L’intercession mariale 

dans la piété russe

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

J. DANZAS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parler de la piété russe, c’est avant tout parler de la dévotion intense et passionnée que la chrétienté russe a toujours vouée à la Très Sainte Vierge. En Russie, peut-être plus que partout ailleurs, le culte de la Bogoroditza – Mère de Dieu – est le centre, le cœur du sentiment religieux et de la vie chrétienne.

Ceci, on le sait généralement, est l’héritage direct de Byzance, dont la Russie fut la fille spirituelle. Dans l’Orient byzantin, ce terme de Mère de Dieu, – Théotokos, – ne fut pas seulement le mot le plus doux sur des lèvres chrétiennes, – il eut parfois presque la signification d’un cri de guerre dans la grande lutte qui se déroula, au Ve siècle, autour du problème christologique soulevé par Nestorius. Les masses populaires ne comprenaient pas grand-chose aux distinctions subtiles qui passionnaient les théologiens, mais ce qu’elles ressentaient douloureusement, c’est que quelqu’un voulait refuser à la Très Sainte Vierge Marie le titre glorieux de Mère de Dieu, et c’est cela qui souleva les foules contre quiconque osait attenter à la gloire divine de Marie. Depuis lors, ce titre de Théotokos devint par excellence le terme pour désigner la Très Sainte Vierge, le mot sacré le plus cher au peuple de Byzance, et après lui, sous la forme slave de Bogoroditza, au peuple russe aussitôt que la Russie devint chrétienne.

« Très Sainte Mère de Dieu, sauvez-nous ! » C’est l’invocation incessante chantée depuis plus de neuf siècles par l’Église russe ; c’est l’invocation qui monte aux lèvres de tout Russe à tous les moments de la vie. Remarquons la forme de cette invocation. Ce n’est pas, au sens propre, une prière d’intercession ; ce n’est pas le ora pro nobis de l’Église latine. C’est une demande directe de secours à Celle qui peut tout accorder, Celle qui est la Mère non seulement de son divin Fils, mais de toute l’humanité. Le fidèle vient à Elle comme un enfant va à sa mère, avec la même confiance en un amour maternel mystérieusement omnipotent.

Il ne s’agit pas ici de concept théologique, mais de la façon dont le chrétien russe, très peu versé en théologie, conçoit (généralement sans savoir le définir) son culte de la Mère de Dieu. Et pour comprendre la mentalité dont s’inspire ce culte, il faut essayer d’analyser les éléments divers dont il s’est formé.

 

Tout d’abord, il y a l’influence directe de l’admirable hymnologie byzantine, transmise à la Russie en un langage accessible même à l’homme illettré. Tous ces cantiques à Marie d’une incomparable beauté, où les plus grands poètes de Byzance ont déversé des trésors d’exaltation mystique, les Russes les ont reçus dans une superbe version slave et les répètent avec extase depuis des siècles ; ils en sont bercés depuis l’enfance et les ont dans le cœur et aux lèvres au cours de toute leur vie. Ce sont ces cantiques qui viennent illuminer et donner un sens profond à l’invocation « Sainte Mère de Dieu, sauvez-nous ! » que l’enfant russe apprend sur les genoux de sa mère et balbutie sans essayer de la comprendre. L’invocation à la Maternité divine précède le sentiment chrétien conscient : elle n’en est pas la déduction, mais l’inspiratrice. Et sur ces bases déjà posées vient s’édifier le culte ardent exprimé par l’admirable poésie liturgique.

Il faut se souvenir que le culte de la Mère de Dieu avait, à Byzance, l’aspect particulier d’un culte local. L’antique capitale de l’empire d’Orient était placée tout spécialement sous la protection de la Théotokos. C’est là qu’est née l’invocation directe – « Sainte Mère de Dieu, sauvez-nous ! » – parce que c’était l’expression de la confiance inébranlable placée en cette Protectrice céleste au milieu des dangers qui assaillaient presque sans trêve la Ville Impériale. Et c’est ce culte local, plein de ferveur pour cette Patronne vénérée et toute-puissante, que la Russie, dès le début de sa vie chrétienne, apprit à connaître. Transmis comme le don le plus précieux de l’héritage byzantin, il devint pour toute la Russie le culte national. Il n’y avait pas de ville russe sans une grande église dédiée à la Mère de Dieu ; c’était généralement l’église principale, la grande cathédrale dans tous les centres historiques de la vie russe, – à Kiev et Novgorod tout d’abord, plus tard à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg. Par suite de circonstances historiques, la Russie changea plusieurs fois de centre politique, et tout aussitôt le lieu consacré à la Mère de Dieu en devenait le cœur. À Kiev, dans la première grande cathédrale édifiée en Russie, le mur orné d’une grandiose image de la Vierge orante porta toujours le nom de « Mur indestructible », et une légende populaire disait que la Russie vivrait tant que ce « Mur » resterait debout. À Novgorod et à Moscou, la cathédrale principale portait le nom de « Maison de la Mère de Dieu », et par extension toute la Russie moscovite s’appela ainsi. Les armées russes, pendant des siècles, en défendant le territoire toujours menacé par l’ennemi extérieur, défendaient « la Maison de la Mère de Dieu », comme l’indiquait leur cri de guerre. Nous l’avons dit : c’est un culte local étendu à tout un pays, imprégnant toute l’idée de la mère-patrie. Et de même qu’une image de la « Vierge conductrice des armées » (Odighitria) était portée en tête des troupes byzantines, – c’étaient les icônes de la Bogoroditza qui accompagnaient les armées russes, c’est autour d’elles que s’élevaient les actions de grâce après les victoires. Les conquêtes territoriales qui agrandissaient sans cesse l’empire russe étaient comprises comme un agrandissement du patrimoine de la Mère de Dieu.

