Le sabotage officiel

de l’histoire de France

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Georges CHAMPENOIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AVERTISSEMENT

 

 

Ce livre est à la fois un document et un réquisitoire.

Il s’adresse à tous les Français dont on a tenté de déshonorer la famille.

Les témoignages qu’il rassemble révèlent les dessous d’un scandale qui se perpétue depuis plus d’un siècle et dont les auteurs s’étaient jusqu’ici prudemment dissimulés dans l’ombre.

Notre seul mérite aura été de provoquer et de recueillir ces témoignages, de dénoncer publiquement le guet-apens et d’exposer les coupables en pleine lumière.

Si le but que nous nous sommes assigné est atteint, si nous parvenons à réhabiliter les plus admirables annales dont puisse se glorifier une nation, ce n’est pas à nous que doit aller la reconnaissance publique, mais au grand Français dont le courage et la munificence auront permis l’accomplissement de ce beau dessein.

Sans l’Ami du Peuple qui nous a libéralement offert la plus retentissante des tribunes, sans M. François Coty qui n’a pas hésité à s’engager corps et biens dans une bataille dont il avait mesuré tous les risques, aucun des Français clairvoyants qui nous ont répondu n’eût été admis à faire entendre sa voix.

Puissent ceux qui nous liront comprendre le sens profond des obstacles multipliés sous les pas de ce patriote et de la haine que lui témoignent les forces du mal coalisées contre la grande œuvre de redressement national qu’il entreprend.

 

 

 

 

L’AVEU

 

Séance de la Chambre des Députés

du 1er Juillet 1904

 

(extrait du Journal Officiel)

 

M. de Rosanbo. – La Franc-Maçonnerie a travaillé en sourdine, mais d’une manière constante, à préparer la Révolution.

M. Jumel. – C’est, en effet, ce dont nous nous vantons !

M. Alexandre Zévaés. – C’est le plus grand éloge que vous puissiez en faire.

M. Henri Michel. – C’est la raison pour laquelle vous et vos amis la détestez.

M. de Rosanbo. – Nous sommes donc parfaitement d’accord sur ce point que la Maçonnerie a été le seul auteur de la Révolution, et les applaudissements que je recueille de la Gauche, et auxquels je suis peu habitué, prouvent, Messieurs, que vous reconnaissez avec moi qu’elle a fait la Révolution française.

M. Jumel. – Nous faisons plus que de le reconnaître, nous le proclamons.

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

 

 

 

 

LA MÉTHODE

 

Il faut mentir comme un diable ! Non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours.

 

VOLTAIRE,   

Lettre à Thériot.

 

 

 

 

 

 

LES RAISONS DE CETTE ENQUÊTE

 

 

La façon tendancieuse, erronée ou mensongère dont la plupart des ouvrages consacrés à l’Histoire de France ont été rédigés, fait depuis longtemps, l’étonnement des esprits consciencieux et des écrivains sincères.

L’historien belge Pirenne a dit : À lire vos livres d’Histoire, on les croirait écrits par les pires ennemis de la France.

Notre grand historien national Fustel de Coulanges – dont le cri d’alarme a fort heureusement alerté la pensée française et provoqué l’adoption des méthodes nouvelles, qui n’avancent rien sans la référence des documents et des textes les plus certains – écrit de son côté :

 

Le véritable patriotisme n’est pas l’amour du sol, c’est l’amour du passé, c’est le respect pour les générations qui nous ont précédés. Nos historiens ne nous apprennent qu’à les maudire et ne nous recommandent que de ne pas leur ressembler.

Nos plus cruels ennemis n’ont pas besoin d’inventer les calomnies et les injures... leurs historiens les plus hostiles n’ont qu’à traduire les nôtres.

 

M. Pierre Heinrich, professeur agrégé d’Histoire au lycée de Lyon, signalait enfin, tout récemment, la scandaleuse déformation de notre Histoire nationale qui ; en inspirant aux enfants de France le mépris et la haine des ancêtres, aboutit à tarir en eux la source même du patriotisme.

Certes, après les études fortement documentées d’un Taine, d’un Tocqueville, d’un Renan, d’un Fustel de Coulanges, les œuvres se sont multipliées qui font justice des rêveries romantiques d’un Hugo ou d’un Michelet, aussi bien que des thèses inspirées à un Lavisse, à un Aulard ou à un Seignobos par les passions politiques ou religieuses qui les animent.

Mais ces travaux ne s’adressent qu’aux candidats de l’enseignement supérieur et aux hommes faits. Ils sont ignorés de la plupart des instituteurs et demeurent lettre morte pour l’ensemble des élèves des collèges et des écoles primaires. C’est dire que l’immense majorité des enfants de France continuent à sucer le lait empoisonné d’une doctrine qui défigure le visage véritable de la Patrie et leur apprend à s’en détourner.

Il n’est que trop aisé de souligner par des exemples topiques et saisissants les déformations, les erreurs et les mensonges intentionnellement perpétrés dont sont infestés la plupart des manuels scolaires. On en trouvera des manifestations nombreuses au cours de cette enquête.

Qu’on ne vienne pas invoquer ici comme excuse on ne sait quelle apologie nécessaire de la démocratie, ou encore la sauvegarde de la République maladroitement présentée comme en perpétuel danger de disparaître. S’il est vrai que ces formules politiques constituent le dernier mot du progrès et de la civilisation, ni l’une ni l’autre ne doit redouter d’être mise en parallèle avec les formules et les institutions du passé ; ni l’une ni l’autre n’a besoin de ces entorses à la vérité pour subir victorieusement l’épreuve d’une comparaison naturelle et nécessaire.

Que penserait-on d’une jolie femme qui n’oserait affronter le verdict d’un concours de beauté sans tenter au préalable de défigurer ses rivales ?

L’Histoire doit être un exposé impartial des évènements, des circonstances et des faits ; un compte rendu fidèle et comme photographique du but poursuivi, des moyens employés et des résultats atteints par les personnages dont il s’agit de dégager la figure aux yeux de la postérité.

Au rebours du poète ou du romancier, l’historien est un réaliste qui n’ajoute rien, ne retranche rien aux documents découverts dans le champ d’expérience ouvert à ses investigations.

C’est un observateur qui regarde, contrôle et enregistre. Toute passion doit être en lui refrénée, toute préférence oubliée, toute tendance imaginative prescrite. C’est un anatomiste qui dissèque, aux seules lueurs de la raison, un cadavre pour y découvrir les ressorts cachés de la vie et les causes qui ont favorisé ou compromis le fonctionnement des organes offerts à son examen.

Son premier, son unique devoir est donc, avant toute autre considération, la sincérité.

Qu’après cela son droit de critique subsiste, sans aucun doute, mais conditionné par l’exposé préalable franc et loyal des circonstances et des faits.

Si les ancêtres – qui étaient, comme nous-mêmes, des hommes sujets à toutes les incertitudes et à toutes les erreurs humaines – ont failli ou se sont trompés, qu’on le dise et qu’on dégage de l’expérience la leçon qui profitera aux générations prochaines. Mais s’ils ont sagement agi, qu’on n’hésite pas non plus à le proclamer.

Il est trop facile de ramener l’Histoire à cet unique apophtegme, devenu le Credo de la plupart des éducateurs contemporains : avant la Révolution, il n’y avait rien.

Avant la Révolution, il y avait, depuis près de 2 000 ans, la France parvenue à un degré d’achèvement et de grandeur qui faisait l’éblouissement de l’univers.

Et c’est une assez belle chose pour que l’on ne passe pas à côté d’elle sans s’arrêter un instant et sans se découvrir très bas.

Nous avons donc pensé que le scandale que nous signalons avait assez duré et qu’il importait de rendre à notre pays l’histoire intacte des grands gestes accomplis dans le passé.

Et pour donner, aux yeux du public plus de poids à cette campagne de restauration nécessaire, nous nous sommes adressés à toutes les notabilités de l’intelligence, du savoir et du goût : historiens, professeurs, littérateurs, savants, artistes, hommes politiques, moralistes et philosophes, sans distinction de croyance ou d’opinion.

C’est une vaste consultation nationale qui s’ouvre sur un sujet touchant au vif de la formation et de l’avenir de notre race, et dans lequel l’honneur du nom français est engagé.

Peut-être entendra-t-on des vérités sévères. Qu’importe si ce sont des vérités et qu’elles entraînent la fin d’errements que tous les bons esprits sont d’accord avec nous pour déplorer.

Nous avons délimité l’objet de notre enquête par ces trois questions précises :

Est-il vrai que l’Histoire de France soit déformée ?

À quelles causes peut-on attribuer ce mal ?

Quels remèdes convient-il d’adopter pour y mettre fin ?

Nous placerons, en toute impartialité, sous les yeux de nos lecteurs, les réponses telles qu’elles nous sont parvenues, en laissant à chacun l’entière indépendance de sa pensée.

 

 

 

 

 

 

LES REPRÉSENTANTS DU GOUVERNEMENT

 

 

Nous avions interrogé les premiers, les représentants du Gouvernement, estimant que, responsables du pouvoir, ils avaient plus que tous autres les moyens de discerner le mal, d’en découvrir les causes essentielles et d’y apporter utilement remède.

Ni M. le Ministre de l’Instruction Publique, ni M. Édouard Herriot n’ont jugé à propos de nous répondre.

MM. Poincaré et Millerand ont du moins tenté de donner à leur abstention une excuse.

Le lecteur dégagera sans doute de la suite de notre enquête les raisons de ce mutisme officiel surprenant.

 

 

 

M. Raymond POINCARÉ

 

M. Raymond Poincaré à qui nous avions demandé son avis quelques jours avant sa maladie et son départ du Ministère, nous a répondu par la fin de non-recevoir d’ordre général et impersonnel dont on trouvera plus bas le texte.

Nous le regrettons d’autant plus vivement que le désaveu des errements que nous dénonçons, même exprimé en deux phrases aussi brèves que celles qui nous parviennent, n’est pas manqué d’exercer sur l’opinion une influence décisive.

À son double titre d’ancien chef de l’État et de Président du Conseil, M. Poincaré joint, en effet, celui de journaliste, d’écrivain et de membre de l’Académie Française.

Peut être cette considération eût-elle dû faire fléchir une résolution, justifiée en elle-même, mais à laquelle la gravité de l’intérêt en cause permettait semble-t-il d’apporter une dérogation dont nos lecteurs n’eussent pas manqué de sentir tout le prix.

 

 

PRÉSIDENCE

DU CONSEIL,

        ––

Paris, le 22 Juillet 1929.      

        Monsieur,

En réponse à votre lettre, je regrette de vous faire savoir que je ne puis jamais, faute de temps, répondre à des enquêtes de presse.

Je vous prie de bien vouloir m’excuser.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.

 

POINCARÉ.      

 

 

 

M. Alexandre MILLERAND

 

Comme pour M. Poincaré, nous regrettons que M. Millerand n’ait pas cru devoir faire fléchir en faveur d’une enquête qui dépasse les bornes d’une simple interview sans portée, la rigueur d’une décision dont nous comprenons fort bien par ailleurs la légitimité pour un homme ayant occupé les plus hauts emplois du régime.

 

 

SÉNAT

    ––

le 25 juillet 1929.      

        Monsieur,

Je m’empresse de vous accuser réception de la lettre que vous avez bien voulu adresser à Monsieur Millerand.

Le Président aurait été particulièrement heureux de pouvoir répondre aux questions que vous lui posez, mais avant pris la décision de ne jamais participer aux enquêtes organisées par les journaux, il craindrait, s’il faisait une exception en votre faveur, d’éveiller les justes susceptibilités de vos confrères.

Avec mes bien vifs regrets, veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

 

BOMPARD.      

 

 

 

 

 

 

LES MARÉCHAUX DE FRANCE

 

 

Mme la Maréchale FOCH

 

Madame la Maréchale Foch a bien voulu, tout en s’excusant de n’être pas qualifiée pour aborder le fond de la question, nous apporter le haut appui d’une approbation dont nous lui exprimons notre respectueuse reconnaissance.

Traonfeunteniou par Ploujean (Finistère).

 

        Monsieur,

Je ne puis qu’être très flattée que vous me demandiez mon avis au sujet des déformations de l’Histoire et je vous félicite d’entreprendre une campagne à ce sujet.

Veuillez, je vous prie, Monsieur, agréer l’expression de mes sentiments distingués.

 

La Maréchale FOCH.      

 

 

 

Le Maréchal LYAUTEY

 

C’est précisément parce que, comme vous, je juge très grave le débat que vous ouvrez auprès de vos lecteurs, que je regarde comme impossible d’y intervenir d’un trait de plume.

Je me borne à la première de vos questions.

– Que faut-il penser de ces graves imputations ?

Et je réponds exactement ce qu’en pensent l’historien belge Pirenne et notre grand Fustel de Coulanges dans les passages que vous citez. « À lire ces manuels on peut les croire écrits par les pires ennemis de la France. »

Quant aux deux autres questions : Causes ? Remèdes ? il y faudrait un volume ou au moins un article. Et ici je ne me trouve ni le temps ni la qualité, pour y répondre comme il convient.

 

Maréchal LYAUTEY.       

3 août 1929.             

 

 

 

Le Maréchal FRANCHET D’ESPÉREY

 

M. le Maréchal Franchet d’Espérey est historien militaire. C’est à ce titre qu’il approuve, avec la brièveté du soldat, notre initiative.

 

        Monsieur,

Vous ne doutez pas que je n’apprécie à sa juste valeur vos efforts. Mais les déclarations écrites ne sont pas ma partie.

Croyez, Monsieur, à mes meilleurs sentiments.

 

FRANCHET D’ESPÉREY.       

Paris, le 6 août 1929.         

 

 

 

Le Maréchal PÉTAIN

 

        Monsieur,

Le Maréchal Pétain me charge de vous accuser réception de votre lettre et de vous faire connaître qu’en raison de ses fonctions, il ne lui est pas possible de donner satisfaction à la demande que vous lui adressez.

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

 

P. O. L’Officier d’Ordonnance :       

(illisible).                       

 

 

 

 

 

 

LES MEMBRES DE

L’ACADÉMIE FRANÇAISE

ET DE L’INSTITUT

 

 

M. Paul BOURGET

 

Fustel n’avait que trop raison. La cause profonde de cette haine du passé ne doit pas être cherchée ailleurs que dans l’idolâtrie de ces « faux dogmes » de 1789 si justement nommés ainsi par Le Play. Les instaurateurs de cette funeste idéologie ont prétendu refaire une France à pied d’œuvre.

Reconnaître les vertus de celle qu’ils ont jetée à bas, c’est les condamner et la mystique de leurs héritiers se révolte là-contre. Prononcer le ergo erravi, qui permet de réparer les pires fautes, représente un effort d’esprit et de cœur qui n’est fréquent ni chez les individus ni chez les peuples. Le seul moyen de le provoquer est de multiplier dans l’espèce les études qui prouvent la valeur de la vieille maison dont l’œuvre de ruine continue intellectuellement.

Faisons lire les maîtres qui en ont dénoncé la malfaisance avec le plus de vigueur scientifique : Le Play, que je nommais tout à l’heure, Fustel lui-même, le Taine des Origines, le Renan, de la Réforme intellectuelle et morale, un Funck-Brentauo, un Lenôtre, un Augustin Cochin, un Balzac.

C’est le grand remède, car le vrai finit toujours par avoir le dernier mot.

 

Paul BOURGET.       

de l’Académie Française.  

 

 

 

M. Pierre de LA GORCE

 

Il n’est pas douteux que les manuels d’Histoire employés dans l’enseignement officiel, ne soient en général – et sauf de très honorables exceptions – plus propres à fausser l’esprit des enfants qu’à leur fournir des notions exactes sur le passé de notre pays.

La vérité est altérée d’une double façon, soit par des récits tendancieux à l’excès, soit par omission systématique de tout ce qu’il conviendrait le mieux de mettre en lumière.

Ainsi arrive-t-il que les enfants sortent de l’école avec la persuasion que rien de bon et d’utile n’a été accompli par la vieille France. Ce qui a pour conséquence de les rendre à leur tour les calomniateurs de leur propre histoire et de tuer en eux l’idée de la tradition et la notion du respect.

Aussi je crois devoir adhérer pleinement au jugement porté jadis par Fustel de Coulanges.

Pour guérir le mal, il faudrait non seulement changer les livres, mais surtout insuffler un autre esprit aux maîtres de la jeunesse.

Souhaitons que les pouvoirs publics comprennent un jour que la France porte atteinte à son meilleur patrimoine quand elle se diffame elle-même dans son passé.

 

Pierre de LA GORCE,       

de l’Académie Française.    

 

 

 

M. Louis BERTRAND

 

Vous avez raison de continuer la lutte contre le mensonge de l’Histoire officielle. Voilà longtemps que ce mensonge dure et qu’il a été dénoncé.

De mon temps, l’enseignement de l’histoire dans les lycées était un défi au bon sens, une déformation continuelle des faits sous l’influence de l’esprit de parti, un véritable sacrilège contre la nation. Aujourd’hui, dans nos écoles primaires, c’est, de plus en plus, une entreprise d’obscurantisme et d’abrutissement collectif au profit d’une dégradante tyrannie démagogique. Il est admis, semble-t-il, par nos gouvernants que le peuple n’a pas droit à la vérité.

Les causes d’un tel état de choses sont innombrables. La plus certaine, c’est l’affaiblissement de l’esprit national. Les autorités compétentes, craignant d’être mal soutenues par l’opinion, n’osent pas réagir. On nous conseille journellement d’être de bons Européens, comme si l’Europe réelle n’était pas profondément divisée par des antagonismes et des inégalités irréductibles. Je vois bien au bénéfice de qui notre bon européanisme peut travailler, ou plutôt abdiquer, mais assurément ce ne sera pas au nôtre.

 

Louis BERTRAND,       

de l’Académie Française.   

 

 

M. Louis Bertrand, après avoir contribué à notre enquête, a Publié dans le Figaro la remarquable page qui suit sur les conditions de la vérité historique :

 

L’enquête menée par l’Ami du Peuple, au sujet des manuels d’histoire, a provoqué un beau mouvement d’opinion. Une fois de plus, de bons esprits ont protesté contre ce qu’ils considèrent comme une falsification impudente du passé. On s’est indigné de ce que les écoliers de la République, – et plus spécialement les élèves des écoles primaires, – n’eussent pas droit à la vérité.

Voilà qui est parfait ! Et je n’ai pas besoin d’ajouter que je m’associe de tout cœur à la réprobation de pareils procédés. De mon temps, nos professeurs flétrissaient l’histoire du Père Loriquet – que personne, d’ailleurs, n’avait jamais lue – et nous frémissions, nous aussi, d’une vertueuse indignation contre ce Père Jésuite, qui avait, prétendait-on, accommodé l’histoire au goût des jésuitières. Nous ne doutions point que la République n’eût banni à tout jamais ces tristes pratiques – à tout le moins, de l’Université. Il paraît bien acquis maintenant que c’était une candide illusion.

Mais, dira-t-on, est-il possible de donner à des écoliers la vérité, rien que la vérité, toute la vérité ? Pour peu qu’on y réfléchisse, on comprendra tout de suite combien c’est difficile. La vérité, surtout la vérité historique, est loin d’être simple. Pour saisir les complexités d’un caractère ou d’une situation, il faut des facultés assez rares, tellement rares même, que je me demande si le sens historique n’est pas, de tous, le moins répandu. D’autre part, l’historien doit admettre souvent, sinon concilier des thèses contradictoires. Comment exiger une pareille gymnastique de jeunes cerveaux simplistes ? De toute évidence, l’histoire, comme la physique, la chimie ou l’histoire naturelle qu’on sert aux écoliers, doit être une simplification, une adaptation, plus ou moins artificielle, de ce que l’on croit être la vérité. Et ainsi l’histoire enseignée par les manuels scolaires ne peut être qu’une approximation plus ou moins grossière de la vérité. Tout esprit de bonne foi en tombera d’accord.

Mais, en aucun cas, elle ne peut être un travestissement de cette même vérité. L’histoire simplifiée, adaptée à des intelligences enfantines, ne peut pas être une contre-vérité. Et voilà tout l’objet du débat : qu’entendons-nous par la vérité historique ?

 

*

*   *

 

La plupart des gens ne se doutent pas qu’il y a là une question préalable à poser et qui est de la plus haute importance. Pour beaucoup de personnes qui, par ailleurs, peuvent être fort distinguées, la vérité historique, c’est ce qui flatte leurs passions, leurs préjugés ou leurs systèmes. Nous sommes tous plus ou moins coupables, à notre insu, d’une telle partialité. Mais il y a pis : il y a ceux qui s’imaginent, tout comme le petit élève de l’école primaire, que les faits historiques sont quelque chose d’absolu, de concret, de matériel, de bien arrêté et délimité en ses contours, comme une poutre ou une brique, et que cette denrée se débite au mètre et au poids dans des magasins spéciaux, qui sont les livres ou les manuels d’histoire. Ils sont convaincus qu’un fait extrait de ces manuels, de ces dictionnaires ou de ces encyclopédies, doit être accepté sans discussion, comme vérité démontrée, ou comme réalité qui tombe sous le sens. L’esprit critique est un de ces rares dons, si nécessaires à l’historien, dont le public, même cultivé, est, la plupart du temps, dépourvu.

Établir un fait est une opération des plus délicates. Sauf pour quelques cas bien définis, les preuves à l’appui du fait en question étant toujours insuffisantes, ce fait est toujours sujet à révision. Et l’on trouvera la chose toute naturelle, pour peu qu’on se rappelle combien on est incapable de préciser les circonstances d’un évènement historique dont on a été témoin. À plus forte raison, quand il s’agit d’évènements qui se reculent très loin dans le passé.

Une foule de personnes, et non des moindres, sont persuadées, par exemple, que la charmante Henriette d’Angleterre, la belle-sœur de Louis XIV et l’épouse infortunée de Monsieur, est morte de mort naturelle. N’a-t-on pas fait l’autopsie de son cadavre ? Les docteurs ne se sont-ils pas prononcés ? Que dis-je ? Les célébrités médicales d’un siècle de lumières comme le dix-neuvième siècle, n’ont-elles pas définitivement jugé le procès ?... Je suis persuadé, au contraire, que le procès peut se rouvrir et qu’il se rouvrira. En tout cas, j’admire la crédulité « scientifique » de ceux qui se contentent des « preuves » alléguées jusqu’ici...

L’approche du centenaire de la conquête de l’Algérie m’ayant amené à m’occuper de cette histoire relativement récente, je m’émerveille de constater que la cause initiale de l’expédition, – le fameux coup d’éventail – est considéré comme une légende. Pour ma part, je crois fermement, avec les historiens les plus autorisés, à l’authenticité du fait. Mais je ne m’étonne nullement qu’il soit contesté et qu’on trouve des preuves plus ou moins plausibles en faveur de l’opinion adverse... Pareillement, il m’est arrivé, ici-même, de toucher incidemment à une particularité de la vie du maréchal de Bourmont, le chef de l’expédition d’Alger : je veux dire sa conduite à la veille de Waterloo. Je continue à croire qu’elle est parfaitement justiciable. M. Gustave Gautherot, dans son curieux livre : Un Gentilhomme de grand chemin, nous a fourni, à ce sujet, toutes les clartés désirables. Mais il est trop facile, en interprétant les faits d’une certaine façon, de démontrer la culpabilité de Bourmont. Bien entendu, j’entends parler ici d’historiens sérieux et non de fabricants de manuels ou de dictionnaires biographiques. Les arguments de ces historiens sont spécieux. Je ne prétends pas que les miens soient absolument irréfutables.

Comment trancher le débat ? Nulle méthode dite « scientifique » n’en est capable. Et d’abord c’est une aberration d’appliquer à une science aussi essentiellement humaine que l’histoire, les méthodes propres aux sciences purement mécaniques. À propos du docteur Grasset, le célèbre neurologue, dont on inaugurait récemment le buste à Montpellier, mon cher maître et ami, Paul Bourget, rappelait fort justement que la grande erreur du scientisme est d’appliquer à toutes les sciences une méthode uniforme. Chaque science a ses méthodes propres. L’histoire, qui est au moins autant un art qu’une science, doit avoir des méthodes très particulières. Taine, écrivant à Flaubert au sujet de son Hérodiade, finissait par concéder au grand romancier que « la totalité des mœurs, des sentiments et du décor ne peut être rendue que par son procédé ». Et ce procédé n’est autre que l’intuition du romancier. Il n’y a d’historien complet que celui qui prolonge et qui achève les données strictes des méthodes scientifiques par une divination analogue à celle de l’artiste.

Ceux qui ne sont pas doués de cette intuition, de cette divination spéciales, ne pourront jamais sortir de certains problèmes historiques un peu compliqués. Pour voir clair dans certains évènements ou dans certaines âmes, il faut en quelque sorte avoir vécu ces évènements ou avoir vécu avec ces âmes par l’imagination. Tout le reste n’est que discussion stérile et vaine logomachie. La méthode purement scientifique conduit à écrire des volumes de neuf cents pages pour démontrer qu’on ne sait rien sur la question. Il n’y a pas bien longtemps, c’était le triomphe des disciplines sorboniques et universitaires. L’admirable prouesse d’écrire neuf cents pages pour n’aboutir à rien du tout ! Si encore ç’avait été pour établir que, dans son état actuel, la question était insoluble ! Mais cela même restait à prouver – même après les neuf cents pages !

Montaigne se plaint quelque part que l’histoire soit généralement écrite par des hommes de cabinet qui n’ont aucune idée ni des âmes ni des choses dont ils parlent. Et Barrès, s’il faut en croire ses récents biographes, déplorait que la critique et l’histoire littéraires fussent trop souvent laissées à des universitaires qui peuvent avoir toute espèce de qualités, mais rien de ce qu’il faut pour juger des valeurs littéraires.

Tant il est vrai que le goût, comme l’intuition, des réalités historiques, est un don plutôt rare ! Et par intuition des réalités historiques je n’entends pas une imagination folle qui, à son caprice, déformerait les faits, mais un sens exquis du réel, contenu par une sévère méthode et appuyé sur la plus vaste information. Même avec cela, on ne peut avoir la prétention d’arriver à la vérité historique absolue et incontestable, mais tout simplement à l’opinion qui paraît la plus juste et la plus raisonnable...

 

Louis BERTRAND,       

de l’Académie Française.   

 

 

 

M. Georges GOYAU

 

Une des trois parties du Discours sur l’Histoire universelle de Bossuet s’appelle, d’un mot très profond : « La suite de la Religion ». Reprenant ce mot, il me semble que toute histoire nationale sérieuse et vraiment éducatrice devrait s’intituler : La Suite de la France.

Les manuels qui laissent à l’enfant cette impression que la France date de 1789, méconnaissent cette « suite ».

Les manuels, plus nouveaux, qui visent, eux, à abolir tout le passé, en suggérant à l’écolier cette idée que la seule ère digne d’être envisagée est celle qui date de Lénine, commettent un sacrilège à l’endroit de notre histoire nationale.

Les programmes qui, depuis un quart de siècle, attirent surtout l’attention des candidats au baccalauréat sur la décadence de la monarchie française, en prenant comme point de départ l’année 1715, font dans la trame de notre passé une coupure arbitraire et tendancieuse qu’on ne saurait trop déplorer.

Trop souvent il advient que les notices sur nos curiosités historiques et les explications de certains ciceroni officiels sont, de parti pris, calomniatrices de la vieille France. On me signalait, il n’y a pas longtemps, une notice, destinée aux visiteurs de la Conciergerie, qui n’est certes pas de nature à rehausser le prestige de la France de jadis auprès des visiteurs étrangers.

Nos synthèses d’histoire générale se taisent fréquemment sur certaines de nos gloires les plus pures, en particulier, sur nos gloires missionnaires. Dans l’Histoire de la France contemporaine de Lavisse, dont je ne conteste nullement la haute valeur, il est fâcheux que les magnifiques annales de la France missionnaire au dix-neuvième siècle soient à peine esquissées. C’est une lacune qu’on aurait évitée si, songeant à la France des croisades, à la France qui évangélisa le Canada, on avait voulu chercher, dans le dix-neuvième siècle, la « suite » de cette France-là.

 

Georges GOYAU,       

de l’Académie française.  

 

 

 

M. Pierre de NOLHAC

 

Il n’est que trop vrai que nos historiens, et les plus célèbres, ont calomnié notre histoire. Dès qu’on aborde, par exemple, un sujet se rattachant aux derniers siècles de la monarchie, on s’aperçoit que tout y a été défiguré par une information hâtive, partiale et dénigrante.

Michelet, dont personne ne prend plus au sérieux la folle histoire, continue à régner par le prestige de sa phrase romantique. Faut-il avouer que j’ai commencé mes premiers livres sur Versailles sous l’influence de ce mauvais maître, et qu’en mainte page de mes anciennes éditions traîne cette information surannée ?

Comment ne serais-je pas indulgent pour les auteurs des manuels qui n’ont pu contrôler leurs guides par des enquêtes personnelles, et qui enseignent encore à nos écoles le mépris de l’ancienne France !

Aucun pays ne pratique une telle destruction systématique de l’idée nationale et ne livre les diverses époques de son histoire aux défigurations successives de l’esprit de parti. Nos adversaires savent utiliser notre faiblesse sur ce point. Il y a peu d’années, un film allemand à grand succès courait le monde. Autour de la figure de Madame Du Barry, il groupait, dans une mise en scène ridicule mais brillante, tous les épisodes qui pouvaient calomnier à la fois les Français de l’Ancien Régime et ceux de la Révolution. Aux reproches adressés aux auteurs, ceux-ci répondaient que toutes les paroles projetées sur l’écran étaient prises à nos historiens nationaux.

Il faudra beaucoup de temps, beaucoup de travaux, beaucoup d’efforts désintéressés pour éliminer de nos livres d’enseignement tant d’erreurs et de sottises.

En tout cas, le devoir des écrivains reste tracé : Ne sacrifions jamais, cela va de soi, les droits supérieurs de la vérité à cette vaniteuse apologie nationale dont l’Allemagne nous donne l’exemple, mais consentons, puisqu’il faut choisir, à nous placer au point de vue de la France. La menace qui a pesé sur la patrie doit rendre ses enfants plus attentifs et plus fidèles. Désormais, chaque page que nous écrirons de l’histoire de France portera des marques visibles de notre amour. Nous ne laisserons plus, sous de vains prétextes, rabaisser nos traditions ou diminuer l’honneur de notre passé.

 

Pierre de NOLHAC,       

de l’Académie française.   

 

 

 

M. HENRI-ROBERT

 

Déformer l’histoire est un crime contre la patrie. C’est en exaltant la gloire du passé que l’on élève l’âme et que l’on trempe le cœur des jeunes générations.

Une nation qui mépriserait ou oublierait ses aïeux serait vouée à la défaite et à la ruine.

 

Henri ROBERT,       

de l’Académie française. 

 

 

 

M. Henry BORDEAUX

 

M. Henry Bordeaux rend un juste hommage à plusieurs de nos grands historiens. Mais ce n’est pas à eux que s’adressent les reproches que nous formulons.

Serait-il prêt à accorder le même certificat, – en dehors de Michelet, auquel il va jusqu’à dénier la qualité d’historien, – aux Lavisse, aux Aulard et aux Seignobos, sans parler de ces innombrables rédacteurs de manuels primaires auxquels s’adressent plus particulièrement nos critiques et notre réprobation.

 

Gaston Paris, commençant le 8 décembre 1870 son cours du Collège de France sur la Chanson de Roland, disait : « Une littérature nationale est l’élément le plus indestructible de la vie d’un peuple ; elle place cette vie au-dessus des hasards de l’histoire, des accidents matériels ; elle la prolonge pendant des siècles après que tout le reste et le sol même de la patrie lui a été enlevé. »

L’histoire, à plus forte raison, ne peut-elle être écrite que par ceux qui ont le sens de leur sol et le goût de leur pays. Je ne sache pas que nos grands historiens, les Sorel, les Vandal, les Houssaye, etc., aient trahi leur mission.

Sans doute pensez-vous à Michelet : oui, sans aucun doute, mais Michelet est un poète et un pamphlétaire plutôt qu’un historien.

 

Henry BORDEAUX,       

de l’Académie française.   

 

 

 

M. Henri LAVEDAN

 

M. Henri Lavedan reconnaît avec nous, avec tous ceux qui ont pris part à cette consultation, la réalité de l’affreuse entreprise dirigée contre notre glorieux passé national et qu’il n’hésite pas à qualifier de criminelle et de sacrilège.

L’éminent académicien estime que le mal est irréparable. Il nous permettra de ne pas partager ce découragement.

« Passé de France est mort, dit-il, assassiné par de mauvais Français. »

On ne tue pas le Passé. On le cache ou on le dénature. Ce que de mauvais Français ont fait, d’autres Français peuvent le défaire.

Nous n’avons fias le droit de laisser tomber nos armes avant la bataille quand il s’agit d’un but aussi noble que la conquête de la vérité.

 

Il est profondément vrai que le seul patriotisme – et le seul fécond – est l’amour du passé, sa piété, son respect, sa juste connaissance et son enseignement.

Il faut donc relever cette religion du passé pour assurer la sauvegarde du présent et la clairvoyance de l’avenir.

Les remèdes pratiques ? Hélas ! Je ne les connais pas : ou si je les entrevois, dans un champ trop étendu pour m’y aventurer, je désespère d’en croire aujourd’hui l’application possible.

Passé de France, chez nous, est mort, et bien mort, je le crains ! Les mauvais Français l’ont tué, et, pire que cela, profané. Nous subissons les conséquences fatales de ce crime et de ce sacrilège.

 

Henri LAVEDAN,       

de l’Académie française.   

 

 

 

M. René BAZIN

 

La falsification de l’Histoire de France est une entreprise ancienne, et qui se continue. Elle vise à détacher les enfants, et autres ignorants, de tout ce qui fut bienfaisant et noble dans notre passé : la religion catholique, le goût de la tradition, l’honneur, la fierté, la famille, le travail. Elle a préparé, elle soutient la désastreuse, la cruelle laïcité. Vous avez raison de la dénoncer, après d’autres, d’ailleurs.

Je suis sûr que les historiens vous aideront à la combattre, par le moyen du journalisme populaire.

Pour moi, je ne puis que vous raconter ce petit fait :

Dans la dernière année de la guerre, un matin, je vis entrer chez moi, à Paris, un jeune instituteur en tenue militaire. Il m’apprit son nom, et le nom de la ville où il enseignait. Comme je le priais de me dire ce qu’il avait à me demander :

– Rien, me répondit-il, mais j’ai voulu vous apprendre que je suis libéré.

– Du service ?

– Non : de l’erreur qui a pesé sur moi. J’avais perdu la foi, comme tant d’autres jeunes hommes, à l’école normale primaire. Dès avant la guerre, j’ai découvert que, sur des points importants, l’Histoire que j’avais apprise était incomplète ou erronée. J’ai travaillé ; j’ai refait une partie de ma conscience française. Mais aussitôt, je me suis dit : si j’ai été trompé en Histoire, ne l’ai-je pas été également sur un point plus grave encore, et de plus grande conséquence, et n’ai-je pas eu tort d’abandonner la foi ?

« Je travaillai de nouveau avec des camarades, des hommes plus instruits que moi. Et la guerre m’y aida. Ce que je suis venu vous dire, le voici : j’ai retrouvé ma religion, après cette rude épreuve, et, tout à l’heure, dans l’église voisine, je viens de communier, auprès d’une jeune fille, ma fiancée, qui sera ma femme après la victoire. »

 

René BAZIN,      

de l’Académie française.

 

 

 

M. Gabriel HANOTAUX

 

M. Gabriel Hanotaux nous a adressé la lettre suivante, en la faisant suivre de cette réserve :

 

« Cette lettre, écrite à plume volante, n’est pas pour la publicité. Voyez si vous pouvez en tirer quelque chose. C’est la presse qui tient l’opinion, elle sait bien ce qu’il faut lui dire et ce qu’il vaut mieux réserver. »

 

Nous nous reprocherions de retrancher un simple mot à la Pensée de l’homme d’État et de l’historien. On a vu que nous entendions laisser à nos correspondants l’indépendance la plus absolue et à notre enquête le caractère de l’impartialité la plus complète.

 

 

        Monsieur,

Excusez-moi de n’avoir pas répondu à votre première lettre. J’ai été très occupé ces temps-ci. En raison de votre insistance je vous dirai toute ma pensée sur la question que vous me posez. Cette pensée se trouve être un peu personnelle ; mais qu’y faire puisqu’il s’agit de ma vie tout entière ?

L’inquiétude que vous manifestez au sujet de la façon dont les Français écrivent et enseignent leur propre histoire, je l’ai éprouvée, depuis trente ans que j’ai quitté la politique, comme une véritable angoisse. J’avais été averti par la phrase de Fustel de Coulanges (qui résume toute son œuvre) : « Écrire l’histoire de France, ce fut une façon de travailler pour un parti et de combattre un adversaire. L’Histoire est ainsi devenue chez nous une sorte de guerre civile en permanence... Ils brisent la tradition française et ils s’imaginent qu’il restera un patriotisme français. Ils vont répétant que l’étranger vaut mieux que la France et ils se figurent qu’on aimera la France... »

Cette guerre civile en permanence, voilà à quoi il me paraissait urgent de remédier ; et je savais que la faute venait moins de ceux qui apprennent l’Histoire que de ceux qui l’écrivent.

Aujourd’hui, il est vrai, on va plus loin. Il ne s’agit plus d’altérer et de dénigrer l’histoire de la France, il s’agit de la supprimer. L’Histoire commencera avec Lénine : car cette Histoire, les Soviets ne la suppriment pas, eux ; Dieu sait s’ils la glorifient !...

Vous me demandez de vous indiquer le remède. Il n’y en a qu’un. Avertir et diriger l’opinion. L’opinion seule résistera. Vous ne briserez les règlements et les méthodes funestes, voulus, persévéramment appliqués par nos maîtres d’un jour, que si la nation elle-même se soulève et déclare « qu’elle ne veut pas cela ».

Ne croyez pas, en dépit des apparences, que vous serez abandonné. L’opinion ne sait pas ; mais, d’instinct, elle réagit. Voulez-vous me permettre de vous donner une preuve ou, du moins, de vous soumettre un indice bien encourageant. Ce n’est pas ajouter à une publicité qui est faite que de dire que j’achève, ces jours-ci, une Histoire de la Nation française en 15 volumes in-4° qui a pour caractère de combattre et de dissocier la guerre civile dont parlait Fustel de Coulanges.

Par exemple, nous avons donné, avec M. Goyau, une Histoire religieuse de la France, avec le général Colin, le colonel Reboul, le général Mangin et le maréchal Franchet d’Espérey, une Histoire militaire, etc., etc., etc.

Or cette Histoire, écrite dans un esprit de réparation à l’égard de nos plus hautes gloires, a provoqué une telle adhésion du public que 440 000 volumes sont déjà entre les mains des acheteurs.

Et les listes de ces acheteurs méritent d’être consultées : elles se composent surtout, et en très grande majorité, de petit public, de public « démocratique ». Car c’est lui qui lit, qui achète, qui compare et qui ne veut pas être trompé.

Excusez-moi de vous apporter des précisions si encourageantes, mais il n’y a pas d’autre démonstration que le fait : ce sont des millions de lecteurs qui vont, d’eux-mêmes, au-devant de l’Histoire loyale, honorable et complète. Ceux-là ne vous abandonneront pas. Adressez-vous à eux, ils vous soutiendront. Les bons livres, les fameux bons livres ont un public que les manipulateurs de poisons ne soupçonnent pas. Sans cela ils y viendraient tout de suite et gâteraient notre œuvre par je ne sais quelle Histoire frelatée, pour ne pas dire « romancée ».

Vous me permettrez de vous envoyer, ces jours-ci, l’Introduction à l’Histoire coloniale de la France, où j’expose l’action civilisatrice de la France. C’est un sujet incomparable : mais les grands aspects, auxquels j’ai dû me tenir, sont d’une magnificence qui suffit. Après cela, que pourront dire les supprimeurs d’Histoire ? On n’étouffe pas la vérité.

Donc, dénoncer le mal, le prendre de front, signaler les règlements sournois, les conjurations suspectes, en un mot avertir et former l’opinion ; puis lui fournir de bons livres, de bons manuels, autant que possible illustrés et portant des noms qui inspirent confiance, voilà le plus urgent, et le reste viendra par surcroît.

Je répète sans cesse le mot de notre cardinal de Richelieu : « La France qui, ne se tenant jamais au bien, revient si aisément du mal. »

 

Gabriel HANOTAUX.       

de l’Académie française.    

 

 

 

M. Frantz FUNCK-BRENTANO

 

Votre enquête est on ne peut plus justifiée. Les affirmations de ces deux grands esprits, Fustel de Coulanges et Henri Pirenne, ne sont malheureusement que trop vraies. Un noble écrivain, Albert Duruy, fils du célèbre ministre et historien, écrivait que pour bien aimer son pays il fallait l’aimer tout entier, à toutes les époques de son histoire.

Il est certain qu’on est loin de là en lisant nos histoires et nos manuels officiels. La raison de ce fait lamentable et tristement grotesque est facile à indiquer.

Nous avons été hypnotisés par la Révolution de 1789-94, violente réaction contre tout notre passé alors déjà près de vingt fois séculaire. Toute l’ancienne France, l’affreux Ancien Régime, en est donc à condamner. Or les faiseurs de livres d’Histoire, ceux surtout qui écrivent pour les lycées et pour les écoles du gouvernement, afin d’assurer le succès de leur œuvre, devaient entrer dans les préjugés en faveur chez nos gouvernants. Sincèrement ou non – je veux croire que c’était sincèrement – ils en venaient à salir tout notre passé, voire, dans les temps qui ont suivi la Révolution, le Premier Empire, la Restauration, le règne de Louis-Philippe, le Second Empire, bref, à l’exception de trois ou quatre années révolutionnaires, tout notre passé.

Que de fois ne m’a-t-on pas dit à l’étranger :

La France est le seul pays au monde qui déteste son passé.

Or, de tous les pays du monde, la France est celui qui a le passé le plus glorieux, le plus généreux, celui qui a exercé l’action la plus salutaire, la plus vivifiante sur la civilisation.

« Comprendre, c’est aimer », dit le dicton. Comprenez le passé de la France et vous l’admirerez, vous l’aimerez.

À quels remèdes recourir pour combattre le mal, un mal très grand, qui tendrait à démoraliser la nation et à nous déshonorer ?

Travailler, suivre la voie si merveilleusement tracée par notre École des Chartes, mettre en lumière les livres de nos grands historiens, Fustel de Coulanges, Viollet-le-Duc, Benjamin Guérard, Le Play, Léopold Delisle, Siméon Luce, Alexis de Tocqueville ; de nos jours Camille Jullian, Pierre de Nolhac, Joseph Bédier, Lenôtre, Pierre de Vaissière... Ils ne manquent pas.

Et nous défier, oh ! combien, de Michelet !...

 

Frantz FUNCK-BRENTANO,       

membre de l’Institut.            

 

 

 

M. Fernand LAUDET

 

L’Histoire de France est-elle vraiment déformée dans la plupart des manuels mis entre les mains des élèves de nos écoles publiques ? Je ne le crois pas ; je fais appel à ceux que les circonstances mettent, dans les communes, en rapport avec les écoles et qui ont l’occasion de prendre connaissance des livres distribués aux enfants. Ce sont de petits ouvrages faits en série, généralement très ordinaires, où l’Histoire est présentée sans attrait, parfois avec des omissions voulues, mais aussi sans mensonges trop flagrants.

C’est plutôt dans l’enseignement primaire supérieur, dans les cours tendancieux de certains maîtres, et enfin dans quelques écoles de village, dont une administration coupable et craintive laisse la direction à de mauvais citoyens, que se rencontrent les déformations regrettables si heureusement signalées par l’enquête de L’Ami du Peuple.

Je présume que cette enquête vise surtout l’enseignement primaire, là où les pauvres enfants sont sans défense, car, dans le secondaire et le supérieur, la fraude est moins aisée.

Il s’agit donc de protester contre la distribution de mauvais manuels dans certaines écoles. Le fait est indéniable ; les manuels sont là, et d’ailleurs leurs auteurs et les destructeurs de l’idée de patrie se vantent eux-mêmes de leur mission. Heureusement qu’ils sont une minorité, car il existe toujours des instituteurs consciencieux qui gardent l’honneur de la profession, mais pourquoi ne nous aident-ils pas davantage dans la campagne contre leurs confrères indignes ?

Ce qui arrive pour l’Histoire devait fatalement se produire, depuis que les instituteurs ont été mis dans la crainte de leur enseignement.

