Témoignage d’un Enfant

de la Vérité et droiture

des Voies de l’Esprit.

 

ou

 

EXPLICATION

 

mystique et littérale

 

DE L’ÉPÎTRE

 

aux

 

HÉBREUX.

 

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Matth. XIII, v. 52.

 

C’est pourquoi tout homme bien instruit en ce qui regarde le Royaume du Ciel est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes.

 

I. Cor. I, v. 28-29.

 

Et Dieu a choisi les choses viles de ce monde, et les méprisées, même celles qui ne sont point, pour abolir celles qui sont. Afin que nulle chair ne se glorifie devant lui.

 

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Imprimé à Berlebourg,

 

Par Christofle Michel Regelein. 1740.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE I.

 

v. 1. Dieu ayant autrefois parlé à nos Pères en divers temps et en diverses manières par les Prophètes.

v. 2. Nous a parlé en ces derniers temps par son fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, et par lequel aussi il a fait les siècles.

 

DIEU a parlé et parle encore sous l’économie de la loi, qui est, comme on a déjà écrit, l’état de l’âme dans la première conversion, ou dans son état actif, où elle coopère activement avec la grâce. Dans ce temps-là, Dieu parle à nous extérieurement par le ministère des écrits saints, et des personnes et ministres saints ; il nous admoneste et fortifie par eux à marcher avec courage et fidélité dans la voie de salut, dans laquelle nous sommes entrés. Il nous fait corriger par eux, dans nos fautes et manquements, nonchalance et paresse, dans l’exercice d’une vie sévère contre nous-même, et vertueuse envers le prochain, que nous devons pratiquer avec soin. Il nous admoneste et nous enseigne intérieurement à la même pratique par la voix de notre conscience ; par les exhortations qu’il nous donne dans cette conscience par le ministère des Anges, à marcher assidûment en la présence de Dieu ; à employer tous les moyens qui nous sont en aide, à conserver et à nous rappeler cette divine présence, lorsque nous nous en détournons par nos distractions. Cette conscience est fidèle à nous rappeler au recueillement, à nous châtier et reprocher dans nos fautes ; à nous enseigner la manière de combattre nos vices et nos mauvaises inclinations ; à éviter les occasions de distractions et qui nous pourraient entraîner dans nos vieilles habitudes ; elle nous communique la joie et la paix dans nos sens intérieurs, et nous fait sentir un certain contentement, lorsque nous sommes fidèles à suivre les admonitions ; et au contraire nous couvre de honte et de tristesse, lorsque nous contrevenons à ses admonitions ; et c’est ce qu’on nomme avoir une mauvaise conscience. Ô soyons bien fidèles à suivre les enseignements de cette fidèle correctrice et conductrice, car cela nous mettra bientôt en état de pouvoir être honorés de la grâce spéciale que Dieu parle à nous par son Fils dans ce dernier temps, qui est le temps de grâce et d’amour, et dans lequel ce Fils d’amour a tant de désir de parler ou de se communiquer à nous d’une manière toute divine ; de nous apprendre son langage tout spirituel et tout divin, en nous voulant changer en sa nature divine, par la véritable et réelle renaissance, en nous reformant à son image. Soyons donc bien fidèles en peu de chose (Matth. 25.) à suivre les enseignements que Dieu nous donne par le Ministère des Anges dans notre conscience et par les sens intérieurs dans notre entendement, et par les moyens dont il lui plaît de se servir au dehors, soit par des bons livres ou des personnes qu’il nous adresse, et si nous faisons cela fidèlement, il nous établira sur beaucoup, sur tout son Royaume qu’il établira et manifestera en nous.

Ce Fils est l’héritier de toutes choses ; il les a toutes créées, et il les ramènera toutes sous son obéissance dont elles se sont dévoyées.

Il a fait les siècles par lui ; cela veut dire le temps et tout ce qui doit durer un temps, ayant été pris de l’éternité ; c’est le monde que nous voyons, qui est tombé, dont Dieu l’a fait héritier, savoir, sa nature humaine, qu’il a prise d’Adam dans son état d’innocence ; l’ayant créé, il a pris de lui un corps ; il est le premier né de toute créature, savoir d’Adam dont il est né ; il n’était pas encore né d’homme d’un autre homme, c’est pour cela que notre Seigneur Jésus Christ se nomme Fils de l’homme, savoir d’Adam. Car il n’était pas Fils de l’homme comme né de la Vierge Marie, puisqu’aucun homme n’avait contribué à sa conception, étant conçu du Saint Esprit. Comme fils d’Adam, cet homme Dieu a été déjà établi héritier de toutes choses, et son héritage lui ayant été ravi par la chute de l’homme qui y a entraîné le monde, il a voulu être le Sauveur du monde (Jean 3), le rémunérateur de toutes choses, il veut réconcilier toutes choses à soi (Col. 1, v. 20), les ramener toutes sous son obéissance, par sa rédemption et reconquérir ainsi l’héritage qui lui appartient. C’est par son verbe, sa parole Éternelle qu’il a fait le monde, l’a tiré du chaos (cette masse effroyable, ténébreuse et confuse, que Lucifer avait formée par sa chute), en séparant cette matière ténébreuse et grossière, l’ayant mise dans un ordre juste et admirable, infiniment plus beau, plus lumineux et charmant que celui où nous le voyons être à présent, mais comme il était avant la chute d’Adam, où l’horreur et les ténèbres du Chaos avaient été relégués dans l’abîme, qui est le centre de la terre, d’où il s’est répandu de nouveau sur la surface, par la malédiction qu’a attirée la chute d’Adam.

 

v. 3. Comme ce fils est la splendeur de sa gloire et l’image empreinte de sa personne.

 

Il est celui par lequel il a plu à Dieu de manifester sa splendeur ou la clarté de sa gloire à nous pauvres humains, et pour modérer cette splendeur il a pris notre nature humaine, dont il s’est couvert, sans quoi nous n’aurions pu en supporter l’éclat. C’est donc en la personne de Jésus Christ que nous voyons l’image de Dieu ; il s’est peint et imprimé en lui (Jean 14) : Qui me voit voit mon Père. Il soutient toutes choses par sa Parole puissante, oui c’est par lui que toutes choses subsistent (Col. 1, v. 17) dans leur être, et c’est une des plus grandes merveilles que le monde subsiste dans la confusion où il est, dans la rébellion et oubli de Dieu, où presque tous les hommes vivent ; c’est bien une merveille que le Diable, qui est nommé le Prince de ce monde, puisqu’en effet il règne et opère avec efficace dans les enfants de rébellion (Éphés. 2, v. 2), ne fasse pas tout périr ; mais c’est Dieu notre Sauveur qui suspend encore la malédiction, afin qu’elle ne subjugue pas tout d’un coup tout le genre humain ; et il en attire en attendant quelques-uns à la repentance.

Après avoir fait par lui-même la purification de nos péchés. Personne ne se doit s’appliquer ceci à moins qu’il n’ait éprouvé et senti cette purification, qui assurément ne s’applique pas d’une manière imaginaire ; il faut sentir auparavant avec douleur qu’on est tout souillé par ses péchés, qu’on en est tout pénétré jusqu’au dedans, que l’on en est bien malade. Si nous voulons expérimenter qu’il est notre Médecin qui nous guérit par lui-même, il faut que nous nous remettions entre ses mains pour qu’il nous purifie du venin du péché dont nous sommes tous pénétrés. C’est par lui-même que se fait cette purification, et non par un autre moyen ; quelque bon et saint, quelque utile qu’il soit d’ailleurs, il ne peut jamais purifier notre âme foncièrement de la racine du péché ; Jésus Christ s’est réservé à lui seul ce droit et a la vertu de le faire, par son sang qu’il nous applique dès que nous voulons bien nous abandonner à lui, afin qu’il fasse cette opération de nous purifier foncièrement du péché. C’est donc en vain que les hommes veulent inventer tant de sortes de pratiques de piété et de moyens par lesquels ils prétendent parvenir à la régénération ; jamais Dieu ne permettra qu’ils obtiennent ce bien ineffable par de telles choses ; car il veut seul lui-même opérer par la vertu de son sang cet ouvrage insigne de changer nos cœurs, nous faisant devenir de nouvelles Créatures, qui sont renées ; nées non de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, (Jean 1, 13), qui sont les inventions qu’il imagine pour cela ; mais elles sont nées de Dieu. Nous ne ferions pas les enfants de Dieu si par quelque autre moyen que par lui-même nous étions nés. C’est donc en s’abandonnant entièrement entre ses mains que ce grand ouvrage se fait, dont notre Sauveur est si jaloux qu’avant qu’il commence à l’opérer, il renverse tout ce que la créature avait inventé ; et les choses ou moyens dont elle s’était servie avec succès jusque-là pour son avancement spirituel lui sont arrachés des mains, tout tombe et devient usé pour elle ; et c’est parce que notre Sauveur est si jaloux de notre rédemption qu’il ne veut pas qu’il nous reste le moindre fétu sur lequel nous puissions nous appuyer, et duquel nous puissions prendre occasion de nous imaginer avoir contribué pour peu que ce soit à l’ouvrage de notre régénération. Voilà pourquoi il renverse si impitoyablement tout appui, tout le bien que nous avons acquis avec l’aide de la grâce dans la première conversion, pour anéantir de fond en comble toute propre justice, et nous faire par là expérimenter que c’est par grâce uniquement que nous sommes sauvés, ou bien réunis à Dieu ; c’est ainsi qu’il les a tous renfermés sous la rébellion, afin de faire miséricorde à tous. (Rom. 11, v. 32.)

