La Sainte Ampoule

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

L.-F. JEHAN DE SAINT-CLAVIEN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le miracle de la sainte Ampoule apportée par une colombe pour le baptême de Clovis est-il un fait authentique ? Telle est la question qu’il s’agit de résoudre.

Baronius (au n. 499), Noël Alexandre (5-5o, c. 8, art. 2), Dom Marlot (Hist. de la ville de Reims, l. V et X) ; le P. Dorigny dans sa Vie de saint Remi, enfin un grand nombre d’auteurs français qui ont suivi Hincmar et Aimoin, admettent l’affirmative. La plupart des auteurs modernes adoptent la négative. Le P. Longueval propose, comme nous le verrons, une opinion moyenne (l. V, p. 198) ; le doute en cette matière nous paraît le parti le plus raisonnable.

Le P. Dorigny expose ainsi la première opinion, favorable au miracle de la sainte Ampoule.

« Pour peu de justice, dit-il, qu’on rende à la mémoire d’Hincmar, qui le premier nous a informés de ce mémorable évènement (120), j’espère qu’on reviendra de la prévention et de la spécieuse idée qu’on a de l’argument négatif tiré du silence des auteurs ; je dis spécieuse idée, car si cet argument concluait toujours invinciblement, où en serions-nous ? Quelles conclusions les infidèles et les libertins n’en tireraient-ils pas contre les livres saints tant de l’ancien que du nouveau Testament ? Les auteurs contemporains ont-ils toujours confirmé ce que l’Écriture dit de certains faits très certains, tout extraordinaires qu’ils soient ? Je suis bien éloigné cependant de vouloir comparer ici le fait de la sainte Ampoule à un fait révélé : celui-ci, étant fondé sur l’autorité divine, est infaillible, et par conséquent exige indispensablement la plus parfaite soumission de l’esprit et du cœur ; au lieu que l’autre, n’étant fondé que sur la foi humaine, ne nous oblige à y déférer qu’autant que le mérite une personne sage et vertueuse qui n’avance rien qu’elle ne le croie solidement appuyé.

« Pour confirmer ce que j’avance, on n’a qu’à se rappeler ce que j’ai dit du silence que Fortunat, évêque de Poitiers, garde sur ce que saint Remi a fait dans la conversion et dans le baptême de Clovis. C’est un auteur contemporain ; il fait profession d’écrire la Vie du saint ; la conversion et le baptême du roi Clovis est l’endroit le plus éclatant de son Histoire, et cependant il n’en dit pas un mot ; le principe de nos critiques ne donnerait-il pas lieu de conclure que le silence de Fortunat est une preuve convaincante que saint Remi n’a eu nulle part dans ce grand évènement ? Cependant qui oserait avancer rien de pareil ? D’où vient donc que saint Fortunat n’en dit rien ? N’est-ce pas de ce que, cet évènement étant connu de tout le monde, cet auteur n’a pas jugé à propos d’en rien écrire, comme il arrive d’ordinaire dans ces sortes d’évènements, chacun remettant à d’autres d’en informer le public, ou présumant qu’il est inutile de rapporter ce que personne n’ignore ; c’est ainsi qu’il ne servirait de rien de vouloir faire ressortir par quelque rayon de lumière l’évidence d’un objet, que le soleil en plein midi découvrirait à tout le monde.

« Mais, sans m’arrêter à ces raisons, et pour justifier l’autorité d’Hincmar sur le fait de la sainte Ampoule, est-ce que le sentiment de ce prélat qui, par son esprit, son érudition, sa sagesse et sa vertu, a passé pour un des plus grands hommes qui aient jamais été dans l’Église de France, ne peut pas du moins contrebalancer celui de ces critiques ? Et voudront-ils nous persuader qu’ayant à démêler après douze siècles dans le chaos de l’antiquité ce qu’il y a de plus embrouillé, ils aient eu plus de facilité à le faire que cet homme habile, qui en était bien moins éloigné qu’eux ? La voie de la tradition le rapprochant d’environ huit siècles de la source, n’était-il pas plus à portée d’y puiser à ce qu’il y avait de plus authentique ?

« Hincmar lui-même nous donne quelque chose de bien positif en nous assurant qu’il n’a composé la vie de saint Remy que sur des mémoires très anciens, trouvés dans son Église ; que, de peur que le temps n’achevât de consumer ce que les vers et la poussière avaient commencé de ronger, il s’est appliqué à en recueillir les débris, pour ne point frustrer la postérité de ce que ces Mémoires joints à la tradition de son Église lui apprenaient de son saint prédécesseur » (Vita S. Remigii).

