La royauté de Marie dans la poésie anglaise

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Ruth DERRICK

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          Adam gisait en esclavage,

          Pendant quatre mille hivers

          À cause d’une pomme

          Qu’il avait prise ;

          C’est ainsi que les lettrés

          L’ont appris dans leurs livres.

          Si la pomme n’avait pas été prise

          Notre Dame n’aurait jamais été Reine du Ciel

          Heureux le temps où cette pomme a été prise !

          Car nous pouvons à cause de cela

          Chanter : Deo Gratias ! (Moyen Âge)

 

 

              Adam lay ibounden,

                  bounden in a bond,

              four thousand winters

                  thought he not too long ;

              and all was for an apple,

                  an apple that he took,

              as clerkes finden

                  written in their book.

              Ne had the apple taken been,

                  the apple taken been,

              ne had never Our Lady

                  been Heaven’s Queen.

              Blessed be the time

                  that apple taken was !

              Therefore we may singen

                  Deo gracias.

 

 

La poésie anglaise, peut-on dire, ne commença que quand la langue anglaise fut parlée, mais le peuple de cette île parlait et chantait à Notre Dame aussitôt qu’elle en fut connue et l’Angleterre devint son domaine. Les hommes se sont efforcés depuis à donner une expression adéquate à leur amour pour elle, ce qui est surtout le privilège des poètes, et dans leurs efforts ils lui adressèrent les plus belles paroles qu’ils pouvaient trouver. Mais hélas, la parole dans la profondeur de sa signification dépend des images qui nous entourent, et oblige le poète par analogie ou par négation de s’exprimer en dehors de la portée de l’esprit. La poésie anglaise attribue sans cesse le titre de Reine à Marie : Reine de courtoisie, Reine des Reines, Reine des cœurs humbles, Reine des vagues, Reine de mon amour, Reine de Mai, Reine tous les Saints, Reine du Paradis, céleste Reine, Souveraine des Reines. Elle règne comme Reine du pays dans le treizième siècle, comme Reine du Purgatoire dans le dix-neuvième et Reine des Sept Douleurs dans le 20e. Nous nous réjouissons que ses perfections soient incompréhensibles à toute raison créée, même à la sienne et au-delà de toute description humaine, et illogiquement nous nous affligeons de ne pouvoir exprimer notre amour.

 

Nous trouvons sa royauté exprimée dans un poème du moyen âge : « Notre Dame Souveraine ».

 

 

            Reine des Vierges

            Brillante étoile polaire

            Nous devrions nous efforcer

            De vous honorer jour et nuit.

            Salut, gracieuse Reine

            Belle entre toutes.

 

 

                Of virgins Queen,

                Lodestar of light

                Whom to honour

                We ought endeavour

                Us day and night.

 

 

Elle est la toute puissante Reine, la Bienheureuse Reine de Chaucer et il partage avec nous son amour pour elle. Au dix-neuvième siècle, le protestant Wordsworth prend part à notre amour et s’exprime ainsi :

 

 

    Mère, dont le sein virginal

    Fut étranger à toute ombre de péché

    Femme ! glorifiée entre toutes les femmes,

    La seule femme dont notre nature souillée peut être fière.

 

 

          Mother ! whose virgin bosom was uncrost

          With the least shade of thought to sin allied ;

          Woman ! above all women glorified,

          Our tainted nature’s solitary boast.

 

 

Quelque trente ans avant la définition de la doctrine de l’Immaculée Conception, Chesterton au vingtième siècle nous dit :

 

 

      Notre Dame alla dans un pays étranger

      Où elle fut couronnée Reine,

      Personne n’eut besoin de la questionner,

      Mais seulement en la regardant

      Ils furent saisis par son incomparable beauté

      Comme nous l’avons été nous-mêmes.

 

 

    Our Lady went into a strange country

    And they crowned her for a Queen,

    For she needed never to be stayed or questioned,

    But only seen ;

    And they were broken down under her unbearable beauty,

    As we have been.