Ô merveille admirable de mon Dieu ! d’autant plus beau qu’est devenu l’ouvrage de la sainteté, opéré dans la capacité de la créature, d’autant plus parfait que paraisse cet ouvrage, et d’autant plus tôt sera-t-il renversé de fond en comble, afin que notre Seigneur ait seul la gloire du bâtiment qui n’est point fait de mains d’hommes. C’est ici le mystère qu’ont tant de peine à comprendre et à s’y ajuster les âmes sincères, que Dieu a prises en sa conduite ; tant qu’elles peuvent s’embellir de vertus et de grâces éclatantes dans l’état actif, aidées de la grâce, elles vont le mieux du monde et ont grand contentement dans leur travail, sur lequel elles établissent, sans le savoir, leur propre justice. Mais aussitôt que Jésus Christ vient lui-même dans l’âme et veut lui appliquer son sang, la mettant dans l’état passif de purification, qui commence par lui arracher tout goût et tout pouvoir pour continuer sa manière de pratiques du bien, et au contraire lui fait éprouver le pouvoir que le péché a sur elle, alors la pauvre âme ne sait où elle en est, veut retourner en arrière, et le ferait si Dieu ne la retenait par sa toute-puissance. Car le dépouillement de sa propre justice, qui s’opère par le dépouillement du bien qu’elle avait acquis dans son état précédent, et par le sentiment et réveil du mal qu’elle avait cru avoir surmonté, lui fait tant de peine qu’elle croit pendant longtemps déchoir de tout bien, tomber entièrement dans le mal et la perdition. Mais ce n’est autre chose sinon que notre Sauveur veut par là avoir seul la gloire de l’avoir nettoyée et purifiée foncièrement par lui-même, étant seul son Rédempteur et son Sauveur ; ce qu’elle verra clairement lorsqu’elle sera tirée de cet état de purification.

Il est assis au plus haut des Cieux à la droite de la Majesté Divine. C’est ce que notre Sauveur a fait lorsqu’il a eu achevé l’ouvrage qu’il s’était proposé dans ce monde, y étant mort, ressuscité et monté aux Cieux ; et c’est ce qu’il fait aussi dans l’âme, où il a aussi achevé cet ouvrage ; l’ayant purifiée, il s’assit prenant sa demeure permanente et paisible, régnant en Roi absolu dans le centre de cette âme, qui est le plus haut de son Ciel, sa partie supérieure, là où il habite. Car vous êtes le temple de Dieu, il y habite avec le Père et le saint Esprit (1 Cor. 3, v. 16). Ô mon Dieu, oserait-on dire cela sans craindre de blasphémer ? Qu’un Dieu si grand, si puissant, si majestueux vienne s’abaisser à demeurer dans une pauvre âme, chétive créature, s’unit à elle, et habite permanemment en elle, que son cœur soit la demeure de la très Sainte Trinité ! Quelle merveille et quel honneur, être la demeure de Dieu notre Créateur et Sauveur !

 

v. 4. Ayant été fait d’autant plus grand que les Anges que le nom qu’il a hérité est plus excellent que le leur.

v. 5. Car auquel des Anges Dieu a-t-il jamais dit : Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui.

 

Dieu engendre incessamment son Verbe, qui est son Fils, par lequel il se manifeste et produit au dehors en d’autres Êtres intelligents, qui sont participants de sa nature Divine ; il engendre son Verbe dans les âmes qu’il régénère, et cette production de Jésus Christ ou de la Parole Éternelle est ainsi continuelle et toujours présente ou dans le temps présent. Jésus Christ est ainsi le seul qui est ainsi produit, et aucun Ange ni créature humaine n’a cet avantage ; et c’est par là que Dieu est et reste seul en Essence, et que tout le reste de la Créature n’est rien en comparaison. C’est de lui, par lui et pour lui que sont toutes choses (Rom. 11, v. 36). Il se nomme Je suis (Exod. 3, v. 14) ; tout le reste n’est rien. C’est toujours Jésus Christ qui est formé et naît dans toutes les âmes qui obtiennent la grâce de la régénération. Saint Paul dit : Mes petits enfants, jusqu’à ce que Christ soit formé en vous (Gal. 4, v. 19) et le mystère... savoir Christ en nous (Col. 1, v. 27). C’est là le vrai mystère de notre foi. Dieu Tout en tous, je serai son Père et il sera mon fils (2 Sam. 7, v. 14), et c’est ainsi, par participation, que tous les régénérés ont Dieu pour Père, ils sont frères de notre Seigneur Jésus Christ.

 

v. 6. Et encore lorsqu’il introduit son premier né dans le monde, il dit que tous les Anges de Dieu l’adorent.

 

C’est lorsqu’il plut au Verbe Éternel de naître d’Adam dans son état d’innocence, étant ainsi le premier né introduit dans le monde ; Jésus Christ ayant ainsi revêtu la nature humaine, il est le premier né, et le Père Éternel veut que tous les Anges adorent sa très sainte humanité unie à sa Divinité, ce Dieu manifesté en chair (1 Tim. 3, v. 16).

 

v. 7. À l’égard des Anges, il est dit que des vents il en fait ses Anges, et que des flammes de feu il en fait ses Ministres.

 

Mais quoi donc, est-ce que les vents sont des Anges, comme il paraît de ce passage ? L’air est poussé par les Anges, qui en ont la puissance, auxquels le gouvernement de l’air est donné ; cet air poussé et agité par la direction des Anges, qui ont le pouvoir de le faire selon l’ordre de Dieu, fait le vent ; lequel n’est autre chose que l’air poussé et agité d’un côté ou d’un autre, pour faire les effets qu’il plaît au maître souverain de tout l’univers. Ainsi il fait du vent ses Anges, ou ses envoyés pour exécuter ce qu’il lui plaît. Si c’est un vent bienfaisant, qui rend fertile, fait un air serein, chassant le venin et les maladies, ce sont les bons Anges qui le dirigent et l’agitent modérément ; si c’est pour faire mal, inonder, subjuguer, renverser par les tempêtes, apporter la peste et de pareils effets, ce sont les mauvais Anges, auxquels il est permis de faire ces dégâts ; ainsi c’est par leur ministère que les éléments sont régis, ils leurs sont soumis ; l’air, aussi bien que le feu et la terre et l’eau. Ils dirigent la flamme du feu pour s’en servir selon la volonté de Dieu. Je vis quatre Anges aux quatre coins de la terre, qui tenaient les quatre vents. Je vis l’Ange qui avait pouvoir sur le feu (Apoc. 7, v. 1 ; 14, v. 18).

Si l’on demande ce que c’est que l’air ? C’est une matière subtile et fluide conformément à l’usage que Dieu en fait dans la nature, qui est une espèce de nourriture pour la conservation des créatures de ce monde par la transpiration, et qui entretient tout ce que la terre produit. Tous ces Éléments sont des Ministres en la main de Dieu, étant dirigés par les Anges, auxquels il en donne le pouvoir, et ne peuvent se mouvoir ni être mus à leur fantaisie ni selon leur volonté, mais sont dirigés et gouvernés par sa puissance souveraine, pour aider et coopérer aux desseins de mon Dieu, en tout temps en tout lieu.

 

v. 8. Maïs à l’égard du fils, il est dit : Ô Dieu, ton Trône durera éternellement, et le sceptre de ton Empire est un sceptre d’équité.

 

Oui certes, le Règne de notre Seigneur Jésus Christ est un Règne éternel et équitable ; là la justice fleurit, la vérité gouverne, et l’innocence règne ; dans ce règne divin l’on ne sait ce que c’est qu’injustice et qu’extorsion, que fausseté et que mensonge. Ce règne est déjà établi dans ceux qui veulent se soumettre au saint Enfant Jésus, qui établit à présent son Empire dans les cœurs enfantins, qui sont épris de l’amour divin, et lui veulent donner entrée ; ils expérimenteront déjà la douceur de ce Règne divin, l’amour et la débonnaireté de ce Dieu de bonté ; c’est le commencement de ce Règne éternel après lequel nous aspirons, et qui sapera en secret les Empires de l’univers, qui sont fondés sur l’orgueil, le mensonge, la fausseté ; Dieu les détruira quand son jour viendra.

 

v. 9. Tu as aimé la justice, et haï l’iniquité ; c’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu t’a oint d’huile de réjouissance préférablement à tes consorts.

 

Notre Seigneur Jésus Christ est établi Roi, Seigneur et Dieu, selon son humanité, d’une manière très particulière sur les hommes, ayant pris leur nature, et les nommant ici ses compagnons, comme dans le Psaume 22, v. 23. Il les nomme ses frères ; c’est donc ici de la Divinité qu’il est dit ton Dieu t’a oint ; sans doute c’est Dieu même qui a oint la nature humaine, qu’il a prise à soi en Jésus Christ et l’a établie pour être Dieu manifesté en chair (Jean 1, v. 14 ; 1 Tim. 3, v. 16) sur tous les hommes, par la mort et les souffrances qu’il a prises et portées pour eux. Ô Dieu se rapporte au Verbe manifesté en chair, ayant revêtu la nature humaine. Ton Dieu se rapporte à la Divinité en elle-même, que notre Seigneur Jésus Christ nomme lui-même le Père, duquel toutes choses lui ont été données, c’est un seul et même Dieu béni éternellement.

