La Grèce et l’origine de la civilisation

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean GUIRAUD

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GAUTHIER et DESCHAMPS (Cours supérieur, p. 11).

C’est en Grèce que se sont formées toutes les grandes idées qui sont le fond de notre civilisation.

 

GUIOT et MANE (Cours supérieur, p. 22).

À Athènes, pour la première fois, nous voyons fonctionner un régime démocratique.

 

SOMMAIRE. – Le christianisme a eu, lui aussi, une influence considérable sur notre civilisation. – Les religions viennent de l’Orient. – Grandes idées sorties de la Bible et de la civilisation hébraïque : unité de la Divinité, la Providence, universalité de la religion. – Les républiques grecques, établies sur l’esclavage, étaient en réalité d’étroites aristocraties, moins démocratiques que le peuple juif. – La Bible reste le Livre de l’Humanité.

 

Faire de la Grèce antique l’unique source de notre civilisation, c’est nier l’influence que le christianisme a exercée sur notre histoire, nos idées et nos mœurs ; c’est nier l’évidence. Nos adversaires eux-mêmes, en multipliant leurs efforts pour « laïciser notre société », proclament qu’encore de nos jours, elle est pénétrée de christianisme ; s’acharneraient-ils contre l’influence de l’Église comme ils le font, si elle n’était qu’un fantôme ? Les manuels les plus sectaires reconnaissent d’ailleurs, tout en le déplorant, que la société de Moyen Âge a été inspirée par l’idée chrétienne. Il est inutile d’insister sur une vérité que nul ne conteste et qui contredit radicalement l’affirmation de Gauthier et Deschamps.

Faire de la Grèce seule l’éducatrice de l’humanité, c’est oublier le rôle qu’a joué l’Orient et en particulier Israël dans cette grande œuvre de l’élaboration des sociétés modernes. Même en faisant abstraction du christianisme qui est venu de l’Orient, on peut dire que les peuples de l’Asie ont influé sur nous autant que la Grèce. C’est Renan lui-même qui l’a proclamé, malgré cet enthousiasme pour l’hellénisme que nous témoigne sa Prière sur l’Acropole.

Il a fait remarquer que d’Orient sont venues les grandes idées religieuses qui sont au fond de notre civilisation. Bouddha, Zoroastre sont des Orientaux ; ils avaient élaboré des systèmes religieux puissants alors que la Grèce en était encore à ses premiers essais d’anthropomorphisme. Le mysticisme des cultes orientaux débordait en des livres pleins de poésies tels que l’Avesta, alors que Rome s’en tenait à la sécheresse de ses cultes latins et ombriens et que la Grèce s’essayait timidement au mysticisme dans ses mystères d’Éleusis.

Mais c’est surtout dans la Bible, le livre saint des Hébreux, que toutes les civilisations modernes sont allées puiser leur inspiration religieuse. Dès ses premières pages, sont affirmées magnifiquement l’unité et la majesté divines que les Grecs ont à peine entrevues. Tandis que chaque cité du monde hellénique adorait ses dieux particuliers, ennemis des dieux de la cité voisine, la Genèse annonçait un Dieu universel, créateur de toutes choses, maître de la nature et père de l’humanité ; entre le petit dieu de la cité grecque et le Dieu universel de la Genèse qu’adore de nos jours l’humanité occidentale, il y a un abîme. C’est donc à l’Orient et surtout au livre inspiré d’Israël que nous devons notre conception de la Divinité, de la Création, de la Providence, idées dont nos adversaires proclament eux-mêmes l’existence et la force par les efforts qu’ils consacrent à leur destruction.

Chez les anciens Grecs, la religion avait pour limites les limites étroites de la cité : les Juifs ont enseigné l’universalité de la religion. Leur Dieu n’était pas seulement le Dieu d’Abraham et de Jacob comme Athéna était la déesse d’Athènes ; il était aussi le Dieu de l’humanité, et cette idée se développe et s’exprime, en des accents admirables, par la bouche des grands prophètes d’Israël. Tandis que l’antiquité occidentale restait enfermée dans sa conception étroite de religions nationales, les prophètes juifs et surtout Isaïe avaient la vision nette de la religion universelle, réunissant dans l’adoration du même Dieu l’humanité tout entière, sans distinction de races et de conditions. Or c’est l’idée que se fait de nos jours tout esprit religieux : elle vient de l’Orient et non de la Grèce.

Les anciens Grecs ont attendu longtemps avant d’admettre l’unité de la race humaine, si tant est qu’ils y aient jamais cru. Aristote n’enseignait-il pas, malgré son génie, que les esclaves sont d’une autre nature que les hommes libres ? Voyez au contraire, dès les premiers chapitre de la Bible, comme cette notion que nous admettons tous aujourd’hui était nette chez Israël ! L’humanité tout entière nous est représentée comme descendant du même couple ; elle a deux ancêtres communs, Adam et Ève, desquels proviennent tous les peuples, toutes les races, tous les hommes, quelles que soient les distinctions politiques ou sociales qui les séparent. Encore une grande vérité qui éclaire de nos jours l’humanité et qui nous est venue d’Orient !

Les admirateurs de l’hellénisme nous représentent la Grèce comme la terre classique de la liberté et Athènes comme la cité démocratique par excellence. Habiles à collectionner les banalités et à les enregistrer sans critique, MM. Guiot et Mane célèbrent à Athènes la première apparition de la démocratie. Ils seront sans doute étonnés d’apprendre que le monde hellénique a été en réalité une aristocratie et qu’avant lui la civilisation hébraïque a eu une notion plus exacte de la liberté humaine.

À Athènes, ce n’était qu’une faible partie de la population qui jouissait de la liberté individuelle, de la liberté politique et des droits civiques, la majeure partie des habitants étant réduite en servitude. La masse des esclaves, privée de tout droit individuel et de tout droit politique, travaillait pour un petit nombre de privilégiés qui, seuls, formaient l’ensemble des citoyens libres. Une élite, en général dédaigneuse de tout travail, prenait part aux assemblées, écoutait les discours, se laissait entraîner par l’éloquence de ses orateurs, jugeait et vivait de l’exploitation de l’esclave et des peuples vaincus. On ne saurait donner une pareille société comme l’exemple d’une vraie démocratie. En réalité, comme tous les États antiques où l’esclavage était à la base de la société, les cités grecques étaient des aristocraties étroites, où socialement et politiquement, une poignée de citoyens libres vivait de l’exploitation du grand nombre.

Les Juifs avaient une conception plus juste de la liberté humaine ; chez eux, l’esclavage n’était qu’une exception temporaire. À chaque année jubilaire qui revenait tous les quarante-neuf ans, tout esclave était affranchi et la liberté humaine était rétablie dans ses droits ; ainsi, la théocratie juive était en réalité plus large, plus respectueuse des droits de l’humanité que la prétendue démocratie athénienne. La liberté naturelle de l’homme, méconnue dans tout le monde païen par l’institution universellement répandue de l’esclavage, était respectée par les Juifs, au moins à chaque année sabbatique. Encore une idée où l’Orient semble avoir précédé la civilisation gréco-romaine.

Loin de nous cependant l’intention de méconnaître tout ce que nous devons à la Grèce et à Rome ; la Grèce, par ses arts, sa littérature et sa philosophie ; Rome, par ses lois et ses jurisconsultes, ont marqué profondément leur empreinte sur nos idées, nos mœurs et nos institutions ; mais est-ce une raison pour diminuer le rôle du christianisme et de l’Orient et oublier que la Bible est le livre de l’humanité ?

 

 

 

Jean GUIRAUD,

Histoire partiale, histoire vraie, 1911.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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