxiés dans les souterrains et les égouts ; plusieurs milliers de prisonniers eurent le ventre ouvert par des soldats syriens et arabes, auxquels s’était joint quelques soldats romains, afin de chercher des pièces d’or qui avaient été avalées pour les emporter lors d’une tentative de sortie ; durant le siège, d’autres milliers de Juifs périrent sur la croix en face de leurs concitoyens qu’ils suppliaient vainement de se soumettre. Josèphe, admirable de dévouement pour sa patrie, obtint de la clémence de Titus la vie de plusieurs de ceux-ci ; c’est lui également qui sauva nos livres sacrés 21. Le reste des Juifs, au nombre d’un million environ, furent envoyés par Titus aux mines, périrent dans les amphithéâtres et dans des combats simulés, ou furent vendus comme esclaves dans tout l’empire romain.

Les auteurs de la sédition reçurent le châtiment dû à l’orgueil qui avait précipité leur patrie dans la ruine et dans l’anéantissement. Exténués de faim, les prêtres de l’ancienne loi s’étaient fait conduire après l’incendie du temple devant Titus, le suppliant de les épargner. « Mais le prince leur répondit que le temps de la clémence était passé, que la seule chose pour laquelle il les eût volontiers graciés avait péri par leur faute, et qu’il était juste que les prêtres eussent le même sort que le temple. Cela dit, il les fit conduire au supplice 22. » (2). Le sacerdoce de la loi écrite, qui avait crucifié le Messie, périt ainsi (probablement par le même supplice) le 12 juillet de l’an 70 de J.-C., dans la IVe année du pontificat de S. Lin et dans la IIe du règne de Vespasien.

Au reste, dit M. de Saulcy, Dieu récompensa chacun selon ses mérites..... Les deux chefs de l’insurrection juive, Simon et Jean, accompagnés de 700 prisonniers, choisis pour leur beauté et l’élégance de leur taille, furent immédiatement transportés en Italie par l’ordre de Titus, qui voulait les faire paraître dans son cortège triomphal.

« Ainsi finit cette guerre célèbre des Romains contre les Juifs ; nous en tenons l’histoire de Josèphe, l’homme du monde le plus capable de nous en instruire, comme oculaire et acteur, et reconnu par le témoignage des Juifs, des païens et des chrétiens, pour écrivain le plus fidèle et le plus exact de cette guerre. Quoique la mort de Jésus-Christ soit la consommation de l’ancienne alliance et le commencement de la Loi Nouvelle, toutefois l’époque de la chute de la synagogue, l’abolition totale des cérémonies judaïques, date de la destruction du temple par les Romains. À la Résurrection du Sauveur, la loi mosaïque expira, mais elle ne fut ensevelie que sous les ruines du temple de Jérusalem 23.

Si jamais général romain mérita les honneurs du triomphe, ce fut bien l’heureux Titus après la prise de Jérusalem. Déjà trois jours de fêtes avaient été solennisés sur les ruines fumantes de la ville réduite. Titus venait de témoigner à son armée sa satisfaction et de donner aux plus braves de splendides témoignages de sa munificence. Mais il fallait plus encore.

L’empire romain voulait acclamer les vainqueurs et se réjouir avec eux.

Puis, dans le palais des Pudens, le successeur de S. Pierre, le Souverain-Pontife de la Loi de Grâce, attendait aussi le triomphe de l’Église.

Il devait voir les armées romaines apporter dans la nouvelle Ville-Sainte la loi de Moïse, la table d’or, le chandelier à sept branches et les autres dépouilles du temple de Jérusalem. Le voile du sanctuaire, déchiré à l’heure de la rédemption des élus, devait flotter dans la ville éternelle. Sous les yeux de S. Lin, passa Simon, la corde au cou, battu de verges. Les 700 Juifs envoyés à Rome aussitôt après la victoire défilèrent également devant le Souverain-Pontife, tristes, abattus, la mort dans l’âme, pensant à leurs familles dispersées, à Jérusalem détruite, à la patrie que ni eux ni leurs enfants ne reverraient jamais.

Josèphe rapporte la description des fêtes splendides que le Sénat et le peuple romain donnèrent alors en l’honneur de Vespasien et de Titus associés volontairement dans un commun triomphe 24. On peut suivre toutes les phases de la somptueuse cérémonie.

Les trophées ouvraient le cortège. Vespasien venait après, suivi de Titus, tous deux à pied, sans armes, couronnés de lauriers et vêtus de pourpre. Domitien les accompagnait monté sur un cheval superbe. La cérémonie finit lorsque, suivant l’usage, on eut annoncé que le chef des ennemis avait été mis à mort. Ce chef fut Simon. Tout meurtri par les verges des licteurs, il eut la tête tranchée devant la prison Mamertine et dans le lieu destiné au supplice des criminels. Jean fut condamné à la prison perpétuelle.

