Alain-Fournier

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Monique MANDRILLON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  La petite école d’Épineuil-le-Fleury, dans le Cher, où les parents d’Henri-Alban Fournier sont instituteurs, abrite les douze premières années de sa vie. Les mois de vacances, il les passe chez ses grands-parents, en Sologne. Il n’oubliera pas l’atmosphère tiède et paisible des écoles de campagne, la beauté sauvage des bois. Les premiers chapitres du Grand Meaulnes, son œuvre maîtresse, qu’il publiera en 1913, un an avant sa mort, sont empreints du sentiment de sécurité et de paix dont a été enveloppée son enfance : paix faite de la monotonie cyclique de certains gestes, qu’il s’agisse des tâches de l’instituteur, des jeux d’enfants, des retraites quasi hebdomadaires de la mère de François quand elle confectionne des chapeaux, des visites annuelles des grands-parents...

Adolescent, il cherche non pas à se mettre en harmonie avec le monde, mais au contraire à mettre le monde en harmonie avec lui-même : « Et moi je ne veux pas connaître le monde en dehors de mon âme où il n’est que rappel de paysages désirés et d’histoires évoquées », écrit-il à Jacques Rivière, son futur beau-frère. Il reçoit du monde des incitations successives qui éveillent des désirs profondément enfouis en lui, et l’élèvent à l’exaltation, où toute communion avec le monde extérieur devient impossible.

Pourtant, si passionnément épris qu’il soit de la vie, ou plutôt de ce qui exalte la vie, Alain-Fournier termine son chef-d’œuvre, Le Grand Meaulnes, sur une note d’échec, voire de désespoir. De même le voit-on, lors d’un séjour en Angleterre où il se perfectionne dans la langue tout en gagnant sa vie, entretenir une correspondance vibrante de tendresse avec les siens : par des projets sages de travail, par des projets fous de promenades solitaires dans les bois, par les anecdotes pittoresques qu’il raconte, Fournier cherche dans la vie ce qu’elle a de plus authentique, de plus pur. L’avenir se présente à lui comme une variante du passé, un immense champ de liberté, un ordre de possibles, un espoir de bonheur qui doit naître de l’épanouissement total des aspirations à la vérité, à la beauté, à l’amour comme valeurs absolues, satisfaites par les éléments du monde extérieur. Le bonheur, pour Fournier, est presque synonyme d’amour ; d’un amour qui n’accepte pas de se bâtir au prix de concessions et de déchirures réciproques, qui en naissant se trouve en état de perfection : inutiles les paroles, seule est exigée la paix de l’âme... La jeune fille au piano, les petits enfants, le feu dans la cheminée, le vent sur les carreaux... Plus que la réalisation du rêve, c’est l’aspiration au bonheur, c’est la quête qui constitue le bonheur. Devant la parfaite acceptation du bonheur vécu par deux de ses amis, par Rivière et sa sœur Isabelle, par lui-même quelques instants, Alain-Fournier s’est senti effroyablement triste. C’est encore à Rivière qu’il écrit : « Ce furent des journées si belles que j’en garde encore un je ne sais quel goût très amer. » Peut-être dans cette perfection une sorte de mort ? Peut-être la fin d’élans douloureux mais merveilleux parce que l’être tout entier en vit les angoisses, les joies, dans l’espoir d’une possession intégrale du monde au sens claudélien du terme ? Hanté par la parole gidienne : l’impossibilité d’atteindre la perfection dans un bonheur supraterrestre et sa recherche dans une participation sensuelle aux actes quotidiens, par celle de Claudel qui dénigre la valeur de toute quête du bonheur sur terre, et aspire à la « joie », où l’âme pure exaltée par l’amour divin entre en harmonie avec ce qui fait l’essence de l’univers, c’est finalement vers Claudel qu’Alain-Fournier, tourmenté, révolté, assoiffé d’absolu, se tournera.

Révolté, tel est le mot qu’emploie Rivière dans une des lettres qu’il adresse à son ami. Alain-Fournier le fut à la suite d’échecs sentimentaux : une jeune fille de Cours-la-Reine rencontrée par hasard, avec qui il vivra une très courte idylle ; la jeune fille aperçue au Grand Palais, Yvonne du Grand Meaulnes, qu’il ne connaîtra qu’à peine, qu’il perdra très vite de vue. Il apprendra son mariage et sept ans durant son souvenir le hantera jusqu’à devenir une véritable obsession.

