Quel honneur ! Quel honneur !...

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Léo-Paul DESROSIERS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANS le Dîner en Ville Claude Mauriac, fils de François Mauriac, tente l’« un de ces essais de modification des règles romanesques », dont on fait état en France depuis quelques années. Tout le roman se résume dans la conversation et dans les pensées intérieures de huit convives présents dans un hôtel de l’Île Saint-Louis, en face du quai des Tournelles, à côté de ce pont des Tournelles dont la Sainte-Geneviève, jaillissaient de l’un des piliers, surveille l’amont d’un regard de bonté, d’austérité.

La tentative n’est pas sans mérite. Par moment, la conversation imite assez bien la vie, chacun écoutant peu son voisin, les phrases se coupant l’une l’autre avant même de devenir compréhensibles, quelques-uns s’entêtant dans un sujet favori qu’ils ramènent, d’autres assistant à la conversation plutôt qu’ils n’y prennent part, tous révélant leur obsession dans des formules qui ne sont jamais prononcées. Cet effort a certainement plus de portée que bien d’autres ; il dépasse en particulier celui que l’on pratique même au Canada et qui consiste à vider le roman de tout ce qu’il a contenu ou qu’il peut contenir ; car alors, évidemment, pourquoi lire une œuvre vide ?

Toutefois, Claude Mauriac manque son entreprise pour la raison suivante : il modifie plutôt la forme que le fond. La substance romanesque reste la même. Et alors quelle nouveauté réelle le roman peut-il apporter ? On n’en voudrait pas d’autre preuve que l’inénarrable jeune fille canadienne-française qui fait partie des convives. Quel honneur ! quel honneur !, et que tous les Canadiens-Français sauront sans doute apprécier à sa véritable valeur. Cette héroïne parle même ce que nous pourrions appeler notre idiome, l’auteur lui ayant soufflé certaines de nos façons de nous exprimer. Elle a été « déviergée » à quatorze ans, dans un champ de trèfle des environs de Québec, par un Mascoutin, pensez donc, est devenue ensuite une traînée des bas-fonds ; elle s’est vite spécialisée dans l’exploitation de l’homme riche ; enfin, elle s’est fait une carrière glorieuse dans le cinéma. Guère loquace, elle se demande avec lequel des convives influents ou riches elle se mettra au lit un peu plus tard afin d’avancer ses plans, ou si elle n’écoutera pas ses sens en choisissant un jeune homme présent, voilà notre Canadienne. C’est gentil, ne trouvez-vous pas ? Mais quoi faire de neuf avec cette matière romanesque si souvent sabachée, si souvent ouvrée ? Non. La forme seule n’apportera pas de rénovation au roman.

L’obstacle est toujours là. Toujours des personnages du même acabit, toujours des aventures sensuelles du même genre, toujours des scènes impudiques, toujours la même atmosphère vache de volupté, toujours des jeunes filles, des femmes qui s’abandonnent aux séductions, toujours des incestes, toujours des accouchements, toujours la mentalité de gens abêtis, vidés, avachis, pourris par les plaisirs des sens sous des plafonds bas qui dérobent la vue de toutes les étoiles. Qu’on l’assaisonne d’une façon ou de l’autre, c’est toujours le même plat qui ne vise en bonne partie qu’à l’excitation génésique. Dans ces circonstances, comment espérer un renouvellement d’une envergure quelconque ?