Sans entrer dans de trop longs détails, mentionnons au moins un trait révélateur de cet aspect du culte marial. Bien avant la conversion de la Russie au christianisme, à l’une des heures graves où Byzance avait invoqué sa Protectrice céleste pour sauver la ville et l’empire menacés par un brusque assaut d’ennemis, on avait cru voir la Théotokos planant sur la ville impériale et la couvrant de son manteau ; la victoire aussitôt remportée avait été considérée comme un miracle, et la commémoration de cette vision protectrice avait été inscrite comme fête mariale au calendrier byzantin. Mais jamais cette fête n’eut à Byzance l’éclat qu’elle eut plus tard en Russie. Cette fête de la Protection de la Très Sainte Mère de Dieu, fixée au 1er octobre, a été et reste pour les Russes l’une des plus grandes fêtes de l’année, fête populaire et nationale, à laquelle étaient dédiées partout d’innombrables églises. C’était bien le jour où tout Russe, chacun à part et le peuple en entier, se sentait joyeusement certain d’être sous la protection toute spéciale de la Mère de l’humanité.

 

 

Cette ferveur si profonde pour la Mère de Dieu a été remarquée par tous ceux qui ont étudié la vie religieuse russe, et l’on s’est parfois demandé si cette ferveur était aussi orthodoxe qu’on voudrait le croire. On s’est posé la question si, tout au fond de ce culte exalté, il n’y avait pas de vagues réminiscences d’un culte païen très ancien et très répandu chez les Slaves, – le culte de la Terre nourricière, mère universelle. Il est certain que ce culte faisait jadis le fond du paganisme slave, peu développé et borné au culte des forces élémentaires de la nature. Il est possible que la notion d’une Mère universelle ait été pour quelque chose dans la formation de la pensée religieuse qui s’imprégna si fortement du culte de la Mère du Christ, Mère de toute l’humanité parce que Mère de l’Homme-Dieu. Nous n’avons pas à nous arrêter ici à ces considérations, car nous savons que toujours et partout on a pu déceler des vestiges de croyances plus anciennes que le christianisme dans la mentalité religieuse populaire ; nous savons que partout le christianisme a précisément transfiguré de vagues intuitions antérieures à la Révélation en les spiritualisant. Comme tous les pays devenus chrétiens, la Russie a eu un passé de brumeuses aspirations que le christianisme est venu illuminer d’une lumière radieuse ; il suffit de le rappeler en passant. Mais ce qui nous intéresse ici davantage, c’est que le christianisme byzantin dont s’imprégna la Russie a pu, à certains égards, influencer la spiritualité russe dans un sens qui a fait prédominer le culte d’une Mère Protectrice presque abstraite de la réalité humaine de Marie.

Expliquons-nous. L’Église d’Orient a eu à soutenir une longue lutte intérieure contre le monophysisme ; elle n’a jamais pu en effacer toutes les traces, surtout dans la spiritualité populaire. Le monophysisme, – faut-il le rappeler ? – considérait le Christ seulement sous son aspect divin, sans pouvoir pleinement admettre la réalité de son incarnation. Pour les monophysites, le Christ était seulement le Logos, le Verbe divin sous une apparence humaine ; ce n’était pas l’Homme-Dieu que l’Église adore en ses deux natures humaine et divine, indivisibles mais non confondues. Certes, cette formule de la double nature divino-humaine, promulguée par le Concile de Chalcédoine, est la doctrine immuable de l’Église tant en Orient qu’en Occident. Mais dans la mentalité byzantine ont toujours survécu quelques vestiges d’une conception christologique pour laquelle la réalité humaine de Jésus se dissolvait dans la divinité du Verbe. Toute définition théologique mise à part, il y a là une nuance psychologique imprécise et inconsciente. Et c’est cette nuance qu’on retrouve dans le sentiment religieux russe et qui se reflète vaguement dans le culte marial.

