Léon Bloy

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Maurice CHAVARDÈS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Né le 11 juillet 1846, près de Périgueux, Léon Bloy eut pour père un athée et pour mère une pieuse femme qui le voua, à l’âge d’un an, à la Sainte Vierge. Après des études primaires chez les Frères des écoles chrétiennes, l’adolescent entra au Lycée de Périgueux d’où sa conduite le fit renvoyer. En 1864, il est embauché par la Compagnie des chemins de fer d’Orléans, à Paris. C’est déjà un révolté qui fait profession de socialisme et d’irréligiosité. Quatre ans plus tard, après sa rencontre avec Barbey d’Aurevilly, il retrouve la foi catholique, avec exaltation.

Tout Léon Bloy est dans cet homme de vingt-deux ans, en rébellion contre la société, à qui Dieu semble avoir commis le soin de le défendre devant les hommes. L’ambition littéraire, cependant, refrène un peu l’élan de sa foi. Il paraît même s’éloigner d’elle, un moment. C’est l’époque où il fréquente les salons littéraires, se lie avec Coppée, Verlaine et Bourget, avec les chansonniers et les bohèmes du « Chat noir » et des « Hydropathes ».

Il écrit de petites choses boursouflées et prétentieuses qui restent inédites. En 1877, il découvre Anne-Marie Roulé, qui va le suivre et, bientôt, le précéder dans la voie d’un mysticisme débridé. Sous l’influence d’un prêtre, puis celle d’Hello, il s’est converti une seconde fois, et cette conversion sera définitive. Il va désormais traverser la vie avec, au poing, l’épée du Jugement dernier.

En 1882, la série d’articles qu’il donne au Figaro s’intitule : Propos d’un entrepreneur de démolitions. Avec son épaisse moustache, ses yeux exorbités, ses grosses chaussures à clous, ses larges mains pataudes, sa silhouette est presque patibulaire. Il a déjà une réputation de trouble-fête solidement établie. Cela lui plaît. Son intention est d’apparaître en prolétaire, en véritable clochard au milieu des cercles mondains. Il est pauvre. Il vit de mendicité. Gare à qui lui refuse une charité qu’il estime son dû ! Il se fâchera ainsi avec presque tous ses amis, qu’il traînera dans la boue, comme Paul Bourget, à qui il reprochera d’être devenu « le psychologue des dames ». Il invective l’abbé Bethléem, grand inquisiteur de la littérature, dont l’œuvre dit-il est « une extraordinaire crue de bêtise ».

L’année 1884 verra paraître son premier livre : Le Révélateur du globe. Léon Bloy a trente-huit ans. Il vient de fonder « Le Pal », « pamphlet hebdomadaire » dont l’existence sera courte. Il compose Le Désespéré. Le Révélateur du globe est un essai, une sorte de poème en prose dédié à Christophe Colomb. Le navigateur y est décrit comme celui auquel non seulement « les flots mobiles et pleins de rumeurs » obéissent, mais aussi comme l’homme qui a mission de commander à l’humanité dont il est le seul à avoir pris la mesure. Colomb n’est pas un pilleur de terres ni de peuples, mais un véritable saint, « une colombe unique et choisie, dont il est parlé au Cantique d’amour ».

Avec beaucoup de romantisme, Léon Bloy veut faire pleurer en évoquant le passé, ranimer ce qui n’est plus et replanter les racines des peuples dans leur vrai sol. Pour lui, « glorieuse ou misérable », l’histoire des nations ne peut être éliminée « qu’en s’arrachant le cœur ». C’est un point de vue de poète plus que d’historien.

Avec Le Désespéré, il aborde un autre genre, celui du roman. Il n’écrira que très peu de romans. La plupart de ses ouvrages seront des essais, outre son journal, qu’il tiendra de 1892 à 1917. Sa conception du roman révèle pourtant l’importance qu’il accorda au Désespéré. À ses yeux, ce genre était « babélique et définitif », il contenait toutes les autres formes littéraires, dans une exigence d’unité, de simplification et de centralisation. Le Désespéré est un livre de confidences et de colère, plein de visions apocalyptiques, traversé d’éclairs justiciers. L’ouvrage se vendra très mal, ce qui n’était pas pour amadouer Léon Bloy.

