Edgar Poe

 

 

par

 

 

Stanislas FUMET

 

 

 

 

Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change
Le Poète suscite avec un glaive nu
Son Siècle épouvanté de n’avoir pas connu
Que la Mort triomphait dans cette voix étrange

Eux comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange

Du soi et de la nue hostiles ô grief
Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du blasphème épars dans le futur

 

Ce Tombeau d’Edgar Poe contient les deux vers de Mallarmé les plus connus :

 

Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change...

Donner un sens plus pur aux mots de la tribu.

 

Le premier vers est de mention courante. On le cite pour les grands morts, à qui l’éternité, en effet, semble octroyer leur visage définitif, en éclairant toute la vie qui a passé et dont s’expliquait mal tel ou tel accident, qui à présent se justifie dès que l’on a la fin, comme une clé. Le second vers nous concerne tous : Paul Valéry en a fait son programme, tous les poètes d’aujourd’hui sont d’accord sur un point : que les mots de la tribu, les mots qui forment le langage d’un groupe d’hommes, ou si l’on veut d’un peuple, doivent purifier leur sens. Pour le reste, Mallarmé fustigeait les compatriotes d’Edgar Poe qui s’étaient acharnés sur lui de son vivant et, après sa mort, tâchaient encore de le déshonorer. Contre eux, il invoque l’avenir.

 

*

Edgar Poe ! Son existence fut singulièrement pitoyable, tragique ; endeuillée dès l’enfance, dominée par la présence de la mort, elle s’écoule dans une atmosphère de cimetière et son génie répand un parfum de tubéreuses. La femme, qui toujours flotte entre ciel et terre dans les rêves d’Edgar Poe, est une beauté prématurément ensevelie. C’est un être déjà mis en terre, ou qui va mourir. Elle est faite pour le ciel, mais le ciel ne s’atteint pas d’un seul coup. Il y a, au moins pour la chair, dont son puritanisme foncier s’accommodait mal, cet état de putréfaction qui le hante. Il y a cette progressive corruption des contours du symbole charnel qui, pour l’esprit, et surtout pour l’âme si elle doit récupérer son corps, ajourne indéfiniment l’heure de la béatitude. Edgar Poe, né à Boston, le 19 janvier 1809, a vu mourir de la phtisie sa jeune mère à Richmond quand il avait trois ans. Son père l’avait précédée de peu dans la tombe. C’était un ménage d’acteurs ambulants, comme il y en avait en Amérique ; lui, sans relief, très amoureux de sa femme ; elle, brune, jolie, gracieuse, maladive. Et le petit orphelin est recueilli par un négociant d’origine écossaise, John Allan, qui, sur la prière de sa femme, venue en aide à la pauvre actrice en ses derniers moments, adopte le petit Edgar – d’où son nom d’Edgar Allan Poe, – le plus jeune des trois enfants de ces pâles comédiens (l’aîné restera chez ses grands-parents paternels et une amie des Allan prendra la sœur d’Edgar).

L’enfant s’attache beaucoup à Frances Allan, la femme du négociant. C’est à elle qu’il doit une première éducation, en vase clos, dans un entourage exclusivement féminin, qui exaspère sa sensibilité, d’autant plus que John Allan, jaloux de l’enfant, lui tourne ostensiblement le dos. Edgar, privé de père, amolli par les caresses féminines, va se trouver sans armes pour lutter contre ses tendances morbides.

Ce ne l’empêchera pas de faire un militaire, et même un lieutenant, au corps des Cadets de West Point, à New York. Mais la loi martiale, lorsqu’il aura vingt-deux ans, en 1831, le renverra à sa poésie et à ses aventures ; on lui reprochait de manquer aux appels, aux cours et aux offices.

Il est né poète. Il ne songe qu’à publier ses vers et il espère même les vendre. Malgré un prix de poésie et un prix de contes gagnés simultanément à un concours littéraire, en 1833, il n’intéressera le public à ses poèmes qu’en 1845, avec The Raven, le Corbeau. De Baltimore il adresse des contes aux magazines et bientôt le voici journaliste, et qui devient un critique redoutable, parce qu’il décortique sans complaisance les œuvres des autres. Il boit, il s’adonne à l’opium, prétend-on. La belle Frances, sa mère adoptive, est morte de la tuberculose, elle aussi. John Allan, avec qui Edgar est en froid, disparaît à son tour, sans rien lui laisser.

Edgar est rentré à Richmond, dans la ville des Allan où s’était écoulée son enfance. Là, il renonce à boire et se jette dans le travail. À présent Edgar Poe n’est plus seul, il habite avec Mary Clemm, sa tante, la sœur de son père, une veuve criblée de dettes, qui lui servira de mère dorénavant et dont la fille Virginie, âgée de treize ans en 1833, fait les délices de son cœur. Edgar l’épouse en secret cette année-là, mais le mariage officiel n’aura lieu que trois ans plus tard, en 1836, quand la jeune fille aura seize ans. Edgar en a onze de plus. Cet amour étrange, cet amour chaste, qui produit une lumière phosphorescente dans toute la vie sentimentale d’Edgar Poe comme dans sa spiritualité – les deux chez lui ne font qu’un – est marqué par une angoisse constante en face du mal qui ronge Virginie – Eulalie, comme il l’appelle dans un poème avant de la nommer plus tard Annabel Lee, lorsqu’elle aura quitté ce monde sublunaire en 1847. Eulalie :

 

Je demeurais seul
dans un monde de gémissement,
et mon âme était une eau stagnante,
jusqu’à ce que la belle et gracieuse Eulalie devînt
ma rougissante épouse –
jusqu’à ce que la jeune Eulalie aux cheveux d’or
devînt ma souriante épouse.

Ah, moins – moins brillantes
les étoiles de la nuit
que les yeux de cette fille radieuse !
Et jamais flocons
que peut faire la vapeur
avec les teintes de pourpre et de perle de la lune,
ne peuvent rivaliser avec une boucle, la plus négligée, de la modeste Eulalie –
ne peuvent se comparer à une boucle, la plus humble et la plus capricieuse, d’Eulalie aux yeux brillants.

Maintenant, Doute – maintenant, Douleur,
ne revenez plus jamais,
car son âme me donne soupir pour soupir,
et tout le long du jour
étincelle, brillante et forte,
Astarté dans le ciel,
tandis que toujours vers elle la chère Eulalie lève son regard d’épouse –
tandis que toujours vers elle la jeune Eulalie lève ses yeux violets.

