De la charité

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

DONOSO CORTÈS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le catholicisme, poursuivi et maltraité aujourd’hui par je ne sais quels sectaires obscurs et féroces au nom des affamés, est la religion de ceux qui souffrent la faim. Le catholicisme, combattu aujourd’hui au nom des prolétaires, est la religion des pauvres et des nécessiteux. Le catholicisme, combattu au nom de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, est la religion de la liberté, de l’égalité et de la fraternité humaines. Le catholicisme, combattu au nom de je ne sais quelle religion miséricordieuse et aimante, est la religion du parfait amour et des sublimes miséricordes.

Voilà pourquoi, dans la merveilleuse vision qu’il eut sur la montagne, lorsque le Seigneur descendit vers lui sur un trône de nuées, Moïse, parmi les grandes perfections divines qui lui furent découvertes, n’en vit pas de plus grande que la miséricorde, et s’écria dans son extase : Dominator Domine Deus, misericors et clemens, patiens et multæ miserationis, ac verax, qui custodis misericordiam in millia : qui aufers iniquitatem, et scelera, atque peccata. (Exod., c. XXXIV.)

Voilà pourquoi l’Esprit-Saint dit, au XIXe chap. des Proverbes : Fæneratur Domino qui miseretur pauperis : et vicissitudinem suam reddet ei. Et au chap. XXII : Qui accipit mutuum, sercus est fænerantis. Paroles par lesquelles Dieu se déclare lui-même, si on peut le dire, comme l’esclave de l’homme miséricordieux.

Voilà pourquoi, au psaume XVII, Dieu s’appelle, par la bouche de David, le père des orphelins et le juge des veuves.

Voilà pourquoi, au chapitre XXIV du Deutéronome, nous trouvons recommandé jusqu’à sept fois le soin des veuves, des orphelins et des étrangers.

La langue ne pourrait prononcer, la plume ne pourrait écrire, un volume ne pourrait contenir ni les promesses faites de Dieu aux miséricordieux, ni les menaces terribles que le Seigneur adresse aux avares ; la loi en est pleine, les évangélistes et les prophètes en sont pleins. C’est d’après le nombre des œuvres de miséricorde que Dieu, au jour du jugement, donne ou refuse le royaume des cieux.

Saint Paul, dans le chapitre XIII de sa première épître aux Corinthiens, s’exprime ainsi : « Quand je parlerais la langue des hommes et celle des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un métal sonore et une cymbale retentissante, et quand j’aurais le don de prophétie, et quand je saurais, tous les mystères et toute la science, et quand j’aurais une foi assez grande pour transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. »

Si des paroles prononcées par l’Esprit-Saint nous passons à ce que les docteurs de l’Église ont écrit sur cette matière, nous verrons que tous exaltent d’une commune voix la charité comme la plus grande, la plus excellente, la plus parfaite de toutes les vertus.

Saint Augustin dit (sermon XLIV, de Tempore) : « Rien n’est plus grand que l’âme qui a la charité, si ce n’est le Seigneur, qui a donné la charité. » Et encore (sermon XLII) : « Aime, et fais ce que tu voudras ; si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour ; si tu châties, châtie par amour : ce que tu feras avec cet amour est méritoire devant Dieu. » Et ailleurs (épître CV, contre Pélage) : « Ce n’est pas la multitude des travaux ni l’antiquité des services, mais la plus grande charité, qui donnera le plus de mérite et de récompense. »

Suivant saint Bernard, la charité est la mesure de la grandeur et de la perfection ; de sorte que celui qui en a beaucoup est grand, et que celui qui en a peu est petit, et que celui qui n’en a pas n’est rien. Saint Grégoire va plus loin et déclare que, par la charité, non seulement le bien que nous faisons, mais encore celui que nous désirons sans pouvoir le faire, nous est imputable. Consolante doctrine qui égale la bonne volonté à la bonne œuvre, et accorde la récompense au désir comme à l’action.

Nos descendants ne croiront jamais qu’il y ait eu un jour où cette religion divine, toute de miséricorde et d’amour, fut livrée à l’exécration des hommes au nom des multitudes plongées dans la misère et dans la barbarie, et qui ont tant besoin d’amour et de miséricorde. Ils ne pourront pas croire à la prodigieuse folie, aux fureurs insensées de ceux qui, étant pauvres, se sont levés en tumulte contre la seule religion qui ait des entrailles pour les pauvres ; qui, étant déshérités, ont attaqué de la voix, de la main et du pied la religion sainte qui leur offre un royaume pour héritage ; qui, n’ayant pas de père sur la terre, se sont révoltés contre leur unique père qui est dans les cieux et qui leur dit :