On a commencé par modifier les programmes établis par Jules Ferry, en y effaçant le nom de Dieu, puis on a eu peur de parler de morale, en raison de sa parenté avec la religion, et, à l’heure présente, la leçon de morale n’est plus donnée à l’école laïque. Enfin, l’Histoire a paru suspecte, et les maîtres, comme les fabricants de manuels, sont très embarrassés quand il s’agit de parler de Charlemagne, de saint Louis, de Jeanne d’Arc, d’Henri IV, de Louis XIV et de Napoléon ou même simplement de monsieur Thiers. Ils ne reprennent un peu d’haleine, et ne regardent plus avec inquiétude la fenêtre ouverte, que s’il faut commenter l’Inquisition ou la prise de la Bastille.

Mais arrêtons-nous au seuil de ces bêtises.

On demande la cause du mal. Il vient du manque de vocation pédagogique chez beaucoup de maîtres, de l’éducation sans principes qu’ils reçoivent aux écoles normales, de la politique dont beaucoup d’instituteurs sont les fourriers, de l’indulgence extraordinaire des maîtres de l’instruction publique.

Et comment conjurer ce péril ? Comment refaire un enseignement sain et véridique dans certaines écoles, sinon en recourant aux forces de l’initiative privée ?

Qu’une des nombreuses ligues qui défendent dans le pays la probité intellectuelle et morale, signale dans un bulletin largement répandu les extraits des manuels menteurs, et donne aussi les noms de leurs auteurs et des instituteurs coopérateurs, qu’une lutte sans merci soit engagée dans la région où ils agissent, et le bon sens et la vérité reprendront leurs droits. La presse les soutiendra.

Nous demandons aussi au gouvernement de prêter son appui.

 

Fernand LAUDET,       

de l’Institut.           

 

 

 

M. Pierre TERMIER

 

M. Pierre Termier, professeur à l’École des Mines, membre de l’Académie des Sciences, est le plus éminent de nos géologues contemporains.

Sans doute n’est-il pas historien, en ce sens qu’il n’a pas spécialement appliqué son esprit aux époques où l’homme a laissé des traces certaines de sa présence et des souvenirs encore vivants de son activité sur la Terre. Le domaine qu’il explore est plus vaste et s’étend jusqu’aux âges contemporains de la création du monde.

Mais ses investigations à travers la période des grands bouleversements cosmiques l’ont conduit à la préhistoire entourée de tant de légendes et de mystères. Sur ce point très spécial il a pu, en toute compétence, s’inscrire en faux contre l’une des affirmations les plus tendancieuses de l’enseignement primaire. Il se prononce nettement contre l’hypothèse que l’homme descendrait du singe. Il fait litière de ces théories du Transformisme et de l’Évolutionnisme selon lesquelles tous les êtres vivants ne seraient que les états successifs d’une cellule initiale spontanément surgie du sein des mers.

C’est à ce titre que nous avons jugé nécessaire de demander à l’auteur de « À la gloire de la Terre » de participer à une enquête limitée à cette gloire de la France qui ne lui est certainement pas moins chère.

 

Voici, – très brièvement, parce que je ne suis pas du tout un historien – mon opinion sur la question posée.

L’enseignement officiel de l’Histoire de France dans notre pays m’a toujours paru radicalement faussé par la conception jacobine, par la croyance, sincère ou factice, qu’ont ou que manifestent beaucoup de maîtres de l’enseignement secondaire et la plupart des instituteurs publics, qu’il n’y a rien ou qu’il ne s’est rien fait de vraiment bon en France avant 1789 ; que la Révolution française a libéré la pensée humaine et inauguré le règne de la justice, de la vertu, de la fraternité, du bonheur.

La cause du mal est donc la cause même qui a préparé la Révolution et l’a rendue possible. Le mal s’est beaucoup aggravé par la division des esprits, conséquence des luttes politiques.

Les remèdes ? La pacification d’abord ; puis le rétablissement de la vérité historique si souvent outragée. J’insiste beaucoup sur la nécessité de pacifier d’abord, de ne point attaquer, de ne rien faire qui puisse accentuer les divisions et aviver les haines.

Les moyens, ? La presse, le livre, la conférence et ce qui nous reste de la liberté d’enseignement.

Nous avons déjà obtenu quelques victoires : on ne parle plus, on n’oserait plus parler des « ténèbres du moyen âge » ; et le culte de Jeanne d’Arc s’est imposé à l’immense majorité des Français. Continuons sans nous lasser, sans nous décourager jamais.

C’est dire que je suis avec vous, de tout cœur, dans la généreuse campagne que commence L’Ami du Peuple et que je vous félicite d’entreprendre.

 

Pierre TERMIER,             

membre de l’Académie des Sciences.

 

 

 

M. Émile BOURGEOIS

 

M. Émile Bourgeois, professeur à la Sorbonne, membre de l’Institut, à la veille de son départ pour une mission en Pologne, s’est excusé de n’avoir pas le temps matériel de répondre, comme il l’aurait voulu, à notre enquête qu’il approuve des deux mains.

« Il n’est que trop vrai – nous a-t-il dit – que l’Histoire est tendancieusement déformée et qu’il faut protester avec énergie contre les mensonges qui dénaturent notre magnifique passé.

« Mais ce passé est un bloc. Dites bien que le même souci d’impartialité doit s’appliquer à toutes les périodes de notre histoire, même à la période révolutionnaire. Car tout n’est pas également condamnable dans cette tragique aventure. Il est difficile d’affirmer, comme on l’a lait, que toutes les réformes nécessaires se seraient accomplies sans elle. Et puis, à côté de Marat et de Robespierre, il y a Carnot et même, à certains égards, Danton.

« Votre intervention – a ajouté en souriant notre éminent interlocuteur – vient à son heure et l’idée était assurément dans l’air, car je viens de terminer un petit livre qui paraîtra incessamment sous ce titre : Ce qu’il faut connaître du passé de la France ».

M. Émile Bourgeois, en nous remettant les bonnes feuilles de ce volume, a bien voulu nous autoriser à en donner la primeur à nos lecteurs.

Nous ne croyons pas pouvoir mieux faire que de donner intégralement l’éloquente préface qui éclaire tout l’ouvrage.

 

 

À mes petits-fils François et Claude Laroche

 

Vos familles qui se sont unies à Paris, faisant de vous de jeunes et bons Français, ce qui est à la fois un honneur et une charge, y sont venues par étapes successives à travers des fortunes diverses, des extrémités les plus opposées de la France. Vous êtes les arrière-petits-enfants d’une de ces familles de cultivateurs, de laboureurs qui, aux marches frontières de Lorraine et de Champagne, au pays de Jeanne d’Arc, ont défriché les clairières entre les forêts de la Voye, les défendant contre les pillards et les ennemis. Vos ancêtres ont été d’autre part de ces hardis Malouins, « hommes uniques en leur genre » quand ils s’appelaient Duguay-Trouin, Surcouf, de La Bourdonnais, si familiers avec l’océan et ses aventures que leur vie, sur le rocher glorieux et enrichi de leurs exploits redoutés des Anglais, n’a fait longtemps que halte entre leurs courses, jusqu’au jour où ils se fixèrent à La Réunion pour reprendre plus tard la route de France par Marseille.

Notre pays de France a trois faces et trois destinées, l’une tournée vers le continent, les deux autres qui regardent la Méditerranée et l’Océan. Son passé a été, comme celui de vos propres ancêtres, partagé entre ces destinées, fait tantôt d’un effort séculaire pour défendre, à l’Est, le domaine de la patrie, de sa foi et de ses idées et l’y étendre, tantôt de l’instinct puissant qui de tout temps a semé, au-delà des mers, sur les terres lointaines d’Orient, d’Extrême-Orient ou du couchant, les germes féconds de son génie entreprenant et généreux. Mais ces diversités, avec le temps, se sont fondues en une harmonie nationale, œuvre à la fois de la nature, d’une force bienfaisante qui a combiné et compensé les existences régionales des gouvernements, parmi lesquels il y en eut de très grands, d’un peuple enfin qui a eu conscience et volonté de se faire lui-même au prix de durs travaux, de longues souffrances, dans des crises presque mortelles où il n’a jamais désespéré de son avenir. C’est la devise de sa capitale, centre et symbole de toutes les activités françaises. Notre petite et célèbre patrie, comme la grande, est demeurée insubmersible.

À ce passé de la France, dont vous êtes la vivante image sans le savoir autrement que d’instinct, par la visible et présente puissance des aïeux, j’ai consacré cet essai que d’aucuns trouveront peut-être audacieux, à votre intention.

Pour vous je me suis cru permis, au terme prochain d’une vie donnée depuis cinquante ans à l’histoire, de lui demander, ce qui est proprement son grand office, de vous éclairer sur la route française, son point de départ, ses accidents, sa résistance et sa direction, étapes par étapes, jusqu’à notre étape à nous.

Sur cette route, je me suis arrêté au seuil de celle que j’ai pu fournir moi-même dans le temps présent. Nos enfants la jugeront mieux que nous avec le recul nécessaire. Héritiers des générations qui ont parcouru cette route au cours des âges, avant de vous y engager à votre tour, retournez-vous pour recevoir d’elles la leçon salutaire de leur labeur tenace, de leur hardiesse, de leurs épreuves, de leur confiance enfin dans les destinées d’une patrie qu’elles ont forgée à votre usage.

En écoutant cette leçon, vous entendrez des voix lointaines ou proches d’humbles paysans, de marins vaillants, de serviteurs consciencieux du roi et de la nation, attachés à leur tâche ou à leur idéal, avec l’appel des chefs et des héros auxquels elles ont elles-mêmes obéi. Il n’y a pas de pays au monde où les âmes et le sol aient contracté une alliance plus intime et plus forte. Ce langage du passé, c’est celui de la terre fertile de France, de son ciel harmonieux, de ses rivages ouverts à la brise du large et aux vastes espoirs. Je crois en sa vertu ! Croyez en ce viatique d’énergie, de justice et de raison française.

 

Émile BOURGEOIS,       

de l’Institut.            

 

 

 

 

 

 

LES HISTORIENS ET LES HOMMES DE LETTRES

 

 

M. Gustave GAUTHEROT

 

M. Gustave Gautherot, dont les travaux sur la Révolution française ont mis les évènements de cette troublante époque en pleine lumière, est l’un de nos historiens les plus justement appréciés pour sa clairvoyance et pour sa haute impartialité.

L’un de ses plus récents ouvrages, Le Monde communiste, couronné par l’Académie française, éclaire d’un jour saisissant le mouvement bolcheviste auquel l’éminent écrivain a consacré une revue spéciale, La Vague rouge, qu’il dirige avec un scrupuleux souci de la plus exacte documentation.

Il vient enfin de faire paraître, sous le titre Le Communisme à l’école, une brochure destinée au corps enseignant français et qui ne peut manquer d’apporter la conviction à tous les esprits de bonne foi et dans toutes les âmes sincères.

 

Votre enquête sur « Les déformations de l’Histoire de France » soulève l’une des plus graves questions de l’heure présente.

Le mal lui-même crève les yeux. Pour le constater il suffit d’ouvrir l’un des manuels scolaires qui ont la faveur de nos instituteurs rouges, et dont le type achevé est la « Nouvelle Histoire de France », prônée par la Fédération Unitaire (communiste) de l’Enseignement.

Comme vous le pensez, c’est plus qu’un perpétuel outrage à la vérité : c’est un crime contre la patrie, puisqu’on tue l’âme d’une nation lorsqu’on parvient à faire perdre à ses enfants la conscience de ses traditions fondamentales.

La responsabilité première de ce « parricide » incombe aux historiens qui, mettant l’histoire au service de leur politique de parti, et considérant la Révolution française comme un bloc, ont fait, plus ou moins ouvertement, l’apologie de ses pires erreurs et imité les Jacobins dans leur absolu mépris du passé.

Aujourd’hui, socialistes et communistes – dont l’influence sur la masse des instituteurs est devenue prépondérante, au point qu’ils se sont rendus maîtres des conseils départementaux de l’enseignement primaire, du moins en ce qui concerne les quatre membres élus dans chaque département par les instituteurs – mettent l’Histoire au service d’un internationalisme qui nie purement et simplement la patrie, et d’une prétendue « Dictature prolétarienne » qui tend à ruiner la civilisation moderne. Au mépris du droit des parents, ils prétendent pétrir à leur guise l’esprit et le cœur des enfants. L’école leur appartient : ce n’est plus pour eux qu’une « cellule rouge ».

Les remèdes ? Il me semble que les pères et les mères s’indigneraient de telles extravagances, si l’on s’appliquait à leur en faire comprendre la réalité, et que dès lors ils sauraient les arrêter.

Je crois aussi que beaucoup d’instituteurs, égarés par d’effrontés mensonges, écouteraient la voix de la vérité et du bon sens si on prenait la peine de la leur faire entendre.

C’est précisément – permettez-moi de l’ajouter ici – le devoir que j’ai voulu remplir en écrivant la nouvelle étude intitulée Le Communisme à l’école. Elle démontre de façon péremptoire la complète faillite de l’école et du maître d’école communistes en Russie soviétique. Elle prouve aussi que le monopole de la pensée – conséquence du régime communiste – aboutit à la corruption de la pensée et à la négation de toute science digne de ce nom.

Quel instituteur français sachant cela le voudrait ? Et quel intellectuel ne se sentirait pas comme déshonoré en collaborant à l’instauration d’une telle barbarie ?

On m’a objecté que bolchevistes et socialistes ont leur siège fait et ne consentiraient même pas à lire la brochure dont je parle. C’est sans doute exact pour les meneurs ; mais non pour les autres. Ma campagne de Puteaux, Suresnes, Nanterre a établi que les Français en apparence les plus « rouges » déteignent assez facilement au soleil de l’évidence.

 

Gustave GAUTHEROT.       

 

 

 

M. Georges LENÔTRE

 

M. G. Lenôtre, le captivant écrivain qui a su faire revivre intensément l’histoire et qui, dans la longue série de ses ouvrages, a dissipé tant de préjugés funestes, a condensé dans une formule saisissante la réponse à la question que nous lui avions posée.

 

J’ai lu jadis, je ne sais plus où, ce mot plein de bon sens que je propage de mon mieux, selon mes faibles moyens :

« Prétendre que l’Histoire de France date seulement de 1789, ainsi que l’enseigne l’école révolutionnaire, c’est faire commencer à Rouen le cours de la Seine. »

Il me semble répondre, au moins en partie, à la question que vous voulez bien me poser.

 

G. LENÔTRE.

 

 

 

M. Edmond PILON

 

M. Edmond Pilon s’est consacré à l’évocation des figures du passé. Les recherches auxquelles il a été obligé de se livrer dans les archives l’ont depuis longtemps amené à cette persuasion que le visage de la vieille France avait été honteusement défiguré. Il travaille avec un soin pieux et une haute probité littéraire à lui restituer, dans ses ouvrages, sa physionomie vraie, ce souriant visage qui doit attirer à notre patrie la vénération et l’amour de ses plus lointains descendants.

C’est dans cet esprit que, tout récemment encore, M. Pilon nous a donné La Vie de Famille au 18e siècle, ce livre charmant qui s’apparente de si près à cet autre ouvrage que tous les Français devraient avoir dans leur bibliothèque : Les Gens de la Vieille France, de M. G. Lenôtre.

 

Rien ne saurait mieux illustrer l’enquête ouverte par L’Ami du Peuple sur certaines déformations dans l’enseignement historique que le témoignage suivant qui est des plus curieux. Le regretté maître Édouard Schuré, disparu malheureusement depuis, l’a, comme par avance, dans une étude parue dans la Revue Bleue, du 5 novembre 1927, apporté dans ce débat si passionnant. Ce témoignage, l’auteur des Grands Initiés et de tant de beaux ouvrages d’une haute culture, le présente sous forme de souvenir.

Tout jeune étudiant, Schuré, par suite de circonstances fortuites, eut donc la bonne fortune, tout exceptionnelle, de se trouver invité à dîner, un soir de 1867, chez le plus grand poète de l’histoire, chez Jules Michelet en personne.

Là, se trouvaient réunis, entre autres convives, Taine et Renan. La conversation vint à tomber sur les rois de France. Michelet, qui venait justement, dans son Histoire de France récemment parue, de « dépecer » si bien Louis XIV et Louis XV, se montra comme à l’ordinaire, lyrique, éloquent, mais aussi le plus véhément des causeurs, le plus partial des juges.

Renan, par contre, prit comme il savait faire, avec sa bonhomie la plus convaincante, la défense de ces hommes qui – quels que fussent leurs défauts individuels – n’en avaient pas moins réussi à réaliser ce chef-d’œuvre d’équilibre, de parfaite mesure que fut dans son développement et que reste dans ses assises la France dont nous sortons.

« Ce roi de France de la légende, ce faiseur de miracles, ce prince de conte de fées, qui incarna pour des siècles l’idéal de l’âme populaire et la soutint dans son prodigieux labeur, Renan – écrit Édouard Schuré – en dressa devant ses interlocuteurs non pas le portrait idéal, mais le portrait humain, la figure vivante. »

Cette repartie de Renan à Michelet est remarquable ; elle était nécessaire. Il doit y avoir, en histoire, un sentiment de justice. Et c’est précisément parce que le sentiment de justice envers les personnages et de vérité envers les faits n’a pas toujours été observé que l’histoire s’est trouvée faussée dans son esprit et dans sa lettre.

Pour Taine, il demeura, durant ce débat, à peu près silencieux. Ce grand honnête homme (Maurice Barrès, dans de pathétiques cahiers posthumes vient de nous l’apprendre !) « craignait par-dessus tout de forcer la vérité. Il rêvait d’écrire en juxtaposant des textes ». Son Histoire des origines de la France contemporaine n’a pas été réalisée d’une autre manière ni conçue dans un autre sens. Bien loin de haïr le passé de son pays, l’historien indépendant doit l’accepter tel qu’il fut, ne forcer ni les ombres ni les lumières.

« Ne croyons pas qu’il soit bon de dire : par-delà telle date éclatante et rénovatrice, il n’y a rien dans notre histoire, rien que des tristesses, rien que des misères, rien que des hontes. Cela n’est pas vrai d’abord ; et ensuite, cela n’est pas sain pour la jeunesse. » N’est-il pas admirable, ce conseil de Jules Ferry, donné à la date du 10 juin 1882, du haut de la tribune du Sénat, à ceux qui ont pour mission d’enseigner aux jeunes Français non la méconnaissance, non le dégoût du passé, mais son clairvoyant amour, sa compréhension filiale et nécessaire ?

Dans l’histoire d’un peuple, tout se tient, tout est lié : vouloir abolir, au profit d’un présent, si passionnant soit-il, un passé plein de grandeurs, d’efforts, de travaux, n’est-ce pas, par la désaffection et l’ignorance, préparer un mauvais avenir ?

 

Edmond PILON.       

 

 

 

M. René BENJAMIN

 

De René Benjamin cette lettre pleine de verve ironique où, sous les coups de boutoir du satirique, on sent transparaître la sensibilité du patriote exaspéré de voir tant de bêtise acharnée à dénaturer le plus magnifique roman qui soit au monde : le mémorial de la race française.

 

      Cher ami,

Que me demandez-vous là ! Mais je ne connais personne qui croie moins que moi à la vérité de l’Histoire ! Elle n’a jamais existé et jamais n’existera. Tacite n’est pas plus vrai que Michelet, et Michelet n’est pas moins vrai que Fustel de Coulanges. Ils sont tous trois à leur manière des romanciers de l’Histoire. Et il n’y a jamais eu que cela. Tacite est un frère spirituel de Saint-Simon, Michelet de Balzac, Fustel de Mérimée. Tous les six s’appellent des artistes qui déforment la vérité.

Reste la vraisemblance, qui suffit bien, mon Dieu et qui porte un autre nom magnifique : l’illusion de la vie. Quand un artiste nous illusionne, au point que nous croyons vivre dans le passé, c’est un grand historien. Les autres sont des professeurs, des instituteurs, des cuistres.

Ce qui est révoltant dans les manuels d’aujourd’hui, c’est leur pauvreté, le signe de mort dont est marquée chaque page. Pourquoi ai-je écrit que leurs auteurs étaient des crétins ? Parce qu’ils me font bailler au lieu de me passionner, parce qu’avec une Histoire de France, un petit enfant devrait rire, pleurer, rêver. Venez voir les miens : ils se décrochent la mâchoire !

Voilà mon grief. Il n’est pas politique. Il n’est pas d’un homme de parti. Au contraire. Ce que je reproche à ces ânes, c’est d’avoir entre les pattes toute la beauté et toute l’horreur des histoires et des légendes humaines, et de ne savoir rien faire que de ruer dedans, parce que précisément, eux, ils sont politiques et qu’hélas, eux, ils sont d’un parti.

Le remède, demandez-vous ? Il n’y en a pas, mon ami. Vous ne pouvez pas empêcher des idiots de vivre, et demain, d’autres idiots de naître.

Le palliatif ? Il pourrait y en avoir un. Faites écrire un manuel d’Histoire de France par un homme de génie, un manuel qui serait éblouissant, qui emporterait tout, qui s’imposerait, qui forcerait tous les autres à se terrer, à se cacher, à moisir au fond des caves.

Pas facile ! direz-vous.

Mais il n’y a que cela ! Tout le reste, des coups d’épée dans l’eau.

 

René BENJAMIN.       

 

 

 

M. Maurice TALMEYR

 

Maurice Talmeyr a mené campagne, il y a vingt ans, dans Le Gaulois, contre le mal qui fait l’objet de notre enquête. Il nous dit sa joie de voir reprendre le bon combat dans un journal d’une aussi vaste diffusion que L’Ami du Peuple, et il nous rappelle les souvenirs d’une polémique demeurée, hélas ! jusqu’ici sans résultat.

 

On sait combien l’Histoire a été faussée, et combien elle l’est encore. Jamais le désastreux « Pouvoir occulte », et l’empoisonnement Maçonnique ne se sont aussi hypocritement et mortellement fait sentir, et rien ne s’impose autant que la campagne actuelle de L’Ami du Peuple, sur les Déformations de l’Histoire de France. Joseph de Maistre, Albert de Mun et Jean Guiraud, malgré ce qui les éloigne, sont d’un accord saisissant sur la falsification de la vérité historique. On connaît le terrible et célèbre mot de Joseph de Maistre : « L’Histoire, depuis trois cents ans, n’est qu’une conspiration contre la vérité. » Tout le monde a lu, ou devrait avoir lu, le livre de Jean Guiraud : Histoire partiale et Histoire vraie. Il y est établi, avec toutes les preuves à l’appui, que l’Histoire la plus généralement admise enseigne ce qui est faux, et je n’ai jamais oublié l’exclamation poussée devant moi par le comte de Mun dans une conversation sur les manuels scolaires des Écoles libres : « Ah ! les manuels scolaires des Écoles libres ! Il y en a de détestables ! » Même dans les Écoles libres, retrouve-t-on donc, non pas toujours, mais quelquefois ou souvent, la « conjuration » flétrie par Joseph de Maistre, l’« Histoire partiale » dénoncée par Jean Guiraud, et les « détestables » manuels déplorés par Albert de Mun ?

En 1910, je collaborais au Gaulois, et j’y recevais la lettre suivante de M. Richard de Boysson, un érudit apprécié de tous les connaisseurs, auteur de nombreux et savants travaux, et maire de Cénac en Dordogne :

« Monsieur, je copie dans l’Histoire de France d’Albert Malet, mise entre les mains des élèves dans les lycées et même dans quelques maisons religieuses : Parfois, en même temps qu’un bandit, le seigneur était une bête de proie. Tel ce seigneur du Périgord, lui aussi contemporain de Philippe Auguste, qui, dans un couvent, à Sarlat, faisait couper les mains et les pieds, ou crever les yeux, à cent cinquante personnes, tandis que sa femme faisait arracher les seins et les ongles à de pauvres paysannes. »

Et M. de Boysson ajoutait :

« Le seul ouvrage authentique, dans lequel ce fait soit consigné, porte le titre de Chronique de Jean Tarde. Voici comment il est raconté, pages 70 et suivantes : « 1209. – En ce temps, il ne se parlait que des hérétiques Albigeois... L’an 1210, la Croisade fut publiée contre eux ; le comte de Montfort est faict général de l’armée, lequel, leur ayant faict la guerre en Languedoc, ès années 1212 et 1213, vient en Quercy l’année 1214. Et, continuant son chemin et ses conquêtes, il vint ès mois de novembre et décembre, sur le fleuve de Dordogne, pour dénicher les rebelles des places qu’ils y tenaient. Il alla à Montfort, place qu’on estimait imprenable. Néanmoins, il fut priez d’abord et sans résistance. Bernard de Cahusac, signeur du lieu, n’eut pas le courage d’attendre l’armée. Il prind la fuite à la dérobée, et laissa sa maison vide et sans défense. Ce château fut rasé jusques aux fondements, en raison des cruautés que le seigneur et la dame du lieu avaient commis contre les catholiques, car ceux que le tyran rencontrait allant à l’armée, il leur coupait pieds et mains, et leur crevait les yeux, ou les faisait mourir, et sa femme exerçait mîmes cruautés envers les femmes, auxquelles elle faisait couper les mamelles, et le pouce des mains, pour leur ôter tout moyen de gagner leur vie. Le comte de Montfort, ayant pris son logement à Sarlat, trouva dans le monastère cent cinquante hommes et plusieurs femmes qui avaient été estropiés en la façon susdite par ledit Cahusac et sa femme, et qui étaient nourris aux dépens du monastère. »

Comment le manuel Malet pouvait-il laisser ignorer aux élèves que le seigneur de Cahusac était un Albigeois, un hérétique, un traître à la France, un rebelle poursuivi et condamné par l’autorité royale, un seigneur en rupture de seigneurie, c’est-à-dire, en réalité, un faux seigneur ? Il y avait là une omission des plus étranges, et qui avait quelque chose de calomnieux. Je la dénonçais dans un article, et il en résultait toute une polémique et toute une correspondance pleines de surprises et d’enseignements.

D’abord, les manuels Malet ne péchaient pas que par cette incroyable omission sur le véritable et monstrueux Cahusac. On y lisait, à plus d’une autre page, des suggestions et des insinuations singulièrement déplacées et inattendues. Dans le chapitre : L’Église au Moyen Âge, Grégoire-le-Grand n’est plus « Grégoire-le-Grand », mais « Grégoire surnommé le Grand ». On le citait uniquement pour ses richesses. Il n’était plus que Grégoire-le-Riche ! Ailleurs, on lisait à propos de nombreux autres Papes : « Pendant, près de trois cents ans, un grand nombre d’élections furent une occasion de scandales. Les seigneurs féodaux de Rome et des environs se disputaient le trône pontifical, l’achetaient, le vendaient. Des femmes même en disposèrent. Rome, disait un auteur ecclésiastique, n’était plus qu’un cimetière abandonné, visité par des hyènes. » Et c’était tout ce que notait le manuel pour trois cents ans de Papauté ! Que l’histoire des Papes, les papes étant des hommes, n’ait pas toujours été exclusivement édifiante, tout le monde le sait, et c’est entendu ! Mais n’avait-elle vraiment offert, pendant près de trois cents ans, que des scandales ? Pouvait-il être juste et permis de l’écrire, et comment un manuel où cela était écrit se trouvait-il en usage dans des Écoles libres ?

Il y avait là de quoi rester étonné, mais on l’était encore plus, et on éprouvait même de la stupéfaction, en apprenant par des lettres d’abonnés qu’Albert Malet était un fervent chrétien et un catholique pratiquant. D’autres correspondants, professeurs dans des Écoles libres, nous écrivaient de leur côté que le Manuel Malet était le livre d’Histoire le plus répandu dans leurs maisons, et une lettre de Malet lui-même au directeur du Gaulois révélait au public qu’il était bien, en effet, un pur catholique, un fils soumis de l’Église, et qu’il allait demander à son confesseur quel parti il devait prendre en présence de mes attaques.

L’auteur d’un manuel où un Cahussac était représenté, ou peu s’en fallait, comme un seigneur ordinaire, et où l’Église et les Papes étaient traités comme on l’a vu, n’était-il pas, par hasard, un agent de la Secte acharnée de tout temps à nous perdre ? On pouvait, et on devait même en avoir l’idée, mais il ne l’était pas, et, si invraisemblable que cela paraisse, il était même vraiment et sincèrement catholique, mais d’une sincérité comme le libéralisme et les folies intellectuelles du siècle devaient en produire. D’après le jugement même de hautes et insoupçonnables autorités ecclésiastiques, bien placées pour le connaître et qui condamnaient ses manuels tout en l’estimant comme homme, il y avait à la fois chez lui une grande sensibilité chrétienne et un inguérissable esprit révolutionnaire. Religieux de cœur, il ne l’était pas d’esprit, et manquait, au plus haut degré, de cette « formation catholique » dont l’absence dénoncée par Albert de Mun est un de nos fléaux. La guerre venue, il s’engagea, mourut en soldat et sa mort fut celle d’un héros.

Il y aurait tout un volume à écrire sur certains manuels tolérés ou même propagés dans les Écoles libres. La Revue Catholique des Institutions et du Droit contient, dans ses numéros d’octobre 1910, une patiente et sagace étude, aussi remarquable qu’elle fut remarquée, sur les « abécédaires », les « syllabaires » et les résumés d’Histoire mis entre les mains des jeunes catholiques, par les maîtres mêmes auxquels leurs pères et leurs mères les confiaient. Que ne pouvait-on pas être tenté de penser de ce manuel enfantin où, pour apprendre au petit chrétien le bon emploi des verbes et des adjectifs, on lui faisait reproduire et répéter par écrit : J’adore le jeu de dominos... Cette dame juive est bonne... Le roi se montra impitoyable... Les leçons de cette sorte n’étaient pas rares dans nos propres établissements, et ce qui vous frappait aussi, dans ces méthodes de lecture et d’écriture, où les juifs étaient loués, les rois vilipendés, et ou l’on « adorait les dominos », c’était une attention très marquée à éviter le mot Dieu, à ne s’y résigner qu’à la dernière extrémité, à le rayer du vocabulaire.

Lisez le premier livret de la méthode Belot, Devinat et Tourrel, particulièrement en honneur dans les institutions catholiques, et vous ne trouvez ce pauvre et malencontreux mot de Dieu, ni à la lettre D, ni à la lettre I, ni à la lettre U. À chacune de ces lettres, défilent des kyrielles de mots où le D, l’I, l’E et l’U ne cessent de reparaître, et où figure le mot Diable lui-même, mais où le mot Dieu ne figure pas. Pour une fois, à la diphtongue Eu, où il était trop difficile de le cacher, on se décidait à le hasarder, mais relégué tout au bas de la page, comme en pénitence, à côté du mot pieu. Quant à être mis parmi les mots dignes d’une vignette, ou de caractères d’une certaine importance, jamais ! Quant à venir dans une phrase à citer, dans un exemple, jamais non plus ! Et on n’est qu’au premier livret, au plus élémentaire. Quand on prend le second, même au plus bas de la page et dans les caractères les plus microscopiques, même à la diphtongue ieu, le mot Dieu est proscrit. Pieu y a sa place, mais Dieu n’y a pas la sienne !

Autre remarque, également curieuse à faire : non seulement Dieu est exclu, ou mis au-dessous de pieu, mais toute distinction entre « le bien » et « le mal », entre « l’honnête » et « le malhonnête », entre « le moral » et « l’immoral », est soigneusement omise. En revanche, tout ce qui est gourmandise, mangeaille, beuverie, goinfrerie, tout ce qui peut éveiller ce genre de sensualité, y reçoit un développement extraordinaire. À chaque instant, dans ces exercices de lecture élémentaire, quelqu’un mange ou boit, ou boit et mange. On lit sous une image, pour enseigner la lettre i : Vite, vite, du vin ! Puis, à la lettre d, toujours sous une image : Une dinde et une salade ! Puis, toute cette suite de phrases : Mira a dévoré une petite morue... Mira dévore du pâté... Mira dévore du rôti... Camarade Octave, vite une tasse de cacao... Jules va finir sa tasse de café !... Victor se régalera de rosbif... Il y en a, dans ce genre, des paragraphes !

Ainsi, un Albigeois se couvre de crimes, mais on cache sa qualité d’Albigeois, comme si on voulait le faire passer pour un seigneur catholique ! On exile Dieu du vocabulaire, comme si l’athéisme était la Loi, même dans les maisons chrétiennes ! On remplace la morale par une sensualité folle, et cela dans un enseignement annoncé comme religieux ! Voilà ce qui devait se voir et ce qui se voit dans des milieux catholiques ! On comprend, après de pareilles étrangetés, le cri d’Albert de Mun, pourtant modéré dans ses opinions, sur les « détestables manuels » de beaucoup d’Écoles libres. On s’explique aussi les « trois cents ans de conjuration contre la vérité » dénoncés par Joseph de Maistre, et leur mise en évidence par Jean Guiraud dans Histoire Partiale et Histoire vraie !

 

Maurice TALMEYR.       

 

 

 

M. Tristan DERÊME

 

      Mon cher Confrère,

Publiez donc, tous les jours, dans votre journal, un bref chapitre de notre Histoire, non pas un article résumé, mais un chapitre vivant. Tous les huit jours, un rapide coup d’œil sur l’époque évoquée dans la semaine précédente, afin d’en montrer les lignes essentielles. Le seul moyen que nos contemporains connaissent l’Histoire, n’est-ce pas de la leur faire lire ? Et quand ils verront, de la sorte, que les siècles de jadis ou de naguère ne sont point un vain amas de journées mortes, ils se prendront à aimer le passé, comme on aime tout ce qui vraiment vit.

Cordialement,

Tristan DERÊME.       

 

 

 

Auguste CAVALIER

 

M. Auguste Cavalier, secrétaire de l’Action libérale populaire, directeur de l’Agence de l’Intérêt français et du Semeur de l’Île de France, a fait paraître sous le titre les Rouges Chrétiens un ouvrage qui a fait sensation et soulevé de nombreuses et ardentes controverses.

Mêlé depuis de longues années à la politique, dont il a été à même d’étudier les dessous, son opinion est celle d’un homme qui a su observer les hommes et dégager les causes profondes des évènements dont il a été témoin.

 

        Monsieur et cher confrère,

Quel malheur qu’Augustin Cochin, glorieusement mort pour la France, ne puisse être là pour répondre à votre enquête ! Le lucide historien qui a si parfaitement démontré le mécanisme de cette extraordinaire entreprise d’obscurantisme et d’abrutissement que furent, pendant la Révolution, « les sociétés de pensée », vous eût fourni, résumées en quelques paroles lumineuses, les réponses aux questions que vous posez et que, d’ailleurs, tant d’illustres penseurs, philosophes, écrivains, hommes de guerre et hommes d’État, vous ont déjà données, chacun de son point de vue particulier.

Que l’Histoire de France soit trop souvent et systématiquement déformée, surtout dans les manuels de l’enseignement primaire, c’est un fait malheureusement aussi incontestable que déconcertant et navrant.

Ces déformations sont si nombreuses, si monstrueuses, qu’elles ont donné elles-mêmes lieu à une sorte d’Histoire. Il existe, en effet, toute une bibliothèque spéciale où les principales d’entre elles ont été signalées, relevées et redressées.

On a pu, ainsi, noter (je me borne à transcrire quelques têtes de chapitres) le faux pur et simple ; la déformation par lacune ; le faux par disproportion ; le faux par généralisation abusive ; le faux par présentation ; le faux par insinuation ; le faux par équivoque, etc., etc. ; chacune de ces fraudes pouvant être appuyée très facilement d’exemples nombreux et saisissants.

Ce genre de recollement, vous le savez, a été fait plusieurs fois et fort bien fait, mais, tant la matière est vaste, il reste encore incomplet.

Il faut donc répondre très affirmativement à votre première question : Oui, l’Histoire de France est trop souvent déformée. Et cette déformation est systématique et préméditée. Les causes n’en sont pas, au surplus, difficiles à découvrir. Ce résultat navrant est la conséquence d’un système, d’une philosophie, d’une doctrine.

Le dogme révolutionnaire pose, en principe, la souveraineté de l’individu. Plus de cadres sociaux, plus de traditions, plus de lisières imposées à la Liberté ! Chaque génération doit recommencer la société, en toute indépendance du passé, considéré en principe comme une entrave, un objet de dérision et non de vénération.

Dans cette religion nouvelle, l’Histoire est donc naturellement regardée comme une longue suite d’erreurs, de coutumes ridicules, dont il n’y a pas à s’inspirer, mais à se moquer. À quoi bon les rappeler ? Il est plus décent de les ignorer. Si l’on en parle, ce ne saurait être qu’avec pitié et dérision.

Sans doute une conception aussi brutale n’est nulle part ouvertement formulée. Elle existe cependant à l’état diffus, et sous une forme plus ou moins nette et consciente chez tous les esprits que le dogme révolutionnaire a conquis.

Il n’en peut, du reste, être autrement puisque la philosophie révolutionnaire, maçonnique dans son origine et dans ses applications à la vie courante, fait délibérément table rase du passé, et prétend édifier un monde nouveau. Elle ne pourrait donc, sans se renier, enseigner ou laisser enseigner le respect et l’amour des anciens âges.

La Franc-Maçonnerie et sa fille légitime la Révolution, détestent l’Histoire, car elles prétendent remplacer l’Histoire. Et les Francs-Maçons et les révolutionnaires sont absolument logiques en s’efforçant de substituer l’enseignement de la « laïcité » à l’enseignement de l’Histoire. C’est la « Foi » nouvelle, ce doit être aussi (et ce n’est, hélas ! que trop devenu !) l’Histoire nouvelle.

M. Ferdinand Buisson, président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, qui jouit de la plus haute et de la plus incontestable autorité dans le milieu du laïcisme, a dit un jour cette curieuse et significative parole : « Si nous écartons le communisme, c’est la flamme de notre parti que nous éteignons. » Observation juste et profonde, qu’on pourrait, avec autant de justesse et de raison, transposer ainsi : « Si nous enseignons l’amour et la vénération de l’Histoire, c’est notre philosophie que nous bafouons, c’est la doctrine de notre parti que nous renions. »

Aussi bien un congrès d’instituteurs n’a-t-il pas eu, récemment, le triste mais significatif courage de réclamer carrément la suppression de l’Histoire, comme suspecte de corrompre les esprits et de leur faire perdre la foi laïque, hors de laquelle il ne saurait y avoir de salut pour les fils de l’Église, ou plutôt de la Contre-Église, maçonnique ?

Telles sont les causes, infiniment graves, auxquelles il faut attribuer les déformations historiques qui indignent tous les patriotes, qui révoltent au dehors les amis de notre pays et qui sont positivement la honte de l’intelligence française.

Quels remèdes appliquer à de tels maux ? Il y faudrait d’énergiques remèdes d’État. Comment les attendre d’un parlementarisme inspiré, encadré, dirigé par la Franc-Maçonnerie ?

Cependant, une incessante propagande privée par le journal, le livre, la parole, peut et doit être efficace. Ce mouvement est d’ailleurs très bien commencé et votre retentissante enquête y contribuera puissamment.

Il existe, au surplus, des manuels d’Histoire véridiques. Il faudrait les propager. Il faudrait surtout commencer par obtenir qu’ils fussent substitués aux manuels mensongers et tendancieux. Or, vous n’ignorez pas que, même dans nombre d’écoles libres, les manuels scolaires en usage devraient être attentivement révisés. Il arrive trop souvent pour des raisons de programme, d’opportunité, ou pour d’autres motifs plus insolites, que les manuels frauduleux sont les mêmes dans les deux enseignements !

C’est une raison de plus de dénoncer le péril partout où il existe. Et c’est pourquoi votre lumineuse enquête, portée pour la première fois devant un immense public, grâce à la diffusion de votre puissant journal, est, à tous égards, si opportune et sera certainement très utile.

Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, avec mes très vives félicitations, l’assurance de tous mes meilleurs sentiments.

 

Auguste CAVALIER,              

Secrétaire de l’Action libérale populaire.

 

 

 

M. Louis THERY

 

M. Jammy Schmidt nous a reproché de ne pas désigner nommément les mauvais manuels et de laisser dans l’ombre les passages incriminés. L’un des maîtres les plus écoutés du barreau de Lille nous apporte ici de quoi combler cette prétendue lacune.

 

C’est avec plaisir que je réponds à votre appel et vous apporte ma modeste contribution à l’enquête sur la déformation de notre histoire, ses causes et les mesures à prendre pour y remédier.

Je tiens d’abord à vous dire combien je trouve opportune votre initiative ; elle fera connaître aux Français à quel point et de quelle manière systématique on les trompe sur leur histoire nationale, l’une des plus belles, des plus glorieuses dont s’honore la civilisation occidentale.

Pour qui ne serait pas au courant des huttes politiques de nos cent dernières années, il paraîtrait vraiment incompréhensible qu’un peuple devenu, par l’effort plus que millénaire de ses chefs, l’une des plus puissantes nations du monde, en même temps que des mieux équilibrées, qu’un peuple ayant conquis la suprématie matérielle, morale, littéraire et artistique que la France possédait au XVIIe siècle, puisse faire enseigner par ses instituteurs publics que son histoire véritable ne remonte qu’à la Révolution française, qu’il faut faire table rase du passé et n’en parler que pour le flétrir, pour le dénoncer comme une honte dans les annales de l’humanité.

La raison d’être de cet état de choses a été révélée par votre enquête : l’histoire est devenue le champ clos des luttes politiques. Les hommes imbus des idées philosophiques de la Révolution française n’ont vu, dans l’enseignement de l’histoire, que le moyen d’imprégner les jeunes générations confiées à leurs soins de leur mystique révolutionnaire. Pour y arriver, il fallait discréditer notre vieille monarchie, en dénaturant ses actes et ses intentions, en niant ou dissimulant le bien qu’elle a fait à la France, en exagérant autant que possible les fautes qu’elle a commises. Par contre, on ne pouvait montrer assez d’enthousiasme pour tout ce qui rappelle la Révolution ou s’inspire d’elle.

Avec un tel enseignement, on devait forcément former des générations professant la haine du passé et condamnant tout ce qui ne répond pas à la conception qu’on leur a donnée de la société.

Que l’on ne m’accuse pas d’exagérer. Voici ce que je lis dans un manuel scolaire en usage il y a une trentaine d’années, l’histoire de France de J. Guiot et Fr. Mane (p. 4) : « Notre plus grand désir est de faire de nos élèves des hommes de progrès, de bons et sincères républicains, d’excellents Français, qui seront convaincus de la grandeur de l’œuvre accomplie par la Révolution française et continuée par la troisième République. Du commencement à la fin, le plan de nos modestes livres tend vers ce but. »

Donc, pour les auteurs de l’ouvrage, leur histoire de France n’est pas une étude objective, mais un travail dont tous les éléments tendent à mettre en valeur la Révolution française et les gouvernements qui s’en sont inspirés et à dénigrer, par contre, les hommes et les institutions dont les principes sont en opposition avec ceux de la Révolution. C’est ainsi que, sous leur plume, l’histoire de France, jusqu’à cette époque, n’est qu’un tissu d’abominations et de crimes ; elle nous montre un peuple abêti vivant dans le plus dur des esclavages ; mais, avec la Révolution, c’est le despotisme vaincu, c’est la liberté conquise, c’est le bien-être et le progrès intellectuel et moral.

Je n’exagère pas :

Au moyen âge – est-il écrit, p. 36 – le sort du paysan est affreux. Il vit dans l’épouvante et travaille gratuitement pour le Seigneur.

À une époque plus moderne, sous Louis XVI :

Le peuple – dit-on, p. 115 – meurt de faim ! Les paysans amaigris se nourrissent de châtaignes et de raves, comme leurs bestiaux. Les nègres esclaves sont plus heureux : en travaillant pour un maître, au moins, ils sont nourris et habillés ! En France, l’homme de la campagne peine du matin au soir. Que lui reste-t-il quand il a payé les lourds impôts du roi, du seigneur et du curé ? Rien.

Non ! Un Pareil état de choses ne saurait durer ! Le moment arrive où le faible se révolte contre des maîtres avides de plaisirs et égoïstes. Une Révolution est nécessaire !

Que l’on prenne tel ou tel de ces manuels, dans tous on trouvera les mêmes tirades. Voyez, par exemple, les « Récits familiers sur les personnages et faits de l’histoire nationale », par A. Auchard et Débidoud (p. 3 et 37) : Sous l’ancien régime, disent-ils, la plupart des Français étaient fort malheureux, d’abord parce qu’ils n’étaient pas libres, ensuite parce qu’ils n’avaient pas tous de quoi manger.