Alors, dans quelle domaine s’élancer ? Justement, la production littéraire de cette année contient une œuvre qui indique la route de l’évasion. C’est un livre posthume, inachevé de Joseph Malègue, le grand romancier à qui nous devons Augustin. Il s’intitule Pierres Noires. Le roman est pour la première partie d’une lecture difficile ; il est lourd et ne peut s’absorber qu’à petites doses. Mais même dans sa forme incomplète, il contient bien des chapitres qui confinent au chef-d’œuvre. L’histoire, par exemple, d’Henriette de Plazenat et de Jacqueline de Brugnes est l’une de ces réussites extraordinaires qui tiennent du plus haut génie. Nous voici devant une acuité d’analyse intérieure qui dépasse celle de Marcel Proust, devant une profondeur de pénétration des âmes qui n’a pas sa pareille, devant une sensibilité à tous les éléments du monde extérieur qui apporte une poésie continuelle. Les âmes catholiques, vraiment catholiques, Malègue a eu cette audace de les aborder de front ; de ne pas s’arrêter en surface ; d’explorer de quelle façon fonctionnaient dans ces consciences, les préceptes, la pratique des vertus, les enseignements clairs, les directions sûres, à mesure que surviennent les difficultés, les obstacles, les problèmes, les émotions profondes de l’existence. Au début, c’est peut-être Jacqueline qui retient mieux l’attention. Son père s’est ruiné, s’est suicidé ; elle a exigé que la dot de sa mère soit sacrifiée pour payer toutes les dettes ; arrachée violemment de son milieu, elle a soigné sa mère qui est devenue folle, puis elle s’est voué à l’enseignement dans une école pauvre de village ou elle vit avec deux religieuses sécularisées. Combien de romanciers n’auraient distingué que les tics, les manières, les habitudes de vieilles filles de ces personnes et auraient exercé leur ironie mordante sur un certain nombre de complexes. Au contraire, Malègue ne voit pas superficiel, il voit profond et voici soudain le pathétique inimitable des nappes sous-jacentes de bonté, d’amour, de dévouement, de miséricorde. Gouvernée par les circonstances, Jacqueline retombe soudain, en qualité d’institutrice, dans le milieu dont elle a été arrachée, auprès de l’homme qu’elle a aimé pendant son enfance et son adolescence. Ressaisie par son ancien amour, affolée, voyez-là se pencher, beaucoup trop, sur un balcon, rapidement visitée par l’idée du suicide, retenue par le Décalogue comme par une balustrade de pierre inerte qui la garde même si elle y pense à peine. L’instant d’après, vous vous apercevez que c’est l’analyse d’Henriette, la femme légitime, qui est poussée le plus loin. C’est elle qui est le plus intimement catholique, le plus profondément croyante ; elle fait oraison tous les matins et rajuste continuellement ses pensées, ses sentiments, s’impose des disciplines ; elle devine vite l’amour rallumé entre son mari et cette compagne d’enfance qui est très belle, très fine, et possède probablement une nature plus riche que la sienne. Situation trouble où les passions déploient leurs puissances obscures, et comme toutes leurs furies ; mais que le catholicisme sait pénétrer, reprendre en mains, assagir. Jamais on n’avait vu de façon aussi nette la façon dont une foi intense peut agir pour le bien des âmes et susciter les floraisons d’actions bonnes. Non pas qu’Henriette soit parfaite non pas qu’elle soit au-dessus de l’humanité ; elle n’est pas la sainte qui a atteint la perfection ; elle est l’inférieure de Jacqueline sous bien des rapports : mais grâce à sa prière, elle atteint quelque équilibre merveilleux dans une situation difficile, évitant, par exemple, l’écueil de la haine qui la tourmente. Des romans de ce genre, ils ont de l’espace pour manœuvrer, ils ont de la perspective, ils ne s’assomment pas aux solives des plafonds bas, ils ne s’asphyxient pas dans la fumée, les relents d’alcool et de sensualité.