Révolté contre le monde, il le fut aussi contre lui-même : si chez des écrivains engagés la révolte s’appuie sur des notions précises, ou met en question la valeur de certains actes humains, elle est, chez Fournier, intimement liée au développement complexe des diverses aspirations de son être. Douloureusement blessé, Fournier cherche, en se blessant et en blessant ceux qu’il aime, à satisfaire son besoin d’absolu. Il écrit à son ami Rivière : « Je voudrais me faire pardonner mon voyage : avec tous, je me suis montré très dur... c’est ainsi quand je souffre... » Il aspire, à la fin de sa vie, à la sainteté en quoi il espère trouver un accord avec lui-même. L’accord avec lui-même, celui qui écrivait : « Je cherche la clé de ces paradis de l’enfance, et c’est peut-être la mort après tout », il ne le trouvera jamais malgré l’affection douloureuse qu’il porte à tous les siens, malgré l’amitié qui le lie à son beau-frère Jacques Rivière, malgré la passion violente et partagée qui noue, quelques années avant sa fin, son destin à celui d’une comédienne célèbre : cette passion heurte les sentiments de toute sa famille et sa propre sensibilité et, cinquante ans après, alimente encore une violente polémique entre les survivants de cette douloureuse histoire.

Nul n’était moins préparé à la guerre qu’Alain-Fournier, déjà blessé par la simple vie quotidienne. Il meurt au front le 22 septembre 1914, et l’on ne retrouvera jamais son corps. Sans la guerre, peut-être, lui aussi, aurait-il consenti à admettre qu’il faut oublier les paradis perdus et qu’il était tout de même fait pour le bonheur.

Les années qui vont suivre de 1920 à 1930 voient s’amplifier le mouvement surréaliste qui se constitue comme une découverte de l’inconscient et une tentative de réduction du conscient à l’inconscient. L’œuvre de Fournier qui s’ouvre sur la perspective mystérieuse qu’est l’aventure intérieure d’un adolescent, mêlée au monde féerique du rêve, exerce sur les romanciers de l’entre-deux-guerres une véritable « fascination poétique ». Mais si les surréalistes ont créé une vaste systématisation qui s’étend au moyen d’expression, c’est à travers la sobriété, la clarté du langage, l’aspect limpide du récit qu’Alain-Fournier suggère l’espace merveilleux au sein duquel vit Le Grand Meaulnes.

La pureté du rêve se brise dès qu’on tente de le transformer en vécu. La pureté brisée, Meaulnes, sa petite fille dans les bras, un peu comme les baladins tristes d’Apollinaire, erre éternellement, en quête d’absolu, sans ne jamais rien découvrir puisque, comme le dit cruellement Fournier dans une des lettres adressées à Rivière : « La véritable joie n’est pas de ce monde... »

 

 

Monique MANDRILLON.

 

 

 

La nostalgie d’un pays perdu, la mélancolie du rêve effacé font du Grand Meaulnes le livre des amours adolescentes, dans leur pureté et leur brièveté. Trame et ton s’associent pour donner à ce récit l’éclat et la beauté du rare.

 

 

Œuvres essentielles

 

LE GRAND MEAULNES. Meaulnes, un adolescent, quitte la maison des instituteurs où il est en pension, se perd, erre dans les bois, participe à une fête étrange au cours de laquelle il rencontre une jeune fille. De retour à la maison d’école, il partage son secret avec François Seurel, son compagnon, fils de l’instituteur. Dès lors, seule la découverte du domaine enchanté dont parle Meaulnes occupera leur esprit. Le Grand Meaulnes retrouvera la jeune fille entrevue. Ils s’aiment mais ne parviendront jamais à être heureux.

 

 

Études sur Alain-Fournier

 

BASTAIRE (Jean), Alain-Fournier ou la tentation de l’enfance, Paris, Plon (collection « La Recherche de l’absolu »).

