La langue et la littérature lithuaniennes

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Jean HANUSZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’article dont nous donnons ici la substance a été écrit en tchèque par un jeune savant polonais, M. Jean Hanusz, mort l’an dernier à Paris, et dont la mort a été une perte irréparable pour la science polonaise. Que l’insertion de cet article soit un nouvel hommage à sa mémoire.

 

 

Il y a cinq cents ans que le Grand duc de Lithuanie Jagiello arriva à Cracovie et reçut de la main de l’archevêque Bodzanta le baptême et de la main de la nation ses deux joyaux les plus précieux : sa jeune reine Hedwige et la couronne de Pologne. Les deux époux portent ensuite le christianisme en Lithuanie et de cette façon la dernière nation païenne de l’Europe est conquise au christianisme et à la civilisation.

La vie de la Lithuanie jusqu’alors païenne se transforme désormais du tout au tout : en effet avec la foi et la civilisation s’introduisent aussi les mœurs et les coutumes et même la langue polonaise – surtout dans les classes élevées. Seules les campagnes lithuaniennes, moins accessibles aux lumières de la civilisation qu’à celles de la foi, ont conservé jusqu’à présent la vieille langue des aïeux et aussi certaines coutumes des ancêtres païens. C’est de ce reste encore vivant de l’antique race lithuanienne, c’est de cette langue, qui a conservé les plus anciennes inspirations du génie lithuanien, que nous voulons aujourd’hui entretenir nos lecteurs.

 

 

I

 

La langue lithuanienne appartient ainsi que les langues slaves à la grande famille indo-européenne. Cette famille se compose, comme on sait, des groupes suivants : 1o le groupe indo-iranien ou aryen ; 2o le groupe arménien ; 3o le groupe lithuano-slave ; 4o le groupe germanique ; 5o le groupe celtique ; 6o le groupe italo-roman ; 7o le groupe grec ; 8o le groupe albanais. Tous ces groupes sont de même origine, toutes ces langues sont des sœurs qui ont conservé plus ou moins exactement les traits de leur mère commune, à savoir la langue indo-européenne primitive. Ces sœurs cependant ne nous sont guère plus connues que leur mère ; nous ne connaissons que leurs rejetons, c’est-à-dire les langues qui nous apparaissent dans les temps historiques. Ainsi c’est par l’étude de la langue polonaise, de la langue tchèque et de la langue paléoslave que nous arrivons à nous faire une idée de ce qu’était le slave primitif : c’est par un procédé analogue que nous nous représentons la physionomie des autres langues indo-européennes préhistoriques, et qu’enfin, d’après leur ressemblance, nous pouvons juger des sons et des formes de la langue-mère indo-européenne.

Comme on peut le voir par cette classification, le lithuanien est une langue indo-européenne sans être pourtant une langue slave. Avec le letton et le prussien il forme le groupe lithuanien par excellence, qui se distingue des autres groupes indo-européens en ce qu’il est en quelque sorte plus rapproché du groupe slave que le groupe germain, grec, indien, etc., comme l’avait prévu le père des grammairiens slaves, le grand Dobrovsky. Cela tient à ce que, lors de la division en plusieurs groupes des nations indo-européennes, les ancêtres des Slaves et des Lithuaniens vécurent encore un certain temps d’une vie commune, et se servirent d’une seule et même langue que nous appellerons la langue lithuano-slave. Ce qu’était cette langue, nous ne pouvons que le conjecturer par la comparaison des langues slaves avec le lithuanien, sans perdre de vue en même temps les autres langues indo-européennes. C’est de cette langue que sortirent ensuite parallèlement une langue slave primitive et une langue lithuanienne primitive, d’où naquirent enfin les diverses langues slaves et lithuaniennes que nous connaissons actuellement. D’où il ressort que les peuples slaves ont pour plus proches parents les peuples de race lithuanienne, puis les races germaniques, puis les races celtique, italique, grecque, arménienne, iranienne et indoue. Quant aux Hongrois, aux Turcs, aux Tchoudes, aux Arabes, aux Juifs, etc., ils n’appartiennent pas à notre famille indo-européenne.