Ces Mémoires étaient assurément de quelque auteur judicieux, puisque Hincmar a cru devoir y ajouter foi ; quel qu’il fût, ne peut-il point passer pour contemporain, puisqu’il remonte apparemment jusqu’à Grégoire de Tours ? Mais ceux qui écrivaient alors n’ont point eu de connaissance de ces Mémoires ? Faut-il s’en étonner, puisqu’ils vivaient dans des provinces éloignées de celle de Reims, où on les conservait ? Des pièces aussi authentiques que celles-là doivent-elles être pour cela rejetées avec mépris ? Et celui qui les a produites le premier, qu’on avoue de bonne foi être un juge de discernement, doit-il passer pour un méchant juge, disons plus, pour un méchant homme qu’un faux zèle pour la gloire de son siège a porté, contre les lumières de sa conscience, à en imposer à toute l’Église dans une matière de cette importance, et à faire passer à toute la postérité cette superstition, dont le premier il est l’inventeur ?

Quand Hincmar en serait venu à cet excès d’impiété, peut-on croire qu’il ait été assez imprudent et assez téméraire pour se flatter qu’il pourrait persuader à toute la cour de France une chose pareille, dont personne depuis trois cents ans n’eût encore rien entendu dire, dont il ne serait pas resté le moindre vestige ? Quoi ! tous les courtisans de ce temps-là étaient-ils assez simples, assez crédules et assez complaisants (ce n’est guère là cependant le caractère de la cour) pour renoncer tous unanimement à leurs propres lumières, et à cette inclination si naturelle de dire son sentiment, surtout lorsqu’on le croit incontestablement véritable ; et cela, précisément pour faire plaisir à l’évêque Hincmar, que son mérite faisait regarder de plusieurs avec des yeux jaloux, pour ne rien dire de plus, ainsi que le prouve l’histoire ?

Pour faire voir l’absurdité de cette conséquence, il suffit de rapporter la circonstance dans laquelle Hincmar déclara hautement, en présence du roi Charles le Chauve et de toute sa cour, ce qu’il nous a laissé du miracle de la sainte Ampoule dans la Vie de saint Remi : car, supposé qu’on fasse si fort valoir l’argument négatif du silence que les auteurs contemporains ont gardé sur un fait si prodigieux, pourquoi ne peut-on pas tirer ici le même avantage du silence que toute la cour, que toute la France, que toute l’Église garda alors sur l’attentat d’Hincmar, coupable, suivant le système de nos critiques, d’extravagance et d’impiété ?

Or, les Capitulaires de Charles le Chauve rapportent que ce prince se rendit à Metz pour s’y faire couronner roi d’Austrasie à la place de Lothaire son neveu, mort depuis peu en Italie : Metz était alors de la province de Trèves ; les évêques de la même province, à défaut de l’archevêque de Trèves, prièrent celui de Reims, à cause de l’ancienne union qui était entre ces deux Églises, de faire la cérémonie du couronnement. Hincmar accepta cet honneur avec joie ; mais, avant de sacrer et couronner le roi dans l’église de Saint-Étienne de Metz, en présence du prince et de toute sa cour, s’adressant aux évêques, il déclara que le roi leur maître, se conformant avec plaisir à ce qui était recommandé dans les saintes Écritures, souhaitait de recevoir à la face des autels, par le ministère des prêtres du Seigneur, et la couronne et l’onction sainte qui le consacrât à Dieu d’une manière spéciale ; que le même prince s’y sentait encore porté par l’exemple de son frère l’empereur Louis le Débonnaire, couronné à Reims par les mains du Pape Étienne devant l’autel de la sainte Vierge. Enfin, pour rendre cette cérémonie encore plus auguste en rappelant le souvenir de sa première institution, il ajouta ces paroles si mémorables : « Que ce même empereur Louis descendant par le bienheureux Arnoul d’un autre Louis (Clovis), ce prince illustre, converti avec toute sa nation et baptisé, par saint Remi, apôtre des Français, dans l’église métropolitaine de Reims ; oint et sacré pour roi avec le saint chrême envoyé du ciel, tel que nous l’avons encore aujourd’hui : Cælitus sumpto chrismate, unde adhuc habemus, peruncti et in regem sacrali 1.