Mère de Dieu, oui, mais nullement semblable à toutes les mères humaines. Car Jésus lui-même n’est pas un homme matériel, mais plutôt une vision radieuse on terrible, – le Roi des cieux, le Juge suprême, le Sauveur miséricordieux, – d’où l’élément humain semble absent, dissous dans la splendeur de la majesté divine. La pensée du fidèle, en Russie, ne va guère aux détails de la vie terrestre de Jésus, elle s’en détache comme si elle s’en sentait gênée. Le culte de l’Enfant Jésus, si cher à l’Occident latin, semble offusquant à la mentalité religieuse russe ; les quelques traces qu’on peut en trouver sont toutes d’origine récente et de provenance occidentale. Jamais on n’a songé, en Russie, à un culte de la Sainte Famille. Notons que saint Joseph n’a même pas de fête au calendrier russe ; il est inscrit au catalogue des saints au titre de « juste » sans mention liturgique. Tout ceci nous donne la clef du culte très spécial qui divinise en quelque sorte Marie en voilant son caractère humain.

Et d’abord, ce nom même si doux de Marie n’est jamais prononcé par le fidèle qui s’adresse à la Mère de Dieu. Les Russes sont souvent étonnés et choqués quand ils entendent des catholiques invoquer la Très Sainte Vierge sous son nom de femme. Certes, ce nom revient constamment dans l’hymnologie et les formules liturgiques, mais dans la vie ordinaire jamais un Russe n’oserait s’adresser ainsi à la Bogoroditza. Remarquons aussi que les femmes russes qui portent le nom de Marie ne l’ont jamais reçu en l’honneur de la Très Sainte Vierge : elles ont pour patronnes sainte Marie-Madeleine ou sainte Marie l’Égyptienne (très vénérée en Russie), ou toute autre sainte du nom de Marie, mais jamais la mère de Dieu, car donner ce nom en son honneur semblerait aussi choquant que de donner à un garçon le nom de Jésus.

Remarquons encore l’absence presque totale, dans la littérature populaire russe, de récits sur la vie de la Très Sainte Vierge. Ce qu’on y trouve, ce sont des légendes, parfois délicieuses, sur son intercession en faveur des pécheurs, sur la grâce rayonnante de la Reine des cieux. Mais jamais de traits sur la vie humaine, humble et obscure, de Celle qui fut bénie entre toutes les femmes. La littérature d’apocryphes, qui fit les délices de la chrétienté médiévale, pénétra en Russie avec le christianisme et y jouit aussi d’une grande faveur, mais il y eut une sorte de sélection où se manifesta clairement la tendance populaire : tandis que les « apocalypses », les révélations de toutes sortes et autres apocryphes du même genre étaient lus avec avidité et copiés en nombre infini d’exemplaires, le lecteur russe ne manifestait aucune curiosité pour les apocryphes traitant de la vie terrestre du Christ et de sa Mère, – tel le Protoévangile qui connut tant de succès en Occident sous le titre d’Évangile de l’Enfance de Jésus et orna de sa grâce naïve la Légende Dorée. Et pourtant ce Protoévangile, très répandu dans le monde byzantin, avait même influencé la liturgie byzantine : on en trouve des traces, par exemple, dans le rituel de la fête de la Présentation de la Très Sainte Vierge, ainsi que dans l’iconographie byzantine et russe. Mais pour le simple fidèle, tout cela restait, si l’on peut dire, dans le domaine de l’irréel ou plutôt de l’immatériel. Quant à des traits ayant rapport à la vie quotidienne de l’Enfant divin et de sa Mère, à leur intérieur, à leurs gestes familiers, non seulement on ne ressentait aucun besoin de les détailler et de les amplifier, mais au contraire on y jetait un voile d’oubli.

À la fin du XIXe siècle parurent en Russie deux livres consacrés à « la vie terrestre de la Très Sainte Mère de Dieu », mais ils n’eurent guère de succès dans la grande masse de lecteurs, et il se trouva même des personnes pour s’en scandaliser comme d’une familiarité déplaisante. Nous nous permettrons ici un souvenir personnel : un jour, l’aumônier d’une école professionnelle de jeunes filles fut prié de parler à ses écolières de la Très Sainte Vierge, de la donner en exemple à ces fillettes destinées à une vie humble et laborieuse ; le prêtre se récusa, éprouvant visiblement de la répugnance à montrer la Bogoroditza sous un aspect simplement humain.

Mère de Dieu, Mère du Christ en tant que Dieu, mais non pas une mère humaine semblable à toutes les mères.

En formulant ainsi l’impression que donne le culte marial russe, nous prévoyons aussitôt une objection. N’est-ce pas précisément dans l’iconographie russe que nous voyons la Très Sainte Vierge représentée toujours avec l’Enfant, et presque jamais seule ? Le culte s’adresse donc spécialement à sa Maternité, et non à une vision immatérielle.