 

 

II

 

Le groupe lithuanien comprend, comme nous l’avons dit, trois langues principales ; le lithuanien proprement dit, le lotische ou letton et le prussien. La langue prussienne était parlée par les anciens Prusses ou Borusses principalement entre les embouchures de la Vistule et du Niémen, il y a deux cents ans encore. Depuis lors personne ne parle plus cette langue ; les seuls vestiges qui nous en soient restés se trouvent dans trois catéchismes du XVIe siècle et dans un lexique allemand-prussien du commencement du XVe siècle. Les deux premiers catéchismes datent de l’année 1545 ; le troisième, un enchiridion luthérien, est de 1561. Ces monuments ont été réédités par Nesselmann (1845) et avaient été étudiés antérieurement par Vater (1821) et par le célèbre linguiste polonais Samuel B. Linde (1822). Quant au dictionnaire allemand-prussien, composé à Marienbourg et comprenant seulement 802 mots (rien que des substantifs), il a été public par Nesselmann en 1868, et Pauli en a dressé la grammaire. On ne peut se faire par ces monuments qu’une idée très imparfaite de l’ancienne langue prussienne. On voit cependant qu’elle contenait des formes encore plus anciennes que le lithuanien proprement dit. Les autres traces de cette langue disparue persistent dans les noms propres de personnes et de villes.

La langue lettonne (lotische) est encore parlée par plus d’un million d’hommes habitant la Courlande tout entière, la partie méridionale de la Livonie (Livonie polonaise), la partie sud-ouest du gouvernement de Vitebsk et le littoral prussien du Kurisch-haff. Les Lettons s’appellent eux-mêmes Latvichi ou Latvi, et les riverains du Kurisch-haff se nomment Kuri. Leurs dialectes se divisent en haut-letton et bas-letton. Ce dernier, parlé par la majorité des Lettons, est devenu langue littéraire. Le plus ancien monument de cette langue est l’Oraison dominicale de Simon Grunau du commencement du XVIe siècle et un catéchisme luthérien de 1586. Les dictionnaires et les grammaires de cette langue font leur apparition dans la première moitié du XVIIe siècle : la meilleure grammaire est celle de Bielenstein (1863) et le meilleur dictionnaire celui d’Ullmann (1872-1880). Le dialecte haut-letton et surtout livonien a sous le rapport phonétique un caractère plus ancien que les autres dialectes lettons : aussi est-il considéré comme la transition entre le lithuanien et le letton. Mais c’est bien un dialecte purement letton, sur lequel le lithuanien a exercé une grande influence. Le dialecte livonien a été élevé par les Jésuites vers le milieu du XVIIIe siècle à la dignité de langue écrite : mais depuis 1870 il est interdit, en Livonie comme en Lithuanie, de se servir des caractères latins. La littérature lettone semble néanmoins appelée à se développer. On peut citer les recueils littéraires de Jean Sprogis (Vilna, 1868), les journaux paraissant à Riga : un quotidien : Baltijas vestenesis (le Messager de la Baltique) et sept hebdomadaires : Majas viesis (l’Hôte de la maison), Balss (la Voix), Tevija (la Patrie), Arajs (le Laboureur), Baltijas zemkupis (le paysan de la Baltique), Evangelists, et Ruta (le Trésor).

En outre il parut à Mittau un journal hebdomadaire : Latvieschu avizes (Nouvelles lettonnes) et à Moscou un recueil mensuel Austrums (l’Est).

 

 

III

 

La langue lithuanienne proprement dite, dont nous avons surtout à nous occuper, résonne encore sur les lèvres de deux millions d’hommes en Lithuanie et en Samogitie, ainsi que dans la partie septentrionale de la Prusse orientale. Son territoire est limité par les points suivants : Polaga, Banske, Druja, Vilna, Jeszyszki, Przelom, Przerośl, Goldapp, Darkehmen, le golfe des Kourons. Mais les villes de ce territoire sont en majorité polonaises, et ce n’est guère que dans les campagnes que le peuple parle lithuanien. Dans la Lithuanie prussienne, les villes sont surtout allemandes ; il y a cependant en Prusse 150,000 âmes parlant le lithuanien : le reste (1,850,000) appartient aux provinces polonaises de Lithuanie et de Samogitie.

