Marie dans le théâtre français

UNE VIE DE LA VIERGE

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Maurice DELÉGLISE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE théâtre chrétien, pas plus que la vie chrétienne, ne peut se concevoir sans le personnage de Marie. Un fait curieux, cependant, frappe dès qu’on parcourt les œuvres qui parlent d’Elle : son rôle est le plus souvent épisodique, à peine suggéré, et le personnage n’a pas de réalité profonde. La Vierge apparaît de façon conventionnelle, sous l’aspect des statues qui la représentent, pour dire quelques mots de réconfort et dispenser des grâces. Telle est la place qui lui est faite dans les Miracles de Notre Dame au Moyen Âge, telle aussi celle que lui attribue la plupart des auteurs contemporains.

Quoi qu’on en ait, on est obligé de revenir aux tenants du renouveau théâtral préconisé par Ghéon si l’on veut trouver des œuvres qui accordent à Notre Dame une place digne de son rang et qui nous proposent des portraits plus complets de Celle dont Jésus-Christ a fait la Reine du Ciel. En ces jours où le monde vibre encore de la proclamation du dogme tant attendu, tâchons de découvrir le visage de cette jeune fille, pure vierge choisie par Dieu pour nous donner son Fils, mère attentive et douloureuse, femme bénie entre toutes, exaltée dans le triomphe de son Assomption. Nous choisirons pour cette quête, entre plusieurs œuvres d’aussi bonne facture, la dernière en date des créations d’Henri Brochet, car elle se situe exactement dans la ligne des fêtes récentes.

Le triomphe de la Femme aux douze étoiles termine la série des pièces où l’on suit un pauvre vagabond, aigri et un tantinet mécréant, à la recherche de l’espérance qu’il a perdue. Le Père Leleu représente notre humanité insatisfaite et meurtrie n’admettant le divin que lorsqu’il se manifeste de façon tangible. Ce personnage et sa petite fille Espérance, enfant aveugle qu’il conduit sans savoir où, incarnent les réactions des spectateurs et remplissent l’office du chœur antique des œuvres de Sophocle et de tout le théâtre grec. À leurs côtés, un personnage aussi anachronique, Tante Claire, conduit le jeu et à sa suite nous pénétrons en plein évangile. La Passion notre espérance était avant tout une méditation des mystères douloureux du Chemin de la Croix ; Voici Noël notre joie faisait retour sur les mystères joyeux de la Nativité ; Le triomphe de la Femme aux douze étoiles, en reprenant tout le Rosaire, chante surtout le mystère glorieux de l’Assomption.

Où réside, diront certains, le ressort dramatique de telles œuvres, puisque dès le début nous savons où l’on nous conduit ? Peut-on à ce point négliger ce que tout auteur dramatique considère comme essentiel : l’intérêt ? Une scène de l’Évangile nous est assez familière pour qu’on évite d’en faire le sujet d’une pièce. L’auteur est-il si dénué d’imagination ? Toutes questions qu’il conviendrait de traiter avec sérieux si nous vivions avec vingt ans de retard, comme si n’avaient pas existé les efforts de Ghéon, de Brochet, de Gustave Cohen. Notre propos, dans cette rubrique, n’est pas précisément de faire un exposé technique dramatique, mais de dégager les aspects de la vie mariale qui ont inspiré des dramaturges. Nous pensons cependant qu’il sera utile un jour de consacrer une étude à une tentative de renouveau théâtral qu’illustrent des œuvres que nous nous proposons de présenter à nos lecteurs. Qu’il nous suffise aujourd’hui de rappeler que, pour Henri Brochet « une histoire sans surprises, un simple jeu, par sa seule forme, par son rythme, par ses couleurs, par son texte juste (... et juste ce qu’il faut, pas plus), par l’équilibre parfait de toutes les parties qui le composent, est capable d’atteindre profondément et de satisfaire pleinement l’“Homme de la salle” ami, frère complice de l’“Homme de la scène”. Pas plus que texte l’acteur ne doit être cette espèce de “monstre sacré” qui faisait les délices de nos parents ». C’est ainsi que procédèrent les auteurs du Jeu d’Adam et d’Ève ou de tel Mystère de la Passion du XVe siècle. Libéré du souci de « faire neuf », en adoptant un sujet connu de tous, le dramaturge peut étudier plus à l’aise ses personnages et méditer comme il convient sur les faits qu’il met en scène. Par conséquent « l’unique rôle du texte dramatique sera de susciter les figures d’un jeu et de donner à celles-ci la possibilité d’avoir le maximum d’éloquence et d’efficacité. Car ce n’est pas le mot mais le spectacle qui doit toucher le spectateur, et le spectacle est composé de cent éléments (le “mot” n’est qu’un de ceux-ci, rien de plus) dont chacun a puissance égale »...