Trois ans après la publication de ce roman, l’éditeur Savine imprimera Un brelan d’excommuniés, et l’auteur rencontrera, chez Coppée, celle qui devait devenir sa femme, Jeanne Molbech, une Danoise qui lui donnera trois enfants. L’année de son mariage, Bloy publie Christophe Colomb devant les taureaux. En 1891, le Mercure de France édite La Chevalière de la mort. L’année suivante, ce sera Le Salut par les Juifs, essai dans lequel l’écrivain revient sur le thème de la pauvreté, sur la malédiction des richesses, et où il tend à démontrer que les Juifs ont crucifié Jésus parce qu’il était pauvre.

Aucun de ses livres n’ayant de succès, Bloy vit avec les siens dans la plus noire misère, déménageant sans cesse, maudissant les commerçants parce qu’ils font trop de bénéfices, et ses bienfaiteurs parce qu’ils ne sont pas assez généreux ou constants. Il écrit sans arrêt, attendant toujours le succès pour le lendemain, toujours déçu, toujours espérant. À Sueur de sang, un recueil de contes noirs, succèdent Léon Bloy devant les cochons (réplique à Christophe Colomb devant les taureaux), La Femme pauvre et Le Mendiant ingrat, qui est le premier tome de son journal.

Ami des ivrognes, des prostituées, des révoltés de tout poil, il s’affiche comme l’ennemi implacable des bourgeois et des capitalistes. Le monde pour lui est partagé en deux : d’un côté, les pouilleux, les affamés, amis de la Vierge Marie et du Christ ; de l’autre, les nantis, livrés corps et âme à Satan. À l’occasion, il nomme ces suppôts de l’enfer : ce sont tous ses anciens amis, tous ceux qui n’ont pas reconnu son génie, les journalistes arrivistes, les prêtres mondains, les rationalistes. Sa dévotion est faite de superstitions qui parfois confinent à l’occultisme. Il joue les prophètes ; il avoue des sentiments racistes ; il se couvre de ridicule.

Mais il vit sa foi. Il est prêt, s’il le faut, à la payer de la folie. Il témoigne, superbement, de l’invisible. Dans ce XIXe siècle finissant, il est le seul à le faire avec cet entêtement brutal, cette lourdeur de paysan et cette violence qui, comme la foudre, fait de terribles ravages. Il a, parfois, sur sa vie, un regard désabusé. « Je pouvais devenir un saint, un thaumaturge, dira-t-il. Je suis devenu un homme de lettres. » Un homme de lettres dont les droits d’auteur sont si dérisoires qu’il devra, en 1899, aller chercher au Danemark, chez les parents de sa femme, de quoi subsister. Ce voyage d’abord l’enchante ; puis, il se lasse d’un pays si propre, d’un peuple si froid, et il supporte mal l’esprit luthérien.

Il rentre en France en 1900, avec un deuxième tome de son journal et divers manuscrits. Harcelé mais non vaincu, il clame son espérance en Dieu, dans Le Sang du pauvre, dans Celle qui pleure, dans Le Vieux de la montagne, dans Les Méditations d’un solitaire. Son cri finit par toucher les cœurs de ceux qui, lassés du scientisme et du matérialisme, cherchent des raisons de vivre : ainsi, le philosophe Jacques Maritain et sa femme, ainsi le géologue Pierre Termier, ainsi van der Meer de Walcheren, dont Bloy sera le parrain. Il sait que la douleur est son lot. Sans en prendre son parti il ne sera jamais un résigné –, il vit de plus en plus dans une perspective eschatologique. Son avant-dernier livre s’intitule : Au seuil de l’Apocalypse. Il est publié en 1916. L’année suivante, paralysé depuis dix mois, Léon Bloy meurt, le 5 novembre.