La Lithuanie s’appelle en lithuanien Lëtuva. Un Lithuanien se dit Lëtuvininkas et la langue lithuanienne lëtuviszkoji kalba. Les habitants de la basse Lithuanie s’appellent Źemaitis (źemas-bas), et c’est pourquoi cette partie de la Lithuanie se nomme la Samogitie. Parmi les dialectes lithuaniens et samogitiens, ceux qui se distinguent le plus des autres sont ceux de Kłajpeda (Niémen, Memel) et des environs, où les groupes tj, dj ne se changent pas en cz, comme dans les autres dialectes. Par ex. : jautis (le bœuf), żodis (le mot), génit. jautjo, żodjo, et dans les autres dialectes jauczó, żodźó. Le dialecte de Klajpeda s’appelle habituellement le bas-lithuanien. C’est dans ce dialecte qu’est écrit le plus ancien monument connu de la langue lithuanienne, un catéchisme de l’année 1547. On parle aussi d’un texte lithuanien encore plus ancien : Kelione dusziós in anan gyveniman (Voyage des âmes dans l’autre monde) de l’année 1533, mais nous ne l’avons pas rencontré. L’auteur du plus ancien catéchisme lithuanien est Mosvidius (exactement Maźvyds le myope). Toute la seconde moitié du catéchisme est en vers rimés ; on y trouve entre autres Schwenta dwase, musump ateik (Veni Creator Spiritus), Thiewe musu dąnguię sis (Notre Père), les psaumes 102 et 50, etc.

Le texte lithuanien le plus ancien après celui-là est : Forma Chrikstima (Formulaire baptismal) de 1559 terminé par un hymne rimé. La langue est un peu différente de celle du précédent. Citons encore un catéchisme luthérien et un évangile publié en 1579 à Königsberg (Karalaucznia) par le prédicateur lithuanien Baltramiejus Willent, le Dictionnarium trium linguarum (dictionnaire polono-latino-lithuanien) de Szyrwid, plusieurs fois réimprimé (1629, 1631, 1642, 1677, 1713, 1718), et la bible dite de Chyliński, publiée à Londres en 1663.

Voici dans les trois langues, la première phrase de l’oraison dominicale :

 

 

Les Lithuaniens et les Lettons prient encore comme au XVIe siècle ; les descendants des antiques Prussiens emploient tous l’Allemand.

La littérature lithuanienne écrite est extrêmement pauvre et n’a d’intérêt que pour le philologue. Dans la Lithuanie prussienne, le dialecte haut-lithuanien est devenu langue écrite, grâce à la traduction de la Bible et l’on s’en sert dans des livres et des journaux destinés au peuple.

C’est dans cette langue qu’a écrit le plus grand poète lithuanien jusqu’à ce jour, Christian Dunelaitis 1 (1714-1780). Né dans le village de Lasdinelen, il fit ses études à Königsberg et depuis 1743 jusqu’à sa mort, il fut pasteur à Tolminkemen. Nous avons de lui six fables et un poème sur les saisons, intitulé : Priczkaus pasaka apë lëtuwïszką svotbą (œuvre de Frédéric sur les fêtes lithuaniennes). Toutes ses poésies sont écrites en hexamètres, rythmés d’après l’accent. Ses chants d’église et ses poésies religieuses sont perdus.

Les autres écrivains sont des Polonais qui se sont servis de la langue lithuanienne, comme Dowkont, Iwinski et Wolonczewski, qui ont écrit pour le peuple des contes et des résumés d’histoire ou de sciences naturelles. D’autres comme Strazdelis (Drozdowski) et Poszka (Paszkiewicz) ont composé des poésies, Gużutis et Radżunas dès récits, Lïpsztas, Kurszaitis des études sur la nature. Les autres ouvrages lithuaniens sont traduits du polonais. Ainsi Jucewicz a publié en 1837 des extraits des nouveaux poètes polonais traduits en lithuanien, où se trouvent entre autres les plus belles ballades de Mickiewicz : Les trois Budrys et Switezianka.

Le poème de Kraszewski Witolorauda a été aussi traduit en lithuanien par Lietuwis (Posen. 1881).

Les grammaires et les livres de lecture les plus connus sont ceux de Dowkont, de Juszkiewicz (dont le dictionnaire s’imprime à Pétersbourg), de Juzumowicz, Kossakowski, Niezabitowski, Olechnowicz. Parmi les écrivains lithuaniens les plus récents, il faut nommer Ant. Baranowski, évêque actuel de Kowno, auteur du poème Anykszczu szilelys (la forêt d’Onikszt) écrit en 1859 et publié à Prague en 1875 et en seconde édition (augmentée) à Weimar en 1882.