Ceci est vrai, à condition de s’entendre sur le sens attribué à cette maternité. Elle porte un caractère symbolique. Le type iconographique de la Mère portant son Enfant est dénué de réalisme : c’est une figure hiératique, dont chaque détail est fixé par des règles empreintes de symbolisme. Quand on voit certaines icônes mariales où ces règles sont enfreintes pour donner plus de vie à l’Enfant et à sa Mère, on constate aussitôt qu’elles s’écartent du type traditionnel sous des influences occidentales – telle l’icône assez connue dite de « la Tendresse » (Oumilenié) et quelques autres. La formule iconographique la plus conforme à la conception russe de la Maternité divine est donnée par la célèbre icône dite « de l’Apparition » (Znamenié), où la Mère divine est représentée dans la pose hiératique de l’« Orante » (les deux mains levées) avec le Christ en médaillon sur son sein. Ici, le symbolisme atteint sa parfaite expression. Mais un œil expert le discerne aussi dans d’autres types iconographiques bien connus (les célèbres icônes de N.-D. de Kazan, d’Ibérie, de Vladimir, etc.), où la Mère tient l’Enfant dans ses bras sans que cette pose maternelle porte les moindres traces de réalisme. L’enfant n’est là que le symbole de la maternité.

Ajoutons que dans l’iconographie russe la symbolisation d’une idée par l’image d’un enfant est chose assez fréquente. Généralement, l’enfant apparaît comme symbole de l’âme. Par exemple, l’Assomption de la Très Sainte Vierge est toujours représentée ainsi : la Vierge couchée, entourée d’apôtres, le Christ debout près d’Elle et tenant un enfant, qui symbolise l’âme de la Mère que le Fils est venu reprendre. Dans un autre ordre d’idées, l’iconographie de saint Jean-Baptiste nous montre souvent ce saint tenant un calice dans lequel se trouve un enfant : c’est la symbolisation du baptême, sans nulle allusion réaliste à la scène du baptême dans le Jourdain. Ces quelques traits (et l’on pourrait en citer d’autres) nous font mieux comprendre la signification symbolique de l’Enfant divin dans les bras de sa Mère. C’est l’idée de maternité qui est évoquée pour donner une expression au culte de la Mère universelle.

 

 

Pourtant, en signalant celle nuance du culte marial en Russie, nous ne voudrions pas laisser croire que ce culte se réduit à une idée abstraite. Bien au contraire, cette sorte de dématérialisation de la Vierge ne fait que renforcer la notion de son omniprésence, de sa Maternité immanente rayonnant sur tout ce qui vit. Nous avons déjà dit que dans un sens plus étroit la Bogoroditza était la Protectrice de la patrie russe. Elle est aussi la Protectrice du genre humain et, tout particulièrement, du noyau primitif de toute société humaine, – le foyer familial. Non pas, – nous l’avons dit, – comme exemple de la mère idéale, au point de vue humain, mais comme une source de grâce vivifiante illuminant et sanctifiant la famille chrétienne. Cet aspect du culte marial était très sensible dans les coutumes dont s’entourait, en Russie, le mariage. En voici quelques-unes :

Au moment où le cortège nuptial allait partir pour l’église, la fiancée s’agenouillait devant ses parents (ou ceux qui les remplaçaient) et était bénie solennellement par eux avec une icône de la Mère de Dieu, qui allait devenir la protectrice du nouveau foyer conjugal ; cette icône était ensuite portée dans le cortège, précédant le jeune couple, jusqu’à l’église et au retour jusqu’au logis. Elle était ensuite placée dans la chambre à coucher de la jeune mariée, et devait y rester toujours. On plaçait généralement devant elle les deux cierges enrubannés que, selon l’usage, les mariés avaient tenus pendant la cérémonie nuptiale. Si, plus tard, la jeune femme, sur le point de devenir mère, souffrait beaucoup ou semblait en danger, on allumait son cierge nuptial devant l’icône sacrée de la Mère de Dieu qui protégeait son foyer. C’est aussi devant cette icône que la mère priait pour ses enfants malades. Cette icône était toujours le trésor sacré de la famille et se transmettait de mère en fille.

C’est aussi avec une icône de la Bogoroditza, symbole de la protection maternelle, qu’une mère russe bénissait chacun de ses enfants au moment de leur départ de la maison, – fût-ce pour leurs études, pour un voyage, ou pour la guerre. Un soldat, un marin, avaient toujours sur soi une de ces petites icônes, parfois en forme de médaillon porté au cou. On appelait « icônes parentales » celles avec lesquelles les parents avaient béni leurs enfants à leur départ ou à leur mariage, et s’il y en avait plusieurs, l’une au moins – la principale, – était celle de la Bogoroditza.

On pourrait exprimer en quelques mots cette croyance fervente en la protection omnipotente de la Mère de Dieu, en disant qu’il ne s’agissait pas tant d’invoquer son intercession comme de croire fermement que sa protection était toujours assurée, même si celui qui s’y abandonnait n’avait rien fait pour la mériter.

