L’athéisme

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Charles-François CHEVÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sentinelles d’avant-garde, c’est à nous de signaler l’approche de l’ennemi. Nous l’avons fait sans exagération, mais sans vaine crainte, et nous continuerons à le faire, car le péril est immense.

À la suite de nos évêques, dont l’un des plus éminents publiait l’Athéisme et le péril social, nous avons dénoncé l’invasion de plus en plus formidable de l’athéisme et du matérialisme dans la société moderne.

Nous avons montré cet athéisme enseigné jusque dans les chaires de l’enseignement supérieur et par des professeurs de l’État, dans le sein de nos Facultés. De là notre pétition au sénat.

Nous l’avons montré embrassant le monde entier dans cette immense organisation, qui est l’un de ses plus puissants foyers, la franc-maçonnerie.

Nous l’avons montré se propageant partout avec une effroyable activité, ayant dans la presse d’innombrables organes, et d’autres publications, brochures et écrits divers plus innombrables encore.

Nous l’avons montré bravant les tribunaux et la justice, comme la science et l’enseignement des Facultés, en refusant audacieusement le serment parce que le nom de Dieu s’y trouve invoqué et en demandant déjà, en Belgique et en Allemagne, aux lois, et aux constitutions elles-mêmes, de sanctionner ses blasphèmes.

Nous l’avons montré faisant pénétrer ses effroyables négations jusque dans le sanctuaire de la vie privée et de la conscience humaine, s’organisant en France, en Belgique, en Allemagne, en Italie et ailleurs, en associations de solidaires pour chasser toute consécration divine, toute onction religieuse, toute prière bénie du berceau de l’enfant, de l’hymen des époux, du lit des mourants et de la tombe où reposent ceux que nous avons aimés.

Nous l’avons montré se dissimulant sous tous les masques, se glissant sous toutes les formes : ici morale indépendante, là profanation et blasphème audacieux, mais toujours et partout découronnant l’homme de toute auréole divine, lui arrachant toute la grandeur, toute la majesté de sa vie, niant l’âme humaine, son origine, sa fin éternelle, et ne nous laissant plus que la destinée de la bête, avec le singe pour aïeul et la putréfaction du sépulcre pour immortalité.

Jamais depuis le premier jour du monde pareil spectacle ne s’était offert aux yeux épouvantés de l’humanité ! Jamais négation de Dieu, de l’âme humaine et partant de la raison et de la liberté ne s’était produite ainsi, en pleine civilisation, comme un fait social, comme un droit politique, et réclamant, non pas simplement la tolérance, mais la direction morale et intellectuelle des sociétés et du genre humain !

En présence de ce fait sans précédent et sans exemple dans les annales du monde, le devoir des catholiques est tout tracé. Ils ne doivent pas perdre un seul instant pour opposer une digue infranchissable au débordement de ce nouveau déluge et pour organiser une croisade du dix-neuvième siècle contre cette nouvelle invasion de barbares mille fois plus à redouter que les hordes farouches d’Attila, de Tamerlan et de Gengis-Khan. Ils doivent en appeler à tout ce qui a conservé une croyance, une raison, un cœur, une âme d’homme, non seulement aux membres de toutes les communions chrétiennes ou juives, mais même aux philosophes spiritualistes, afin que tous se ralliant et se groupant pour la conservation des traditions universelles de l’humanité, cette innombrable armée soit l’arche vivante qui sauve au moins du cataclysme qui nous menace, la raison et la liberté humaines, la foi en Dieu et en l’immortalité de l’âme.

Pour nous qui, sûrs des destinées impérissables de l’Église, n’avons à craindre pour elle aucun naufrage, nous n’en pouvons dire autant de la destinée des sociétés humaines lorsque celles-ci sont atteintes de ce cancer de l’athéisme et du matérialisme qui dévore leurs entrailles. Les puissants royaumes de l’Orient et de l’Asie antiques ont disparu ; l’empire romain s’est écroulé ; là où vivaient les nations les plus florissantes, il n’y a plus que le sable du désert, les générations écoulées ayant emporté jusqu’à la cendre qui couvrait le sol ; et l’on voudrait que l’athéisme, ce choléra-morbus de l’intelligence humaine, laissât debout des sociétés dont il aurait rongé jusqu’aux dernières fibres ! Non, non, cela est impossible. Qui embrasse la mort, la féconde de son souffle et étend sur la terre son empire.

Du reste, le mal qui nous dévore fait d’incessants progrès. Citons-en, entre mille, quelques récents symptômes.

Prochainement s’ouvrira à Paris la nouvelle session de l’Assemblée législative du Grand-Orient de France, et une correspondance, publiée par le Progrès de Lyon, fait pressentir qu’on y proclamera l’athéisme en effaçant des constitutions maçonniques la notion du « grand Architecte de l’univers ». On espère en outre que la franc-maçonnerie « sera reconnue comme établissement d’utilité publique », sans doute à cause de cette profession d’athéisme !

