Antoine de Saint-Exupéry

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Maurice CHAVARDÈS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Né à Lyon, le 29 juin 1900, Antoine de Saint-Exupéry était d’ascendance limousine (par son père) et provençale (par sa mère). Orphelin de père à quatre ans, il eut une enfance préservée et campagnarde : une enfance de poète dont les jeux étaient chevaleresques, les goûts déjà techniques et l’ambition très orientée. À douze ans, il monte dans l’avion de Védrines. Bachelier, il échoue au concours d’entrée à l’École navale. Soldat, il est affecté au 2e régiment d’aviation à Strasbourg. Pilote, enfin, il a trouvé sa voie. Mais il en a deux, en fait. La seconde, c’est le besoin d’écrire.

Partagé entre l’action et le rêve, sa brève vie ira droit au but, à la recherche de l’absolu. Les vols de ligne et le sauvetage des aviateurs tombés en dissidence, dans le Rio de Oro, formeront la matière de son premier livre : Courrier Sud. On y découvre un prosateur assuré, sans recherche, un penseur grave, un créateur de personnages sans complaisance. L’auteur vise haut. Son second livre, Vol de nuit, est tout aussi exigeant. Rivière, le « patron » des pilotes, y résume par une phrase lapidaire sa conception de l’héroïsme : « L’intérêt général est formé des intérêts particuliers ; il ne justifie rien de plus. » Ce qui, pour le romancier, ne revient pas à dire qu’il n’y a rien qui dépasse la condition humaine, mais que la dignité de l’homme est fondée sur ce qu’il assume, non sur ce qu’il refuse.

S’il y a des choix, chacun sera juge de sa route. Pour Saint-Exupéry, peu de questions se sont posées dans les débuts. Il était à sa place, dans une société dont il ne contestait pas les lois, dans un univers sans problèmes métaphysiques. Plus tard, avec la quarantaine, naîtront les questions. À trente et un ans, il justifie l’action par la vocation. La sienne, bien que double, est droite et nette. Si c’était nécessaire, le Prix Fémina attribué à Vol de nuit le confirmerait dans la voie de l’écriture. En fait, la notoriété gêne sa carrière de pilote. Il cède aux sollicitations du milieu littéraire.

C’est peut-être une façon de s’évader. Ce n’est pas celle dont il rêvait, enfant, lorsque l’important, c’était de « fuir ». Un jour, songeait-il alors, nous marcherions vers le nord ou le sud, ou bien en nous-mêmes, à la recherche du « petit diamant dur ». Il saluera, en tête de Terre des hommes, la « ville la plus au sud du monde, permise par le hasard d’un peu de boue, entre les laves originelles et les glaces australes ». La quête qu’il propose est une quête spirituelle. Si l’homme travaille pour les seuls biens matériels, il construit sa propre prison, il s’enferme seul avec « sa monnaie de cendres ».

Saint-Exupéry met donc en valeur la civilisation qui, selon lui, exhausse l’individu. Il se défend d’admirer les hommes, estimant que ce qui est admirable, c’est le terrain qui les a fondés. Est-ce à dire que tout est donné à tous ? Il ne le pense pas. Le trésor de la civilisation est inégalement réparti. Il constatera de ses propres yeux, en Espagne (où, durant la guerre civile, il va faire plusieurs reportages), que, parfois, les plus médiocres confisquent le trésor dont ceux qu’ils dépouillent ainsi profiteraient sûrement mieux.

Après l’armistice de 1940, le gouvernement espagnol, qui n’a pas goûté ses articles, lui refuse l’entrée du territoire. Il gagne le Portugal, d’où il partira pour New York. C’est là qu’il écrit Pilote de guerre, à partir de ce qu’il a vu sur le front, en 1940, L’ouvrage aura en Amérique un grand retentissement. L’édition française sera interdite en métropole. Les quelques exemplaires qui circuleront en France et en Allemagne auront été imprimés clandestinement. Profession de foi, le livre est celui d’un aviateur et d’un guerrier. D’un guerrier et d’un aviateur qui voient le péril et la mort en poète, avec beaucoup de tendresse, et pour qui l’homme n’a de permanence qu’en tant que dépositaire des valeurs de la civilisation.

L’individu n’est qu’un grain de poussière s’il n’est relié aux millions de grains qui forment l’espèce. La masse n’est pas plus que l’individu si elle n’est pas organisée. Seule la communauté humaine a un sens, une transcendance ; seule elle est comme une cathédrale image qu’affectionne Saint-Exupéry une cathédrale « transcendante aux pierres » qui la forment, grâce à quoi l’amas de pierres est une œuvre, un poème minéral.

L’exilé de New York étouffe vite dans le milieu des émigrés dont il fait partie. Le souvenir de la France est fiché dans son cœur comme une flèche. De cette humiliation et du besoin de retrouver ses semblables un ami, dira-t-il, « comme un sommet l’on respire » est née La Lettre à un otage, publiée en 1942. La finalité de la création lui apparaît dans une perspective qui relie celle de Malraux à celle de Teilhard de Chardin. D’une « pâte d’étoiles », d’une lave en fusion, l’homme ne s’est-il pas élevé jusqu’à « composer des cantates et peser des voies lactées » ?