Ceci aussi est un aspect très important du culte marial russe. Le « Refugium peccatorum » n’a été nulle part compris dans un sens aussi complet, aussi concret que dans la piété russe. Mère des pécheurs, Mère toujours aimante, n’attendant même pas le repentir du pécheur pour le couvrir de sa douce protection ! Il y aurait des traits innombrables à citer pour souligner cette idée. Parmi les exquises légendes populaires qui s’y rapportent, mentionnons celle qui montre la Reine des cieux cachant sous sa robe une échelle de soie, pour faire grimper furtivement au Paradis les pécheurs qui n’auraient aucun espoir d’y pénétrer par les portes. L’inépuisable bonté maternelle s’étend jusqu’aux damnés ; un récit né à Byzance mais largement répandu surtout en Russie, nous décrit la Mère de Dieu visitant l’enfer et versant des larmes sur leurs souffrances, larmes qui apaisent les tourments. Et après avoir visité le lieu des peines éternelles, la tendre Mère revient auprès de son Fils et le supplie d’en délivrer tous les damnés. Cette fois son désir ne peut être accompli, car le Seigneur est avant tout le Juge suprême et il ne peut annuler les effets de la justice éternelle. Mais la Mère divine insiste tant sur sa demande qu’elle finit par obtenir pour les damnés au moins un soulagement, un répit de leurs tourments annuellement pendant quarante jours, de Pâques à l’Ascension...

Cet amour maternel illimité et inlassable s’étend, nous l’avons dit, sur tout ce qui vit, sur toute la nature. Un des plus beaux cantiques de l’hymnologie mariale orientale est celui (attribué à saint Jean Damascène) qui chante la Mère divine vénérée par tout ce qui est créé : « Ô pleine de grâce, en toi se réjouit toute créature !... » Tout Russe connaît cet admirable cantique, qui exprime si bien l’idée qu’il se fait de la Mère universelle, « la Mère chantée par tous », selon une formule liturgique devenue populaire. Aussi les fêtes mariales s’entouraient-elles de coutumes touchantes exprimant cette joie de la nature entière. Il nous suffit ici d’en mentionner une : celle de libérer des oiseaux le jour de l’Annonciation, pour que le chant joyeux de ces petites créatures ailées emporte vers le ciel les actions de grâces de la terre. Cette coutume était observée non seulement dans les campagnes, mais même dans les villes, même dans la grande et sévère capitale de l’empire – Saint-Pétersbourg – qui portait un caractère beaucoup moins national et moins religieux, beaucoup plus « occidental » que toute autre ville de Russie. Même là, on voyait arriver par charretées, la veille de l’Annonciation, des cages pleines d’oiseaux attrapés les jours précédents pour cette occasion ; des marchés d’oiseaux s’improvisaient aussitôt, et dès le matin du 15 mars, c’était à qui en achèterait pour les libérer aussitôt ; les cris joyeux des enfants se mêlaient partout à celui des oiseaux un peu affolés. Notons, par la même occasion, que la fête de l’Annonciation était particulièrement vénérée en Russie ; elle était, avec l’Assomption, la fête mariale par excellence. Personne n’aurait songé à travailler ce jour-là, et une croyance populaire assurait que « le jour de l’Annonciation même un oiseau ne travaille pas à son nid » (toujours cette association de toute la nature à l’homme dans le culte marial).

 

 

Mais revenons à la question de l’intercession, ou plutôt de la protection directe de la Bogoroditza implorée par la piété russe. Pour l’obtenir, le Russe s’adresse généralement à l’une des icônes particulièrement vénérées, connues sous un nom spécial : la Bogoroditza de Kazan, Bogoroditza d’Ibérie, etc. (ce nom rappelait le plus souvent quelques circonstances historiques jointes à la découverte ou à la glorification de cette icône, ou bien on indiquait ainsi son type iconographique, telle l’icône de l’Apparition dont nous avons parlé). Il y avait en Russie plus d’une centaine d’icônes mariales réputées miraculeuses, reproduites en un nombre infini d’exemplaires et répandues partout ; on avait généralement une dévotion spéciale pour l’une d’elles, à laquelle on adressait ses demandes. Mais remarquons (et ceci nous ramène à ce que nous avons dit de la nuance antiréaliste du culte marial) que parmi ces icônes particulièrement vénérées il n’y avait pas celles qui représentent les épisodes, liturgiquement commémorés, de la vie de la Très Sainte Vierge. Sa Nativité, la Présentation au temple, etc., trouvaient leur place dans les églises, mais cette place était parmi les icônes représentant « les grandes fêtes de l’Église » et fixées d’une manière déterminée dans les édifices religieux ; ce n’étaient pas à elles qu’allait la vénération toute spéciale des fidèles. L’objet de cette vénération, c’est-à-dire les icônes mariales miraculeuses, étaient toujours celles où la Mère de Dieu était représentée soit seule dans sa gloire, soit avec l’Enfant symbolisant sa Maternité. Toutes les icônes miraculeuses dont nous venons de parler se rangent dans l’un de ces types iconographiques.

Parmi elles, il y en avait qui étaient spécialement considérées comme Protectrices d’une idée, d’un des aspects de la vie russe. Ainsi la Bogoroditza de Vladimir et la Bogoroditza de Kazan étaient tout particulièrement les protectrices de la patrie russe, le palladium de la Russie. Ce sont ces icônes vénérées qu’on amenait aux armées pour implorer devant elles la victoire, comme on le fit, par exemple, en 1812, quand Napoléon approchait de Moscou. Mais la Mère de Dieu dite « de Kazan » était aussi, en particulier, la protectrice du foyer chrétien : c’était une reproduction de cette icône qui était généralement donnée aux jeunes couples lors de la bénédiction du mariage, comme nous l’avons vu.