 

Virginie était tuberculeuse comme la mère d’Edgar. D’une fragilité extrême, elle ravissait par sa beauté et le timbre de sa voix. Un jour qu’elle chantait, la jeune femme se rompit un vaisseau et à partir de ce moment elle ne cessa plus de souffrir, ce qui devint si pénible à son époux qu’il n’eut pas le courage de rester auprès d’elle. Il la délaissa sous divers prétextes et de plusieurs façons. Edgar travaillait énormément alors, ses livres de contes se succédaient avec une grande rapidité. Mary Clemm, sa fille Virginie et lui-même n’allaient-ils pas enfin sortir de la misère ? Hélas ! Quand Edgar Poe vit sa femme condamnée, lui qui croyait l’aimer « comme aucun homme n’a aimé une femme », il lui dit en son cœur adieu pour toujours. Il se donne une excuse :

 

Je devins fou, avec de longs intervalles d’une horrible lucidité. Pendant mes accès de complète inconscience, je bus ! Dieu seul sait combien et comment ! Avec méchanceté, mes amis rapportèrent la folie à la boisson plutôt que la boisson à la folie.

 

À la vérité, il était incapable de s’attacher à une femme autrement qu’en rêve. Son admiratrice Marie-Louise Shew, en 1846, lorsque Edgar habitait avec sa femme et sa belle-mère un petit cottage sur une colline, à Fordham, se laissa raconter ceci par une de ses amies, Mrs Gove-Nichols :

 

« Je vis Mrs Poe dans sa chambre... Il n’y avait pas de couverture à son lit qui n’était composé que d’un paillasson, mais les draps et le couvre-pied étaient blancs comme la neige. Il faisait froid et la malade souffrait de ces terribles frissons qui accompagnent la fièvre hectique de la consomption. Elle reposait sur sa paillasse, enveloppée dans le pardessus de son mari, tenant contre sa poitrine un gros chat couleur d’écaille de tortue. L’admirable bête semblait avoir conscience de toute son utilité ! Le pardessus et le chat étaient les seuls moyens qu’avait la patiente de se réchauffer, quand son mari ne lui tenait pas les mains et sa mère les pieds.

« Mrs Clemm adorait sa femme et la douleur qu’elle éprouvait à la voir malade, dans la misère, faisait peine à voir. »

 

Affligée par ce récit, Mrs Shew recueillit en une semaine plus de soixante dollars pour les Poe, et Virginie, à Fordham, cessa de grelotter sur sa couche. Elle était morte depuis quatre ans lorsque Edgar Poe écrivit à sa mémoire sa très touchante Annabel Lee :

 

C’était il y a bien et bien des années,
dans un royaume près de la mer,
que vivait une jeune fille que vous pouvez connaître
par le nom d’A
NNABEL LEE ;
et cette jeune fille vivait sans autre pensée
que d’aimer et d’être aimée de moi.

J’étais un enfant et elle était une enfant
dans ce royaume près de la mer ;
mais nous nous aimions d’un amour qui était plus que de l’amour,
moi et mon A
NNABEL LEE ;
d’un amour que les séraphins ailés du ciel
enviaient à elle et à moi.

Et ce fut la raison pour laquelle, il y a longtemps
dans ce royaume près de la mer,
un vent souffla d’un nuage, glaçant
ma belle A
NNABEL LEE ;
de sorte que ses parents de haute naissance vinrent
et l’emportèrent loin de moi,
pour l’enfermer en un sépulcre
dans ce royaume près de la mer.

Les anges, qui ne sont pas de moitié aussi heureux aux cieux,
en vinrent à nous envier elle et moi –
Oui ! – voilà la raison (comme tous les hommes le savent, dans ce royaume près de la mer)
pour laquelle le vent sortit de ce nuage, la nuit,
glaçant et tuant mon A
NNABEL LEE.

Mais notre amour était de beaucoup plus fort que l’amour
de ceux qui étaient plus vieux que nous –
de plusieurs bien plus sages que nous –
et ni les anges dans les cieux là-haut,
ni les démons là-bas sous la mer
ne pourront jamais séparer mon âme de l’âme
de la belle A
NNABEL LEE.

Car la lune ne brille jamais sans me porter les rêves
de la belle A
NNABEL LEE ;
et les étoiles ne surgissent jamais sans que je sente les yeux brillants
de la belle A
NNABEL LEE ;
et ainsi, pendant tout le flux de la nuit, je me couche à côté
de ma chérie, ma chérie, ma vie et mon épouse,
dans son sépulcre, là, près de la mer,
dans sa tombe à côté de la mer.

 

L’étonnante musique de ces vers, langoureux et insidieux, passe fort bien dans l’émouvante traduction de Gabriel Mourey1. Un admirateur d’Edgar Poe, Edmond Stendam, n’a pas tort de la lier aux vers nostalgiques des Noirs de l’Amérique sudiste : « Je m’imagine, écrit-il, que l’oreille de notre poète méridional emprunta la musique d’Annabel Lee et d’Eulalie, sinon leur qualité spéciale, au mélodieux chant plaintif des Nègres, utilisé par ces premiers auteurs de minstrelsy qu’on a appelés les seuls compositeurs d’une véritable école américaine. Cette suggestion peut être dédaigneusement rejetée, mais un connaisseur pourrait considérer cette musique de Poe comme un raffinement aristocratique de la mélodie, du sentiment et du charme de l’autre. »

La mélodie, nous savons ce qu’Edgar Poe en pensait :

 

Quand on construit des vers, on ne devrait jamais oublier la mélodie : pourtant voilà un point auquel toutes nos prosodies se sont bien inexplicablement abstenues de toucher. Des règles raisonnées sur ce sujet devraient faire partie de tous les systèmes de rythmique.

 

La musique, disait-il, « peut faire tout de moi : m’élever au ciel et m’enlever aux enfers ». Elle atteint dans Ulalume, qui fit la risée des détracteurs du poète quand il parut, un degré de perfection dans l’étrangeté et dans l’harmonie qui n’a pas été dépassé.

 

Les cieux étaient de cendre et tristes ;
les feuilles étaient tordues et sèches –
les feuilles étaient flétries et sèches ;
c’était une nuit dans le solitaire Octobre
de ma plus immémoriale année ;
c’était tout près du sombre lac d’Auber,
au milieu de la brumeuse région de Weir –
c’était là-bas près de l’humide marais d’Auber
dans les bois, hantés par les Ghouls, de Weir.

Ici, une fois, par une vallée titanesque de cyprès,
j’errais avec mon âme –
de cyprès, avec Psyché, mon âme.
C’était ces jours où mon coeur était volcanique
comme les rivières de scories qui roulent –
comme les laves qui roulent turbulentes
leurs courants de soufre en bas d’Yanek
dans les ultimes régions du pôle –
qui gémissent tandis qu’ils roulent du mont Yanek
dans les royaumes du pôle boréal.

Notre conversation avait été sérieuse et triste,
mais nos pensées étaient paralysées et sèches –
nos remembrances étaient traîtresses et sèches –
car nous ne savions pas que le mois fût Octobre,
et nous ne remarquions pas la nuit de l’année –
(ah, nuit de toutes les nuits de l’année).
Nous ne voyions pas le sombre lac d’Auber –
(bien qu’une fois nous eussions voyagé jusque-là). –
Nous ne nous souvenions pas de l’humide marais d’Auber
ni des bois, hantés par les Ghouls, de Weir.