Mais à quoi bon parler ? On peut dire que les catholiques ne s’intéressent pas au roman, ne connaissent pas le roman Ils ignorent totalement toutes les larmes qu’ils devraient pleurer sur la mort prématurée de cet écrivain de génie qui n’a laissé qu’un grand livre achevé, Augustin. Sa carrière révèle une tristesse sans nom. Il publie sa première œuvre. Malgré toute son attention, les fautes d’impression se sont glissées un peu partout. Et rien ne bouge. Aucune recension ne paraît nulle part ; les semaines, les mois se passent et c’est l’immobilité du silence. Les catholiques ignorent totalement qu’un grand romancier leur est né, est né au monde. À la fin, après une très longue attente, le premier article lui viendra de la vallée du Saint-Laurent, d’une jeune femme de chez nous. Mais pas de prix pour lui, il reste longtemps en dehors de la grande critique. Pourtant, il est un homme malade, il aurait besoin d’un encouragement, d’un peu d’attention de la part des siens pour qui il a si bien travaillé. Enfin, une aube se lèvera pour lui, mais très tard, et la mort l’atteindra dans le chantier ou il construisait Pierres Noires. Pourtant, il l’apportait, lui, la formule nouvelle du roman, il serait devenu chef de file, il aurait créé un genre bon et durable. Il avait l’abondance de la phrase, des images, des observations, des comparaisons, celle plus pénétrante encore de la poésie, et une lucidité phénoménale dans l’étude de l’âme humaine.

Sans doute, le roman, tel qu’il est souvent, n’est pas une nourriture pour les catholiques. Toutefois, le catholicisme ne peut s’en désintéresser. Une comparaison fera saisir ce point. La baleine bleue est la reine du monde animal par son volume, ses dimensions, son poids, sa puissance ; toutefois, elle a une ennemie, l’orque qui est beaucoup plus rapide qu’elle, est armée d’une denture puissante, la chasse en bande et souvent la détruit. Or, depuis Voltaire, Diderot, les romanciers français ou étrangers qui se succèdent depuis un siècle, le catholicisme subit des pertes énormes du fait de ce genre littéraire. C’est lui qui est l’ennemi attaqué de toutes les façons. Il combat très bien, et l’on peut même dire très minutieusement, les métaphysiques, les philosophies, les dialectiques, les doctrines qui lui sont opposées. D’ordinaire, la réponse vient vite, elle est surabondante et convaincante. Mais il livre cette bataille dans le domaine abstrait, de la pensée ; ou bien encore dans le domaine des revues et des livres à tirages limités que lisent, seuls, des spécialistes.

En général, il ne se soucie guère du roman, de la nouvelle, des essais légers, des pièces de théâtre qui sont justement pour lui les orques qui lui infligent des hémorragies dangereuses. Il n’a pas encore aujourd’hui développé une technique efficace pour s’en défaire ou les combattre avec fruit. Il détruira l’existentialisme de Sartre dans des ouvrages à deux mille exemplaires, mais les romans de Sartre qui propagent la doctrine se vendront à des centaines de mille exemplaires, et ces derniers auront tous les avantages que comportent un choix habile des personnages, des situations cuisinées, la magie des mots, des sentiments du style romanesque. Évidemment, la partie n’est pas égale.

Ce n’est pas tout. Ici, une autre comparaison est nécessaire. Tous les automobilistes se défient aujourd’hui des « trappes » que les municipalités leur tendent pour leur soutirer des amendes : poteaux indicateurs déplacés ou plantés dans des endroits dérobés et dans les lieux ou le ralentissement est impossible. Or, le théâtre, le roman fourmillent de « trappes » pour les lecteurs catholiques. Qu’un théologien lise par exemple avec attention les œuvres de Thomas Mann, de Bernard Shaw en particulier, d’Anatole France ; s’il a l’esprit vif, il saisira tout de suite la multiplicité effarante des « trappes » qu’il rencontrera continuellement. C’est une succession de petites et souvent de grandes questions religieuses qui sont soulevées et réglées dans le sens de l’auteur, c’est-à-dire dans le sens de l’incroyance et du scepticisme ; et si habilement posées et dans des situations telles, qu’il devra faire appel à toutes ses connaissances pour les résoudre. Les auteurs précédents posent des « trappes » qu’il est facile de répéter parce qu’ils y vont franchement, brutalement, et ouvertement. Mais que d’autres, parmi les modernes, procèdent avec subtilité, finesse et astuce. Personne ne les distinguera à moins de connaître à fond ce genre littéraire. Les plaidoyers dissimulés lui passeront sous les yeux sans qu’il en prenne nettement conscience. En plus, la simple atmosphère d’un livre, d’une pièce de théâtre comporte un raisonnement secret et répand une sympathie ou une antipathie. D’ailleurs le genre romanesque est aujourd’hui un produit composite, subtil, où vous trouvez du freudisme de l’existentialisme, du surréalisme, du sensualisme, des convocations continuelles à la volupté. Pas sous une forme apparente la plupart du temps et c’est bien là le danger. On descend souvent à des trucs assez sordides pour produire une impression, laisser une conviction.