Voilà un évènement tout à fait extraordinaire, et c’est cet évènement dont on fait le récit en présence du roi Charles le Chauve, en présence de ses évêques et de toute sa cour ; on ajoute que cette huile sainte se conserve encore dans l’Église de Reims, unde adhuc habemus. Si cela est faux, inouï, controuvé par l’évêque Hincmar, pour en faire honneur à son Église, comment ne crie-t-on pas à l’insolence, à l’extravagance, à l’impiété ?

Mais, bien loin de cela, personne ne réclame ; pas un de ces courtisans, pas un de ces évêques, dont peut-être plusieurs étaient jaloux du mérite et de la fortune d’Hincmar, ne s’élève contre un procédé si téméraire ; pas un ne fait paraître le moindre doute ; le roi lui-même, qui se piquait d’érudition, et qui jusque dans son camp s’appliquait à la lecture des livres saints et prenait plaisir à consulter les évêques sur l’explication des passages obscurs de l’Écriture, ne paraît ici nullement curieux de rechercher les causes d’un si long et si prodigieux silence sur un fait si nouveau, si éclatant, si intéressant pour ses États, pour sa couronne, pour sa maison ? car on lui dit positivement qu’il descend par le bienheureux Arnoul du même roi Clovis en faveur de qui ce baume sacré a été envoyé du ciel à saint Remi 2. D’où vient encore une fois cette conduite ? Est-ce complaisance, est-ce stupidité, est-ce enchantement ? Car je ne sais comment l’appeler.

Concluons plutôt que tout le monde, informé depuis longtemps de ce miracle, était accoutumé à en entendre le récit, sans qu’il causât cette admiration qu’inspire toujours la nouveauté ; ainsi la cour, la France, l’Église continua d’avoir les mêmes sentiments sur le fait de la Sainte Ampoule ; les historiens s’en expliquèrent conformément à la tradition reçue partout ; Flodoard, qui suit immédiatement Hincmar ; Aimoin, peu après Flodoard, enfin une multitude d’écrivains et en France et ailleurs, sans excepter ceux mêmes qui, par une jalousie de nation, ne flattent nullement les Français, tous racontent, sans le déguiser, toutes les circonstances de ce merveilleux évènement 3.

De là cette application singulière des rois très chrétiens à se faire sacrer à Reims avec l’huile de la sainte Ampoule ; de là cette vénération extraordinaire pour cette précieuse relique, qu’on vient révérer depuis tant de siècles de tous les endroits de l’Europe ; cette attention à la garder avec soin pour l’unique usage auquel le Ciel semble l’avoir destinée : une seule fois, pour satisfaire à l’inclination du roi Louis XI, qui, comme on sait, se faisait apporter les plus considérables reliques de son royaume, une seule fois, on la tira du tombeau de S. Remi pour la transporter à Tours, où ce prince était arrêté par une maladie mortelle ; il en avait fait écrire à l’abbé de Saint-Remi ; et afin qu’on lui accordât sans délai ce qu’il demandait, il avait pris les devants auprès du saint Père, et l’avait prié d’ordonner à l’abbé de se rendre incessamment à Tours avec sa sainte relique ; le Pape Sixte IV se fit un plaisir de contenter le roi, et l’abbé d’obéir à l’un et à l’autre ! Mais avec quels honneurs, par ordre de sa Majesté, la sainte Ampoule ne fut-elle pas reçue à son passage à Paris, où le parlement alla au-devant d’elle, et la reconduisit jusqu’à Notre-Dame des Champs (Marl., Hist. Eccl. Rem., tom. II, lib. IV, c. 44) ? Avec quelle vénération ce prince la reçut lui-même, lorsqu’elle lui fut rendue à Tours ? Dans le sacre des rois, quelles précautions pour la faire passer seulement jusqu’à la cathédrale ? Elle est escortée par quatre seigneurs accompagnés de gardes et de soldats : l’abbé ou le grand prieur, chargé de la porter, ne la remettent entre les mains de l’archevêque qu’après avoir pris son serment qu’il la lui remettra fidèlement après la cérémonie ; le prélat, fidèle à son serment, la reporte jusqu’à l’entrée de son église, où il était allé la recevoir en procession avec les évêques et tout son clergé (Relation du Sacre de Henri III). Combien dans cette auguste cérémonie de prières autorisées de l’Église, qui rappellent distinctement la vérité du prodige ! Tout cela se pratique de temps immémorial durant la célébration de nos redoutables mystères, en présence de plusieurs cardinaux légats du Saint-Siège, archevêques et prélats les plus considérables du royaume.

