Préface des
«Contes extraordinaires»

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Ernest HELLO

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici un livre de contes. Il fait suite à mes ouvrages. Il n’arrive pas, en qualité d’exception, comme un travail d’un genre à part. Il dit, en un autre langage, ce que j’ai déjà dit ; il escorte, il accompagne, il commente, il résume mes pensées et mes écrits.

Ceux qui me connaissent, me reconnaîtront.

J’ai voulu donner le corps d’un récit aux vérités que j’exprime habituellement : ceux qui, dans mon livre de l’Homme, ont lu le Veau d’or, ne seront pas étonnés de lire Ludovic dans mon livre de contes.

La science sans Dieu et la science avec Dieu, étudiées aussi dans le livre de l’Homme, seront reconnues par le regard intelligent qui se fixera sur les Deux Étrangers, etc., etc.

L’homme est quelquefois en armes contre la vérité. Quand elle vient à lui, sous la forme sévère d’une théorie, il se raidit quelquefois, et cherche, dans son arsenal, des traités pour la repousser.

La vérité, qui veut bien revêtir la forme du conte, ne dit pas son nom tout d’abord. Elle s’adapte aux préférences de l’homme, toujours enfant, avide de faits et de récits, elle lui parle avec bonté. Elle parle maternellement, et pénètre, cachant ses armes, dans l’intelligence désarmée qui l’écoute et qui l’accueille.

Le conte est la parole humble et solennelle, mystérieuse et bienveillante, des grandes vérités.

Le conte est en lui-même une des formes les plus antiques, les plus profondes, les plus fécondes, et j’oserais dire les plus vénérables de la parole humaine. Toutes les grandes vérités ont des contes autour d’elles. Le mot de conte, dont le langage mauvais et profane a fait le synonyme du mot mensonge, ce mot de conte devrait précisément être réservé à l’expression des choses vraies. Dans le conte, la chose extérieure, le récit est la création de l’écrivain. Mais la chose intérieure, l’idée, le fond est le patrimoine de l’humanité. L’habit du conte est taillé par l’auteur. Son corps appartient au dépôt des vérités universelles.

Les contes par lesquels on berce les enfants profanent quelquefois la majesté du conte en même temps que celle de l’enfance.

Le conte est l’expression d’une idée sous la forme d’un fait. Il est adapté à l’homme qui a un corps et une âme. Le conte est la complaisance d’une haute vérité morale qui veut bien prendre la forme d’un récit pour entrer plus facilement dans l’oreille humaine. L’homme aime qu’on lui raconte quelque chose. La vérité morale se penche, se plie à son tempérament, et, prenant la forme qu’il aime, s’introduit, sans le prévenir, dans son intelligence.

Ce livre commence et finit par la recherche du Nom de Dieu.

La recherche du Nom de Dieu est le drame de la vie humaine.

Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, dit saint Pierre à Jésus-Christ. La terre, depuis quatre mille ans, attendait cette profession de foi.

La recherche du Nom de Dieu qui est la vie des sociétés, est aussi la vie des individus.

La vie des sociétés s’appelle l’histoire.

La vie des individus s’appelle le drame.

Drame vient de « drama », faire. Chacun de nous fait quelque chose, le bien ou le mal.

Chacun de nous affirme ou nie le Nom de Dieu.

Mais il est un autre nom qui ne sonne pas comme le Nom de Dieu, il rend un son tout à fait opposé. Et, à chaque instant, dans la vie, dans l’histoire, dans la religion, dans l’Écriture sainte, il est suscité par le Nom de Dieu, et appelé par lui, rapproché de lui mystérieusement.

Ce nom, c’est le nom du pauvre.

Le pauvre, dit David, est celui qui est abandonné à Dieu.

Il est la part de Dieu, et Dieu est son vengeur.

Or il y a mille espèces de pauvres. Le pauvre est celui qui a besoin, et il y a mille espèces de besoins. Quiconque sent quelque part, au fond de lui, un vide quelconque, est le pauvre dont je parle.

Ce livre semble placé entre deux noms, le Nom de Dieu et le nom du pauvre, comme un pont jeté entre deux abîmes.

