Une controverse... controversée

 

Jean DUMONT, La vraie controverse de Valladolid, Éditions Critérion, 1995.

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Yves CHIRON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que la controverse de Valladolid ? Une espèce de tribunal-conseil réuni par Charles Quint en 1550 pour savoir à quelles conditions la colonisation espagnole pouvait être prolongée en Amérique, sans danger pour le salut éternel du prince. Un chose inouïe : l’empereur ordonna l’arrêt de toute conquête dans le Nouveau Monde jusqu’à ce qu’il fût sûr en conscience. Ce tribunal comptait quinze membres. Les deux principaux protagonistes seront le fameux dominicain Las Casas et le docteur Sepulveda. Le premier soutient que les Indiens sont de « bons sauvages » à la Rousseau naturellement vertueux, tandis que tous les Espagnols sont de monstrueux criminels. Son but : plus de présence espagnole, restitution du pouvoir aux anciens maîtres, Aztèques et Incas... L’autre soutient la nécessité d’une « dotation de civilisation » sans laquelle la prédication de l’Évangile reste lettre morte.

Qu’arrive-t-il à Charles Quint ? Au fond, il est malade et découragé, et il serait presque content d’être libéré du fardeau américain. Le fardeau de l’empire d’Allemagne est énorme, la guerre est partout, les finances en mauvais état. Car, contrairement à la légende, l’or d’Amérique ne coule pas à flots. L’Amérique coûte plus à la couronne qu’elle ne rapporte.

Dumont domine remarquablement son sujet. Il présente l’état des colonies espagnoles, les courants d’opinion parmi les évangélisateurs, principalement dominicains et franciscains, les deux principaux protagonistes du débat. On peut lui reprocher un parti-pris de sympathie injuste pour Las Casas. Quoiqu’il ait l’honnêteté de ne pas cacher les aspects déplaisants du personnage. Car cet homme a tout d’un caractériel. Son audace, sa véhémence enflammée, lui avaient valu un prestige de défenseur de la pureté évangélique. La controverse de Valladolid sera pour lui le chant du cygne. Il ne supporte pas la contradiction, devient délirant au point de soutenir sérieusement que les Indiens rendaient à Dieu un culte méritoire par les sacrifices humains. Ses écrits postérieurs sont d’interminables autojustifications, de plus en plus irréelles. Il mourra en appelant la malédiction de Dieu sur l’Espagne.

Les suites de cette controverse ? L’auteur brosse un tableau vivant et nuancé de la chrétienté américaine dans les deux siècles qui vont suivre. Il fait une remarque originale et qui mérite d’être méditée : jamais on ne vit renaître les massacres tribaux qui ensanglantent aujourd’hui l’Afrique, malgré l’évangélisation. L’état initial était tout à fait semblable en Amérique. D’où vient la différence ? Le livre est une réponse ; il a manqué quelque chose en Afrique, de la part du pouvoir civil. Quelque chose qui n’a pas manqué en Amérique latine.

Le lecteur curieux trouvera un remarquable traité de droit chrétien international, monnayé au fur et à mesure du déroulement de la controverse, et présenté avec compétence et pédagogie.

Et un bel exemple pratique de réalisation concrète dans l’Amérique latine. Ainsi qu’une bonne description pratique de la doctrine catholique sur le devoir de l’État en matière religieuse : pas de droit à la liberté religieuse, mais respect scrupuleux de la liberté de l’acte de foi.

On regrette de faire une critique et même trois :

D’abord le relatif désordre. L’auteur connaît tant de choses, il est tellement pris par son sujet, que la matière surabonde et déborde. C’est le défaut ordinaire des livres de Jean Dumont. Cela demande seulement un peu d’attention à la lecture.

Ensuite la mentalité « Vatican II » : le monde moderne est l’heureux épanouissement dans les droits de l’homme des idées humanitaires chrétiennes.

Enfin une charge inutile contre Christophe Colomb, que Dumont n’aime décidément pas. Sur la foi d’une lettre où l’illustre découvreur préconisait l’esclavage pour couvrir les frais de l’expédition. Lettre si peu conforme à tout ce que nous savons de lui qu’on peut se demander si son authenticité est bien certaine.

Ce n’est pas une raison pour bouder ce livre. D’abord en raison de sa valeur documentaire, ensuite parce que Dumont a l’esprit catholique. Il comprend ce qu’est le droit chrétien, et il ne tombe pas dans le relativisme religieux.

 

 

 

 

Yves CHIRON.

 

Paru dans Fideliter

en janvier-février 1997.

 

 

 

 

 

 

 

 

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