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

Alors mon coeur devint de cendre et triste
comme les feuilles qui étaient tordues et sèches –
comme les feuilles qui étaient flétries et sèches –
et je criai : – « C’était sûrement Octobre,
dans cette même nuit de la dernière année
que j’ai voyagé – j’ai voyagé jusqu’ici-bas –
que j’ai porté un terrible fardeau jusqu’ici –
dans cette nuit de toutes les nuits de l’année.
Ah, quel démon m’a tenté ici ?
Je reconnais bien, maintenant, ce sombre lac d’Auber –
au milieu de la brumeuse région de Weir, –
je reconnais bien, maintenant, cet humble marais d’Auber, –
ces bois, hantés par les Ghouls, de Weir. »

 

Toujours cette atmosphère délétère avec des émanations de suavité étourdissantes ; quelque chose qui hésite comme le parfum entre la mort et la résurrection.

À ce propos je suis de l’avis d’Edgar Poe, qui mettait un autre de ses poèmes au-dessus de tous ceux dont il était l’auteur, y compris Le Corbeau. C’était La Dormeuse, écrit au temps où sa Virginie était encore de ce monde, mais quand il pressentait sa fin. Voici cette Dormeuse, toujours dans la traduction de Gabriel Mourey :

 

À minuit, dans le mois de Juin,
je me tiens sous la lune mystique.
Une vapeur opiacée, roséeuse, nébuleuse,
s’exhale de ses bords dorés,
et doucement s’écoulant, goutte à goutte,
sur le tranquille sommet de la montagne,
glisse nonchalamment et musicalement
dans l’universelle vallée.
Le romarin se penche sur la tombe ;
le lys s’étend sur l’onde ;
s’enveloppant la poitrine de brouillard,
la ruine se fond dans le repos ;
semblable au Léthé, voyez ! le lac
paraît prendre un sommeil conscient,
et ne voudrait, pour tout au monde, s’éveiller.
Toute Beauté dort ! – et voilà ! où repose,
(sa croisée ouverte aux cieux)
Irène, avec ses Destinées !

Oh, dame brillante ! ce peut-il être bien –
cette fenêtre ouverte à la nuit ?
Les airs folâtres, du sommet des arbres,
en souriant, à travers la croisée, se glissent –
les airs sans corps, foule de magiciens,
volettent à travers ta chambre çà et là,
et balancent les courtines du baldaquin
si capricieusement – si craintivement –
au-dessus de la paupière close et frangée
sous laquelle ton âme se cache et se repose,
que, sur le parquet et au bas du mur,
comme des fantômes, les ombres montent et descendent !
Oh ! dame chère, ne crains-tu pas ?
Pourquoi et que rêves-tu là ?
Sûrement tu es venue sur des mers lointaines,
merveille pour ces arbres du jardin !
Étrange est ta pâleur ! Étrange ton vêtement !
Étrange, par-dessus tout, la longueur de tes tresses,
et ce tout solennel silence !

La dame dort ! Oh, puisse son sommeil,
qui est durable, être aussi profond !
Le Ciel l’ait en sa sainte garde !
Cette chambre changée en une plus sainte,
ce lit en un plus mélancolique,
je prie Dieu qu’elle puisse reposer
à jamais, les yeux clos ;
tandis que les fantômes, en linceuls obscurs, passent !
Mon amour, elle dort ! Oh, puisse son sommeil
qui est éternel, être aussi profond !
Puissent les vers ramper doucement autour d’elle !
Loin dans la forêt, sombre et vieille,
puisse pour elle quelque voûte s’ouvrir –
quelque voûte qui souvent a déployé ses noirs,
ses noirs panneaux flottants, comme des ailes,
triomphale, par-dessus les poêles armoriés
des funérailles de sa grande famille –
quelque sépulcre, écarté, solitaire,
contre le portail duquel elle a jeté,
dans son enfance, bien des pierres oisives –
quelque tombe de la porte retentissante de laquelle
elle ne tirera jamais plus un écho,
tressaillant en pensant, pauvre enfant du péché !
que c’étaient les morts qui gémissaient dedans.

 

Dieu merci, on ne s’est pas avisé de traduire les poèmes d’Edgar Poe en vers français réguliers. En vers libres, tout le charme reste, comme dans les belles proses de Baudelaire et de Mallarmé.

  

*

Il faudrait rappeler comment Edgar Poe rencontrait ses images. Le laudanum, l’alcool, pouvaient exciter son âme, sa poésie, j’en conviens. Mais il était parfaitement lucide quand il composait. Il demandait le point de départ de ses rêveries poétiques à des « vertiges » de la pensée autant que de l’émotion, que lui aussi, comme le fera Rimbaud, essayait de fixer. Écoutons-le nous parler de ces phantasmes où il puise, sur la lisière du sommeil, les éléments de sa poétique. Il les nomme des « fantaisies », sachant ce que l’expression a de faible et d’arbitraire. Elles lui semblent « plutôt psychiques qu’intellectuelles :

 

Elles ne surgissent dans l’âme (si rarement, hélas !) qu’aux heures de la plus intense tranquillité, – quand le corps et l’esprit sont en parfaite santé, – et seulement en ces courts instants où les confins du monde éveillé se confondent avec ceux du monde des rêves... Ces « fantaisies » s’accompagnent d’une extase délicieuse qui dépasse en volupté tous les ravissements du monde réel et du monde des songes, qui en est aussi éloignée que le ciel l’était de l’enfer dans la mythologie scandinave. Je contemple ces visions, dès qu’elles surgissent, avec une crainte mêlée de respect qui, à certains égards, modère ou tranquillise mon émotion ; et si je les considère ainsi, c’est que je suis convaincu (conviction qui semble faire partie de l’extase même) que ce trouble de mon âme revêt en soi un caractère supérieur à la nature humaine, qu’il est comme un coup d’oeil jeté sur le monde des esprits, et tout en arrivant à cette conclusion, – si pareil terme peut s’expliquer à une intuition instantanée, – je dois reconnaître aussi que les délices éprouvées se distinguent par l’originalité la plus absolue.

... Sans doute, je ne puis prolonger cet état ; – sans doute, il ne m’appartient pas d’augmenter la durée de cette minute ; mais je puis me réveiller en sursaut de cette extase, passer mentalement en revue des visions, et transporter ainsi cet instant lui-même dans le champ de la mémoire : rien ne s’oppose donc à ce que je garde ces impressions, ou plus exactement leur souvenir, jusqu’au moment où, les examinant, – même pendant un court espace de temps, – il m’est enfin permis de les soumettre à l’analyse intérieure.

 

Edgar Poe, à la fin de sa vie, se plaignait de manquer d’inspiration. Il arrive un jour chez sa grande et parfaite amie, Mrs Shew.

 

EDGAR POE

Marie-Louise, j’ai un poème à écrire, et je n’ai ni sensation, ni sentiment, ni inspiration.

MRS SHEW

Vous allez d’abord prendre une tasse de thé. J’ouvre la fenêtre, vous respirerez mieux.

(Bruit de cloches venant d’une église voisine)

Et maintenant, voici du papier.