Il faudrait un volume pour relever toutes les insanités contenues dans ces manuels.

Voulons-nous maintenant voir quelle était, en réalité, la vie du paysan au Moyen Âge ? Ouvrons le livre de M. Léopold Delisle, le savant conservateur de la Bibliothèque Nationale, sur la Condition de la classe agricole en Normandie au Moyen Âge. Nous voyons (p. 189), sous la rubrique nourriture, qu’à l’abbaye de Jumièges le maréchal recevait journellement deux pains, une mesure de vin ou autre boisson du couvent, un plat de la cuisine, savoir six œufs, ou quatre harengs, ou quelque chose d’équivalent. Un pensionnaire des moines de Saint-Ouen, employé à leurs vignes, avait, pendant les vendanges, deux pains par jour, des pois, du lard et du sel. Les religieux de Saint-Vigor-de-Baieux devaient fournir à un de leurs tenanciers, le jour où il hersait les champs du prieuré, un pain blanc, un pain bis, un galon de boire, cinq œufs ou trois harengs. Tout ceci se passe aux XIIIe et XIVe siècles.

Je pourrais continuer les citations, mais celles qui précèdent suffisent pour démontrer que la vie du paysan au Moyen Âge était assez confortable, du moins dans les régions riches, et que s’il y a eu parfois grande misère, par suite de guerre ou de famines, il faut en incriminer non les hommes mais les circonstances ; l’organisation économique du pays n’y était pour rien. Lorsqu’une calamité de ce genre se produisait, les pouvoirs publics faisaient ce qui dépendait d’eux pour y remédier. J’ai sous les yeux un registre tenu par l’un des membres du magistrat de la ville de Lille qui, lors de la terrible famine de 1709, fut chargé de ravitailler la population ; j’y lis que Messieurs du Magistrat ont fait venir, à plusieurs fois, de Hollande, aux environs de quarante mille razières de grains, tant blés que seigles, lesdits ont été vendus aux habitants et le compte a porté passant cinq cent cinquante-sept mille quelques cents florins. Cette somme équivaut à plus de 835 000 francs-or ; elle était considérable pour l’époque. Lille était alors tombée aux mains des alliés, ce qui lui permettait de se ravitailler en Hollande, tandis qu’en France la situation fut terrible, la guerre contre la coalition européenne l’empêchant de s’approvisionner à l’étranger.

Dans son histoire de France, C. Calvet se plaît à dramatiser cette situation assurément très pénible, en disant (pages 109 et 180) :

Les paysans étaient réduits à brouter l’herbe comme des animaux et à ronger l’écorce des arbres ; les plus heureux se nourrissaient de grenouilles et de limaçons. Mais c’est pour amener la suite qui fera contraste : Pendant ce temps, ajoute-t-il, Louis XIV dépensait des millions pour construire le château de Versailles. Là, il nourrissait à sa cour des milliers de nobles, qui se disputaient les pensions et les faveurs. L’argent de la France aurait pu être mieux employé.

La vérité est que Versailles avait été construit au temps de la prospérité du règne et non au moment de son déclin ; et pendant ces années difficiles, Louis XIV envoyait son argenterie et les pièces d’art de Versailles à la Monnaie pour faire face aux difficultés de l’État.

Mais la vérité importe peu à nos auteurs de manuels. Ce qu’il leur faut, c’est démontrer (E. Devinat, Histoire de France, p. 116), les abus de l’ancien régime : Avant la Révolution, dit cet auteur, le roi gouvernait selon son bon plaisir. Les Français lui appartenaient corps et biens. Il n’y avait pas de liberté. Puis (page 126), les bienfaits de la République : Jamais il n’y eut, dit-il, en France, autant de liberté, jamais l’égalité et la justice ne furent mieux assurées. Jamais on ne s’occupa avec autant de soin du bien-être du peuple. La République veut être la protectrice des petits, des humbles, de ceux qui travaillent, luttent et souffrent. Il faut aimer la République.

Tout cela n’est que du boniment électoral. Il est grand temps de démasquer de pareils agissements et c’est servir la France que de mettre un terme au dénigrement systématique de son histoire.

Comment y arriver ? Votre enquête fait faire un premier pas à la question en la posant et en montrant la nécessité de porter remède à cette situation.

Mais le remède, peut-on le trouver ? Quel est-il ?

L’un de vos correspondants l’a vu dans des articles publiés sur des sujets historiques par les journaux comme le vôtre. Je partage son avis, mais je crois que ces articles devraient être demandés à des historiens faisant autorité et porter sur les faits qui ont été les plus dénaturés. Le journal est une excellente chaire de professeur pour réformer une opinion publique dévoyée.

Cela pourtant ne suffit pas ; il serait souhaitable que la presse patriote fît campagne pour imposer aux pouvoirs publics la formation d’une commission composée d’historiens présentant toute garantie de compétence et d’indépendance, laquelle aurait à se prononcer sur l’acceptation des manuels qui peuvent être choisis dans les différents établissements d’instruction publique, et indiqueraient, au besoin, les modifications à y apporter. De cette façon, les manuels qui ne présenteraient pas les garanties de loyauté historique suffisante seraient écartés.

 

Louis THÉRY,            

Avocat au barreau de Lille,   

membre de la Commission historique

du département du Nord.       

 

 

 

M. René GILLOUIN

 

Dans la belle et si nette réponse que nos lecteurs vont lire, M. René Gillouin émet une idée qui est la nôtre depuis le début de cette enquête : celle de mettre le gouvernement quel qu’il soit – car qui sait quel parti détiendra demain le pouvoir – au pied du mur.

Le gouvernement veut-il ou ne veut-il pas la continuation des errements dénoncés et qui prennent aux yeux de l’opinion alertée les proportions d’un insoutenable scandale ?

Toute la question est là.

Selon la réponse qui sera apportée à cette question nous saurons si le gouvernement représente la France ou s’il obéit servilement aux puissances occultes derrière lesquelles il est trop aisé de discerner la main de l’étranger.

 

Mensongèrement me paraît un bien gros mot, et je n’ai jamais eu dans les mains, pour ma part, de manuel d’histoire qui m’ait donné l’impression d’une volonté de tromperie consciente et préméditée.

Quant à tendancieusement, je ne crois pas à la possibilité d’une histoire non tendancieuse. Mais il y a de bonnes tendances et il y en a de mauvaises, et beaucoup de manuels d’histoire sont animés d’un esprit à mon avis détestable, et qui le devient davantage encore du fait que, peu ou pas du tout conscient de lui-même, il se revêt sans hésitation ni scrupule du masque de l’objectivité scientifique, donnant ainsi le change sur sa véritable nature, et devenant par là même un redoutable instrument de corruption intellectuelle et morale.

Le grand péril me paraît là, dans cette mauvaise foi, en quelque sorte substantielle, inhérente aux convictions sincères dans des intelligences médiocres et dans des cœurs étroits.

Poux parer à ce péril, il serait naïf de compter sur l’État, qui l’aggraverait plutôt, étant foncièrement partisan et ayant un intérêt vital à certaines falsifications de l’histoire.

Sur ce terrain comme sur beaucoup d’autres, il faudrait que la nation apprît à se défendre contre l’État, et à lui imposer le primat du point de vue national sur celui d’une faction qui n’a jamais oublié ses origines de révolution et de guerre civile.

Il est vrai, les forces de l’État sont grandes ; mais, dans notre pays de France, les forces de l’esprit de vérité et celles du patriotisme authentique le sont aussi. Nul doute que si elles parvenaient à se conjoindre dans une organisation durable et pour une action persévérante, elles ne l’emportassent aisément.

L’avantage du point de vue national dans une entreprise de ce genre, c’est qu’il peut se présenter hardiment pour ce qu’il est. Tandis que l’invidia démocratique, le fanatisme antireligieux, l’esprit de haine et de désordre, pour se faire accepter, ont besoin de revêtir les apparences de la justice, de la raison, de l’humanité.

Dépouillez-les de leurs masques, mettez à nu leurs hideux visages, et le plus gros de la besogne de salubrité sera accompli. Ceux qui se sont trompés de bonne foi reconnaîtront leur faute, et les autres n’égareront plus que ceux qui voudront se laisser égarer.

Le moyen pratique, me direz-vous ? Ceci sort tout à fait de mon rayon, mais il me semble que l’Association des Pères de Famille qui ont leurs enfants dans les lycées et collèges de l’État, pourrait se saisir de la question, provoquer la constitution d’une sorte de jury d’historiens choisis parmi ceux dont l’indépendance et la probité sont universellement reconnues, soumettre à ce jury tout manuel qui lui paraîtrait d’inspiration suspecte, et, appuyée sur son jugement motivé, entreprendre auprès des pouvoirs publics et dans l’opinion une campagne énergique et tenace pour l’élimination ou la correction de tout ouvrage dûment convaincu d’offense au patriotisme ou de tronquement à la vérité.

Et qu’est-ce qui empêcherait une association semblable de se former pour soumettre au même jury les manuels en usage dans les écoles primaires ?

Alors, de deux choses l’une. Ou bien les pouvoirs publics obéiraient au mouvement d’opinion ainsi suscité, et ce serait la victoire. Ou bien ils lui résisteraient, et, sur cette évidence acquise de leur passion partisane, une vague d’indignation nationale ne s’élèverait-elle pas, qui emporterait tout ?

 

René GILLOUIN.       

 

 

 

M. Émile BAUMANN

 

Des manuels en usage dans les écoles du gouvernement, on peut dire sans exagérer que le meilleur ne vaut rien. S’ils ne déforment pas tous les faits, l’écolier n’en peut retenir qu’une impression : le passé fut barbare et détestable ; la vraie France date de la Révolution, et son bonheur a commencé avec la troisième République.

Sur le Moyen Âge, qu’apprend-on aux enfants ?

Qu’il y eut des seigneurs cruels, des moines rapaces et oppresseurs, des paysans misérables.

Sous les rois « le bon plaisir du Souverain était la seule règle du gouvernement ». Louis XV « fut le plus mauvais de nos rois ». D’où l’on doit induire que tous furent mauvais.

Au contraire, les horreurs de la Révolution sont sous-entendues. L’exécution de Louis XVI est justifiée. Le dix-neuvième siècle est présenté comme « l’âge de la vapeur ». L’histoire du Régime actuel porte ce sous-titre : les merveilles de la Science.

L’esprit de ces manuels est conforme à celui de tous les historiens révolutionnaires et le commentaire oral des maîtres doit en exagérer l’effet.

Pourquoi cette déformation systématique ?

Un Régime issu des principes jacobins, né d’une révolution faite devant l’ennemi, est forcément pareil à un intrus qui, ayant pris de force la maison d’autrui, veut justifier son usurpation en vilipendant les possesseurs légitimes. Impossible d’abolir quatorze siècles d’un magnifique passé ; mais il faut les calomnier, les rendre haïssables pour attacher les générations à ce qui leur succède.

Ajoutons à ces motifs politiques le préjugé inepte du progrès, l’illusion optimiste du radicalisme bourgeois, la foi en la science, le matérialisme des dirigeants d’accord avec celui des masses.

Quels remèdes ?

Le plus essentiel est aussi, en apparence, le plus difficile : comment changer l’esprit du Régime, si le Régime n’est pas changé ? Donner aux enfants d’autres manuels ne suffirait pas si les maîtres continuaient à être formés comme ils le sont. Il faudrait supprimer les écoles normales, séminaires d’intolérance et de pieux mensonges laïques. Or, nos gouvernants se garderaient bien de le faire. Ce serait préparer leur désastre et nier leur propre existence. L’instituteur, tel qu’on l’a voulu, doit rester le missionnaire de l’idée jacobine, implacable pour les faits et les dogmes qui la contredisent. En attendant, il appartient aux bons Français de lui dire : Vous mentez, ou vous croyez et vous enseignez le mensonge. Il se trouve dans le corps enseignant des hommes de bonne foi qui se dégageraient, au moins en partie, de l’erreur, s’ils en avaient l’évidence. Il faut multiplier les livres où l’histoire vraie s’oppose à l’histoire partiale. Il faut prémunir les enfants contre les absurdités qu’on leur inculque.

Tout le problème est d’opposer aux puissances de destruction une plus grande force de reconstruction. Est-ce impossible ? Je ne le crois pas, car la vérité, avec le temps, aura toujours le dernier mot.

 

Émile BAUMANN.       

 

 

 

M. Gabriel BOISSY

 

Les « sciences historiques » ou, plus généralement, l’histoire, ne sont pas une science, mais un art et, entre les arts, le plus incertain de tous. Quelle que soit sa bonne volonté et sa perspicacité, un historien ne peut tout connaître, et même s’il pouvait tout connaître de ce qui est connu, tout cela pourrait être démenti, contredit ou modifié par quelqu’un de ces éléments d’histoire qui ont disparu au cours des bouleversements de toutes sortes. Enfin, au-delà des documents, bien au-delà d’eux puisque c’est la vie elle-même, il leur manque à tous ce je ne sais quoi, ce magnétisme, cette vie de l’âme qui fait qu’un homme que tous les textes, tous les témoignages semblent condamner, fut néanmoins l’homme vertueux, l’homme qui avait raison.

À cause de cela, d’abord, le grand historien belge Henri Pirenne ne s’est pas trompé quand il a dit qu’il semble parfois « que l’Histoire de France ait été écrite par des ennemis de la France ».

Je m’en étais vaguement douté en écoutant certains maîtres ; j’en devins tout à fait sûr grâce à mes recherches pour mon livre sur les Pensées choisies des rois de France, lequel aurait dû s’appeler « les vraies pensées des rois de France » et qui frappa tant de lecteurs comme une révélation. Alors qu’à peu près tous ces rois ne sont présentés par l’histoire que comme une bande de malades, d’ambitieux, de fous, de cruels, de frénétiques, d’anormaux, d’imbéciles, de vicieux ou de nonchalants, je me trouvais, d’après leurs propres écrits, – leurs écrits immédiatement dictés ou ceux de leur propre main – devant une cohorte d’hommes miraculeusement qualifiés pour une mission aussi périlleuse et qui, sauf deux ou trois exceptions, furent tous des chefs exceptionnels, tous pleins de conscience, et presque tous riches d’application, d’opportunité, d’intelligence, et qui, dans une proportion surprenante, eurent simplement du génie. Ajoutez à cela que trois ou quatre d’entre eux devraient, s’ils n’étaient rois, compter parmi les plus grands écrivains français ! Rendons grâce, à cette occasion, à M. Sacha Guitry, qui les a si noblement présentés au Théâtre Pigalle. Marquons ce progrès qui a tout de suite plu au public... sauf à celui de la répétition générale !

Quelle distance, donc, entre ce qu’on nous enseigne, même dans des études supérieures, et la réalité ! Autre chose donne décidément raison à Henri Pirenne : un concours de circonstances a transformé des historiens qui n’étaient certes pas, dès le principe, des ennemis de la France, en véritables adversaires de ceux qui l’ont faite, et, par force, de notre pays lui-même. Le malheur a voulu que les principaux ouvrages de base aient été préparés et écrits durant ce 19e siècle où la France avait perdu toute unité morale, où les passions bouillonnaient de tous côtés, où la politique dominait l’histoire, où chacun cherchait dans le passé des justifications de ses théories, des arguments contre la théorie du voisin. En sorte que nos historiens, qu’ils le voulussent ou non, se sont trouvés être bien davantage des partisans que des observateurs impartiaux.

Or, tout est dans tout, et aux plus belles époques le pire a côtoyé la splendeur. Ainsi donc tous ont pu soutenir les théories les plus sommaires et les appuyer sur des faits incontestables. Ces vérités n’étaient pas le vrai, le vrai total. Ne voyons-nous pas, actuellement, à propos de la récente guerre, des livres aussi incomplets que Le Feu, aussi monstrueusement faux que le fameux livre de Remarque : À l’Ouest, rien de nouveau ? Et l’on admet. Et l’on applaudit.

Comment donc s’étonner qu’au cours de périodes dont plus d’un tiers des témoignages est aboli, dont il ne reste point de témoins, dont l’âme s’est évanouie, comment peut-on s’étonner qu’il y ait déformation ? Plus que déformation, trahison, et plus que cela encore : un mensonge systématique pour persuader nos jeunes gens que la France s’est faite toute seule, et que l’action d’une élite, plus souvent celle d’un homme tout seul, n’ont pas été l’action féconde, qui tira du néant ou de la demi-barbarie une nation plus noble en ce temps-là que ses voisines.

Tout cela vient de la politique et aussi des doctrines allemandes ou orientales du devenir ou de l’inconscient. Le génie français, fils des disciplines classiques ou plus exactement méditerranéennes, sait que toute grande création humaine n’a rien de spontané. Elle doit être conçue et voulue.

Parmi les déformations quotidiennement imposées à l’histoire de France, voici les trois principales :

1° Cacher aux Français que leur pays a été fait par des souverains qui furent des chefs ou des administrateurs merveilleux ;

2° Cacher aux Français que la Révolution française fut une suite et non un début, que quelques hommes, et non la masse, voulurent ;

3° Cacher aux Français que la dernière guerre ne fut pas gagnée seulement par les « poilus » mais aussi et, au début surtout, par leurs grands chefs et leurs officiers.

Que faire pour remédier à cela ? Faire lire aux écoliers et aux étudiants les nouveaux livres d’histoire qui sont enfin aujourd’hui écrits souvent par des hommes qu’une passion n’aveugle pas.

 

Gabriel BOISSY,           

Rédacteur en chef de Comœdia.

 

 

 

M. Pierre DEVOLUY

 

Des maîtres ont déjà parlé ici de la déformation qui consiste à méconnaître, de propos délibéré, l’œuvre traditionnelle de la royauté française, à faire dater, en quelque sorte, l’Histoire de France de la prise de la Bastille, à enseigner que cet avènement, pourtant connu aujourd’hui dans ses moindres détails et ses conséquences les plus évidentes, marqua le soir d’un passé de ténèbres et de tyrannie, l’aurore d’un avenir de lumière et de liberté, à faire croire à des enfants sans défense que leurs pères furent uniquement des serfs misérables et affamés, soumis, sans droits ni recours, au bon plaisir des seigneurs ; et à ne jamais leur parler de ces chartes communales qui, dès le XIIe siècle, confirmaient, au contraire, à ces aïeux, presque partout, dans nos moindres bourgades, des libertés et franchises, individuelles et collectives, dites, la plupart du temps, immémoriales, et qui nous semblent aujourd’hui des contes, selon le mot de Mistral, tant elles étaient libérales et humaines, éloignées de l’esclavage étatiste où nous nous enfonçons toujours davantage.

Je soulignerai, pour ma part, une autre déformation qui me paraît tout aussi grave, sinon plus, et qui fait tenir toute l’histoire de la Gaule dans la chronique de l’Île de France.

En somme, jusqu’à des époques relativement proches de nous, beaucoup de nos pays, encore indépendants, eurent leur histoire propre, très distincte de celle de Paris, et qui ne manqua pas de gloire. On n’en souffle mot à l’école : l’histoire officielle ne s’intéresse à nos pays qu’à partir du moment où ils s’incorporent à la Couronne ; et il semble qu’ils y soient venus comme des enfants trouvés qui n’eurent ni ancêtres ni traditions particulières.

Pour ce qui regarde nos pays de langue d’oc, cette déformation est souvent monstrueuse. Jusqu’au XIIIe siècle, ces pays diffèrent violemment de ceux de langue d’oïl ; et ils tiennent, de très haut, la tête de l’ensemble gaulois par leur culture, la perfection de leur langue littéraire, le lustre de leurs poètes, leurs libertés publiques, la richesse et la puissance de leurs villes dont plusieurs véritables républiques, « parlaient en face » aux empereurs, la magnificence et le libéralisme de leurs princes, puissants protecteurs des poètes, souvent poètes eux-mêmes, et qui toléraient chez eux la liberté de conscience et la satire la plus étincelante et la plus vive des hommes et des mœurs.

Dans nos écoles, l’histoire de ces pays, jusqu’au XIIIe siècle, devrait donc, en bonne justice, tenir la première place. Or, c’est à peine si on y fait une allusion, plus ou moins méprisante, à cette civilisation méridionale qui dicta des lois poétiques à toute l’Europe. Quand on y parle, au Moyen Âge, des deux littératures d’oïl et d’oc, c’est pour ajouter aussitôt : « Nous ne nous occuperons pas de la seconde. » Pourquoi ? N’est-elle pas plus éclatante que la première et tout aussi nationale pour nous ?

Il résulte de cet ostracisme que, si nous voulons étudier sérieusement la langue des troubadours et leurs œuvres, il nous est quasi indispensable d’apprendre l’allemand afin de pouvoir suivre les leçons des professeurs d’outre-Rhin !...

Cette proscription des gloires du Midi date de loin ; elle est systématique, sinon toujours consciente, elle se double d’une foule de mensonges historiques depuis la guerre des Albigeois jusqu’à l’infâme légende du XVe corps, inventée par le ministre Messimy et le sénateur Gervais, en passant par les impostures d’historiens officiels, tels que Lavisse et Rambaud, par exemple, quand, pour pouvoir calomnier les Provençaux, ils dénaturent et falsifient les faits les mieux établis, lors des invasions de 1536 et de 1707.

Je ne vois pas qu’on parle beaucoup de cette déformation séculaire de l’Histoire du Midi. Elle est essentielle pourtant, et déplorable entre toutes, car elle nous prive d’une grande part de nos gloires et de nos traditions nationales. Elle explique, en particulier, ce scandale que Mistral, un des plus grands poètes des Gaules, parce qu’il écrit en provençal – une langue des Gaules – soit actuellement mieux connu en Amérique, en Allemagne, en Italie qu’à Paris, capitale des Gaules.

 

Pierre DEVOLUY,           

Rédacteur à l’Éclaireur de Nice.

 

 

 

M. P. COPIN-ALBANCELLI

 

M. Copin-Albancelli est un vétéran de la lutte antimaçonnique, l’un de ceux, à coup sûr, qui a le plus aidé à mettre en lumière l’influence des forces occultes qui dirigent le monde et menacent de courber définitivement notre pays sous l’abjecte domination internationale de l’or.

Son avis, à cet égard, est donc particulièrement autorisé et l’on constatera qu’il rejoint l’opinion de la plupart de nos lecteurs et la conclusion que nous avons été amenés à formuler nous-mêmes.

 

        Monsieur,

J’ai suivi avec le plus vif intérêt l’enquête que vous avez ouverte dans l’Ami du Peuple.

Il en résulte que le fait des falsifications de l’histoire de la France, connu jusqu’ici de quelques Français seulement, est aujourd’hui établi devant le grand public. C’est un éminent service rendu au pays et même à l’Humanité.

D’autant plus que la constatation du fait ne vous suffit pas. Vous voulez remonter aux causes, afin d’en déduire les remèdes. C’est de la politique pratique ; celle dont la France a besoin.

J’ai sous les yeux le numéro de l’Ami du Peuple dans lequel M. Auguste Cavalier signale l’action maçonnique comme l’une des causes.

M. Cavalier a raison : il faut remonter jusque-là. Son exposé est d’ailleurs aussi solidement appuyé que peut l’être un si bref résumé, en l’état des connaissances actuellement répandues sur la Franc-Maçonnerie.

Mais, précisément à cause de l’état insuffisant de ces connaissances, sa lettre pose un problème qui demande à son tour une enquête pour qu’on puisse donner à votre troisième question (quels remèdes apporter au mal ?) la réponse rationnelle qu’elle attend.

Qu’est-ce, en effet, que cette Franc-Maçonnerie qu’il accuse si justement ?

Ses fondateurs avaient évidemment besoin qu’on se méprît sur elle, puisqu’ils ont imposé des serments de secret à ses membres. Aussi ont-ils fait ce qu’il fallait pour que tout fût problème en elle : son origine, ses actes, sa puissance.

Pour son origine, tout en affirmant qu’elle « se perd dans la nuit des temps », ils se sont arrangés de manière à ce qu’on eût le choix entre plusieurs hypothèses, toutes insuffisamment étayées, toutes, incertaines : origine hindoue, persane, égyptienne, kabbaliste, gnostique, manichéenne, templière, rosicrucienne, protestante, anglaise, allemande... Sans compter les stupides légendes qu’ils ont insérées dans leurs rituels : celle d’Hiram, par exemple, et de la reine Balkis, cette « Veuve » dont tous les francs-maçons se disent les fils. Calcul habile que cette diversité pour des gens qui veulent que le public ne sache pas, qu’il ne comprenne pas le véritable but de leur institution. Car de multiples champs de discussion se trouvent ainsi ouverts ; et tandis que les disputeurs, s’excitant les uns les autres, s’appliquent à passionner le public en faveur de telle ou telle origine, ils laissent de côté ce qu’il importerait bien plus de savoir.

De même, les fondateurs de la Franc-Maçonnerie ont fait en sorte qu’on ne comprît pas les actes de celle-ci, surtout lorsqu’on sait comment elle est composée.

Par exemple, au dix-huitième siècle, alors que les loges préparent la Révolution, elles opèrent leur recrutement, pour une part importante, dans la noblesse et le clergé. Marquis, ducs, princes, religieux, chanoines, abbés, prélats vont chanter des couplets sur la fraternité, de concert avec ceux qui auront pour mission, un peu plus tard, de leur couper le cou. Les deux frères du roi Louis XVI sont « Enfants de la Veuve », comme Danton, Robespierre, Marat et les autres septembriseurs, guillotineurs, étripeurs et noyeurs. La princesse de Lamballe est grande-maîtresse dans cette Franc-Maçonnerie dont certains membres, ses « très chers frères », publient contre la reine Marie-Antoinette dont elle est l’amie intime, les libelles les plus infâmes et les plus mensongers. Les voilà, les falsifications de l’histoire, dans toute leur beauté ! Eh bien, je vous le demande : peut-on trouver les vrais remèdes au mal résultant de ces falsifications, tant qu’on n’a pas l’explication de pareilles anomalies ?

Si maintenant nous parlons de la puissance actuelle de la Franc-Maçonnerie en France, ce sera pour constater que cette puissance est incompréhensible, elle aussi. Tout au moins elle ne s’explique pas par le nombre, puisque les francs-maçons français ne sont qu’une cinquantaine de milliers en face de onze à douze millions d’électeurs non maçons. Elle ne s’explique pas non plus par l’intelligence, attendu que plus des trois quarts de ces cinquante mille francs-maçons sont plutôt au-dessous qu’au-dessus du « Français moyen ». Et ils ont pu, dans de telles conditions, pousser plusieurs centaines d’entre eux tant au Sénat qu’à la Chambre et nous faire ainsi la loi !

Donc problème partout. La constatation des faits, d’ailleurs niés par les francs-maçons aussi longtemps qu’ils l’ont pu, est aujourd’hui acquise. Mais nous n’en pouvons rester là. L’heure est venue de chercher l’explication de ces faits. Où la trouver ?

On le sait maintenant. Elle est dans l’organisation de la Franc-Maçonnerie.

C’est trop simple, allez-vous peut-être penser.

Pourtant réfléchissez : les effets produits par un outil, par un appareil quelconque, ne s’expliquent-ils pas par la façon dont l’outil est construit ? Par celle dont l’appareil est combiné ?

La Franc-Maçonnerie n’est pas autre chose qu’un outil, un instrument. Son organisation est chose matérielle et tangible. C’est une sorte de mécanisme qu’on peut démonter et examiner dans toutes ses parties pour se rendre compte de l’effet produit par chacune d’elles. Or il suffit de l’examiner ainsi pour constater qu’elle produit automatiquement des effets qui contiennent l’explication des particularités dont je viens de parler ; explication qu’on cherche en vain lorsqu’on regarde partout ailleurs.

Alors, me demanderez-vous, comment se fait-il qu’on n’ait pas cherché plus tôt de ce côté ?

Parce que l’essentiel étant là, les fondateurs l’ont caché avec un soin extrême et si bien que pour qu’on ait pu le découvrir, il a fallu un exceptionnel concours de circonstances, parmi lesquelles la guerre mondiale.

Puisque votre enquête sur les falsifications de notre histoire montre que l’action maçonnique a une part importante, sinon prépondérante, dans ces falsifications, ne donneriez-vous pas à cette enquête sa suite naturelle en en ouvrant une autre, dont la Franc-Maçonnerie serait l’objet ?

Vous verriez y participer des spécialistes qui, en vous expliquant le mécanisme de l’organisation de cette institution, en démontant ce mécanisme pièce par pièce, vous mettraient à même de vous assurer qu’il peut être immobilisé, mis dans l’impossibilité de produire les effets en vue desquels il a été conçu, réduit à néant.

Une pareille démonstration, faite devant le grand public, serait d’une importance capitale. Car elle est la condition préalable indispensable pour que devienne visible à tous les yeux et puisse être appliqué le remède non seulement au mal résultant des falsifications de notre histoire, mais aussi à bien d’autres maux dont la victoire remportée sur les champs de bataille ne nous a préservés que pour un temps... peut-être assez court.

 

P. COPIN-ALBANCELLI.      

 

 

 

M. Léon de PONCINS

 

M. Léon de Poncins vient de faire paraître un ouvrage, Les forces secrètes de la révolution, aussitôt traduit en anglais et en allemand, et qui causerait dans tous les milieux une profonde sensation, s’il n’était, dès son apparition en librairie, victime des manœuvres d’étouffement qui accueillent les révélations de cette nature.

 

Est-il vrai que l’histoire de France soit déformée ?

Indiscutablement. Il y a non seulement déformation mais suppression pure et simple. 1 800 ans de l’histoire la plus glorieuse de l’Europe ont été supprimés par un décret. C’est une époque d’obscurantisme et de tyrannie dont il vaut mieux ne pas parler en un siècle aussi éclairé que le nôtre. C’est d’autant plus prudent que certaines comparaisons ne seraient pas toujours flatteuses pour l’époque actuelle.

En 1914 la Cathédrale de Reims a été bombardée et détruite. Comment cela aurait-il remué l’opinion publique, personne en France ne sait que ces pierres ont vu passer tous les plus grands noms de notre histoire ; ces noms même, on ignore jusqu’à leur existence. On ne peut supprimer les vestiges du passé, on ne peut démolir le mont Saint-Michel, le Louvre ou Versailles, mais on a rendu odieux ceux qui ont produit ces merveilles.

Un de mes amis visitait un jour un château du Moyen Âge en compagnie de plusieurs personnes dont une Anglaise. Celle-ci reconnaissait sans peine que c’était fort beau, mais elle ne pouvait admirer en toute tranquillité d’esprit parce qu’elle savait que les seigneurs d’alors égorgeaient l’un de leurs rabatteurs au retour de la chasse pour se laver les pieds dans son sang. C’est, paraît-il, un fait connu. À quoi bon lui expliquer que déjà au Moyen Âge on savait que l’eau lave mieux, plus vite et plus facilement que le sang ? Mon ami n’essaya même pas.

Actuellement 39 millions de Français sur quarante ne savent de l’histoire de France avant 1789 que ce qu’ils en voient au cinéma. Récemment j’ai été voir un film dont la presse a fait grand cas : La vie merveilleuse de Jeanne d’Arc, avec Simone Génevois. Production Natan. On peut se demander si M. Natan est très qualifié pour reconstituer l’histoire de France, et la suite du film justifie nos craintes. Au point de vue photographique, le film est excellent et se déroule en majeure partie dans un cadre splendide, celui du mont Saint-Michel et d’Aigues-Mortes, mais c’est le côté historique qui nous occupe ici :

Nous y voyons Charles VII occupé à de futiles intrigues au milieu d’une cour corrompue (au cinéma les cours sont toujours corrompues). On nous laisse clairement comprendre que s’il ne lui reste plus que Chinon et Bourges, c’est qu’il préfère s’amuser avec les belles filles qui l’entourent plutôt que de défendre son royaume. À côté de lui La Trémoille, « méchant fourbe cynique et usurier » (Natan dixit). Plus loin un écuyer harnache La Hire. Celui-ci se laisse faire en mangeant à même un morceau de viande ; les cochons mangent moins salement que lui. Dès que c’est terminé il envoie rouler son écuyer d’un grand coup de pied dans l’estomac. Un cousin du roi, sire Gilles de Rais, profite du tumulte pour faire enlever une jeune fiancée, il va la violenter dans son château. Une sorcière rit sardoniquement, un hibou s’envole, cuivres tragiques à l’orchestre ; au dernier moment Jeanne d’Arc paraît et empêche le viol. À ce moment un fou-rire général secoua notre groupe au grand scandale de nos voisins immédiats. Cela dure ainsi pendant deux heures. Jeanne d’Arc est une sainte, ce qui est bien mauvais, mais elle rachète ce grave défaut par son origine paysanne qui met en valeur la turpitude des Seigneurs et du clergé.

Quelle impression doit avoir le public illettré à la sortie d’un tel spectacle ! Quel ne serait pas son étonnement d’apprendre que beaucoup des plus grands esprits considèrent le Moyen Âge comme une des plus belles époques de l’humanité. Ceci nous amène à la deuxième question : cause du mal.

Dans un but politique et démagogique, il faut à tout prix rendre le passé odieux et attiser la haine de classe, car le mouvement révolutionnaire actuel est l’antithèse de ce qu’a été la civilisation française pendant 1 800 ans. Pour éviter des comparaisons fâcheuses, on supprime ce passé ou on le déforme systématiquement. On s’est particulièrement attaqué à l’idée de monarchie, car la haine de cette dernière est le lien qui unit tous les partis révolutionnaires dans un sentiment commun.

Le remède ?

Le vrai remède est politique, on ne peut le discuter dans les quelques lignes d’une consultation.

 

Léon de PONCINS.       

 

 

 

 

 

 

LES HOMMES POLITIQUES

 

 

M. Léon BÉRARD

 

M. Léon Bérard nous a fait le très grand plaisir de nous adresser la réponse qu’on va lire.

Le lecteur retrouvera dans cette page les qualités de finesse et d’élégant atticisme du lettré qui dirigea trop peu de temps les destinées de notre enseignement national.

Ce ministre de l’Instruction publique auquel il fait une allusion discrète et qui, entre 1919 et 1924, émaillait ses discours de citations de Fustel de Coulanges, quel autre serait-ce, sinon lui-même ?

Le regret n’en est que plus vif de songer qu’une semblable carrière ait pu être entravée par la pelure d’orange dont dépend la chute d’un ministère.

 

Les questions auxquelles vous voulez bien me demander de répondre touchent à des traits profonds de notre complexion politique et de notre destinée de nation. Nos querelles principales ont leur source dans le passé. Nous sommes un peuple divisé à propos de son Histoire, et l’un de ceux, d’ailleurs, où le sentiment de l’unité nationale est le plus fort... Il n’est pas très étonnant que l’enseignement de l’Histoire, chez nous, se soit assez souvent ressenti des disputes civiques.

« L’Histoire est devenue une sorte de guerre civile en permanence. » Ce fléau fut dénoncé, au lendemain de 1870, par Fustel de Coulanges, dans les belles et graves sentences que vous voulez bien nous rappeler et qu’un ministre de l’Instruction publique avait citées plusieurs fois, dans ses discours, entre 1919 et 1924.

Il y a cependant, sur les diverses façons d’écrire l’Histoire, un texte plus ancien que je crois très digne de remarque ; je vous demande la permission de le verser au dossier de votre enquête. Montesquieu a écrit : « Dans les monarchies extrêmement absolues, les historiens trahissent la vérité parce qu’ils n’ont pas la liberté de la dire ; dans les États extrêmement libres, ils trahissent la vérité à cause de leur liberté même, qui, produisant toujours des divisions, chacun devient aussi esclave des préjugés de sa faction qu’il le serait d’un despote » (Esprit des lois : Liv. XIX, chap. XXVII).

Si j’ai transcrit ces lignes, ce n’est point pour le plaisir d’étaler une belle phrase de construction latine et qui pourrait bien passer pour incorrecte aux yeux de tels auteurs de manuels. Il m’a semblé que Montesquieu nous menait avec une brièveté impérieuse au point capital du débat et qu’il nous aiderait, non moins sûrement que Fustel, à discerner la nature et l’origine du mal. Il serait malaisé de mener à bien une telle recherche sans mettre en cause la politique et les lois.

Mais il faut d’abord reconnaître que le mal est limité. C’est dans quelques manuels en usage dans l’Enseignement primaire que se rencontrent surtout, sur le passé de notre pays, des jugements qui manquent de sérénité.

Il y a quatre ou cinq ans, un ministre de l’Instruction publique, M. de Monzie, ayant osé réclamer que les futurs instituteurs fussent élevés par l’Enseignement secondaire, un fonctionnaire, qui représentait ce ministre en province, publia un article dont j’ai gardé un souvenir très précis. Il y disait en substance qu’au lycée on enseigne l’esprit critique ; et il se demandait où l’on enseignerait la laïcité quand on aurait supprimé les écoles normales des départements.

Voilà une parole qui est, en son genre, aussi considérable que celle de Montesquieu citée plus haut. Il est bien clair que, pour l’honorable fonctionnaire, la laïcité est autre chose qu’une règle de droit public garantissant la liberté des consciences par la neutralité religieuse de l’État. Il s’y mêle assurément, dans sa pensée, quelque dogmatisme : la laïcité est une foi qui s’enseigne ou se prêche. Et la candide antithèse proposée là entre l’esprit critique et l’esprit laïque offre un riche et beau sujet de réflexion.

L’objet de l’enseignement primaire se détermine, peut-on dire, par l’âge de l’écolier. Apprendre à lire, à écrire, à compter, distribuer les notions qui sont au commencement de toute connaissance et par quoi l’élève sera préparé à la pratique de ses devoirs, à l’exercice de ses droits et au soin de ses intérêts dans un temps et dans un pays donnés : fonction modeste, difficile et immense dont tant d’instituteurs s’acquittent excellemment ! Mais beaucoup de choses se passent, quant à la formation du maître comme si celui-ci était destiné à enseigner en outre une conception de l’univers.

La formation des maîtres : le problème est là. Les questions que vous nous posez s’y rattachent de la façon la plus évidente. Qu’il s’agisse d’Histoire ou de toute autre « discipline », l’éducateur se trouvera mal préparé à son rôle, si vous le soumettez, dans une sorte de noviciat laïc, à un enseignement cyclopéen et dogmatique, qui présuppose d’ailleurs une culture lentement acquise et qu’il n’a point reçue. Plus il aura de zèle et plus facilement il cédera parfois de la meilleure foi du monde à des « préjugés » de « faction ».

Il se rencontre beaucoup d’âmes ardentes et de vives intelligences parmi ceux qui se consacrent à l’éducation populaire. Je ne crois pas qu’il y ait dans l’État de question plus importante que celle-ci, et dont les vôtres dépendent, je le répète : éviter que ces forces spirituelles et ces dons ne soient déviés et pervertis par un enseignement vainement métaphysique, peu propre à former le jugement.

Que les futurs maîtres de la jeunesse aillent, avant toute initiation professionnelle, apprendre, comme disait l’autre, l’esprit critique dans l’enseignement secondaire. Ils en seront mieux disposés à entendre et à respecter le beau mot de Fustel : « la chasteté de l’Histoire ».

Il se peut que ce ne soit là qu’une partie du problème ; et chacun sent comme le problème tient de toutes parts et par des « adhérences » profondes à la politique. Ce qui n’est pas pour présager une discussion aisée, ni une solution prompte.

Il est par ailleurs probable qu’au pays de Voltaire et de Bossuet les disputes sur la destinée humaine tiendront toujours une assez grande place dans la vie publique. Encore est-il qu’une bonne culture et l’impartialité de l’esprit, chez ceux qui enseignent, contribueront à ennoblir ces polémiques, à les expurger de leur pouvoir dissolvant. Précisément parce que nous sommes le pays de Bossuet et de Voltaire, il paraît impossible que nous soyons voués à prolonger indéfiniment le dialogue du curé et du pharmacien dans Madame Bovary.

 

Léon BÉRARD,       

sénateur, ancien ministre

de l’Instruction Publique.

 

 

 

M. Henri FOUGÈRE, député

 

M. Henri Fougère, député de l’Indre, nous écrit pour nous rappeler son intervention, dès 1914, en faveur des idées que nous défendons, au cours de la discussion du projet de loi relatif à la fréquentation scolaire.

Celte lettre offre le plus vif intérêt. Elle démontre, en effet, le parti pris évident des francs-maçons, maîtres du pouvoir, de maintenir les Français dans l’ignorance systématique du passé de leur pays, et l’opposition irréductible des partis politiques courbés sous l’obédience des Loges à toute mesure susceptible de contribuer au rétablissement de la vérité historique.

C’est, une lois de plus, la preuve la plus nette de l’intervention maçonnique dans le sens antinational.

Nous demandons à M. Henri Fougère de bien vouloir, à la faveur du retentissement de notre campagne, reprendre son amendement, en le transformant au besoin en proposition de loi, et de mettre ainsi le gouvernement en demeure de prendre nettement ses responsabilités devant l’opinion.

Nous nous permettons de signaler à M. Fougère l’intérêt qu’il y aurait à faire figurer, parmi les membres de la commission centrale qu’il préconise, deux délégués de l’association des pères et mères d’élèves des collèges et des lycées.

 

Je lis avec beaucoup d’intérêt l’enquête que vous avez ouverte dans les colonnes de L’Ami du Peuple, sur les déformations de l’Histoire de France.

On met entre les mains des élèves de nos écoles des manuels scolaires dont beaucoup ressemblent davantage à des ouvrages de polémique ou de propagande politique qu’à des études véridiques et impartiales.

Actuellement, les maîtres de chaque canton dressent la liste des ouvrages dont il ont reconnu la supériorité. Ces listes sont soumises, par l’inspecteur d’académie, à une commission départementale composée d’inspecteurs primaires, des directeurs et professeurs d’école normale, et, une fois révisées par cette commission, elles font loi pour l’étendue du département.

Dès 1914, j’avais été frappé par les inconvénients de ce système et j’avais déposé à la Chambre, dans la discussion du projet de loi relatif à la fréquentation scolaire, un amendement tendant à la création d’une commission centrale chargée de donner son visa.

Mon amendement était ainsi rédigé :

...Les livres dont l’usage dans les écoles est régulièrement autorisé sont ceux choisis par les commissions départementales, mais ne peuvent être soumis au choix des commissions départementales que les livres ou manuels qui ont obtenu le visa d’une commission centrale siégeant à Paris et composée de :

3 délégués de l’Académie française ; 3 délégués de l’Académie des Sciences morales et politiques ;

2 délégués de la Sorbonne ; 2 délégués du Collège de France ; 1 délégué de la Faculté de Droit ; 3 délégués choisis par le ministre de l’Instruction Publique ;

2 délégués choisis par le Conseil supérieur de l’Instruction Publique.

La commission dont je proposais la création aurait donné son visa à tous les ouvrages qui lui auraient paru respectueux tout à la fois de la neutralité telle que l’ont voulue les lois de 1882 et 1886, de la vérité historique et de la morale universellement admise. Elle aurait été composée d’hommes éminents présentant toutes les garanties nécessaires d’impartialité et de liberté d’esprit.

Le choix des commissions départementales n’aurait pu s’exercer que sur les manuels ayant obtenu le visa de cette commission centrale.

Mon amendement, que je soutins à la séance du 19 janvier 1914, fut combattu par M. Viviani et repoussé, bien entendu, par la majorité radicale-socialiste de la Chambre d’alors.

 

Henri FOUGÈRE,       

député de l’Indre.      

 

 

 

M. E. DESSAINT, député

 

Voulez-vous me permettre de donner mon humble avis sur la question de l’enseignement de l’Histoire à l’École.

Cet enseignement, à l’école communale surtout, est forcément restreint. Il se réduit aux grandes lignes. Ne pensez-vous pas qu’une étude de l’histoire locale le compléterait heureusement ? L’enfant pourrait suivre l’évolution de ses ancêtres et, passant du particulier au général, se faire une idée exacte de ce qu’a été la transformation économique et sociale de notre pays au cours des siècles. En voulez-vous un simple exemple :

J’ai publié l’Histoire de Coulommiers, des origines à nos jours. Si les enfants de nos écoles l’avaient entre les mains, ils constateraient qu’avant la Révolution, l’industrie – celle de la tannerie notamment – était ici très prospère et qu’elle favorisa l’accession à la fortune de nombreuses familles columériennes qui avaient leur origine dans le peuple.

Ils verraient encore qu’un large esprit de solidarité animait les membres de nos anciennes corporations.

Le Règlement de celle des Tanneurs, publié en 1500, Jean Galoppe étant bailli de Coulommiers, est à ce sujet significatif.

Je pourrais multiplier ces exemples qui plaident en faveur de l’étude de l’histoire locale.