 

 

Maurice CHAVARDÈS.

 

 

 

« Satan est assis à tous les festins et nous y rassasie d’horreurs au milieu des triomphes. Il est couché dans le fond le plus obscur du lit nuptial. Il ronge et souille tous les sentiments, toutes les espérances, toutes les blancheurs, toutes les virginités et toutes les gloires. »

(Le Révélateur du globe)        

 

 

Œuvres essentielles

 

LE DÉSESPÉRÉ.Sur le ton de la colère et de la satire, l’ouvrage est fait de confidences autobiographiques, de peintures apocalyptiques et vengeresses, avec des digressions éblouissantes sur l’Écriture sainte, la fin du monde, la pauvreté, l’art sacré, la douleur.

LE SALUT PAR LES JUIFS. – Sous la forme d’un poème en prose, cet essai montre que les Juifs perfides qui ont condamné Jésus parce qu’il était pauvre et qui continuent à le crucifier tous les jours par amour de l’argent, sont les aïeux des Juifs de la fin du monde, dont la conversion sauvera l’humanité.

SUEUR DE SANG. – Ces contes sont faits du souvenir de la guerre de 1870. Tragiques, violemment réalistes, ils ont l’allure d’une prophétie et le sens d’une condamnation de la guerre moderne, dont l’absurdité s’évalue en cadavres, en sang, en incendies et en révoltes inutiles.

LA FEMME PAUVRE. Fait d’éléments autobiographiques et pris pour une part dans la réalité de l’époque, ce roman est essentiellement une œuvre de visionnaire dans laquelle l’auteur a voulu incarner l’idée qu’il se faisait de la femme en un personnage Clotilde qui s’élève ici au rang de symbole.

LE MENDIANT INGRAT. Couvrant les années 1892-1895, durant lesquelles l’auteur se marie, perd ses deux fils, va de logis en logis et vit surtout de charité, ce journal contient des pages déchirantes qui appartiennent autant au pamphlet qu’à la méditation religieuse et mêlent l’envolée mystique à la plus âpre revendication.

 

 

Études sur Léon Bloy

 

BÉGUIN (Albert), Léon Bloy l’impatient, Librairie de l’Université de Fribourg.

CATTAUI (Georges), Léon Bloy, Paris, Éditions universitaires (coll. « Classiques du XXe siècle »).

STEINMANN (Jean), Léon Bloy, Paris, Éditions du Cerf.

 

 

Biographie

 

1846   Naissance, le 11 juillet, près de Périgueux (Dordogne).

1847   Sa mère le « voue » à la Sainte Vierge.

1853   Études primaires chez les Frères des écoles chrétiennes.

1859   Études inachevées au Lycée de Périgueux.

1864   À Paris, à la Compagnie des chemins de fer d’Orléans.

1866   Rencontre avec Barbey d’Aurevilly.

1870   Engagé dans les Gardes mobiles. Guerre.

1873   Paris : salons et cafés littéraires. Amitié de François Coppée, de Paul Verlaine, de Rollinat, de Richepin et de Bourget.

1874   Fréquentation des « Hydropathes » et du « Chat noir ».

1877   Rencontre avec l’abbé Tardif de Moidrey. Liaison avec Anne-Marie Roulé.

1880   Conversion. Maladie mentale d’Anne-Marie Roulé.

1882   Collaboration au Figaro.

1884   Premier numéro du « Pal ». Composition du Désespéré. Rencontre avec Berthe Dumont.

1885   Installation à Fontenay-aux-Roses.

1889   Rencontre, chez François Coppée, de Jeanne Molbech.

1890   Mariage avec Jeanne Molbech. Premier et rapide voyage au Danemark. Publication de Christophe Colomb devant les taureaux.