 

 

IV

 

Mais la littérature écrite ne présente pas le même intérêt que la poésie populaire lithuanienne, où ont puisé nos poètes et surtout Mickiewicz, et dans laquelle on reconnaît parfois la même inspiration que dans les antiques poésies de l’Inde. Ainsi une chanson (Daïna) lithuanienne parle du mariage de la lune et du soleil comme le Rigveda (X. 85).

« La Lune épousa le soleil – au commencement du printemps. – Le Soleil se leva de bonne heure, – la Lune s’éloigna de lui. – La Lune errait solitaire, – Elle s’éprit de l’Aurore. – Perkoun, vivement irrité, – La fendit en deux de son glaive. – Pourquoi t’es-tu éloignée du Soleil – Et t’es-tu éprise de l’Aurore, – Et errais-tu seule dans la nuit ? – Mon cœur est plein de tristesse. »

Dans d’autres chants nous voyons Perkun allant à la noce de l’Aurore et tuant près de la porte un chêne dont le sang arrose la fille du Soleil ; ailleurs les enfants des dieux dansent sous un érable aux rayons de la lune ; Żemyna (la déesse de la terre) donne des conseils à une jeune fille sur l’endroit où elle doit planter un rosier ; le dieu de la mer Bangputys (mot à mot, celui qui gonfle les vagues) se fâche contre des pêcheurs qui, au lieu de poissons, ont retiré des flots deux veaux marins, etc. Ces chants mythologiques rappellent par la forme comme par le fond les chants indo-européens les plus anciens.

Les autres daïnas sont surtout des chants d’amour, exprimant les sentiments des jeunes filles qui les chantent d’ordinaire. On y trouve une grande délicatesse de sentiment et une charmante naïveté bien rare dans la poésie nationale des autres peuples. Lessing et Goethe admiraient les daïnas, Mickiewicz s’en est inspiré. En voici une traduite littéralement :

« Sur la ruta (la rue plane) dans son jardin – marchait la jeune fille ; – de son peigne d’arête – elle peignait sa petite tête.

« Une guirlande de ruta – dans sa petite main elle portait ; – à son jeune amoureux – chaque jour elle pensait....

« Elle aurait arraché la ruta, – elle aurait froissé le lis, si seulement son amoureux, – elle avait pu le voir un jour.

« Et il n’y en a pas de plus beau, – il n’y en a pas de plus aimable que ce mien amoureux – blanc et rouge à la fois. »

On pourrait rapprocher cette daïna des quatrains indous du roi Hala (Sapta satokam), (3e siècle après J.-C.). Et en effet toutes ces daïnas lithuaniennes doivent être d’une haute antiquité : elles portent toutes un caractère à la fois lyrique et élégiaque.

Mais la poésie populaire lithuanienne possède outre les daïnas les pasakos (les récits), où prédomine l’élément épique. La mythologie y joue également un grand rôle. Trois mondes y sont représentés : le monde surnaturel, le monde des hommes et le monde des animaux et des plantes.

Le smakas (dragon, en polonais smok), le velnias (diable), la ragana (sorcière), s’y rencontrent avec les veles, qui emportent l’âme des morts et auxquels le peuple croit encore ainsi qu’aux aitvars (démons), aux kauks et aux speruks (qui font gagner de l’argent), aux pukys (qui sont aussi de bons génies), et aux barzduks, qui se montrent dans la tempête.

Les personnages humains sont surtout des êtres faibles, des orphelins, des jeunes filles, des pauvres, quelquefois des idiots qui sont en lutte avec des êtres forts et méchants, dont ils finissent d’ordinaire par triompher.

Les plantes et les animaux vivent dans ces contes, parlent, pensent et sentent comme des êtres humains : la démarcation entre eux et les hommes n’est pas plus nette que dans les vieilles épopées indoues et que dans les fables du Pantchatantram. La comparaison de ces contes avec ceux des autres nations a une grande importance non seulement pour les philologues, mais aussi et surtout pour les philosophes, les psychologues et les historiens. Aussi s’est-on appliqué à recueillir soigneusement ces récits lithuaniens. Rhesa en allemand (1825-43), Staniewicz en lithuanien (1829), Dowkont en lithuanien (1846), Nesselmann en allemand (1853), Schleicher en allemand (1857), Fortunatov et Miller en russe (1873), Kolberg en polonais, les frères Juszkiewicz en lithuanien (1882-83), Leske, Brugmann, Bezzenberger en allemand (1882) ont déjà publié un grand nombre de ces légendes : mais combien il en reste encore à recueillir !