Il y avait trois icônes miraculeuses de Notre-Dame de Kazan : à Saint-Pétersbourg, à Moscou et à Kazan, et l’on ne savait pas au juste laquelle était la plus ancienne, qui aurait servi de modèle aux autres. À celle de Saint-Pétersbourg était consacrée l’une des plus splendides cathédrales, au cœur de la ville, où l’on voyait, au cours de toute la journée, la foule se presser devant l’image vénérée. À Moscou se trouvaient, en plus de l’autre image de la Bogoroditza de Kazan, celle de Vladimir et celle d’Ibérie, cette dernière considérée comme la protectrice spéciale de Moscou. La chapelle où elle était conservée, près du mur du Kremlin, était toujours pleine d’une foule pressée, débordant sur la place ; souvent on portait cette icône dans les maisons privées pour les bénir de sa présence, et tous les Moscovites connaissaient bien la voiture et les chevaux qui l’emportaient à travers la ville, la foule s’agenouillant sur son passage. Quand elle arrivait à la maison de celui qui avait l’honneur de la recevoir, au moment où on la portait à bras tendus, les dévots se précipitaient pour passer, inclinés, sous elle : cette pratique un peu superstitieuse était censée assurer une bénédiction spéciale.

En 1903, la Russie entière frémit d’horreur en apprenant un sacrilège commis dans la ville de Kazan. Des voleurs, enhardis par la propagande d’athéisme qui commençait alors à se répandre, avaient dérobé l’icône vénérée de la Bogoroditza de Kazan qui se trouvait dans cette ville ; ils avaient été attirés par l’appât des pierreries enchâssées dans le revêtement d’or de cette icône (ainsi enrichie comme toutes celles du même genre). Personne ne songeait à déplorer les trésors volés, mais l’icône ! L’idée que des mains sacrilèges avaient pu y toucher semblait incroyable. On retrouva les voleurs, mais non l’icône, probablement détruite par eux. Le chef de la bande, un certain Tchaïkine, fut condamné à vingt ans de prison. Et voici un trait à signaler : dans la prison où il purgeait sa condamnation, il fallut l’isoler des autres détenus, qui voulaient l’assommer. Certes, il y avait là les pires bandits, des gens qui avaient versé le sang humain sans sourciller. Mais, – disaient-ils, – quelque pécheurs que nous soyons aux yeux de Dieu, nous n’aurions jamais osé insulter la Très Sainte Bogoroditza, celui qui en a eu l’audace n’est pas un homme. Ceci se passait après l’année 1905, qui avait vu le désastre de l’armée russe en Extrême-Orient et la première poussée révolutionnaire. Dans tout le pays, les gens pieux disaient tout haut que les malheurs qui s’abattaient dès lors sur la Russie étaient la conséquence de la profanation du sanctuaire de la Mère de Dieu à Kazan.

Depuis lors, la Russie a connu des malheurs bien plus affreux. En parlant tout à l’heure de tous ces sanctuaires si vénérés, il nous a fallu parler au passé. Rien n’existe plus de ce que nous venons de décrire, de cette dévotion parfois superstitieuse, mais pourtant touchante, que des foules innombrables portaient aux pieds des saintes icônes. Les icônes ont disparu, les églises dont elles étaient le trésor sont profanées. À Moscou, la chapelle de Notre-Dame d’Ibérie a été rasée, à son emplacement une porte a été percée au mur où elle s’adossait. À Saint-Pétersbourg, l’admirable cathédrale de Notre-Dame de Kazan a été transformée en musée antireligieux ; pour comble de profanation, à l’endroit où se dressait l’icône devant laquelle tout un peuple venait s’agenouiller, on a tendu une tenture rouge portant les portraits de Marx et d’Engels... Partout, dans toute la Russie, même acharnement contre tout ce qui rappelait le culte tendre et profond du peuple russe pour sa Protectrice.

Est-ce à dire que ce culte a disparu ? Loin de là. Nous n’avons pas à parler ici de la résistance opposée là-bas à l’athéisme militant et à la persécution sanglante ; nous n’avons pas à parler de la ténacité héroïque avec laquelle la majeure partie de la population russe a conservé sa foi, fût-ce en secret. Ce qu’il nous faut dire et souligner, c’est que dans cette foi la plus grande part est réservée, comme toujours, à la Mère de Dieu. Son culte est toujours au cœur de la piété russe ; c’est lui qui imprime à cette piété ses traits les plus saillants. Qu’il soit célébré en secret ou que la Russie entière revienne un jour à l’idée d’être avant tout « la maison de la Mère de Dieu » –, rien ne pourra détruire dans le christianisme russe cette empreinte profonde dont l’a marqué, depuis tant de siècles, l’exaltation du culte marial.