Nous reproduisons plus loin une lettre déjà livrée à la publicité et relatant des faits de vandalisme qui ont eu lieu à Corbas, dans le département de l’Isère, et qui sont d’une telle nature qu’ils rappellent les jours les plus néfastes de la Révolution. Des hommes, munis de piques et de cordes, et ayant à leur tête le maire et le garde champêtre, ont assiégé une église pendant qu’on y célébrait une messe mortuaire, l’ont envahie, démolie, pillée, saccagée, en criant : « À bas les églises ! À bas les prêtres ! Vive 93 ! » Ils ont outragé le saint Sacrement et brisé le confessionnal, les chemins de croix et un Christ auquel ils ont adressé ces abominables blasphèmes : « Parle donc, bon Dieu ! Défends-toi donc ! Tu ne dis rien ! » Voilà ce qui se passe à cette heure en France.

En Italie, c’est un général de l’armée régulière, soldé par l’État, qui, dans la personne de M. Beales, le chef de la ligue réformiste anglaise, adresse aux ouvriers de Londres une lettre que publie l’Avanguardia et dont nous nous bornons à citer les passages suivants :

 

 

Castelletti.

 

      Mon cher Beales,

 

Passons vite, et sur la pointe du pied, sur CE MONCEAU DE BOUE ET DE SANG QUE L’ON APPELLE LA PAPAUTÉ.

J’ai tâché d’inculquer à notre population, en guise de catéchisme, ces paroles de l’illustre Guerrazzi ; aujourd’hui j’y joins les vôtres, qui sont magnifiques et vraies :

Promouvoir par tous les moyens possibles la chute de la papauté antichrétienne, pire que le Coran.

En avant, prêtre du droit et de la vérité, nous vous suivrons dans cette très sainte croisade contre l’obscurantisme et la tyrannie.

À votre exemple, nous inviterons toutes les sociétés d’artisans et d’ouvriers d’Italie à former le faisceau, à se serrer (aujourd’hui à Florence, demain à Rome) autour de la fraternité des artisans, présidée par G. Dolfi...

Sachent une bonne fois les peuples que s’ils le veulent, bien unis, ils peuvent renverser à jamais dans la poussière le sacerdoce de l’ignorance et le despotisme, qui ont jusqu’ici empêché les races humaines de fraterniser...

 

G. GARIBALDI.

 

 

Dans une autre lettre adressée au docteur Foldi, de Milan, Garibaldi se plaint que le peuple en Italie ne soit pas à la hauteur des working-men anglais :

« On connaît, dit-il, LES NÉCROMANCIENS DE ROME pour les plus implacables ennemis de l’Italie ; le gouvernement en empeste tout le territoire italien (allusion au retour des évêques), et il ne se trouve pas une seule ville qui proteste contre ce cadeau dégradant. »

Et le général d’une armée régulière qui écrit de telles lettres a lui-même sous ses ordres une armée révolutionnaire destinée à attaquer Rome, dont les cadres sont formés par les émigrés romains, et qui est recrutée et soldée par un emprunt émis publiquement ; il dirige en outre toutes les sociétés ouvrières de l’Italie réunies à la grande association de Florence fondée par Mazzini. Enfin, son organe, l’Avanguardia, explique à ces sociétés d’ouvriers que leur union a pour but de « les former en phalange compacte afin qu’elles puissent disposer d’une force toute-puissante » pour écraser « les catholiques, qui, n’ayant pour eux ni la tradition, ni le droit, sont néanmoins parvenus à former cette vaste chaîne qui a dominé pendant des siècles des millions de consciences humaines, et dont les derniers anneaux résistent encore... »

Ainsi la conjuration de l’athéisme et du matérialisme contre le christianisme, la société, la raison, la liberté humaines et toute croyance, toute morale, a son armée organisée, ses généraux officiels et son budget, comme elle a aussi son association universelle, la franc-maçonnerie, ses associations de solidaires, d’ouvriers, de propagande et d’action, ses chaires dans les Facultés et dans toutes les branches de l’enseignement, ses innombrables écrits et publications de tous genres, ses débats devant les tribunaux et au besoin ses sicaires comme sa « ligue de sang » (lega di sangue), qui, à Ancône, en 1849, était composée de cinquante maîtres en assassinat et que dut réprimer la commission envoyée de Rome par Mazzini lui-même et dont faisait partie Félix Orsini, de sanglante mémoire.

Cette sinistre conjuration produit partout ses fruits de mort, et Georges Kocsi, jeune étudiant hongrois qui vient de se suicider à Pesth, déclare, dans une lettre écrite à son dernier moment, qu’il se tue « parce qu’il n’a pas de religion et qu’il n’a jamais cru en Dieu ». Il ajoute : « La cause très simple de mon suicide est que je suis las de la vie et que JE HAIS LE GENRE HUMAIN. »

Le suicide avec l’assassinat, la haine du genre humain avec la haine de Dieu, voilà donc l’horrible résultat de ces doctrines d’athéisme ! Si la société tout entière ne se lève pour les anéantir ; si tout ce qui a un cœur et une âme d’homme ne se ligue pour en faire disparaître jusqu’aux derniers vestiges, malheur à nous, malheur à la société, malheur à tous ! Il n’est point de catastrophe si épouvantable qu’on ne doive redouter ; point d’abîme si profond qui ne se trouve au bout de cette pente sur laquelle nous laissons glisser, avec une rapidité vertigineuse, des populations ignorantes et fanatisées !

 

 

 

Charles-François CHEVÉ.

 

Paru dans L’Écho de la France

en 1868.

 

 

 

 

 

 

 

 

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