L’historien Josèphe voyait aussi toutes ces choses ; sa grandeur d’âme dut dominer une douleur immense. Se surmontant avec un admirable sentiment de la justice, cet auteur termine le récit par ces paroles : « Après donc que l’on eut témoigné de la joye par ces applaudissements, on offrit des sacrifices accompagnez de prières et de vœux. Lorsqu’ils eurent esté solemnellement achevez, les Empereurs se retirèrent dans le Palais où ils firent un grand festin. Il s’en fit d’autres en même temps dans toute la ville où l’on festoit ce jour-là pour rendre graces à Dieu de la victoire remportée sur les ennemis, et aussi parce qu’on le considérait comme la fin des guerres civiles, et le commencement d’une grande felicité pour l’avenir 25. »

Dispersé sons tous les cieux, sans prêtres, sans autel, sans roi et sans patrie, le peuple d’Israël doit vivre et expier. Vivre pour expier, et expier pour renaître. Le réveil ne saurait tarder. Déjà, de toutes parts, ce peuple intelligent étudie et réfléchit. De belles âmes, ardentes à la vérité, se tournent vers l’Église, voient dans le Souverain-Pontife le successeur d’Aron et de Moise, demandant à nos Sacrements ce que ne procure plus la pénible circoncision, et oublient Jérusalem ruinée, pour Rome dont le printemps sera sans fin 26.

Un des premiers objets que le chrétien demande à voir dans la Ville éternelle, c’est l’arc de triomphe de Titus. L’histoire a peu de documents aussi précieux. Aussi, la Providence semble-telle l’avoir protégé, car il porte, et les traces des vains efforts faits pour les renverser au temps des grandes invasions du Nord, et les témoignages de la sollicitude des Souverains-Pontifes ; sous Pie VII, il fut réparé avec une grande habileté.

Les bas-reliefs sont des pages d’histoire rendues vivantes par le ciseau de l’artiste. Ils transportent le pèlerin dix-neuf siècles en arrière et le font assister à la magnificence du cortège de Titus passant sous l’arc-de-triomphe, avec les Juifs captifs et les vases du temple de Jérusalem. (Vespasien eut un grand soin de ces vases et les fit déposer, partie dans le temple de la Paix, construit en cette circonstance avec l’or pris à Jérusalem, partie dans le palais des Césars.)

Des médailles romaines rappellent aussi la soumission de la Judée par Titus ; elles portent pour légende : JUDEA CAPTA.

Dans notre patrie, les souvenirs de la guerre de Judée se sont transmis à travers les siècles. Les Helvétiens qui prirent part au siège de Jérusalem, « frappés au retour, d’une ressemblance, qui paraît bien réelle même aux voyageurs d’aujourd’hui, donnèrent le nom de lac Génésareth au lac d’Avenche, et de Galilée à la contrée environnante » 27.

Vespasien et Titus devaient eux-mêmes concourir à éterniser dans l’Helvétie la mémoire de cette grande guerre de Judée où les armées romaines ensevelirent, sous les murs de Jérusalem, l’Ancienne Loi arrivée au terme de sa raison d’être. Par les soins de ces deux princes, Aventicum fut désignée pour recevoir une colonie de vétérans de l’armée de Judée.

 

 

Ici se termine dans les Origines de Lausanne et du peuple Vaudois, le paragraphe consacré à des souvenirs d’un âge déjà bien reculé et qui jusque sur le sol helvétique ont laissé une trace impérissable ; grâce aux œuvres de Josèphe, ces données historiques ont pu être réunies sous une forme où le droit naturel n’est plus faussé, où la morale n’est plus offensée, où la vérité est, en un mot, respectée.

Mais, dans cette publication détachée, il sera permis de revenir sur le tardif sentiment d’amour patriotique pressant les Juifs à assembler leurs membres épars derrière ce pan de muraille au pied duquel ils n’ont cessé de pleurer, depuis le jour où Titus reçut la mission de venger le déicide et de réprimer leur révolte contre un Souverain devenu légitime.

Cette vaste entreprise fera le sujet de l’appendice qui suit :

 

 

 

 

APPENDICE

 

Ce qu’il en adviendra de l’entreprise judaïque

pour l’acquisition de la Palestine.

