France d’hier et France de demain, c’est la France

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Paul COPIN-ALBANCELLI et Louis DASTÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La France a la haine d’elle-même et elle meurt de ce sentiment contre nature, en exécution de la parole du Christ : Toute maison divisée contre elle-même périra.

Telle est l’observation, la constatation d’importance fondamentale par laquelle sont dominés ceux qui entreprennent la présente publication, pour développer les conséquences des vérités que la Bastille a travaillé durant huit ans à mettre en lumière.

Examinez la situation politique ; tournez, retournez-la dans tous les sens ; vous trouverez au fond de toutes les questions la jalousie, la division, la haine. Et c’est d’autant plus étonnant que notre nation a été formée par une doctrine religieuse qui prescrit l’amour du prochain.

Non seulement nous n’avons pas l’amour du prochain, mais, enfants du même sol, frères par conséquent, nous nous détestons. Bien plus, nous détestons aussi, nous détestons surtout les manières de penser qu’avaient ceux de qui nous sommes nés. Et par une juste condamnation, c’est le mépris que nous avons des conceptions de nos aïeux qui a engendré la haine que nous avons pour nos frères. Personne ne peut nier ce fait, hélas ! parce qu’il éclate partout. Dans toutes ses parties, la France est dressée contre elle-même, et elle se déchire avec une fureur universelle et gigantesque, parce qu’elle est dressée dans la même fureur contre son passé.

En a-t-il toujours été ainsi ? Non. La France d’autrefois ne détestait pas la France qui l’avait précédée. Elle ne se ruait pas férocement contre ce à quoi elle devait la vie.

C’est la Révolution qui a créé cette folie dans les esprits ; la Révolution préparée par un travail intellectuel qui datait de loin.

Qu’on juge le fait révolutionnaire comme on voudra, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, force est de constater que c’est depuis lui qu’il n’existe plus une France au vrai sens du mot, mais des tronçons de France, qui s’agitent comme ceux du serpent et qui sont animés de la volonté de se détruire, eux qui n’existent que comme conséquence d’une destruction. La Révolution n’a pas seulement coupé des dizaines de milliers de têtes dont un si grand nombre étaient innocentes ; elle a coupé la France en morceaux dont chacun a une âme possédée de rage contre les autres.

Nous ne jugeons pas le fait en ce moment ; nous le constatons et nous demandons qui osera le nier. Qui de nous échappe au mal que nous précisons ? Qui n’est convaincu qu’il doit haïr, et combattre, et frapper, et déshonorer, et tuer au besoin telle ou telle catégorie de Français ?

Voilà donc le spectacle de démence que donne notre nation à l’univers. Et, de chez nous, cela gagne ailleurs, alors que, cependant, le Christ auquel ont cru nos aïeux pendant plus de quatorze siècles et auquel croient encore un si grand nombre de Français, ne cesse de nous répéter depuis dix-neuf cents ans : « Aimez-vous ! » Alors aussi que ceux|’qui veulent détruire l’enseignement du Christ remplissent le monde de cet autre cri : Fraternité ! qui n’est qu’un écho du premier !

Aimez-vous ! – Fraternité ! – Nous n’entendons que cela depuis notre plus tendre enfance. Nous le répétons nous-mêmes presque à toute heure. Et, en même temps, par une étrange contradiction, nous sommes agités d’une sorte de danse de Saint-Guy de la haine et de la destruction.

Cela peut-il durer sans que s’ensuive la mort de la France ? Évidemment non. Il faut que les tronçons français soient guéris de leur rage ; il faut qu’ils se recollent ; ou bien la France périra.

Voilà la vérité, d’une évidence éclatante et vraiment dominatrice qui s’impose à la raison de tout observateur capable d’échapper momentanément à la folie générale. C’est celle à laquelle nous devrions sans cesse penser. C’est celle, nous le répétons, qu’ont devant les yeux les fondateurs de la présente publication.

 

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La maladie étant constatée, une question se pose : la guérison, c’est-à-dire le recollement des tronçons est-il possible ?

Il faut l’admettre, ou nous préparer à mourir.

Donc, tout est là : qu’y a-t-il à faire en vue de favoriser le recollement ?

Jusqu’à présent on a généralement considéré que la difficulté serait résolue si l’un des partis en présence absorbait les autres. C’est pourquoi, selon qu’il appartenait à tel ou tel parti, chaque Français a fait effort pour que ce fût celui-là qu’il l’emportât. Mais comme, tout naturellement, les efforts de tous étaient en sens inverse, la guerre entre les partis n’a fait qu’augmenter et, avec elle, la mortelle division.

Voyant cela, certains ont prêché la concorde. Mais quoi ? Prêcher la concorde à des êtres féroces ! À des êtres persuadés que leur férocité est indispensable, qu’elle est sainte ! Quelles espérances peuvent bien être permises à une pareille prédication ?

On s’est débattu inutilement jusqu’ici entre les deux conceptions que nous venons de dire.

Une troisième a cependant été proposée. Mais elle n’est pas encore admise, bien qu’elle soit absolument logique. La voici.

Si les partis, si les tronçons existent, c’est parce que quelqu’un a donné les coups de hache nécessaires pour cela et continue à en donner d’autres pour les sectionner encore davantage. Si ces tronçons se heurtent et se blessent, c’est parce que le même quelqu’un verse sur eux le vitriol sous la brûlure duquel ils se tordent. Alors, est-ce qu’il ne serait pas logique d’essayer de tourner contre celui-là la fureur dont il a animé les partis créés par lui ?

