Au pays de la misère

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

le caporal Egil HARTMANN,

de la Légion Norvégienne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai un ami en Norvège, un de ces hommes qui ne craignent ni la mort ni le diable lorsqu’il s’agit de combattre pour un idéal. Il avait la conviction profonde qu’aucun régime autre que le communisme n’était capable de créer une existence solide et équitable pour l’humanité. Lui-même, il avait sacrifié beaucoup à cette idée.

Des ouvriers du monde entier, par millions, partagent cette façon de penser. D’amères expériences leur ont fait connaître les différents partis politiques. S’étant sentis abusés par tous, ils se sont ralliés au bolchevisme, non pas qu’ils en connaissent les bénédictions, mais parce que Moscou a su les entourer d’agitateurs sans scrupule qui ont fait reluire à leurs yeux les beautés du paradis soviétique. Des ouvriers mal rémunérés, aigris, sont une proie facile, et le communisme, avec sa formule : « Liberté, Égalité, Fraternité », leur apparaît comme un rêve.

Les bolchevistes n’ont jamais craint de fournir des preuves à l’appui de leur propagande. Le simple mortel n’a jamais été autorisé à franchir le seuil du paradis soviétique, et il n’a pas été donné à tous les étrangers de le faire. Des ilotes soigneusement choisis par Moscou ont reçu la permission de visiter des magnificences. Intourist a pu, avec fierté, exhiber des fabriques et des installations modernes, des habitations ouvrières, des écoles et des champs de blé immenses exploités suivant des procédés ultra-modernes : les élus ont trouvé tout cela bel et bon, beaucoup sans savoir que ces merveilles n’étaient qu’un trompe-l’œil.

Malgré tout, je m’étais attendu à rencontrer quelques-uns de ces bienfaits tant prisés par les bolchevistes. J’avais pensé que Staline avait, dans un but de propagande, pour le moins tenté de mettre sa doctrine en pratique. Et c’est pourquoi j’étais assez intrigué en passant la frontière de l’ancien pays des tsars.

Au-delà de cette frontière est un petit village. À l’entrée, se dresse une porte sur laquelle reluit une inscription en lettres majuscules. Si les guirlandes de fleurs avaient été fanées, j’aurais pu croire qu’il s’agissait là d’un petit arc de triomphe tel qu’on en construit partout en Ukraine pour nous recevoir. Je demande à l’interprète la signification du texte ; il me dit : « L’entrée du paradis ». Le commissaire de ce village est certainement devenu complètement fou.

J’ai eu l’occasion de voyager beaucoup avec ma voiture. En ce moment, je me trouve à plusieurs centaines de kilomètres dans le cœur de la Russie. Je dois avouer que j’ai trouvé des conditions paradisiaques, si l’on veut dire par là : retourner aux conditions primitives de l’existence et ramener l’humanité au niveau de l’homme des cavernes. Partout la même image. Des enfants rachitiques, en haillons, des cabanes affreuses, pleines de saleté, de maladie et de vermine. La majorité de la population ne possède aucun vêtement. Un lambeau d’étoffe sert à cacher l’autre, et il est souvent difficile de dire l’aspect qu’avait le vêtement à l’origine. Ce ne sont que des pièces rapportées les unes sur les autres.  Seules les femmes sont un peu mieux vêtues et ont l’air plus propres. Nous n’exagérons rien : à Oslo, un original circule avec sa voiture à bras et sa colonie de parasites. Ce monsieur a l’air bien mis, en comparaison des paysans et des ouvriers que l’on rencontre ici.

Il est nécessaire de savoir que les contrées où l’on trouve de telles conditions d’existence ne sont pas celles qui manquent de pain. Elles appartiennent au contraire au grenier de l’Europe, aux régions agricoles les plus riches du monde. On peut voyager ici des journées entières sans que le paysage change de caractère. Aussi loin que la vue s’étend, on n’aperçoit que champs de céréales : blé, seigle, froment, orge, avoine, et, entre ceux-ci, de vastes champs de trèfle où paissent des troupeaux de bétail et des bandes de chevaux. Tout ce que l’homme peut désirer, il le trouve ici en surabondance. Le pays déborde de fécondité. Le sol n’a pas besoin d’être travaillé. Tout pousse de soi-même ; il y a là de quoi nourrir des millions d’êtres humains, et pourtant des hommes meurent chaque jour de faim.