 

 

Certes, à première vue, la pensée de retourner à Jérusalem, d’acquérir la Palestine, commanderait un certain respect, pourvu, toutefois, qu’elle n’ait pas de rapport trop intime avec ces paroles du Frère Hermann du Lehninn, le cauchemar du nouvel empereur Guillaume (dit Guillemet Ier) :

Israël infandum scelus audet morte piandum.

« Israël commet un horrible forfait que la mort seule peut expier. »

Au milieu des incendies, des inondations, et des pestes qui éprouvent le monde pour acquitter les dettes des États à la justice divine et expier les crimes de l’hérésie jusqu’au jour où Rome et les États de l’Église seront restitués au Souverain-Pontife 28, on comprend qu’une lueur de patriotisme s’empare parfois du cœur ingrat de l’Israélite, car il doit espérer son pardon de la miséricorde divine. Mais, dans une fébrile impatience, fasciné par l’orgueil de ses richesses, il voit l’effet avant la cause ; il est haletant d’arriver au but sans même penser au moyen nécessaire, au moyen sine qua non ; il néglige de méditer ces paroles de la Prophétie d’Orval :

« Moult de mal, guère de bien seront en ce temps là.

« Moult grandes villes périssent par le feu.

« Sus donc Israël vient à Dieu Christ tout de bon.

Fermer son cœur au dieu Mammon, confesser ses égarements et s’en repentir, se renouveler dans les eaux sacramentelles du baptême, adorer « le divin crucifié » que les contemporains de Caïphe acclamèrent disant : Hosanna, au fils de David, béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur... tel est le moyen efficace qui permettra aux Israélites de recouvrer Jérusalem, et..... mieux encore !..... de gagner la vie éternelle.....

Or, les synagogues oublient de penser à ces choses « trois ou quatre fois le jour ». « Dans le Schemonch-Earech » leurs vœux tout matériels ne sont encore qu’un long blasphème, qu’un nouvel outrage ajouté à tant d’autres.

De plus, remarquons que la prophétie d’Orval annonce cette conversion des Israélites pour une époque « qui se prépare seulement » pour un temps où les os du faux prophète auront été jetés à la voirie avec ceux des animaux immondes, où le cimeterre sera brisé, où l’islamisme aura vécu, où le « Pontife Saint » et le « Grand Monarque » auront renouvelé l’univers par la volonté du Dieu des armées.

Jusque là, on peut se demander ce que pourraient bien faire les Israélites à Jérusalem.....

Leur état actuel inspire une répugnance invincible ; leur fanatisme, leur haine trop connue contre tout ce qui porte le signe auguste du Rédempteur crucifié par leurs pères laisse croire qu’ils s’y conduiraient comme de nouveaux barbares.

 

 

 

Augustin BONNETTY.

 

Paru dans la Revue de la Suisse catholique en 1871.

 

 

 

 

 

 



1 La présence de 9 000 Helvétiens au siège de Jérusalem donne occasion à M. A. Blanchet de développer dans quelques pages du plus vif intérêt ce fait tout particulièrement glorieux pour les annales historiques de la province romaine comprenant alors l’Helvétie. (Orig. de Lausanne. Chap. VII, § XII, p. 815) – Note de la rédaction.

2 C’est-à-dire par le manque d’espèces métalliques sur le territoire français, car, après avoir fait honneur à ses premiers engagements, la France en est réduite à des assignats de un, de deux, etc., francs... Les espèces manquent. Or, les mêmes choses se passent en Italie, en Autriche, etc. ; tout l’or et l’argent monnayé dans le monde depuis 7 000 ans n’est pourtant pas entré dans le fond de guerre imaginé par M. le comte de Bismarck ! Il y a là an mystère, et M. le Chargé des affaires de la France pourrait peut-être le demander aux capitalistes fournissant les fonds pour le rachat de la Palestine ! Ce serait beaucoup plus opportun que de se mettre en colère à cause de la fumée d’un cigare ou d’exiler de France la Religieuse Mélanie de la Salette. Quelle est donc la raison de son exil ? Et que portent les lettres écrites à M. Thiers ? L’Assemblée qui siège à Versailles n’en a-t-elle pu encore demander la publication ? Jadis, l’empire romain savait mieux respecter les oracles !

3 S. Mathieu, XXIII, 37.

4 S. Mathieu, XXIV, 1 et 2 ; S. Marc, XIII, 1 et 3 ; S. Luc, XXI, 5 et 6.

5 S. Luc, XXI, 20 à 24.

6 S. Mathieu, XXI, 1 à 16 ; S. Marc, XI, 1 à 11 ; S. Luc, XIX, 28 à 44 ; S. Jean, XII, 12 à 19.

7 S. Mathieu, XXVII, 25.

8 D’après le chroniqueur Frédégaire, qui vivait au VIIe siècle, et son continuateur Fréculphe, évêque de Lisieux. A. Daguet, p. 24.