 

v. 10. C’est toi, Seigneur, qui a fondé la terre au commencement, et les Cieux sont l’ouvrage de tes mains.

v. 11. Ils périront ; mais tu subsistes toujours ; ils vieilliront tous comme un vêtement.

v. 12. Tu les plieras comme un habit, et ils seront changés ; mais pour toi, tu es toujours le même, et tes années ne finiront point.

 

Ils seront changés, cela marque clairement que le Ciel et la terre ne seront que purifiées et nettoyées de leur corruption, puisqu’il est dit ici ils seront changés, et ainsi il n’y aura que le grossier et le matériel qui périra, de même qu’à nos corps le corruptible et le grossier ; il est semé corps charnel, il ressuscitera corps spirituel (1 Cor. 15, v. 44). Toi, Seigneur, es toujours le même, et tu demeures invariable, tu es toujours un Dieu d’amour, et tous les changements que tu fais en tes créatures, n’est que pour les tirer de la corruption où elles ont été jetées par le péché, pour les en purifier et les rendre de nouveau spirituelles et divines, capables d’être réunies à Toi, ô unique et seul souverain Bien ; je dis que tous les changements presque continuels que les créatures intelligentes expérimentent dans la voie de réunion de l’âme à Dieu n’ont pour but que de la rendre capable de parvenir à cette union.

Ce changement des Cieux et de la terre dont il est parlé dans ce verset est une figure du changement qui arrive à l’âme qui est en chemin pour retourner à l’union divine ; la vieille vie de sa nature s’use comme un vêtement, elle vieillit, et cette âme fortunée, que Dieu a prise en sa conduite, expérimente que la vie naturelle et raisonnable s’use et vieillit, elle perd sa force et vigueur ; l’âme ne peut plus s’en servir comme par le passé, pour l’avoir pour conductrice de sa vie et de sa conduite. Une nouvelle vie qui est la vie de l’Esprit s’élève dans le Centre d’elle-même, qui combat cette vieille vie, la mortifie, l’affaiblit et enfin la tue ; car à mesure que notre vieil homme déchoit, le nouvel homme s’accroît et se renouvelle de jour en jour (2. Cor. 4, v. 16).

C’est dans l’accroissement de cette vie nouvelle, et en lui donnant lieu, en s’en laissant de plus en plus posséder, que l’âme trouve sa paix et son repos ; elle n’en trouve plus nulle part ailleurs, mais bien de l’inquiétude et malaise lorsqu’elle veut, selon son ancienne coutume, se laisser encore gouverner par la vie des sens et de la raison, et se conduire par la lumière qu’elle en avait. Heureuse mort à la vie de la nature, quelque belle et vertueuse qu’elle paraisse. Croyez, ô âmes dans lesquelles il a plu à Dieu de faire lever le germe de cette nouvelle vie par l’instinct subtil et délicat, mais très réel et puissant, que vous sentez au-dedans de vous-même ; croyez certainement que, malgré tous les renversements, toutes les morts et les difficultés que vous rencontrez en vous laissant mener ou plutôt entraîner à cet attrait profond, le chemin dans lequel il vous entraîne n’est autre chose que le divin tourbillon qui vous attirera jusqu’à ce qu’il vous ait ramené et réuni à votre Centre divin ; Dieu lui-même sera le lieu de votre repos, après vos travaux et toutes vos peines, et vos supplices seront bien changés en délices ; ils n’ont été causés que par votre impureté ; car il faut être changé, comme les Cieux et la terre seront changés et renouvelés ; ils deviendront purs, transparents, lumineux de ténébreux et d’opaque qu’est la terre ; il faudra bien du feu cour opérer ce changement insigne ; nous n’en devons pas éprouver de moindre, notre corruption étant très extrême ; quiconque doit être bien purifié ne peut que souffrir beaucoup dans cette vie ; c’est à quoi notre adorable Sauveur nous a invités ; nous n’avons d’autre sort à attendre si nous voulons être à lui, être honorés de la grâce qu’il nous lave les pieds, comme à saint Pierre ; c’est la partie basse de notre âme, qui sont nos pieds, où sont nos passions, nos affections, notre raison, notre entendement, notre mémoire, notre volonté animale ; c’est là notre terre ou nos pieds qui doivent être purifiés par l’eau et par le feu ; c’est notre grand Sacrificateur, dont il est tant parlé dans cet Épître, qui veut faire cet ouvrage ; ne l’en empêchons pas par fausse humilité, fausse honte et par crainte de nous laisser à lui passivement, sans nous en mêler, que de souffrir sans nous mouvoir quand nous lui avons donné notre volonté suprême ou supérieure, qui est le Ciel de notre âme.

 

v. 13. Et à qui des Anges a-t-il jamais dit : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marchepied.

 

Nous voyons dans la personne de notre très adorable Sauveur et Seigneur Jésus Christ, dont il est parlé ici, comment il a plu à notre bon Dieu de s’unir à l’humanité plus intimement qu’avec aucune autre créature, puisque Dieu même prend une nature humaine en Jésus Christ, et place cette humanité à sa droite ; ô Dieu, quel avantage inexprimable ne nous apporte pas ceci ! puisque c’est notre nature en Jésus Christ qui est honorée de ce privilège, et que nous avons le même honneur, le même avantage à attendre, si nous voulons bien suivre notre cher Sauveur dans les souffrances et la mort qu’il a souffertes pour nous, dans le temps court de cette vie mortelle. Car ne dit-il pas lui-même qu’au jour du jugement il mettra les bons à sa droite ? Il s’est fait notre frère, et ainsi il nous honore encore d’un plus grand honneur que les Anges mêmes. Car auquel des Anges a-t-il jamais dit : Assieds-toi à ma droite ? Il le dit à notre Sauveur et le dira à ses Élus ; espérons donc en lui fermement et constamment.

Notre Sauveur a mis tous ses ennemis sous le marchepied de ses pieds, par sa force divine, et ses ennemis sont aussi les nôtres ; ce sont principalement ceux qui sont en nous, qui nous tyrannisent et nous peinent, ce sont nos passions ; et il les domptera et surmontera certainement, quelque arrogance qu’ils aient et nous fassent sentir. Je témoigne de sa victoire, et dis que quiconque s’abandonne à lui n’a rien à craindre, mais tout à espérer, il accomplira ses promesses et nous délivrera de tous nos ennemis. Oui, Amen.

 

v. 14. Ne sont-ils pas tous des Esprits destinés à servir et qui sont pour exercer leur Ministère en faveur de ceux qui doivent hériter le salut ?

 

Ces Anges, ces Esprits bienheureux sont nos fidèles compagnons, qui nous gardent sans cesse, contre les machinations de Satan et de ses Anges, qui de leur côté sont continuellement au guet pour tâcher de nous nuire, en profitant du temps propre où nous leur en donnons le pouvoir ; qui est lorsque nous oublions Dieu, nous détournons de sa sainte présence, lâchons la bride à nos passions et à nos réflexions, et sortons ainsi de l’abandon enfantin entre les mains de Dieu, par lequel nous reposons tranquillement et à notre aise, comme dans son sein, par la confiance enfantine que nous avons en lui, qui fait que nous nous oublions nous-mêmes pour ne penser qu’à lui, et lui laissons tout le soin de nous conduire et de nous garder selon son bon plaisir ; car alors, étant dans cette disposition simple où la foi et l’amour de Dieu nous attirent et où l’attrait de Dieu nous invite et nous entretient, les bons Anges nous gardent et sont les Ministres qui exécutent la volonté de Dieu envers nous ; il faut le croire, car c’est la vérité, savoir que ces Esprits bienheureux sont occupés sans cesse pour le bien des hommes, pour les garantir du mal qui tomberait infailliblement sur leur tête, pour les admonester dans leur conscience lorsqu’ils veulent commettre le mal, les inciter au bien, leur excitant mille et mille bonnes pensées, qui contrarient leurs inclinations vicieuses, desquelles pensées salutaires l’homme connaîtra facilement ne pas venir de lui-même, ni de son propre esprit, puisqu’elles contrarient les inclinations et le troublent dans ses plaisirs, projets et intentions injustes, charnelles et vicieuses, qu’il ne peut exécuter et satisfaire sans pécher ; il voudrait bien souvent étouffer ces répréhensions qui lui sont incommodes, contrariant ses volontés ; elles lui sont fort importunes ; ainsi il est clair qu’elles ne proviennent pas de lui-même, mais bien de ces bons Anges, Esprits bénins, bienfaisants, charitables envers nous, occupés au ministère qui leur est commis de Dieu pour nous garder.