On ne comprendra bien l’Assomption de la Vierge que si l’on a médité mûrement sur les mystères de vie et sur son merveilleux destin. C’est pourquoi Brochet, en fidèle dévot de Marie, redit tout au long des œuvres qu’il lui consacre les beautés dont Dieu l’a parée. Inlassablement, il médite en récitant devant nous son rosaire, comme il le fit jadis avec le Rosaire des Petits Enfants. Cette prière étant l’une des plus belles et des plus efficaces, jamais sa récitation ne peut lasser et l’âme y trouve toujours matière nouvelle à émerveillement et source plus féconde de joie.

N’est-elle pas touchante cette image de Marie feuilletant le Livre Saint sur les genoux de sa mère et apprenant de sainte Anne la Sagesse de Dieu et ses desseins ? Quelle heureuse idée de mettre ainsi en regard les principaux textes de la Bible préfigurant la Vierge et de les faire lire par Marie elle-même : la malédiction au serpent ; la Sagesse de Dieu témoin de la Création ; l’histoire d’Esther si belle qu’on ne pouvait la voir sans être ravi, qui pouvait franchir toutes les portes et devant qui la loi elle-même pliait le genou ; l’histoire de Bethsabée, mère du Roi, que le Roi fit asseoir sur le trône : « Une étoile sortira de Jacob ; et un rameau du sein d’Israël. » Et ce cri de David : « Je vois à votre droite, Seigneur, une Reine en habillement d’or. Toute la gloire de cette princesse lui vient du dedans, mais elle est richement ornée de broderies toutes divines et les vierges qui la suivront se présenteront à mon Roi avec une sainte allégresse. » Enfin les récits annonçant le Messie et ce mot de Sainte Anne : « Une vierge le concevra, Marie. Viens ; nous prierons pour que cette vierge soit digne de l’Amour de Dieu. »

Cette prière de Marie pour celle que Dieu prépare dans le secret éclaire d’un jour nouveau la figure de la Vierge. Nous savons si peu de choses par le texte même des Évangiles qu’il nous est difficile parfois de nous représenter la mère de Dieu sous les traits d’une femme toute simple malgré l’immensité des grâces reçues. Mais surtout, nous ne songeons pas à imaginer sa vie avant l’Annonciation. L’auteur, ici, après nous l’avoir montrée à l’école maternelle, nous propose une vision de Marie en prière. C’est précisément celle qui précédera la venue de l’Ange :

 

« ... Le fils qui naîtra d’une vierge, je sais qu’il est votre fils, Seigneur, et le Messie que vous avez promis à votre peuple... Mais j’ai lu aussi dans le livre cette parole cruelle : “À quoi te comparer, ô fille de Jérusalem ? Et qui trouverai-je qui te ressemble, ô vierge, fille douloureuse de Sion ? car ta plaie est grande comme la mer et ton mal est sans remède...” (Un temps, elle garde le silence, puis) : Est-ce à vous, mère du Messie ? Est-ce à vous, bienheureuse, que le Livre promet de si grandes tribulations ? À l’exemple de ma chère mère je ne cesse de prier pour vous sans vous connaître, ô vous que le Seigneur a possédée dès le commencement de ses voies... (Encore un temps)... Mais qui serez-vous ?... Aurez-vous la force de supporter tant d’épreuves ? Et quand paraîtrez-vous au milieu de nous ? (Un temps, puis très posément) : Seigneur, ayez pitié d’elle et, par elle, ayez pitié de nous... »

 

Cette prière pour l’inconnue, pour l’âme qui a besoin de force dans l’épreuve, quel exemple de charité ! Il faut louer l’auteur d’avoir enrichi son texte de cette méditation.