Tout ceci peut paraître paradoxal. Cependant, des centaines de mes compatriotes, des Finnois, Danois et Suédois de nos régiments, peuvent confirmer que je ne mens pas. Avec l’aide de l’interprète, j’ai pu parler à de nombreux paysans. Bien qu’ils voient en nous des libérateurs, ils sont souvent très craintifs au début. Les bolchevistes leur ont raconté que nous dévorons le peuple.

Pendant des générations, ils ont vécu comme des esclaves. Au temps des tsars, ils ont été serfs, dominés par les nobles ; et sous le bolchevisme également. Beaucoup, par exemple ceux qui n’ont jamais possédé de terres, avaient fondé de grands espoirs sur le communisme et la collectivisation de l’agriculture. Tous, ils ont été amèrement déçus. Autrefois, ils pouvaient manger leur content. En dernier lieu, il leur a fallu travailler du matin au soir – en automne même, jusque très tard dans la nuit – sans aucune rétribution. Tout ce qu’ils produisaient, ils étaient obligés de la donner à l’État. Ils touchaient chaque jour un kilogramme de céréales, pas de farine. Avec ce salaire, ils devaient encore payer les impôts, quelle que fût l’importance de la famille qu’ils avaient à entretenir. Les femmes et les enfants pouvaient bien travailler, eux aussi !... Les paysans devaient économiser des céréales pour les vendre aux magasins corporatifs. Aucun n’était autorisé à posséder un demi-hectare autour de sa cabane. Le paysan devait avoir une vache, un cochon, de la volaille, quelques légumes et des pommes de terre ; il y était même obligé : l’État soviétique exigeait qu’il lui livrât de la viande, du lard et des œufs. Au cas où le paysan ne pouvait le faire, il était considéré comme saboteur. On lui prenait ce qu’il avait, on le fusillait et l’on envoyait sa famille aux travaux forcés en Sibérie.

J’ai dit comment la population est vêtue. On comprendra encore mieux si l’on sait qu’un complet coûte 1.500 roubles, une paire de chaussures, 600 à 800 roubles. Quoi d’étonnant si l’on en voit que des haillons et rarement des chaussures. Je ne me souviens pas avoir vu de bas hors de la ville. Pas un Russe mort à qui l’on n’ait retiré ses bottes. Ce sont là magnificences dont le peuple s’empare immédiatement. Ce que l’on gagne en une année ne permet pas de s’habiller décemment. Au milieu de cette misère, les commissaires ont vécu comme les faux bourdons dans la ruche. Ils avaient tous les privilèges. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que l’esprit de la population soit envahi par le désespoir et l’indifférence. Ambition et habileté sont de vains mots ici. On leur a pris tout ce qui avait de la valeur. Ils étaient condamnés à l’esclavage perpétuel, tout leur était devenu indifférent, la mort, la fin, les travaux forcés, la Sibérie. Que leur importait ce à quoi on les obligeait ? Et c’est pourquoi ils ont perdu leurs biens et que, de plus, toute l’économie agraire s’est écroulée, elle aussi. Malgré tous les perfectionnements mécaniques apportés par les bolchevistes, la terre ne produit plus comme avant. Il est impossible de comprendre les intentions de Staline dans la politique dont il a usé envers les paysans. Je ne vois qu’une raison à tout ceci : dans sa folie des grandeurs, Staline n’a visé qu’à une chose : conquérir le monde entier au communisme, coûte que coûte... La vie humaine n’a jamais eu de valeur en Russie, et c’est avec le sang des ouvriers et des paysans que le bolchevisme a construit les plus grands avions et chars d’assaut, c’est avec ce sang qu’il a mis sur pied les plus grandes armées du monde. En guise de façade, Staline a érigé des palais, des théâtres, des cinémas, le tout sans valeur. Et pourquoi ? Parce qu’il a en même temps rabaissé l’homme au niveau de la bête !...

 

 

Caporal Egil HARTMANN.

 

Recueilli dans Des soldats européens

vous parlent de la Russie soviétique.

 

 

 

 

 

 

 

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