Les hommes sont guidés, dans leur pèlerinage terrestre, comme les Hébreux dans le désert, le jour par une colonne de nuée, la nuit par une colonne de feu. Le drame de la vie a un côté évident et un côté mystérieux. Les lois qui régissent la vie ont des évidences ; elles ont aussi des mystères.

Je me suis particulièrement attaché dans ce livre à regarder le mystère. Nul homme ne sait, dit l’Esprit-Saint, s’il est digne d’amour ou de haine.

Parole terrible.

Cette parole terrible et habituellement oubliée se place, dans mon esprit, à côté d’une autre parole terrible et habituellement oubliée, le péché par omission.

Seigneur, quand est-ce que vous avez eu faim et que nous ne vous avons pas donné à manger ? Quand est-ce que vous avez eu soif et que nous ne vous avons pas donné à boire ?

Le péché par omission est le moins remarqué des péchés, puisqu’il consiste non dans un acte, mais dans une absence d’acte. Or l’absence est une chose importante, mais cachée. L’absence ne parie pas, ou elle parle de si loin qu’on n’entend pas cette voix affaiblie par la distance. L’absence la plus cruelle, c’est l’oubli. J’ai voulu parler des oubliés, des hommes de génie, des pauvres.

J’ai voulu les rappeler au souvenir des autres.

Beaucoup parlent de charité, sans savoir ce qu’ils disent. On dirait que, dans leur bouche, ce mot n’a plus de son, comme s’il était prononcé sous la machine pneumatique.

J’ai essayé ici de faire retentir ce mot : Charité, dans l’air respirable, dans le champ de la vie.

Quelques-uns lui donnent une signification presque méprisable : faire la charité, recevoir la charité.

Cependant Dieu est charité, dit saint jean.

La charité est si glorieuse, qu’elle sera la fête de l’éternité. En ce monde, elle a des aptitudes prodigieuses et généralement inconnues. J’ai voulu montrer en acte quelques-uns de ses effets et quelques-uns des effets de son absence.

La charité, outre ses effets évidents, a des effets mystérieux. Elle a des contre-coups, elle a des échos ; elle fait germer et fleurir des splendeurs inattendues.

La charité, qui voit un peu de bien et qui l’aime, produit là où elle a daigné voir ce bien, un bien plus grand. Elle a daigné voir le germe, et elle fait grandir l’arbre.

La sympathie développe le bien et atténue le mal chez la personne qu’elle atteint. La sympathie ne se borne pas à voir, elle agit. Elle développe ce qu’elle aime, et combat ce qu’elle redoute.

L’antipathie atténue le bien et développe le mal. Elle éteint la mèche encore fumante, elle brise le roseau à demi brisé.

Le conte des Deux ennemis contient peut-être un germe d’étonnantes réconciliations. Le regard que nous jetons les uns sur les autres a d’admirables fécondités, s’il est charitable. Et celui-là voit ce que ne voient pas les autres ; car voici une des gloires de la charité, la plus oubliée peut-être et la plus mystérieuse de toutes :

 

ELLE DEVINE.

 

Le monde est un trompe-l’œil, immense, épouvantable.

La valeur et la grandeur des choses y sont effroyablement dissimulées.

La réalité et l’apparence se livrent un combat à outrance ; la terre où nous vivons est leur champ de bataille.

Or il arrive souvent que l’apparence l’emporte, et, alors, l’homme est en danger.

Il est en danger de périr, corps et âme, dévoré par le monstre de l’apparence.

J’ai voulu prendre la défense de la réalité. J’ai voulu combattre le meurtre de l’apparence. J’ai voulu confondre l’imposture de ce bas monde.

Ce livre, disais-je tout à l’heure, commence et finit par la recherche du Nom de Dieu. Ludovic, matériellement avare, cherche le Nom de Dieu matériellement. Le grand monarque asiatique, idolâtre de lui-même et avare en esprit, cherche le nom de Dieu spirituellement. Ces deux mauvais riches ont trouvé, dans l’oubli du pauvre, la perte de leurs richesses. Au milieu du volume : Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? une folie intelligente frappe un autre mauvais riche, qui a repoussé l’homme de génie, au jour de la détresse.

Devant la porte de tous les trois, le Lazare était assis, blessé et suppliant. Pour avoir oublié le Lazare, l’un perd son or, l’autre sa raison, le troisième sa majesté.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net