Si tous ces grands hommes, on ne peut nier qu’il n’y en ait eu plusieurs recommandables par leur science et leur piété ; si tous ces grands hommes ne regardaient ce que nous venons de rapporter que comme de vaines superstitions dont on amuse la simplicité du peuple, comment eussent-ils pu le dissimuler, comment au contraire eussent-ils pu l’autoriser d’une manière aussi authentique ? Est-il croyable que depuis tant de siècles il ne s’en fût pas trouvé un seul à qui la religion eût inspiré assez de courage pour marquer la peine qu’une telle impiété lui aurait causée ?

Disons plus : l’autorité du vicaire de Jésus-Christ n’a-t-elle pas revêtu cette tradition d’un caractère de crédibilité qui la doit faire recevoir avec encore plus de respect ?

Le Pape Innocent II, étant venu à Reims pour y célébrer un concile, fit lui-même la cérémonie du couronnement de Louis VII 4. Et il eut une joie extraordinaire de sacrer ce jeune prince avec le baume qui avait été apporté à saint Remi par un ange, pour sacrer Clovis roi des Français 5. Combien de papes en différentes bulles s’en expliquent comme d’un fait fort avéré ? Et pour ne parler que de celle qu’adressa Paul III au cardinal de Lorraine, vers le milieu du seizième siècle, sur l’érection de l’université de Reims, ne dit-il pas expressément que c’est dans cette ville que les rois très chrétiens reçoivent et la grâce de la sainte Onction envoyée du ciel, et le don de guérir les écrouelles, et la couronne par les mains de l’archevêque de la même ville ?

Faut-il s’étonner après cela que tant d’autres évêques et les docteurs particuliers entre lesquels on voit l’Ange de l’École saint Thomas, saint Antonin archevêque de Florence, et le célèbre chancelier de Paris, Jean Gerson, aient reconnu la vérité de cette tradition ? J’ai parlé du Docteur Angélique, cette autorité seule peut bien en valoir plusieurs autres ; j’ajoute que ce saint, raisonnant sur cette grâce spéciale accordée aux rois très chrétiens, prétend que toutes les autres que le Ciel a attachées à la personne de ces monarques tirent leur source de ce baume céleste, dont Clovis fut oint dans son baptême, et les rois de France ses successeurs dans la cérémonie de leur sacre 6.

Deo prædicti regis fides fuit, ostensum declaravit miraculum. Nam cum forte qui chrisma ferebat, interclusus a populo, deesset, ecce subito non alius sine dubio quam Spiritus sanctus, in columbæ visibili figuratus specie qui rutilanti rostro sanctum deferens chrisma, inter manus deposuit sacerdotis undas sanctificantis (Aimoin, l. I, chap. 16). Connue on le voit, c’est la reproduction encore embellie des paroles d’Hincmar.

À tous ces arguments, voici ce que répondent les adversaires de la sainte Ampoule : Grégoire n’est pas le seul qui ne dise rien de ce miracle ; saint Remi dans son Testament, le pape Anastase II et saint Avit, évêque de Vienne, dans leur Lettre de félicitation à Clovis ; Nicet, évêque de Trèves, dans sa Lettre à la reine des Lombards ; Frédégaire dans son Histoire ; les auteurs de la Vie de saint Arnoul, du Gesta Dagoberti et du Gesta Francorum, la préface de la Messe gallicane sur les miracles de saint Remi ; Alcuin dans la Vie de saint Vaast ; le moine Roricon, dans sa Chronique, et beaucoup d’autres, parlent du baptême de Clovis, et tous gardent le silence sur le miracle en question. Lecointe, dans ses Annales (an. 496), reconnaît qu’il n’en est fait mention dans aucun auteur ancien antérieur à Hincmar. Flodoard et Aimoin, qui écrivaient après ce prélat, ne font que reproduire son récit, et les autres auteurs qui l’adoptent se retranchent presque tous derrière cette formule, ut traditur, ut creditur, etc. Plus tard, ce récit subit des variantes, et tandis que les premiers auteurs font apporter la sainte Ampoule par une colombe, Asson (Vita S. Bercharii), la Chronique de Morigny (lib. II), Guillaume le Breton (Philippide, l. I), une épitaphe de Clovis, la font descendre du ciel par le ministère d’un ange. Les prières du sacre suivent l’une et l’autre version. Mathieu Pâris (Rerum Anglic. Hist.), Rigord (Gesta Philipp. Aug.), Pétrarque (De Vita polit. l. II) se contentent de lui donner une origine céleste. Le P. Longueval, dans son Histoire de l’Église Gallicane, l. V, donne une troisième opinion que Pluche et les Bollandistes jugent probable : « Voici, dit Longueval, ce qui me paraît là-dessus de plus certain : une ancienne Messe sur les miracles de saint Remi nous apprend que ce saint évêque, voulant baptiser un malade, ne trouva pas de chrême pour faire les onctions, qu’il mit deux fioles sur l’autel et qu’elles furent miraculeusement remplies. Hincmar rapporte le même miracle. Il est à croire que Clovis fut oint de ce même chrême miraculeux. Ainsi il sera vrai de dire qu’il a été oint d’un chrême descendu du ciel ; et il ne sera pas surprenant que les auteurs n’aient point parlé de ce miracle en parlant de son baptême, parce qu’il n’était pas arrivé à cette occasion. C’en est assez pour justifier la tradition si glorieuse à nos rois et à l’Église de Reims. » Le récit d’Hincmar, soutenu par Parisville, Du Saussay, Mabillon, Cerisieux, Marlot, Letourneur, Dorigny, faiblement défendu par Vertot, a été vivement attaqué par J. J. Chifflet (de Ampullus Remensi), etc. ; et, il faut bien l’avouer, leur critique a bien ébranlé l’opinion contraire.