Chaque homme en a plusieurs de ces Esprits bienheureux qui sont ses gardes ; et quoique nous ne les voyons pas des yeux grossiers de notre corps, nous sentons bien leurs opérations ; nous ne voyons que les choses les plus grossières, l’écorce des choses ; mais la vie et l’esprit qui vivifie et meut la matière grossière des corps que nous voyons, c’est ce qui est trop subtil et spirituel pour que nous le puissions voir ; ainsi les Esprits angéliques n’ayant point le corps grossier dont nous sommes revêtus, nous ne les pouvons voir de nos yeux charnels, mais bien des yeux de notre âme, lorsqu’il plaît à Dieu de les ouvrir à quelqu’un ; comme il fit au Serviteur d’Élisée à sa prière (2. Rois 6), ce qui est un exemple insigne pour les incrédules qui ne veulent croire que ce qu’ils voient et comprennent par leur raison bornée ; au lieu que les opérations spirituelles de Dieu et des Esprits bienheureux envers nous surpassent notre capacité et ce que notre raison et nos sens peuvent comprendre et connaître, elles leurs demeurent cachées et c’est pourquoi Dieu requiert de nous de croire ; c’est la foi qui doit et peut seule nous conduire sûrement dans la carrière du Christianisme ; car c’est elle qui fait que nous nous laissons conduire à Dieu, à son Esprit ; souffrons ses opérations intérieures, nous détournant de nous-mêmes et de nos manières de voir et de concevoir, pour nous abandonner à l’aveugle, à la conduite seule sage et bonne de l’esprit de grâce, qui prend le gouvernement salutaire de tout nous-mêmes, si nous voulons bien le lui céder, en renonçant totalement à nous-mêmes, à toutes nos Idées, droits propriétaires, pour n’avoir et ne garder plus de prétentions que de nous abandonner à Dieu, à sa sainte conduite, et aux Ministres saints qui la prennent de sa part ; c’est ce que notre Seigneur demande de nous, lorsqu’il nous enseigne de renoncer à nous-mêmes. Heureux l’âme qui croit et se laisse conduire comme un enfant de ce Dieu de bonté ; quelque contraire que lui paraisse être le chemin par où il la mène par rapport à ses propres Idées, elle expérimentera qu’il aboutit au port du salut, Dieu n’ayant point d’autre intention que d’y conduire la pauvre créature qui s’est égarée de lui.

Nous serions ravis en admiration si nous voyons ces Esprits bienheureux, qui sont si occupés autour de nous, à nous garder, enseigner, consoler et reprendre ; leur beauté admirable, leur amabilité, douceur et débonnaireté, les charmes qu’ils possèdent, toutes leurs qualités belles et admirables sont incompréhensibles à notre grossière capacité ; toutes les douceurs et caresses sensibles nous sont communiquées par leur moyen ; par lesquelles ils nous encouragent à porter notre croix, à aimer Dieu purement, à nous abandonner à lui sans réserve ; c’est à quoi ils nous incitent et sollicitent, nous représentant la douceur de l’amour Divin, sa justice et ce qui lui est dû de notre part raisonnablement ; tout ce qui nous est représenté de bon dans nos sens et notre entendement d’une manière distincte vient de leur part. Ne leur résistons donc pas ; suivons les bons mouvements qu’ils nous incitent, ils nous conduiront à Dieu par Jésus Christ qui dit : Voici, j’envoie mon messager (mon Ange) devant ta face, qui préparera ton chemin (Matth. 11, v. 10). C’est l’économie de la loi Évangélique, par le pédagogue de la conscience, qui est dirigée par ces saints Anges, Esprits bienheureux. Ils ont aussi le gouvernement de nos corps dans leur disposition, les gardent et les garantissent des accidents et des dangers où nous sommes exposés, des maladies, inspirant souvent les remèdes convenables que Dieu veut employer pour nous guérir et soulager, si nous sommes attentifs et délaissés entre les mains de Dieu, sans volonté, pour la santé ou pour la maladie ; car il faut être bien résigné à tout ce que Dieu veut faire de nous, si nous voulons éprouver son secours ; étant ainsi abandonné à lui, nous expérimenterons souvent qu’il nous incline tout doucement et comme tout naturellement à désirer quelque remède simple, ou à prendre quelque régime ; car Dieu aime la simplicités, et quand il veut employer des moyens, ce sont d’ordinaire les simples, afin de garder tout l’honneur de notre guérison. Soyons donc simples, enfantins, nous remettant entre ses mains. Il est tout bonté, tout amour, un Père tendre et tout bénin ; ne craignons point de nous laisser à lui, de le laisser disposer de notre sort, soit pour sa vie ou pour la mort ; aimons sa sainte volonté en parfaite unité ; cela fait seul toute notre félicité.

 

 

 

 

CHAP. II.

 

 

v. 1. C’est pourquoi nous devons apporter une plus grande attention à ce que nous avons appris, de peur que nous ne le laissions écouler.

 

UNE des choses la plus absolument nécessaire, si nous voulons devenir Chrétiens intérieurs, c’est l’attention, mais l’attention du cœur vers Dieu. Non seulement nous devons faire attention à tout ce que notre Seigneur Jésus Christ nous a enseigné lui-même par la parole extérieure, qu’il a fait mettre par écrit dans l’Évangile et autres écrits sacrés, mais aussi et principalement, nous devons avoir attention sur ce qui se passe dans notre propre cœur ; cette attention doit être plus grande encore lorsqu’il plaît à Dieu de nous faire passer de l’état de l’économie de la Loi sous le ministère des Anges, dans celui qui est plus intérieur, et où l’Esprit de Jésus Christ lui-même nous veut conduire, incliner et gouverner, en opérant dans le centre de notre âme, où il fait concevoir le nouvel homme, et où il veut habiter.

Car cet attrait du Centre qui nous incline et qui est la voix du bon berger est bien plus subtil, plus spirituel et dégagé des sentiments des sens que n’est la manière dont nous sommes gouvernés sous l’état précédent de la Loi, où les saints Anges opèrent dans nos sens internes parce que nous ne sommes pas encore capables d’une conduite plus spirituelle ; ils opèrent avec force et d’une manière qui se fait sentir distinctement dans notre conscience. Mais ici c’est un attrait doux et très profond qui nous incline à ce que Dieu demande de nous, ou nous donne un éloignement de répugnance pour ce qu’il ne veut pas que nous fassions, et cela nous paraît comme étant naturel, à cause qu’il est si simple. Si nous écoutons le raisonnement et les réflexions, les consultons pour hésiter si nous voulons suivre cet attrait doux et subtil ou non, alors nous le laissons écouler, il s’évanouit, ou est offusqué par les réflexions ; voilà pourquoi il faut grande simplicité, nudité de volonté et d’intention pure, à n’admettre que Dieu et sa sainte volonté à l’exclusion de tout le reste, si nous voulons apprendre à connaître la voix douce, spirituelle, et qui est toute dégagée des sens, mais qui se fait sentir par son opération dans la partie la plus spirituelle de notre âme, qui est notre centre ; c’est pourquoi nous devons apporter une grande attention par un continuel recueillement en la présence de Dieu, afin de ne le laisser pas écouler sans profiter de cette sainte voix par notre inattention.

 

v. 2. Car si la parole qui a été annoncée par les Anges a eu son effet, et si toute transgression et toute désobéissance a reçu sa juste punition.

v. 3. Comment échapperons-nous si nous négligeons un si grand salut qui, ayant été d’abord annoncé par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’avaient appris de lui ?

 

Ô Amour infini et incompréhensible de notre bon Dieu et Créateur ! il ne s’est pas contenté de rappeler l’homme de son égarement par le ministère des Anges ; mais son amour l’a poussé si loin que de prendre notre nature humaine et de venir à nous dans notre état misérable, dans lequel notre péché et rébellion contre lui nous a réduits ; il se rend semblable à l’homme pécheur, revêt les infirmités et misères où le péché l’a réduit, pour venir prendre par la main cet homme pécheur, le tirer de l’abîme de perdition où il s’est précipité ; pour cela il se précipite lui-même dans cet abîme ; comme si un homme, pour en sauver un autre qui se noie, se jetait lui-même dans l’eau, et qui plus est, y laissait sa vie, pour lui sauver la sienne ; quel amour ! quelle coulpe ne chargeons-nous pas sur nous, si nous nous défendons d’accepter un secours si salutaire et si nous aimons mieux périr que de nous laisser prendre à celui qui nous tend la main pour nous sauver, si nous négligeons le grand salut qu’il nous offre et fait offrir si charitablement par ses Ministres.

Les Anges ont bien prêché et annoncé le chemin du salut et ce que l’homme doit faire pour obtenir le salut, en annonçant la loi ; mais ils n’ont pu donner le salut ; mais ce Dieu de charité manifesté en chair en Jésus Christ prêche le salut et le donne, en changeant nos cœurs et tout notre Être, nous faisant des nouvelles Créatures, capables d’obtenir le salut. Car c’est en vain qu’on nous prêche comment nous devons être pour obtenir le salut, si le Seigneur lui-même, seul puissant, et capable de faire mourir en nous le vieil homme et d’y recréer le nouveau, n’opère cette grande œuvre de la Régénération par lui-même, en laquelle consiste le salut ; car le vieil homme ne peut être sauvé, il faut qu’il meure, et aucune créature ne peut lui donner la mort, que ce Prince de la vie, lequel, en faisant mourir ce vieil homme, nous redonne la vie, qui est sa vie.

 

v. 4. Dieu même appuyant leur témoignage par des miracles et des prodiges par divers effets de sa puissance, et par les dons du Saint Esprit qu’il a distribués selon la volonté.