Cela paraît fort simple, en effet. Mais alors une autre question se pose : Quel est cet ennemi ?

Comment, dira-t-on, une pareille interrogation est-elle possible ? Chacun n’a qu’à regarder pour savoir quels sont ses ennemis.

Eh bien ! non. Dans le cas présent, la réponse est incertaine, parce que notre ennemi se cache.

Drumont a dit : notre ennemi, c’est le juif. Nous nous sommes vus dans la nécessité de le répéter après lui ; et cependant nous n’avions pas passé par les mêmes chemins pour arriver à cette constatation.

Mais nous sommes bien obligés de reconnaître qu’un grand nombre de Français ne sont pas encore d’accord avec Drumont et avec nous.

En revanche, il est un point sur lequel l’unanimité tend de plus en plus à se faire. Tout le monde commence à reconnaître que la Révolution qui a divisé la France n’est pas un fait normal.

Elle a été le résultat d’un complot longuement préparé dans l’ombre. De cela les preuves abondent un peu plus tous les jours. Par qui a été ourdi ce complot ?

Les uns disent : par l’esprit et la politique anticatholiques, c’est-à-dire par l’esprit protestant anglais. Les autres remontent plus haut et dénoncent l’esprit antichrétien, c’est-à-dire le juif. Ce peut être ou l’un, ou l’autre, ou les deux. Ce qui est hors de doute, c’est qu’il y a eu un instrument qui, dans la main des uns et des autres, a servi à la préparation et à la réalisation du complot. Cet instrument, c’est la Société secrète, qu’on voit apparaître au XVIIIe siècle sous trois figures bien caractérisées : la Franc-Maçonnerie, le Martinisme et l’Illuminisme, sans compter les ramifications. Supprimez le travail de la Franc-Maçonnerie, du Martinisme et de l’Illuminisme au XVIIIe siècle et vous n’avez pas de Révolution. À la place de celle-ci, vous auriez eu une évolution, appuyée sur la tradition et tendant au progrès, c’est-à-dire quelque chose de conforme aux lois de la vie.

Or, ce qu’a fait la Société secrète pour remplacer l’évolution féconde par la Révolution destructrice, elle continue de le faire pour achever la réalisation du complot en morcelant la France tous les jours davantage. C’est la Société secrète qui répand la haine partout. C’est elle qui fait qu’au lieu de nous battre tous contre l’Ennemi de la France, nous nous battons tous les uns contre les autres, c’est-à-dire, en définitive, contre la France.

 

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Une conséquence nous apparaît comme imposée par ces constatations : c’est que, à côté des œuvres entreprises par d’autres bons Français, il en est une qui s’impose et à laquelle nous voulons nous consacrer. Elle tendra :

1o À généraliser notre lutté contre la Franc-Maçonnerie, en la dirigeant contre toutes les Sociétés secrètes, contre le principe même de la Société secrète, instrument de tous les complots ;

2o À continuer les recherches tendant à montrer quel est le véritable introducteur de la Société secrète dans le monde chrétien, afin de discerner de mieux en mieux le véritable Ennemi ;

3o À nous préoccuper du mal immense déjà accompli par celui-ci, et par conséquent à avoir pour objectif constant de réduire les divisions sur lesquelles il compte pour nous achever.

Réduire les divisions ! Et, par conséquent, nous attaquer à la division fondamentale, à celle qui engendre presque toutes les autres, à la haine du présent contre le passé ! Le présent et le passé, voilà les générateurs de l’avenir. Comment peuvent-ils engendrer, s’ils se haïssent ?

Que sera la France de demain ? Nous l’ignorons. Dieu en décidera et nous l’y aiderons tous, si nous savons faire abnégation de nos préférences personnelles pour vouloir en définitive ce qu’il voudra. Ce que nous savons, parce que cela est conforme aux lois de la nature, c’est que la France de demain ne saurait être ennemie de celle d’hier, pas même lui être étrangère. La France de demain, quelle que soit la forme de gouvernement qu’elle soit amenée à choisir librement, ne peut exister sans une base et cette base ne peut être que la France d’hier, de même que la frondaison d’un arbre ne peut verdir que sur le vieux tronc qui la porte. Nous ne pouvons donc persister dans la haine impie des amours et des croyances de nos pères. Comment le lien sera-t-il établi entre la France de demain et celle d’hier ? Quelle sera la nature de ce lien ? Le verrons-nous conforme à nos préférences ou non ? Nous l’ignorons. Mais ce que nous savons, c’est qu’il faut ou que ce lien existe ou que nous mourions.

C’est donc pour nous une nécessité de savoir aimer notre passé, qui est nous-mêmes en la personne de nos pères.

Il est des vérités qu’il faut faire sentir plus encore qu’il ne faut les faire comprendre. C’est pourquoi nous avons cru nécessaire de remettre constamment sous les yeux de nos lecteurs la nécessité du rapport qui doit exister entre le passé et l’avenir, par ce titre qui rapproche deux termes inséparables : France d’hier et France de demain ; inséparables, parce qu’à eux deux, ils représentent la France.

 

 

COPIN-ALBANCELLI

Louis DASTÉ

 

Paru dans France d’hier et France de demain

le 5 novembre 1910.

 

 

 

 

 

 

 

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