Et, en effet, l’unanimité de ce silence des contemporains, dans des circonstances où tout les portait à populariser ce miracle et à féliciter Clovis et saint Remi, est un argument d’une grande valeur. D’autant plus qu’il est facile d’expliquer la tradition de l’Église de Reims au temps d’Hincmar. Il était d’usage de suspendre non seulement la sainte Eucharistie, mais même les saintes huiles, dans un vase en forme de colombe (columba ad repositorium). L’antiquité de cet usage, qui remonte avant l’époque byzantine, est incontestable ; le temps même nous a conservé plusieurs de ces colombes d’or et d’argent qui, suspendues à la voûte de l’Église, descendaient (ex alto) par le moyen d’une corde à la portée du prêtre. Sans doute que cette cérémonie décrite dans sa simplicité aura, par un contresens bien naturel, prêté suffisamment au merveilleux pour que des imaginations trop crédules se soient plu à en embellir le récit. De là cette légende qui a pu séduire Hincmar et avant lui bien d’autres esprits de bonne foi, surtout dans un temps où la critique historique était tellement peu en honneur qu’il suffisait à peu près qu’un récit fût merveilleux pour être souvent admis sans discussion... Le raisonnement du P. Dorigny et de dom Marlot sur l’impossibilité d’accuser de mauvaise foi un homme aussi grave qu’Hincmar porte donc à faux ; l’illustre archevêque a simplement admis de bonne foi une tradition glorieuse pour l’Église, et on comprend que la sainte Ampoule, ne fût-elle que le vase renfermant l’huile consacrée par saint Remi, méritait bien que les peuples et les rois l’entourassent de ce respect et de cette vénération qu’augmentait encore la légende. Aussi sous le double rapport de la religion et de l’histoire, on doit regretter sa perte et féliciter ceux qui ont pu en arracher quelques parcelles au vandalisme de 93 (Voy. D. Marlot, note de la page 50 du tome II, et surtout le procès-verbal sur la conservation de plusieurs parcelles de l’huile sainte renfermée dans la sainte Ampoule (Ibid.).

 

 

L.-F. JEHAN DE SAINT-CLAVIEN,

Dictionnaire des controverses historiques,

Troisième et dernière Encyclopédie théologique

publiée par M. l’Abbé Migne, 1866.

 

 

 

 

 



1 Sirmond., tom. III. Cor. c. Cath. anno christ, 860. Car. Calv. 30. p. 385.

2 « Ex progente Ludovici regis Francorum imlyii, et exortus per B. Arnulphum, cujus carne idem Ludovicus pius augustus originem duxit carnis », etc. (Ibid.).

3 Lib. I, Hist. Rem., lib. I, c. 16. G. Brito, l. I, Philip. Matth. Pâris, in Hist. Angl. ad ann. 250. Paul Emil., De gest. Franc., in Clodov. I.

4 Auteur de la Chronique Moriniaque, rapportée par Du Chesne.

5 Paul III, 1470. Sixte IV, 1482. Paul III, I547.

6 Celle par exemple de guérir les écrouelles, ainsi que Génébrard l’explique, lib. III Chronic. : « Ex delatione olei desuper per columbam, quo rex præfatus fuit inunctus, et posteri inunguntur, portentis, signis, ac variis curis apparentibus in eis ex unctione prædicta. »  (S. Thomas. De regimine princ., l. II, cap. 16.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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