 

C’est ainsi qu’il a plu à Dieu d’établir son Église extérieurement à la venue de notre Seigneur Jésus Christ dans ce monde, par le ministère de ses Apôtres ; ces miracles et prodiges extraordinaires qui ont frappé les sens ont été les moyens dont il a voulu se servir alors pour convaincre les incrédules de la vérité de sa venue en chair visible comme est la nôtre ; ces miracles ont eu leurs effets, étant accompagnés de la vertu du Saint Esprit et de ses dons, qui opéraient en même temps dans les cœurs de ceux qui en étaient les témoins et voulaient donner entrée à cette opération de la grâce en eux.

Présentement qu’il ne s’agit plus d’établir la certitude de cette vérité dans le monde, de la venue de Jésus Christ en chair, puisqu’elle est reçue universellement parmi les peuples qui portent le nom de Chrétiens, ces miracles ont cessé ; mais l’abus de ces grâces qui nous sont présentées par l’Évangile étant venu au comble et les Chrétiens ayant renié l’Esprit de Jésus Christ en confessant la lettre qu’il a fait mettre par écrit de sa doctrine, qui est le livre du Nouveau Testament dont ils ont fait une Idole, rejetant l’Esprit dont ce livre témoigne, qui donne la vie (Jean 6, 63), quoiqu’ils fassent si grand cas de ce livre sacré, ils ne veulent point donner entrée à l’Esprit de Jésus Christ dans leur cœur, dont il témoigne, et sans quoi cette lettre ne leur sert de rien ; ils abusent horriblement de cette confession extérieure qu’ils font de Jésus Christ ; c’est pour cela que Dieu veut faire rendre témoignage de nouveau de la nécessité absolue de laisser opérer son saint Esprit en nous, de lui donner entrée en lui ouvrant son cœur. Il faut que les témoins de Dieu d’à présent certifient la vérité et la réalité des opérations de cet Esprit Saint dans les cœurs, que c’est seulement en lui donnant entrée et en le laissant régner uniquement et absolument en nous par un renoncement total à nous-mêmes et à notre esprit propre que nous devenons Chrétiens, et que c’est ce domaine du saint Esprit qui nous fait être Chrétiens, sans quoi nous n’en avons que l’ombre et l’image morte sans vie, quelque belle apparence et ressemblance d’un Chrétien que nous puissions avoir au dehors ; car il ne s’agit pas ici seulement des hommes qui vivent dans le crime, montrant par leur vie et conduite vicieuse, même au dehors, qu’ils portent l’image de Satan et non de Jésus Christ, qu’ils confessent néanmoins de bouche et de mines extérieures, mais je parle des hommes vertueux.

Comme donc ce règne du Saint Esprit est un règne non extérieur, quoiqu’il se manifeste extérieurement en ceux dans lesquels il habite par une vie innocente et simple, il ne plaît pas à Dieu que cette possession du Saint Esprit s’autorise et se manifeste à présent par des signes et miracles éclatants, comme autrefois ; parce que l’intention de Dieu est d’apprendre aux siens à devenir véritablement spirituels, en les séparant de ce qui est du ressort des sens, du propre esprit et de ce qui les touche, comme sont ces miracles extraordinaires ; il veut les tirer de cette région des sens pour les emmener à l’Esprit, qui opère bien plus profondément et d’une manière spirituelle, conformément à son être spirituel ; ce que nous ne pouvons apprendre qu’en étant séparés, par l’opération de l’Esprit divin en nous, de tout le sensible pour être rendus capables des choses de l’esprit. C’est cette opération de la séparation des sens et de l’esprit propre qu’il faut qui soit opérée en nous par Jésus Christ en nous, pour que nous puissions vivre de son Esprit et par son Esprit.

Comme c’est donc ce règne du Saint Esprit que Dieu veut établir à présent, il ne le peut et ne le veut pas établir par les moyens qui entretiendraient les siens dans les sens et dans ce que leur esprit propre peut comprendre, comme sont les miracles éclatants et autres choses qui les frappent ; puisque le but de Dieu et l’opération de son Esprit en eux est de les tirer peu à peu des sens et de leur propre esprit, pour les transmettre dans la région de l’Esprit divin et leur apprendre où il est et vit, et quelle est de sa nature ; ce n’est que par cette transmission que Dieu peut se communiquer immédiatement à nous, en esprit et en vérité, et non par images et idées, car ce qui peut être compris et goûté par nos sens n’est jamais Dieu même. C’est donc l’Esprit intérieur qui est réellement l’Esprit de la foi dont nous devons vivre, et qui veut établir son Empire en s’emparant en secret de nos cœurs, à l’insu des sens et de tout ce qui est sensuel ; son opération est autant cachée aux sens, à la raison et à tout ce qui est de leur ressort ; oui, elle leur est autant contraire qu’elle est réelle, forte et efficace dans la vertu de son opération dans le fond de la volonté de l’âme qui s’est véritablement donnée à Dieu par une réelle et vraie conversion.

Sa réalité et sa force se fait connaître à l’âme, non par lumière éclatante ou goût des sens, mais par l’attrait du centre, qui est l’inclination qui est donnée à l’âme par le fond de sa volonté, pour tout ce que Dieu demande d’elle, laquelle inclination accepte ou rejette, selon qu’il plaît à l’Esprit de grâce, qui est celui qui, ayant pris possession de son fond, la régit et la meut ainsi d’une manière douce et comme naturelle. C’est ainsi que Dieu veut établir son règne dans les cœurs à présent en secret et sans éclat ; il veut se faite un peuple de cœur, qu’il prépare d’une manière cachée et inconnue aux sens et aux hommes sensuels, qui veulent vivre dans leurs sens et dans leur raison ; auxquels les voies secrètes et d’autant plus solides demeurent cachées ; qui sont cependant celles-là seules que Dieu emploie pour opérer la véritable régénération en l’âme ; lequel ouvrage est le plus grand miracle et prodige que Dieu ait jamais fait et puisse faire, quoiqu’il n’ait point d’éclat et demeure d’ordinaire assez caché au dehors, sinon à celui à qui il plaît à Dieu de le manifester par son saint Esprit, qui opère cet ouvrage et peut aussi seul en donner la connaissance véritable.

 

v. 5. Dieu n’a point soumis aux Anges le monde à venir dont nous parlons.

 

Ce monde à venir dont l’Apôtre parle ici, qui sera soumis totalement à notre très adorable Seigneur et Sauveur Jésus Christ, est le monde renouvelé dont saint Jean dit (Apoc. 21) : Je vis un nouveau Ciel et une nouvelle terre ; car le premier Ciel et la première terre étaient passés. Car en effet alors tout lui sera assujetti et sera soumis à son Empire ; il y régnera comme Roi paisible, il n’y aura plus de méchants, plus de rebelles, qui habitent ce nouveau Ciel et cette nouvelle terre ; mais pour à présent cette terre et ce Ciel ne lui sont pas encore assujettis, y ayant une infinité de créatures qui y habitent, lesquelles y sont dans la rébellion ; car quoiqu’elles n’aient pas le pouvoir de faire tout selon que la malignité de leur volonté le leur inspire, laquelle malice Dieu tient en frein, il demeure que leur volonté étant rebelle, l’on ne peut pas dire qu’elles soient soumises à Jésus Christ ; car il ne compte être du nombre de ses sujets que ceux qui lui sont soumis volontairement : Ton peuple est un peuple de franc vouloir (Ps. 110, v. 3). Il ne règne donc que sur ceux qui lui sont soumis, non de force, à laquelle nulle créature ne peut résister s’il veut l’employer, mais volontairement et par amour ; c’est là la domination qu’il cherche d’obtenir de toutes les créatures qu’il a créés libres, lesquelles il ne veut pas forcer à lui être soumises, mais qu’il invite et attire à se soumettre volontairement et par amour à lui ; car il veut pour ses sujets non des esclaves mais des enfants. Il n’emploie pas plus sa puissance pour attirer les hommes à lui qu’il ne l’a fait pendant le temps de sa vie mortelle sur la terre, où il a invité les hommes à la repentance, couvrant sa majesté et sa force divine de la fragilité de notre nature humaine et de sa faiblesse, étant en forme de Serviteur (Phil. 2, v. 7), et non dans l’éclat de maître qui aurait effrayé les hommes et les aurait portés à se soumettre à lui par la crainte de la puissance qu’il aurait manifestée en paraissant ainsi ; c’est ce qu’il ne voulait pas, afin de ne point faire des hypocrites, qui ne se convertissent pas à lui de cœur et de franche volonté ; c’est pour cela qu’il se couvre d’une apparence plus propre à rebuter qu’à attirer à lui. Il ne manifeste aux sens et à la raison humaine que faiblesse et misère, pauvreté ; il ne promet que croix et mort pour partage de ceux qui croiront en lui, il ne leur enseigne que le renoncement ; tout cela est fort rebutant pour la nature ; il pratique et choisit lui-même au plus haut point le renoncement qu’il enseigne, et après avoir mené une vie pauvre et misérable, il la finit par une mort ignominieuse dans les souffrances les plus amères.