Il est pour le moins étrange que le ministère de l’Instruction publique reste indifférent à ce mode d’éducation populaire qui pourrait donner d’heureux résultats.

Une campagne menée en ce sens finirait par aboutir et rendrait de grands services.

 

Ernest DESSAINT,       

député de Seine-et-Marne.  

 

 

 

M. Léon MIRMAN

 

Vous me demandez s’il est vrai que la plupart des manuels d’Histoire mis entre les mains des élèves de nos écoles publiques tendent à inspirer aux jeunes gens le mépris et la haine du passé et, par voie de conséquence, à tarir en eux la source même du sentiment national.

Je n’en sais rien, n’ayant pas, depuis longtemps, lu ces manuels. Mais cette aberration criminelle est malheureusement très probable. Il serait extraordinaire que ces manuels fussent autres. Si j’écrivais un tel livre avec l’espoir qu’il fût officiellement adopté, c’est bien à une telle falsification de l’Histoire qu’il me faudrait m’abaisser. La nouvelle doctrine républicaine ne répand-elle pas ce dogme qu’avant la Révolution française la nuit régnait sur le monde et que de 1789, ou mieux de 1793, date le commencement de la lumière, de la fraternité, du progrès ?

Je dis « la nouvelle doctrine », car les vieux républicains qui m’ont élevé – encore qu’ils n’aient pas connu toute la vérité sur les journées de la Révolution – avaient une autre âme ! Mais dans cet absurde régime, sous lequel le Forum ressemble à la cour d’un asile d’aliénés, reconnaîtraient-ils ce qu’ils rêvaient de construire ? Je vois bien une grossière caricature de la République : une République comme celle dont « mes chers vieux » m’avaient appris à aimer l’idéale figure, une République sévère aux puissants, douce aux faibles, forte et généreuse, subordonnant les intérêts de partis à l’intérêt national, une République honnête, pure, exaltant chez tous le sentiment du devoir, ayant pour ressort la vertu civique, la République enfin ? Non pas !

Cette République était-elle même réalisable ? C’est l’angoissante question. Peut-être bien eût-il fallu que les hommes ne fussent pas ce qu’ils sont. Tout de même... Mais à quoi bon récriminer ? Il est trop tard. Il faut bien, en effet, le reconnaître : la tare essentielle, le vice rédhibitoire d’une « démocratie parlementaire », c’est qu’elle est incapable de se réformer et que, par une pente fatale, elle glisse vers le pire.

Le remède, me demandez-vous ? Eh ! là, monsieur, laissez-moi philosopher, j’ai passé l’âge de l’action.

D’ailleurs, à ceux qui, comme moi, ont participé à tant d’erreurs, il ne convient pas de donner des conseils.

Puissent les jeunes réfléchir et profiter des douloureuses expériences de leurs aînés.

 

Léon MIRMAN,       

ancien haut commissaire

de la République à Metz.

 

 

 

M. Gustave HERVÉ

 

Voici le document capital de cette enquête.

M. Gustave Hervé est une victime des manuels scolaires mensongers que nous dénonçons. Il l’avoue sans détours.

Tout au long de la route qui le conduisit de l’école primaire à l’enseignement secondaire et finalement, en passant par la Sorbonne, à l’École Normale Supérieure, ce Breton obstiné se nourrit de la viande creuse des fausses doctrines.

L’horreur d’un Passé que ses maîtres successifs lui avaient appris à honnir le jeta, comme tant d’autres, en pleine fougue de jeunesse, au désordre et à l’anarchie.

C’est alors qu’il lança, comme un brûlot de guerre, un manuel d’histoire qui dépassait en violence et en parti pris les plus perfides de ces ouvrages destructeurs de l’intelligence française.

Devenu l’un des chefs du parti socialiste unifié, adversaire de l’Armée et de la Patrie, ce révolté devait trouver un jour son chemin de Damas. Deux ans avant la guerre, devant une réunion de 5 000 travailleurs syndiqués, il n’hésita pas à confesser publiquement son erreur. La guerre fit le reste.

« Prononcer – écrivait, au début de notre enquête, M. Paul Bourget – le ergo erravi qui permet de réparer les pires fautes représente un effort d’esprit et de cœur qui n’est pas fréquent ni chez les individus, ni chez les peuples. »

M. Gustave Hervé a eu, il faut l’en féliciter hautement, le courage de cet effort. Issu d’une ancienne famille de corsaires, de soldats et de prêtres, il s’est senti – comme il nous le disait lui-même – irrésistiblement tiré par ses morts, poussé à l’action bienfaisante et réparatrice.

Il vient, sous l’influence de cette impulsion, d’écrire un nouveau manuel d’histoire, conçu dans le sens national et qui prend le contre-pied à peu près exact de l’œuvre de jeunesse dont il se propose de détruire l’effet pernicieux sur ses premiers lecteurs.

C’est la préface de cet ouvrage, véritable mea culpa de l’écrivain, que nous sommes heureux de placer sous les yeux du lecteur.

 

 

AVERTISSEMENT

 

L’auteur de cette Nouvelle Histoire de France a été jeté, enfant et adolescent, dans l’illuminisme révolutionnaire, par la façon dont on lui enseigna l’histoire de son pays à l’école laïque et dans les lycées de la troisième République.

À l’école laïque ses bons maîtres, qu’il aimait et dont il a conservé le meilleur souvenir, lui avaient enseigné ce qu’on leur avait enseigné à eux-mêmes, à savoir que le peuple de France avait eu jadis la malchance d’être abêti par des prêtres, des moines et des évêques qui en avaient fait leur jouet et leur souffre-douleur ; par des rois et des seigneurs qui l’avaient opprimé, saigné à blanc, et maintenu exprès dans l’ignorance, d’accord avec les prêtres, pour mieux l’exploiter ; mais heureusement, en 1789, le peuple de France s’était révolté contre cet affreux régime ; dans un magnifique élan il avait pris la Bastille, et fait régner dans notre pays la liberté, l’égalité et la fraternité. C’est de cette mémorable Révolution que datait vraiment la France.

Au lycée, des professeurs qui avaient plus de peaux d’âne universitaires que les maîtres de l’école laïque, lui avaient présenté plus tard un tableau analogue de l’Histoire de France, avec un art plus nuancé. Et quelques-uns des grands maîtres de la Sorbonne, dont les noms étaient célèbres et l’autorité incontestée comme historiens, le confirmèrent avec preuves, documents et archives à l’appui, dans cette opinion peu flatteuse sur l’ancien régime et lui communiquèrent leur enthousiasme pour la République laïque, démocratique et sociale.

Devenu professeur agrégé d’histoire à son tour, il voulut transmettre la bonne parole aux nouvelles générations. Son zèle fut si grand, qu’il dut quitter l’Université, ou, ce qui est plus exact, que l’Université dut le quitter, à cause de son illuminisme révolutionnaire qui lui faisait dire et faire toutes les sottises que les collectivistes S.F.I.O. et les communistes disent et font aujourd’hui.

Il profita de sa complète indépendance retrouvée pour écrire, il y a quelque vingt ans, une Histoire de France qui fut un beau réquisitoire contre la France d’avant 1789, un panégyrique bien senti de la Révolution de 1793, et une exhortation enthousiaste à préparer une Révolution communiste internationale qui compléterait heureusement l’œuvre magistrale, mais incomplète, des grands ancêtres de la Convention. Beaucoup d’instituteurs lurent ce livre avidement et trouvèrent qu’il répondait à leurs sentiments les plus intimes. Un certain nombre d’entre eux en demandèrent l’inscription sur la liste des manuels scolaires officiels. Et, il aurait bien pu devenir un manuel classique si une interpellation à la Chambre d’un député nationaliste du temps n’avait intimidé le Gouvernement et ne l’avait décidé à condamner ce livre comme un peu trop subversif pour être mis entre les mains des écoliers. Le livre interdit n’eut que plus de succès près des instituteurs et dans une certaine mesure contribua au déraillement intellectuel de notre corps enseignant actuel.

La guerre est venue. Ce qu’une douzaine d’années de prison récoltées entre-temps n’avait pu faire, le coup de tonnerre du 1er août 1914 le fit instantanément. Il a fait tomber les écailles des yeux de l’universitaire illuminé qui vivait depuis sa jeunesse dans les rêves et les chimères.

Il aurait pu rentrer sans bruit sous sa tente, et faire en silence son mea culpa.

Il lui sembla qu’il était mieux de s’efforcer de réparer le mal qu’il avait pu faire étourdiment en essayant de dessiller à son tour les yeux de ceux qu’il a pu égarer, comme il avait été égaré lui-même par des maîtres bien intentionnés.

Il lui sembla surtout qu’il ferait une bonne action particulièrement utile au pays, en s’efforçant de dessiller les yeux des instituteurs publics, si dévoués à leur école, d’une si haute valeur professionnelle, d’une si parfaite probité intellectuelle et morale, d’un patriotisme et d’un esprit de sacrifice qu’ils ont si bien montré sur les champs de bataille de la grande guerre ; mais qui ont eu l’esprit déformé, faussé, par les livres et les maîtres qui les ont façonnés, fanatisés et comme envoûtés et qui, avec la meilleure foi du monde, empoisonnent à leur tour le cœur et les cerveaux des écoliers qui seront la France de demain.

C’est pour eux surtout que cette Nouvelle Histoire de France a été écrite : ils n’oseront plus, après l’avoir lue, parler avec mépris de l’Église des seigneurs et des rois qui ont fait la France, et peut-être même mettront-ils une sourdine pour chanter à l’avenir la gloire de l’immortelle « Révolution Française ».

Mais cette « Nouvelle Histoire de France » s’adresse aussi au grand public, qui en a autant besoin que le corps enseignant, puisqu’il a été élevé par lui dans les mêmes erreurs historiques et politiques.

Les élites bourgeoises aussi bien que les élites ouvrières ou paysannes vivent depuis un demi-siècle sur des idées fausses, destructrices de toute discipline nationale. Si elles ne s’en guérissent pas rapidement et n’en guérissent pas le reste de la nation, c’en est fait de la France ; elles comprendront mieux quel mortel danger la menace lorsqu’elles auront lu cette Nouvelle Histoire de France.

Ce livre aura atteint son but s’il convainc non seulement les maîtres de l’école publique mais encore les élites responsables des destinées de la patrie commune, de l’impérieux devoir de réviser sérieusement quelques-uns des dogmes au nom desquels on a fait la Révolution Française et sur lesquels repose la démocratie moderne et de l’urgente nécessité d’opérer un complet redressement national.

 

Gustave HERVÉ,       

professeur agrégé d’Histoire

directeur de la Victoire.  

 

 

 

 

 

 

LES UNIVERSITAIRES

 

 

M. Gustave LANSON

 

Nous regrettons, en raison des hautes fonctions qu’il exerça longtemps dans l’Université, que M. Gustave Lanson n’ait pas cru devoir, fut-ce en deux mots, exprimer son opinion sur une question dont il reconnaît lui-même la gravité.

Nous avons reçu de lui cette simple carte :

 

M. Gustave LANSON

Directeur honoraire de l’École Normale supérieure

Professeur honoraire à la faculté des Lettres

 

s’excuse sur quelques occupations urgentes de ne pouvoir répondre à la grave question posée par M. G. Champenois.

 

 

 

M. Jean IZOULET

 

Mme Jean Izoulet nous a fait l’honneur de nous adresser les lignes qui suivent, extraites de l’une des dernières œuvres de son illustre mari 1 et qui condensent la pensée du maître sur tous les points visés par notre enquête.

Rappelons que M. Jean Izoulet, professeur au Collège de France, récemment décédé, avait été secrétaire particulier de Paul Bert dans le ministère Gambetta. La fermeté de ses convictions républicaines donne donc un poids tout particulier à l’opinion qu’il exprime.

 

 

 

LA FAUSSE PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE DE FRANCE

OU COMMENT ON CONDUIT UNE NATION

À L’ABATTOIR

______

 

FAUSSE HISTOIRE

FAUSSE GÉOGRAPHIE

 

Nous avons, depuis cinquante ans, une faible et fausse Politique, parce que nous avons une faible et fausse Histoire, ainsi qu’une faible et fausse Géographie.

Pour donner à la France une Politique constructive, il faut vigoureusement la situer dans l’espace et dans le temps, dans le système des continents et dans l’engrenage des siècles.

Il faut lui fournir une juste construction de son Territoire et une juste construction de son Histoire.

Car, dans nos conceptions courantes, notre Territoire et notre Histoire sont horriblement mutilés, sinon hideusement estropiés.

Et, pour les rétablir dans leur pleine et puissante intégrité, il n’y faut rien moins que deux Révolutions mentales, à savoir, une Révolution dans nos idées géographiques, et une Révolution dans nos idées historiques.

Ces deux Révolutions peuvent se condenser en deux mots :

En Géographie, la France est le Pays des quatre mers, et non le Pays des trois mers, comme le disent presque tous nos géographes.

En Histoire, la France est la Nation des quatre époques, et non la Nation d’une seule époque, comme semblent le croire presque tous nos historiens.

Cette double reconstruction géographique et historique entraîne invinciblement un immense redressement politique, qui est seul capable de fournir une épine dorsale à notre diplomatie d’État.

 

NOS QUATRE ÉPOQUES

 

...En Histoire, la France est le pays des quatre époques :

1° L’époque gauloise ;

2° L’époque gallo-romaine ;

3° L’époque gallo-franque ;

4° L’époque française ;

Si cette théorie est vraie, la question du Rhin est, de par l’Histoire même, implicitement résolue en notre faveur.

Quelle est au contraire la théorie courante ?

C’est que la France est le pays d’une seule époque, à savoir, l’époque proprement française.

Et, s’il n’est pas expressément démontré que cette théorie est radicalement fausse, la question du Rhin, est, de par l’Histoire même, implicitement résolue contre nous.

 

LES DEUX GRANDS DÉ-MEMBREMENTS

 

Or, qu’est-il arrivé, dans l’Histoire, à la Gaule-France ?

Il lui est arrivé deux effroyables aventures.

...Coup sur coup, c’est le cas de le dire, aux neuvième et onzième siècles de notre ère, la Gaule-France a reçu deux gigantesques coups de hache, par lesquels elle a été, à gauche et à droite, à l’Est et à l’Ouest, pourfendue de haut en bas, écartelée et démembrée.

Premier coup de hache :

En 843, par le Traité de Verdun, avec ses suites, c’est-à-dire par le partage de l’Empire de Charlemagne, la France a été pourfendue de haut en bas et démembrée, et il lui a été ainsi enlevé la Lotharingie, c’est-à-dire la vallée du Rhin, et la vallée du Rhône : la Rhénanie et la Rhodanie.

En d’autres termes, elle a été, d’un seul coup, comme démembrée de son épaule gauche et de sa hanche gauche !

Second coup de hache :

En 1066, avec la bataille de Hastings et la conquête de l’Angleterre par Guillaume de Normandie, et la terrible suite de 1154, à savoir le remariage d’Éléonore d’Aquitaine avec Henri Plantagenet, roi d’Angleterre, la France s’est trouvée, à l’Ouest, pourfendue et démembrée de haut en bas, puisqu’il lui a été ainsi enlevé la Normandie et l’Aquitaine.

En d’autres termes, elle a été alors démembrée de son épaule droite et de sa hanche droite, comme elle avait été démembrée auparavant de son épaule gauche et de sa hanche gauche.

 

LES DEUX GRANDS RE-MEMBREMENTS

 

Résultat pour la France :

Depuis environ mille ans, toute son Histoire externe se résume en deux efforts immenses :

1° Un immense effort pour se remembrer à droite ; et c’est, contre l’Angleterre, la Guerre de Cent ans ;

2° Un immense effort pour se remembrer à gauche ; et c’est, contre l’Allemagne, la Guerre de Mille ans, – qui dure encore !

 

L’EFFORT SACRÉ FLÉTRI

DU NOM D’ESPRIT DE CONQUÊTE !

 

Cependant que dit l’Europe ?

Par l’Europe, ou plutôt par l’Allemagne, elle-même aiguillonnée par des tiers, nous sommes inlassablement accusés et incriminés d’inique et d’odieux impérialisme !

Et, chez nous-mêmes, de déplorables historiens n’hésitent pas à flétrir... l’esprit de conquête de nos rois !

Pitoyable cécité ! ou criminelle lâcheté !

Eh ! quoi, s’efforcer de rattacher au corps sacré de la Patrie son épaule gauche détachée du tronc par une horrible blessure, qui entrouvre son buste et laisse à nu son cœur, c’est se faire accuser de coupable ambition, et de criminel esprit de conquête, et d’odieux impérialisme !

Et, s’en faire accuser par qui, je vous prie ? Précisément par les plus âpres et les plus insatiables des impérialistes et des conquérants !

Vouloir récupérer son bien à soi, c’est se faire accuser de brigandage par les éternels envahisseurs du bien d’autrui !

Ressaisissez-vous donc, Messieurs nos historiens ! Rendez le plus pieux, le plus fervent hommage au saint effort de nos grands rois, et faites rentrer en lui-même l’audacieux Étranger !

 

ON NOUS VOLE 1 500 ANS D’HISTOIRE

 

La vraie théorie, pour nous, c’est celle de César et de Tacite, dans les Temps antiques, et c’est celle de Danton et de Napoléon, dans les Temps modernes, à savoir, la théorie du Rhin, frontière de Gaule, et non pas, d’ailleurs, la théorie du Rhin, fleuve gaulois.

...La France daterait-elle donc du Traité de Verdun, ou du connexe Traité de Mersen, c’est-à-dire des neuvième et dixième siècles, comme semblent le prétendre l’Allemagne et ses agents conscients ou inconscients ?

Quelle monstrueuse falsification d’état-civil. – Dont une démocratie à courte vue risque d’être effroyablement dupe !

C’est cette immense erreur d’optique qui fausse toute la politique française, surtout depuis environ cinquante ans, c’est-à-dire depuis le brusque abaissement d’horizon qui semble avoir suivi pour nous notre Défaite de 70.

Pas de plus périlleuse erreur d’optique !

Rétablissons donc la juste vision rétrospective des siècles et le juste équilibre des époques, dans nos vingt-cinq siècles d’histoire, si nous ne voulons pas voir se fermer peu à peu toutes nos perspectives, et se clore bientôt nos destins, aux portes mêmes des Terres promises de l’Avenir !

Non, la France ne date pas de 843, et du Traité de Verdun, c’est-à-dire de son démembrement à l’Est !

Autant vouloir la faire dater aussi du Traité de Brétigny, après les défaites de Crécy et de Poitiers, ou du Traité de Troyes, après la défaite d’Azincourt, – c’est-à-dire de son démembrement à l’Ouest !

Consentir à dater du Traité de Verdun ! Consentir à dater de mille ans !

Et nous laisser voler quinze cents ans d’Histoire !

Déplorables historiens, encore une fois, que ceux qui font ainsi le jeu de l’Étranger, en laissant scier au pied le tronc français pour le couper de ses vastes et puissantes racines dans les profondeurs du passé !

Car c’est exactement l’inverse qu’il faut faire.

C’est au nom de ces quinze cents ans d’avant le Traité de Verdun, qu’il faut protester contre ce Traité faussé, qui pèse sur nos mille ans d’après !

 

UNE PROPHÉTIE DE LAMARTINE

 

Lamartine a dit :

« L’unité de l’Allemagne serait la crise incessante et le danger de mort perpétuels de la France.

« Quatre-vingts millions d’Allemands unis en une seule nationalité militaire, contre quarante millions de Français, quelle perspective de sécurité et de grandeur à offrir à la France :

« Je défie les ennemis les plus acharnés de la France de construire contre nous de plus redoutable machine de guerre... »

Voilà ce qu’a dit Lamartine, il y a déjà bien longtemps.

Et maintenant, une question se pose :

Au Congrès de la Paix, le Gouvernement français a consenti à renoncer à la frontière du Rhin.

Et, – sauf quelques hommes lucides et courageux, – le Parlement français a cru devoir consentir à voter le Traité de Versailles, c’est-à-dire la renonciation à la frontière du Rhin.

Eh bien ! je le demande, si les Pouvoirs publics, c’est-à-dire le gouvernement et le Parlement, s’étaient sentis appuyés par un immense et irrésistible mouvement de l’esprit public en faveur de la frontière du Rhin, auraient-ils cédé ?

Assurément non !

Et pourquoi cet immense cri public ne s’est-il pas élevé ?

Parce que la nation ne savait pas que c’était là pour elle une question de vie ou de mort !

Et pourquoi la Nation ne savait-elle pas ?

Parce que, depuis cinquante ou soixante ans, il ne s’est pas trouvé un seul ministre pour faire afficher, dans toutes les écoles de France et toutes les mairies de France, cette simple parole de Lamartine, cette parole de salut !

On oublie d’aviser les peuples de leurs pires dangers de mort !

Et, ainsi, sans le savoir, les peuples sont conduits à l’abattoir !

 

Jean IZOULET,             

professeur au Collège de France.

 

 

 

M. G. DESDEVISES DU DÉZERT

 

Je ne veux pas croire qu’il y ait, chez nos contemporains, falsification intentionnelle de l’histoire : je crois plutôt, chez beaucoup de ceux qui l’enseignent, à l’incompréhension de l’histoire.

L’histoire, c’est la vie observée dans le passé.

Il faut l’étudier avec science, avec sagacité, avec impartialité et n’y pas chercher autre chose que des décors, des actions et des acteurs.

Lavisse nous disait : L’histoire est l’art de mettre en valeur un petit nombre de textes probants et bien choisis.

Avec cette définition, tous les partis pris se justifient. Il n’y a plus d’histoire ; il n’y a plus que des historiens.

Je définirais plus volontiers l’histoire : l’art de faire le tour complet des questions et de les examiner sous toutes leurs faces. On en dit son sentiment quand on le peut. Le plus souvent, il faut avoir le courage d’avouer qu’on ne peut pas.

C’est une très grande science que l’histoire ; il n’en est pas de plus éducative. C’est grand dommage que les politiques la sachent si peu – et surtout si mal.

 

G. DESDEVISES DU DÉZERT,      

Doyen honoraire de la Faculté      

des Lettres de Clermont.         

 

 

 

M. Paul PARANT

 

Vous me demandez mon opinion au sujet des déformations de l’Histoire de France que l’on peut constater en particulier dans les manuels mis entre les mains des élèves.

1o Il est certain que le mal existe et il suffit d’ouvrir la plupart des manuels pour voir l’esprit de dénigrement systématique qui y règne. Les moins mauvais de ces manuels (celui de Malet, par exemple, pour le programme de seconde) offrent des règnes de Louis XIV et de Louis XV un tableau non seulement incomplet, mais inexact et d’une injustice révoltante.

2o Il est incontestable, à mon avis, que la principale cause de ces déformations réside dans la conception messianique du progrès qui constitue le « spirituel » du régime républicain en France, et dans lequel ont été nourris les auteurs de ces manuels. – Le régime démocratique a besoin pour justifier son existence de jeter le discrédit sur le régime qui l’a précédé. – Si l’on présentait aux jeunes gens une juste apologie de l’ancien régime et de son œuvre (la formation de l’unité française), ces esprits logiques pourraient à bon droit se demander pourquoi il a été renversé ; ils en viendraient à mettre en doute la légitimité des révolutions d’août 1792, de juillet 1830, de février 1848 qui ont marqué la rupture de la France et de sa tradition nationale incarnée par la Maison Capétienne. Le responsable de cet état de choses, c’est donc le préjugé révolutionnaire introduit par le parti au pouvoir, issu de la Révolution, et qui s’est étendu au pays presque tout entier.

3o Pour nous en tenir aux remèdes d’ordre intellectuel (car le problème est d’ordre politique), il conviendrait que chaque professeur soucieux de la vérité historique corrigeât les erreurs qu’il rencontre dans les manuels et mît en lumière pour ses élèves le peu d’importance de ce qu’on appelle les horreurs du passé au prix de l’œuvre féconde accomplie par les grands rois et les grands ministres qui ont fait la France avec la collaboration de toutes les forces nationales, et servi la civilisation ; il conviendrait de montrer la raison d’être des institutions issues, non des caprices des individus, mais des circonstances historiques, en les séparant des abus (inséparables de la nature humaine) auxquels elles ont pu donner lieu. Enfin la comparaison judicieuse entre les évènements du passé et ceux du présent ne devraient pas faire servir le passé de repoussoir au présent, mais il devrait ainsi l’éclairer en suggérant des rapports auxquels on n’avait point pris garde. En un mot, il faudrait laisser de côté une philosophie enfantine et a priori pour s’attacher aux faits et en tirer les conclusions nécessaires. C’est la seule méthode qui convienne à un enseignement à la fois probe et national.

 

Paul PARANT,              

professeur à l’École Sainte-Barbe.

 

 

 

M. HEINRICH

 

Tout homme de bonne foi qui parcourt aujourd’hui la plupart des manuels mis entre les mains des enfants de nos écoles publiques, est bien obligé de reconnaître que non seulement Pirenne et Fustel de Coulanges n’ont rien exagéré, mais qu’ils sont même restés en dessous de la vérité. Le scandale, qu’ils dénonçaient déjà avec une si légitime indignation, n’a fait que s’accentuer encore depuis leur cri d’alarme, et les conséquences en sont telles qu’elles commencent à épouvanter aujourd’hui ceux-là mêmes qui en sont en grande partie responsables.

Avec l’organisation actuelle de l’enseignement public, ce scandale était, à vrai dire, à peu près inévitable. Tout État démocratique doit se préoccuper avant tout de ses conditions mêmes d’existence, c’est-à-dire des opinions et des sentiments de ces électeurs dont les suffrages fondent son instable autorité. S’il considère l’enseignement comme un service public, soumis non seulement à son contrôle, mais à sa véritable direction, c’est précisément parce qu’il lui faut, et de toute nécessité, préparer les générations dont sera fait le pays de demain à être les instruments dociles du parti au pouvoir.

Or, l’affaire Dreyfus a livré celui-ci à des hommes qui avaient fait de la lutte contre les deux grandes forces sociales que sont l’armée et l’Église, la base même de leur programme, et qui réussirent à y rallier une bonne partie du corps enseignant, surtout dans les milieux primaires. Le dénigrement systématique du passé français, œuvre à la fois de l’épée des grands Capétiens et de l’action de l’Église, fournissait le meilleur moyen de pénétrer les esprits de cet antimilitarisme et de cet anticléricalisme sans lesquels tout le système du Bloc se fût écroulé. Et c’est alors que s’est définitivement imposée la conception enfantine à laquelle tous les évènements ont dû se plier : la Révolution est le point d’aboutissement logique de toute notre histoire, comme ses conséquences politiques et sociales commandent encore toute l’époque contemporaine.

Si telle est la situation, on voit donc que le remède n’est pas d’ordre pédagogique. Il relève exclusivement de la politique. Mais quel que soit celui qu’on prétende appliquer, il demeurera inefficace tant qu’on n’aura pas résolu cette véritable antinomie entre le système démocratique et l’Histoire, sans laquelle on ne saurait expliquer toutes les déformations dont s’émeuvent aujourd’hui à juste titre tant de bons Français.

 

P. HEINRICH,              

Docteur ès-lettres           

Professeur agrégé de l’Université

au Lycée de Lyon.           

 

 

 

M. R. GONNARD

 

Mon opinion est que les jugements sévères de Pirenne et de Fustel de Coulanges que vous évoquez restent tristement exacts et que l’Histoire de France telle que l’enseignent certains de ces manuels, comme certains des grands traités dont ils sont le résumé, est lamentablement faussée et travestie.

La tendance qui s’y révèle est toujours la même : décrier notre passé. Et pour cela fausser les proportions, accuser les ombres, effacer les jours, insister sur nos défaites, omettre nos victoires ou les estomper, généraliser les moindres faits regrettables – pratiquer à ce sujet la méthode célèbre de l’Anglais débarquant à Calais au sujet des femmes rousses – juger de tout, non relativement à l’époque et comparativement à l’étranger (presque toujours très en retard sur nous, à une époque donnée, en civilisation, en humanité, en loyauté) mais absolument ; donner tort à la France dans tous ses conflits avec les puissances étrangères ; ridiculiser ou rendre odieux beaucoup de nos grands hommes. (Il y a dans tels manuels que je pourrais citer, des résumés de la situation de la France avant 1789 qui sont des modèles achevés d’insanité et de mauvaise foi.)

Les historiens dignes de ce nom, les historiens vraiment scientifiques – et, en ce qui concerne ma partie, les historiens économistes les plus distingués – ont beau, tantôt sur un point, tantôt sur l’autre, rectifier telle ou telle légende (sur la répartition des fortunes, la situation du paysan, la richesse du clergé, l’état de l’industrie et du commerce, etc.), la plupart de leurs travaux ne semblent guère être utilisés par une partie de ceux qui écrivent les ouvrages de vulgarisation et de pédagogie.

Aussi je serais tenté de me consoler de voir les bacheliers d’aujourd’hui aussi ignorants en histoire quand je constate quelle est l’histoire qu’ils risquent parfois d’apprendre.

Quant aux causes de cet état de choses, véritablement il serait difficile de l’exposer en quelques lignes. Je me borne à exprimer qu’à mes yeux le mal que vous dénoncez est réel et que l’Histoire de France qu’on enseigne trop souvent chez nous, est une histoire péjorativement déformée.

Je crains bien que nous soyons le seul peuple où il en soit ainsi.

Recevez, Monsieur, etc.

 

R. GONNARD,       

Professeur à la Faculté

de droit de Lyon.     

 

 

 

M. J. DIJON

 

Vos citations de Pirenne et de Fustel de Coulanges sont, hélas ! l’expression absolue de la vérité. Selon nous, le mal provient de la primarisation plus ou moins déguisée de l’enseignement secondaire et malheureusement aussi de l’enseignement supérieur. L’esprit primaire conduit infailliblement à considérer comme mauvais tout ce qui a été fait autrefois, à dénigrer le passé, même quand il est des plus glorieux. On en arrive ainsi à faire abstraction de tout ce qui n’est pas conforme aux doctrines officielles actuelles, à oublier que ce sont nos aïeux qui nous ont fait ce que nous sommes et aussi que l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement.

Comment donc pourrions-nous élaborer une règle de conduite pour l’avenir si nous ignorons le passé ?

Tout ceci n’avait pas échappé au dernier Congrès de l’Union des Étudiants de France qui, pour y parer, dans une certaine mesure, a adopté des vœux s’opposant à la primarisation des études secondaires et supérieures, d’une part, et demandant, d’autre part, que les instituteurs primaires reçoivent une instruction secondaire avec humanités, ce qui amènerait la disparition de l’« esprit primaire » et supprimerait la rivalité absurde existant entre les divers enseignements.

Puisse votre enquête contribuer à réconcilier tous les bons Français dans une juste appréciation de notre glorieux passé et leur permettre d’en tirer de bonnes règles pour l’avenir !

Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

 

J. DIJON,                  

externe des hôpitaux de Paris,    

président de l’Association générale

des étudiants et étudiantes de Paris.

 

 

 

M. GROSDIDIER DE MATONS

 

Dans la question de l’enseignement de l’Histoire, il y a lieu d’établir une distinction très nette entre l’enseignement secondaire et l’enseignement primaire.

Disons-le tout de suite, notre enseignement secondaire fait à l’Histoire une bonne place. Les programmes de 1902 étaient nettement mauvais et lacunaires ; notre admirable Moyen Âge pendant lequel la France s’est faite d’abord, puis a dominé l’Occident, y était absolument sacrifié et à dessein. Les programmes lui ont rendu sa place ; elle est belle et le maître qui veut s’en donner la peine peut simplement l’exposer dans de magnifiques leçons. À ce point de vue, on ne rendra jamais assez hommage à l’œuvre accomplie par Léon Bérard.

D’autre part, la plupart de nos manuels sont bons et parfois excellents. Enfin le cours professé avec prise de notes a, dans l’enseignement secondaire, une telle importance, que les lacunes ou les erreurs du manuel pourraient y être facilement corrigées.

Il n’en est malheureusement pas de même de l’enseignement primaire. Interrogateur à tous les degrés de cet enseignement, j’ai pu me rendre trop souvent compte du mépris où sont tenus certains siècles, certains règnes, certains régimes, mépris qui ne peut que nuire au sentiment national et d’autant plus dangereux que les Allemands, usant du mensonge, eux aussi, mais dans un sens diamétralement opposé, font tout pour exalter ce sentiment.

En veut-on un exemple ? J’avais à interroger de jeunes élèves de l’enseignement primaire dans un département où le corps des instituteurs est un corps d’élite, et ce en vue des bourses de l’enseignement secondaire. Je pris un témoin, aujourd’hui directeur de l’enseignement dans une de nos colonies. « Vous allez assister à une expérience, lui dis-je. Je vais poser à ces enfants une question identique : Que savez-vous de Louis XIV ? »

Invariablement la réponse me parvenait identique aussi : « C’est un roi très orgueilleux qui a fait beaucoup de guerres. »

« Voyons, disais-je à mon tour, en quoi consistait l’orgueil de Louis XIV ? – Il se faisait adorer. – Soit, croyez-vous qu’il était facile de parler au roi Louis XIV ? – (mutisme). – Si je vous disais qu’il était plus facile de parler au roi Louis XIV qu’à un chef de bureau de nos ministères, me croiriez-vous ? Bien. Toutes les guerres de Louis XIV ont été inutiles, n’est-ce pas ? – Beaucoup, monsieur. – Louis XIV a-t-il agrandi la France ? – (mutisme) – Savez-vous que si Louis XIV n’avait pas fait de guerres, Victor Hugo ne serait pas né en France ? – Cette question, idiote si l’on veut, réveille le gosse ; il a sûrement entendu parler de Victor Hugo. Mais je m’aperçois que j’en tirerai bien peu de choses sur Louis XIV, à part l’orgueil et les guerres. – Et Colbert, que savez-vous de Colbert ? – C’est un grand ministre qui a été renvoyé par Louis XIV parce qu’il reprochait au roi ses dépenses. – Le roi faisait donc de grandes dépenses ? – Oh ! oui, pour ses bâtiments. – Quels bâtiments ? – Versailles. – C’est beau, Versailles ? – L’enfant ne sait pas. – Voyons, si Versailles n’existait pas, croyez-vous que le trésor artistique de la France ne serait pas diminué ? – L’enfant ne sait évidemment plus quoi répondre. Je le renvoie.

À un autre, la même question première, la même réponse. Changeons d’exercice : « Que savez-vous de la condition des paysans sous l’ancien régime ? » Du coup le gamin est éloquent : « Ils étaient très malheureux. Quand ils allaient faire la récolte, le seigneur passait avec ses chevaux, ses chiens et détruisait tout. – Bon, et leurs maisons ? – C’étaient des baraques en terre couvertes de paille. – J’arrête le gamin et doucement : Tu es Lorrain, mon petit ? – Oui, monsieur. – Les maisons de ton village sont en boue ? – Non monsieur, elles sont en belles pierres ! – Ah ! Elles sont neuves, hein ? – Oh ! non, monsieur, elles sont bien vieilles. – Alors, autrefois, dans ton village, il n’y avait donc que des seigneurs ? – Le gamin a compris, il est déluré ; imperturbable il me répond : « C’est dans le livre. » Eh ! oui, hélas, c’est dans le livre.

Évidemment, je donne de bonnes notes à tous ces petits gars. D’abord ils m’ont dit ce qu’ils savaient, et puis ils vont entrer chez nous ; pendant six ans nous allons avoir le temps de redresser les erreurs, de combler les lacunes, nous en ferons de bons citoyens, aimant la France, toute la France enfantée par une volonté continue.

Mais, les autres, la masse des autres qui vont sortir de l’école à treize ans et juger, électeurs, de la politique mondiale, des grands problèmes nationaux et internationaux ?

La faute en est-elle aux maîtres ? Ici, je les connais, laborieux, instruits, patriotes. Alors ? L’enseignement oral du maître peut être parfait – je suis sûr, par exemple qu’il leur a montré des images de Versailles, qu’il en a fait admirer les beautés –, mais c’est un enseignement oral qui tombe sur des cervelles de huit à douze ans. Jamais les paroles n’ont aussi vite volé. Ce qui reste, c’est le livre, le livre appris par cœur, imprimé avec des images où les campagnes de l’ancien régime sont toujours en hiver et celles d’aujourd’hui toujours en été.

Le mal est là, le remède aussi. Il est dans la compréhension exacte de ce qu’est la France : un chef-d’œuvre qu’il a fallu des siècles pour édifier, des siècles de politique prudente et capétienne.

L’esprit des manuels doit être changé ; les programmes doivent faire à chaque temps sa place, l’œuvre française est aussi belle au rez-de-chaussée qu’au faîte et personne n’a le droit d’y faire un choix entre les étages. Notre histoire est l’histoire de France et non celle d’une classe sociale, d’autant qu’aucune classe sociale n’a jamais été chez nous fermée. Notre histoire est une histoire nationale et non celle d’un vague humanitarisme. Humains, nous l’avons été aussi largement que possible quand, dans les champs catalauniques ou dans ceux de Poitiers, nous arrêtions les barbares ; quand, aux croisades, nous fixions l’Asie avec toutes ses erreurs chez elle ; quand de nos cathédrales gothiques, nous peuplions le monde des bords du Rhin aux rives de Syrie ; quand le génie de nos écrivains faisait de notre langue la langue universelle et permettait aux peuples de s’entendre ; quand saint Louis imposait la paix aux belligérants étrangers, la pax romana revenue, juste, efficace et sainte.

Nos manuels n’ont qu’à exposer des faits, assez beaux, assez évocateurs par eux-mêmes et non des théories vacillantes. Il est criminel d’en faire devant des enfants, par mensonge – et l’on ment pas omission aussi –, des manuels de politique.

 

M. GROSDIDIER DE MATONS,        

Docteur ès-lettres,                   

Professeur agrégé de l’Université à Metz.

 

 

 

M. J. CHAMPAGNOL

 

Lorsque, il y a quelques mois, vous m’avez fait l’honneur de me demander mon témoignage à propos d’une enquête sur les déformations de l’histoire de France, j’ai répondu que, malgré mes trente ans d’enseignement de l’histoire à des jeunes gens qui se préparent aux examens du baccalauréat ou à l’École de Saint-Cyr, je ne me croyais pas qualifié pour la critique des œuvres de mes collègues, professeurs à Saint-Louis ou à Louis-le-Grand, et auteurs de manuels d’histoire comme ceux de MM. Malet, Isaac ou Guignebert. Je ne parle que des manuels destinés à l’enseignement secondaire ou supérieur, ceux de l’enseignement primaire ne m’étant pas familiers. – Mon opinion est toujours la même.

Toutefois, en souvenir de votre fils, qui fut un peu mon disciple plutôt qu’un élève, et aussi, par égard pour l’auteur du Miracle Français qui me fit hommage de son poème en 1916, je répondrai aux trois questions de l’enquête.

1o Est-il vrai que nos manuels d’Histoire soient mensongèrement ou tendancieusement rédigés ?

Mensongèrement ? Non. – Mentir, c’est parler ou écrire avec intention de tromper. Vous ne pouvez faire à des éducateurs consciencieux l’injure de supposer qu’ils égarent volontairement l’esprit et le jugement de leurs élèves... Mais, ils peuvent se tromper, et dès lors, c’est aux autorités compétentes, ministres, recteurs, inspecteurs, qu’il appartient de les rappeler à l’ordre, à l’étude et au devoir. Remarquez bien que je ne désigne pas les parents, qui sont généralement mauvais juges pour décider de questions qu’ils ignorent et qu’ils croient savoir.

Tendancieusement ? Peut-être. Et ici, étant moi-même auteur de quatre petits volumes d’Histoire contemporaine de 1789 à 1929, adoptés dans un certain nombre de collèges ou d’écoles, je vous dirai nettement qu’on a voulu insinuer que mes rédactions sont tendancieuses, bien que dans un sens différent de celui des manuels dits officiels.

À cela, je réponds que, malgré le principe de Fénelon sur le rôle de l’historien idéal qui ne doit être d’aucun temps ni d’aucun pays, on est toujours de son pays et de son temps, j’ajouterai même de son opinion politique. Maladroit ou malhonnête, l’auteur qui prétend écrire l’histoire et faire de son œuvre un outil, je ne dis pas un instrument, de propagande pour ses opinions personnelles ou son parti ; c’est peut-être un excellent journaliste de polémique, ce n’est pas un historien ni un véritable professeur.

2o À quelles causes attribuer le mal ?

Les causes des déformations tendancieuses de l’histoire sont toujours les mêmes. Certains auteurs estiment qu’il faut écrire l’histoire pour ou contre quelqu’un, pour ou contre un régime, pour ou contre telle ou telle tradition politique ou religieuse ou sociale. Du point de vue purement historique, cette disposition d’esprit est condamnable. L’impartialité, je ne dis pas l’impassibilité, est la première condition de l’historien. Vous n’avez pas, en écrivant un manuel, à faire l’apologie ou la satire de la monarchie ou de la République. Votre devoir est d’exposer les faits. Voilà tout. L’esprit critique, l’analyse, la synthèse, qui sont à la base de toute science, doivent être à la base de l’Histoire, la plus conjecturale des sciences, d’après Renan.

3o Quels remèdes pour faire cesser le mal ?

Supprimer les causes des rédactions tendancieuses, en formant des maîtres dont l’honnêteté égalera l’érudition.

 

J. CHAMPAGNOL,                   

professeur d’Histoire à l’École Alsacienne.

 

 

 

M. Charles DELVERT

 

L’un des héros de Verdun, le capitaine Delvert, a pris part aux côtés du légendaire commandant Raynal à l’épique résistance du fort de Vaux.

La guerre terminée, M. Delvert échangea l’épée contre la plume, car il n’est pas dans la nature de ce combatif de demeurer inactif. N’ayant pas trouvé dans son berceau la fortune et la notoriété, il résolut de conquérir de haute lutte à la fois l’une et l’autre. Il nous suffira de dire qu’il y réussit et qu’il occupe aujourd’hui une des places les plus estimées dans notre jeune Université qui compte cependant tant de bonnes têtes.

Ses œuvres : Quelques héros (couronné par l’Académie Française) – Histoire d’une Compagnie (Prix du Président de la République, Société des Gens de Lettres) – Verdun (avec une préface du maréchal Pétain) – La vivante Pologne (couronné par l’Académie), etc.

 

Votre enquête vient à son heure. Oui, l’on déforme l’histoire de notre grand et noble pays. Nous n’en avons que de trop nombreuses preuves. Cet été, j’ai fait passer le concours des bourses. Élèves d’élite de l’école primaire. Je demande à l’un d’eux : Parlez-moi de Louis XIV. – Réponse : « C’est un roi orgueilleux qui a fait beaucoup de mal. » Voilà ce que savent ces enfants de l’un de nos plus grands hommes de gouvernement, de celui auquel nous devons les frontières actuelles du pays. Encore celles qu’il avait constituées par une lutte acharnée de près d’un demi-siècle étaient-elles plus fortes que les nôtres d’aujourd’hui. Telle forteresse, comme Sarrelouis, défendait un de ses accès, forteresse que nous n’avons plus et que nous n’avons pas su nous faire rendre en 1919.

Les remèdes à cette déformation de notre histoire ?

Ils sont évidemment nombreux. Mais le premier est que les historiens qui ont gardé le culte de la patrie et de la vérité consentent à rédiger manuels et mémentos comme ne manquent pas de le faire les fanatiques socialisants.

L’histoire de la France, d’ailleurs, n’a besoin que de la vérité.

 

Charles DELVERT,       

Professeur au Lycée Henri IV.

 

 

 

M. Achille MESTRE

 

        Monsieur,

Je connais assez mal, je vous l’avoue, les livres scolaires qui sont mis entre les mains de nos écoliers et, par suite, il m’est impossible de formuler un jugement sur les déformations historiques qu’ils peuvent contenir ; mais, en cette période d’examens, j’ai l’occasion quotidienne de constater la surprenante ignorance en histoire de nos jeunes étudiants en droit, bacheliers d’hier.

Ils entrent dans les Facultés pour y faire des études supérieures avec un bagage historique d’une inconsistance, d’une imprécision telles qu’il leur est le plus souvent impossible d’aborder utilement l’étude du Droit romain, de l’ancien Droit français, du Droit constitutionnel. Aujourd’hui même, j’avais l’imprudence de demander à un candidat ce qu’était la Révolution de 1830 : « C’est, me fut-il répondu, la Révolution qui a remplacé un roi par un empereur. » Des réponses de ce calibre ne m’étonnent plus et j’ai tout à fait perdu la faculté de m’indigner, mais non celle de m’attrister.