La méditation qu’il prolonge sur la grandeur humaine, Saint-Exupéry ne va pas jusqu’à y engloutir la souffrance de ses limites et la peur d’être incompris. Il a en effet perdu ses belles certitudes d’antan ; l’angoisse creuse son gouffre en lui. À travers la fiction, il l’avoue dans Le Petit Prince, publié deux mois après La Lettre à un otage, alors qu’il a gagné l’Afrique du Nord où il espère reprendre du service comme pilote. « On est un peu seul dans le désert », reconnaît-il. Tout le livre déborde d’une mélancolie dont le Petit Prince sait qu’il ne se délivrera plus : c’est pourquoi il choisit la mort...

Tout en travaillant à Citadelle, qu’il envisage comme une somme, et dont il ignore qu’il ne la mènera pas au bout dans la perfection qu’il ambitionne, Saint-Exupéry accomplit quelques vols de reconnaissance sur le Midi de la France. Il sait que ses supérieurs s’apprêtent à lui interdire ces missions (il a dépassé la limite d’âge, qui est de trente-cinq ans) et il se croit atteint d’un cancer. Son pessimisme se fait jour dans les phrases du long roman. La Vérité ne lui apparaît plus avec l’éclat qu’elle avait durant les années heureuses.

Il se persuade que le monde va au chaos, que la vie tend vers les états les moins ordonnés, les plus informes, et que, s’il y a encore un salut pour l’homme, il est dans le langage, dans la communication, la participation. Mais le problème du langage lui-même demeure entier ; car, fondé sur la logique, il cesse d’être créateur : la création commence là où la logique échoue. Comment sortir de la contradiction ? Faut-il d’ailleurs en sortir ? La contradiction est le signe de la liberté. Une pensée qui croîtrait comme une herbe que n’équilibrerait « nul ennemi » deviendrait mensonge et dévorerait le monde.

Citadelle qui ne sera publié que quatre ans après la mort de l’auteur offre une vision désabusée de l’homme devenu partout semblable à lui-même, dépersonnalisé, couché sur sa litière sous sa mangeoire, persuadé de sa liberté parce qu’il n’éprouve plus le besoin de franchir se limites. La masse est incohérente, répète Saint-Exupéry. Pour la fouailler, pour tirer d’elle des gémissements, à défaut de prières, faut-il lui souhaiter un tyran ?

C’est plein de ces questions et d’une amertume dont les accents sont de plus en plus désespérés que l’écrivain-pilote accomplit sur Grenoble et Annecy, le 31 juillet 1944, sa huitième et dernière mission celle d’où il ne devait pas revenir.

 

 

Maurice CHAVARDÈS.

 

 

 

« J’étais berger, tabernacle de leurs cantiques et dépositaire de leurs destinées, maître de leurs biens et de leurs vies, et cependant plus pauvre qu’eux et plus humble dans mon orgueil qui ne se laissait pas fléchir. »

(Saint-Exupéry, Citadelle.)      

 

 

Œuvres essentielles

 

VOL DE NUIT. Dans le cadre d’une compagnie aérienne argentine, à l’époque des premiers vols de nuit, se pose pour le responsable le problème de l’entreprise dévoreuse d’hommes et du dépassement individuel justifié au nom de l’espèce.

TERRE DES HOMMES. Les huit chapitres de ce livre sont autant de coups de sonde à travers le monde des hommes. Par-delà l’anecdote, l’auteur dégage le sens de la solidarité humaine et la nécessité de l’enracinement par l’outil et le métier.

PILOTE DE GUERRE. – Sur le front français, en juin 1940, l’auteur accomplit une « mission sacrifiée », persuadé qu’il respecte un rite vidé de son contenu. Mais la guerre moderne est absurde. L’homme ne croit plus aux rites et il a perdu le respect de ses semblables que la civilisation chrétienne avait jusqu’alors préservé.

LE PETIT PRINCE. – À travers la fable, l’ouvrage développe une morale à la fois désabusée et bienveillante. L’homme sans idéal a vidé le ciel et fait de la terre un désert pour le cœur. Il a oublié que les choses les plus simples sont les meilleures et que rien n’enrichit plus que de donner aux autres.

CITADELLE. Coupée d’apologues et de paraboles d’allure biblique, la méditation de Saint-Exupéry, partie du thème de la demeure, s’élève jusqu’au sommet de la pyramide sociale. Le sens du sacré dit le prince berbère autour duquel s’ordonne le livre peut seul relier l’homme à son destin, qui doit être fait de surpassement et d’échange.

 

 

Études sur Antoine de Saint-Exupéry

 

ALBÉRÈS (R.-M.), Saint-Exupéry, Paris, La Nouvelle Édition.

CHEVRIER (Pierre), Saint-Exupéry, Paris, Gallimard (coll. « La Bibliothèque idéale »).

ESTANG (Luc), Saint-Exupéry par lui-même, Paris, Le Seuil (coll. « Écrivains de toujours »).

IBERT (J.-CL), Saint-Exupéry, Paris, Éditions universitaires (coll. « Classiques du XXe siècle »).

