Une sainte artiste : Sainte Catherine de Bologne

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Marie LÉRA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANS l’église du Corpus Domini, à Bologne, on voit, au fond d’une chapelle toute tendue de velours cramoisi et scintillante d’or, parmi l’éclat des ornements et les lumières des cierges, une figure de femme vêtue de brocart et couverte de riches parures, assise en souveraine sur un petit trône. Le corps de cette morte semble parfaitement conservé : les chairs, à peine desséchées, ont bruni sous l’action de l’air et du temps ; mais les membres ont presque gardé la souplesse de la vie, et, autour d’elle, sur les marches de son trône, sur les dalles de la chapelle, des pèlerins prosternés, des âmes en peine absorbées dans leurs prières, implorent à toute heure son secours et sa protection.

La Sainte, vers qui monte ainsi la vénération des fidèles, et qui, dans sa splendeur, a l’air d’une reine au milieu de sa cour, s’appelait, sur la terre, Catherine des Vigri. Elle est la gloire de Bologne, et quand elle y mourut, dans l’obscurité d’un couvent de Clarisses, elle ne se doutait guère, en son humilité et son détachement, des honneurs qui lui seraient bientôt décernés.

Sainte Catherine de Bologne est une des figures féminines les plus charmantes de la Renaissance italienne. C’est une de ces jolies physionomies de saintes qu’il est bon de connaître et d’avoir présentes à la mémoire, afin de pouvoir les citer à l’occasion à ceux-là qui prétendent que le catholicisme est hostile à la culture intellectuelle et artistique des femmes.

Historiquement parlant, rien n’est plus faux. Et si les Noëlistes me permettent une parenthèse, je leur avouerai que, travaillant depuis plusieurs années à une étude sur l’évolution de la femme en Italie, je suis, au contraire, émerveillé du nombre d’érudites qu’ont fournies les couvents et surtout j’admire tout ce que l’Église romaine a accompli en faveur de l’indépendance et de la dignité sociale de la femme, en ces époques lointaines où l’Europe était submergée sous la barbarie, et où la barque de saint Pierre fut l’arche qui sauva la civilisation.

Mais revenons à sainte Catherine.

Elle naquit à Bologne au commencement du XVe siècle, d’une noble famille originaire de Ferrare.

Elle était encore une petite enfant lorsque le duc de Ferrare, Nicolas III, appela son père, afin de lui confier un poste important à sa cour.

La cour de Ferrare était, avec celle de Mantoue, la plus cultivée de l’Italie. Les arts et les lettres y florissaient, et la famille du souverain donnait l’exemple de l’étude.

Les enfants du duc recevaient une éducation des plus brillantes. On avait alors l’habitude, dans les familles princières, afin de stimuler l’amour-propre des écoliers, de leur adjoindre, comme camarades de travail et de jeux, d’autres enfants de familles nobles. C’est ainsi que la petite Vigri fut admise à partager les leçons de la princesse Marguerite.

Catherine des Vigri reçut donc l’instruction solide que l’on donnait, à cette époque, aux filles des grandes maisons, et qui était en tout semblable à celle de leurs frères. Comme les jeunes princes, les princesses apprenaient le latin, au point de le parler couramment et de citer par cœur les poètes et les philosophes de l’antiquité. On leur enseignait aussi à monter à cheval et à manier les armes. On y joignait la musique, la peinture, en un mot, toute la culture dont cette époque était avide.

Mais les sciences profanes ne remplissaient pas toutes les heures du jour. Une large part était faite à l’étude de la religion et de la philosophie chrétienne.

Catherine des Vigri passa plusieurs années au palais ducal. À mesure qu’elle grandissait, sa vie, mêlée à celle de la princesse Marguerite, devenait plus variée, plus brillante. Elle prenait part aux fêtes, aux parties de plaisir de la jeunesse princière qui l’entourait. On dit qu’elle était belle, et que les hommages ne lui manquèrent pas.

Cependant, elle montrait des goûts de plus en plus simples. Elle recherchait la solitude. On ne voyait point resplendir en elle cette joie de vivre qui a caractérisé la Renaissance, et elle refusait obstinément de se marier. La princesse Marguerite, fiancée à un Malatesta, supplia sa compagne d’enfance de la suivre dans sa nouvelle patrie ; en vain fit-elle miroiter à ses yeux les honneurs et la fortune. Catherine, après avoir assisté aux fêtes de la noce, rentra chez ses parents et leur déclara son intention d’embrasser la vie monastique.

Après quelque résistance de sa famille, Catherine entra enfin, à Ferrare, dans un couvent augustinien qui adopta ensuite la règle de sainte Claire. Puis elle fut envoyée à Bologne, fonder une maison. Ce fut celle-là même où elle devait mourir en odeur de sainteté, et, à force de miracles, conquérir la canonisation.

La culture intellectuelle et artistique de Catherine des Vigri eût été remarquable en tout temps et en tout pays. Loin de l’étouffer, ses directeurs spirituels lui enjoignirent, comme un devoir, de la développer et de la faire servir au bien et à l’édification de tous.

Bologne était alors le centre intellectuel le plus important de l’Italie ; et son Université – Université catholique et pontificale – était, avec celle de Paris, la première du monde.

La réputation de Catherine des Vigri franchit, à l’insu de l’humble Clarisse, les murs de sa clôture. Elle n’avait que vingt-cinq ans lorsqu’elle écrivit un traité de mystique : Les sept armes nécessaires à la bataille spirituelle. Mais elle était surtout un très bon peintre. On lui aménagea au couvent un modeste atelier où elle travaillait, par ordre de ses supérieurs, pendant tout le temps que les offices ne l’absorbaient pas.

Les œuvres qui nous restent de Catherine des Vigri, un peu archaïques et d’un caractère byzantin, dénotent un réel talent de dessin et de coloris. La Pinacothèque de Bologne possède une Sainte Ursule et ses filles, qu’elle peignit dans son couvent. On lui attribue une autre Sainte Ursule, qui est à l’Académie de Venise. À Venise encore on voit, dans l’église de San Giovanni in Bragora, une peinture en quatre parties qui représente des martyres peintes sur fond d’or. On admire aussi, dans cette même église du Corpus Domini de Bologne, où le corps de la Sainte est vénéré, une figure de Christ sur velours, due à son pinceau.

L’Italie de la Renaissance a compté bon nombre de femmes artistes, peintres et sculpteurs dont les œuvres et les noms ont bravé le temps et nous sont parvenus honorés. Sainte Catherine de Bologne les a devancées toutes.

Ainsi, dans le domaine de l’art comme dans tous les autres, c’est encore une sainte qui, de sa cellule, a montré la route aux autres femmes.

 

 

Marie LÉRA.

 

Paru dans la revue Le Noël du 17 février 1916,

sous le pseudonyme de Marc Hélys.

  

 

 

 

 

 

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