 

 

Nous avons parlé jusqu’ici de ce qu’était ce culte pour l’Église russe et ses fidèles. Mais cette esquisse serait incomplète si nous ne mentionnions, au moins en passant, certaines défigurations de ce culte dans des sectes détachées de l’Église, même celles qui professaient des doctrines sévèrement réprouvées par l’Église. La Russie a été de tout temps le pays où le mysticisme a pris des formes étranges et souvent dévoyées ; les sectes y ont pullulé, surtout au cours des trois derniers siècles. C’est de l’une de ces sectes que nous parlons, celle des Khlysty, assez répandue en certains endroits. Sa doctrine est dualiste ; c’est un héritage lointain, (et fortement défiguré) du manichéisme de l’antiquité chrétienne ; ce qui nous intéresse ici, c’est l’idée que se fait cette secte d’une série de réincarnations du Christ, et surtout de sa Mère. Et c’est la femme qui est censée réincarner la Mère de Dieu qui joue le rôle principal dans la secte. Partout où s’organise un conventicule de ces Khlysty, c’est une femme, affublée sacrilègement du nom de Bogoroditza, qui la dirige et préside à ses réunions ; ce sont ses ordres qui sont obéis avec une docilité incroyable. Si nous mentionnons ce trait, c’est qu’il éclaire curieusement la mentalité religieuse russe, même déformée, – il en est une sorte de caricature où l’on reconnaît, sous des lignes grossièrement défigurées, certaines particularités essentielles. Pas de christianisme sans Bogoroditza, – c’est l’idée qui se reflète même dans une secte aussi étrangement éloignée de la véritable doctrine chrétienne. La Bogoroditza personnifiant la mystérieuse puissance divine, et cela sans même y attacher l’idée de la sanctification par la pureté physique et morale (la secte dont nous parlons était défendue, et pour cause, comme immorale). Nous pouvons considérer cela comme une insulte à Celle qui est l’idéal divin de pureté. Disons plutôt que c’est une naïve et brutale déformation de cette ferveur pour la Mère de Dieu qui imprégnait toute la vie russe et sans laquelle aucune croyance plus ou moins chrétienne n’était concevable.

Le culte marial n’était étranger, en Russie, qu’aux sectes rationalistes, issues du protestantisme, qui se répandirent dans le pays au cours du XIXe siècle. Ces sectes, – en particulier le baptisme, – eurent leur heure de succès ; elles recrutèrent beaucoup d’adhérents aux premières années de la Révolution, quand beaucoup de fidèles furent ébranlés dans leur foi en l’intercession des saints et la protection de la Mère de Dieu, quand on vit les pires profanations de sanctuaires vénérés s’effectuer sans que la foudre s’abattît sur les profanateurs. Les baptistes criaient au triomphe. En réalité, ceux qui vinrent à eux par suite de l’ébranlement de la foi ancestrale furent aussi ceux qui, ce premier pas franchi, se laissèrent plus facilement entraîner ensuite par le torrent d’athéisme. Les succès remportés par ce dernier marquèrent précisément un recul des sectes rationalistes au profit d’un christianisme plus mystique, plus conforme à l’orthodoxie traditionnelle. Et partout où le vrai christianisme russe tient bon ou même reprend le dessus, c’est le culte marial qui triomphe avec lui, qui s’avère comme toujours le « Mur indestructible », dans un sens peut-être encore plus profond qu’on ne l’avait compris jusqu’ici.

 

 

Cette particularité du sentiment religieux russe doit prendre une grande importance à l’heure actuelle, quand nous voyons s’esquisser dans le monde un mouvement œcuménique cherchant à trouver une base pour l’union de tous les chrétiens. Tel que ce mouvement s’est manifesté, l’an dernier, aux conférences d’Oxford et d’Édimbourg, il marquait surtout un essai de rapprochement entre les Églises orientales et les différents groupements protestants. Quelques fractions de l’Église russe (aujourd’hui morcelée) qui y prenaient part ne faisaient que continuer et amplifier des tentatives, souvent entreprises depuis un siècle, de rapprochement entre l’Église de Russie et les anglicans. Mais toutes ces tentatives, hier comme aujourd’hui, se heurtent à une question sur laquelle jamais la conscience religieuse russe ne voudra et ne pourra faire de concessions à l’esprit protestant : la question de l’intercession des saints et du culte marial. De toutes les questions doctrinales qui séparent le christianisme oriental de la chrétienté occidentale détachée de Rome, aucune ne sera jamais aussi claire pour tout fidèle russe que celle du culte ardent et profond de la Mère de Dieu et de sa place au centre d’un christianisme véritable. Aucune concession ne serait aussi douloureusement ressentie que sur ce point par la masse de fidèles de l’Église russe, et l’on peut affirmer que c’est là le rocher où se briseront les tentatives de « protestantiser » cette Église.