 

 

Notre Dame de qui Coventry Patmore a dit :

 

 

      Créature de Dieu, l’unique perfection venant de Lui,

 

          Creature of God rather the sole than first,

 

 

 inspire nos poètes parce qu’elle était Immaculée et aussi par son privilège unique de Vierge-Mère.

 

 

          Dame, fleur de toutes choses,

          Rosa sine spina,

                 Vous avez porté Jésus, le Roi du Ciel

          Gratia Divina.

                 Entre toutes vous avez remporté le prix,

          Dame, Reine du Paradis,

                 Electa,

          Douce Vierge, Mère,

                 Es effecta.

 

 

                  Lady, flower of everything.

              Rosa sine spina,

                  Thous bore Jesus, Heaven’s King,

              Gratia Divina.

                  Of all I say thou bore the prize,

                  Lady, Queen of Paradise

              Electa,

                  Maiden mild, Mother,

              Es effecta.

 

 

Et :

 

 

                Veni, Electa mea, douce élue,

                Sainte Mère et Vierge Reine

 

          Veni, Electa mea, meekly chosen

          Holy Mother and Maiden Queen.

 

 

nous vient d’auteurs anonymes du Moyen Âge.

 

Pour Crashaw, dans le dix-septième siècle, elle est « Reine des cœurs humbles », parce que son humilité nous humilie devant elle et est une part de sa majesté. Père Faber (1814-1863) nous rappelle que

 

 

la Reine des Anges restera à jamais la Mère des hommes.

 

      the Angels’ Queen Man’s Mother still will be.

 

 

Sa royauté dérive aussi de ses rapports intimes avec le Roi. Henry Constable (1562-1613) s’exclame ainsi :

 

 

      Ô Reines qui portez des couronnes terrestres

      Cessez de vous glorifier dans les pompes mondaines :

      Si les hommes vous entourent avec autant de respect

      Vous qui êtes filles, épouses et mères de roi ;

      Quels honneurs devons-nous à cette Reine

      Qui avait votre Dieu pour Père, Époux et Fils ?

 

          Cease then, O queens, who earthly crowns do wear,

          To glory in the pomp of worldly things :

          If men such high respect unto you bear

          Which daughters, wives and mothers are of kings ;

          What honour should unto that Queen be done,

          Who had your God for Father, Spouse and Son ?

 

 

Ben Jonson (1573-1637) l’appelle :

 

 

                Fille, Mère et Épouse de Dieu.

 

      Daughter and Mother and the Spouse of God.

 

 

Bx Robert Southwell :

 

 

          Perle précieuse, digne d’un prix inestimable,

          Épouse, elle monte vers son Bien-aimé,

          Princesse, elle prend possession de son trône,

          Reine, elle monte vers son céleste Roi.

 

 

      Gem to her worth, Spouse to her love ascends,

      Prince to her throne, Queen to her Heavenly King.

 

 

Adressée par le Christ, dans « Veni Coronaberis » (c. 1430) :

 

 

          Tu habiteras avec ton enfant resplendissant

          Et dans ma gloire tu seras appelée Reine.

 

 

          Thou shalt abide with thy Babe so bright,

          And in My glory be called a Queen.

 

 

Ainsi d’une manière toute spéciale Notre Dame est Reine alterum Christorum. Elle est nommée « Regina Cleri » par Fr. Bridgett (dans le dix-neuvième siècle) dans une magnifique pièce de vers comme une

 

 

          qui porte l’empreinte sacerdotale de ton Fils.

 

              who bears the priestly image of thy Son.

 

 

Elle est Reine parce que Dieu l’a couronnée telle. Mais Aubrey de Vere demande en 1884 :

 

 

    Sent-elle le fardeau de sa destinée

    De couronnes et de sceptres et la louange de toute la terre ?

    Qui veut honorer la plus humble ici-bas ?

    Elle qui voudrait n’être rien

    Doit-elle être la Reine de tous ?

    Pas encore, pas encore ;

 

 

    Feels she the destined weight

    Of crowns and sceptres, and the wide earth’s praise,

    Honouring earth’s humblest ? She that would be nought,

    Must she be Queen of all ?