La salutation angélique est la réponse du Seigneur. La scène se déroule dans la simplicité du texte évangélique, comme celles de la Visitation et de la quête d’un gîte à Bethléem. Nous retrouvons ici le souffle et la veine du Noël sur la place, car Brochet ne pouvait renier son maître. Et Noël voit, autour de la crèche, se rassembler aussi le Père Leleu, Espérance et Tante Claire. Par eux les spectateurs se trouvent représentés auprès du divin Roi et notre ferveur s’accroît de la prière de ces braves gens – comme notre cœur se réjouit des paroles d’espérance que Marie leur adresse : « Vous n’avez pas prié en vain »...

Voici clos le cycle des mystères joyeux. Siméon a parlé et sa parole, premier glaive, a douloureusement frappé le cœur de Marie. Puis tous les autres glaives... Maintenant, soutenue par Madeleine et Salomé, elle suit de loin la Passion. Lentement elle gravit son Calvaire, répondant, la première, au sacrifice de son Fils. Cependant aucune amertume ne l’habite. Sa bouche ne s’ouvre que pour consoler celles-là mêmes qui voudraient la consoler. En cette nuit sinistre qui s’achève, avant que tout soit consommé, Marie, qui sait comment la journée doit se terminer, n’a qu’un souci : rappeler la loi nouvelle qui accomplit l’ancienne :

 

Marie – Hier, il a mangé la Pâque avec les douze et il a béni le pain et le vin en leur disant : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

Salomé – Que voulait-il dire ?

Marie – « Je veux être en vous, comme l’Amour de mon Père est en moi. »

Madeleine (émue) – L’Amour... L’Amour... Il n’avait que ce mot-là sur les lèvres.

Marie – « Je vous donne un commandement nouveau : Que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. »

Salomé – J’ai peur !... J’ai peur !...

Marie – Salomé, il a dit encore : « Que votre cœur ne se trouble point et ne s’effraye pas, car, moi, je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. »

 

Cette paix, Marie la possède en son cœur et cet amour l’habite depuis si longtemps. Aurait-elle agi autrement si, comme le suggère l’auteur, elle avait rencontré Judas ? Aidés par son intercession, des hommes ont réellement pardonné à leurs pires ennemis, tel ce vieux Wang, boxeur chinois dont l’histoire authentique a été portée à la scène par Ghéon, et qui mourut pour avoir violenté sa nature en pardonnant au bourreau de sa famille et avoir ensuite assisté ce même homme sur les fonts baptismaux. Il est donc permis d’imaginer ainsi la rencontre de la mère et du traître :

 

Marie (simplement, vers lui) – Judas...

Judas (sourdement) – Ne croyez pas que je voulais vous rencontrer, j’ai tout fait au contraire pour vous éviter.

Marie (pitoyable) – Pourquoi, Judas ?

Judas (stupéfait) – Pourquoi ? Vous me demandez pourquoi j’ai voulu vous fuir ?

Marie – Il fallait au contraire venir à moi tout de suite.

Judas (comme plus haut) – À vous ? Mais vous ne savez donc pas... ?

Marie (tout simplement) – Je sais, Judas, que tu es malheureux.

Judas (sourdement) – Je suis un malheureux, voilà ce que je suis.

Marie – Je sais qu’après avoir livré Jésus par un baiser, tu n’as plus que de l’amertume dans la bouche.

Judas (rageur) – Je crache sur moi-même ; je me suis à dégoût.

Marie – Une brebis perdue, Judas, et ton Maître abandonne tout le troupeau pour aller à sa recherche. L’as-tu oublié ?

Judas – Moi j’ai vendu le maître du troupeau.

Marie – Et il t’a dit encore : « Ce n’est pas jusqu’à sept fois qu’il faut pardonner, mais jusqu’à septante-sept fois. »

Judas – La mer ne laverait pas mon péché.

Marie – Il est une mer que nul ne peut épuiser, je te le jure. Repens-toi, Judas.

Judas – Non.

Marie (pressante) – Repens-toi.

Judas – Je jetterai dans le temple le prix du sang qui me brûle les doigts. Et, maudissant ma vie, maudissant ma mort, j’irai me pendre !... (Éperdu, il se sauve).

Marie (défaillante, est soutenue par Madeleine et Salomé) – Ô glaive... Glaive...