EDGAR POE

Le bruit des cloches m’est si déplaisant ce soir que je ne pourrai pas écrire. Je n’ai pas de sujet ; je suis épuisé.

MRS SHEW

Ah ! c’est ainsi ! eh ! bien, cher Edgar, vous allez me prêter votre plume. Laissez-moi le papier. J’écrirai pour vous. Quoi ? Je commence : « Les Cloches », par Edgar Poe.

EDGAR POE

Je nage dans le bonheur, Marie-Louise, je ne fais rien, je vous écoute. Écrivez ! Tant pis pour les cloches !

MRS SHEW

« Les cloches, les petites cloches d’argent... » Tenez, Edgar, à votre tour, continuez.

EDGAR POE

Non, vraiment, cela m’est impossible, excusez-moi.

MRS SHEW

Tant pis pour vous à votre tour, j’ai encore des idées. « Les lourdes cloches de fer... »

EDGAR POE

Ah ! mais c’est amusant ; rendez-moi le papier et la plume... Bon !

                    Les cloches ! – oh ! les cloches !
                    Les petites cloches d’argent !
                    Combien féerique une mélodie s’exhale
                    de leurs gosier,
                    de leur joyeux petit gosier
                    – du gosier d’argent qui tinte
                    des cloches, cloches, cloches –
                    des cloches !

MRS SHEW

(Elle rit.) Mais c’est magnifique. Et les cloches de fer ?

EDGAR POE

Attendez, je me venge !

                    Les cloches ! – ah ! les cloches !
                    Les lourdes cloches de fer !
                    Combien horrible une monodie s’exhale
                    de leur gosiers –
                    de leurs gosiers au timbre profond –
                    de leurs mélancoliques gosiers !
                    Comme je frissonne aux notes
                    des cloches, cloches, cloches –
                    des cloches !

– C’est fini, dit Edgar. Mais... non, Marie-Louise. À présent je vais recopier le tout.

Quand il eut achevé, il inscrivit en tête : Les Cloches, par Mrs M.-L. Shew. Dans la saison qui suivit, Edgar Poe récrira tout le poème des Cloches. Mais, pour la première version, il avait eu la main forcée. Et les cloches et leurs rythmes, saisis par Marie-Louise, sonnèrent longtemps dans la tête d’Edgar Poe.

  

*

Avec les œuvres qu’il a écrites, Edgar Poe, dont on ne connaît que trop les désordres, était une proie succulente pour la psychanalyse. Ne nous étonnons pas que la princesse Marie Bonaparte lui ait consacré un gros volume, où son cas est traité en long et en large, un peu irrespectueusement, bien sûr, mais avec un doigté habile, par cette freudienne très orthodoxe. Un hypernerveux comme Edgar Poe qui ne se défend guère est prêt à toutes les compensations que la poésie lui offrira, à toutes les sublimations que sa nature mystique ne se fera pas faute d’exploiter. Assurément, le ciel qui – pour la psychanalyse – en résulte, n’était pas d’une absolue gratuité, d’une rigoureuse pureté. Mais c’est le ciel habituel du poète, et les anges n’en seraient-ils que la figuration exaltée des êtres féminins qu’Edgar Poe a aimés ici-bas, sans d’autre satisfaction pour son désir que cette espèce d’adoration qu’il partagea avec son frère d’âme puîné, le Français Charles Baudelaire, dont il a ignoré l’existence ? Mais c’étaient, qu’on le veuille ou non, des êtres de lumière, des âmes, – les anges de son firmament et aussi les astres humanisés qui les accompagnaient. Telle cette étoile Al Aaraaf, surgie d’une belle nuit dans la voûte céleste, qui devint plus éclatante que Jupiter et qui s’évanouit comme elle était apparue. Elle avait fourni au collégien Edgar Poe le plus long des poèmes qu’il écrivit.

 

Oh, rien de terrestre, sauf le rayon
(reflété par les fleurs) des yeux de la Beauté,
comme en ces jardins où le jour
naît des gemmes de Circassie –
oh, rien de terrestre, sauf la vibrance
mélodique d’un ruisseau sous bois –
ou (musique du cœur passionné)
la voix de la Joie si paisiblement enfuie
que, comme le murmure dans la coquille,
son écho demeure et demeurera –
oh, rien de nos imperfections –
mais toute la beauté – toutes les fleurs
qui écoutent notre Amour, et ornent nos bosquets –
adornent ce monde lointain, si lointain,
cette étoile errante.

 

La voilà, cette vraie poésie, fruit du sacrifice des limites. Chez Edgar Poe, elle n’aura été, hélas ! qu’une chanson morose, un chant prolongé, au mieux un retentissant gémissement. Elle utilise tout ce qui, dans l’atmosphérique langue anglaise, procède de la vibration ; son vers apprivoise l’écho, se plaît à l’allitération, à la répétition des syllabes, des mots, des phrases même ; elle a un soin réfléchi de la rime, de ce qui aide à se souvenir, elle use volontiers du refrain, grâce auquel, dans Le Corbeau, le poète sait qu’il « produit des effets constamment renouvelés en faisant varier les applications » de sa finale : Nevermore, ce « mot unique devant lui fournir le meilleur refrain », estime-t-il.

The Raven, le Corbeau, a fait plus aux États-Unis que toutes ses autres œuvres pour la notoriété d’Edgar Allan Poe. Baudelaire l’a traduit fort bien pour commencer, mais la suite est plus laborieuse. Voici ses premières strophes :

 

Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais, faible et fatigué, sur maint précieux et curieux volume d’une doctrine oubliée, pendant que je donnais de la tête, presque assoupi, soudain il se fit un tapotement, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre. « C’est quelque visiteur, – murmurai-je, – qui frappe à la porte de ma chambre ; ce n’est que cela, et rien de plus. »

Ah ! distinctement, je me souviens que c’était dans le glacial décembre, et chaque tison brodait à son tour le plancher du reflet de son agonie. Ardemment je désirais le matin, en vain m’étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse, ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore, – et qu’ici on ne nommera jamais plus.

Et le soyeux, triste et vague bruissement des rideaux pourprés me pénétrait, me remplissait de terreurs fantastiques, inconnues pour moi jusqu’à ce jour ; si bien qu’enfin, pour apaiser le battement de mon coeur, je me dressai, répétant : « C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée à la porte de ma chambre, quelque visiteur attardé sollicitant l’entrée à la porte de ma chambre ; – c’est cela même, et rien de plus ».

 

Mallarmé, à son tour, interroge cette langue insolite mais qu’il ne fallait pas prendre pour bizarre, car elle ne l’est pas. Ainsi traduit-il :

 

Mon âme se fit subitement plus forte et, n’hésitant davantage : « Monsieur, dis-je, ou Madame, j’implore véritablement votre pardon ; mais le fait est que je somnolais et vous vîntes si doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à la porte de ma chambre, que j’étais à peine sûr de vous avoir entendu. » – Ici j’ouvris grande la porte ; les ténèbres et rien de plus.