Qu’il serait intéressant d’étudier, dans cette lumière précise, un roman d’aujourd’hui. L’Empire Céleste, par exemple, de Françoise Mallet-Joris, publié en 1958, et qui a obtenu l’un des grands prix de France. Cette romancière ne s’en défend pas, elle veut détruire toutes les valeurs, les vertus, qu’elle appelle les grands mots vains. Naturellement, tout le livre est cuisiné dans ce sens, toutes les situations sont inventées pour prouver son point. Les scènes se déroulent dans les rues louches de Montparnasse, qui, avant 1920, fut le quartier des plaisirs qu’est devenu ensuite Montmartre. Naturellement, le personnage principal, ridicule et vain, est un catholique. Enfant, il s’attendait à une extase, le pauvre, lors de sa première communion et il s’est déséquilibré. Mais ce catholique, qu’a-t-il de catholique ? Rien du tout. Dans son existence de fantoche, il ne révèle, nulle part, l’âme, l’intelligence catholiques qui savent si bien se conduire dans les événements de la vie, qui ont de la prudence, de la force, un jugement formé. Alors, c’est avec cette créature artificielle pue l’auteur veut discréditer le catholicisme. Son personnage à imiter est une prostituée que le précédent a épousée dans le dessein de la régénérer. Elle se promène dans des lieux louches, se donne sans difficulté, prend l’argent qui s’offre. Elle incarne ce vieux rêve que dans la volupté est le bonheur du monde. Mais où est-il le bonheur dans ce monde sans christianisme que l’auteur nous peint, tous ces ratés sans espérance, certainement plus malheureux que des chiens ? Justement, ce qui leur manque à tous, c’est la direction d’un catholicisme efficace qui leur apprendrait la manière de se comporter dans l’existence. À qui fera-t-on croire que l’animalisme est une solution ? Le freudisme s’incarne dans une jeune fille laide, atrocement malheureuse qui, naturellement, trouvera le bonheur en trouvant l’amant, ce qui est une autre façon bien sommaire de régler le sort des êtres. Une concierge qui se nommera Madame Prêtre, sera, à cause du nom qu’il faut salir, la pire entremetteuse au monde, celle qui veut donner sa très jolie fille à un amant qui lui rapportera gros. Un ancien révolutionnaire devenu médecin, une ouvrière sociale, trouveraient encore dans le catholicisme les directives fermes qui les apaiseraient ou ajusteraient leur action. En un mot, tout le long des pages court la pensée de discréditer le catholicisme et justement un certain nombre d’idées qui, appliquées judicieusement, amélioraient le sort du monde.

Alors, on arrive à la situation suivante : des milliers de questions sont posées dans ces livres et réglées pour le lecteur dans le sens de l’incrédulité, du scepticisme, de l’anticatholicisme. C’est une succession interminable de personnages, de situations qui plaident pour des causes ; c’est une frise de scènes lascives qui convient à la sensualité ; c’est parfois une diffamation du catholicisme et des catholiques qui, partant de l’incompréhension, de l’ignorance, consiste à les caricaturer. Il existe maintenant des procédés classiques, pour continuer cette œuvre souvent cousue de fil blanc.