« Vous ne pouvez monter jusqu’où réside ma gloire ? Eh bien, moi, qui suis le Seigneur des prodiges, je ferai pour vous le plus grand des prodiges, et je mettrai ma gloire où vous êtes. Vous n’avez pas la science pour me connaître ? Croyez en moi, et vous aurez plus de science que ceux qui me connaissent le plus. Vous n’avez ni génie ni lettres pour convertir à moi la multitude des nations ? Désirez que toutes les nations se convertissent à moi, et je vous donnerai les palmes de la prédication et la gloire de l’apostolat. Vous n’avez pas d’eau pour ceux qui ont soif, pas de pain pour ceux qui ont faim ? N’importe ! demandez-moi que les altérés aient à boire et les affamés à manger, et le pain qui apaisera leur faim, et l’eau qui étanchera leur soif, vous seront imputés dans le ciel. Les souffrances et les années vous accablent, et vous n’avez point de force pour les bonnes œuvres ? Désirez les faire, et tenez pour certain que vous les avez faites. Vous enviez ceux qui ont eu l’ineffable bonheur de souffrir pour moi le martyre ? Désirez le subir, et tenez pour certain que la gloire des martyrs sera votre gloire. Vous ne pouvez exercer les œuvres de charité ? Soyez patients, et tenez pour certain que vous serez aussi grands devant moi par votre patience que les autres par leur miséricorde. Vous ne pouvez élever vers moi vos mains chargées des fers de la captivité ? Élevez votre voix, et votre prière sera écrite au ciel comme si vos mains s’étaient élevées avec elle. Vous êtes muets ? Que votre esprit me parle, j’entends la voix des esprits. Vous ne savez que me demander ? Je sais ce qui vous convient. Est-ce que vous ne savez pas aimer ? Si vous savez aimer, vous savez tout, parce que vous me savez ; et vous avez tout parce que vous m’avez, moi qui habite les cœurs qui m’aiment. Ne vous souvient-il pas du temps où j’étais dans le monde ? Il y eut alors une femme adultère qui était le jouet des hommes ; ses mains étaient vides de bonnes œuvres ; son âme était couverte de péchés ; elle n’entendait rien à la prière ni à l’oraison ; mais je la regardai, et elle fut prise d’amour pour moi ; elle se mit silencieusement à mes pieds, et là, ses yeux devinrent deux sources de larmes ; et elle pleura tant, que les cieux même furent en admiration devant sa douleur. Elle ne m’offrait qu’elle-même, elle ne me demandait que moi, et par cela seul son cœur contrit et humilié se revêtit d’une beauté resplendissante et plus qu’angélique ; et par cela seul, s’ils pouvaient connaître l’envie, les chœurs de mes anges et tous mes séraphins l’eussent enviée : car je l’aimai et la fis mienne, et sanctifiai de ma présence le cœur troublé de la pécheresse repentante. Ne suis-je pas celui qui emportai avec moi dans le paradis l’âme du saint larron, dans la sanglante tragédie du Calvaire ? Fut-il un homme plus coupable et plus dénué que cet homme ? Mais, en rendant son esprit, il le remit dans mes mains, comme je remis le mien aux mains de mon Père ; et, de même que mon Père me reçut, je le reçus. La grandeur de son amour surpassa la grandeur de ses fautes.

« C’est moi qui, avant de me laisser voir aux rois, me laissai voir aux bergers ; et qui, avant d’appeler à moi les riches, appelai les pauvres. C’est moi qui, lorsque j’étais sur la terre, rendis la santé aux infirmes, la lumière aux aveugles, la guérison aux lépreux, le mouvement aux paralytiques, la vie aux morts. C’est moi qui, placé entre les pauvres et les riches, entre les ignorants et les savants, entre les superbes et les humbles, passai sans rien dire ni aux riches, ni aux savants, ni aux superbes, et appelai d’une voix douce et amie les pauvres, les ignorants et les humbles pêcheurs : je me fis tout à eux ; je leur lavai les pieds ; je leur donnai mon corps pour nourriture et mon sang pour breuvage : tel fut pour eux mon amour.

« Après la gloire de mon Père, je n’ai rien tant aimé que votre pauvreté et votre amour. Souverain Seigneur de toutes choses, je me suis dépouillé de tout pour être l’un de vous. C’est à l’un de vous, et non à un prince du monde, que j’ai donné le gouvernement et l’autorité de mon Église très sainte ; et, pour lui conférer ce souverain pouvoir, je ne lui demandai pas ce qu’il avait ni ce qu’il savait, mais s’il m’aimait ; je ne recherchai pas s’il était licencié ou docteur, mais s’il avait de l’amour pour moi. Moi-même, je laissai mon vêtement royal pour prendre celui d’un esclave. Une femme fut ma mère, une étable mon logement, une crèche mon berceau. Je passai mon enfance dans le dénuement et l’obéissance ; je vécus dans la tribulation ; je mangeai le pain de la charité ; je n’eus pas un jour de repos ; ils me couvrirent d’affronts et de mépris ; mes prophètes m’appelèrent l’Homme de douleurs ; je choisis pour trône une croix, je reposai dans un sépulcre étranger : en rendant mon esprit à mon Père, je vous appelai tous à moi. Et depuis lors je ne cesse pas de vous appeler : voyez, mes deux bras s’ouvrent sur la croix pour vous recevoir tous. »

 

 

DONOSO CORTÈS, Esquisses historico-philosophiques, 1854.

 

 

 

 

 

 

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