 

Alors, dit Edgar Poe, en analysant a posteriori, et non sans un grain d’humour, la construction de son poème, « surgit d’un seul coup l’idée d’une créature incapable de raisonner, bien que capable de parler ; et, tout naturellement, l’idée d’un Perroquet se présenta en premier lieu, tout aussitôt remplacée par celle d’un Corbeau, oiseau également doué de parole et infiniment plus en rapport avec le ton cherché. » Ce Corbeau, son nom est Nevermore.

Plus souple que celles de Baudelaire et de Mallarmé est la traduction de Gabriel Mourey, qui laisse mieux passer l’air entre les périodes étouffantes. Le Corbeau est entré, s’est installé au-dessus de la porte du poète, juché sur un buste de Pallas. Son nom est : Jamais plus.

 

« Prophète ! » dis-je, « créature du mal ! – Prophète cependant, oiseau ou démon ! –
Soit que le Tentateur t’ait mandé ou soit que la Tempête t’ait rejeté sur ce rivage
désolé, mais indompté, sur cette terre déserte enchantée –
sur ce foyer hanté par l’horreur, – dis-moi vraiment, je t’implore,
y a-t-il, – y a-t-il un baume dans Galaad ? Dis-moi
– dis-moi, je t’implore ! »
Fit le Corbeau : « Jamais plus. »

« Prophète », dis-je, « créature du mal – prophète cependant, oiseau ou démon !
Par ce Ciel qui s’incurve au-dessus de nous – par ce Dieu que tous deux nous adorons –
dis à cette âme de douleur chargée si, dans le distant Éden, elle étreindra une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore. »
Fit le Corbeau : « Jamais plus. »

« Soit ce mot le signal de notre séparation, oiseau ou démon », hurlai-je en me levant -
« retourne dans la tempête et au rivage plutonien de la Nuit.
Ne laisse aucune plume noire comme trace de ce mensonge que ton âme a dit !
Laisse ma solitude inviolée ! Quitte le buste au-dessus de ma porte !
ôte ton bec de mon cœur, et ôte ta forme de ma porte ! »
Fit le Corbeau : « Jamais plus. »

Et le Corbeau, ne voletant jamais, siège encore, siège encore
sur le pallide buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre ;
et ses yeux sont tout semblables à ceux d’un démon qui rêve,
et la lumière de la lampe coulant sur lui projette son ombre sur le parquet ;
et mon âme, hors de cette ombre qui gît flottante sur le parquet, ne s’élèvera – jamais plus !

 

C’est en France qu’Edgar Poe a trouvé, à la place de la célébrité que lui faisaient ses compatriotes, la gloire. On le traduit chez nous depuis 1845. Baudelaire le découvre soudain, c’est une illumination, et il se charge de traduire, après la mort de Poe, qui a lieu le 7 octobre 1849, ses œuvres complètes. Il n’a qu’une connaissance imprécise de l’anglais, mais à l’aide d’un dictionnaire, et l’amour de son auteur faisant le reste, il parviendra au bout de son entreprise. Ce sont les Aventures d’Arthur Gordon Pym, ce sont les Contes, qu’il intitule Histoires extraordinaires, puis Histoires grotesques et sérieuses. C’est Eurêka, le livre de la cosmogonie, mi-partie rêve, mi-partie science, d’Edgar Poe. Le style de l’Américain a gagné, sous la plume de Baudelaire, une élégance, une noblesse que l’original ne présentait pas. Les Anglo-Saxons ont toujours dédaigné Edgar Poe. Ils le jugent exotique, méridional, assez vulgaire. Ses préoccupations ne sont pas les leurs, elles sont encore moins celles de l’Amérique. Même les plus grands des poètes anglais, ceux qu’il préfère, Coleridge ou son cher Tennyson, n’ont pas fait, à en croire Poe, de découvertes prosodiques, ils n’ont étudié ni l’anatomie du vers anglais ni sa psychologie.

 

Le vers a pour origine le plaisir que trouve l’homme dans l’égalité, la propriété. À ce plaisir aussi on doit rapporter toutes les modalités du vers : rythme, mètre, stance, rime, allitération, refrain et autres effets analogues. Comme il existe des lecteurs qui ont coutume de confondre rythme et mètre, il n’est pas mauvais de spécifier ici que le premier touche au caractère des pieds (c’est-à-dire l’arrangement des syllabes), tandis que le second s’occupe du nombre de ces pieds.

 

Il a, sur la physique de l’ïambe, sur les dactyles et les spondées, des observations que rejoignent les admirables Réflexions sur le vers français de Paul Claudel. Celui-ci lui avait toujours rendu justice, comme Valéry, qui disait lui devoir tout ; comme Mallarmé, comme Villiers, comme Verlaine, comme Baudelaire, car tous nos grands poètes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe se sont recommandés d’Edgar Poe. C’est qu’il a, avant Baudelaire, ce qui n’est pas un petit mérite, placé la poésie en face d’elle-même, pour qu’elle prenne conscience de ce qu’elle est en tant qu’art.

Poe, écrivait Claudel à Suarès, « est un blanc qui a subi l’incantation des démons de la solitude. Son cas est celui d’Hawthorne, plus le talent. Mais il est aussi l’auteur d’ Ulalume et de quelques autres poèmes, les plus beaux qui soient en anglais avec ceux de Keats, et il est le constructeur de cet admirable poème d’Eurêka. C’était un cœur profond et une grande intelligence. »

Pour Edgar Poe, toutefois, le secret de la poésie est qu’elle n’était chose ni d’esprit ni spécialement de cœur (de volonté), mais d’âme. Il s’en est expliqué :

 

Mon but fut de suggérer que, si le Principe 2 lui-même est, strictement, uniquement, l’aspiration humaine vers la Beauté surnaturelle, la manifestation de ce principe se trouve toujours dans une exaltante excitation de l’âme, parfaitement indépendante de cette passion qui est l’ivresse du cœur ou de cette vérité qui est la satisfaction de la raison. Car, pour la passion, hélas ! elle tend plutôt à dégrader qu’à élever l’âme. L’Amour, au contraire, l’Amour, le véritable Éros divin, la Vénus ouranienne, bien distincte de la dionéenne, est sans contredit le plus pur, le plus authentique de tous les thèmes poétiques. Et, pour la Vérité, si atteindre une vérité nous conduit certainement à percevoir une harmonie là où n’en apparaissait d’abord aucune et nous fait du coup éprouver le véritable effet poétique, cet effet néanmoins ne se rapporte qu’à la seule harmonie, nullement à la vérité qui servira simplement à rendre manifeste cette harmonie.

