Condamnation de Louis XVI

 

 

 

La monarchie française n’existait plus. Le descendant de Henri IV attendait à chaque instant que les régicides consommassent le crime, et le crime fut résolu.

De tous les serviteurs de Louis XVI, un seul était resté à Paris. Ce digne vieillard, le plus honnête homme de la France, de l’aveu même des révolutionnaires, s’était tenu éloigné de la cour durant la prospérité du monarque. Ce fut sans doute un beau spectacle que de voir M. de Malesherbes, honoré de soixante-douze années de probité, se rendre, non au palais de Versailles, mais dans la prison du Temple, pour défendre seul son souverain infortuné, lorsque les flatteurs et les gardes avaient disparu. De quel front les prétendus républicains osaient-ils regarder à leur barre l’ami de J.-J. Rousseau, celui qui, dans le cours d’une longue vie, s’était fait un devoir de prendre la défense de l’opprimé contre l’oppresseur, et qui, de même qu’il avait protégé le dernier individu du peuple contre la tyrannie des grands, venait à présent plaider la cause d’un roi innocent contre les despotes plébéiens du faubourg Saint-Antoine. Ah ! il était donné à notre siècle de contempler le vénérable magistrat revêtu de la chemise rouge, monté sur un tombereau sanglant, et mené à la guillotine, entre sa fille, sa petite-fille et son petit-fils, aux acclamations d’un peuple ingrat, dont il avait tant de fois pleuré la misère. Vertueux Malesherbes ! vos mânes illustres habitent maintenant un séjour de paix. D’autres, plus heureux que moi, ont mêlé leur sang au vôtre : c’était ma destinée de traîner après vous sur la terre une vie désormais sans illusions et pleine de regrets.

Mais pourquoi parlerais-je du jugement de Louis XVI ? qui en ignore les circonstances ? qui ne sait que tout fut inutile contre un torrent de crimes et de factions. Agis 1, Charles et Louis périrent avec tout l’appareil et toute la moquerie de la justice. Laissons d’Orléans observer son roi et son parent, la lorgnette à la main, et prononcer la mort, à l’effroi même des scélérats. Fions-nous-en à la postérité, dont la voix tonnante gronde déjà dans l’avenir ; à la postérité, qui, juge incorruptible des âges écoulés, s’apprête à traîner au supplice la mémoire pâlissante des hommes de mon siècle.

Le fatal 21 janvier 1793 se leva pour le deuil éternel de la France. Le monarque, averti qu’il fallait mourir, se prépara avec sérénité à ce grand acte de la vie ; sa conscience était pure, et la religion lui ouvrait les cieux. Mais que de liens il avait eu auparavant à rompre sur la terre ! Louis avait vu son épouse, il avait vu aussi sa fille et son jeune fils qui courait parmi les gardes en demandant la grâce de son père ; tant d’angoisses ne déchirèrent jamais le cœur d’un autre homme.

L’heure était venue. Le carrosse attendait à la porte. Louis descendit avec son confesseur. Il ne put s’empêcher, dans la cour, de jeter un regard vers la fenêtre de la reine, où il ne vit personne : ce regard-là dut peindre bien de la douleur. Cependant le roi était monté dans la voiture, qui roulait lentement au milieu d’un morne silence : Louis, répétant avec son confesseur les prières des agonisants, savourait à longs traits la mort. Il arrive enfin à la place où l’instrument de destruction était élevé à la vue du palais de Henri IV. Louis, descendu de la voiture, voulut au moins protester de son innocence : « Vous n’êtes pas ici pour parler, mais pour mourir », lui dit un barbare. Ce fut alors que l’on vit un des meilleurs rois qui avaient jamais régné sur la France, lié sur une planche ensanglantée, comme le plus vil des scélérats, la tête passée de force dans un croissant de fer, et attendant le coup qui devait le délivrer de la vie ; et comme s’il ne fût pas resté un seul Français attaché à son souverain, ce fut un étranger qui assista le monarque à sa dernière heure, au milieu de tout son peuple. Il se fait un grand silence : « Fils de Saint-Louis, vous montez aux cieux », s’écrie le pieux ecclésiastique en se penchant à l’oreille du monarque. On entend le bruit du coutelas qui se précipite.

 

 

M. le vicomte de CHATEAUBRIAND.

 

Recueilli dans Tablettes romantiques, 1823.

 

 

 

 

 



1 Roi de Sparte.

 

 

 

 

 

 

 

 

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