Toute la gloire, la félicité, la paix, le contentement qu’il donne aux siens est caché aux sens et à la raison, et n’est découvert et goûté que de l’homme caché du cœur, n’est comprise que de l’Esprit renouvelé de l’homme ; la foi est ce qui lui fait posséder ces trésors, qui restent cachés à l’homme extérieur ; ce n’est qu’à ceux auxquels cet Esprit de la foi se manifeste, à ceux qui lui donnent entrée pour qu’il s’empare de leur cœur, que les trésors du Royaume des Cieux sont manifestés. Cet Esprit de la foi n’est autre que l’Esprit de Dieu, lequel prend possession du fond du cœur, savoir de la volonté supérieure de l’âme, et qui ainsi l’entraîne alors par sa force sécrète à se donner à Jésus Christ aussi volontairement qu’elle n’a raison de le faire si elle voulait consulter ses sens et sa raison, qui ne trouvent que mort pour eux dans cette donation que l’âme fait de tout elle-même à Jésus Christ.

C’est là (savoir dans le fond de l’âme) où l’Esprit de Jésus Christ a pris place pour y établir son Empire qu’il crée aussi un nouveau Ciel et une nouvelle terre où la justice habite ; c’est là, dis-je, qu’il crée une nouvelle créature qui lui est soumise entièrement ; c’est de là qu’il donne la mort au vieil homme qui lui est rebelle et ne veut pas se soumettre à son Empire ; les sens et la raison s’opposent sans cesse et contrarient ce que l’Esprit de la foi veut et opère dans le fond de l’âme ; c’est pour cela qu’il faut mourir sans cesse à ces sens et à cette raison, pour laisser dominer l’Esprit de la foi, qui n’en peut être ni connu ni compris ; car il est d’une nature divine et spirituelle ; et les sens et la raison sont charnels et grossiers, et ne comprennent point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu (1. Cor. 2, v. 14-15), elles lui sont folie, d’autant qu’elles se discernent spirituellement ; mais l’homme spirituel discerne toutes choses et n’est jugé de personne. C’est donc à cet Esprit de la foi, qui témoigne de la vérité dans le centre de notre âme, auquel il faut se tenir, lorsque Dieu a fait la grâce à l’âme de l’en gratifier en réouvrant dans son intérieur ce centre où Dieu habite ; elle ne doit plus avoir commerce, ni écouter les sens et la raison, qui sont la vieille terre et le vieux Ciel. La raison est le vieux Ciel, croyant être fort élevée et spirituelle ; les sens et la nature sont la terre toute charnelle, animale et terrestre, avec tous ses désirs et intentions ; mais le centre de l’âme est le Paradis de Dieu, où l’âme est ramenée et remise pour y habiter en innocence et pureté dès que l’entrée lui en est ouverte et qu’elle y est ramenée par Jésus Christ ; c’est le nouveau Ciel et la nouvelle terre, elle n’en doit plus sortir.

Ce n’est point aux Anges auxquels il a soumis le monde à venir dont nous parlons. Ce n’est point aux Anges auxquels il a soumis ce monde nouveau, ce paradis réouvert dans le centre de l’âme dont nous venons de parler ; mais c’est à Jésus Christ, auquel ce monde nouveau qu’il a recréé est soumis ; c’est lui seul qui y règne comme Roi, maître absolu et souverain, oui, comme l’Époux divin de nos âmes. Les Anges sont ordonnés sur le vieux Ciel et la vieille terre, ou sur le monde ancien ; ils ont leur domaine et opération sur ce qui est de la portée des sens et de la raison, et gardent, conduisent et enseignent l’âme qui vit encore dans ces puissances ; car ils ont reçu de Dieu cet emploi dès que l’homme est tombé en sortant de l’union de son Dieu. Adam fut chassé du Paradis, qui est le Centre de l’âme dont nous venons de parler, par une grâce de Dieu infinie ; car s’il y était resté, il serait entré dans un état de consistance et d’immobilité dans le mal, dans sa propriété, ce lieu donnant l’état d’immobilité qui lui est propre. C’est pour cela qu’il est dit (Gen. 3) : Il le fit sortir du jardin, etc., de peur qu’il ne prenne de l’arbre de vie et ne vive à toujours. Je dis donc que si Dieu n’avait pas chassé l’homme du centre de son âme, dont la qualité est de rendre l’âme qui y habite immobile, car elle y est rendue participante de l’immobilité divine, y étant dans l’union divine, ayant donc perdu cette union en se séparant de son Dieu, ce Paradis se serait changé en un Enfer effroyable par l’absence de Dieu ; l’âme y serait restée seule dans sa propriété, où elle aurait resté immobile et incapable de retrouver Dieu. Ainsi, par une miséricorde de Dieu infinie, il l’a chassée du centre pour aller labourer la terre, et la met dans la région inférieure des sens et de la raison, où elle entre en vicissitude ; elle est là capable, dans la misère et faiblesse où elle est soumise, d’entendre aussi la voix qui l’invite à se retourner vers Dieu ; l’entrée dans son Centre lui est interdite, les Chérubins gardent cette entrée, elle ne connaît plus d’autre lieu ni de région que celle de la partie basse d’elle-même où elle habite, dont l’intelligence est ce qu’il y a de plus noble, où les connaissances sont reçues, dont les bonnes sont données à l’âme par le ministère des Chérubins, Anges forts et puissants, pleins d’intelligence et de Sagesse, qui gardent l’âme, et sous le Pédagogue desquels elle reste jusqu’à ce qu’elle soit ramenée à Jésus Christ, qui est celui qui lui réouvre le Paradis, dont elle avait été chassée ; mais non pas plus tôt que lorsqu’il y reprend aussi sa demeure avec elle, en la reprenant pour être de nouveau son Épouse.

 

v. 6. Mais quelqu’un a dit dans un endroit : Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme pour que tu en prennes soin ?

v. 7. Tu l’as fait un peu inférieur aux Anges [1], tu l’as couronné de gloire et d’honneur, tu l’as établi sur les ouvrages de tes mains.

v. 8. Tu as mis toutes choses sous ses pieds. Or Dieu lui ayant assujetti toutes choses, il n’a rien laissé qui ne lui soit assujetti ; cependant nous ne voyons pas encore que tout lui soit assujetti.

v. 9. Mais nous voyons couronné de gloire et d’honneur ce JÉSUS qui a été fait pour un peu de temps inférieur aux Anges, par la mort qu’il a soufferte ; Dieu ayant voulu par sa grâce qu’il souffrit la mort pour tous.

 

Le mystère de l’Incarnation de notre Seigneur Jésus Christ, de ses souffrances, et de sa mort est si profond et d’une si grande étendue que jamais créature n’atteindra à en concevoir ni connaître que peu de chose en comparaison de ce qu’il est dans son entier ; car c’est un abîme qui n’a ni fond ni borne, non plus que la Divinité ; aussi bien dans l’étendu de la puissance, force et sagesse divine, et dans l’amour qui s’est manifesté dans cette grande œuvre, que dans l’état d’anéantissement, de bassesse, misère et faiblesse, dans laquelle ce Dieu manifesté en chair s’est réduit. L’abîme de son anéantissement est aussi incompréhensible et inépuisable que celui de sa puissance et grandeur, qui a accompagné cette œuvre et par laquelle puissance elle a eu son accomplissement.

Pour moi, j’avoue que je regarde ce mystère avec tant de vénération et un respect religieux que je n’oserais prendre la hardiesse d’en écrire quelque chose, si je ne craignais désobéir à Dieu et résister à sa volonté, si je retenais ce qu’il lui plaira faire couler de ma plume sur cette importante matière ; Dieu me gardera d’en rien dire que ce qu’il lui plaira de me manifester, afin que je n’amoindrisse en rien l’idée auguste que nous devons avoir pour ce mystère, en le voulant borner à ce que notre capacité bornée en peut comprendre. Mais quoique j’en écrive, ce ne sera que quelque peu de chose de ce grand mystère, dont je ne sais que bégayer en enfant, pour animer par mon bégaiement les autres cœurs enfantins qui liront ceci à se réjouir avec moi des grandes œuvres de notre bon Dieu, à admirer respectueusement le grand amour qu’il a manifesté avoir pour nous en revêtant notre nature ; si peut-être ce que son Saint Esprit nous en fera comprendre amollira nos cœurs et les engagera à aimer et à nous donner entièrement, à nous consacrer à ce Dieu de charité qui nous aime si tendrement, amour qu’il manifeste avec tant d’éclat dans cette œuvre admirable.

Tu l’as fait un peu inférieur aux Anges ; si nous considérons la bassesse et misère épouvantable où l’homme est tombé par son péché, et qu’il plaise à Dieu de nous éclairer d’un rayon de sa grandeur, de sa Majesté et de sa béatitude qu’il possède en lui-même indépendamment d’aucune créature, n’étant altérée ni augmentée par leur bonheur ni par leur malheur, nous dirons, ravis en admiration : Qu’est-ce ce que de l’homme que tu te souviennes de lui ? et du fils de l’homme que tu en prennes soin ? Mais ce soin que ce Dieu de bonté en prend est si grand qu’il se fait homme lui-même, afin de venir au secours de cet homme tombé et plongé dans la misère et la perdition. Dieu donc, se faisant homme, non seulement devient, non un peu moindre que les Anges dans son incarnation glorieuse qu’il a prise, savoir sa nature humaine d’Adam, dont Jésus Christ est né avant sa chute, mais il devient un peu moindre que les Anges dans l’incarnation dont il s’est revêtu dans le sein de la sainte Vierge Marie, en revêtant ce corps de péché que nous portons, avec toutes ses misères, toutefois sans péché ; dans cet état d’humiliation, il a été fait un peu inférieur aux Anges, dans cet état il a souffert la mort pour tous.

