De femme à femmes

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

FADETTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus j’avance dans la vie, plus j’en connais les duretés et les misères, plus les confidences me permettent de mieux pénétrer les âmes et plus je vois clairement que bonheur et malheur dépendent plus de nous que des circonstances et des évènements extérieurs.

Et la preuve, c’est que dans la vie de femmes qui se disent malheureuses, et qui le sont, il y a beaucoup d’éléments de bonheur et que ces pauvres femmes savent tirer du mécontentement du bien lui-même. Avec un mari travailleur et dévoué, une aisance relative, des enfants en bonne santé, elles sont tristes, de mauvaise humeur et amères.

Dans le jardin de leur vie, elles ne regardent pas les fleurs, elles se déchirent aux seules épines, sans pitié pour elles-mêmes et pour ceux qui vivent dans leur entourage.

Il est entendu que la vie n’est pas toujours facile et que nous ne la traverserons pas sans souffrir ; il est sûr, également, qu’elle a ses douceurs. À mon sens, rien n’est plus beau que l’acceptation sereine des devoirs, des consolations et des peines que Dieu destine à chacune.

La sérénité d’une âme de femme qui domine les misères et que rien ne décourage, c’est parfois de l’héroïsme. Dieu merci ! Les femmes savent être héroïques, et veuillez remarquer que c’est chez elles que le bonheur a plus facilement accès, car elles sont résolues d’endurer vaillamment l’inévitable sans renoncer à faire fleurir la vie.

J’ai pensé vous entretenir d’un sujet complexe qui intéresse tellement les femmes qu’elles ne cessent d’en parler parce qu’il est intimement lié avec leur bonheur.

Elles se demandent comment il se fait que les hommes comprennent si peu les femmes ? Prétendrions-nous, par hasard, que les femmes, si intuitives et si fines, comprennent bien les hommes, qui, pourtant, sont tout d’une pièce ?

Alors, comment voulez-vous que l’homme ne se perde pas dans les contradictions et les complications des femmes si passionnées et si variables ? Je vous assure qu’il est sage de n’y pas compter.

On connaît par exemple des femmes dont la vie ne semble que travail et petites privations : beaucoup d’enfants, peu d’argent, voilà qui entraîne des sacrifices nombreux.

Douces et résignées, elles ne se plaignent pas, et le bon mari croit sincèrement que tout va le mieux du monde chez lui où il est heureux et se repose après son travail. Il ne voit pas que sa compagne est mal mise, qu’elle n’a jamais de distractions et à peu près jamais de repos.

Cet homme est-il donc un monstre d’égoïsme ? Mais non ! C’est un homme qui jouit de ce qu’il ne voit pas ; remarquez bien ceci : ce qu’il ne voit pas.

C’est qu’en général l’homme s’occupe beaucoup moins de ce qu’il regarde que de ce qu’il entend.

Les paroles pour lui ont une grande importance et il les comprend mieux que ne les comprennent les femmes qui cherchent toujours, derrière ce que l’on dit, ce que l’on a voulu dire.

La parole claire et précise fait seule comprendre aux hommes la réalité des choses.

Dans le cas que je viens de citer, si la mère ou la sœur du mari, en faisant l’éloge de sa femme, lui disent qu’elle a une vie trop sédentaire, qu’elle a besoin de plus d’aide, qu’un peu de distraction est utile et même nécessaire, qu’elle est vraiment mal vêtue, il sera sûrement surpris et il ouvrira les yeux à ce qu’il ignorait. Dans neuf cas sur dix, il remédiera à ce qui ne va pas si bien qu’il le croyait... quand ce n’est pas l’argent qui fait défaut. S’il est trop pauvre, il est plus à plaindre qu’à blâmer !

L’unanimité des femmes à taxer les hommes d’égoïsme vient de ce qu’elles ne les connaissent pas et les jugent d’après elles-mêmes, et ils sont tellement différents !

Dès que les choses clochent dans un ménage, trop de femmes accusent leur mari de manquer de générosité, de moins les aimer, que sais-je ! Avant de les condamner, si elles examinaient les causes du malaise, si elles s’examinaient elles-mêmes sérieusement ?

Il y a des hommes égoïstes, oui, comme il y a des femmes égoïstes, et celles-ci rendent des points à ceux-là. Mais osez dire qu’un homme dont toutes les journées sont vouées au travail, dont tout l’argent est consacré aux besoins de sa famille est un égoïste !