Avec le temps, les œuvres de ce genre feraient leurs ravages au Canada français. Plus le temps passe, plus nous devenons sous ce rapport une simple province de France comme la Provence ou la Bretagne. L’avenir ne nous apportera sûrement aucun motif d’espoir. Alors commencent à se manifester chez nous aussi les phénomènes insolites. Les petites feuilles obscènes pullulent. Les théâtres se mettent à jouer des pièces d’avant-garde, ou Tartufe, ou des productions qui commencent à manifester des intentions, des desseins. Quelques romanciers se rallient au roman noir, trouvent un éditeur, se ménagent une entrée à Paris ; dans leur suffisance, ils disent ou laissent dire que ce sont eux qui ont créé la littérature canadienne, que leurs livres représentent toute la littérature canadienne quand ils l’ont simplement inclinée vers un genre qui indique encore un peu tout le monde au Canada français, et qui, le moins que l’on puisse dire, n’est guère compatible avec le catholicisme. Soudain apparaît une "Belle de Céans qui révèle des milieux aux idées avancées. De faux ménages, des enfants qui ne savent plus bien où est leur véritable foyer se multiplient autour de vous. La classe des intellectuels ou de ceux qui lisent beaucoup, parfois elle a quitté le catholicisme, parfois vous ne savez plus où elle loge. Une largeur d’esprit est-elle le fait de gens dupés, qui ne savent guère ce qu’ils font, ou une attitude d’esprit qui révèle la disparition du sentiment religieux ? Soudain le pays invite un auteur comme Hervé Bazin qui est descendu bien bas en décréant l’un de ses parents, un auteur catholique de valeur, et encore plus bas dans l’ignoble en décrivant les amours d’une adolescente avec l’amant de sa mère qui est à l’agonie. Sans doute le gouvernement français accorde des bourses à des Canadiens ; mais trois cent soixante-cinq jours par année, notre radio, notre télévision versent de gras cachets à des artistes et à des littérateurs français ; notre pays n’a aucune dette à payer. Évidemment, le principe de l’invitation n’est pas faux, mais le passé d’Hervé Bazin ne le prédestinait certainement pas à des faveurs de notre part. Du même coup, nous nous apercevons qu’un grand nombre de bourse, qu’un grand nombre de postes de grande importance dans cette même radiodiffusion, dépendent aujourd’hui du fédéral, c’est-à-dire d’une majorité anglaise, protestante, et vous vous demandez anxieusement si ne seront favorisés chez nous que les gens qui manifestent un esprit particulier ?

Qu’on le veuille ou non, la situation du Canada français rappelle déjà et rappellera de plus en plus, la situation de la France, au milieu du dix-huitième siècle, alors qu’une classe d’intellectuels athées s’est installée sur un pays catholique et a commencé pour de bon la déchristianisation des âmes. Elle est dangereuse, car une collusion se dessine déjà entre cette porte de la France qui est incroyante et tout un groupe d’esprit chez nous qui partagent des idées et ses sentiments.

Une tâche première se présente à notre catholicisme : suivre ce phénomène avec lucidité, le dépister partout et le combattre. Les batailles religieuses se livrent depuis longtemps dans le domaine littéraire qui embrasse les métaphysiques, les dialectiques, les idéologies. Il en sera de même au Canada français. Le théâtre, le roman joueront toujours des rôles de premier plan.