Madeleine – Pouvait-il en être autrement ?

Marie – Tout pouvait être sauvé, aux pieds de Jésus.

 

L’entrevue de Marie et de Pierre fait un contraste frappant avec la précédente. Un mot suffit à ramener le renégat. Certes, l’évangéliste nous rapporte que Jésus regarda Pierre et que le coq chanta. Marie, la corédemptrice, ne s’est pas montrée plus sévère que son fils :

 

Pierre (marchant à reculons) – ... Je ne le connais pas !... Je ne le connais pas !... Je jure le Dieu tout Puissant que je ne le connais !...

Marie (douloureuse, vers lui, après un petit temps) – Pierre !...

Pierre (se retourne, la voit et, bouleversé, il murmure) : – Oh ! Marie ! (et éclatant en sanglots, il se sauve).

Marie (murmure douloureusement) – « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. »

 

Qu’importe que ces mots aient été dits plus tard, et par Jésus ? Ils traduisent ici les sentiments que dut avoir la Vierge à l’annonce de toutes ces défections, alors que son fils subissait la torture et que seules quelques femmes éplorées suivaient encore sa Passion. Chez Marie, aucune rancœur : une âme confiante et baignée d’amour de Dieu, dans un corps brisé de fatigue et dans un cœur broyé d’angoisse. Visage pathétique de la Mère des Douleurs. Jusqu’à la lie elle boira son calice et, ayant retrouvé Jean, disciple fidèle, elle l’entraîne à sa suite au pied de la croix.

Ici commence la voie glorieuse et, avec le triomphe de Jésus, celui de Marie. Resté seul auprès de la Vierge, les autres s’étant dispersés en mission aux quatre coins du monde, Jean refait chaque jour avec elle le pèlerinage du chemin de la croix. En passant ils évoquent le visage du Christ et surtout ses paroles qui doivent rester gravées dans le cœur de ceux qui les ont recueillies. Ensemble ils égrènent les souvenirs et nous montrent comment Jésus peut rester présent parmi nous, si nous le voulons bien.

L’heure approche cependant où la servante humble et fidèle doit recevoir sa récompense, où la mère va rejoindre son fils. Comme jadis au jour de l’Annonciation, Marie va recevoir la visite de l’Ange, envoyé par Dieu pour répondre à sa prière :

 

Marie (avec une extrême et touchante sérénité) – Jésus... (un temps encore, puis) : « La Puissance de Dieu vous couvrira de son ombre. » (Elle réfléchit). Seigneur, qu’avais-je fait pour être ainsi revêtue de votre Puissance ? Qu’avais-je fait pour être « pleine de grâce » ? Une créature, Seigneur. Une créature en tout semblable aux autres... D’où vient que vous l’avez remarquée et choisie ? D’où vient que, par la visite de l’ange elle est devenue votre épouse ? (Un temps. Émue et tendrement souriante) : Dieu avec moi. Dieu en moi... Et moi, Seigneur, avec vous, dès ce jour-là, et pour toute l’éternité... (Un temps) Qui donc, Seigneur, qui pourrait désormais rompre le lien qui nous unit ? Qui pourrait nous diviser ou nous séparer ? Par votre mystérieuse volonté, nous sommes devenus une seule chair : la mort seule, avec sa faux, s’est permis de trancher entre vous et moi. Ô mort, as-tu si grand pouvoir ? N’as-tu pas outrepassé tes droits ? Le Livre a dit : « L’Amour est plus fort que la Mort. » Amour, Amour, montre-moi ce soir ta Puissance. C’est à toi, à toi seul que je confie mon dernier souffle. (Un temps. Elle sourit à son espérance).

 

Alors paraît Gabriel et sa salutation reprend celle de jadis. L’annonce qu’il vient faire est celle d’un bonheur nouveau : l’accomplissement d’une attente si longue, depuis l’Ascension, qu’il n’est plus besoin de questions. Marie, du reste, ne pense déjà plus à elle. Toute à la joie de ce revoir, elle demande en grâce que les Apôtres, épars dans le monde, puissent se réunir près d’elle en un dernier adieu. « Fiat », répond l’ange, car Dieu peut les réunir en un instant, « que la volonté de Dieu s’accomplisse »...