 

Tout ceci a été développé au sujet d’Edgar Poe par Charles Baudelaire, quand il a eu à présenter au public le deuxième volume des contes, publiés sous ce titre : Nouvelles histoires extraordinaires. On a fait grief à Baudelaire d’avoir reproduit la substance de ce Poetic Principle d’Edgar Poe sans mettre entre guillemets les phrases qui appartiennent à l’auteur américain. C’est qu’il refondait le Principe sans le traduire, et il est clair qu’il n’a en vue que les idées d’Edgar Poe dans cette page magnifique, supérieure au texte américain. Il faut ajouter que Baudelaire s’était retrouvé lui-même à ce point en Edgar Poe que, en confondant sa propre pensée avec celle de son aîné, il reprenait comme sienne toute la théorie du poète de Boston. Il passe du « il » au « je » sans avoir l’air presque de s’en douter :

 

« Le vice porte atteinte au juste et au vrai, révolte l’intellect et la conscience ; mais, comme outrage à l’harmonie, comme dissonance, il blessera plus particulièrement de certains esprits poétiques ; et je ne crois pas qu’il soit scandalisant de considérer toute infraction à la morale, au beau moral, comme une espèce de faute contre le rythme et la poésie universels.

« C’est cet admirable, cet immortel instinct du beau qui nous fait considérer la terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel ! La soif insatiable de tout ce qui est au-delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ; et, quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation des nerfs, d’une nature exilée dans l’imparfait et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé. »

 

Quand Edgar Poe, ruiné par les drogues et par l’alcool, et qui poursuit le fantôme changeant de son immortel amour, auquel il a donné tant de noms propres et qui n’en font qu’un – la Morte au tombeau, – la Morte dans les limbes et dans les cieux, – s’est épris d’une nouvelle Laure, Mrs Whitman, il lui écrit de merveilleuses lettres (l’une de celles-ci me ferait penser au billet de Baudelaire à Madame Marie) et lui dédie tels vers qu’il adressait autrefois à une élue de son enfance, Helen Stannard, qui, devenue folle, était morte après avoir guidé ses premiers pas d’adolescent.

 

Hélène, ta beauté est pour moi
comme ces nicéennes barques de jadis
qui doucement, sur une mer parfumée,
portaient le voyageur las, épuisé par la route,
à son cher rivage natal...

 

À trente-sept ans, il croit retrouver son Hélène. Pourquoi ne l’aimerait-elle pas ? Elle habite Providence. Il l’appelle de Fordham pour lui demander sa main.

 

Si j’avais pu vous tenir près de mon cœur et vous murmurer les étranges secrets de son histoire passionnée, alors, sans doute, vous auriez vu que ce n’a jamais été et que ce n’aurait jamais pu être au pouvoir de personne autre que vous de me trouver comme je le suis à présent, de m’oppresser de cette ineffable émotion, de m’entourer et de me baigner de cette lumière électrique qui illumine et enflamme tout mon être, qui me remplit de gloire, d’émerveillement, et de crainte. Durant notre promenade dans le cimetière, je vous disais, tandis que d’amères, d’amères larmes jaillissaient de mes yeux : « Hélène, j’aime aujourd’hui, aujourd’hui, pour la première et unique fois. » Je disais cela, je le répète, non dans l’espoir que vous me croiriez, mais parce que je ne puis m’empêcher de sentir combien inégales sont les richesses de cœur que nous pouvons nous offrir l’un à l’autre.

 

Il la presse.

 

Votre main reposait dans la mienne et toute mon âme vibrait dans une extase tremblante ; et alors, si ce n’eût été la peur de vous affliger ou de vous blesser, je serais tombé à vos pieds dans une adoration aussi pure, aussi vraie, que celle qui fut jamais offerte à une idole ou à un Dieu.

Et quand, ensuite, durant ces deux soirs successifs de toutes célestes délices, vous alliez et veniez dans la pièce, tantôt vous asseyant à mes côtés, tantôt loin de moi, tantôt debout, votre main posée au dossier de ma chaise, tandis que le frémissement surnaturel de votre contact vibrait à travers le bois, sensible jusqu’à mon cœur, – tandis que vous marchiez ainsi sans repos à travers la chambre, comme si une profonde douleur ou une très grande joie obsédait votre sein, – mon cerveau tournait sous le sortilège enivrant de votre présence, et c’est avec des sens autres que simplement humains que je vous voyais ou vous entendais. C’est mon âme seule qui vous percevait là.

 

« Mon âme ». Il ne s’agit que d’âme, partant : de poésie. Mais Helen Whitman se montre inquiète. Les gens qu’elle fréquente lui donnent de mauvais renseignements sur lui : ce sont des gens riches comme elle et qui regardent l’écrivain d’un œil malveillant et ironique. Parbleu ! il veut l’épouser pour son argent... Edgar :

Vous ne m’aimez pas, ou vous auriez éprouvé une trop entière sympathie pour la sensitivité de mon tempérament, pour m’avoir blessé comme vous l’avez fait par ce terrible passage de votre lettre : « Combien de fois ai-je entendu dire de vous : il a une grande puissance intellectuelle, mais aucun principe, aucun sens moral. »

... Pendant près de trois ans, j’ai été malade, pauvre, vivant hors du monde, et j’ai fourni ainsi à mes ennemis, je le vois maintenant avec peine, l’occasion de me calomnier dans la société, sans que je le sache, et par suite impunément.

Il court à Providence, pour la supplier. Hélène demande à réfléchir. Edgar rentre chez lui, puis retourne à Providence. Mais il n’ose pas sonner à la porte de sa bien-aimée. Alors il se procure du laudanum, rentre à Boston. Avant d’absorber le stupéfiant, il écrit une lettre à une femme, chérie également, Annie Richmond, pour lui faire part de la détresse de son âme. La lettre n’arriva pas à destination. Mais il nous reste ce poème, Pour Annie, écrit quelque temps plus tard, dans l’esprit, je le suppose, de cette lettre égarée.

 

Dieu merci ! la crise –
le danger est passé,
et la languissante maladie
est terminée enfin –
et la fièvre appelée « vivre »
est vaincue enfin.

Tristement, je sais
que je suis tondu de ma force,
et je ne remue aucun muscle
tandis que je gis allongé –
mais n’importe ! – je me sens
mieux à la fin.

Et je repose si calmement,
maintenant, dans mon lit,
que tout spectateur
pourrait me croire mort –
pourrait tressaillir en me voyant,
me pensant mort.

Les gémissements et les plaintes,
les soupirs et les sanglots,
sont apaisés maintenant,
avec cet horrible battement
de mon cœur : – ah, cet horrible,
cet horrible battement !

La maladie – la nausée –
l’impitoyable douleur –
ont cessé avec la fièvre
qui affolait mon cerveau –
avec la fièvre appelée « vivre »
qui brûlait dans mon cerveau.

Et oh, de toutes les tortures
cette torture, la pire,
s’est calmée – la terrible
torture de la soif
de cette naphtaline rivière
de la Passion maudite : –
j’ai bu d’une eau
qui apaise toute soif ;

D’une eau qui coule
avec un son assoupissant,
d’une source à seulement très peu
de pieds sous terre –
d’une caverne à peu de profondeur
sous terre.

Et ah, que jamais
il ne soit dit follement
que ma chambre est obscure
et étroit mon lit ; –
et pour dormir, il faut se coucher
dans un lit tout pareil.