 

 

Biographie

 

1900   Naissance, à Lyon, le 29 juin.

1904   Mort du père. Séjours dans l’Ain et le Var.

1909   Études au Collège Sainte-Croix du Mans, chez les jésuites. Progrès moyens, efforts irréguliers.

1912   Baptême de l’air dans l’avion de Védrines.

1914   Études au Collège de Montgré, à Villefranche-sur-Rhône, puis chez les marianistes de Fribourg, au Collège Saint-Jean.

1917   Baccalauréat. En octobre, à l’École Bossuet, pour y préparer l’entrée à Navale.

1919   Échec au concours de Navale. Entrée aux Beaux-Arts, à Paris, pour y étudier l’architecture.

1921   Service militaire (affecté à l’atelier de réparations du 2e régiment d’aviation, à Strasbourg).

1922   Détaché à la base d’Istres (élève pilote). En octobre, attaché au Bourget (groupe de chasse du 33e régiment d’aviation).

1923   Accident d’avion (fracture du crâne).

1924   Ouvrier aux usines Saurer, puis représentant de cette entreprise, ce qui lui permet d’écrire et de rêver.

1925   Rencontre de Jean Prévost.

1926   Publication d’une nouvelle dans « Le Navire d’argent », revue dirigée par Jean Prévost. Entre à la Compagnie aérienne française pour y donner des baptêmes de l’air.

1927   Engagé par la Compagnie générale d’aéronautique de Toulouse (courriers de Toulouse à Casablanca). Chef d’aéroplace dans le Rio de Oro, à Cap Juby, les Maures sont entrés en dissidence.

1928   Sauvetage du pilote Riguelle, du lieutenant espagnol Vallejo, du pilote Vidal et de son interprète maure, tombés en dissidence.

1929   Retour en France, et achèvement de Courrier Sud, accepté par les Édit. Gallimard. Nommé directeur de l’Aeroposta Argentina, à Buenos-Aires, création de la ligne de Patagonie et de la base de Bahia-Blanca.

1930   Parution de Courrier Sud. Composition de Vol de nuit. Sauvetage de Guillaumet, dans les Andes. Rencontre de Consuelo Suncin.

1931   En France, rencontre d’André Gide. Mariage avec Consuelo Suncin. Publication de Vol de nuit, qui obtient le Prix Fémina.

1932   Après un congé, reprise du service (liaison Marignane-Alger). Rédaction d’un scénario : Anne-Marie.

1933   Accident sur hydravion.

1934   Au service de la propagande à Air-France. Mission à Saigon. Adaptation de Courrier Sud pour l’écran.

1935   Reportage à Moscou, pour Paris-Soir. Conférences à Casablanca, Alger, Tunis, Tripoli, Benghazi, Le Caire, Alexandrie.

1936   Accident d’avion dans le désert de Lybie, avec Prévôt. Reportage pour L’Intransigeant à Barcelone et sur le front de Lerida.

1937   Établit la liaison Casablanca-Dakar. Reportage en Espagne, sur le front de Carabancel, pour Paris-Soir. Voyage à Berlin.

1938   Accident très grave au Guatemala. Durant la convalescence, composition de Terre des hommes et des premiers brouillons de Citadelle.

1939   Publication de Terre des hommes, qui obtient le Grand Prix du roman de l’Académie française. Mobilisé le 4 septembre et affecté après beaucoup de démarches, au groupe 2/33 de grande reconnaissance. Mission sur Arras, évacuation sur Bordeaux, départ pour Alger, retour en France, passage au Portugal, envol pour New York.

1941   Rédaction de Pilote de guerre.

1942   Publication de Pilote de guerre à New York, en anglais. Rédaction du Petit Prince.

1943   Publication de La Lettre à un otage. Parution du Petit Prince. Départ pour l’Afrique du Nord. Première mission sur la France. Rédaction de Citadelle.

1944   En Sardaigne, à la 31e escadre de bombardement. Retour en Afrique du Nord, puis de nouveau en Sardaigne. Nouvelle mission. Transféré en Corse. Nouvelles missions, avant l’interdiction de voler (limite d’âge). Le 31 juillet, part pour la huitième et dernière mission, sur les Alpes françaises, d’où il ne revient pas.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Romans.

 

Courrier Sud, Paris, Gallimard, 1930.

Vol de nuit, Paris, Gallimard, 1931.

Terre des hommes, Paris, Gallimard, 1939.

Pilote de guerre, Paris, Gallimard, 1942.

Citadelle, Paris, Gallimard, 1948.

 

Essais.

 

Lettre à un otage, Alger, L’Arche, 1944.

Carnets, Paris, Gallimard, 1953.

 

Mélanges.

 

Un sens à la vie, Paris, Gallimard, 1956.

 

Correspondance.

 

Lettres de jeunesse, Paris, Gallimard, 1953.

Lettres à l’amie inventée, Paris, Plon, 1953.

Lettres à sa mère, Paris, Gallimard, 1955.

 

Conte.

 

Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1945.

 

Œuvres. La Pléiade, Paris, Gallimard, 1953.

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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