 

 

V

 

Finissons par quelques mots sur les travaux consacrés à la langue lithuanienne. La plus ancienne grammaire est celle de Daniel Klein (1653) (en latin à Königsberg). Viennent ensuite : Schultze (1678), Haack (1727), Sapphun (1730), Ostermeyer (1791), Ruhig-Mielcke (1800). Une des plus anciennes grammaires samogitiennes, œuvre d’un Jésuite, publiée à Vilna en 1737, est intitulée : Universitas linguarum lithuanicarum. Mais le meilleur ouvrage au point de vue scientifique est la grammaire lithuanienne de Schleicher (Handbuch der lithauischen Sprache von Schleicher, I. Grammatik. Prag., 1856). Le dictionnaire le plus commode est celui de Nesselmann : Wörterbuch der littauischen Sprache, von Nesselmann. Koenigsberg, 1851.

Recommandons aussi l’excellent travail d’A. Brückner (Weimar, 1877), relatif à l’influence des langues slaves sur le lithuanien, où l’auteur montre que dans le dictionnaire lithuanien on trouve depuis les temps les plus anciens des mots empruntés au petit-russien, au blanc-russien et au polonais. Les mots empruntés à l’allemand sont beaucoup plus rares et de date plus récente. Quant à l’influence du lithuanien sur le polonais, elle est presque nulle et purement locale : bien peu de mots lithuaniens ont passé dans la langue polonaise.

Des nombreux ouvrages polonais consacrés à la langue lithuanienne, le meilleur est sans contredit celui de J. Karłowicz (O języku litewskim, Kraków, 1875).

Il paraît de plus à Tilsitt un recueil intitulé Mittheilungen der litauischen literarischen Gesellschaft, qui en est à son 10e numéro, et 10 journaux dans la Prusse orientale : 3 à Memel : Lëtuwisʐka Ceilunga (Journal lithuanien), Pakajaus Paslas (le Messager pacifique) et Pasumtinystes laisʐkai ; 3 à Tilsitt : Ausʐra (l’Aurore), Tilżes Keleiwis (le Pèlerin de Tilsitt), Niamunosargas (le Gardien du Niémen) ; 2 à Prekuls : Keleivis (le Pèlerin), Konservatyvu draugystes laisʐkas (Journal de la Société conservatrice) ; et enfin à Königsberg : Lëtuvisʐkas polytisʐkas laikrasʐtis (Journal politique lithuanien) et Nusidavimai apë evangelijos praplatinimą (Progrès de la propagande évangélique). Il ne faudrait pourtant pas croire que le gouvernement de Berlin favorise le mouvement national lithuanien : il le surveille au contraire et l’exploite dans son intérêt exclusif.

Mais c’est bien pis dans la Lithuanie polonaise, où près de 2 millions de Lithuaniens, ne pouvant reconnaître leur langue nationale sous l’alphabet russe qui lui est imposé, ne peuvent rien lire en lithuanien. Ainsi donc la langue des Jagellons, qui, après cinq siècles d’union de la Lithuanie avec la Pologne, s’était complètement conservée parmi le peuple, est condamnée à périr comme la langue des antiques Prussiens et des Slaves de l’Elbe. Espérons cependant dans la justice de l’histoire : Fortuna variabilis, Deus mirabilis ! On verra peut-être un jour que le peuple lithuanien a raison de dire : Kas bus kas nebus, Lëtuvininks ne prażus (Quoi qu’il arrive, quoi qu’il n’arrive pas, le Lithuanien ne périra pas).

Ajoutons que son avenir est indissolublement lié à celui de la Pologne qui ne l’a jamais persécuté, et qui seule dans l’avenir, comme dans le passé, peut lui assurer le développement normal de sa langue et de sa littérature.

 

 

Jean HANUSZ, Slovansky Sbornik, 1887.

 

Traduit du tchèque et adapté par V. G.

 

Paru dans le Bulletin polonais littéraire,

scientifique et artistique en 1888

 

 

 

 

 

 



1 En latin Donalitius.

 

 

 

 

 

 

 

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