1891   Installation rue Dombasle. « Le Mercure de France » publie La Chevalière de la mort.

1892   Déménagement rue Blomet. Publication du Salut par les Juifs.

1893   Installation à Antony. Publication de Sueur de sang, chez Crès.

1894   Déménagement rue d’Alésia. Publication de Léon Bloy devant les cochons et des Histoires désobligeantes.

1895   Installation à Montrouge, impasse Cœur-de-Vey.

1897   Publication de La Femme pauvre.

1898   Publication du Mendiant ingrat.

1899   Séjour au Danemark.

1900   Retour en France.

1902   Publication de L’Exégèse des lieux communs,

1903   Publication des Dernières Colonnes de l’Église.

1905   Lettre de Jacques et Raïssa Maritain. Publication Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne.

1906   Baptême de Jacques et Raïssa Maritain (Léon Bloy est leur parrain). Rencontre avec le géologue Pierre Termier.

1908   Publication de L’Invendable et de Celle qui pleure.

1909   Publication du Sang du pauvre.

1911   Publication du Vieux de la montagne.

1912   Baptême de Pierre van der Meer de Walcheren, de sa femme et de son fils (avec pour parrain Léon Bloy). Publication de L’Âme de Napoléon.

1914   Publication du Pèlerin de l’absolu, et de Jeanne d’Arc et l’Allemagne.

1916   Publication de Au seuil de l’Apocalypse.

1917   En janvier, attaque de paralysie. Publication des Méditations d’un solitaire en 1916. Mort le 3 novembre 1917.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Romans et contes.

 

Le Désespéré, Paris, Stock, 1886.

La Chevalière de la mort, Paris, Mercure de France, 1891.

Sueur de sang, Paris, Crès, 1893.

La Femme pauvre, Paris, Mercure de France, 1897.

 

Essais.

 

Le Révélateur du globe, Paris, Santon, 1884.

Propos d’un entrepreneur de démolitions, Paris, Tresse, 1884.

Un brelan d’excommuniés, Paris, A. Savine, 1889.

Christophe Colomb devant les taureaux, Paris, À. Savine, 1890.

Le Salut par les Juifs, Paris, Mercure de France, 1892.

Léon Bloy devant les cochons, Paris, Chamuel, 1894.

Exégèse des lieux communs, Paris, Mercure de France, 1902.

Les Dernières Colonnes de l’Église, Paris, Mercure de France, 1903.

Celle qui pleure, Paris, Mercure de France, 1908.

Le Sang du pauvre, Paris, Mercure de France, 1909.

L’Âme de Napoléon, Paris, Mercure de France, 1912.

Jeanne d’Arc et l’Allemagne, Paris, Crès, 1914.

Méditations d’un solitaire en 1916, Paris, Mercure de France, 1917.

 

Œuvres complètes.

 

Œuvres de Léon Bloy. 5 volumes parus. Édition établie par Joseph Bollery et Jacques Petit, Paris, Mercure de France, 1964, 1965, 1966.

 

Journal.

 

Le Mendiant ingrat (1892-1895), Paris, Mercure de France, 1898.

Mon journal (1896-1900), Paris, Mercure de France, 1904.

Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne (1900-1904), Paris, Mercure de France, 1905.

L’Invendable (1904-1907), Paris, Mercure de France, 1908.

Le Vieux de la montagne (1907-1910), Paris, Mercure de France, 1911.

Le Pèlerin de l’absolu (1910-1912), Paris, Mercure de France, 1914.

Au seuil de l’Apocalypse (1913-1915), Paris, Mercure de France, 1916.

La Porte des humbles (1915-1917), Paris, Mercure de France, 1920.

 

Correspondance.

 

Lettres à sa fiancée, Paris, Stock, 1922.

Lettres à Georges Landry, Paris, Desclée, 1926.

Lettres à Pierre Termier, Paris, Stock, 1927.

Lettres à Véronique, Paris, Desclée, 1936.

Lettres à Louis Montchal, Paris, Bernouard, 1947.

Lettres à Henry de Groux, Paris, Grasset, 1947.

Lettres intimes à sa femme et à ses filles, Paris, Marcel Astruc, 1952.

 

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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