Il a de lourds soucis, ses responsabilités sont souvent écrasantes. Il ne parle pas toujours de ses inquiétudes, par générosité, pour ménager sa femme, et souvent, aussi, parce qu’au lieu d’être encouragé, il est critiqué par celle qui devrait le soutenir et être sa meilleure amie.

Je le répète, quand un homme ne se rend pas compte de certaines choses, il faut les lui dire. Il est un peu comme un aveugle, uniquement sensible à la voix, et encore faut-il que cette voix soit claire, calme et catégorique : les exagérations l’indignent, les allusions méchantes le blessent sans l’éclairer.

Alors, les femmes, au lieu de gronder, de faire des reproches injustes, de pousser des soupirs et de verser des larmes, feraient bien d’essayer la recette que je vais leur confier. Quand elles ont un conseil à donner, un grief à exposer, ou simplement une situation à expliquer, qu’elles disent donc avec clarté, hardiesse, calme et modération tout ce qui est nécessaire et rien de plus ! Pour un grand nombre, c’est ce rien de plus qui est l’écueil !

Avec cette méthode raisonnable, que d’horizons s’éclairciraient, que de lumière se ferait dans l’esprit de l’homme, – mari, père, frère, – qui est un être de raison et de logique et qui se rendrait compte de ce qui lui échappait.

Dieu merci, beaucoup d’hommes savent apprécier leurs femmes et voir ce qu’elles font pour eux sans tant de discours. Ils ont été élevés par une mère, avec des sœurs, et en leur compagnie ils ont appris bien des choses. Il n’en reste pas moins vrai que presque tous les hommes accusés d’égoïsme, de mesquinerie et de dureté, vivent paisiblement dans la conviction que tout va aussi bien que possible chez eux où leur femme, attachée à son devoir et n’en sortant jamais, a parfois une vie plus sacrifiée qu’il est nécessaire, mais ils ne se rendent pas compte. Ils ne le sauront que si on le leur dit.

Puisqu’on ne les refera pas, prenons-les tels qu’ils sont et agissons en conséquence.

Ce sont des paroles qui leur ouvrent les yeux. Pas des paroles en l’air, des plaintes, des exagérations, des scènes, des reproches piquants qu’ils trouvent faux et injustes, mais des paroles sages, pesées d’avance, absolument exactes et raisonnables.

Bien peu d’hommes refusent de se rendre à de tels discours où ils voient la droiture et le jugement de leur femme, qualités qu’ils prisent par-dessus tout et qu’ils admirent davantage encore chez leurs compagnes.

Puis, mes chères sœurs, puisque sermon il y a, admettons donc, une bonne fois, que nous sommes loin de la perfection que nous exigeons chez les autres.

Il n’est rien comme de voir les choses sous leur vrai jour, de se rendre compte de ce que l’on est soi-même, de ses obligations et de la manière dont on les remplit, de chercher si les obstacles à la bonne entente avec notre entourage, mari, enfants, parents, ne sont pas en nous-mêmes. Il dépend de nous bien plus que nous le pensons d’améliorer notre sort et de mettre dans notre vie, à la place du malaise, une sérénité qui emplira la maison de paix et de joie.

Avec une sincérité entière, toujours difficile parce que nous nous illusionnons facilement et que notre sensibilité aveugle notre jugement, descendons en nous pour nous juger. Regardons ensuite autour de nous avec la même impartialité et des yeux qui cherchent sérieusement la vérité. Cette lumière qui nous éclaire dans le milieu même où nos devoirs nous attendent est indispensable.

Vivons ensuite à cette lumière. C’est difficile, je le sais. Je sais également que nous ne serons heureuses qu’avec l’estime de nous-même, et la conviction que nous faisons notre possible pour créer dans notre famille une atmosphère bienfaisante où ceux que nous aimons sont heureux.

Les défauts des autres, leurs erreurs, les accidents de la vie, c’est le dehors de nous et cela ne peut empêcher notre âme de vivre sa propre vie dans la vérité et dans la bonté. Elle y grandit et s’y élève en dépit de tout : aucune tyrannie ne peut l’atteindre et aucune épreuve ne l’empêche de rayonner.

 

 

FADETTE.

 

Paru dans Familia en

octobre-novembre-décembre 1934.

 

 

 

 

 

 

 

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