Notre catholicisme est encore puissant. Encore faudra-t-il qu’il veille et qu’il veuille et sache se défendre dans l’arène particulière qui s’imposera à lui. Le premier moyen de défense et d’attaquer, est évidemment un catholicisme mieux compris, mieux approfondi, mieux pratiqué, c’est-à-dire, un catholicisme rayonnant et intense ; et en second lieu, un catholicisme enseigné avec soin, dans des leçons appropriés aux besoins de l’heure. Pour cela, il faut connaître exactement la façon dont on l’attaque, et les arguments lancés contre lui ; non-seulement dans les dialectiques abstraites, mais surtout dans le roman, le théâtre, l’essai léger, la critique, la nouvelle ; c’est là qu’est aujourd’hui le centre du combat ; c’est là que l’on trouve les multitudes d’esprits embarrassés par les sophismes, les paradoxes, les plaidoyers subtils, enveloppés dans une atmosphère de sensualité, d’ignominie, qui détruisent les croyances moins solides. Tout se passe aujourd’hui comme si notre catholicisme voulait laisser libre cours à cette propagande brutale ou souverainement insidieuse. Une critique intelligente doit disséquer à fond ces pièces de théâtre et ces romans qui cherchent des disciples. Un autre moyen est possible : répandre la littérature catholique. Et tout d’abord la connaître. Et tout d’abord n’être pas prévenu contre elle. Combien de fois n’a-t-on pas parlé inutilement de ce sujet ? Jamais on n’aura vu un groupement aussi intensément catholique que le Canada français se laisser dominer par une critique et une littérature sceptiques, adopter sur ses propres écrivains les opinions de l’adversaire, ne parler que des livres que l’autre répand. Il souffre d’une incapacité presque totale à découvrir, chercher, imposer les œuvres selon son esprit et son cœur, qu’elles viennent de la France ou de l’étranger. Se contentera-t-il d’être toujours à la remorque ? Il importe ensuite que les catholiques ne se divisent pas entre eux, qu’une unanimité se fasse dans ce domaine littéraire où viennent continuellement se prononcer des esprits qui connaissent plus moins bien la matière. Enfin, toutes sortes de questions se posent déjà à l’examen. Un groupement catholique accordera-t-il des subventions, des avantages financiers à un théâtre, à des ouvrages, qui visent à détruire sa foi, à la représenter sous des couleurs fausses ? Une société nationale encouragera-t-elle des écrivains dont les écrits tendent en sous-main à l’affaiblir ? Sans doute, il y a la grande Littérature, mais qui jouit de beaucoup moins de prestige depuis que ses écrivains, ses livres tombent, pour la plupart, au rancart et deviennent illisibles ; mais il y a aussi la littérature qui, soit avec des procédés cousus de fil blanc, soit par des moyens d’une habilité consommée, combat toujours un ennemi toujours présent à sa pensée, bien qu’elle ne le dise pas : le catholicisme. Qu’elle l’avoue ou non, l’incroyance est encore hypnotisée par cette religion, qu’elle ne connaît que bien imparfaitement d’autre part, et qu’elle s’efforce sans fin de détruire.

Notre catholicisme est jeune. Il a de l’allant, du mordant, il peut s’adapter facilement à cette bataille. Il n’est certes pas encore trop tard. Comme on l’a vu, par la réaction populaire violente qui a suivi la représentation de La Belle de Céans. La masse des catholiques en a assez de tous ces phénomènes louches auxquels elle assiste depuis quelques années. Elle n’aspire qu’à vomir toutes ces nourritures malsaines qu’on lui présente un peu partout, que le théâtre veut même servir dans les centres d’art des campagnes. Pourquoi ne commencerait-on pas le combat en énumérant toutes les puériles idéologies qui ont marqué la fin en particulier du dix-huitième siècle français ? Nous saurions alors d’où viennent ce manque de sûreté dans le jugement, cette prolifération d’idées fausses qui règnent en nos milieux depuis une quinzaine d’années, comme si l’esprit avait un besoin intime de la foi catholique pour bien penser et travailler juste.

 

 

Léo-Paul DESROSIERS

de l’Académie canadienne-française.

 

Paru dans Nation nouvelle en août 1959.

 

 

 

 

 

 

 

 

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