Auprès de la couche où repose leur Mère, les Apôtres accourent, émerveillés du miracle qui les rassemble de si loin et si vite, mais douloureusement émus de cette nouvelle séparation. Marie, doucement, simplement, avec cette grâce maternelle qui devait la rendre si belle et si aimable, leur distribue son héritage :

 

« Seigneur, je n’étais pas digne de te recevoir. Mais tu as eu compassion de moi... J’ai gardé le trésor que tu m’avais confié. Permets que les puissances de l’Enfer n’aient aucun pouvoir sur ta servante ! Je tremble, créature indigne que tu as formée de la terre. Il n’y a rien de bon en moi, si ce n’est ce que j’ai reçu de ta bonté. Tu es le Seigneur Dieu !... Tu es le Seigneur Dieu !... Sois béni dans les siècles des siècles !... Soyez tous bénis, mes enfants... Travaillez avec foi, avec courage, à l’établissement de cette sainte Église de Jésus, dont je sois la fille comme vous... Je vous assisterai, n’ayez crainte, et mon Fils ne me refusera aucune des grâces que je demanderai pour vous... Je voudrais, au moment de vous quitter, me dépouiller entre vos mains de tout ce que je possède encore : il est de bonne coutume qu’un enfant recueille l’héritage de sa mère... Je n’ai ni or, ni argent, ni aucune richesse, ni aucune pierrerie... Je vous donnerai donc ma pauvreté, et ma confiance, et ma joie au milieu des pires détresses, et surtout, mes fils, je vous donnerai la grande vertu qui a soutenu toutes les heures de ma vie : l’Amour. »

 

Le partage est fait. Dépouillée de tout, ayant légué tout son trésor d’amour, Marie veut cependant donner au monde un bien précieux qu’elle n’a pas remis aux Apôtres. Au Père Leleu qu’elle appelle près d’elle, et par lui à tous les malheureux du monde, pour que leur Espérance ouvre les yeux, Marie lègue... ses larmes.

Larmes de joie d’abord, car la mort a rendu la mère à son fils. Jésus vient de recevoir l’âme de la Vierge et la berce sur ses genoux, comme jadis il avait été ber dans la grotte.

 

Jésus – Dors, mon enfant !... Dors, mon petit enfant. Comme j’ai dormi dans tes bras la nuit de Noël et comme, dans mon temple de Jérusalem, j’ai dormi insouciant, alors que le vieux Siméon brandissait sa terrible promesse, à mon tour je te tiens pressée sur ma poitrine. On n’est plus la mère, aujourd’hui, qui tient et protège son Fils, mais le Fils qui a recueilli la jeune âme de sa maman. (Il la berce doucement) Dors, belle âme. Dors, petite mère. Dors, Marie... Il n’y a plus de neige, il n’y a plus de glaive, il n’y a plus de croix. Ton fils est vivant et ne peut plus mourir, et toi-même je te conduis à rencontre de ton corps pour que vous vous réjouissiez de compagnie...

 

Émus, les Apôtres veillent devant la chambre où Marie s’est endormie en Dieu. Il ne manque que Thomas. Ayant douté une fois de plus, Thomas s’est tirer l’oreille avant de répondre à l’appel mystérieux qui, du fond des Indes, le poussait de se mettre en route. C’est pourquoi le voici puni de nouveau : il arrive trop tard. Tout est consommé et les Apôtres, navrés, lui annoncent la nouvelle. Thomas, cependant, veut revoir le cher visage ; les Apôtres le conduisent à la couche où repose le corps de leur mère. Stupeur : la couche est vide et toute fleurie de lys. Jésus a tenu sa promesse : il est venu chercher le corps si pur de qui il avait reçu son visage humain. Désormais, Marie, à ses côtés, participe à son triomphe et répand sur le monde les grâces dont elle est remplie.

 

« Ne considérez pas inutilement, ainsi que les Apôtres stupéfaits, une couche fleurie où reposait leur espérance. Écoutez ! Les Anges du ciel qui ont chanté dans la nuit froide : “Paix aux hommes de bonne volonté” sont prêts à célébrer, ce soir, le règne de la paix. »

 

 

 

Maurice DELÉGLISE.

 

Paru dans la revue Marie en mars-avril 1953.

 

 

 

 

 

 

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