Ceci est une vérité si importante et dont on abuse si fort que je dois mettre ici la lumière qu’il plaît à Dieu de me donner sur cette matière. Notre Sauveur a souffert la mort pour nous tous, afin de nous sauver ; mais comment et pourquoi cela était-il nécessaire ? Est-ce que Dieu ne pouvait être reconcilié avec les hommes sinon par cette offrande ? Ce n’est pas ainsi que je le comprends ; car Dieu est amour et ne peut être offensé par aucune injure, car on ne peut lui en faire, elles n’atteignent point jusqu’à lui, mais c’est la créature qui se rend malheureuse et misérable en s’éloignant de son Dieu ; c’est cet amour de Dieu qui l’engage à venir dans ce monde souffrir la mort pour sauver les Hommes ; il leur vient offrir un moyen assuré pour qu’ils puissent être retirés de l’état misérable où ils sont tombés. Quel est donc ce moyen qu’il leur offre ? C’est lui-même qui est leur Sauveur et Libérateur. Et comment ? Ce Sauveur vient leur offrir sa chair et son sang et il dit (Jean 6, v. 54) que qui le mange a la vie éternelle. Il dit (v. 33) le pain de Dieu est celui qui est descendu du Ciel et qui donne la vie au monde. Voici donc le remède pour tirer les hommes de la mort et perdition éternelle. C’est de manger cette chair et de boire ce sang (v. 55). Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage (v. 53). En vérité, en vérité, je vous dis : si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous-même.

Notre Seigneur proteste ici que cette manducation est le seul moyen par lequel les hommes peuvent recouvrer la vie divine ou éternelle qu’ils ont perdue par leur chute ; car il est le pain qui est descendu du Ciel. Il répète et affirme si souvent et insiste si fortement sur l’absolue nécessité de manger sa chair et de boire son sang (v. 56). Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi et moi en lui ; celui qui me mange vivra par moi ; voici donc la nourriture et la médecine que notre Seigneur nous apporte du Ciel, pour recouvrer la vie.

Mais comment prépare-t-il cette nourriture pour que nous puissions la manger ? Il la fait meurtrir et égorger ; il meurt pour nous donner sa chair et son sang qu’il fait répandre comme une offrande, qui est partagée et distribuée après être égorgée. Si elle était restée en vie et entière, elle n’aurait pu servir de nourriture à ceux qui devaient la manger ; c’est ainsi en vérité et réalité, et non en figure, que notre Seigneur se fait égorger et se sacrifier, pour pouvoir être la médecine et le pain qui donne la vie à tous ceux qui le veulent recevoir.

Ce mystère est aussi réel, véritable et doit avoir son accomplissement et s’effectuer aussi véritablement envers tous ceux qui sont regénérés ou qui parviennent à la grâce de la renaissance et sont rendus participants de la Rédemption de Jésus Christ, qu’il est incompréhensible à l’esprit humain. Ce n’est pas fans, une raison absolue que notre Seigneur insiste si fort sur sa nécessité ; il ne se soucie pas de ce que cette proposition paraît si incompréhensible à ceux qui l’entendent, il persiste à en assurer la nécessité et manifeste ce mystère à ceux qui croient ces paroles sans raisonner ni hésiter, qui viennent à lui, afin d’expérimenter la réalité et l’efficace de ces paroles, qui les croient, quoiqu’ils ne les comprennent pas ; à ceux-là qui captivent leur raison pour donner lieu à l’Esprit de la foi, qui se soumettent à lui, veulent rester à sa suite, sans le quitter, quoiqu’ils ne comprennent pas le mystère qu’il leur propose ; il dit seulement (v. 63) : C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien, les paroles que je vous dis sont Esprit et vie. Il faut que cet Esprit donne l’intelligence de ces paroles et que la manducation de cette chair et de ce sang sacré manifeste à l’âme, qui en est nourrie, la réalité et vérité de ces paroles, qui ne peuvent être comprises de l’âme qu’en même temps qu’elle en est nourrie.

Ce pain céleste se fait connaître en se donnant, et ne peut être connu qu’en se donnant. C’est donc là la mort que Jésus Christ a soufferte pour nous, quoiqu’il n’ait pas distribué son corps et son sang meurtri et répandu, lequel n’aurait servi de rien ; cette meurtrissure et ce sang répandu montrent extérieurement la vérité et réalité de ce qu’il fait pour nous ; il répand son sang spirituel et distribue son corps spirituel, et nous en nourrit et nous guérit par lui ; il est la teinture sacrée répandue dans toute la masse corrompue du genre humain, par laquelle teinture cette masse est purifiée et reçoit la vie divine ; ce sang purifie nos âmes si nous le voulons recevoir, et recrée en nous le nouvel homme, redonne l’esprit et la vie, et nous réunit à Dieu, extermine le péché, en consume la racine, tuant le vieil homme, et opère tout l’ouvrage de la régénération aussi réellement et véritablement qu’il est invisible à nos yeux charnels.

Ainsi Jésus Christ, en mourant, redonne par sa chair et son sang la vie à nos âmes ; à savoir à tous ceux qui veulent recevoir cette nourriture sacrée, en lui ouvrant la bouche de leur cœur pour l’y recevoir ; c’est-à-dire en se renonçant ou se démettant d’eux-mêmes, de toute la possession où ils sont d’eux-mêmes en propre, et se donnant à Jésus Christ, auquel nous sommes légitimement ; car c’est là se renoncer que de se quitter ainsi, ne voulant plus se posséder en propre : Car celui qui ne renonce à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple (Luc 14, 33), et ainsi c’est en fermant la bouche de son cœur aux créatures et à soi-même, ne voulant plus s’en nourrir (car l’on nourrit son âme de ce que l’on aime et désire, l’on le mange), mais l’ouvrant à Jésus Christ, lui donnant désormais tout son amour et ses désirs, devenant son propre bien, qui lui est rendu, et auquel nous avons renoncé. C’est par là et ainsi que nous mangeons sa chair et buvons son sang, et recevons par là la vie éternelle. Car nous sommes rendus participants d’une nouvelle vie divine et céleste. L’esprit est recréé en nous ; cela s’opère par cette viande divine, par cette manducation sacrée ; non tout d’un coup ou dans un moment, mais peu à peu ; car c’est la grande œuvre de notre renaissance ou régénération, c’est pour opérer cette œuvre que Jésus Christ est mort pour nous.

C’est donc en vain que l’on cherche à expliquer les paroles de Jésus Christ qui traitent de ce mystère de la nécessité de la manducation de son corps, que chacun entend selon la compréhension qui lui paraît la plus conforme à ses Idées ; aussi bien que de vouloir que son corps sacré se trouve dans un endroit matériel ou dans un autre ; il ne se trouvera jamais, ne se communiquera, ne se donnera pour nourriture qu’à l’âme qui lui ouvre sa bouche, comme il a été dit, renonçant à toutes choses et à elle-même pour le suivre, se laisser enseigner par lui, c’est cette âme-là seulement qu’il nourrit de son corps et de son sang, qui lui donne la vie. Dans quelque lieu, de qui et de quelle manière l’on pense le recevoir, sans avoir ces dispositions, l’on ne reçoit qu’une ombre sans réalité ni vérité ; l’Esprit n’y est point, lequel seul donne la vie et la chair ne profite de rien, et pour un tel la mort de Jésus Christ est encore infructueuse, elle ne lui sert de rien.

 

v. 10. Car il était convenable que celui pour qui et par qui sont toutes choses, conduisant plusieurs enfants à sa gloire, consacrât par les souffrances l’Auteur de leur salut.

 

C’est ici la vraie raison et nécessité des souffrances de notre Sauveur, comme je l’ai dit ; car de même qu’un peu de levain mis dans la pâte la fait toute lever ; ainsi la teinture sainte et excellente du corps et du sang de notre Sauveur change et sanctifie, purifie et nettoie la masse corrompue de nos âmes ; savoir de ceux-là qui veulent prendre pour leur nourriture cette viande et ce sang précieux, et c’est par cette manducation que nos péchés sont effacés ; ce sang nous en lave et nettoie, il nous guérit aussi de la source venimeuse du péché, faisant mourir notre propriété et nettoyant notre fond corrompu du venin que Satan y a influé. C’est donc ce Divin Sauveur qui est ainsi l’Auteur de notre salut, et il était convenable qu’il fût consacré pour tel par ses souffrances. C’est par cette œuvre de la régénération qu’il opère de cette manière dans ses enfants qu’il les conduit à la gloire, en les rendant aussi participants, selon la mesure convenable à chacun d’eux, des souffrances qui sont inséparables de l’œuvre de la régénération et du lavement et extinction du péché en eux, qu’il opère par son sang.

L’opération de la cure de cette maladie mortelle et incurable par tout autre remède que par le sang de Jésus Christ ne peut qu’être douloureuse et pénible ; puisqu’il a infiniment plus souffert pour nous en se faisant hacher en pièces, pour se distribuer entre nous et devenir le pain et le breuvage qui nous nourrit et nous guérit, que nous ne souffrons dans l’opération de la cure qu’il nous applique pour nous guérir de nos maux. Ainsi heureuse et mille fois heureuse est l’âme qui, écoutant la voix de ce Médecin et Sauveur charitable, qui l’appelle si tendrement, se remet à sa discrétion pour qu’il fasse en elle cette œuvre admirable ; elle expérimentera qu’il la conduira par les souffrances à la gloire, comme il a lui-même le premier marché par ce chemin.