9 Tacite, Hist., V, I ; Fl. Josèphe, Histoire de la guerre des Juifs contre les Romains, V, XII ; § 391, 392. – Au livre VI, chap. XLV, § 498, l’illustre historien dit : « Ainsi, cette grande multitude qui s’était rendue de tant de divers endroits à Jérusalem avant le siège, s’y trouva enfermée comme dans une prison lorsqu’il commença. » (Traduction d’Andilly.)

10 Tacite, Hist., V, IX, X, XI, XII.

11 Josèphe, Bell. Jud., VI, XLV, § 498. – Nous ne savons comment, dans Les Derniers Jours de Jérusalem, p. 498, note 1, M. de Saulcy ose accuser Josèphe, qui lui a fourni les meilleures données de son travail, de n’entendre pas grand-chose à l’arithmétique. Un tel reproche à un général d’armée est inouï ! L’expression 270 myriades fait bien 2 700 000 ; mais c’est là un chiffre rond, d’ailleurs justifié, puisque ni les lépreux ni les personnes affectées des incommodités qui empêchaient de sacrifier ne sont compris dans le chiffre de 2 566 000.

12 Tacite, Hist., V, XII.

13 Josèphe, ouv. cit., IV, depuis le chap. IX ; V, III à XI. Voir à la page 418 des Derniers Jours de Jérusalem comment M. de Saulcy explique la méprise de Tacite qui a pris le chiffre de 600 000 pour celui des assiégés.

14 Tacite, Hist., V, XIII.

15 Tacite, Hist., V, XII. – Josèphe, Bell. Jud., VI, XXXI, § 445.

16 Josèphe, Bell. Jud., V, XXV, XXVI, XXXV ; VI, VIII, XXXVIII.

17 Titus essaya en vain d’épargner le temple. – M. de Saulcy nous donne la raison de son incendie. « Mais depuis longtemps la justice de Dieu avait condamné celui-ci au feu, et dans la marche du temps était arrivé le jour fatal, le 15 du mois de Loüs, anniversaire du jour où l’ancien temple avait été brûlé par le roi de Babylone. » Ouv. Cit., p. 379.

18 M. de Saulcy a publié (appendice II de son travail) le Journal du siège de Jérusalem. Ce document, qui a une double table chronologique pour les dates macédoniennes et les dates de l’ère chrétienne, est très précieux.

19 Les Derniers Jours de Jérusalem, p. 414, 415.

20 Voyez : De Saulcy, Les Derniers Jours de Jérusalem, p. 182 à 188.

21 M. de Saulcy rapporte aux p. 416 et 417 des détails fort intéressants traduits de l’autobiographie de Josèphe. (T. IV, p. 68 et 69.)

22 De Saulcy, ouv. cit. . p. 397. – Josèphe, Bell. Jud., VI, XXXIII, § 478.

23 De Revensberg, Jérusalem. Lille, L. Lefort, 1843.

24 Josèphe, Bell. Jud., VII, XVI, XVII.

25 Josèphe, Bell. Jud., VII, XVIII, § 521. (Traduction du XVIIIe siècle).

26 En reproduisant ce paragraphe, nous ajouterons : et que la persécution revêt chaque jour d’une nouvelle splendeur.

27 A. Daguet. Hist. de la Conf. Suisse, p. 24. – Cette dénomination existe encore ; des pièces de terre sont inscrites au cadastre fribourgeois sons l’appellation de « En la Galilée ».

28 Cette restitution du Patrimoine de S. Pierre s’effectuera dût la terre être ébranlée jusque dans ses fondements ; unies aux synagogues, les loges peuvent entasser Ossa sur Pellion, ruiner nos campagnes, affamer le monde, promener la torche de l’incendie dans Rome et l’univers entier, armer l’Orient contre l’Occident, elles ne changeront en rien les prophéties que le Souverain-Pontife a confirmées en ces mots : « Si ce n’est pas le Vicaire de Jésus-Christ que vous avez devant vous, ce sera son successeur qui verra notre Ville rétablie dans son premier état, tranquille et florissant, et le Saint Siège de nouveau restauré dans ses antiques droit. » (Paroles prononcées par N. S. P. le Pape Pie IX, le 12 avril 1871, anniversaire de son entrée triomphale dans Rome, en 1851 ; Correspondance de Rome, 15 avril, no 634).

 

 

 

 

 

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