BORGAL (Clément), Alain-Fournier, Paris, Éditions universitaires (collection « Classiques du XXe siècle »).

GILLET (Henri), Alain-Fournier, Paris, Émile-Paul.

LÉONARD (Albert), Alain-Fournier et Le Grand Meaulnes, Paris, Desclée de Brouwer.

RIVIÈRE (Isabelle), Images d’Alain-Fournier, Paris, Émile-Paul.

RIVIÈRE (Isabelle), Vie et passion d’Alain-Fournier, Monaco, Jaspard, Polus et Cie.

SIMONE, Sous de nouveaux soleils, Paris, Gallimard.

 

 

Biographie

 

1886   3 octobre, naissance d’Henri-Alban Fournier à La Chapelle-d’Angillon dans le Cher.

1891   Octobre, la famille Fournier s’installe à Épineuil-le-Fleury, dans le Cher. Études primaires d’Alain-Fournier.

1898   Octobre, entrée en sixième au Lycée Voltaire à Paris.

1901   Octobre, Lycée de Brest ; Fournier prépare le concours d’entrée à l’École navale.

1903   Janvier, Fournier revient aux études classiques au Lycée de Bourges, il prépare le baccalauréat de philosophie.

1903   Octobre, choix de Fournier en faveur de l’École normale supérieure.

1905   Année de Khâgne au Lycée Lakanal à Sceaux. Amitié d’Alain-Fournier pour René Bizet et Jacques Rivière, son futur beau-frère.

1905   Mai, idylle de Cours-la-Reine. Échec sentimental qui marque très profondément Alain-Fournier.

1907   Départ pour le service militaire.

1907   Parution de Corps de la femme dans « La Grande Revue ».

1909   Mai, découverte de Lourdes.

1909-1912   Collaboration à Paris-Journal.

1910   Juin, liaison avec Jeanne B..., modiste ; nouvel échec sentimental.

1912   7 mai, secrétariat de C. Casimir-Perier après l’éviction de Paris-Journal.

1914   2 septembre, mort d’Alain-Fournier. Parti en mission de reconnaissance à la tête de la 23e Compagnie, on ne retrouva jamais son corps.

 

 

Bibliographie

(principaux ouvrages)

 

Récits.

 

Le Grand Meaulnes, Paris, Émile-Paul, 1913.

Miracles, Paris, N.R.F., 1924.

Correspondance avec Jacques Rivière, Paris, N.R.F., 1926-1928.

Lettres à sa famille, Paris, Plon (Le Roseau d’Or), 1930, Émile-Paul, 1940.

Lettres au Petit B., Paris, Émile-Paul, 1930.

 

Essais et nouvelles.

 

Le Corps de la femme, Grande Revue, 25 décembre 1907.

La Partie de plaisir, Schéhérazade, 1909.

L’Amour cherche les lieux abandonnés, Occident, janvier 1910.

Le Miracle des trois dames de village, Grande Revue, 10 août 1910.

Le Miracle de la fermière, Grande Revue, 25 mars 1911.

Portrait, N.R.F., 1er septembre 1911.

Madeleine, Grande Revue, juin 1915.

La Femme empoisonnée, Poésie 44.

 

Articles.

 

Derniers Contes, par Villiers de l’Isle-Adam, N.R.F., 1910.

Sur la vie, par Scantrel (Suarès), N.R.F., 1910.

Derniers Refuges, par Jeanne Termier, N.R.F., 1910.

Le Président Roosevelt à la Sorbonne, N.R.F., 1910.

Marie-Claire, par Marguerite Audoux, N.R.F., 1910.

Sur les champs de bataille (souvenirs des anciens correspondants de guerre), N.R.F., 1912.

Courrier littéraire à « Paris-Journal », de 1909 à 1912.

 

Lettres parues dans des périodiques.

 

Lettre inédite, Nord, Bruxelles, juillet 1929.

Lettres inédites, Vie intellectuelle, 10 octobre 1929.

Choix de lettres inédites, Almanach des Champs (Horizons de France), novembre 1929.

 

 

 

Littérature de notre temps, Casterman, 1966,

par Joseph Majault, Jean-Maurice Nivat

et Charles Géronimi.

 

 

 

 

 

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