Mon esprit tantalisé
ici plaisamment repose,
oubliant, ou plus jamais
ne regrettant ses roses –
ses vieilles agitations
de myrtes et de roses :

Car maintenant, tandis que si tranquillement
il gît, il imagine
une plus sainte odeur
autour de lui, de pensées –
une odeur de romarin,
mêlée à des pensées –
avec de la rue et de belles
pensées puritaines.

Et ainsi il gît heureusement,
baigné en maint
rêve de la constance
et de la beauté d’Annie –
noyé dans un bain
des tresses d’Annie.

Elle me baisa tendrement,
elle me caressa amoureusement,
et alors je tombai doucement
à dormir sur son sein –
à profondément dormir
à cause du ciel de son sein.

Quand la lumière fut éteinte,
elle me couvrit chaudement,
et elle pria les anges
de me garder du mal –
la reine des anges
de me préserver du mal.

Et je gis si calmement
maintenant, dans mon lit,
(sachant son amour)
que vous m’imaginez mort –
et je repose si contentement,
maintenant, dans mon lit,
(avec son amour à mon sein)
que vous m’imaginez mort –
que vous frissonnez de me voir,
me pensant mort.

Mais mon cœur est plus brillant
que les innombrables
étoiles dans le ciel,
car il étincelle par Annie –
il resplendit de la lumière
de l’amour de mon Annie –
de la pensée de la lumière
des yeux de mon Annie.

 

Obéissant à la pitié, Hélène Whitman cède. Elle consent à épouser le malheureux. Lui-même fait des projets de sobriété et de travail :

 

Oui, ne serait-ce pas glorieux, ma chérie, de fonder en Amérique la seule aristocratie incontestable, celle de l’intelligence, d’assurer sa suprématie, de la guider et de la dominer ? Tout cela, je puis le faire, Hélène, et je le ferai, si vous me le commandez et si vous m’aimez.

 

Cependant les démons ne lâchent pas Edgar. Huit jours avant la date fixée pour son mariage, le bruit court que l’on a trouvé ivre, en détestable compagnie, le poète qui avait fait à la jeune femme de si belles promesses ! Tout est rompu entre eux, mais l’amitié durera. Edgar Poe quitte Fordham pour Richmond. Il vivra un an encore, le temps d’écrire Annabel Lee (toujours elle), le poème que nous connaissons, et la version définitive des Cloches, dont nous avons entendu l’ébranlement initial, donné par l’inspiration malicieuse de Mrs Shew.

Edgar Poe, si l’on en croit les personnes qui le rencontrèrent dans cette année 1849, avait pris la physionomie de ses contes et de ses poésies. Une belle mais assez effrayante figure. Mrs Weiss avait peur de ses yeux. « Quels terribles yeux a M. Poe ! Mon sang se glace quand il les tourne lentement et les fixe sur moi. »

Mrs Weiss les a dépeints ainsi, ses yeux, pour la postérité :

 

« Des yeux très grands, aux longs cils, noirs comme du jais, à l’iris d’un gris d’acier foncé, clair et transparent comme du cristal et dont la pupille, noire aussi comme du jais, se dilatait et se contractait au moindre reflet d’une pensée et d’une émotion. »

 

De son côté, le docteur Valentine a laissé ces indications :

 

« Son front était beau et expressif, ses yeux noirs et inquiets et sur sa bouche il y avait de la fermeté et aussi du mépris et du mécontentement. »

 

Baudelaire a refait le portrait, de chic, mais le beau daguerréotype de 1849, qu’il n’avait pas vu, je présume, lui donne raison pour ce qui est du faciès d’Edgar Allan Poe :

 

« Poe avait un front vaste, dominateur, où certaines protubérances trahissaient les facultés débordantes qu’elles sont chargées de représenter, – construction, comparaison, causalité, – et où trônait dans un orgueil calme le sens de l’idéalité, le sens esthétique par excellence. Cependant, malgré ces dons, ou même à cause de ces privilèges exorbitants, cette tête, vue de profil, n’offrait peut-être pas un aspect agréable. Comme dans toutes les choses excessives par un sens, un déficit pouvait résulter de l’abondance, une pauvreté de l’usurpation. Il avait de grands yeux à la fois sombres et pleins de lumière, d’une couleur indécise et ténébreuse, poussée au violet, le nez noble et solide, la bouche fine et triste, quoique légèrement souriante, le teint brun clair, la face légèrement pâle, la physionomie un peu distraite et imperceptiblement grimée par une mélancolie habituelle. »

 

La dernière année de sa vie, Edgar Poe décide encore de se remarier. Mrs Elmira Royster est veuve. Autrefois, dans leur enfance, elle a été son premier amour. À l’époque, elle lui avait juré de l’épouser. Mais Elmira s’était mariée avec un monsieur Shelton et Edgar accusait son père adoptif d’avoir manigancé cette affaire contre lui. Elmira était devenue une pieuse mère de famille. Mais Edgar retrouve pour elle les sentiments de son enfance. Pour ne pas retomber dans son vice, le poète se fait inscrire à la Ligue des Fils de la Tempérance. Quatre jour avant le mariage, il est ramassé, à l’aube, sur un banc de Baltimore. L’homme est dans le coma. On le transporte à l’hôpital où il reprend connaissance et peut survivre, mais dans un état de désespoir total, jusqu’au milieu de la nuit. Le médecin qui l’a soigné a gardé des notes précises, mais les paroles qu’il fait proférer à son patient ont un accent bien romantique :

 

– Monsieur, lorsque je contemple ma dégradation et ma ruine, quand je songe à ce que j’ai souffert et perdu, au chagrin, à la misère dans lesquels j’ai plongé les miens, je voudrais disparaître dans un abîme, repoussé par Dieu et par les hommes, comme le rebut de la société. Mon Dieu ! Quelle terrible position ! N’y a-t-il pas de rançon pour l’âme immortelle ?

 

Dans la soirée, le docteur lui fera savoir qu’il touche à sa fin : a-t-il des désirs à exprimer ? Non. Cette parole seule : « Adieu pour l’éternité. »

On dirait une traduction de Nevermore. Poe succombe, non pas au delirium tremens, comme le croyait Baudelaire, mal informé par les journaux, mais à une encéphalite. « Pensez à Dieu, lui dit le médecin protestant. Il aura pitié de vous, comme il a pitié de toute l’humanité. » Le poète délire. Mais c’est son art :

 

... Les voûtes du ciel m’écrasent. Laissez-moi passer. Dieu a écrit ses décrets lisiblement sur le front de toute créature humaine... Les démons prennent un corps... ils ont pour prison les vagues tourbillonnantes du noir désespoir... Meurtrier de moi-même, j’entrevois le port au-delà de l’abîme... Où est la bouée ? Le canot de sauvetage ? Vaisseau de feu, mer de cuivre ?... Le calme partout... Plus de rives !