Seuls, la connaissance et le respect du passé peuvent permettre à l’étudiant en droit de se faire une idée exacte et complète des institutions juridiques contemporaines. Qui peut avoir une notion exacte de la représentation politique sans connaître l’organisation des États généraux ? Le régime de la propriété et des servitudes est-il intelligible à celui qui ignore tout du système féodal ?

Une des manifestations les plus affligeantes de cette ignorance radicale est le dédain systématique de la chronologie. Toutes les époques sont mêlées dans la tête de nos jeunes gens en une inextricable confusion : entre le temps de Jeanne d’Arc et celui de Louis XIV, ils ne distinguent guère, et pour eux, l’« Ancien Régime » forme une masse compacte et confuse.

Le plus grand nombre d’entre eux ont conscience de leur infirmité et quand on leur en demande la cause, ils incriminent d’ordinaire les méthodes pédagogiques, qui semblent, d’ailleurs, aussi fâcheuses dans l’enseignement officiel et dans l’enseignement libre.

Livres trop volumineux dans lesquels les faits importants ne sont pas mis en vedette ; cours trop savants et trop abondants ; appel insuffisant à la mémoire, telles sont les principales causes de leur ignorance.

J’insiste sur la nécessité impérieuse qu’il y aurait, dès les premières années de la fréquentation scolaire, à imposer à l’enfant la connaissance d’un certain nombre de faits et de dates. À cet âge, on ne sait rien si on n’apprend pas par cœur.

L’enfant qui, à dix ans, porte dans sa mémoire cinquante dates correspondant à cinquante faits historiques, traversera la vie avec un certain nombre de notions précises qu’il ne perdra jamais, qu’il enrichira ensuite par ses lectures et sa réflexion personnelle ; ces connaissances élémentaires, certes, ne suffisent pas, bien loin de là, mais sans elles, il est impossible de fonder quoi que ce soit de solide.

Je réclame pour l’enseignement de l’histoire – et même pour l’enseignement tout court – simplicité et autorité.

Bien cordialement à vous,

 

A. MESTRE,                    

Professeur à la Faculté de Droit de Paris.

 

 

 

M. Émile BOCQUILLON

 

M. Émile Bocquillon, directeur de l’Alliance universitaire française, fondateur de l’Union des instituteurs patriotes, s’est acquis, par toute une vie consacrée à l’enseignement, une compétence qui rend précieux son témoignage. Il est de cette lignée d’instituteurs qui ont longtemps considéré, en France, leurs fonctions comme un sacerdoce et qui avaient à cœur de former, non seulement l’intelligence, mais surtout l’âme et le cœur des enfants confiés à leurs soins.

 

J’ai à maintes reprises signalé le lamentable esprit qui préside à la rédaction de nos manuels d’Histoire de France.

Je ne parle pas seulement des manuels nouveaux, de tendance résolument communiste, et conçus dans le but direct de préparer les enfants à la guerre sociale et à la trahison – le mot n’est pas trop fort – contre leur propre patrie.

Je parle de l’ensemble des manuels qui, d’allure pourtant modérée, sont plus ou moins imprégnés de cette tendance morbide destinée à diminuer le rôle de la France dans son passé, à couper notre histoire en deux : celle d’avant et celle d’après la Révolution ; la première ayant tous les torts, toutes les tares, stupide dans son action extérieure, et ne commençant à prendre figure, aux yeux de l’univers et à l’égard de la justice, que depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen !

Cette caricature de l’Histoire, tant de fois tracée, non seulement par des primaires, mais par des secondaires épris de popularité et désireux de bien vendre leurs productions, cette caricature, dis-je, on peut affirmer qu’elle apparaît dans presque tous nos manuels, plus ou moins voilée, plus ou moins atténuée

Nos manuels sont inspirés par l’esprit de parti, ou tout au moins par une fausse philosophie de l’Histoire, admirablement dénoncée et stigmatisée par Fustel de Coulanges et l’historien belge Pirenne.

Nos historiens scolaires auraient une excuse toute prête, à savoir, qu’en se montrant toujours sévères et impitoyables pour la France et pour les rois qui l’ont édifiée, ils ont fait preuve d’une impartialité méritoire.

L’argument est sans valeur, car si l’on peut, d’une part, être partial en faveur de son pays, on n’est pas moins partial quand on juge sempiternellement contre lui. Et de ces deux partialités, l’une au moins est honorable, car elle a pour excuse l’amour du pays où l’on est né, taudis que l’autre n’a comme mobile que l’ingratitude et l’odieux.

Membre de la commission qui examine les livres destinés à être inscrits sur le catalogue de la Ville de Paris, j’ai eu l’occasion de voir de près les ouvrages nouveaux proposés. Le mal sévit avec plus d’intensité que jamais, et j’ai encore présent à la mémoire un ouvrage présenté pour le cours élémentaire de nos écoles, écrit par un pontife de l’enseignement secondaire, et duquel il ressortait nettement, pour les petits écoliers, tant par l’illustration que par le texte, que la France est un pays maudit du ciel, et dont les habitants sont véritablement les plus malheureux des hommes, car il n’est pas d’Histoire plus odieuse, plus décourageante que la sienne. Les enfants formés à cette méthode historique ne pourraient être plus tard que des pessimistes et des révoltés.

C’est dire qu’un tel livre allait à l’encontre de sa mission qui est de former des Français fiers de leur passé et heureux d’appartenir à la plus glorieuse et à la plus généreuse des nations.

Une des raisons les plus frappantes de l’aberration où sombrent nos primaires historiens, c’est la manie risible, dans laquelle ils tombent continuellement, d’associer le progrès scientifique au régime démocratique, comme s’il y avait un lien quelconque, et comme si les monarchies qui nous entourent étaient privées des découvertes et des inventions dues aux savants.

On dit en substance : « Voyez dans le passé à quels procédés barbares on en était réduit : de l’huile, de la chandelle pour s’éclairer, des diligences pour aller de Paris à Marseille. Mais aujourd’hui, à l’époque de la démocratie, alors que les rois et les seigneurs ont disparu, alors que les Droits de l’homme et le suffrage universel existent, voyez quels progrès : électricité, chemins de fer, dirigeables, aéroplanes, T.S.F. ! »

Nous envoûtons littéralement nos élèves de ce fameux et inepte diptyque, qui, outre sa stupidité au point de vue des régimes, commet encore l’erreur de faire résider toute civilisation dans le matériel, comme si le moral ne jouait pas un rôle supérieur dans l’histoire du bonheur humain, et comme si Rabelais n’avait pas depuis des siècles prononcé la parole immortelle : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Comment pourrait-on remédier à cet état de choses ?

Je vois deux solutions principales :

1o Que les historiens de valeur fassent justice de notre fausse philosophie de l’histoire, si lumineusement dénoncée par Fustel de Coulanges, et hier encore par notre illustre maître Jean Izoulet, dans son fameux livre : La rentrée de Dieu à l’École et dans l’État.

Il y a là pour un Louis Madelin, par exemple, une belle et noble tâche à accomplir.

2o Qu’une étude comparée des histoires scolaires de quelques peuples : France, Angleterre, Allemagne, Italie, montre aux instituteurs français que seule la France tombe dans la tendance lamentable et suicidaire signalée par Fustel, et qu’elle se livre ainsi, sans aucune espèce de profit – mais pour le plus grand bénéfice de ses rivales – à la plus sinistre des duperies.

Quand j’ai passé mon premier examen pédagogique il y a quelque 40 ans, on avait donné ce sujet à traiter, qui à lui seul, montre le triste chemin que nous avons parcouru depuis :

« Montrer comment l’enseignement de l’Histoire peut contribuer au développement du Patriotisme. »

Peut, et doit, n’est-ce pas ?

Aujourd’hui, grâce à la stupide naïveté de certains auteurs de manuels, dupes ou complices de puissances occultes qui veulent subalterniser la France, ou la rayer des nations, on pourrait donner ce sujet que je propose à M. le Directeur de l’Enseignement primaire.

« Montrer comment la plupart des manuels d’Histoire peuvent contribuer à la destruction du patriotisme ; et par suite, à la disparition de la France. »

C’est en tout cas un sujet que je recommande à un jeune agrégé d’histoire patriote, pour sa thèse de doctorat.

 

Émile BOCQUILLON,          

directeur d’école de la Ville de Paris.

 

 

 

M. DUFRENNE

 

Nul n’était plus qualifié que notre collaborateur et ami P. Dufrenne pour donner son avis sur une question concernant avant tout l’enseignement primaire. À cet enseignement il a consacré sa vie, et ses fonctions d’inspecteur lui ont permis d’étudier à fond, sur place et dans le domaine pratique, tous les aspects du problème soumis à son examen

Les lignes qui vont suivre sont l’expression d’une expérience longue, mûrie, réfléchie. C’est l’avis modéré et prudent, mais éclairé et ferme, d’un professionnel. C’est aussi le cri d’angoisse d’un éducateur averti et la protestation d’un bon Français.

 

L’historien belge Pirenne et l’historien français Fustel de Coulanges, dont vous rappelez les sévères jugements sur notre façon d’enseigner l’Histoire, ont dit vrai, et vous-même résumez très exactement leurs critiques et tirez les conséquences du mal qu’ils dénoncent en proposant comme sujet d’enquête cette terrible constatation : « La plupart des manuels d’histoire aux mains des élèves de nos écoles publiques tendent à inspirer aux jeunes gens le mépris et la haine du passé, et cet enseignement aboutit trop souvent à tarir en eux la source même du sentiment national et l’amour de la patrie. »

Vous me demandez ce que je pense de cette grave imputation.

Je pense qu’elle est vraie de tous points.

Tous les manuels d’Histoire en usage dans l’enseignement primaire – je ne parle, comme de juste, que de ce que je connais bien – tous sans exception, et non pas seulement, comme on pourrait le croire, le manuel des instituteurs communistes, méritent ce grave reproche. Il serait vain et fastidieux de rechercher dans chacun d’eux les textes, les passages qui motivent cette redoutable accusation. D’abord parce qu’il y en aurait trop, ensuite parce que c’est l’esprit même de ces ouvrages, leurs idées directrices, leur objet, leur plan qui, du point de vue national où vous vous placez, sont erronés et condamnables.

On le verra lorsque j’aurai répondu à votre deuxième question.

 

*

*   *

 

Vous demandez, en effet, « à quelle cause il faut attribuer le mal ainsi signalé ».

À mon avis, le mal vient de ce que les auteurs des manuels d’Histoire en usage dans l’enseignement primaire se préoccupent de faire l’Histoire, non de la France, mais de toute autre chose :

Les uns, de la Démocratie ;

D’autres du Progrès ;

D’autres encore, de la Lutte des Classes et de l’Émancipation du Prolétariat.

Soit dit pour ne parler que des principaux systèmes selon lesquels les historiens primaires arrangent les faits de l’Histoire de France ; car il y en a d’autres, et qui se font jour : par exemple la réalisation de l’idéal pacifiste.

Sans doute, on ne pourrait raconter l’Histoire de France sans faire mention des luttes politiques ou sociales dont elle a été le théâtre. Non plus qu’en négligeant d’y signaler les changements dans la manière de vivre qu’il est aisé d’y apercevoir et dont la suite constitue ce qu’il y a de plus clair dans l’idée assez confuse qu’évoque le mot de « progrès ».

Mais si la France doit être entendue un territoire défini dont les pièces ont été rassemblées par un travail patient, tenace et concerté, territoire habité par une nation à laquelle on reconnaît une tradition commune et des caractères propres, alors, l’Histoire de la France n’est spécialement ni celle des luttes politiques et sociales qui se sont déroulées sur ce territoire, ni celle des façons de vivre des Français au cours des âges ou de leurs manières de concevoir la vie selon tel ou tel idéal.

Et l’historien qui substitue à l’Histoire de la France l’une quelconque de ces conceptions historiques particulières commet, s’il donne pour titre à son récit : « Histoire de France », une erreur initiale qui vicie toute son œuvre et porte ainsi à la France, considérée comme une réalité née dans le passé et qui se continue dans le temps, un préjudice très certain.

Par exemple, si l’Histoire de la France est enseignée aux enfants comme celle de l’établissement de la démocratie dans notre pays, il nous y faudra condamner sans réserve tous ses rois, parce qu’ils en ont retardé l’avènement ; au lieu que si c’est vraiment de la France que nous racontons l’histoire, nous ne pourrons nous défendre d’une certaine indulgence à l’égard des princes qui en ont rassemblé la terre.

De même nos révolutions seront appréciées différemment si l’on fait de l’Histoire le récit des luttes sociales au lieu de celui de la puissance française : car si les révolutions auxquelles nos ancêtres ont pris part répondent, en quelque manière, à certains mouvements de revendications sociales, l’on est bien obligé de reconnaître, d’autre part, que chacune d’elles a marqué un déclin nouveau de la puissance française.

Toute guerre est injuste et criminelle aux yeux du pacifiste, et pourtant il en est, dans l’Histoire de la France, qui l’ont bien servie, soit qu’elles en aient sauvé l’indépendance, soit qu’elles l’aient aidée à se constituer.

Mais il est inutile de multiplier ces témoignages du conflit continu entre ces deux manières d’enseigner l’Histoire : on en trouverait, dans les manuels qui font surtout de l’enseignement de l’Histoire le récit des progrès matériels, des exemples amusants. Avec quel mépris, nous qui vivons au siècle de l’automobile et de la télégraphie, ne devons-nous pas regarder les malheureux qui, jadis, à la place même où nous jouissons de tant de belles inventions, traînaient une existence misérable !

 

*

*   *

 

Vous ajoutez une troisième question : « Quel remède convient-il d’adopter pour combattre un tel mal ? »

Le mal vient, en dernière analyse, de ce que notre État est organisé de telle sorte que si la France y est représentée, il n’y a plus personne pour la concevoir, pour la penser. Les députés, les ministres, les présidents, tout ce monde passe, défile, s’écoule sans arrêt. Ce n’est aucunement les calomnier que de dire qu’ils sont choisis, nommés, mis en place et déchus de leurs fonctions par un jeu d’intérêts particuliers sans doute fort respectables en eux-mêmes, du moins dans la plupart des cas, mais qui n’ont tout de même que des rapports indirects avec l’intérêt de la France.

Personne n’étant dans l’État, chargé de penser la France, personne ne songe à en conseiller, à en diriger, au besoin à en imposer l’enseignement. Mais au contraire, l’enseignement, surtout primaire, étant ainsi qu’il a été bien des fois démontré, sous la dépendance de la politique, il est naturel que les conflits politiques et sociaux passent de l’État, auquel ils donnent l’être, dans l’enseignement dont ils deviennent la substance.

La réforme de l’enseignement de l’Histoire est donc liée à une réforme de l’État.

Faut-il, en attendant cette réforme de l’État, se croiser les bras ? Nous ne le pensons pas.

S’il est malheureusement vrai que la France n’est que trop souvent imparfaitement pensée par ceux qui représentent l’État, trop occupés qu’ils sont à défendre leur existence politique et à tenter d’arbitrer des intérêts particuliers, il est tout de même, en France, pour concevoir la France dans sa réalité continue, des têtes plus libres et des intelligences plus averties.

Cette indépendance à l’égard des intérêts, cette information impartiale et sereine se rencontrent dans l’Université. Il s’y joint la connaissance et par conséquent le respect et l’amour de la tradition française.

Ne se pourrait-il que quelques grands professeurs d’Histoire acceptassent de rédiger en commun un manuel d’Histoire à l’usage des écoles primaires qui fût vraiment un manuel d’Histoire de France ?

Mais ne se pourrait-il qu’à défaut d’un Mécène pour assurer les conditions matérielles de leur travail, ou d’une puissante maison d’édition assez hardie pour risquer ce beau coup, l’État lui-même, en la personne de ceux de ses représentants qui, capables de concevoir la France, n’ont tout de même pas le temps d’y penser, ne les chargeât de cette mission presque redoutable ?

Que les Républicains se rassurent, Nous sommes, en émettant ce vœu, dans la pure tradition révolutionnaire. C’est Robespierre, dans le Projet de Décret sur l’Éducation publique qu’il présentait à la Convention Nationale dans sa séance du 27 juillet 1793, qui demandait, avec la croix du mérite civique, « une récompense de quarante mille livres au bénéfice de l’auteur de l’ouvrage jugé le meilleur » pour enseigner le « récit des faits les plus remarquables de l’Histoire des peuples libres et de la Révolution française ».

Il n’y aurait qu’une différence : ce serait de la France qu’il faudrait raconter l’Histoire. Mais le récit n’en serait pas imposé dans toutes les écoles avec plus d’insistance qu’aurait fait Robespierre s’il avait pu donner suite à son projet.

 

P. DUFRENNE,                

inspecteur de l’Enseignement Primaire,

directeur de la « Revue de l’École ».  

 

 

 

 

 

 

LE MONDE RELIGIEUX

 

 

Mgr NÈGRE

 

L’Archevêque de Tours félicite L’Ami du Peuple de l’enquête qu’il ouvre sur la déformation de l’histoire de France par la plupart des manuels scolaires de nos écoles publiques.

 

 

 

Mgr AUDOLLENT

 

Blois, le 17 juillet 1929.

        Monsieur,

Vous ne pouvez qu’être félicité de la campagne que vous pensez entreprendre contre l’enseignement de l’histoire donné trop souvent dans les écoles publiques dans un sens si opposé à la vérité et au sentiment national.

Le moyen pratique pour aboutir consiste à se procurer les manuels en usage, à les analyser et à en saisir le public.

Avec mes vœux pour le succès de cette campagne opportune, veuillez, Monsieur, agréer l’expression de mes sentiments très distingués.

 

J.-B. DESCHAMPS,       

v. g.                  

 

 

 

Mgr HARSCOUET

 

1o Il est triste d’avouer que les appréciations sévères que vous citez correspondent à la vérité. Les manuels officiels dénaturent l’Histoire de France. Il est aussi aisé de montrer par les faits les résultats de pareil enseignement.

2o Sont donc responsables les directeurs de cet enseignement et, puisque c’est un enseignement officiel, le gouvernement officiellement athée dont souffre la France. Contraire aux traditions de la France, se réclamant non du pays concret mais de la théorique Révolution, il renie le passé avec ses gloires nationales et chrétiennes. Il méconnaît dans l’enseignement de l’Histoire à la fois l’ordre établi par Dieu, qui s’est révélé par Jésus-Christ, et l’ensemble des faits qui montrent, malgré les faiblesses inévitables, la fidélité de la France à sa mission de nation chrétienne, selon les desseins de Dieu suivis par elle.

3o Vous voyez le remède : rendre à la France des mœurs chrétiennes, fruits d’un idéal chrétien. Enseigner cet idéal vrai, sans les atténuations déprimantes du libéralisme, et préparer l’avènement d’un gouvernement réparateur, même si le régime actuel doit en souffrir dans ses méthodes, dans sa doctrine et dans son existence elle-même.

Veuillez, agréer, Monsieur le rédacteur, l’expression de mes distingués sentiments.

 

RAOUL,       

Évêque de Chartres.

 

 

 

Le Colonel KELLER

 

Le sabotage de l’Histoire n’est pas un fait nouveau. Auguste Comte, avec une grande indépendance d’esprit, en a signalé la cause, en même temps qu’il en dénonçait les auteurs responsables : « La maladie occidentale, dit-il, graduellement développée par le protestantisme, le déisme et le scepticisme, consiste dans une révolte continuelle contre les antécédents humains. » Et il en datait l’origine : « L’anarchie occidentale date de cinq siècles », écrivait-il en 1845.

L’homme en révolte contre l’ordre providentiel – c’est ainsi que se complète et se précise pour nous le jugement du philosophe positiviste – a l’horreur non seulement des disciplines qui en assurent l’harmonie, mais encore de l’héritage du passé qui en atteste la féconde beauté.

Or, au sortir du XIIIe siècle, qui avait vu l’éveil heureux et magnifique de la civilisation chrétienne, le grand mouvement artistique et littéraire de la Renaissance avait ramené l’homme au culte païen, qui l’inspira : adoration de l’esprit et adoration de la chair. Cette double idolâtrie va désormais détourner l’humanité de la royauté du Christ. L’homme s’évade de la Cité de Dieu pour édifier une Cité où il régnera seul, et, tout de suite, il s’attaque à l’Église qu’il délaisse. Non seulement il en méconnaît tous les bienfaits passés, mais il l’accuse de s’être faite la complice des barbares dont elle l’a sauvé ; il la charge des ruines et des crimes qui ont anéanti cette culture à laquelle il prétend revenir. Cette haine aveugle a, suivant le mot de Maistre, transformé « l’Histoire en la plus grande conspiration qui fût jamais contre la vérité ».

Le retour offensif contre l’ordre catholique, commencé par la Renaissance, sera poursuivi successivement par la Réforme et la Révolution. Ce que devient l’Histoire, au cours de ces campagnes de destruction, Augustin Thierry nous en donne exactement l’idée, dans son jugement sur les historiens du XVIIIe siècle : « Ils ont traité les faits, écrit-il, avec le dédain du droit et de la raison : ce qui est très bon pour opérer une révolution dans les esprits et dans l’État, mais l’est beaucoup moins pour écrire l’Histoire. » Quant à l’enseignement, le plus distingué professeur d’Histoire de cette époque, le bon Rollin, avoue naïvement : « L’Histoire de France, je n’en parle pas, parce que l’ordre national demande que l’on fasse marcher l’Histoire ancienne avant la moderne, et que je ne crois pas qu’il soit possible de trouver du temps, pendant le cours des classes, pour s’appliquer à l’Histoire de France. » Cependant l’étudiant qui, à une heure de loisir, ouvrira un ouvrage en vogue, apprendra à connaître notre sainte « Pucelle » à travers les inspirations lubriques et haineuses de Voltaire.

Plus près de nous, un siècle plus tard, la situation n’a pas varié. En 1875, un jeune Français de vingt-quatre ans, élève des Jésuites, Edmond Demolins, pouvait écrire : « Le programme universitaire biffe, d’un trait de plume, dix siècles de notre Histoire nationale ; le Moyen Âge entier est supprimé... Le programme concentre toute l’attention des jeunes gens sur l’époque révolutionnaire, qui leur est dépeinte comme une ère d’affranchissement général, comme l’aurore de la liberté... À de telles leçons, l’élève ne peut opposer que son ignorance profonde des autres époques de notre Histoire... Tel est le joug intellectuel sous lequel, depuis quatre-vingts ans, la France entière, et surtout les classes dirigeantes ont passé successivement. Il n’est pas un mensonge sur la Révolution qu’on ne leur ait fait accepter, pas une vérité sur l’Histoire nationale qu’on ne leur ait soigneusement cachée » (ou défigurée : voir Michelet, pour ne citer qu’un nom).

Depuis, avec la République laïque, des maîtres comme MM. Compayre et Aulard ont encore perfectionné la méthode. Là, tout est parti pris, parce que tout « va à son but : le succès de ce vaste système de contre-vérités qu’on appelle la défense républicaine », écrivait Augustin Cochin.

Et, aujourd’hui, l’école pousse plus loin encore ses visées. Ouvrez la Nouvelle Histoire de France, publiée par un groupe de professeurs et d’instituteurs de la fédération de l’Enseignement. À travers les réticences et les insinuations de la leçon, mais surtout dans le choix des lectures et des images qui se graveront dans la mémoire enfantine, tout est insidieusement présenté, pour préparer « dans les esprits et dans l’État la RÉVOLUTION SOCIALE ».

C’est ainsi que la « maladie de révolte contre les antécédents » nationaux et humains aboutit à sa crise décisive et que, faute d’une réaction énergique et prochaine, les générations nouvelles seraient fatalement vouées à l’anarchie.

Cette réaction a commencé, voici longtemps déjà, dans le monde des sciences. Nous possédons tout le contrepoison nécessaire. Il s’agit de l’appliquer à haute dose et de le distribuer largement.

Mais supprimer les causes d’intoxication si largement répandues dans la presse, dans les bibliothèques populaires, dans toutes les officines de la Ligue d’Enseignement, dans nos écoles publiques ! Voilà le grand coup de balai pour lequel il faudrait l’autorité résolue d’un gouvernement décidé, lui aussi, à sauvegarder l’Histoire nationale, à servir loyalement la France.

 

Colonel KELLER,         

Président du Comité catholique

de défense religieuse.      

 

 

 

Mgr JOUIN

 

Vous résumez en trois points l’enquête de L’Ami du Peuple sur les déformations de l’Histoire de France : la constatation du fait, la recherche de sa cause, le postulat de son remède.

1o Le fait. – Comme vous l’accusez vous-même, Monsieur, le fait est indéniable, et il relève visiblement ici de trois facteurs : les auteurs des manuels scolaires, les ministres de l’Instruction publique, les instituteurs.

La préoccupation dominante de ces faux historiens fut de dater l’Histoire de France de la prise de la Bastille. Aussi tous concordent-ils à développer le mépris et la haine du passé, dont M. Steeg les loue d’avoir fait table rase en effaçant d’un trait treize siècles de civilisation chrétienne. Il faut donc louer, à notre tour, l’épiscopat français d’avoir condamné ces manuels le 14 septembre 1909, et renouvelé la même sentence dans sa Déclaration du 10 mars 1925.

Au début, les grands coupables furent les ministres de l’Instruction publique, plus spécialement Jules Ferry, que j’ai entendu moi-même à la Sorbonne, le 15 avril 1882, lors de la clôture de la session annuelle des Sociétés Savantes, dénoncer les deux Frances ennemies : la fille aînée de l’Église qu’il faut effacer de l’Histoire ; la fille aînée de la Révolution, « laquelle est vraiment la chair de notre chair et les os de nos os », disait-il. Tous ses successeurs ont pensé et agi de même. Du 4 février 1879 au 1er septembre 1929, sur les cinquante-cinq ministres de l’Instruction publique, pas un n’a censuré les manuels de notre Histoire déformée, tandis que l’un d’eux, M. Paul Bert, composa, avant même la loi de 1882, l’Instruction civique à l’École.

Dès lors, disciples de leurs ministres et de leurs inspecteurs, pétris « de la chair et des os » de la Révolution, comment vous étonneriez-vous, Monsieur, que sur 120 000 instituteurs et institutrices publics, 80 000 fassent partie de la IIe Internationale, et 20 000 de la IIIe, celle de Moscou ?

Appliquez maintenant le proverbe : « Tel maître, tel élève », et vous vous expliquerez comment la jeunesse, élevée depuis cinquante ans dans le mépris et la haine du passé, a perdu « le sentiment national et l’amour de la patrie », au point d’appeler votre enquête, qui jettera peut-être un froid au cœur de ceux qui réfléchissent.

2o La cause. – Quelle est-elle ? Les manuels sont dépassés ; les ministres sont débordés ; les instituteurs sont les maîtres de la place. Mais à regarder de près, on se rend compte que dans le déséquilibre d’excès de force et d’excès de faiblesse qui se partage la crise scolaire, les historiens, les ministres, les instituteurs subissent une unique direction contre laquelle se brise tout essai de retour en arrière. Quel en est donc l’invisible dictateur, et d’où vient sa puissance ?

Je lis dans le volume de Mme Adam, Mes sentiments et nos idées avant 1870 : « Le docteur Clavel nous a parlé avec enthousiasme du travail des Loges maçonniques qu’il dit admirable, colossal. On reprend en sous-œuvre dans les Loges la politique française, et l’on y établit les responsabilités les plus lointaines. La répartition historique de ces responsabilités sera faite avec une justice implacable, surtout par la Loge de Massol, de Brisson et de Caubet : « La Massolerie ». La catholicisation de la France par Clovis servira de point de repère à une action en sens inverse qui extirpera le cléricalisme jusqu’en ses premières racines. »

Voilà le dictateur dévoilé : la Judéomaçonnerie – et sa puissance vient des Loges. C’est de cette officine-là que sort le mal scolaire, l’ordre de refaire l’Histoire « en sens inverse » depuis Clovis jusqu’à la Révolution, « non châtrée de la Terreur et de ses férocités nécessaires », s’écriait Peyrat. Les Judéomaçons de 1868, plagiaires des Lepelletier de Saint-Fargeau et des Lakanal, ont si bien défiguré l’histoire du passé et démesurément grandi la Révolution et la Terreur, que nos historiens scolaires, que nos ministres de l’Instruction publique, que la masse de nos instituteurs, sous la maîtrise occulte mais implacable de la Judéomaçonnerie, entraînent par l’école laïque nos jeunes générations à un bouleversement auprès duquel celui de 93, a dit au Mexique le F.˙. Calles, paraîtra une idylle.

Aussi le F.˙. Debierre osait-il dire dans son discours de clôture au convent de 1906 : « Ni Dieu ni Maître... la Révolution n’est pas achevée... » Terrible aveu des Loges ! La Révolution, comprenons-le, n’est pas le renversement d’un roi qu’on peut guillotiner, d’un empereur qu’on peut détrôner, d’un président de la République qu’on peut poignarder ou empoisonner, la Révolution est l’accession au pouvoir d’une secte au lieu et place de la classe qui le possède et qu’on appelle « l’État ».

Soyons nets. La Révolution est aujourd’hui la lutte de classes du prolétariat, enveloppée d’humanitarisme, de fraternité des peuples, d’anéantissement des frontières et des patries, sous forme d’une seule et universelle Internationale. Or, cette Internationale-là existe, elle est à Moscou, financée et terrorisée par les Juifs ; et c’est précisément à cette IIIe Internationale de Moscou que la Judéomaçonnerie fait inscrire nos instituteurs, c’est à Moscou que s’immatricule désormais leur catéchisme de haine et d’antipatriotisme ; et demain, qui sait si de Moscou, avec l’Allemagne renforcée de l’Anschluss, le bolchevisme n’envahira pas notre pays, déployant le drapeau humanitaire de la faucille et du marteau, sur lequel on pourra lire en lettres de feu le mot d’ordre de Lénine le 2 novembre 1920 : « Car le but commun, c’est la destruction de la France. »

Telle sera l’œuvre de celle qui enfanta le mal scolaire : la Judéomaçonnerie.

3o Le remède. – Il ne peut venir ni de l’amendement des déformateurs de notre Histoire, ils sont au reste presque tous des primaires sans valeur ; ni d’un mea culpa des ministres, tous sont prisonniers des lois laïques ; ni de la conversion des 100 000 instituteurs ou institutrices en fonction de former des sans-patrie.

D’ailleurs, de telles métamorphoses, fussent-elles concevables, qu’elles n’atteindraient pas le but. Le mal est là sans doute, mais il ne part pas de là. La vraie cause efficace qui l’engendre est la Judéomaçonnerie, donc c’est elle qu’il faut détruire, et il n’y a pas d’autre remède.

Impossible, dira-t-on. – Je défie qui que ce soit de le prouver, par la simple raison qu’on n’a jamais tenté cet essai. J’avoue que l’idée m’en fut suggérée par M. Bidegain, qui m’a convaincu que tous nos efforts pour le relèvement de la vraie France, la France catholique, seraient vains tant que les sociétés secrètes existeraient ; et s’il n’y a de ce chef que l’expression d’une parole isolée, c’est du moins une parole d’expérience, puisque l’affaire des fiches empêcha le F.˙. Combes, un renégat, et le F.˙. André, un pro-Allemand, de livrer la France à la Prusse.

Mais, au reste, il est une autre parole, dont le second centenaire arrivera en 1938, c’est la parole des Papes. Vingt ans après la mobilisation de toutes les forces du mal sous le nom de Maçonnerie spéculative, la Papauté l’a démasquée comme l’ennemie de l’Église et de l’État. Qui donc a écouté les Souverains Pontifes ? Personne.

Serrons le débat. Aujourd’hui, Monsieur, c’est l’École qui vous inquiète. Les Papes et l’Épiscopat français l’ont dénoncée. Or, il y a quelques années, la Fédération Nationale Catholique organisa des réunions imposantes de 50 à 80 000 hommes. À qui a-t-on parlé du danger présent ? Et quel est le catholique convaincu qui, au retour de ces magnifiques manifestations, passant devant l’école laïque de sa commune, ait eu la pensée de irue : « Le mal est là » ? Quant aux patriotes incroyants, quel est celui qui ose seulement montrer du doigt l’École et la Loge ?

Je l’affirme de nouveau, on n’a jamais essayé d’affronter la Judéomaçonnerie. L’ennemie peut ouvrir des Loges de « Locarno » ou de « Goethe », et pas un journal de grande presse ne nous ouvrira chaque semaine une demi-colonne pour faire connaître de tels faits ; pas un parti catholique ne se lèvera pour fermer ces « forges » de la Contre-Église ; pas un parti français ne se formera, je n’ose dire pour combattre, puisque ce serait héroïque, mais pour dénoncer l’Anti-France qui n’est autre chez nous et dans le monde que la Judéomaçonnerie.

En 1882, cette Judéomaçonnerie scolaire pouvait paraître blanche aux yeux distraits des profanes ; en 1929, elle apparaît rouge et d’un rouge si écarlate qu’elle présage et appelle du sang. Votre amour de la patrie, Monsieur, en est profondément ému ; et vous comprenez, j’en suis sûr, que l’heure presse de la démasquer, d’entrer en lutte avec elle, visière levée.

Faites-vous le patriotique honneur, Monsieur, d’en sonner le premier la charge.

 

E. JOUIN,                  

protonotaire apostolique,       

curé de Saint-Augustin,         

fondateur de la Revue Internationale

des Sociétés Secrètes           

 

 

 

M. l’Abbé BENETRUY

 

M. l’abbé Bénétruy a été longtemps professeur d’histoire. Il a quitté, nous écrit-il, l’enseignement pour diverses raisons dont la principale est qu’il ne veut pas travailler sous le régime des programmes actuellement en vigueur. Car le mot de M. Delvert dans la Revue des Deux Mondes lui paraît cruellement vrai : « Ces programmes ont organisé dans l’enseignement secondaire la guerre à l’histoire. »

M. l’abbé Bénétruy s’est établi à Strasbourg, où il emploie comme journaliste toute son énergie à travailler pour la France, ce qui est encore, selon sa propre expression, une façon de servir l’histoire de France.

 

        Monsieur,

L’enquête que vous avez pris l’initiative d’instituer a la valeur d’un heureux symptôme. Elle prouve que l’heure a sonné d’opposer un barrage à une entreprise qui tourne au péril national. Le mal est ancien, mais il n’est pas trop tard pour en triompher, encore qu’il se soit étendu, depuis quelques années, à des milieux où l’on aurait jugé impossible, naguère, qu’il exerçât des ravages. L’amour de notre passé et de la France de demain est mon seul titre valable à mêler ma voix à celle des maîtres que vous avez enrôlés au service d’une très belle cause. Vous avez bien voulu juger qu’il légitimait ma collaboration à votre œuvre et l’excusait de toute indiscrétion.

Il faut répondre affirmativement à votre première question. La plupart des manuels d’histoire mis entre les mains des élèves de nos écoles publiques semblent avoir été écrits par les pires ennemis de la France. C’est la diffamation à jet continu de l’ancienne France, y compris, bien entendu, et en bonne place, du rôle de l’Église catholique dans notre passé. En présence de tel ou tel mensonge ou déformation enchâssé dans l’un ou l’autre de ces manuels, le mot de Renan sur « le meurtre » du 21 janvier revient à la mémoire : « honteuse profession d’ingratitude et de bassesse, de roturière vilenie... »

D’où vient le mal ? Faut-il l’attribuer à l’acharnement que nous mettons entre Français, non seulement à nous entre-déchirer – travers détestable d’un peuple « mutin, divisé de courage » – mais même à donner un effet rétroactif à nos divisions du moment ? Il y a quelque chose de cela, comme aussi de l’orgueil inconscient et naïf qui se rencontre, dans certains milieux de culture primitive – je n’ai pas dit primaire – où l’on se complaît béatement dans les merveilles de l’automobile et de la T.S.F., non sans répandre, par une sorte de choc en retour, quelque dédain, si ce n’est du mépris, sur les siècles qui ont ignoré les bienfaits de la Science et du Progrès.

Toutefois ces deux causes ne rendent pas compte suffisamment du mal. Il semble bien plutôt qu’elles ont été enrôlées au service d’une entreprise voulue, calculée.

Les maîtres du pouvoir obéissant à l’instinct qui meut tout vivant à persévérer dans l’être, se sont préoccupés de maintenir leur domination, et de la prolonger au bénéfice de leurs adeptes. Comme ils se réclament de la Révolution, ils se sont appliqués à en établir le culte dans les esprits. C’est pour eux un dogme que l’âge d’or s’est ouvert en 1789, apportant avec lui la libération de l’humanité, l’affranchissement de l’intelligence. Pour en éclairer le bienfait, il était tout indiqué de lui opposer, en un contraste vigoureux, la misérable servitude des temps qui en précédèrent l’avènement. Deux mots dès lors ont suffi à résumer l’histoire des siècles antérieurs : tyrannie et ténèbres, œuvre conjointe du gouvernement et de l’Église, du trône et de l’autel.

Mais il importe que les « avantages » conquis ne périssent point, – en tout premier lieu que les bénéficiaires du pouvoir ne soient point dépossédés et que leur légitimité solidement accréditée assure à leurs semblables la jouissance d’un pouvoir considéré comme le maître nourricier de ses fidèles. (Ce qui nous ramène au moins aux mœurs attestées par la Chanson de Roland.) – C’est pourquoi une certaine histoire s’ingénie à inculquer aux jeunes Français l’horreur du passé de la Nation. C’est donc, en définitive, une intention de basse politique qui inspire, entretient, développe la déformation de notre histoire dans la plupart des manuels en usage dans les écoles publiques, pour préciser, dans les écoles primaires.

Oh ! sans doute, cette intention n’est point de celles que l’on consent à avouer. Il est d’ailleurs conforme à la morale laïque, à la fameuse morale de désintéressement, de trouver à l’outrage infligé à la « chasteté de l’histoire » un motif qui puisse se dire exempt de toute préoccupation sordide. C’est ainsi que le dénigrement systématique du passé se décore du noble souci de refaire l’unité nationale. Il importe que les petits Français du XIXe siècle, bénéficiaires de la Révolution, n’égarent ni leur admiration, ni leurs sympathies, que tous communient dans le culte du seul passé auquel il sont redevables. Retenus de disperser en deçà de la Révolution leur fierté et leur reconnaissance patriotiques, ils reporteront sur le régime moderne la ferveur de ces sentiments. Le résultat ? Un concert, sans dissonance, d’admiration et de dévouement pour la seule France qui compte. Et voilà recréée la cohésion nationale ! Ce résultat précieux est-il acheté trop cher au prix d’une déformation ingénieuse à mettre en lumière les défaillances et les tares de l’histoire nationale, comme aussi à en voiler les grandeurs et les bienfaits authentiques.

Quels remèdes convient-il d’adopter pour combattre le mal ?

Il n’en est point d’autre, me semble-t-il, que d’opposer aux manuels de mauvaise apologétique que vous dénoncez, des manuels d’histoire, au plein sens du mot.

L’œuvre est difficile. Mais les bons ouvriers ne manquent pas. MM. les membres du cercle Fustel de Coulanges sont au premier rang de ceux à qui le savoir, l’expérience pédagogique et le patriotisme donnent qualité pour l’entreprendre et la mener à bien. M. Funck-Brentano constatait, eu 1902, « la difficulté de plus en plus grande que trouvent les historiens indépendants de l’Université à faire pénétrer les résultats de leurs travaux dans le courant des idées reçues ». Nous n’en sommes plus, heureusement, à cette époque de douteuse sérénité intellectuelle.

Les acquisitions de la science historique, depuis trente ans, sont nombreuses et dûment établies. Il est temps de leur donner sans timidité, dans les manuels, la place qui appartient à la vérité. Il n’y a pas à reculer devant ce que quelque serf d’esprit appellera des provocations : caractère vrai de la mission de Jeanne d’Arc, des guerres « de religion », de la Fronde, de la politique étrangère de Louis XIV ; rôle bienfaisant de Richelieu, de Mazarin, de Vergennes, – ce méconnu, – de Louis XVIII. Après les travaux d’Augustin Cochin, il n’est plus permis d’avoir des illusions sur les origines de la Révolution, de penser que ce fut la question sociale qui détermina l’obscure poussée révolutionnaire. Et puisque l’histoire de la IIIe République est inscrite dans les programmes, pourquoi taire qu’il y eut après le 16 mai 1877, des négociations inavouables entre Bismarck et Gambetta ? Enfin l’œuvre entière se présente avec le caractère d’une réaction certaine contre une entreprise qui vise à tarir les sources de la fierté et de la vitalité de l’âme française. Réaction... mot redoutable ! ! Au fait un organisme sain, réagit, lui aussi, contre l’invasion des adversaires de son intégrité, de sa vie.

Les manuels d’histoire que j’appelle de mes vœux, répondront, après vingt ans, aux désirs de l’épiscopat français de 1909. L’école publique ne doit pas plus être un moule où l’on jette un fils de chrétien pour qu’il s’en échappe un renégat, qu’un moule où l’on jette un fils de Français pour qu’il s’en échappe une sorte de déraciné de la terre paternelle, en état d’insurrection contre ceux qui ont aménagé la Maison et la Cité.

Je m’arrête. Votre enquête, Monsieur, doit-être le point de départ d’une œuvre appliquée à accorder la Patrie de demain à la Patrie d’hier. Personne n’en souhaite le succès plus ardemment que moi.

 

Abbé J. BÉNÉTRUY.       

 

 

 

M. le Pasteur Noël VESPER

 

Patriote ardent, M. le pasteur Noël Vesper poursuit, par la plume et par la parole, une persévérante et lucide campagne en faveur du redressement national.

Son œuvre maîtresse : Les Protestants, l’Église et la Patrie, a fait sensation non seulement parmi ses coreligionnaires, mais encore dans tous les milieux politiques, philosophiques et littéraires.

Il est, à la Vie Nouvelle, l’un des plus actifs collaborateurs de cet autre ferme patriote : M. le Pasteur Louis Lafon, le « Provincial » du Temps.

C’est à ce titre que nous avons tenu à demander à M. Noël Vesper son opinion sur les points visés par notre enquête.

 

Pourquoi l’Histoire de France est-elle actuellement déformée, et même falsifiée – car elle est l’un et l’autre ? – Est-ce ignorance, incurie et routine, ou est-ce système et parti pris ?

C’est l’histoire elle-même qui répond. Elle montre un principe nouveau introduit en France à un moment donné : l’individualisme révolutionnaire ; en tant qu’individualisme, entraîné à prendre position contre le passé, contre la tradition, contre l’espèce, contre les pères, contre les morts ; en tant que révolutionnaire, porté à se rebrousser contre l’état de choses antérieur, et portant cette disposition contre tout ce qui a figure d’autorité ou d’expérience. Enfin, cet individualisme révolutionnaire s’est fortifié de la foi dans un progrès nécessaire et fatal, où trouvent leur satisfaction, le mépris du passé et l’esprit de révolution.

Aussi l’individualisme révolutionnaire s’est trouvé apparenté à la métaphysique du devenir, opposée à la métaphysique de l’être. Le Dieu qui est, qui a été et qui sera, du christianisme, est combattu au profit d’une idéologie mystico-humanitaire, celle du Dieu qui se fait, du Dieu en devenir. L’individualisme révolutionnaire a promptement fait figure de religion sous ses diverses espèces politiques ; la démocratie, l’étatisme, le socialisme, le communisme. Cette Église, aux confessions souvent rivales, prétend représenter la foi dans l’avenir et la libération totale de l’individu. Ses adeptes ont par conséquent le plus grand mépris du passé, qui est pour eux suspect d’obscurantisme.

Les droits de l’individu étant absolus, qu’ils aient celui de ne point respecter l’histoire de leurs pères, cela va de soi, c’est même par un acte religieux pur qu’ils refont l’histoire comme, à leurs yeux, elle aurait dû être !

Le christianisme, en plaçant le Père à la source de toute ère universelle et individuelle, de toute autorité et de toute tradition, ne permet ni ces mépris ni ces licences également révoltants et profondément démoralisateurs. Le Christianisme est, en effet, une grande école d’expérience et, par suite, de respect.

Ce qu’il y a donc derrière la falsification de l’histoire, c’est une foi nouvelle et une bien pauvre foi !

 

Pasteur Noël VESPER.

 

 

 

 

 

 

VOX POPULI

 

 

L’AVIS DU PUBLIC

 

Voici maintenant la contribution spontanée de nos lecteurs qui applaudissent à notre initiative et nous apportent leurs suggestions personnelles, dont certaines présentent le plus vif intérêt.

L’abondance des matières, ici, était telle que nous avons dû, à notre vif regret, nous restreindre et faire un choix.