Mais si nous constatons un abîme entre l’Église russe et le monde protestant, si nous savons que le fidèle russe ne pourra jamais se laisser arracher du cœur la vénération pour sa Protectrice céleste ni tolérer un amoindrissement de son culte pour elle, – cette constatation doit nous faire comprendre combien le culte marial pourrait servir de trait d’union entre les fidèles russes et leurs frères catholiques. Durant neuf siècles écoulés depuis la fatale rupture de l’Orient avec l’Occident, toutes les fois que des tentatives sérieuses ont été effectuées pour ramener à l’unité de l’Église nos frères séparés orientaux, on a toujours discuté sur les points en litige, et par cela même la masse des fidèles, tous ceux qui suivent les élans de leurs cœurs plus que les démonstrations théologiques, ont pu se pénétrer de l’idée que dans cette question douloureuse il n’y avait que des sujets de discussion. On a oublié trop souvent qu’à côté des objections et des disputes il y avait en commun un corps de doctrines indiscutables, sans lequel il n’y a pas d’Église chrétienne, et au centre duquel s’élève, tel une fleur merveilleuse, le culte de la Très Sainte Vierge. C’est par la communion dans ce même culte que nos frères de Russie peuvent le mieux comprendre leur lien de fraternité avec nous, lien que des siècles de discussions et de malentendus réciproques n’ont pu affaiblir. Se sentir enfants d’une même Mère céleste, avoir pour cette Mère commune la même vénération, – c’est bien trouver un terrain d’entente sur toutes les questions et entrer dans la voie de la concorde. Et quel plus beau couronnement du culte de Notre-Dame que celui de voir en elle la Mère dont le sourire radieux apaise les querelles d’enfants, ces enfants fussent-ils innombrables comme le sable de la mère. Toute la grande famille chrétienne a besoin de ce sourire apaisant, et tous ceux qui célèbrent, chacun à sa façon, la Protection de la Mère céleste, se sentent unis sous l’abri de son amour maternel. C’est la vraie voie de l’Union, celle qui serait comprise et joyeusement adoptée non seulement par les théologiens et les pasteurs, mais aussi par tout le troupeau de fidèles.

La Russie n’avait pris aucune part au schisme néfaste de l’an 1054. Elle venait de naître pour l’Église, elle a suivi docilement sa mère spirituelle, Byzance ; tout naturellement, elle a hérité de rancunes et de préjugés antérieurs à sa formation chrétienne, et que sont venues renforcer les circonstances historiques qui l’ont tenue si longtemps à l’écart du monde latin. Bien des barrières historiques sont aujourd’hui rompues, et la question de l’Union se pose tout autrement pour l’Église russe. Mais pour que l’œuvre d’union puisse être menée à bonne fin, nul moyen ne serait plus efficace que de placer cette œuvre sous la protection toute spéciale de la Très Sainte Mère de Dieu, dans la joyeuse conviction qu’ici la communion de prières est déjà possible bien avant l’unité finale et entière.

Nous avons assisté hier, le 27 février 1938, en l’église de Notre-Dame de Paris, à une cérémonie grandiose qui fait naître les plus douces espérances. Sous les voûtes vénérables de Notre-Dame de Paris s’élevaient les cantiques à la Mère de Dieu, chantés en slave par les catholiques russes de rite oriental. Et les Russes qui se pressaient dans la foule se sentaient bien chez eux dans ce sanctuaire dédié à leur Mère chérie. Les admirables hymnes orientaux à la très sainte et très pure Reine du monde étaient bien là à leur place, dans cette atmosphère imprégnée de tout ce que l’âme humaine a exprimé de beauté pour l’offrir à Marie. Jamais on n’avait senti aussi vivement que le lien d’unité était accessible, avant tout, dans cet élan vers la Mère commune de la grande famille chrétienne.

D’autres pensées venaient encore se heurter sous les fronts inclinés. Là-bas, en Russie, les sanctuaires, tant vénérés, de la Mère de Dieu ont été profanés ou détruits. Mais ici aussi le sanctuaire de Notre-Dame de Paris avait subi l’outrage des ennemis du Christ, l’odieuse et sacrilège bouffonnerie de la déesse Raison ; tout cela s’est évanoui comme un mauvais rêve, et le sanctuaire de Notre-Dame est de nouveau le siège du culte de Marie, le cœur de la France chrétienne. De même, les sanctuaires russes de la Très Sainte Mère de Dieu se relèveront un jour de leurs ruines, et s’empliront de chants exaltés glorifiant « Celle qui est au-dessus des chérubins et des séraphins ». Puisse l’intercession de la « Mère chantée par tous » faire qu’en ce jour les invocations qui monteront vers Elle soient aussi un cantique de joie pour la grande fraternité rétablie, pour la reconstitution pleine et entière de l’Unité de l’Église !

Travailler pour cette unité sous le sceau du culte marial, – c’est l’œuvre qui s’impose aujourd’hui. Au milieu de la crise terrible que traverse notre pauvre monde, une aube lointaine semble déjà s’annoncer, et c’est l’heure où tous les cœurs chrétiens, dans un élan unanime, doivent se tourner vers Celle qui est « l’Étoile du matin ».

 

« Istina » Paris.

 

J. DANZAS.

 

Conférence donnée au Congrès marial

 à Paris, le 28 février 1938.

 

Paru dans La Vie spirituelle en octobre 1938.

 

 

 

 

 

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