 

Mais peut-être pénètre-t-il dans cet au-delà qui avait toujours excité son imagination, dans ce monde intermédiaire où il pensait que la parole est toujours créatrice, une sorte d’astral où nos actions et nos pensées, parce que nous avons une âme immortelle, appelée à remonter par des voies incontrôlables vers l’unité divine, qui est le Principe et la Fin de tout, ne cesseront plus jamais d’agir, car le mouvement déclenché ne peut plus s’arrêter, plus jamais. Nevermore. C’est ce qu’Edgar Poe a voulu montrer dans la Puissance de la parole, un de ses contes les plus remarquables et qui, dans la traduction de Baudelaire, gagne encore, semble-t-il, en intensité poétique. Tout ce qui a été perdu est retrouvé pour l’éternité.

C’est un dialogue platonicien entre Oinos et Agathos.

 

OINOS

Les mondes étoilés qui jaillissent du fond de l’abîme du non-être font à chaque minute explosion dans les cieux – ces astres, Agathos, ne sont-ils pas l’œuvre immédiate de la main du Maître ?

AGATHOS

Je veux essayer, mon Oinos, de t’amener pas à pas en face de la conception que j’ai en vue. Tu sais parfaitement que, comme aucune pensée ne peut se perdre, de même il n’est pas une seule action qui n’ait un résultat infini. En agitant nos mains, quand nous étions habitants de cette terre, nous causions une vibration dans l’atmosphère ambiante. Cette vibration s’étendait indéfiniment, jusqu’à tant qu’elle se fût communiquée à chaque molécule de l’atmosphère terrestre qui, à partir de ce moment et pour toujours, était mise en mouvement par cette seule action de la main. Les mathématiciens de notre planète ont bien connu ce fait. Les effets particuliers créés dans le fluide par des impulsions particulières furent de leur part l’objet d’un calcul exact, – en sorte qu’il devint facile de déterminer dans quelle période précise une impulsion d’une portée donnée pourrait faire le tour du globe et influencer, – pour toujours, – chaque atome de l’atmosphère ambiante. Par un calcul rétrograde ils déterminèrent sans peine, – étant donné un effet dans des conditions connues, – la valeur de l’impulsion originelle. Alors, les mathématiciens, – qui virent que les résultats d’une impulsion donnée étaient absolument sans fin, – qui virent qu’une partie de ces résultats pouvait être rigoureusement suivie dans l’espace et dans le temps au moyen de l’analyse algébrique, – qui comprirent aussi la facilité du calcul rétrograde, – ces hommes, dis-je, comprirent du même coup que cette espèce d’analyse contenait, elle aussi, une puissance de progrès indéfini, – qu’il n’existait pas de bornes concevables à sa marche progressive et à son applicabilité, excepté celles de l’esprit même qui l’avait poussée ou appliquée. Mais, arrivés à ce point, nos mathématiciens s’arrêtèrent.

OINOS

Et pourquoi, Agathos, auraient-ils été plus loin ?

AGATHOS

Parce qu’il y avait au-delà quelques considérations d’un profond intérêt. De ce qu’ils savaient ils pouvaient inférer qu’un être d’une intelligence infinie – un être à qui l’absolu de l’analyse algébrique serait dévoilé, – n’éprouverait aucune difficulté à suivre tout mouvement imprimé à l’air, – et transmis par l’air à l’éther, – jusque dans ses répercussions les plus lointaines, et même dans une époque infiniment reculée. Il est, en effet, démontrable, que chaque mouvement de cette nature imprimé à l’air doit à la fin agir sur chaque être individuel compris dans les limites de l’univers ; – et l’être doué d’une intelligence infinie, – l’être que nous avons imaginé, – pourrait suivre les ondulations lointaines du mouvement, – les suivre, au-delà et toujours au-delà, dans leurs influences sur toutes les particules de la matière, – au-delà et toujours au delà, dans les modifications qu’elles imposent aux vieilles formes, – ou, en d’autres termes, dans les créations neuves qu’elles enfantent – jusqu’à ce qu’il les vît se brisant enfin, et désormais inefficaces, contre le trône de la Divinité. Et non seulement un tel être pourrait faire cela, mais si, à une époque quelconque, un résultat donné lui était présenté, – si une de ces innombrables comètes, par exemple, était soumise à son examen, – il pourrait, sans aucune peine, déterminer par l’analyse rétrograde à quelle impulsion primitive elle doit son existence. Cette puissance d’analyse rétrograde, dans sa plénitude et son absolue perfection, – cette faculté de rapporter dans toutes les époques tous les effets à toutes les causes – est évidemment la prérogative de la Divinité seule ; – mais cette puissance est exercée, à tous les degrés de l’échelle, au-dessous de l’absolue perfection, par la population entière des Intelligences angéliques.

OINOS

Mais tu parles simplement des mouvements imprimés à l’air.

AGATHOS

En parlant de l’air, ma pensée n’embrassait que le monde terrestre ; mais la proposition généralisée comprend les impulsions créées dans l’éther, – qui, pénétrant, et seul pénétrant tout l’espace, se trouve être ainsi le grand médium de création.

OINOS

Donc, tout mouvement, de quelque nature qu’il soit, est créateur ?

AGATHOS

Cela ne peut pas ne pas être ; mais une vraie philosophie nous a dès longtemps appris que la source de tout mouvement est la pensée, – et que la source de toute pensée est...

OINOS

Dieu.

AGATHOS

Je t’ai parlé, Oinos, – comme je devais parler à un enfant de cette belle Terre qui a péri récemment – des mouvements produits dans l’atmosphère de la terre...

OINOS

Oui, cher Agathos.

AGATHOS

Et pendant que te parlais ainsi, n’as-tu pas senti ton esprit traversé par quelque pensée relative à la puissance matérielle des paroles ? Chaque parole n’est-elle pas un mouvement créé dans l’air ?

OINOS

Mais pourquoi pleures-tu, Agathos ? – et pourquoi, oh ! pourquoi tes ailes faiblissent-elles pendant que nous planons au-dessus de cette belle étoile, – la plus verdoyante et cependant la plus terrible de toutes celles que nous avons rencontrées dans notre vol ? Ses brillantes fleurs semblent un rêve féerique, mais ses volcans farouches rappellent les passions d’un cœur tumultueux.

AGATHOS

Ils ne semblent pas, ils sont ! ils sont rêves et passions ! Cette étrange étoile, – il y a de cela trois siècles, – c’est moi qui, les mains crispées et les yeux ruisselants, – aux pieds de ma bien-aimée, – l’ai proférée à la vie avec quelques phrases passionnées. Ses brillantes fleurs sont les plus chers de tous les rêves non réalisés, et ses volcans forcenés sont les passions du plus tumultueux et du plus insulté des cœurs.

 

 

Stanislas FUMET, La poésie au rendez-vous,
Desclée De Brouwer, 1967.

 

 

 

1. Poésies complètes d’Edgar Poe, traduites par Gabriel Mourey (Édit. du Mercure de France).

2. Le Principe poétique.

 

 

 

 

 

 

 

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