Mais nous pouvons assurer que la note est unanime et que, parmi les centaines de lettres qui nous sont parvenues, pas une seule, dûment signée, ne blâme ou ne discute notre initiative.

Notre enquête prend ainsi figure d’un referendum dont les autorités compétentes et responsables seront sages de ne pas méconnaître le sens profond.

S’il est vrai que l’opinion est souveraine dans notre pays, il faudra bien que sa voix soit entendue et obéie.

Nous devons adresser un remerciement chaleureux à nos confrères de la Presse de province qui ont fait si largement écho à cette enquête. Près de 200 journaux, appartenant aux nuances politiques les plus diverses, se sont associés à notre campagne Nous n’attendions pas moins de cette vaillante presse départementale si ouverte à toutes les questions nationales.

La chaleur de son accueil fait un contraste saisissant avec le silence hermétique observé par nos confrères du Consortium sur un sujet qui Intéresse cependant au premier chef l’avenir de l’intelligence française.

 

G. C.

 

 

 

M. A. BOUTHINON

 

Nous ne résistons pas au plaisir de donner avant toute autre cette lettre d’un modeste chauffeur parisien. Malgré ses fautes, et peut-être même à cause de ses fautes matérielles de rédaction, cette lettre, quoi qu’en pense son auteur lui-même, n’est pas d’un primaire. Aux traits essentiels d’observation, de logique et de bon sens qui s’en dégagent on reconnaît les fortes qualités qui ont toujours valu à la France sa primauté intellectuelle.

Quel pays peut se vanter de posséder une élite se manifestant ainsi à tous les degrés de l’échelle sociale.

Même illettré, même égaré par une instruction première tendancieuse ou mensongère, le Français réagit d’instinct. Il ne faut pas voir d’autre raison aux relèvements magnifiques qui ont jalonné toutes les périodes de sa lumineuse histoire.

 

Lors de vos premiers articles, La chasse aux bobards, je me suis dit : voici un journaliste qui commence à dire des vérités, et je vous ai écrit une lettre où je vous demandais si on ne pourrait pas trouver une histoire de la France qui ne soit pas falsifiée ; car, il est inutile que je vous le dise, je ne suis pas un intellectuel, mais un pauvre primaire qui n’a même pas eu de certificat d’étude. Mais je suis un observateur et je lis beaucoup et ce que vous dites si bien aujourd’hui je l’ai pensé depuis plus de vingt ans. Ma profession de chauffeur m’a fait voyager un peu dans toute la France, où j’ai pu voir les vestiges et les belles choses du passé et, le confrontant avec ce qu’a fait la République, je me disais : il n’est pas possible que les maîtres de la France d’autrefois, qui étaient, d’après l’histoire, des êtres abjects, aient pu faire de si belles choses et que l’on attribue à la France actuelle, ou plus tôt à ses gouvernants, toutes les qualités. Qu’ont-ils fait de comparable à ceux d’autrefois ? J’ai beau chercher, je ne vois rien. Aussi, c’est pourquoi je voudrais tant trouver une histoire de notre France impartiale et sans parti pris, pour pouvoir l’enseigner à mes enfants, pour empêcher qu’on leur fausse l’esprit. Il y a, j’en suis sûr ; parmi l’élite française, des hommes capables de la faire cette histoire simple, facile à lire, à la portée de tous les grands et les petits.

Je puis vous dire, Monsieur, que si vous pouvez faire cela vous serez un des plus grands Français de l’époque et vous aurez travaillé au plus grand bien de notre cher pays.

Recevez Monsieur, l’expression de mon admiration pour votre courage, car il faut du courage pour affronter la secte qui a intérêt à salir la France.

 

A. BOUTHINON,       

rue de Vanves, Paris-14e.  

 

 

 

M. Paul WATRIN

 

      Mon cher Confrère,

Votre enquête sur les déformations systématiquement infligées à l’Histoire de France est d’un intérêt majeur, mais le bien qu’elle fera certainement ne semble pas être pour demain, car il me paraît que la façon de répondre d’une manière précise à vos trois questions précises ne comporte guère de remède actuel.

Oui, l’Histoire de France est systématiquement déformée.

La cause principale ? Elle est bien simple : si les nouvelles générations d’électeurs apprenaient qu’hier était mieux qu’aujourd’hui, elles voudraient retourner à hier.

Les remèdes ? Pour demain : que le régime actuel veuille bien se suicider ; pour plus tard, des enquêtes, comme la vôtre sur les points d’histoire déformés.

Mes sentiments les meilleurs,

 

Paul WATRIN,       

Président de la Société  

archéologique de France.

 

 

 

M. P. VORIN

 

Évidemment, l’enseignement de l’Histoire dans les établissements scolaires est faux et nocif. Il est de plus stupide puisqu’il tient pour néant ou pour barbarie honteuse toute la période, en réalité glorieuse et merveilleuse, de notre Moyen Âge.

Comme M. Josse était orfèvre, je suis architecte, et l’architecture est pour moi la fenêtre d’où je regarde le monde. Pourrait-on me dire quelles œuvres plus intelligentes, plus expressives, plus subtilement savantes, plus parfaitement saines et logiques, plus riches et plus puissantes d’imagination, plus savoureuses de style que nos cathédrales ou nos châteaux forts du XIIIe siècle, produisit jamais cet art en tous les temps et en tous les lieux ?

Et cependant, nous lui gardons l’appellation de gothique, terme faux et ironique imaginé par les Italiens du XVIe siècle pour déprécier notre art et exalter le leur. Ce en quoi nous nous sommes empressés de les suivre avec la stupide ardeur qui inspira depuis lors l’enseignement de l’architecture. C’est au grand Viollet-le-Duc (sur lequel s’émettent en ce moment des opinions plus ou moins autorisées) que nous devons de voir, à nouveau, compris dans une certaine mesure et par un petit nombre, cet art qui fut véritablement l’Art Français.

Chacun répète, à tout propos, sans le comprendre bien profondément le plus souvent, ce lieu commun : « L’histoire d’un pays se lit dans ses monuments. »

Et les monuments qui contiennent le plus de science, le plus d’art, le plus de puissance expressive, le plus d’esprit, seraient le produit d’une époque de barbarie et d’obscurantisme ? Allons donc !!!

Les plus mécréants admirent au-dessus de tout, et ils ont raison, la musique religieuse traditionnelle qui nous vient du Moyen Âge. La musique n’a, en effet, jamais trouvé, par des moyens plus simples, des expressions aussi poignantes que celles de certains psaumes. Et les auteurs de ces œuvres auraient été des brutes sauvages ?? On veut rire !!!

Le siècle de Saint-Louis est plus grand et plus vraiment français que celui de Louis XIV ; mais on le nie parce qu’on l’ignore, et on l’ignore parce que l’enseignement non seulement primaire, mais secondaire, et même supérieur, à l’exception toutefois de l’École des Chartes, le méconnaît. Si bien que, de bonne foi, ceux qui ont été, eux-mêmes, instruits dans cet esprit, enseignent à tous qu’entre la chute de l’empire romain et la Renaissance, il existe un grand trou noir. On en retient la succession des règnes, le nom de quelques batailles, et l’on passe aux dithyrambiques éloges des périodes suivantes qui sont, en fait, de décadence.

Voici longtemps déjà que je soutiens ces idées dans mes cours et conférences. Je suis heureux de voir s’étendre la question et de la voir traiter d’une tribune qui lui assure un retentissement que je veux espérer suffisant pour déterminer un effort sérieux de redressement vers la vérité.

 

P. VORIN,           

Architecte en chef      

des monuments historiques.

 

 

 

M. A. JAULME

 

Nous donnons ici la conclusion d’un article fort documenté consacré à notre enquête, dans Les Nouveaux Essais critiques, par M. A. Jaulme, bibliothécaire à la Bibliothèque Nationale.

 

« Savez-vous ce qui me frappe ? s’écriait, en janvier 1910, à la Chambre des députés, le socialiste Jean Jaurès. C’est que ces manuels ont pour le présent une sorte d’optimisme excessif... Il y a dans quelques-uns de nos manuels une sorte d’admiration un peu complaisante et béate pour les choses d’aujourd’hui... Je vous l’avoue, quand je lis dans nos manuels, à la charge des siècles passés, qu’alors les riches vivaient dans des palais splendides et que les pauvres végétaient dans des taudis, j’ai peur précisément qu’un des fils du peuple venu à l’école par le détour de nos riches avenues et sortant de ces pauvres taudis où sont accumulées tant de familles ouvrières, j’ai peur que cette tête ne se relève anxieuse et interrogative et que l’enfant ne dise tout bas ce qu’il n’ose peut-être pas dire tout haut : “Eh bien ! et aujourd’hui ?”

« J’ai peur que nos écrivains ne soient pas justes lorsqu’ils condamnent toute une époque par le seul trait des famines qui l’ont désolée, oubliant que ce n’est pas la seule faute de l’organisation politique et sociale d’alors, mais d’une insuffisance des moyens de production...

« Oh ! messieurs, glorifions le présent, mais avec mesure, avec sobriété 2 ! »

Un grand pas serait fait vers une conception moins ridicule et odieuse de l’histoire si tous les maîtres méditaient les conseils d’un homme dont ils ne peuvent suspecter la foi démocratique, conseils qui figureraient avantageusement dans les réponses à l’intéressante enquête de l’Ami du Peuple.

 

A. JAULME.

 

 

 

M. Henri d’ALMERAS

 

      Mon cher Confrère,

Permettez à un ancien professeur d’histoire et à l’auteur de nombreux livres historiques de vous donner son opinion.

L’Erreur, sincère ou voulue, a été de tout temps plus active et plus habile que la vérité. À l’avantage de s’adapter beaucoup mieux à la moyenne des intelligences qui vont, d’instinct, vers le faux et vers l’absurde, elle ajoute un plus vif désir de se répandre, de s’imposer, surtout quand elle est animée par l’esprit de parti et l’intérêt de classe.

C’est la vérité qui a tort de se laisser dépasser et surpasser. Elle compte trop sur sa force démonstrative et sur le suffrage de l’élite, qui passe son temps à abdiquer et qui ne fut jamais moins puissante et moins influente qu’aujourd’hui. Cette vérité, qui perd sans cesse du terrain, il faut qu’elle se résigne à engager la lutte, car c’est bien d’une lutte qu’il s’agit et d’une lutte dont l’enjeu est la France. Il faut que les livres qu’elle inspire, au profit des causes qu’elle défend, soient mis plus commodément (dans des collections populaires, à des prix modiques) à la portée du grand public. Et, pour dire toute ma pensée, il faut surtout qu’elle ne se laisse pas entraîner, avec un parti pris de conciliation qui n’est qu’une forme de lâcheté, à faire à des adversaires intraitables, intransigeants, d’inutiles et humiliantes concessions. Tout doit être sacrifié, au vrai, au réel, même l’idéalisation sentimentale dont nous ne sommes que trop coutumiers, et plus que les autres, l’idéalisation de Démos, magnifié, divinisé. Nous voyons, aujourd’hui, et nous verrons encore plus, demain, où cela conduit.

Croyez, mon cher Confrère, à mes meilleurs sentiments et recevez mes plus sincères félicitations pour votre enquête, si opportune.

 

Henri d’ALMÉRAS,       

rue Alphonse-Daudet, 7, Paris.

 

 

 

Le Colonel Charles BUGNET

 

Le Colonel Charles Bugnet a été l’officier d’ordonnance du maréchal Foch depuis le mois de juin 1921 jusqu’au mois de mars 1929.

Il a donné récemment sous le titre En écoutant le maréchal Foch un remarquable livre de souvenirs sur le maréchal, dont il a tracé un portrait particulièrement vivent et intéressant. Dans ce livre le commandant Bugnet s’est surtout attaché à montrer la grande leçon morale qu’il avait lui-même tirée de ses années de service auprès du grand chef dont les merveilleuses qualités de caractère ne sauraient jamais être assez données en exemple aux jeunes générations.

Voici ce qu’il nous écrit :

 

À la veille de ce 11 novembre, fête anniversaire de la Victoire, qui devrait être aussi le jour de fête du Vainqueur, permettez-moi d’apporter ma trop éloquente contribution à votre enquête sur la déformation de l’Histoire.

Dans un nouveau petit dictionnaire illustré, qui a une immense diffusion, on peut lire page 1380 (édition de 1929) :

Foch (Ferdinand), maréchal de France, né à Tarbes en 1851. Il commanda pendant la grande guerre la 9e armée, le groupe des armées du Nord, et devint en 1918 généralissime des troupes alliées, membre de l’Académie française.

De la victoire, de l’armistice de Rethondes, de la délivrance du territoire national, aucune mention !

Pour le grand soldat, à qui nous devons notre salut, six lignes de renseignement.

Dans la même page, au nom de Florian, vous trouverez onze lignes d’appréciation élogieuse sur ce fabuliste « le plus remarquable après La Fontaine ».

À la page suivante, onze lignes encore sur Fontenelle dont « l’œuvre élégante et habile de vulgarisation scientifique eut un très vif succès ».

Sans doute, la gloire de nos grands hommes ne se mesure pas au nombre de lignes dans un dictionnaire, mais croyez-vous que nos enfants soient suffisamment et justement instruits par celles qui doivent les renseigner sur le rôle que put jouer dans la guerre un certain Foch, dont peut-être tout de même ils entendront parler...

 

Lieutenant-colonel Charles BUGNET.

 

 

 

M. Raymond de RIGNÉ

 

M. Raymond de Rigné, qui est secrétaire général du Comité International du 5e Centenaire de Jehanne d’Arc, vient de publier un volume sur l’héroïne, où il développe avec une argumentation serrée une thèse entièrement nouvelle sur le procès de Rouen.

D’après M de Rigné – et il apporte d’assez bonnes raisons à sa thèse – ce procès n’a pas été instruit, comme on le pensait jusqu’ici, par des juges indignes et vendus à l’Angleterre, et la sentence n’a pas été le résultat d’une forfaiture. Il s’agit – et c’est tout autre chose – d’une effroyable erreur judiciaire.

Le fameux évêque Pierre Cauchon ne mériterait aucun des anathèmes dont sa mémoire a été chargée. Il a cru de bonne foi à l’imposture de Jehanne ; il est demeuré convaincu, avec la moitié des Français de son époque, qu’il instruisait le procès d’une sorcière et d’une intrigante.

Erreur bienheureuse, aux yeux de M. de Rigné, car elle a permis l’établissement de deux longues et minutieuses enquêtes qui demeurent le document capital où resplendit, dans ses moindres détails, la vie prodigieuse de l’héroïne.

On trouvera, dans la réponse que M. de Rigné nous a spontanément transmise, l’exposé de la méthode adoptée par cet écrivain.

 

En réponse à votre si utile enquête, je commence par vous adresser mon livre Jehanne d’Arc héroïne du Droit, qui vous montrera comment les historiens ont pu se tromper tous faute de méthode.

Je crois donc être particulièrement qualifié pour vous apporter des réponses exactes.

1o Oui, l’Histoire est déformée, et par tous les partis ;

2o Ce mal provient d’abord de l’incompétence professionnelle des auteurs qui s’improvisent historiens ; ensuite, de l’esprit de parti qui porte tous les écrivains à exalter ce qui corrobore leur thèse. Très rare est l’homme qui se passionne pour la vérité pure ; on se passionne plutôt pour des héros et des partis ;

3o Pour remédier à ce mal, il faut adopter la méthode de reconstitution objective des faits qui exclut tout esprit de parti ; l’on ne s’inquiète pas de donner raison à Pierre ou à Paul, mais d’exposer ce qui s’est passé à telle époque et d’expliquer pourquoi les personnages ont agi d’une manière plutôt que d’une autre. Cette méthode de reconstitution exige que l’on ne s’en tienne pas à la lettre des documents, mais que l’on cherche, sous les documents, la vie dont ils ne sont qu’une cristallisation plus ou moins réduite. Je vous enverrai sous peu ma Vraye Istoire de Jeanne-la-Pucelle qui vous montrera la distance qui sépare l’Histoire écrite par des sectaires de l’Histoire objective. Car, tous les historiens de Jehanne d’Arc ont été atteints de l’esprit sectaire ; les uns ont voulu faire des démonstrations pour ou contre le surnaturel ; les autres ont voulu faire de Jehanne la libératrice du territoire ; tous ont faussé les faits. L’histoire consiste à établir la réalité des faits ; les faits une fois reconnus, il faut examiner comment et par qui nous les connaissons. Dans la vie de Jehanne, nous accorderons notre confiance aux paroles de l’héroïne, tout d’abord, puis de son entourage, puis des chroniqueurs, puis de ses ennemis et, peu à peu, en recherchant les sentiments qui animaient les uns et les autres, nous verrons comment les faits se déforment peu à peu dans l’esprit des témoins, et nous redresserons ces erreurs par un travail de reconstitution aussi fidèle que possible.

La place me manque pour donner des exemples concrets, je le regrette ; mais peut-être aurai-je un jour l’occasion d’exposer ce que doit être la méthode de rigoureuse reconstitution. Je termine ici en insistant sur le fait que l’historien doit avoir surtout une mentalité de détective, ce qui exclut tout esprit de parti. Étant donné, par exemple, que les Anglo-Bourguignons ont cru que Jehanne était une sorcière, comment sont-ils arrivés à cette conviction ? Rien n’était plus facile à trouver, mais il fallait aimer les faits plus que les personnes.

 

Raymond de RIGNÉ.       

 

 

 

M. le Docteur FOUGERAT DE LASTOURS

 

Je vous prie de trouver, ci-joint, une plaquette où, page 31, je m’élève contre « les Histrions de l’Histoire », en témoignage de sympathie et de reconnaissance pour la courageuse campagne entreprise par vous en faveur du passé de notre France.

Cette œuvre utile entre toutes.

Élève d’Albert Malet, j’ai entendu cet admirable historien déplorer amèrement la conspiration de silence et de haine que vous stigmatisez si justement.

De tels crimes ne peuvent être impunis ; le mépris de tous les Français dignes de ce nom doit en suivre les fauteurs.

L’œuvre de lutte et de redressement doit se faire.

Si nous voulons vivre, il faut, avant tout, que partout, en tous les domaines, nous soyons fiers de nos pères qui nous ont faits ce que nous sommes : « La plus belle et la plus généreuse des nations qui fût sous le ciel. »

Quand, aux lumières de la science, on voit que le Moyen Âge, si honni, est arrivé en maintes choses, en art, en hygiène, par exemple, à des sommets qui n’ont plus jamais été atteints, on croit rêver !

Courage et confiance donc, continuez ! Les vœux de tous les bons Français vous accompagnent dans la lutte si bien entreprise. Bravo !

 

Docteur FOUGERAT DE LASTOURS.

 

 

 

M. Robert LAUNAY

 

        Monsieur et cher confrère,

Dans les réponses à l’enquête sur les déformations de notre histoire, il me semble qu’on passe un peu légèrement sur la principale cause de cette injure à la patrie.

Il faudrait que la démocratie fût réellement le régime de la vertu, et de la vertu héroïque, pour laisser louer par ses instituteurs ce qu’elle est venue abolir. La première République biffa d’un coup toutes les annales antérieures, quand elle fit commencer à son avènement l’ère nouvelle qu’elle imposait par décret. Ne détruisit-elle pas les tombeaux de Saint-Denis pour faire disparaître les vestiges des rois ?

Le rapporteur du Comité de Salut Public, Bertrand Barère, le disait expressément : « Nous voulons tout effacer, ne dater que d’aujourd’hui. » Il ajoutait : « Nous brûlerons toutes les bibliothèques. Oui, il ne sera question que de l’histoire de la Révolution et des Lois. »

Cette répudiation du passé s’est transmise par tradition. Les héritiers des Grands Ancêtres se défient de l’Histoire, fâcheuse restauratrice de gloires détestées. Paul-Louis Courier, dans sa harangue démocratique, l’abominait, n’y voyant, disait-il, « qu’un enchaînement de sottises et d’atrocités qui ne mérite guère l’attention d’un homme sensé ».

Je ne sais plus quel critique dénonçait naguère les historiens comme les suppôts de la réaction. L’on ne saurait exiger de l’enseignement républicain orthodoxe qu’il raconte avec sincérité les bienfaits nationaux de Saint-Louis, de Louis XI et de Louis XIV. Et l’on peut bien chercher, imaginer même des remèdes contre cette malveillance systématique. Il n’en est pas qui soient compatibles avec le respect des dogmes jacobins.

Veuillez agréer, mon cher confrère, l’expression de mes bien distingués et cordiaux sentiments.

 

Robert LAUNAY,       

homme de lettres.       

 

 

 

M. Louis CADARS

 

      Mon cher confrère,

Je m’étonne qu’aucun de vos correspondants n’ait fait allusion au mot exquis et si suggestif que Robert de Flers a mis dans la bouche d’un personnage de son théâtre :

N’apprends jamais l’histoire de France, sans ça tu deviendrais réactionnaire !

Ce n’est pas là une simple boutade du charmant auteur du Bois sacré, mais au contraire l’expression d’une vérité profonde. Il est certain en effet, que si les citoyens français connaissaient leur histoire nationale par une étude objective et probe, dégagée de toutes les mystiques et de tous les partis pris intéressés dont elle a été encombrée intentionnellement, ils ne se laisseraient pas aussi niaisement diriger par les maîtres et les profiteurs du régime actuel.

L’habileté de ces profiteurs a consisté à faire croire au peuple que, sous les régimes déchus, fleurissaient les pires turpitudes, les plus odieuses exactions. En comparaison du tableau qu’ils brossent de ces époques révolues, la nôtre apparaît évidemment comme une idylle dans le goût de Théocrite ou de Virgile. Il faut le reconnaître, le procédé est d’une habileté consommée.

À cet égard, les réponses qui vous sont parvenues me paraissent comporter une lacune importante. Toutes, sans doute, ont mis justement en valeur le caractère mensonger des manuels scolaires. Mais elles n’ont pas dénoncé ce que j’appellerai le procédé par l’image.

Il faut insister là-dessus. Les auteurs de ces manuels ont évidemment compris que la grande majorité des enfants ne retiendraient, après tout, au sortir de l’école, que des données extrêmement fugaces de leur enseignement. Ils ont donc cherché à imprimer dans ces jeunes esprits la vision imagée de leurs mensonges historiques. C’est d’une rare perfidie, mais la réussite, malheureusement est quasi infaillible. Le texte, en effet, est vite oublié ; mais l’image reste d’autant mieux gravée dans la mémoire que l’esprit par elle impressionné est justement plus fruste et plus inculte.

Le manuel de Calvet peut être considéré comme le prototype de cette arme spéciale de déformation intellectuelle.

Croyez-moi votre amicalement dévoué,

 

Louis CADARS,          

Avocat à la Cour de Bordeaux.

 

 

 

M. Félix SIRY

 

À Georges Champenois                  

pour sa Ligue de défense de l’Histoire de France.

 

Voici qu’un vendeur de bouquins,

Au soir de son humble carrière,

Du long de la calme rivière

Veut aussi flétrir ces coquins

Dort la prose blasphématoire

Déforme et salit notre histoire.

 

De fiers jouteurs, ô Champenois,

Donnent réponse à ton enquête ;

C’est beau, c’est bien, mais la conquête

Exige plus que des tournois.

Pour vaincre l’attaque insolite

Il te faut grouper ton élite.

 

Surtout vois bien cet insulteur

Qui du Passé veut le massacre,

Méprise la Pucelle au sacre,

Des faux écrits vois l’éditeur.

C’est l’universel parasite

Qui meut la Loge et qui l’excite.

 

Que tes Ligueurs aient donc un chef

Épris du Nationalisme,

Haïssant l’Universalisme,

Pilotant librement sa nef.

Allons, que saint Michel Archange

Guide et protège ta phalange.

 

 

Félix SIRY, bouquiniste

du quai parisien de la Mégisserie.

 

 

 

M. Jean ROMAIN

 

Paris, 12 décembre 1920.

        Monsieur et cher confrère,

Votre enquête sur les déformations de l’histoire le France est extrêmement curieuse.

Comme toutes les questions qui touchent de près ou de loin à l’enseignement me passionnent, et que je tremble en songeant au mal que les sectaires peuvent nous faire en apprenant aux enfants à mépriser ce passé qui nous a faits ce que nous sommes, permettez-moi de vous signaler que j’ai publié dans Le Correspondant, 1e 25 juin et le 25 juillet de cette année, une étude sur quelques tares de notre enseignement.

Dans mon second article, notamment, vous trouverez bien des exemples de ces déformations mensongères concernant toutes les époques de notre histoire, depuis l’homme des cavernes jusqu’à Napoléon Ier.

Feuilletez les manuels d’histoire de France à l’usage des écoles primaires écrits par MM. Rogie et Despiques, Duvillage, Brossolette, Aulard et Debidour, Lavisse, notamment, pour n’en citer que quelques-uns : presque à chaque page vous trouverez des calomnies dont on ne sait si elles sont plus sottes ou plus infâmes.

Laissez-moi, je vous prie, vous citer quelques phrases assez caractéristiques :

« L’Église songea surtout à assurer sa domination intolérante et tyrannique. » (Rogie et Despiques.)

« Pendant longtemps le paysan, qui assurait l’existence des nobles et des clercs, devait être bafoué et ridiculisé par tous. » (Rogie et Despiques.)

« Tous ceux qui travaillaient étaient méprisés... Un paysan qui tuait un lièvre risquait d’être pendu. Les paysans dans ce temps-là étaient traités à peu près comme des bêtes. » (Lavisse.)

« L’exécrable gouvernement de Louis XIV... les folies sanguinaires de Napoléon Ier » (Payot, La morale à l’école), et un peu plus loin, toujours à propos de Napoléon :

« Jamais il n’a pensé à l’avenir du pays. Poussé par une ambition effrénée, il n’agit que pour étonner. Étranger à toute idée de justice et d’humanité, il vit dans une inquiétude continuelle à cause des conspirations de l’intérieur et du mauvais vouloir des généraux qui lui doivent tout, mais qu’il a démoralisés par son égoïsme personnel. »

Que pensez-vous des instituteurs qui enseignent à leurs élèves que « la Bastille était le lieu où l’on enfermait les pauvres gens », et qu’au Moyen Âge, quand on construit des oubliettes, on en hérisse les parois de coutelas et d’épées scellés dans la maçonnerie pour que les victimes de nos barbares aïeux n’arrivent en bas que coupées en morceaux ?

Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, l’assurance de ma très haute considération.

 

Jean ROMAIN,       

homme de lettres.     

 

 

 

Mme A. de RUPÉ

 

        Monsieur,

Si l’opinion de vos lecteurs, Dieu merci, n’est pas un guide pour vous, je crois toutefois qu’il vous intéresse de la connaître, afin de juger de l’effet de vos efforts.

C’est pourquoi je vous exprime ici la mienne, qui est celle de bien des personnes.

Votre, très intéressante enquête sur l’Histoire de France, ou plutôt, sur son enseignement, est fort lue.

Elle soulève des problèmes que bien des parents, un peu instruits, avaient déjà entrevus. Les manuels scolaires sont mal faits, et, en général, rebutent les enfants. Rares sont ceux qui, jeunes, aiment l’histoire ; et ce pli une fois pris, il est bien difficile de l’effacer.

Votre campagne serait incomplète si elle se bornait à une simple enquête. Il vous appartient de la mener « jusqu’au bout », de la rendre efficace, en publiant dans votre journal même, page à page, une histoire glorieuse de la France (ainsi qu’il vous a été suggéré).

Non seulement ranimez le bon sens du peuple, son sentiment national, mais instruisez-le aussi. Qu’il trouve dans son journal tout ce qu’il lui faut. Formez-lui le jugement. Ce sera long, mais vous y arriverez.

Si je vous écris avec cette liberté, c’est que je connais ce peuple, dont vous vous occupez, ma profession d’institutrice dans une « maternelle » m’ayant mise plusieurs années en contact direct avec des pères et des mères de famille

Mais notre patrimoine n’est pas seulement fait de notre gloire militaire et politique ; et je voudrais que les pages publiées par vos soins insistassent beaucoup sur la valeur morale, sur les vertus de ceux qui ont fait, dans tous les domaines, la France si grande.

Les manuels indiquent volontiers la date où disparaissent de ce monde d’obscurs ministres ; mais ils taisent les actes de dévouement, les morts héroïques des savants.

Et cependant, ces faits frappent considérablement les âmes d’enfants, et éveillent en elles les plus beaux échos.

L’enseignement de la morale, aussi, est déplorable et présenté de la façon la plus insipide aux écoliers.

Mêlez l’un à l’autre. Réservez, dans votre journal, une petite place à l’enfant, si vous le pouvez. L’enfant du peuple n’a rien à lire, que les stupidités des illustrés bon marché, ou la « littérature répugnante qu’il trouve pour quelques sous chez le libraire. Vous n’imaginez pas ce qu’on peut saisir en ce genre dans des mains d’enfants. C’est lamentable !

Pensez aux tout petits qui ne sont pas favorisés. Ramener l’homme fait dans la bonne voie est chose malaisée et longue. L’empêcher de s’égarer tout jeune est préférable. Il vaut mieux prévenir que guérir, n’est-ce pas ?

Excusez cette longue lettre ; dites-vous que vous semez la bonne parole, et que bien des lecteurs vous approuvent chaleureusement.

 

A. de RUPÉ,       

institutrice.        

 

 

 

M. le Capitaine MAUDUIT

 

À l’appui de l’enquête que vous venez d’ouvrir si opportunément sur les déformations de l’Histoire de France, permettez-moi de livrer à vos méditations ce petit fait divers vécu, dont je garantis la rigoureuse authenticité.

Ceci se passait il y a trois ou quatre ans à Versailles, par une belle matinée d’un dimanche d’été. Au hasard d’une promenade, je m’étais joint à un groupe de visiteurs qui pénétraient dans la Salle du Jeu de Paume. Lorsque nous fûmes tous rassemblés autour du gardien préposé à la visite des lieux, celui-ci, dont l’accent décelait l’origine méridionale, s’exprima en ces termes, tout en embrassant la salle d’un geste large et solennel :

« C’est ici, mesdames et messieurs, que commence l’histoire de France. » « Là-bas – ajouta-t-il, en indiquant avec une moue dédaigneuse la direction du château – ça n’existe pas. »

Stupéfait, (on le serait à moins), je regardai le gardien, puis ses auditeurs et je m’aperçus alors qu’il y avait là bon nombre d’étrangers et d’enfants.

Je vous laisse le soin de conclure.

Il m’est arrivé, depuis lors, de visiter pas mal de vieux manoirs dans diverses régions de la France et j’ai été souvent péniblement impressionné par les commentaires fantaisistes dont certains gardiens accompagnent leur exposé.

Ce n’est là, certes, qu’un côté de la question ; mais il a lui aussi son importance, car il intéresse non seulement l’éducation de la foule qui croit s’instruire en écoutant, mais aussi la propagande vis-à-vis de l’étranger qui se préoccupe sur place des choses de chez nous.

Il est indiscutable que les gardiens sédentaires, aussi bien d’ailleurs que les guides nomades qui pilotent les touristes français et étrangers, n’ont pas qualité pour interpréter les évènements historiques.

Dans ces conditions, il faut, ou bien mettre à leur disposition des notes écrites soigneusement rédigées, dont ils ne devront, sous aucun prétexte, s’écarter, ou bien leur imposer le silence. Encore conviendrait-il de contrôler l’exécution de ces mesures et d’en sanctionner le cas échéant, l’inobservation.

 

Capitaine MAUDUIT.       

 

 

 

M. Xavier LIAN

 

        Monsieur,

Le jour même où j’allais faire partir cette lettre, j’ai lu dans L’Ami du Peuple que votre si intéressante enquête sur les déformations de l’Histoire de France était terminée. J’éprouve un vif regret de ce que mes occupations m’aient forcé de retarder jusqu’à ce jour l’envoi d’une documentation assez édifiante quant au sujet de votre enquête. En effet plusieurs personnes de ma connaissance que vos articles intéressaient grandement m’ont fait part de ce souci : « N’exagère-t-on pas en nous parlant de déformation systématique de l’histoire de France ? Les lettres de diverses personnalités que publie L’Ami du Peuple sont certes fort intéressantes, mais presque toutes se contentent d’indications générales. On aimerait à lire quelques citations typiques, ce qui permettrait de souligner l’imposture aux yeux des plus sceptiques. »

Pour répondre à ce désir, – qui doit être celui de bon nombre de vos lecteurs – j’avais extrait d’un manuel d’histoire de France quelques citations destinées à illustrer les conclusions de votre enquête. À tout hasard, les voici :

Les quelques extraits que l’on va lire sont tirés du cours préparatoire d’Histoire de France de J. Guiot et F. Mane, en vente au prix de 4,75, actuellement, à la librairie Mellotée, 48, rue Monsieur-le‑Prince, Paris-VIe. Cet ouvrage fort répandu puisqu’il atteint le 191e mille, est orné de 60 gravures, toutes expliquées. L’une d’elles (page 30), relative à l’an 1000, (14e leçon, le Paysan et le Village) représente au premier plan une misérable chaumine, dont le toit est défoncé, tandis qu’à l’horizon se profilent les tours d’un superbe château fort, et tel est le commentaire que font les auteurs sur cette gravure : « Quelle joie aujourd’hui, quand se fait entendre le chant matinal du coq ! Notre village nous paraît gai et coquet. – Qu’il est triste le village d’il y a 1000 ans ! C’est la misère noire. Le paysan pleure ; il se désole à la vue du Château qui lui rappelle qu’il est serf. »

À la page suivante, 15e leçon (le Paysan et les Impôts), la gravure représente les douves du château féodal dont les tours massives plongent dans l’eau sombre. « La nuit, il y a mille ans. » « Silence, grenouilles ! Madame dort ; ne troublez pas son paisible sommeil ! – Que faire ? Accourez, paysans ; chassez ces vilaines bêtes importunes ! – Les malheureux s’épuisent en vains efforts toute la nuit ; pourtant ils ont travaillé toute la journée ! »

Nous passerons sur le tableau des famines, la révolte des villes, (on nous conte longuement les méfaits de l’évêque Caudry à Laon) pour arriver (page 64) au récit de la guerre de cent ans. Deux gravures accolées et le commentaire suivant : « Les égoïstes sans cœur ! » « Mes enfants, comparez ces deux gravures et jugez : les brigands amènent dans leur château les femmes du peuple enchaînées ; ils battent les enfants qui les supplient en vain ! Que font les nobles pendant ce temps ? – Ils dansent. Leurs costumes extravagants excitent votre indignation. Remarquez les chaussures des seigneurs et les coiffures des grandes dames. »

À propos des grandes inventions, de l’imprimerie, notamment, voici ce qu’on nous dit (page 76) : « L’égalité à l’école. » « Les enfants pauvres sont dignes de pitié à l’époque de Jacques Amyot. Mal assis sur de petits escabeaux, ils écoutent attentivement le professeur. Au contraire, les écoliers nobles, confortablement installés sur de beaux bancs, sont tous distraits. Aujourd’hui, grâce à la République, les enfants pauvres sont, dans les écoles, traités comme les enfants des riches. »

Deux gravures accolées relatives à Louis XIV (page 82) ; à gauche, le roi sort du château de Versailles, salué par la foule des courtisans ; à droite un paysan pousse une charrue traînée par un bœuf. « Qui a payé ce château ? » « Qu’il est grandiose le merveilleux château de Versailles, la superbe demeure du grand roi Louis XIV ! Mais ce luxe insensé coûte excessivement cher : 500 millions de francs. – Plaignez, mes amis, le pauvre peuple de France : il s’est ruiné pour permettre au roi de faire ces folles dépenses à Versailles. »

Ces gravures sont à rapprocher de celle de la page 90, 44e leçon, les Paysans avant la révolution ; épouvantable tableau de la misère rurale. Citons : « Depuis l’an 1000, Jacques Bonhomme, le paysan, n’a pas cessé d’être malheureux. Toujours il travaille, afin d’enrichir des maîtres qui ne songent qu’à le dépouiller. Voyez, mes amis : Pour labourer son champ, il attelle à sa charrue, à côté de son âne, sa femme et ses enfants. »

Plus loin on nous dit qu’« avant 1789, les paysans ne peuvent pas rendre leur condition meilleure » ; et mieux encore, « avant 1789, les chemins de fer n’existent pas ». (!)

Si nous prenons le cours élémentaire des mêmes auteurs (501e mille), Mellotée, éditeur, nous lisons page 34 : « Le paysan : sa condition malheureuse. – Le paysan habite le village, au pied du château féodal. Il vit dans une misérable cabane ; il se nourrit de pain noir et de châtaignes. Il est serf, c’est-à-dire esclave. Il a moins de valeur qu’un cheval.

« Le paysan : ses obligations.  – Le serf supporte bien des charges : il construit, sans être payé, les murs du château, creuse les fossés, cultive la terre du seigneur. Ces obligations s’appellent les corvées. Il vit dans l’épouvante. Les champs restent sans culture.

« Les famines au Moyen Âge. – Aussi le Moyen Âge est l’époque des affreuses famines. Le paysan mange l’herbe des prairies. Les forts saisissent les faibles, les déchirent et les dévorent. »

Le résumé de tout le chapitre, à la page suivante, n’est pas moins explicite (page 36) : « Au Moyen Âge, le sort du paysan est affreux. Il vit dans l’épouvante et travaille gratuitement pour le seigneur. Dans les rares écoles, les enfants sont constamment fouettés. »

Reconnaissons, pour leur décharge, que les auteurs rendent justice aux Capétiens, mais écoutons-les (page 113) et plus loin (page 114) : « Au moment où Louis XVI, le petit-fils de Louis XV, devient roi, la situation de la France est déplorable. Les Français ne connaissent pas l’égalité ; ils sont divisés en deux classes : les nobles et les opprimés. »

« Louis XVI ne connaît pas les souffrances de la nation ; pendant que le paysan meurt de faim, le roi et la reine jouent au berger, sur les vertes pelouses du château de Trianon. »

Ces jeux de Trianon font l’objet d’une lecture qui se termine par ces mots (page 115) : « Qu’ils sont innocents, ces divertissements ! Mais sont-ils dignes d’un roi et d’une reine, au moment où les vrais paysans meurent de faim et de misère ! » auxquels fait suite la 86e lecture qui mérite d’être citée en entier (page 115) :

« La condition réelle du paysan en 1789. – Qu’il est malheureux, le vrai paysan ! Hélas ! il n’a pas le cœur à danser ! Les villages sont affreux ! Les chaumières sont en ruines ; les fenêtres n’ont pas de vitres ; le sol à l’intérieur est humide.

« Le peuple meurt de faim ! Les paysans amaigris se nourrissent de châtaignes et de raves comme leurs bestiaux. Les nègres esclaves sont plus heureux ; en travaillant pour un maître, au moins ils sont nourris et habillés !

« En l’rance, l’homme de la campagne peine du matin au soir. Que lui reste-t-il, quand il a payé les lourds impôts du roi, du seigneur, du curé ? – Rien. – Voyez ce malheureux ! Pour labourer son petit champ, un sol pierreux et infertile, il attelle à la charrue son âne, sa femme, son jeune fils ! – Non ! Un pareil état de choses ne saurait durer ! Le moment arrive où le faible se révolte contre des maîtres avides de plaisirs et égoïstes. Une Révolution est nécessaire ! »

Il y aurait bien d’autres citations truculentes à faire ! Passons. Nous apprenons (page 151) que : « Pendant le règne de Napoléon III, la liberté n’existe plus en France. »

Pour ce qui est de l’instruction publique, on nous dit (page 166) : « Qu’avant 1789, l’école du village était une misérable chaumière. L’instituteur n’était qu’un paysan ignorant. De nos jours, l’école est la plus belle maison du village. L’instituteur est un savant. » Et tel est le libellé du résumé de la leçon suivante (page 170) : « Sous l’ancienne monarchie, les savants gagnaient péniblement leur vie. Exemple : le grand Corneille. – Sous la République, ils ont les honneurs et la considération. Exemple : Pasteur et Victor-Hugo. »

J’arrête là ces citations qui ne demandent évidemment aucun commentaire. Je n’ai choisi que les plus typiques (on pourrait presque dire les plus savoureuses !), mais on en pourrait faire d’autres et dans d’autres manuels.

Comment les jeunes cerveaux ne seraient-ils pas impressionnés par ces affirmations inlassablement répétées, ces gravures si claires, cette constante opposition des riches, méchants et ignares, et des humbles, toujours méritants et avides de s’instruire ? Comment les enfants ne seraient-ils pas reconnaissants à la Révolution qui fut en tout si bienfaisante ?

Pourquoi L’Ami du Peuple ne reproduirait-il pas quelques-uns de ces textes pour bien montrer à quel degré de ridicule ou d’odieux en viennent certains déformateurs de notre histoire ?

 

Xavier LIAN,                

licencié ès-lettres,             

attaché au Comité de Direction     

des grands réseaux de chemins de fer.

 

 

 

M. Jean PASCAL

 

        Monsieur,

Lecteur assidu de L’Ami du Peuple, je suis avec beaucoup d’intérêt votre enquête sur les déformations de l’Histoire de l’rance ; jamais consultation ne fut plus opportune et plus apte à découvrir les causes véritables de l’affaiblissement du sentiment patriotique.

En faisant appel au concours impartial des maîtres de la pensée française, vous avez sûrement porté l’affaire devant le tribunal compétent, le seul qui soit capable de répondre d’une façon péremptoire aux questions que vous lui posez et de juger en dernier ressort.

Je n’ai nullement la prétention de vous donner mon avis sur un sujet qui dépasse mes forces, mais dont je sens bien toute l’importance et la gravité ; je veux seulement vous faire savoir que la réponse de M. E. Bocquillon a vivement satisfait ici l’attente des patriotes sincères qui placent au-dessus de tout l’intérêt de la grande patrie.

L’argumentation de cet honnête directeur d’école qui doit certainement posséder la double autorité de la vertu et du talent, la citation, dans un paragraphe de sa réponse, de la parole immortelle de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », nous a rappelé la page non moins immortelle de M. Lavisse, que vos lecteurs, que vous ne connaissez pas mais qui vous estiment beaucoup, seraient heureux de voir reproduire dans la colonne de L’Ami du Peuple réservée aux réponses de nos illustres savants.

C’est à l’école, proclame cet historien, de dire aux Français ce que c’est que la France. Qu’elle le dise avec autorité, avec persuasion, avec amour. Elle repoussera les conseils de ceux qui disent : « Négligez ces vieillesses, que nous importent les Mérovingiens, les Carlovingiens, les Capétiens même ? Nous datons d’un siècle à peine. Commençons à notre date. » – Belle méthode pour former des esprits solides et calmes que de les emprisonner dans un siècle de luttes ardentes où tout besoin veut être satisfait et toute haine assouvie sur l’heure ! Ne pas enseigner le passé ! Mais il y a dans le passé une poésie dont nous avons besoin pour vivre, et surtout une réalité dont nous vivons comme l’arbre de sa racine et du sol où sa racine plonge, et sans le passé, et si nous ne le connaissons pas, nous sommes comme en l’air et sans soutien et sans nourriture. « VARIIS LUDEBRIA VENTIS. » Il faut verser dans l’âme du paysan la poésie de l’histoire. Contons-lui les Gaulois et les Druides, Roland et Godefroy de Bouillon, Jeanne d’Arc et le Grand Ferré, et tous les héros de la France ancienne, avant de lui parler des héros de la France nouvelle. Faisons pénétrer dans son esprit cette juste idée que les choses d’autrefois ont eu leur raison d’être ; qu’il y a des légitimités successives au cours de la vie d’un grand peuple, et qu’ON PEUT AIMER LA FRANCE SANS MANQUER À SES OBLIGATIONS ENVERS LA RÉPUBLIQUE. On ajoute à l’énergie nationale quand on donne à un peuple l’orgueil de son histoire. »

Et maintenant, historiens scolaires, primaires et secondaires, comprenez (intelligite) ; instruisez-vous (erudimini), vous qui avez reçu la sévère mission de façonner l’esprit de la jeunesse française et qui décidez du sort de la patrie.

 

Jean PASCAL,       

à Porto Vecchio (Corse).

 

 

 

M. Louis GOSSELIN

 

Voudriez-vous, monsieur, bien que je n’aie ni l’autorité ni la compétence de vos illustres correspondants, me permettre quelques réflexions toutes personnelles : mon seul titre est d’être un ami de la vérité et de l’histoire que j’ai beaucoup étudiée.

