Paul Bourget

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Charles GERONIMI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Né à Amiens par les hasards de la naissance, Paul Bourget était originaire du Vivarais par son père. Mais, par sa mère, il prenait ses racines en Allemagne. Son père, Justin Bourget, homme de science et républicain convaincu, lui donnait l’exemple d’une vie placée sous le signe de la raison et de la liberté de pensée. Sa mère professait au contraire la religion catholique. Cette hérédité explique peut-être certaines de ses contradictions internes qui, dans sa formation, lui faisaient goûter à la fois les charmes poétiques d’un Musset ou d’un Verlaine, et les rigoureux enchaînements des systèmes philosophiques de Kant et de Taine.

Bien qu’il s’en soit défendu, le jeune Paul Bourget perdit très tôt la foi. Mais, il est vrai, pour la retrouver très vite. Enfant encore, il se passionne de poésie et de méditation. Il se pénètre de Shakespeare, et aussi de Goethe et de Balzac. L’éveil à l’adolescence, à ses rêves et à ses désirs, s’accompagne de réflexions solides et d’une recherche obstinée de l’absolu. Le Collège Sainte-Barbe à Paris et son enseignement positiviste, la guerre de 1870, les convulsions de la Commune, deux expériences de préceptorat à Annonay et à Trouville, le retour à Paris pour la classe de philosophie au Lycée Louis-le-Grand : autant de faits qui achevèrent de dissoudre les contradictions premières. Puis un séjour en Angleterre, où il note avec satisfaction l’art « de joindre le présent au passé sans renversement », son mariage heureux, qui le fit pénétrer dans la vie équilibrée de la haute bourgeoisie, un voyage en Terre sainte pour calmer son angoisse religieuse, l’Affaire Dreyfus, qui lui parut faire basculer la France dans l’anarchie, et enfin une longue enquête aux États-Unis, dont la démocratie, vantée pourtant, lui sembla peu adaptable à la France. Voilà des expériences et des méditations qui conduisirent Paul Bourget à la conception d’une société reposant sur la morale, la foi et la tradition.

L’évolution terminée paraissait s’être accomplie normalement aux yeux mêmes de Bourget qui, en 1899, dans une préface à ses œuvres complètes, s’appliquant à démontrer qu’il n’y avait jamais eu de contradiction dans sa pensée, écrivait : « On se convertit d’une négation, on ne se convertit pas d’une attitude purement expectative. » Paul Bourget, du moins, restera toute sa vie, tel qu’il se définissait, suivant le précepte formulé dans Le Démon de midi : « Il faut vivre comme on pense, sinon, tôt ou tard, on finit par penser comme on a vécu. »

Il a vécu monarchiste et catholique. Il a vécu aussi en homme de pensée et de lettres. Sa vocation a semblé être la médecine, mais il se tourna très tôt vers les lettres et les arts. Il débuta, comme beaucoup à l’époque, par des vers. Dans une forme parnassienne, respectueuse de la régularité et de la discipline, mais sans envolée ni du sentiment ni du verbe, Bourget s’attache à peindre avec exactitude des états d’âme et des émotions mesurées. Les petites pièces des Aveux sont inspirées par de pures amours d’adolescents. Edel trace la chaste intrigue de deux jeunes gens et peint de petites scènes de la vie parisienne. Rien dans tout cela qui laisse entrevoir la profondeur des Essais de psychologie ni la solidité de l’œuvre d’un grand romancier.

Bourget prolongera son apprentissage durant quinze ans encore. Il fréquentera la jeunesse littéraire de l’époque, se liant d’amitié avec Richepin et Ponchon, entrant dans la familiarité de Coppée et de Barbey d’Aurevilly. Il subit l’influence directe de Taine, qui l’encouragea dans ses débuts de critique littéraire. En même temps qu’il consolidait ses relations, il écrivait sur les sujets les plus variés dans des quotidiens, comme Le Parlement et Le Globe, et dans des revues littéraires. Plus tard, durant la Grande Guerre, c’est encore au journal qu’il livre ses pensées patriotiques. Car, tout en poursuivant son effort de réflexion et la recherche de sa vérité, Bourget ne s’est jamais isolé du monde. Il a toujours participé à toutes les formes de la vie ; et il a su surtout manifester ses raisons de combattre. C’est ainsi d’ailleurs qu’il faut comprendre son incursion dans le théâtre : pour exposer ses idées avec plus de force, et pour toucher plus directement son public. Mais ces pièces ne contiennent pas davantage que ses romans à thèse.