    Not yet ; not yet ;

    Ere comes that day she must be Queen of Woes.

 

 

Avant l’arrivée de ce jour elle doit être Reine de douleurs. Et Francis Thompson (1859-1907) dit :

 

 

        Ô Dame Marie, ta brillante couronne

        N’est pas seulement couronne de majesté ;

        Car le Christ avec ses épines resplendissantes

        Te ceint le front également.

 

 

                O Lady Mary, thy bright crown

                Is no mere crown of majesty ;

                For with the reflex of His own

                Resplendent thorns Christ circled thee.

 

 

Ici nous approchons du centre même de la vérité qui proclame la royauté de Marie. Royauté n’est pas seulement majesté, mais immensément plus. Le Roi des rois a été crucifié pour avoir proclamé cette vérité ; Pilate le reconnut et ce titre fut cloué à la croix. Le titre de Notre Dame est aussi cloué à la croix.

 

La puissance et le gouvernement, qui au sens littéral sont la signification de la royauté, dépendent de cela et s’en suivent.

 

 

            La dame, Reine voilée dans le mystère

            Et Régente du paisible firmament (de Belloc)

 

                Lady, Queen and Mystery manifold

                And very Regent of the untroubled sky

 

 

devait d’abord voir le soleil s’obscurcir et souffrir toutes ces choses et entrer ainsi dans sa gloire ; la gloire est le partage dans l’œuvre du Roi ; gloire trop grande pour être inabordable.

 

 

        La Reine des Anges, Reine ravissante,

        est la Mère patiente des pécheurs (Fr. Faber)

 

 

        The Angels’ Queen, the beautiful Queen,

        is the sinners’ patient Mother.

 

 

Le sens exact de royauté est l’attribut qui surpasse nos faibles moyens d’expression.

 

 

      Vivez, couronne des femmes ; reine des hommes,

      Vivez, maîtresse de nos chants

      Quand nos faibles désirs ont fait de leur mieux

      Doux anges, venez achever nos louanges. (Crashaw)

 

 

            Live, crown of women ; Queen of men,

            Live mistresse of our song. And when

            Our weak desires have done their best,

            Sweet angels come, and sing the rest.

 

 

Et alors elle nous soulève au-dessus de l’abîme avec la tendresse d’une Mère. Inspiré par St Bernardin : « Toutes choses obéissent au commandement de Dieu, même la Vierge ; toutes choses obéissent au commandement de la Vierge, même Dieu », Fr. Bridget chante le mystère de sa puissance :

 

 

                Il était soumis, parce qu’Il régnait

                Dans le cœur de sa Mère

                Et tout en commandant son Dieu

                Marie restait dans son rôle d’Ancelle.

 

 

              Subject He was, because He reigned

              Within His Mother’s heart ;

              And Mary, while her God she ruled

              Played still the handmaid’s part.

 

 

Et encore :

 

 

            La plus humble Vierge qui habite la terre

            Est Reine du Ciel

            Elle gouverne l’univers par droit,

            Elle gouverne Dieu par amour.

 

            The humblest Maid e’er dwelt on earth

            Is Queen in Heaven above –

            Ruling the universe by right,

            And ruling God by love.

 

 

Et John Donne (1573-1631) l’appelle :

 

 

            Créateur de ton Créateur et Mère de ton Père.

 

           Thy Maker’s Maker and thy Father’s Mother.

 

 

Le gouvernement personnel de Notre Dame et sa sollicitude pour tout ce qui concerne la vie de ses sujets « Qu’elle pare avec la lumière de la grâce de Dieu » apparaît dans chaque poème qui lui est dédié et montre l’amour personnel et la reconnaissance du poète. « Dominus possedit me in initio viarum sua rum, antequam quidquam faceret a principio. Ab aeterno ordinata sum, et ex antiquis, antequam terra fieret. » Ce mystère est-il resté de toute éternité dans l’amour de Dieu pour l’humilité en s’abaissant lui- même par elle ?

 

 

Ruth DERRICK, T.O.S.M.

 

Paru dans la revue Marie en mars-avril 1955.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net