La principale cause de ce sabotage de l’histoire est, à mon avis, une volonté bien arrêtée de la franc-maçonnerie qui, opérant dans les hautes sphères gouvernementales, dicte sa volonté pour régner par les mensonges qu’elle a intérêt à propager. Pourtant, ce n’est pas de cela que je veux vous entretenir, car, à L’Ami, on est sûrement bien documenté sur ce point. Je veux vous parler de deux autres causes de préjugés historiques, car, à côté des faussaires de profession, il y a l’immense majorité des errants de bonne foi.

Une de ces causes, me semble-t-il, c’est la manière dont a été traitée l’histoire par nos grands écrivains. Voyez par exemple Cinq-Mars, d’Alfred de Vigny : quelle caricature de Richelieu et surtout du Père Joseph ! C’en est même ignoble. Je sais bien que l’Éminence grise reste un personnage un peu énigmatique et les études si bien documentées de M. Hanotaux n’avaient pas encore paru ; mais, tout de même, Vigny aurait pu se dispenser de présenter le grand ministre et son agent – homme de grande valeur – sous la figure de sinistres bandits. Que les romanciers n’ont-ils pas dit sur Louis XIV, Louis XV (il y en a déjà suffisamment à dire sur ce roi sans inventer), Louis XVI, etc. Et combien n’a pas été défiguré par eux un roi que l’étude sérieuse et impartiale des documents montre comme un homme de première valeur et un de nos meilleurs rois : Louis XI. Les documents sont là (entre autres voir le livre très intéressant de Marcel Navarre), mais à côté il y a le préjugé populaire et on s’en tient au préjugé.

 

Louis GOSSELIN,       

à Meudon (S.-et-O.).     

 

 

 

M. de PAZZIS

 

        Monsieur,

J’ai lu avec un très vif intérêt votre substantiel article « Une enquête nécessaire sur les déformations de l’Histoire de France ». J’ai compris depuis longtemps déjà cette nécessité et je fais des vœux pour que votre initiative atteigne le but qu’elle se propose.

Certes, je n’ai pas l’intention de me mettre en ligne avec les personnalités éminentes auxquelles vous avez fait appel dans ce premier stade de l’enquête. Néanmoins, étant père de dix enfants, ayant reçu une instruction secondaire très poussée dans un milieu non universitaire, je bondis souvent d’indignation lorsque quelqu’un de mes enfants me rend compte de la leçon d’histoire dont il vient d’être l’élève.

Aux deux premières questions posées, je ne saurais faire d’autre réponse que celles dont vos éminents correspondants nous ont éclairés. Quant à la troisième question, permettez-moi de vous suggérer un des nombreux moyens par lesquels on pourrait arriver à remédier à cet état de choses criminel.

Vous connaissez sans doute l’existence des Associations de parents d’élèves des Lycées et Collèges. Ces associations sont fédérées et leur action, de ce fait, peut être salutaire. Cette action pourrait s’exercer par le moyen de vœux émis en assemblée générale, vœux tendant à la réforme des programmes d’histoire et surtout à l’éviction de certains manuels dont l’insuffisance historique n’a d’égale que l’entêtement avec lequel leurs auteurs, généralement inspecteurs d’académie, en exigent l’emploi par les maîtres soumis à leur inspection. Lorsque l’inspecteur change, le manuel disparaît pour laisser place à un autre – ou pire ou tel – de sorte que l’enfant finit par ne pas savoir un traître mot de l’Histoire et surtout de l’Histoire véritable.

Certes, vous touchez là à un point névralgique de la pédagogie actuelle, at1ssi avez-vous besoin d’un solide concours de l’opinion. Je crois que vous la soulèverez, tout au moins dans la partie la plus qualifiée du pays pour traiter de pareilles questions. Le peuple suivra cette élite en vertu de ce principe que la France retrouve toujours avec joie et entrain la ligne droite lorsqu’elle lui est montrée.

Veuillez, je vous prie, Monsieur, agréer l’expression de mes sentiments distingués.

 

Comte de PAZZIS,          

Capitaine de cavalerie en retraite.

 

 

 

M. Charles KULA

 

M. Charles Kula est connu comme le fondateur de l’atelier école de la rue des Épinettes, repris et développé par la Chambre de Commerce de Paris. Il consacre actuellement son activité à couvrir la France de Syndicats de Contribuables et à grouper ces syndicats en une fédération, la C.G.C. (Confédération Générale des Contribuables), qui exerce déjà une influence certaine auprès des pouvoirs publics en protestant contre les abus d’une fiscalité qui dévore la substance économique du pays.

Avec l’expérience d’un long passé de travail, M. Kula envisage, du point de vue spécial de l’organisation de la production, la question que nous lui avions posée :

 

Je ne m’attarderai pas à votre première question ; des personnalités particulièrement autorisées ont fait la lumière sur ce point ; elles ont affirmé et démontré les déformations subies par notre Histoire.

J’irai plus loin dans mon affirmation catégorique en disant que, non seulement, l’Histoire de France est déformée, mais qu’elle est, sur un point vital, littéralement supprimée. Et je vais m’expliquer en abordant la seconde de vos questions, celle des causes.

La cause est aussi simple que monstrueuse :

L’Histoire de France, intérieurement, c’est essentiellement l’histoire de la civilisation chrétienne. « La France, fille aînée de l’Église » est une formule beaucoup plus profondément vraie que ne se l’imaginent peut-être ceux qui en font usage, et que ne se l’imaginent surtout ceux qui la bafouent en n’y voyant qu’une manifestation ridicule de Cléricalisme. Civilisation française chrétienne, c’est, avant tout, pour moi, civilisation fondée sur le culte du Travail – travail agricole et artisanal – en même temps que sur la foncière honnêteté qui a régné dans nos corporations pendant des siècles, et dont le Décalogue constituait la doctrine.

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », voilà la directive essentielle du Travail productif empruntée à la Civilisation chrétienne ; et la Charité, ou amour du prochain, en est l’autre face qui complète admirablement la première. Et, remarquez-le, ce sont là les bases mêmes de toute doctrine sociale, de toute société, de toute sociologie, suivant la formule moderne.

Or, les bases étant posées, qu’est-ce que l’histoire vécue de notre civilisation, sinon la mise en pratique de cette doctrine par nos congrégations religieuses, qui ont été les admirables éducatrices de la jeunesse, tant pour le travail agricole que pour le travail artisanal. La diffusion, sur tout le territoire, des authentiques métiers manuels est leur œuvre, et toute notre production, tant dans les monuments et les constructions que dans le mobilier, est le résultat de leur action patiente et persévérante. Ce sont bien elles qui ont tant contribué à faire de la vieille France ce Jardin et ce Musée qui font l’admiration du monde.

On nous l’a encore dit récemment : Qu’est-ce que le Canada, avec son épanouissement de la vie agricole et familiale, c’est l’œuvre des missionnaires français. Et qu’est-ce que nous réclament, aussi bien les noirs de l’Afrique que les indigènes de l’Extrême-Orient, selon le gouverneur Varenne ?... Ce ne sont pas des fonctionnaires francs-maçons, ce sont des missionnaires, apôtres du Travail, c’est-à-dire de la vraie civilisation.

Or, que voyons-nous en France à l’heure présente ?

Nous voyons notre politique et notre éducation entièrement dominées par une secte, la franc-maçonnerie, ennemie acharnée de la Civilisation chrétienne et des congrégations religieuses, inspirée par l’idéal de la Juiverie, à savoir : l’amour démesuré de l’or et le dégoût du travail productif, en même temps que par l’internationalisme, ou négation de la Patrie.

Au lieu de travail acharné, honnête et consciencieux, au lieu de l’Idéal de Beau, de Conscience, de Soumission à la loi du travail, d’amour du Prochain et d’amour du Sol, c’est l’idée de Spéculation, de Mercantilisme international, d’Exploitation du Prochain, l’idéal du Veau d’Or.

Et, par conséquent, c’est l’éviction même de la loi divine, et c’est l’athéisme ou laïcisme de mort, suivant la formule saisissante d’Izoulet.

C’est la négation même, par conséquent, de nos dix-neuf siècles de civilisation chrétienne. Alors, il est facile de discerner la cause profonde de la crise subie par nos manuels d’Histoire.

Les francs-maçons et la Juiverie, maîtres de la politique et de l’École, ont la haine profonde d’une histoire intérieure qui est, par sa base doctrinale même et par les faits, le contre-pied de leur doctrine. Notre histoire, notre passé, mais c’est ce qu’ils détestent, c’est ce qu’ils veulent à tout jamais annihiler.

L’Enseignement de l’Histoire vraie, mais c’est la condamnation même de tout leur système athée, internationaliste, mercantiliste.

Pour que la jeunesse française ne vomisse pas avec dégoût la doctrine nouvelle, il faut donc lui laisser ignorer le passé de son Pays ; il faut donc supprimer l’Histoire, ou tout au moins la défigurer ou la mutiler.

La supprimer, on a essayé. Les Instituteurs francs-maçons l’ont tenté. N’ayant pas réussi, ils la font commencer à la Révolution, au moment où fut précisément brisée notre vieille organisation du Travail. Et nos bolcheviks la feront commencer à Lénine dont l’œuvre essentielle est l’apologie de l’athéisme et la ruine économique de son Pays.

Voilà pour la cause.

Quant au remède, il en découle clair comme le jour : Supprimer la franc-maçonnerie, abattre le Parti radical-socialiste, agent de la franc-maçonnerie.

La France aux Français, c’est-à-dire aux producteurs, fils de la civilisation chrétienne.

Et non plus la France aux francs-maçons, aux parasites, aux spéculateurs, aux mercantis, aux arrivistes, aux sans-patrie.

La civilisation et la franc-maçonnerie sont les deux pôles opposés...

Entre les deux il faut choisir : ou la civilisation, fille de la religion et du travail, ou la mort, fille de l’athéisme et du mercantilisme.

 

Charles KULA,                        

ancien industriel, fondateur de la Confédération

générale des Contribuables.             

 

 

 

M. Max VITRY

 

L’impartialité n’appartient qu’aux historiens pour qui l’histoire est une science se suffisant à elle-même et atteignant son objet par la détermination des rapports nécessaires de cause à effet entre les évènements. La vérité leur apparaît toujours utile et ils n’hésitent pas à confesser les erreurs des institutions ou des hommes qui ont leurs préférences, parce que l’expérience n’autorise pas à attendre des chefs ou des régimes les meilleurs l’absence de toute faute.

Tandis que la plupart des « historiens », auteurs d’importantes études, ou simplement chercheurs provinciaux appliqués à d’utiles monographies, se comportent en amis de la vérité, les « professeurs d’histoire » semblent obéir à d’autres préoccupations et c’est eux qui déforment notre passé national.

En accuser leurs habitudes de travail et l’enseignement de la Sorbonne serait prendre l’effet pour la cause. Sans doute, pendant les années de licence, le sens critique, la discussion des sources, l’étude des textes ne sont-ils pas assez en honneur, – la préparation des examens se poursuit généralement dans des manuels ou des ouvrages de généralisation déjà tendancieux, – et trop de licenciés développent-ils leur mémoire sans rien demander aux méthodes des Chartistes !

Et pourquoi en est-il ainsi ? Ne faut-il pas en accuser le principe même de l’enseignement d’État ? Que l’État, dès l’instant où il se charge de dispenser l’instruction, se préoccupe de la formation civique des enfants, voilà qui est légitime. Tout en faisant des réserves sur les fonctions dont il s’est investi, on le louerait de s’efforcer d’accroître chez les nationaux, de faire naître chez les nombreux étrangers ou fils de naturalisés qui fréquentent ses écoles, l’amour de la Patrie, en leur apprenant la grandeur de son passé et le sens de ses traditions.

Mais l’État fondé sur l’élection est naturellement porté à voir dans ses ressortissants d’abord des électeurs. Pour ne plus parler par abstraction, le Parti au pouvoir considère comme premier droit et comme une sorte de devoir d’assurer son maintien par le recrutement de nouveaux adeptes. L’instituteur apparaît comme le principal agent électoral et le manuel d’histoire n’est bientôt plus qu’un tract en faveur du « Parti ». C’est ainsi qu’en France les étapes de l’évolution gouvernementale et les variations de l’enseignement de l’histoire de France coïncident. L’histoire a été, elle aussi, « modérée » puis « radicale », puis « socialiste » et la voici aujourd’hui « bolchevisante ». L’Église et l’Ancien Régime ont été d’abord simplement malmenés, une sympathie générale entourant les principes de 89. Ceux de 93 eurent bientôt leur tour. Le laïcisme fut intégral et l’on raya le Passé comme une sombre et honteuse période dont le seul souvenir pouvait être dangereux pour l’esprit humain.

Mais voici le présent lui-même menacé. Les manifestations du Patriotisme, quelles que soient leur générosité et leur utilité, ne trouvent plus grâce devant nos « Pacifistes » ; et quant à l’ordre social, il ne saurait être accepté par des professeurs eux-mêmes disciples de la IIIe Internationale. L’histoire ne datait plus que de 1789. Elle ne commencera bientôt qu’à l’avènement de Lénine. L’enseignement des manuels et les harangues ministérielles répètent les mêmes données qui n’ont rien de commun avec les conclusions des travaux des historiens éminents. L’essentiel est de préparer les jeunes cervelles à recevoir dignement la profession de foi du candidat officiel et même du plus « avancé ».

Il est particulièrement pénible de constater que cette utilisation politique de l’histoire est pratiquée surtout contre les élèves les moins protégés par leur formation ou leur entourage. L’enseignement supérieur admet la discussion et lorsque des étudiants ont la curiosité de puiser à des sources non officielles, les thèses s’affrontent dans des conférences. Les manuels de l’enseignement secondaire évitent le plus souvent le mensonge proprement dit, et procèdent par amputations, silences ou insinuations, sans oser braver de front la vérité qui pourrait rencontrer des défenseurs autorisés dans les familles des élèves.

Les auteurs des écoles primaires donnent libre cours à leurs théories et je me souviens de l’étonnement éprouvé par des camarades et moi-même, tout frais émoulu des Facultés, en découvrant pendant la guerre, dans les écoles communales abandonnées, le livres des enfants de nos campagnes.

L’existence de ces déformations systématiques de notre histoire nationale n’est pas niable. Je crois en avoir indiqué la cause.

Pour le remède, il est trouvé, si nous tenons la véritable raison d’un état de choses si préjudiciable à la bonne entente des citoyens et à la grandeur de notre Patrie.

 

 

Max VITRY,                

Avocat à la Cour de Paris,      

licencié ès-lettres, docteur en droit.

 

 

 

M. A. BOUYÉ

 

        Monsieur,

Suivant avec intérêt votre campagne contre les déformations de l’Histoire de France, je vous prie de vouloir accepter ma modeste contribution à la consultation que vous faites en vous signalant ce fait :

Père de famille, et feuilletant la nouvelle Histoire de France remise à mon enfant à sa rentrée en classe (cours du Certificat d’études), j’ai été quelque peu surpris... en tout cas indigné, en parcourant les pages relatant la dernière guerre, de voir avec quelle facilité voulue, les auteurs ont oublié de parler d’un de ceux à qui l’on doit le plus la victoire : Clemenceau.

Sur lui, sur sa prise de gouvernement, sur son action, pas le plus petit mot. C’est à croire qu’il n’a pas existé Par contre, les auteurs n’ont pas manqué d’insérer en entier le discours prononcé par M. René Renoult aux Chambres.

Si la péroraison de celui-ci (que je veux trouver belle) vaut une page entière sur un livre d’école, ne pensez-vous pas avec moi, monsieur, que Clemenceau vaut bien une ligne du moins dans l’Histoire de France que l’on donne à nos enfants ?

Poilu durant la guerre, j’ai assez de mémoire pour me rappeler le moment critique où « le Tigre » prit les rênes du pouvoir et l’énergique façon dont il conduisit le pays à la victoire. Par là même, je veux dire que je suis capable de parfaire dans l’enseignement de mon enfant, ce que l’amnésie coupable a fait omettre à ces prétendus historiens qui, pour le besoin de leur parti, par sectarisme ou besoin de sourire à des Marty, mentent et cachent aux enfants les faits et les hommes de notre pays, qui n’ont pas la chance de leur être agréables.

Pour cela, ils iraient jusqu’à déformer l’Histoire même du Petit Chaperon Rouge en jurant que c’était la grand’mère qui voulait manger le loup !

Monsieur, je n’ai cité qu’un passage de cette Histoire de France délivrée aux enfants des écoles laïques de la ville de Bordeaux (cours du certificat) ; mais elle est à lire dans son ensemble par quelqu’un d’impartial. C’est un véritable catéchisme politique socialiste.

Voici d’ailleurs les auteurs :

 

J. PERRON, inspecteur d’Académie, agrégé d’histoire ; S. LOMONT, inspecteur de l’enseignement primaire, membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique.

 

A. BOUYÉ,            

56, rue des Menuts, Bordeaux.

 

 

 

M. Georges FAGOT

 

        Monsieur le Rédacteur,

Votre enquête a la valeur d’un cri d’alarme.

L’Histoire, telle que nous la présente l’enseignement officiel, est une mauvaise action qui trouble et empoisonne les sources de nos origines nationales.

Je dis mauvaise action, parce que je demeure persuadé qu’il ne s’agit pas là d’erreurs commises de bonne foi, mais de déformations volontaires, s’aggravant à mesure que l’éloignement des faits semble rendre plus difficile le contrôle et la critique.

Or, le mensonge historique n’est pas plus difficile à éventer que le mensonge ordinaire.

Rien n’est plus aisé que de le dépister et de le prendre à la gorge.

Pour combattre cet axiome artificiel de « la liberté datant de la Révolution », conseillons, répandons la lecture des Mémoires qui l’ont précédée.

Ils nous donnent une idée exacte, ces Mémoires, de la douceur des temps passés, de la familiarité des rapports entre classes différentes, des garanties, supérieures souvent à celles actuelles, données aux petites gens défendant leur honneur ou leurs droits.

Que si l’on m’objecte que la lecture des Mémoires manque d’attraits pour le peuple, qu’on lui conseille alors celle de notre vieux théâtre, fidèle reflet des mœurs lui aussi, jusques et y compris les farces et mystères du moyen âge.

Il sera surpris de la liberté inouïe qui animait ces productions et il devra conclure que les régimes politiques qui les autorisaient, ne manquaient ni de largeur d’idées ni de générosité.

Qu’un domestique se permette aujourd’hui de parler à son maître comme les valets de Molière ou la servante de Turcaret, il verra que la différence entre le présent et le passé est tout à l’avantage de celui-ci.

Il faudrait un livre pour citer tous les exemples qui se présentent à ma mémoire, et je ne puis disposer ‘que de quelques lignes...

 

Georges FAGOT,  

auteur dramatique.

 

 

 

M. J. BAGOUSTE

 

Nul, ne peut contester que les manuels d’Histoire, sont imprégnés d’une exhalaison de parfums laïques et maçonniques, qui se dégagent de la nouvelle boîte de Pandore que l’on nomme « neutralité scolaire ».

Deux faits concrets, qui vont démontrer, une fois de plus, que les livres d’Histoire passent sous silence, pour les besoins de la cause, certains actes accomplis par les régimes antérieurs.

Il n’est pas fait mention, dans les bouquins d’Histoire, de l’existence de l’ordonnance royale de 1724, qui frappait d’une amende assez forte les parents ou les tuteurs qui négligeaient de faire instruire les enfants (Histoire générale du Droit Français, par Declareuil).

Il n’est nullement question dans les ouvrages d’Histoire, des 32 000 écoles religieuses gratuites, et des 8 000 écoles laïques, gratuites, aussi, qui existaient en 1724 (Histoire générale du Droit français, par Declareuil, page 580).

Les volumes d’Histoire nous enseignent que Napoléon Ier négligea l’enseignement primaire. Or, nous savons pertinemment que l’Empereur chargea les frères des Écoles Chrétiennes de ce mode d’enseignement. Pouvait-il faire un meilleur choix ?

Et je pourrais continuer ainsi à énumérer, les stupidités et les facéties qui sont entassées dans nos malheureux livres d’histoire.

Le remède, à mon point de vue, le plus efficace pour remédier à cet état de choses, serait la publication, d’une histoire vraiment nationale, écrite par des français.

 

Julien BAGOUSTE,       

place Armand-Bernard,    

Toulouse.             

 

 

 

M. Xavier REYNAUD

 

Voici quelques éléments qui viennent s’ajouter à votre documentation, sur les erreurs voulues et scolairement répandues sur notre histoire de France. Déjà, en 1900, je signais une brochure ou, incidemment, je signalais bien des erreurs.

Et pourtant, il y a cette vérité grande, qu’il faut proclamer, que mille ans de royauté ont fait un pays qui est devenu le premier du monde, et cela sous tous les rapports à la fois ; la France est descendue seulement après les différentes évolutions et révolutions de l’Empire et des Républiques qui ont succédé à l’ancien régime.

L’Histoire de France n’est pas apprise dans nos écoles ; les professeurs, quels qu’ils soient, vous l’ont déclaré. Du reste, sous Paul Bert, on préconisa des manuels où il était interdit de citer les victoires et les gloires françaises, pour ne pas réveiller l’esprit de revanche chez l’enfant des écoles.

L’Histoire de France n’est qu’un tissu d’erreurs ; c’est ce qu’exprima Lavisse, il y a pas mal de temps. Toute l’Histoire de France, disait-il, est à refaire ; elle ne sera faite que lorsque des escouades d’ouvriers auront défriché toutes les parties du champ, du champ français.

Comme cela est juste et vrai. Il y a peu de temps Funck-Brentano faisait paraître les archives de la Bastille. Quelle révélation ! La Bastille était presque un lieu de délices ; certains pauvres hères, auteurs de libellés licencieux ou par trop satiriques, sans le sou quand ils entraient, sortaient riches de la Bastille. Ils étaient rentés et mangeaient la plupart du temps à la table du gouverneur. On entrait, on sortait de la Bastille comme d’un moulin. Du reste ce fut le dernier des rois, Louis XVI lui-même, qui fit placer des barreaux aux fenêtres, quand la Bastille fut déclarée prison de droit commun, pour y enfermer les voleurs.

Cela n’empêche pas les musées de cire que j’ai visités, il y a plus de trente ans, et encore aujourd’hui, d’exhiber des squelettes dans tous les coins, le carcan au cou, pendant lamentablement le long des murs.

D’un autre côté, que n’a-t-on pas raconté sur la Saint-Barthélemy ! Les manuels se sont complus à commenter des actes, exécrables en eux-mêmes, et qui n’étaient pourtant que la résultante des mœurs politiques de l’époque. Or, pas un ne parle de « la Michelade » de Nîmes. Et pourtant quelques années auparavant, la nuit de la Saint-Michel, les protestants tuèrent en masse les catholiques. Mœurs d’une époque, voilà tout.

Lavisse dit : quand les ouvriers auront défriché le champ. Nous-mêmes avons relevé les archives d’une petite ville de Vaucluse, car la vérité historique gît dans les archives aussi bien que sur les monuments et les vieilles monnaies. C’était en 1789. Dans la nation régnait un bien-être réel, à preuve que, dans cette commune, il y avait un hôpital pour les malades, qui aujourd’hui, n’existe plus ; la commune faisait une pension aux filles à marier, aujourd’hui la pension est abolie ; la commune avait une provision de blé à céder à crédit aux pauvres, aujourd’hui il n’y a ni blé, ni crédit ; la commune possédait deux moulins : l’un à blé, l’autre à huile, aujourd’hui il n’y a ni l’un ni l’autre. Le pain se vendait dix centimes le kilo, la viande huit à dix sous, le vin cinq centimes le péchier.

Et si nous examinons la moralité publique d’alors, on trouvera que les temps ont joliment changé. En effet, on relève un enfant naturel et deux vols de 1556 à 1789, tandis qu’il y a eu quatre bâtards et trois vols avec effraction de 1866 à 1874. Et tout le reste à l’avenant. Aussi que faut-il penser de ces falsificateurs d’histoire qui ont plein la bouche des gens taillables et corvéables à merci, en parlant du peuple d’alors. Nous sommes plus corvéables que jamais. Nous, un peuple libre, sans dîme, ni gabelles ? Vous voulez rire !

Mais rien, chez vous, ne vous appartient en propre, car la main de l’État se retrouve partout. Le vin que vous buvez paie l’impôt comme l’enseigne que vous mettez à votre porte, le métier qui vous nourrit, le chien qui vous garde, la bicyclette qui vous amuse. De tous côtés l’État vous demande des comptes, et taxe à tort et à travers vos objets, vos aliments et jusqu’au toit qui vous abrite, alors même qu’il ne vous appartient pas.

Vous parlez à tout propos d’esclaves, de seigneurs. On est toujours l’esclave de quelqu’un.

Et l’on renie un passé prestigieux pour aboutir à un si lamentable résultat.

Conclusion. Il faudrait faire un manuel d’histoire vraie. La chose est facile, après les coups de sonde que vous avez provoqués si à propos. On ne saurait trop vous en féliciter car c’est une œuvre nationale au premier chef.

 

M. Xavier REYNAUD,       

à Vesoul.                 

 

 

 

M. GAZAN

 

        Monsieur,

Le mot de Robert de Flers : « N’apprends pas l’histoire, tu deviendrais réactionnaire » est non seulement amusant, il est vrai.

Si peu élégant qu’il puisse être de parler de soi, permettez-moi de vous exposer mon cas.

J’ai fait mes études à deux écoles communales, puis à Turgot. Je suis donc un pur laïque.

Mes études terminées, je gardai un goût très vif pour la lecture, les mémoires et l’histoire en particulier. Je ne tardai donc pas à m’apercevoir que ce qu’on m’avait enseigné en histoire était faux.

Imaginez-vous un instant l’effet que peut produire sur un jeune homme de 17-18 ans, élevé dans le culte de la Révolution, de la démocratie, de la République, la lecture d’un petit livre « Légendes et archives de la Bastille » de Funck-Brentano, par exemple. J’étais bouleversé. Mes maîtres étaient donc des ignorants ou des hommes de mauvaise foi. Ils m’avaient odieusement trompé. Quelle cause servaient-ils donc pour user de semblables procédés ?

Je peux dire que c’est leur enseignement qui a fait naître mes premiers doutes. L’histoire officielle m’a fait perdre la foi – la foi démocratique.

Aujourd’hui je suis royaliste.

À quelque chose malheur est bon.

 

M. GAZAN,        

voyageur de commerce.

 

 

 

M. V. LIANDIER

 

        Monsieur,

Vous faites une très bonne action en cherchant à rétablir la vérité historique. Les faits démontrent que :

1o La Monarchie appuyée sur l’Église a fait l’unité et la grandeur de notre pays ;

2o La République appuyée sur la Maçonnerie conduit la France aux abîmes ;

3o La République telle que nous la concevons ne peut pousser à la tête de l’État que des bavards sans caractère, fantoches plus ou moins malfaisants.

4o Un régime qui ne se maintient que par le mensonge et la forfaiture doit disparaître ou la Nation est perdue.

Mais nos concitoyens aveuglés ne réaliseront-ils pas trop tard ?

Veuillez agréer, Monsieur, avec mes vives félicitations, mes bien sincères salutations.

 

V. LIANDIER,           

à Égreville (Seine-et-Marne).

 

 

 

M. H. DEFONTAINE

 

Voici quelque vingt-cinq ans que je me suis consacré à l’étude de l’histoire napoléonienne, sur laquelle j’ai publié pas mal de choses, mais très spécialisées, attendu qu’il s’agit, la plupart du temps, de l’historiographie de l’uniforme ou de l’armement, ce qui intéresse pourtant un assez grand nombre d’amateurs de curiosités napoléoniennes.

Ceci dit, pour me présenter succinctement, comme les études que j’ai entreprises m’ont amené à fouiller, tant aux archives nationales qu’au ministère de la Guerre et ailleurs, une quantité considérable de vieux papiers, je crois ainsi être à même de pouvoir vous dire – car j’y tiens – ma franche opinion bien fondée sur la campagne entreprise dès aujourd’hui par L’Ami du Peuple.

À cette campagne, j’applaudis des deux mains. Comme aussi aux justes paroles des Pirenne, des Heinrich, des Fustel de Coulanges, et aux déclarations de MM. Paul Bourget, Pierre de La Gorce, Franz Funck-Brentano.

Nous avons, parmi tous les peuples de la terre, la plus belle Histoire. Dans tous les domaines, quels qu’ils soient, nous sommes à la tête des autres peuples, tout au moins nous les égalons. Qui peut avoir cette trinité magnifique et incomparable : Jeanne d’Arc, Napoléon et Pasteur ?... Ah ! si les Anglais ou les Allemands les avaient !

Et cependant la France est le seul pays au monde qui déteste son passé, c’est vrai, c’est trop vrai.

Systématiquement, l’Histoire de France est déformée. Il faut que le primaire croie que rien n’existait de bon en France avant 1789, et le secondaire pas davantage. Celui-ci aura le temps de s’instruire, heureusement.

Récits tendancieux ou omissions systématiques, telles sont les règles imposées à l’instruction publique par les pouvoirs occultes.

Et surtout au point de vue de l’Histoire de la Grande Révolution où le Bolchevisme a sévi avant la lettre, par exemple lors de la répression de Lyon révolté. Il y a 25 ans j’étais républicain ; j’ai passé la cinquantaine, je ne suis plus rien. J’ai trop fouillé de papiers révolutionnaires, j’en ai trop vu ; il me semblait chaque fois que je sortais les mains tachées de sang humain.

Mais j’ai trop lu également de pièces ayant trait à l’ancien régime pour ne pas dire que Louis XVI, tout roi de carton qu’il était, fut le meilleur des rois et qu’il fit tout le bien qu’il pût ; ses actes en témoignent.

 

H. DEFONTAINE,       

historiographe militaire,  

croix de feu.          

 

 

 

Prince d’Altora Colonna de STIGLIANO

 

        Monsieur le Directeur,

Au sujet de l’enquête très intéressante, très opportune et fort utile, conduite par M. Georges Champenois, dans L’Ami du Peuple, sur les déformations systématiques de l’histoire par les manuels scolaires, si l’on ouvre le manuel scolaire imposé : Aulard et Debidour, « Cours Moyen », page 59 ; Récits familiers, page 13, on lit :

« La persécution des chrétiens eut pour effet la mort d’un certain nombre d’entre eux » ; « les Gaulois et les Romains firent périr quelques chrétiens ».

Alors qu’il n’est pas permis d’ignorer aujourd’hui (Voir Boissier, rationaliste, « La foi du paganisme », T. I., p. 403, 457, 458 et T. II p. 456) que le nombre des martyrs a été très grand.

Si l’on ouvre les manuels imposés « Aulard et Debidour » « Cours Supérieur », p. 59 ; Rogie et Despiques, « Cours moyen », p. 10, on lit que : « la persécution des chrétiens eut pour effet la mort d’un certain nombre d’entre eux qui provoquaient souvent le martyre par leurs actes », « révolte ouverte contre les lois romaines ».

Alors que la science historique note que jamais les chrétiens persécutés n’ont esquissé le moindre mouvement de révolte. (Voir « Épître de St-Paul aux Romains », XIII, 1 à 8, « Épître aux Corinthiens » du pape Saint-Clément (61) ; « Apologie de Saint-Justin à l’empereur Antonin », etc.)

Pourquoi s’acharner à diminuer l’importance de « la victoire la plus éclatante que la conscience humaine ait jamais remportée dans le monde » (Boissier, rationaliste, « La fin du paganisme », t. I p. 458), et prendre parti pour Néron, Domitien, Dèce, empereurs sanguinaires, contre de nobles êtres qui sacrifièrent leur vie à l’indépendance de leur conscience ? Pour diminuer le christianisme.

Si l’on ouvre les manuels scolaires imposés, Aulard et Debidour « Cours moyen », p. 59, « Cours supérieur », p. 135 ; Brossolette, « Cours moyen », p. 55 ; Calvet, « Cours moyen », p. 78, on constate qu’ils proposent Étienne Dolet à l’admiration des enfants !

Or, il n’est plus permis d’ignorer aujourd’hui qu’Étienne Dolet fut condamné surtout pour l’assassinat d’un jeune peintre, Guillot Compaing, attiré dans un rendez-vous infâme et criblé de coups de poignard, le 31 décembre 1536.

Au XVIe siècle, le juge n’était pas lié par un code pénal, mais choisissait la peine selon le crime et les antécédents judiciaires du coupable (déjà condamné en 1537 par le Parlement et en 1546 par le Sénéchal de Lyon pour crime de droit commun, assassinat). La famille du peintre Compaing s’était constituée partie civile. La requête civile fut présentée par « Charlotte, femme de Jean Marcault, et Jean Compaing, peintre », en septembre 1541.

Dolet avait été gracié par François Ier, mais à la suite d’une plainte du Syndicat (corporation) des Imprimeurs et Typographes auquel il appartenait, pour « injures contre les maîtres ouvriers et artisans », le Parlement, juridiction civile, reprit les poursuites, voulant frapper un assassin que la clémence du roi avait trop longtemps soustrait à la justice.

Les documents prouvent à l’évidence que Dolet ne fut ni républicain, ni démocrate, ni martyr, ni anticlérical. Comme je ne veux pas abuser de l’hospitalité de L’Ami du Peuple, vos lecteurs trouveront ces documents dans la 3e série des « Dialogues contradictoires sur la destinée et la douleur humaines », (p. 554 à 561), ainsi que l’étude du cas du Chevalier de la Barre, généreusement et miséricordieusement défendu par des hommes d’Église contre la population d’Abbeville outragée et le Parlement de Paris, et dont l’histoire dénaturée est une falsification historique.

 

Prince d’ALTORA COLONNA de STIGLIANO.

 

 

 

M. Louis TOURNAIRE

 

Lorsque M. René Benjamin entreprit sa courageuse campagne contre les déformations et les mensonges des manuels scolaires d’Histoire de France (voilà quelques années de cela), nous eûmes la chance de pouvoir lui remettre quelques exemplaires de ces étranges bouquins que la République met aux mains de ses enfants, afin qu’ils soient un jour les citoyens les plus ignorants du monde.

Rien de plus curieux que cette longue suite d’entorses à la vérité ; on se demande à quoi servent ces fantaisies et s’il ne vaudrait pas mieux n’enseigner rien du tout que de farcir l’esprit des gosses d’un tas d’inventions saugrenues et de contre-vérités qu’on leur infuse à haute dose, laïquement et obligatoirement. Depuis les Gaulois jusqu’à la Révolution, l’enseignement de l’Histoire est devenu une pure rigolade : tout ça, c’est l’Ancien Régime. On ne s’y attarde pas : c’est un passé qui est comme s’il n’avait pas été.

L’Ami du Peuple s’est ému de l’état d’âme qui caractérise nos pédagogues et qui les porte à dénigrer systématiquement toute cette partie de l’Histoire de France. Or, l’Histoire de notre pays est l’une des plus belles et des plus riches en faits glorieux, en gestes généreux, une des plus nobles dans les élans altruistes qui portèrent nos ancêtres au secours des opprimés et des faibles.

Oui, il y a eu des guerres et il paraît qu’il est défendu d’en parler ; mais si l’on fait le décompte des conflits armés qui ensanglantèrent les peuples, on s’apercevra que la France a été bien plus souvent mise au pillage, sur son propre territoire, qu’elle n’est allée porter la dévastation hors de ses frontières.

Le sol de France et le climat de notre ciel sont plus généreux et plus cléments qu’aucun autre sol et aucun autre ciel d’Europe. L’homme heureux n’a pas d’histoire, mais les peuples trop heureux s’en attirent fréquemment, surtout quand ils sont naturellement enclins à la confiance vis-à-vis de leurs voisins envieux et moins favorisés. Le loup sort du bois poussé par la famine, de même les hordes affamées ne pensent qu’à s’emparer des biens du voisin qui ne manque de rien.

Que de fois nos aïeux furent tirés de leur torpeur béate par des incursions de barbares forcenés qui mettaient tout à feu et à sang ! Ah ! les sinistres réveils ! Le danger venait de l’Est, ou du Sud-Est, ou du Nord, ou d’au-delà des Pyrénées ; et ces surprises se renouvelèrent pendant des siècles et des siècles. Il paraît que ça ne compte pas ! Avant la Révolution, il n’y avait rien. Ce qui a pu se passer n’a aucun intérêt. Ancien Régime !...

Quelle nuit opaque on emmagasine dans les jeunes cervelles républicaines ! Y a-t-il un seul Allemand aussi ignare du passé de l’Allemagne ? Non. Ce passé, d’ailleurs, leur est présenté, dans les écoles boches, revu et corrigé et toujours dans le sens de la plus grande gloire teutonne. Le mépris que nous marquons pour les évènements historiques de la France n’a d’égal nulle part, chez aucun peuple. Il n’y a que la démocratie française qui n’ait pas droit à la vérité. Il n’y a que la République Française qui ait peur de la vérité vraie et qui redoute les comparaisons. S’il n’en était pas ainsi, pourquoi s’efforcerait-elle de travestir les faits d’une façon aussi avantageuse pour les périodes révolutionnaires et aussi stupide pour les périodes monarchiques qui furent les plus glorieuses et souvent les plus libérales ?

Il y a, qu’on le veuille ou non, des siècles qui furent grands et que l’on n’arrive pas à supprimer, même à coups de laïcisme et de républicanisme exacerbé. Ce qui est triste, c’est que des citoyens français en sachent moins que les étrangers sur la véritable histoire de leur propre pays.

Notre personnel enseignant – si l’on peut dire – a sa grande part de responsabilité dans l’ignorance crasse des générations montantes. Les auteurs de manuels ou de recueils d’histoire ont voulu, par une déformation systématique des faits, exalter la République, en rabaissant les anciennes monarchies ; ils ont voulu plier les évènements à la convenance de leurs doctrines personnelles.

Et, pour cela, nous en avons vu qui allaient jusqu’à pratiquer des grattages sur les manuscrits anciens, sur les vieux parchemins où s’étalaient des preuves qui contredisaient leurs assertions. M. Aulard, historien de mauvaise foi, et à tendances avancées, n’a pas hésité à tripatouiller des textes, à la bibliothèque de l’Arsenal, pour les besoins de sa mauvaise cause.

L’enquête de L’Ami du Peuple est d’utilité publique. Il est temps que l’on enseigne aux enfants la véritable Histoire de France. Notre unité est sortie de conflits parfois cruels ; pourquoi tairait-on les misères qui furent apportées à nos pères par des peuplades venues parfois des confins du monde ? Les temps antérieurs à la Révolution ne furent pas des siècles stériles ; si troublés qu’ils aient été, ce n’est pas une raison pour que nos enfants les ignorent. C’est absolument comme si l’on cachait à un individu la date de sa naissance et les circonstances dans lesquelles il est né, sous prétexte qu’il a été enfanté dans la douleur.

 

Louis TOURNAIRE,                     

rédacteur à l’Agence télégraphique parisienne.

 

 

 

M. Georges COURRET

 

Qu’il soit permis à un jeune écrivain français de donner son modeste avis à la belle enquête que mène votre journal.

Le problème des déformations de l’Histoire de France ne date pas d’aujourd’hui. Avant la guerre, on publiait les Manuels scolaires, œuvre due à la plume de quatre auteurs.

Cette utile réaction contre des faussaires historiques a été suivie depuis. Entre autres, les ouvrages éminents de M. Pierre Lasserre sur le haut enseignement, ainsi que la Sorbonne vue par M. René Benjamin et l’École Normale racontée par M. Jean Grilhoy.

Les causes de ce mal sont de plusieurs sortes.

1o Politiques. – Elles ont été voulues par les loges judéo-maçonniques, qui ont travaillé, par tous les moyens, à diffuser la haine du passé et de la patrie chez les jeunes Français.

2o Morales. – Par la haine de l’esprit chrétien, attaqué par la presse qui a, elle-même, cherché son inspiration dans les officines maçonniques.

3o Sociales. – Haine du riche distillée dans le cœur des enfants d’ouvriers et d’employés, – qui donne ainsi de trop faciles recrues aux socialo-communistes.

Le grand coupable, auquel il faut s’en prendre, c’est donc le gouvernement démocratique, soumis aux forces occultes que votre journal a si bien dénoncées.

Le remède ? Lorsque la France sera débarrassée des « charlatans » couverts du sang de nos 1 800 000 morts, nous pourrons, entre Français, aimer alors la véritable histoire de notre Patrie, que des impies ont abominablement falsifiée.

 

Georges COURRET,       

Le Cannet (A.-M.).       

 

 

 

M. LESAGE

 

L’Histoire de France dénaturée n’est qu’un épisode de la Guerre de Religion déclarée à la France, au nom de l’Allemagne, en 1898, au moment de l’affaire Dreyfus, par la bouche du prophète Reinach quand il a dit : « Ce sera le chambardement général ! » L’armée des francs-maçons, des sectaires, des ennemis du catholicisme s’est alors ruée contre la France.

Il en est sorti la persécution religieuse, la persécution du patriotisme et la suite naturelle : la guerre préparée ainsi pendant 15 ans.

La lutte continue par la corruption des mœurs, le libertinage, la destruction des traditions, la vague de lâcheté qui mène la France à son déclin.

Le remède ? Ah ! il est dans le geste du maréchal Lyautey, lâchant sa plume, après sa courte réponse à vos questions, pour caresser son épée !

Nous sommes au-dessous des Arabes de Palestine qui rejettent l’éternelle dictature de la race maudite.

Depuis 30 ans, la France se meurt de la dictature juive. Elle s’achemine vers l’esclavage par l’abêtissement et la haine de la jeunesse pour l’Histoire de France dénaturée.

Il y a une autre cause encore, c’est que vous n’osez pas publier ces profondes vérités !

 

LESAGE,      

homme de lettres.

 

 

 

M. G. GUNDHARDT

 

        Monsieur,

J’ai suivi avec un intérêt que vous comprendrez sans peine votre enquête sur les déformations de l’Histoire de France. Je voudrais ici vous exposer le cas des instituteurs qui ne sont pas toujours aussi coupables qu’on veut bien le dire. La plupart d’entre nous savent bien hélas ! que l’histoire est déformée, mais que pouvons-nous ? Les manuels sont imposés et nous sommes obligés de les suivre. Nous détruisons autant que nous le pouvons par nos leçons orales les affirmations tendancieuses des « Brossolette et C° » mais le livre parle bien plus à l’enfant que toutes les leçons du maître. Sans compter que l’enfant peut se demander : « Le livre dit une chose, le maître dit le contraire ; qui croire ? »

C’est vite dit : « Instituteurs sectaires, hommes de partis et d’idées subversives » ; il faut voir ! Même dans les meilleurs livres, on trouve des affirmations et des omissions étranges : Louis XIV, un orgueilleux, un lettré ; c’est tout... Philippe le Bel, un réceptacle de tous les vices ; de son désir d’affranchir le pouvoir royal d’une tutelle intolérable, pas un mot ou quand on en parle, c’est pour lui en faire un crime, etc., sans compter les illustrations qui parlent bien plus à l’enfant que le texte.

 

G. GUNDHARDT,         

instituteur, Le Cateau (Nord).

 

 

 

M. Alfred BOMSEL

 

Vos articles sur la « Déformation de l’Histoire de France » m’intéressent vivement.

Je ne suis ni un académicien, ni un homme politique, ni un professeur. Je suis un simple citoyen qui aime son pays.

Voici l’observation que je voudrais faire :

Les histoires, même les histoires écrites par des Français, présentent la France comme une nation agressive.

C’est complètement faux.

C’est alors que nous fêtons le cinquième centenaire de Jeanne d’Arc, qui ne fit que défendre le sol sacré de la patrie, que l’on ose encore émettre de pareilles absurdités.

Ce ne sont pas les régions des puissances dites centrales qui sont le véritable centre de l’Europe, c’est la France même, autant par l’importance de sa situation géographique que par la douceur et la diversité de son climat et la beauté de ses sites.

Depuis plus de vingt siècles, la France n’a fait que défendre l’intégrité de son sol.

De César à Wilhelm der Narr, en passant par l’invasion germanique, Attila, les Normands, Charles le Téméraire, Charles-Quint et tant d’autres, les guerres françaises ne furent que des guerres défensives.

Si Louis XIV « aima trop la guerre », ce fut lui du moins qui, sans coup férir, établit la frontière du Rhin, que la défaite de 1815 nous enleva et que la victoire de 1918 ne nous a pas rendue.

Si, emporté par son génie, Napoléon transforma la guerre défensive en guerre offensive, c’est cette action qui enseigna au monde la liberté et la répandit sur toute la terre.

Voilà ce que l’histoire et surtout l’histoire française devrait proclamer.

 

Alfred BOMSEL,        

avenue Daumesnil, à Paris.