En effet, c’est par le roman qu’il a donné ses leçons d’énergie morale. Les premières œuvres mettent l’accent sur les ravages que provoquent dans l’individu l’abandon aux désirs et l’absence de toute contrainte. Le Disciple, qui est l’œuvre la plus forte, et qui consacra le renom de Bourget, dénonce les méfaits du déterminisme philosophique et scientifique : « Cette sinistre histoire d’une séduction si bassement poussée, d’une trahison si noire, d’un suicide si mélancolique le [Adrien Sixte] mettait face à face avec la plus affreuse vision : celle de sa pensée agissante et corruptive. »

Les nombreux romans qui suivirent Le Disciple, comme ceux qui furent écrits dans ses dernières années, reprennent le même combat contre tout ce qui tend à relâcher les liens de la famille, de la nation et de la religion. Défenseur de la tradition et de l’ordre, Bourget accuse « ce constant paradoxe de vouloir concilier toutes les vertus du monde traditionnel avec le système d’idées le plus contraire à ces vertus ». Le divorce, le déclassement dans la société, le nivellement des individus, les ambitions démesurées : voilà les produits de l’athéisme qui trouve dans la démocratie son terrain d’élection.

Voilà aussi ce que représentent les personnages de Bourget. Il explique les individus qu’il crée par l’analyse intérieure qu’il mène avec sa faculté d’observation, avec sa puissance d’enchaînement, et surtout avec son imagination. « Je crois que ma faculté maîtresse, comme disait mon vénéré maître, M. Taine, a toujours été l’imagination des sentiments. » Ses créations, en effet, sont des créations personnelles, nées de sa vision du monde, sorties de ses propres idées. Or ces idées étaient limitées, confinées dans le seul petit monde de la bourgeoisie riche et bien-pensante. Elles n’ont pu atteindre ni les autres couches de la société, ni les profondeurs éternelles de l’âme humaine.

Pourtant le succès de Paul Bourget fut grand. Ses premiers romans furent appréciés. Après le triomphe du Disciple, Gustave Lanson lui a porté ce jugement : « Il a été depuis Stendhal le plus grand maître du roman psychologique que nous ayons eu. » Ce succès se prolongea jusqu’à la veille de la Grande Guerre. De jeunes critiques, comme Jacques Rivière et Ramon Fernandez, lui reprochèrent alors de s’écarter de la vie pour construire un système faux et irréel. On lui reprocha aussi la faiblesse de son style, ses tendances à la déclamation, ses lourdeurs. Et en fait, Paul Bourget assurait lui-même qu’un roman ne devait pas être bien écrit.

Il n’en demeure pas moins que les analyses psychologiques de Bourget sont remarquables par leur solidité. Tout est conduit avec une méthode rigoureuse ; les influences qui agissent sur la formation des caractères sont décrites avec une précision scientifique. Bourget excelle aussi à suivre avec netteté les développements moraux que suscite un cas psychologique donné. Et, dans ses meilleures pages, il atteint la puissance dramatique d’un Stendhal, surtout lorsqu’il décrit les cheminements d’une crise morale. Ces pages-là font partie du patrimoine littéraire.

De même resteront ses analyses lucides des Essais de psychologie contemporaine. Bourget eut le mérite de mettre à leur véritable place Baudelaire et Stendhal. Mais, surtout, au-delà des jugements littéraires, il sut rattacher ses réflexions aux inquiétudes de sa génération dont il présentait « le portrait moral ». C’est ce qui explique le retentissement de l’ouvrage, et c’est ce qui lui donne une grande valeur de document.

 

 

Charles GERONIMI.

 

 

 

« Les personnages de Bourget, autant moraliste et idéologue que romancier... sont des personnages de Bourget, conditionnés par les vues de Bourget sur la vie, les mœurs, la société et la façon de croire et de penser de son temps. »

(Émile HENRIOT, introduction à une édition du Disciple).      

 

 

Œuvres essentielles

 

ESSAIS DE PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE. – Doivent « servir à l’historien de la vie morale pendant la seconde moitié du XIXe siècle et éduquer les esprits et les cœurs ». Présentent les portraits de Baudelaire, Renan, Flaubert, Taine, Stendhal, A. Dumas, Leconte de Lisle, les Goncourt, Tourgueniev, Amiel.

LE DISCIPLE. – Robert Greslou, pour suivre les enseignements déterministes de son maître Adrien Sixte, veut étudier le mécanisme des passions en séduisant une jeune fille, laquelle, désespérée, se suicide. Sixte s’effondre devant sa responsabilité morale.

L’ÉTAPE. – C’est l’illustration des dangers que comporte la trop rapide évolution sociale d’une famille, issue de paysans et qui a brisé avec toutes les traditions.

LE DÉMON DE MIDI. – Dénonce les méfaits de l’adultère et vante les effets de la grâce.

 

 

Études sur Paul Pourget

 

GIRAUD (Victor), Paul Bourget, Paris, Bloud et Gay.

FEUILLERAT (Albert), Paul Bourget, histoire d’un esprit sous la IIIe République, Paris, Plon.

HENRIOT (Émile), Introduction au « Disciple », Paris, Imprimerie nationale.

 

 

Biographie

 

1852   Naissance de Paul Bourget, le 2 septembre, à Amiens, où son père enseignait au Lycée.

1867   Après Clermont-Ferrand, il passe une dizaine d’années, son père est nommé au Collège Sainte-Barbe à Paris. Paul Bourget y fait sa première.

1870   Précepteur à Annonay, dans la famille Seguin.

1871   Classe de philosophie au Lycée Louis-le-Grand.

1872   Licence ès lettres.

1873   Précepteur à Trouville.

1874   De retour à Paris, commence des études de médecine, donne des répétitions, corrige des épreuves.

1881-1882   Publication des Essais de psychologie contemporaine.

1883   Grâce à l’amitié du fils du banquier Cohen d’Anvers, il voyage en Italie et en Grèce, puis en Angleterre.

1889   Publication du Disciple.

1890   Il épouse Mlle Minnie David, d’une famille d’armateurs anversois.

1890-1896   Voyages en Espagne, Terre sainte, Allemagne, États-Unis d’Amérique.

1894   Élection à l’Académie française.

1902   Publication de L’Étape. Sa femme tient salon rue Barbet de Jouy.

1910-1911   Pièces de théâtre. Le Tribun est joué par Lucien Guitry.

1914   Publication du Démon de midi.

1914-1920   Écrit dans L’Écho de Paris les « Billets de Junius ».

1927   Publication de Nos actes nous suivent.

1930   Grand Prix Osiris.

1932   Mort de sa femme. Il se détache de la vie mondaine.

1935   Mort de Paul Bourget le 25 décembre.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Poésie.

 

La Vie inquiète, Edel, Les Aveux, Paris, A. Lemerre, 1876.

 

Critique, Essais, Reportages.

 

Essais de psychologie contemporaine, Paris, A. Lemerre, 1881-1882.

Nouveaux Essais de psychologie contemporaine, Paris, A. Lemerre, 1884-1885.

Études et Portraits, Paris, A. Lemerre, 1888-1906.

Sensations d’Italie, Paris, A. Lemerre, 1891.

Outre-mer, notes sur l’Amérique, Paris, Plon, 1894.

Études anglaises, Paris, Plon et Nourrit, 1927.

Portraits d’écrivains et Notes d’esthétique, Paris, Plon, 1928.

Sociologie et Littérature, Paris, Plon, 1928.

 

Théâtre.

 

La Barricade, Paris, Plon, 1910.

Un cas de conscience, Paris, Plon, 1910.

Le Tribun, Paris, Plon, 1911.

La Crise, Paris, Plon, 1912.

 

Romans et Nouvelles.

 

Cruelle Énigme, Paris, A. Lemerre, 1885.

Crime d’amour, Paris, A. Lemerre, 1886.

André Cornélis, Paris, A. Lemerre, 1887.

Mensonges, Paris, A. Lemerre, 1888.

Le Disciple, Paris, A. Lemerre, 1889.

Un cœur de femme, Paris, A. Lemerre, 1891.

La Terre promise, Paris, A. Lemerre, 1892.

Cosmopolis, Paris, A. Lemerre, 1893.

Recommencements, Paris, A. Lemerre, 1896.

Idylle tragique, Paris, A. Lemerre, 1896.

Le Fantôme, Paris, Plon, 1900.

L’Étape, Paris, Plon, 1902.

Un divorce, Paris, Plon, 1904.

L’Émigré, Paris, Plon, 1907.

Le Démon de midi, Paris, Plon, 1914.

Le Sens de la mort, Paris, Plon, 1915.

Lazarine, Paris, Plon, 1917.

Némésis, Paris, Pion, 1918.

Le Justicier, Paris, Plon, 1919.

Laurence Albani, Paris, Plon, 1920.

L’Écuyère, Paris, Plon, 1921.

Un drame dans le monde, Paris, Plon, 1922.

La Geôle, Paris, Plon, 1922.

Cœur pensif ne sait où il va, Paris, Plon, 1924.

Le Danseur mondain, Paris, Plon, 1925.

Nos actes nous suivent, Paris, Plon, 1927.

Le Scrupule et l’Apostat. Confidences de femme, Paris, Plon, 1928.

 

Introduction.

 

Répertoire de « La Comédie humaine » de H. de Balzac, par Cerfleur et Christophe, Paris, A. Lemerre, 1887.

 

Préfaces.

 

Le Rouge et le Noir, par Stendhal, texte annoté par Jules Marsan, Paris, H. Champion, 1923.

La Pathologie de l’imagination et de l’émotivité, par le Dr Ernest Dupré, Paris, Payot, 1925.

 

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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