 

 

 

M. André DESCHARD

 

        Monsieur,

Vous avez mille fois raison de stigmatiser l’odieuse déformation de notre histoire nationale. Modeste écrivain breton, ne m’occupant que d’histoire bretonne et de choses navales, sans aucun parti pris, je m’étonne que l’on passe sous silence ou que l’on falsifie des faits que l’étranger apprend dans ses manuels. Permettez-moi de revenir sur notre passé :

Ce qui frappe le plus dans ce passé, c’est la facilité avec laquelle les rois de France créent des flottes puissantes. Après des prospérités et des revers sans nombre, nos escadres renaissent, sans cesse, de leurs désastres, comme par enchantement. Charlemagne avait couvert les côtes de stations nombreuses. Philippe-Auguste envoya une flotte de 1 500 voiles sur les côtes de Flandre. Louis XII détruisit les places ottomanes, espagnoles et italiennes dans la Méditerranée, lutta sur l’Océan avec les Anglais. Sous François Ier une nouvelle flotte fut créée dans le port du Havre. 260 voiles attaquent les Anglais sous les ordres du connétable d’Annebaut, ravageant les côtes de plusieurs comtés. Nos armements sont constamment victorieux sous Louis XIV et Louis XVI. Sous l’Empire, il est vrai, après Toulon, Aboukir et Trafalgar, il fallut 16 ans de paix pour rendre son avenir à notre marine.

On reste stupéfait de l’indifférence avec laquelle nos écrivains ont laissé tant de courage dans l’oubli. L’absence d’études générales et sérieuses a constamment tué parmi nous ce qui relève de l’intelligence : philosophie, littérature, histoire. Nos falsificateurs ne s’arrêtent qu’aux faits qui leur plaisent ; sinon, ils passent ou ils mentent... Quelle honte !

Un clerc gallois visitant la France au XIVe siècle notait ce qui suit : « Ailleurs, ceux qui commandent sont remplis d’arrogance et de fierté. En France, ils sont affables et bons pour leurs sujets. Simples et modestes, les Français n’ont pas, pour armoiries, des lions, des ours et des léopards, mais des fleurs... Ces fleurs mettent en fuite les lions et les léopards. Nous avons vu les bêtes féroces regagner leurs cavernes, à la seule odeur des fleurs de lys de France et au seul souffle des Français. »

Cette appréciation résume tout notre passé.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes distingués sentiments.

 

André DESCHARD,       

rue du Louis, Paris.       

 

 

 

M. le Chanoine Henri BAS

 

        Monsieur,

Je suis fort intéressé par votre enquête sur l’histoire. Les témoignages que vous invoquez et les réponses que vous citez sont, hélas ! la constatation d’un état d’esprit lamentable, chez les primaires surtout. Peut-être n’en avez-vous pas d’exemples typiques et probants. En voici un.

Un de mes amis possède un jardin dont le mur est mitoyen avec l’école primaire ; les fenêtres de celle-ci sont ouvertes sur ce jardin.

Il y a quelques jours, occupé dans quelque plate-bande, il entendit un nom qui attira son attention : Richelieu. Il eut la curiosité d’écouter et voici ce qu’il entendit :

« Richelieu était un prêtre, mais une espèce de prêtre supérieur aux autres : un cardinal. Il était le ministre d’un roi absolu et dans cette qualité c’était lui qui menait tout. Il permettait, défendait, à son gré et sans contrôle, tout ce qu’il lui convenait de permettre ou de défendre. Mais quand on lui désobéissait, il trouvait tout naturel de faire couper le cou au délinquant. Personne ne trouvait à redire à cela, parce que, sous la monarchie absolue, c’était l’habitude. »

Le maître passa ensuite à un autre exercice et voilà tout ce que ses élèves ont su et sauront sans doute jamais sur le rôle d’un ministre à qui la France doit une grande partie de sa puissance et de sa prospérité.

Voici une anecdote bien capable d’illustrer votre campagne. Je vous en certifie l’authenticité. Historien moi-même, je suis intéressé à la chose, et je vous la donne telle que cette personne digne de foi, et indignée, me l’a racontée. On n’invente pas cela.

 

Henri BAS,             

chanoine honoraire, à Tours.

 

 

 

M. L. G. NUMILE

 

Permettez-moi, Monsieur, de vous adresser mes modestes et très sincères félicitations au sujet de votre Enquête sur les Déformations de l’Histoire de France.

On l’a tellement déformée, cette Histoire, surtout et uniquement au profit de la Révolution française, que de très honnêtes gens, tenant pour certains les livres dans lesquels on les instruisait, en arrivaient à la haine du passé, au mépris de cette vieille histoire royale – qu’ils ne connaissaient pas. Des hommes de talent, dont Michelet reste le plus pernicieux et le plus entraînant exemple, parachevaient l’œuvre néfaste par leurs écrits éloquents.

Pourtant il arrivait que le jeune homme ainsi préparé trouvât, au hasard de lectures, des contradictions, des obscurités dans les textes. S’il avait le goût et le temps de s’informer, il modifiait son opinion, quelquefois après plusieurs années. Il percevait toute la beauté du passé, non exempt d’erreurs, cessait de mal juger certains rois, et, pour la Révolution, la trouvait inutile, au terme le plus indulgent. Si Louis XVI avait continué Louis XV, si, ayant eu la bonne fortune de rencontrer un ministre comme Turgot, il avait su l’employer, toutes les réformes dont on attribue le mérite à la Révolution, et qui avaient été prévues, se fussent réalisées dans le calme.

On s’est extasié sur le mouvement populaire : on le pouvait, tant qu’on n’avait pas vu une insurrection aussi formidable que la Commune, disposant de bataillons organisés et armés. Son gouvernement de bavards furibonds n’a rien su faire. Et le gouvernement de M. Thiers, d’abord pauvre et presque sans troupes, en a rassemblé et a vaincu cette révolte, autrement grave que celle du 14 juillet, du 20 juin et du 10 août. Un peu de police préventive, un peu d’énergie dès le premier jour et les vainqueurs de la Bastille, comme les hommes des autres journées, n’étant pas sûrs de l’impunité, fussent rentrés chez eux.

La Révolution française est une carence de l’autorité, que défendent éperdument ceux qui profitent d’un parlementarisme faussé, qui n’est plus l’expression de la volonté populaire, mais celle de groupements politiques auxquels nous devons tous nos déboires.

L’histoire devrait être un ensemble de récits véridiques. Ce n’est ici qu’un pamphlet injuste et tendancieux. Puisse votre effort contribuer à l’assainir au profit des futurs Français qui l’apprendront.

 

L. G. NUMILE,                     

rédacteur à l’Économiste français, au Journal

des Économistes, et à la Revue Bleue.      

 

 

 

LA PROTESTATION DES LORRAINS

contre les Manuels adoptés dans les Écoles

 

Un de nos abonnés de Lorraine nous fait parvenir le vœu suivant du Conseil Général de la Moselle, protestant contre l’inertie des autorités compétentes en présence d’une motion concernant le choix des manuels scolaires :

 

Le Conseil Général de la Moselle,

Constatant que le vœu adopté par lui dans sa première session ordinaire de 1928 et ainsi conçu :

« Qu’une liste obligatoire des Manuels scolaires confessionnels soit établie d’accord avec les autorités religieuses compétentes des différents cultes »,

N’a pas encore trouvé la suite voulue.

Ne pouvant s’expliquer nullement cette carence des autorités compétentes et constatant qu’il n’a même pas été honoré d’une réponse de la part de l’administration au sujet de la suite que celle-ci avait réservée au vœu précité ;

Renouvelle de la façon la plus pressante le vœu qu’il soit établi, d’accord avec les autorités religieuses compétentes des différents cultes, une liste obligatoire des Manuels scolaires pouvant seuls servir dans les écoles confessionnelles.

 

Ce même correspondant nous adresse une coupure d’un journal lorrain protestant contre l’adoption du Manuel d’Histoire de France de M. E. Lavisse, et donnant les raisons de cette protestation.

Nous croyons utile de placer sous les yeux de nos lecteurs ces textes qui mettent en relief une des causes de mécontentement des habitants de nos provinces recouvrées contre la mère patrie, et expliquent, sans le justifier, le mouvement autonomiste qui les agite.

Ici encore nous retrouvons la néfaste intervention politicienne et nous voyons en action le plan déjà dénoncé au cours de notre enquête, mais qui est ici doublement abominable, puisqu’il tend à détacher de la France des populations qui ne demandaient qu’à se jeter avec amour dans ses bras.

Et ce sera, par surcroît, une réponse à M. Jammy Schmidt, qui nous reproche de ne pas citer les auteurs des manuels incriminés.

 

Nous avons devant nous le Manuel d’Histoire de France de M. E. Lavisse, cours moyen, en usage dans la majorité de nos écoles catholiques. Après l’avoir parcouru, nous devons dire qu’il ne répond pas au caractère confessionnel de nos écoles. Il nous suffira d’en indiquer quelques passages pour en convaincre nos lecteurs.

Prenons, par exemple, le chapitre : Tableau de la France à la mort de Henri IV :

« Les grands seigneurs recommencèrent à troubler le royaume. Protestants et catholiques recommencèrent à se battre.

« Alors la Reine Marie, ne sachant comment faire, convoqua les États généraux.

« Dans cette assemblée, les députés du tiers état demandèrent de grandes réformes. C’est bien dommage qu’on ne les ait pas écoutés, car si on avait commencé à faire des réformes dans ce temps-là, on n’aurait pas été obligé plus tard de faire une Révolution » (page 90).

Voilà, c’est bien simple. Mais quelles sont donc ces grandes réformes qui auraient pu dispenser les grands ancêtres de 1789 de l’obligation de faire une révolution ? Les jeunes lecteurs de Lavisse ne le sauront jamais. Richelieu pourtant fit quelque chose, et il semble que pendant les 175 ans qui s’écoulèrent entre 1614 et 1789, tout ne fut pas absolument manqué.

Mais ceci n’est rien. L’intérêt du manuel n’est pas là. Lavisse nous prouve la quasi-impossibilité, pour un auteur, d’écrire une histoire, même à l’usage des enfants, sans que celui-ci y fasse entrer volontairement ou involontairement, ses conceptions philosophiques, ses sentiments, ses passions.

Lavisse est fermement imbu des idées d’évolution, de progrès. Il s’en explique très nettement dès les premières pages du livre, dans ces réflexions générales qu’il place après l’exposé des faits antérieurs à Hugues Capet :

« Vous venez de voir des choses qui vous ont étonnés : les Gaulois croient faire plaisir à leurs dieux en tuant des hommes ; les Romains donnent les chrétiens à manger aux bêtes ; Charlemagne tue des milliers de Saxons pour les forcer à devenir chrétiens.

« Mais, dans ce temps-là, ces actions ne semblaient pas extraordinaires. Elles nous étonnent parce que les hommes d’aujourd’hui ne sont plus si méchants qu’autrefois. Ils sont meilleurs.

« Nous-mêmes, nous faisons aujourd’hui des choses qui étonneront ceux qui viendront après nous, car ils seront meilleurs que nous.

« Cette amélioration, c’est ce qu’on appelle le progrès » (page 26).

Tout le livre découle de ces prémices. Lavisse veut montrer aux enfants comment la France n’a été, jusqu’en 1789, qu’un malheureux pays en formation, jusqu’au jour où, par la proclamation de la République démocratique et laïque, elle a enfin trouvé son plus bel épanouissement, son plein équilibre intellectuel et moral. Tout son tableau de l’histoire de France est brossé de manière à faire ressortir l’explosion de lumière que fut à ses yeux la République maçonnique.

Les illustrations également sont étranges.

Voyez, par exemple, les images qui ornent les pages consacrées au règne de Louis XIV. Voici une gravure qui représente le transport des mets des cuisines du roi jusqu’à la table royale, « une vraie procession – dit l’explication placée au-dessous – avec des gardes tenant des hallebardes, comme en ont encore les suisses dans les églises » ; et puis une autre gravure montrant des femmes piétinées par des cavaliers sur le pont de Sèvres, parce qu’elles voulaient aller demander du pain au roi. Ainsi les petits Français n’ignoreront pas que les rois mangeaient avec solennité et sauront comment ils traitaient leurs sujets qui avaient faim.

Un chapitre tout entier est consacré aux philosophes, tels que Voltaire, J.-J. Rousseau, et des images dans le texte rappellent les abus qui devaient obliger à faire la révolution : le four banal, qui devait, en effet, paraître odieux à nos aïeux qui ne connaissaient ni le monopole des tabacs, ni celui des allumettes... et une chasse seigneuriale s’ébattant au milieu des récoltes paysannes.

Louis XVI, par contre, est presque escamoté. Les lecteurs sauront qu’il était lourd, mangeait énormément, faisait de la serrurerie, allait à la chasse à peu près tous les jours. Quant à Marie-Antoinette, elle était charmante, mais on l’accusait d’aimer mieux l’Autriche que la France. Était-ce vrai ou n’était-ce qu’une calomnie ? Lavisse ne le dit pas. Pas un mot non plus de réprobation pour le procès du roi et de la reine. Bien au contraire, Lavisse ose écrire, (page 152) : « On soupçonnait le roi de s’entendre avec l’ennemi et c’était vrai. »

La Convention commit quelques crimes, Lavisse le concède, mais la réaction qui suivit en quelques régions les noyades, fusillades, guillotinades, Lavisse l’appelle terreur blanche. « Elle commit, dit-il, des actes abominables » (page 162).

Mais voici, ce semble, les perles de l’ouvrage : « Le plus grand danger pour un peuple est d’avoir un maître. »

C’est après la Révolution que « la France est vraiment une patrie » (page 165).

Voilà ce qu’on enseigne aux enfants. Pas de France avant la Révolution ! L’autorité est un mal !

Quelle valeur éducative peut avoir un pareil manuel ?

Il serait facile de continuer l’étude des procédés pédagogiques de M. Lavisse. Ce que nous venons de dire peut suffire pour faire la preuve que le manuel d’histoire de France de M. Lavisse n’est pas à sa place dans nos écoles.

 

 

 

 

 

 

LES CONTRADICTEURS

 

Les « déformations » de l’Histoire de France

 

L’article qu’on va lire a paru, sous ce titre, dans la Volonté du 19 octobre 1929.

Le lecteur n’ignore pas que ce journal est le porte-parole habituel de la Franc-Maçonnerie, et l’organe officiel des radicaux socialistes inféodés à cette puissance occulte.

 

Dans un journal politique et dans des vues purement politiques, M. Champenois mène une enquête, dont il ne dissimule pas les tendances, sur la façon « erronée ou mensongère dont nos manuels scolaires d’Histoire sont rédigés ». Il affirme qu’en dehors des études de brillante érudition qui ne s’adressent qu’aux candidats de l’enseignement supérieur, les pédagogues improvisés historiens ne « perpètrent intentionnellement » que des manuels tissés des « pires déformations et des plus insignes mensonges ». Il affirme que la plupart des éducateurs contemporains ramènent l’Histoire de France à cet unique apophtegme : Avant la Révolution, il n’y avait rien. Il accuse ces éducateurs de convier l’enfant du peuple à rougir de l’incomparable passé de son pays.

Et là-dessus, il consulte des hommes qui ne lui semblent pas porter dans le cœur un amour passionné pour la Révolution et la République et s’attire d’eux des réponses qui ne sont pas toutes aussi péremptoires, cependant, que le nom de leurs auteurs aurait semblé le promettre.

 

*

*   *

 

Une observation frappe le lecteur au début de l’examen de cette enquête. C’est que les manuels condamnés en général, ne sont pas désignés nommément, séparément. Il en résulte que tous sont mis à l’index, pour les « bons Français », au même titre. Apprendrai-je aux enquêtés et à l’enquêteur, qu’il est de ces ouvrages accueillis aujourd’hui comme livres de classe dans les établissements congréganistes et libres aussi bien que dans les écoles publiques ? Les livres d’Histoire de Malet, par exemple, sont également en usage dans les lycées, collèges, écoles primaires supérieures de l’État et dans les classes correspondantes de l’enseignement privé. Pour les écoles primaires, ce sont les manuels de Lavisse qui sont le plus répandus.

Méritent-ils ce jugement par lequel M. Louis Bertrand, de l’Académie française, condamne les pouvoirs publics : « Aujourd’hui, dans nos écoles primaires, c’est, de plus en plus, une entreprise d’obscurantisme et d’abrutissement collectif au profit d’une dégradante tyrannie démagogique. Il est admis, semble-t-il, par nos gouvernants, que le peuple n’a pas droit à la vérité. »

Pour être moins brutaux, MM. Paul Bourget, Pierre de La Gorce, Funck-Brentano, ne sont pas moins partiaux. Ils ne se préoccupent point de justifier leur avis par des citations congrues empruntées aux livres incriminés. Ils acceptent d’emblée le postulat : « Les livres d’Histoire qui servent dans les classes primaires sont mensongers ; ils enseignent le mépris de la France en dénigrant injustement son passé. » Puis ils prononcent leur impitoyable sentence.

MM. Funck-Brentano et Pierre de Nolhac, seuls, citent un nom pour le flétrir et l’accabler : Michelet. Mais voilà, Michelet n’a pas écrit de manuels pour les classes primaires. Quant à prétendre qu’il enseigne le mépris de la France du passé, il faut vraiment avoir de forts partis pris pour le soutenir. Ses pages les plus éloquentes recueillies dans les anthologies ont toutes trait à l’apologie historique du patriotisme français... Mais on ne lui pardonne pas d’avoir aimé la Révolution et la République et surtout de les avoir fait aimer, et on se contente de déclarer que « personne ne prend plus au sérieux » sa folle Histoire, bien qu’il « continue à régner par le prestige de sa phrase romantique ». Aveu qui explique bien des jalousies et des haines

 

*

*   *

 

En attendant qu’on signale expressément les passages des manuels scolaires d’Histoire où se révèlent les Mensonges ainsi flétris, il serait peut-être utile de rappeler que dans les conférences pédagogiques qui, sur rapports circonstanciés, admettent les livres de classe sur les listes d’autorisation, des générations d’inspecteurs et de maîtres ont dû écarter des ouvrages d’Histoire édités dans les librairies confessionnelles. La vérité historique matérielle y était violée avec l’audace qui a rendu célèbre le P. Loriquet, qui faisait de Napoléon le lieutenant général des armées de Louis XVIII. La haine entre Français y était prêchée avec une passion qui, déformant la croisade des Albigeois, les Dragonnades aussi bien que les faits relatifs à la Révolution française, rendait scandaleux et dangereux un tel enseignement. Va-t-on demander que ces manuels condamnés et dont les titres figurent aux sièges de toutes les académies, soient réimprimés et remplacent les manuels actuellement acceptés ?

Nous attendons avec curiosité cette proposition hardie à la fin de l’enquête en cours et nous prédisons le succès qu’il mérite au député qui viendrait la soutenir au moment de la discussion du budget de l’Instruction publique !

 

*

*   *

 

L’Histoire de France si riche en grandeurs et en gloires, a aussi ses pages de tristesse ; la royauté a eu ses heures de honte et les révolutions ont connu des excès. Cacher les abus qui expliquent les révoltes serait aussi malhonnête que d’accabler des irresponsables ou des innocents.

Quand Michelet écrit ses admirables pages sur Jeanne d’Arc, quand il rappelle les belles réponses de l’héroïne aux interrogatoires du procès, réponses que se gardent de bien de reproduire ceux qui exploitent la mémoire de la grande Française, a-t-il donc tort de flétrir le roi qui abandonna la salvatrice du pays, et le clergé qui la fit brûler sur les ordres de l’ennemi ?

En quoi, le resplendissement de la France à cette époque est-il diminué par les fautes des individualités et les erreurs de certains systèmes ?

M. Georges Goyau, de l’Académie française, après avoir rendu hommage à l’Histoire de la France contemporaine de Lavisse, lui fait un reproche qui nous éclaire sur le fond de la pensée de l’enquêteur et de ses amis les enquêtés : « Il est fâcheux que les magnifiques annales de la France missionnaire au XIXe siècle y soient à peine esquissées. C’est une lacune qu’on aurait évitée si, songeant à la France des croisades, à la France qui évangélisa le Canada, on avait voulu chercher, dans le XIXe siècle, la « suite » de cette France-là ».

Il faudrait donc pour complaire à ces messieurs, et non à la vérité, louer tout ce qu’ils aiment, blâmer tout ce qu’ils détestent. Tout est donc admirable dans l’œuvre missionnaire de la France du siècle dernier ? Si l’on ouvrait les archives des affaires étrangères, on y trouverait des rapports édifiants sur le rôle de certaines missions : celui du général Gallieni sur Madagascar, que M. Doumergue utilisa dans son discours, alors qu’il était ministre des Colonies, pour montrer le tort fait au pays par des congrégations qui se réclamaient du drapeau de la France et la desservaient en même temps.

Ces messieurs estiment qu’il faut cacher les vérités cruelles qui blessent leurs amis et, au contraire, calomnier les hommes de pensée libre, les révolutionnaires et les républicains... C’est leur avis, mais il est trop intéressé pour n’être pas suspect.

Taire les turpitudes royalistes, insulter aux gloires républicaines, c’est ce qu’ils appellent enseigner l’amour de la France.

J’ai eu dans une réunion publique, qui se tenait dans une salle de la mairie d’un chef-lieu de canton, une controverse rapide avec un camelot du roi qui me reprochait d’attribuer à l’influence de la Révolution et aux sacrifices de la République, le développement de l’instruction primaire :

– Sous l’Ancien Régime, s’écria-t-il, il existait aussi des écoles fondées par l’Église, chargée d’ailleurs de ce service.

– Oui, lui dis-je, mais le dévouement d’un Jean-Baptiste de la Salle qui mérite un hommage spécial, avait peu d’imitateurs...

– Tout le monde savait lire et écrire à la veille de la Révolution ! Vous calomniez l’Ancien Régime.

– Monsieur, dis-je poliment à mon interlocuteur – et tous ceux qui ont eu à subir des contradicteurs royalistes savent leur manque de courtoisie, nouveau Régime – Monsieur, nous allons faire le public juge de nos affirmations réciproques.

Je priai alors le maire de vouloir bien me faire apporter les registres de l’État-Civil de la dernière décade 1780-1790. Et il fallut bien constater que les actes étaient rarement signés autrement que par des croix...

Le public fut frappé de cette démonstration qui, hélas ! peut être faite dans l’immense majorité des paroisses de France.

Mais mon royaliste partit, non convaincu, et aussi furieux que M. Champenois qui veut bien que les seuls mérites de ses amis soient mis en valeur dans l’Histoire de France et qui trouve qu’il faut cacher leurs défaillances et leurs misères... comme si le passé de notre pays si noble et si glorieux n’est (sic) pas fait principalement de la générosité foncière du peuple, de son labeur et du recrutement incessant qui s’opéra chez lui des grands hommes, des grands écrivains, des grands savants, voire des grands généraux, qui ont donné aux annales de notre pays un lustre universellement envié.

 

Jammy SCHMIDT,      

député de l’Oise.       

 

 

Nous avons répondu à M. Jammy Schmidt par l’article suivant :

 

Un témoignage inattendu et sensationnel

 

M. Jammy Schmidt, député de l’Oise, sous-secrétaire d’État éphémère, à la plus belle époque du Cartel, dans le ministère Painlevé, a bien voulu s’occuper de nous.

Comprenant toute l’importance de notre enquête et conscient du retentissement profond qu’elle éveille dans le pays, il nous consacre l’éditorial de son journal et dresse, contre notre initiative, un réquisitoire en trois colonnes qui déborde sur la troisième page.

Sans désigner L’Ami du Peuple autrement que par cette périphrase : un journal politique, M. Jammy Schmidt croit devoir me mettre personnellement en cause. Il est clair qu’il me considère comme un adversaire, et il affecte de me présenter comme un polémiste atrabilaire et furibond. L’antienne est connue.

Il me reproche de mener notre enquête d’une façon arbitraire et tendancieuse et de réserver mon questionnaire « aux hommes qui ne semblent pas porter dans le cœur un amour passionné pour la Révolution et la République ».

Il m’accuse de demeurer intentionnellement dans une imprécision prudente et cauteleuse et de ne pas désigner nommément les auteurs des manuels incriminés.

Si M. Jammy Schmidt n’était pas aussi inconsidérément parti en guerre – car, en somme, il n’a pas encore tout lu et notre enquête est loin d’être terminée –, il se serait rendu compte que j’ai, au contraire, poussé le souci de l’impartialité jusqu’aux plus extrêmes limites, jusqu’à interroger conjointement Mgr Jouin... et M. Marcel Cachin lui-même !

Il aurait également constaté que la difficulté n’est pas d’énumérer les mauvais manuels, mais bien d’indiquer les bons qui pourraient les remplacer.

Mais M. Jammy Schmidt avait hâte d’entrer dans l’arène, s’étant tout de suite avisé que j’étais à coup sûr l’un de ces cléricaux qui mettent à tout instant le régime en péril.

Il a découvert cela en lisant la réponse de M. Georges Goyau.

« M. Georges Goyau, de l’Académie Française – écrit-il –, après avoir rendu hommage à l’Histoire de la France contemporaine de Lavisse lui fait un reproche qui nous éclaire sur le fond de la pensée de l’enquêteur et de ses amis les enquêtés : Il est fâcheux – dit M. Goyau – que les magnifiques annales de la France missionnaire au XIXe siècle y soient à peine esquissées. C’est une lacune qu’on aurait évitée si, songeant à la France des Croisades, à la France qui évangélisa le Canada, on avait voulu chercher dans le XIXe siècle la suite de cette France-là.

« Il faudrait donc – s’exclame avec horreur notre homme – pour complaire à ces messieurs, et non à la vérité, louer tout ce qu’ils aiment, blâmer tout ce qu’ils détestent. Tout est donc admirable dans l’œuvre missionnaire de la France du siècle dernier ? »

Et c’est alors, pêle-mêle, un pot-pourri des Jésuites, du Père Loriquet, de Jeanne d’Arc brûlée par l’Église et abandonnée par son roi, de tous les bobards qui précisément traînent dans les manuels que nous incriminons.

« Ces messieurs – écrit-il encore – estiment qu’il faut cacher les vérités cruelles qui blessent leurs amis, et au contraire calomnier les hommes de pensée libre, les révolutionnaires et les républicains...

« Taire les turpitudes royalistes, insulter aux gloires républicaines, c’est ce qu’ils appellent enseigner l’amour de la France. »

C’est, comme on le voit, assez proprement renverser les rôles. Et les maîtres de la pensée française qui nous ont apporté leur témoignage ne seront pas peu surpris d’apprendre que c’est eux qui méritent le reproche de tripatouiller l’Histoire !

Si M. Jammy Schmidt avait pris la peine de lire jusqu’au bout l’article d’introduction de cette enquête, il aurait vu quelle conception nous avons ici du rôle de l’historien impartial.

Il me permettra donc de lui remettre sous les yeux ce passage que je m’excuse auprès de mes autres lecteurs de reproduire :

L’Histoire doit être un exposé impartial des évènements, des circonstances et des faits, un compte rendu fidèle et comme photographique du but poursuivi, des moyens employés et des résultats atteints par les personnages dont il s’agit de dégager la figure aux yeux de la postérité.

Au rebours du poète ou du romancier, l’historien est un réaliste qui n’ajoute rien, ne retranche rien aux documents découverts dans le champ d’expérience ouvert à ses investigations.

C’est un observateur qui regarde, contrôle et enregistre. Toute passion doit être en lui réfrénée, toute préférence oubliée, toute tendance imaginative proscrite...

Son premier, son unique devoir est donc, avant toute autre considération, la sincérité.

Et j’ajoutais :

Si les ancêtres – qui étaient, comme nous-mêmes, des hommes sujets à toutes les incertitudes et à toutes les erreurs humaines – ont failli ou se sont trompés, qu’on le dise et qu’on dégage de l’expérience la leçon qui profitera aux générations prochaines. Mais s’ils ont sagement agi qu’on n’hésite pas non, plus à le proclamer.

Vous, monsieur Jammy Schmidt, vous vous bornez à opposer dans un raccourci saisissant mais trompeur, les turpitudes royalistes aux gloires républicaines. Nous sommes donc sûrs de ne jamais nous rencontrer.

Il faut tout de même vous remercier d’un aveu qui vient jeter bas l’un des dogmes plus intangibles des démolisseurs patentés de notre histoire nationale.

Avant la Révolution – écrivent-ils – l’égalité civile n’existait pas. Tout espoir de s’élever était refusé au peuple.

Vous dites, vous : « comme si le passé de notre pays, si noble et si glorieux, n’était pas fait principalement de la générosité foncière du peuple, de son labeur et du recrutement incessant qui s’opérait CHEZ LUI des grands hommes, des grands écrivains, des grands savants, voire des grands généraux, qui ont donné aux annales de notre pays un lustre universellement envié. »

Et le plus drôle c’est que dans votre zèle de flagorneur démocrate vous ne vous apercevez même pas que vous démolissez, en ces quelques lignes, le fondement essentiel de l’œuvre si perfidement édifiée par vos complices !

Monsieur le ministre – n’est-ce point ainsi que continuent à vous qualifier les huissiers du Parlement ? – laissez-moi vous redire que votre offensive fut un peu intempestive et... maladroite. Que n’avez-vous attendu la fin de nos propres hostilités ?

Vous vous mettez en avant, vous bombez le torse, vous faites blanc de votre épée. Par Jéhovah ! Quelle mouche vous pique ?

Quelqu’un me dit : Mais voyons, c’est un franc-maçon, et fort haut placé dans la hiérarchie maçonnique ; quelque chose comme un 33e honneur. (Où diable l’honneur, et surtout l’honneur élevé à la 33e puissance, va-t-il se nicher !)

Et soudain tout s’éclaire. Nous cherchions les auteurs mystérieux du scandale. Les voici ! Par un réflexe bien connu des criminalistes, le coupable se désigne lui-même, sans attendre que son nom soit prononcé.

C’est donc de la secte à laquelle vous appartenez, de cette congrégation illégale et secrète, de cette sorte d’État international greffé sur notre État français qu’est parti le mot d’ordre que nous dénonçons et qui aboutit à ce crime et à ce blasphème.

Comme la suite de cette enquête vous le démontrera, on s’en doutait. Mais rien ne saurait vous exprimer la joie que j’éprouve à recueillir de votre propre bouche un aveu aussi net et aussi spontané.

Croyez-moi, monsieur le ministre, laissez là notre histoire de France. Sinon nous pourrions être tentés, quelque jour, d’écrire l’histoire authentique de Jérusalem.

 

Georges CHAMPENOIS.

 

 

 

 

M. Charles CANUT

 

Voici une lettre, bien symptomatique de l’état d’âme de certains éducateurs.

M. Canut semble croire que nous éprouverons une hésitation quelconque à la publier.

Nos lecteurs seront juges des arguments présentés et de la conclusion.

 

        Monsieur,

Je suis avec un intérêt particulier votre enquête sur les déformations de l’Histoire de France. Je tiens à relever quelques erreurs commises par certains de vos correspondants. D’abord, contrairement à ce que dit le comte de Pazzis, jamais un inspecteur d’Académie au primaire n’exige l’emploi par les maîtres soumis à son inspection de manuels dont il est l’auteur. Les instituteurs publics sont entièrement libres d’adopter dans leurs classes, les manuels de leur goût. Ils prennent, en général, ceux qui se rapprochent le plus de leurs idées personnelles.

D’autre part, un maître, qui a des élèves de 16 à 19 ans, comme ceux de l’École supérieure de Commerce de Rouen, peut très bien leur donner son opinion personnelle sur Napoléon Ier par exemple, de la même façon que les journalistes émettent sur les différents hommes d’État un jugement qui leur est propre.

Enfin, parcourez un manuel d’Histoire à l’usage des écoles libres et vous vous apercevrez que les auteurs négligent de dire que Jeanne d’Arc a été condamnée par un tribunal composé de 73 ecclésiastiques. Pourquoi n’admettriez-vous pas alors que d’autres auteurs oublient de parler de Clémenceau dans l’Histoire de la Grande Guerre.

Voyez-vous, la meilleure solution serait encore celle qui consisterait à supprimer purement et simplement l’enseignement de l’Histoire de France à l’école primaire (!).

Si vous considérez votre enquête comme un critérium, vous devrez insérer cette lettre.

Sinon vous en ferez ce que bon vous semblera. Veuillez agréer, monsieur, l’assurance de mes sentiments distingués.

 

Charles CANUT,       

Instituteur public       

à Sept-Vents (Calvados).

 

 

 

M. le Pasteur André MONOD

 

M. le pasteur Monod nous a adressé de Copenhague cette lettre dont nous n’avons supprimé qu’un bref passage, étranger à la question et concernant un tiers.

C’est la seule lettre que nous ayons reçue blâmant ouvertement notre enquête et contestant le bien-fondé de nos assertions. Nous la publions d’autant plus volontiers qu’elle émane de l’un des membres les plus notoires d’une famille installée aux postes les mieux rétribués du régime et qui a rétabli en sa faveur des privilèges héréditaires que l’on croyait définitivement abolis.

Une fois de plus, assez maladroitement encore, le coupable se démasque.

M. André Monod est protestant ; il exerce dans sa religion les fonctions respectées de pasteur. Certaines de ses allégations nous ont paru si singulières – notamment ce passage où protestantisme, philosophie des encyclopédistes et révolution sont confondus dans le plus singulier mélange – que nous avons tenu à soumettre le document à un autre représentant qualifié de la même hiérarchie ecclésiastique.

On trouvera plus loin la réponse que nous avons reçue.

Nous ferons simplement remarquer que si « l’ancien régime a eu des siècles pour s’imposer et pour écrire sa propre histoire », M. Monod et ses amis politiques ont mis bien moins de temps pour dénaturer calomnieusement cette histoire qui se confond avec celle de la France.

Et c’est précisément le reproche que nous leur adressons.

 

        Monsieur,

Je vous écris de Copenhague, où je me trouve une fois de plus en mission.

Lecteur de L’Ami du Peuple, j’ai suivi votre campagne sur les déformations de l’Histoire de France. Cette campagne a trouvé bon accueil dans un hebdomadaire protestant « La Vie Nouvelle », (numéro de la semaine dernière). Mais d’autres, parmi nos amis, notamment des universitaires, sont restés sceptiques.

Les jugements acerbes, souvent injustes, de la plupart de vos correspondants ont créé un malentendu. ils parlent presque tous « dans la même note ». Il existe des dénis de justice, des déformations récentes, des panégyriques stupéfiants et des silences-trahisons de l’histoire dont ils semblent n’avoir pas conscience, et pour cause. Trop de romanciers et d’avocats se font historiens. Ils n’ont pas encore éteint Michelet complètement. Plusieurs d’entre eux ont la phobie de ce qui, en France, a été et est encore le protestantisme, la philosophie du XVIIIe siècle, la révolution. Sont-ils historiens ?

Même Malet ne trouve pas grâce. Ce qu’on peut reprocher à Malet c’est d’avoir, par effort d’impartialité, établi des équivalences artificielles. Il s’adresse à une obscure chronique pour caractériser les crimes de certains seigneurs du Moyen Âge. De même, pour balancer le blâme et l’éloge sur Coligny, c’est dans un passage de Brantôme qu’il va chercher, contre l’amiral, une imputation de représailles contre des prisonniers.

Qu’il est difficile d’écrire l’histoire ou de la rectifier. La compléter suffira souvent, et notre époque s’y emploie. Adressez-vous donc à tous les amis de la vérité historique et ne faites pas de l’ancien régime seul, qui a eu des siècles pour s’imposer et pour écrire sa propre histoire, la victime généralement calomniée.

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

 

Pasteur A. MONOD,             

Agent directeur du Comité protestant

des Amitiés françaises à l’étranger. 

 

 

Voici la réponse de M. le pasteur Noël Vesper :

 

        Monsieur,

Il n’y a point de pape dans nos églises protestantes françaises, du moins pas encore ! Il paraît qu’à Stockholm on nous en fabriquerait un pour tout le protestantisme ! Comme étape vers l’union des Églises, c’est trouvé !

L’opinion protestante générale (si elle existe !) ne peut donc être représentée officiellement par aucun de nous en dehors de nos corps ecclésiastiques. Aucune Société, souvent toute officieuse, serait-elle le Comité protestant des Amitiés françaises à l’étranger, ne peut prétendre de même à l’exprimer, pas même par la plume de son agent directeur. Je ne fais aucune difficulté pour reconnaître qu’il en est ainsi également pour toute feuille protestante, y compris la Vie Nouvelle qui est mise ici en cause par votre correspondant et que seul son directeur, M. Louis Lafon, a qualité pour défendre s’il est nécessaire.

La lettre que vous me faites l’honneur de me communiquer exprime donc tout simplement une opinion particulière.

Agréez, etc.

 

Noël VESPER.

 

 

 

 

 

 

IL FAUT CONCLURE

 

 

Notre enquête est terminée Nous avons mis impartialement sous les yeux du lecteur toutes les réponses que nous avons reçues. Ces réponses, on n’aura pas manqué de le remarquer, sont unanimes. Elles confirment, en l’amplifiant, le cri d’alarme poussé par Fustel de Coulanges.

Ce n’est pas notre faute si l’opinion contraire n’a pas été exprimée dans nos colonnes. Nous avions porté le souci de l’indépendance jusqu’à consulter les personnalités les plus nettement opposées à cette manière de voir, telles que M. Seignobos, M. Herriot et M. Marcel Cachin. Nous avons demandé leur avis aux représentants les plus autorisés du gouvernement. Nous avons interrogé deux anciens chefs d’État : MM. Millerand et Poincaré. Nous avons posé la question à M. le ministre de l’Instruction publique, mieux placé que personne, semblait-il, pour intervenir dans le débat et dont un mot devait suffire à éclairer et à rassurer l’opinion alarmée.

Ni les uns, ni les autres n’ont jugé à propos de nous répondre. C’est peut-être que la thèse contraire n’était pas facile à soutenir.

Mais cette thèse indéfendable, ils l’adoptent donc ? Comment interpréter autrement un silence qui sera considéré par tous comme le plus terrible des aveux ?

Le fait reste indéniable et incontesté : la plupart des manuels d’histoire mis entre les mains des enfants de France sont inexacts ou mensongers, certains même nettement scandaleux et diffamatoires.

En dépit de toutes les protestations – car voici trente ans et plus que la lutte dure, et notre enquête n’a fait que réveiller le scandale signalé autrefois par tant de bons esprits – le poison continue à être méthodiquement versé aux jeunes intelligences confiées aux soins des maîtres de notre enseignement national !

Dans le domaine de l’Histoire, comme hélas ! dans tant d’autres domaines, une influence mystérieuse s’évertue et s’acharne à salir nos gloires et nos traditions, à voiler le rayonnement de notre pays et, par voie de conséquence, à détendre dans les âmes le ressort du patriotisme et à briser les énergies naturelles de la race. On parle de désarmement. Quel autre pourrait avoir la gravité et le caractère irrémédiable de celui-là ! Il s’accomplit tous les jours sous nos yeux sans soulever une révolte ni un cri de colère.

Les Français y voient clair cependant. La plupart de nos correspondants et même les plus modestes – n’hésitent pas à souligner la vraie cause du mal qui est politique ou plus exactement politicienne.

Pour faire accepter le présent, si cruellement décevant pour les Français, demeurés en immense majorité patriotes, on vilipende et on dénature le passé. Pour confirmer les masses populaires dans la pensée que le régime actuel est seul capable de leur assurer le bonheur terrestre et la liberté, on leur dissimule les innombrables franchises dont chacune de nos provinces était autrefois hérissée, on évite d’évoquer cette franche gaîté et cette joie de vivre qui furent si longtemps l’apanage de nos ancêtres. Pour écarter les réactions qui se dessinent contre les abus d’une fiscalité dévorante et inhumaine, on répète que les aïeux fléchissaient sous le poids d’impôts absorbant jusqu’aux ressources les plus nécessaires à la vie.

Calomnies intéressées. Nul doute que l’on ne soit ici en présence d’une volonté permanente et réfléchie qui s’impose aux détenteurs successifs du pouvoir. La continuité de l’œuvre exécrable suffit à elle seule à révéler l’existence d’un plan secrètement mais implacablement poursuivi.

Cette histoire scandaleuse et mensongère est officiellement inculquée aux maîtres de l’enseignement primaire dans des écoles qui sont de véritables séminaires laïques de déformation intellectuelle et morale. Et c’est ainsi qu’une armée sans cesse grandissante d’éducateurs intentionnellement abusés propage ensuite inconsciemment l’œuvre de mort dans les profondeurs de la nation.

Avec la haute autorité qui découle de ses fonctions, M. Léon Bérard dénonce cette cause essentielle du mal. L’instituteur public est le premier trompé. Ce n’est donc pas à lui qu’il faut s’en prendre, mais à ceux qui en ont fait l’instrument de leurs ténébreuses manœuvres.

Qui sont ceux-là ?

Mgr Jouin, dont on connaît les longues investigations et la documentation si précise sur le rôle des sociétés secrètes, n’hésite pas à répondre d’un mot : la Franc-Maçonnerie. Telle est aussi l’opinion de ce puissant et lucide écrivain qu’est Maurice Talmeyr et le cri de la plupart de nos lecteurs.

Que l’ennemi soit ainsi démasqué et connu, c’est déjà un pas immense et comme une première victoire. Parviendra-t-on à le faire reculer ? Obtiendrons-nous enfin d’être chez nous en France ? Réussirons-nous à nous affranchir de cette influence étrangère qui travaille dans l’ombre à dénaturer, à corrompre et à perdre notre magnifique patrie ? Sauverons-nous la famille française et ce qui reste des assises de la vieille maison ?

On va dire qu’à poser la question nous faisons acte d’hostilité envers la République ? Mais, cette question, d’anciens ministres, comme MM. Léon Bérard et Gabriel Hanotaux, des républicains notoires, comme M. Mirman et M. Izoulet, l’ont, avant nous, posée à cette même place. Dénoncer le scandale, c’est admettre qu’il faut y mettre fin, c’est poser le principe de la lutte nécessaire contre ceux, quels qu’ils soient, qui l’ont impudemment créé et propagé dans la France entière. La République, oui, mais pas au prix de la perte de tout ce qui nous est cher, pas au prix de ce crime et de cette trahison !

Comment mettre fin aux errements qui font l’objet de cette enquête ?

M. Léon Bérard précise le remède spécifique à adopter si l’on veut abolir le mal. C’est un ancien ministre de l’Instruction publique qui parle ; donc un homme informé et compétent. On verra bien si le gouvernement actuel se prête à la réforme essentielle de notre enseignement qu’on lui demande. Sinon, ce sera l’aveu décisif de sa sujétion au pouvoir occulte des Loges, la preuve de l’existence d’une autorité supérieure à la sienne, échappant au contrôle de la Nation et, pour trancher le mot, nettement illégale et anticonstitutionnelle.

M. Léon Bérard demande que le niveau des études des maîtres de l’enseignement primaire soit relevé et qu’au programme actuel des écoles normales on substitue celui des études secondaires. Ce fin lettré estime, par expérience, que la formation d’un éducateur n’est pas complète, s’il n’a subi la forte discipline des humanités classiques.

Aucun instituteur épris de ses fonctions et comprenant la grandeur et la beauté de son rôle social ne s’élèvera contre cette réforme indispensable.

Il faut retenir aussi la suggestion de M. de Pazzis qui préconise l’intervention énergique et persévérante des associations de parents d’élèves des lycées et collèges. Comme le dit si bien M. Gabriel Hanotaux, on n’aboutira à la victoire finale « que si la nation elle-même se soulève et déclare qu’elle ne veut pas cela ».

Il reste enfin une décision immédiate à prendre contre les manuels malfaisants actuellement en usage. Ces manuels ne doivent pas rester plus longtemps entre les mains des petits Français.

Nous pensons que M. le Ministre de l’Instruction publique dispose d’une autorité suffisante pour prendre sans retard la décision qui s’impose.

Et s’il faut une loi pour lui permettre de procéder à l’épuration nécessaire, la fabrique est au bout du quai.

Mais les responsables sont avertis que l’opinion, alertée par nos soins, ne tolérera pas qu’à sa volonté on oppose le veto des Loges.

 

 

 

Georges CHAMPENOIS,

Le sabotage officiel de l’histoire de France,

Éditions Bossard, Paris, 1930.

 

 

 

 

 

 



1 La rentrée de Dieu dans l’École et dans l’État ou La Philosophie de l’Histoire de France, à l’Alliance Universitaire, 28, rue Cambon, Paris (Ier).

2 Journal officiel, Chambre des Députés, séance du 24 Janvier 1910, (page 273).

 

 

 

 

 

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