 

v. 11. En effet, celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés ont tous la même origine, c’est pourquoi il n’a point honte de les appeler ses frères.

v. 12. Lorsqu’il dit : J’annoncerai ton nom à mes frères et je chanterai tes louanges dans rassemblée.

v. 13. Il dit encore : Je mettrai ma confiance en lui ; et ailleurs : Me voici, et les enfants que Dieu m’a donnés.

 

Ceci marque bien l’union intime dans laquelle il a plu à Dieu de vouloir entrer avec l’homme, ayant pris la même nature qu’eux. En vérité, quand il plaît à ce Dieu de bonté d’ouvrir un peu nos yeux pour voir ce que Dieu a fait pour nous, l’on est bien étonné que l’homme soit devenu si étranger de son Dieu qu’il ne veuille pas seulement reconnaître d’où il est déchu, ni savoir à quoi il est appelé de Dieu, pour recouvrer ce qu’il a perdu. C’est pour être uni à Dieu qu’il est créé, pour avoir commerce avec lui, pour converser familièrement avec lui. Voici un passage bien clair qui témoigne de cette vérité : Celui qui sanctifie, qui est Jésus Christ, Dieu manifesté en chair, dans lequel tome la plénitude de Dieu habite ; celui-là et nous qui sommes sanctifiés par lui avons tous la même Origine, aussi bien selon la nature Divine de Dieu que selon l’humaine d’Adam. Dieu prend la nature de l’homme et donne sa nature Divine à l’homme pour pouvoir être uni doublement à lui et se le rendre semblable ; il ne prend point à honte de les appeler frères. Est-il possible qu’une si grande grâce, qu’un si grand honneur qui nous est destiné ne nous touche pas et ne nous encourage pas à renoncer avec joie au monde, aux créatures et à nous-même, pour charger volontiers la croix que notre Seigneur Jésus Christ nous présente pour la porter à sa suite, puisqu’il ne nous invite à entrer dans ce chemin du renoncement qu’afin de nous ramener ou rétablir dans l’état honorable d’où nous sommes déchus, savoir d’être rendus capables de rentrer dans le commerce et l’union intime de la Divinité, de n’être plus étrangers de la vie de Dieu et ne plus vivre sans Dieu au monde (Éphés. 2, v. 12 ; 4, v. 18).

Ô Seigneur, ouvre les yeux de tes pauvres créatures si aveugles et éloignées de toi par leurs péchés qu’elles ne savent plus leur origine, d’où elles viennent, ni où elles doivent revenir, et à quoi elles sont appelées même dès cette vie ! Puisque tu n’as point honte, ô Seigneur Jésus, de nous appeler tes frères, ô fais que nous prenions la hardiesse et la sainte audace d’aller à toi, de nous approcher de toi, couverts des plaies dont nous sommes meurtris par le péché, tout couverts des ordures de notre corruption ; non seulement couverts, mais en étant aussi pénétrés au dedans jusqu’au plus profond ; car c’est dans cet état que tu trouves ceux que tu nommes être tes frères, et c’est pour les tirer de cet état déplorable que tu viens à eux, en te couvrant du même habit dont ils ont été revêtus par le péché, t’étant rendu semblable à un lépreux tel que nous sommes !

Allons donc à ce Sauveur charitable, qui nous appelle et nous invite afin de nous guérir et de nous rendre par cette guérison participants de sa sainteté, en nous revêtant de son habit de gloire, après nous avoir dépouillés de l’habit de honte et de péché que nous portons. Il ne faut qu’aller à lui et vouloir accepter les remèdes qu’il nous offre pour être guéri ; il ne cessera point d’opérer son œuvre en nous, cette œuvre de guérison du venin du péché, qu’il ne nous en ait entièrement affranchis et nous ait remis dans la vraie liberté des enfants de Dieu ; et nous présentant à lui dans cet état d’innocence, dans lequel il nous aura rétabli, il nous ramène à son Père saint, disant : Me voici et les enfants que tu m’as donnés.

Oui, Seigneur, tu te fais des frères, des Enfants de Dieu, de ceux qui, il y a peu de temps, étaient des enfants du Diable, ses esclaves, qui le servaient, portaient son image, se faisaient gloire de le servir, en portant sa livrée, vivant dans la convoitise de la chair, convoitise des yeux et Orgueil de la vie ; de ceux-là tu fais des enfants, purs, humbles, innocents, qui n’aiment et n’adhérent qu’à toi ; ton saint nom en soit béni, c’est la force de ton bras, ta puissance, ta sagesse et ton amour infini qui fait ces grandes choses, c’est à nous à adorer et admirer tes œuvres merveilleuses, que tu nous mets devant les yeux.

 

v. 14. Comme donc ces enfants ont tous participé à la chair et au sang, il y a aussi participé lui-même afin de détruire par la mort celui qui a l’Empire de la mort, c’est-à-dire le Diable.

 

Ceci certifie ce que j’ai avancé : nous sommes revêtus d’un corps de mort ; c’est cette masse grossière qui le compose qui est bien le corps du péché, la prison où notre âme a été renfermée après avoir péché ; cette masse est bien assujettie à l’Empire du Diable, car c’est un corps de mort ; notre âme y est comme morte et y est morte à la vie Divine. Jésus Christ vient et revêt cet état misérable, se rend participant de notre chair et sang, et se plonge dans l’état de mort où nous sommes, et y meurt ou s’y laisse mourir ; tout comme voulant faire partie de cette masse pourrie et corrompue du genre humain, de ce chaos épouvantable de corruption ; mais il le fait ayant avec cela le germe de vie en soi ; il n’a que l’apparence de la corruption, dans laquelle il se plonge, et c’est par cette vie qu’il détruit celui qui a l’Empire de la mort.

 

v. 15. Il délivre de l’esclavage ceux que la crainte de la mort rendait esclaves toute leur vie.

 

Il délivre ces esclaves de Satan par sa mort. Cette teinture de sa vie, qui est son sang, est répandue dans toute cette masse corrompue et a la vertu d’en purifier, sanctifier et de rendre la vie Divine à toutes les parties qui veulent bien recevoir ce sang précieux. Ceux qui sont sous la loi, dans la crainte servile de mourir par leur désobéissance, et qui se sentent cependant dénués de force pour satisfaire à cette loi, ceux-là, gisant dans la captivité, trouvent leur délivrance dans la vertu du Sang de Jésus Christ qui leur est offert, ils en expérimentent la vertu efficace en eux en le laissant opérer par la réelle délivrance du péché qui les dominait, dont ils se trouvent affranchis, non en Idée et par spéculation, mais en réalité et vérité.

 

 

À Noël 1736.

 

Ô saint Enfant, qui t’es fait enfant pour nous, dans ce temps ici que nous célébrons, nous t’adorons et désirons de te rendre les hommages qui te sont dus ; nous croyons ne pouvoir t’honorer d’une manière qui te soit plus agréable qu’en nous présentant à toi, te priant de nous honorer de la grâce de nous faire être des Enfants tels que toi ! Tu as revêtu notre misère, nos faiblesses extrêmes ; revêts-nous de ton innocence, de ta simplicité, obéissance et pureté, et ôte la malice, la duplicité, la grandeur, la hauteur, l’orgueil qui est si fort endenté dans notre être par le venin du péché ; c’est pour faire cette grande œuvre que tu es venu dans ce monde, et as dans cet état en apparence faible vaincu le Prince de ce monde, celui qui a l’Empire de la mort ; c’est cette victoire que tu remporteras aussi sur lui en nous, par la vertu de ta force divine, quoique de notre côté nous n’y puissions rien contribuer, étant plus faibles que les plus faibles enfants ; mais ce n’est pas notre force que tu demandes, mais notre volonté sincère pour nous laisser entre tes mains, afin que tu opères cette grande œuvre en nous et remportes la victoire.

Seigneur, nous renouvelons en ce jour en ta présence le vœu que tu nous as fait à tous la grâce de te faire tous ensemble, de t’être dévoués et abandonnés, comme un bien qui t’appartient en propre sans réserve, ô très saint Enfant Jésus ! afin que tu fasses d’un chacun de nous et de tout ce que nous possédons tout ce qu’il te plaira dans le temps et l’Éternité ; voici nos corps, nos âmes, nos biens, notre santé, notre destinée temporelle et Éternelle ; que tout, sans réserve de ce qui est de nous, en nous et à nous, te soit consacré, sans que jamais cette donation puisse être révoquée. Amen.

 

 

La veille du nouvel an 1737.

 

Car c’est ta volonté que nous célébrions aussi en ce jour, qui va commencer cette nouvelle année, la fête de ta circoncision. Ô saint Enfant, qui t’es soumis, dans l’anéantissement que tu as embrassé, à toutes choses, que nous soyons circoncis avec toi ; rendus Eunuques pour le Royaume des Cieux, renonçant à tous plaisirs et voluptés charnelles ; et qu’ainsi le vœu de pauvreté, d’obéissance, et de chasteté, qui convient à des enfants tels que tu les désires et que tu t’es fait toi-même soit fait de nous devant tes yeux ; c’est l’offre que nous t’apportons et qu’il faut que tu effectues toi-même, Divin Enfant ! par ta force Divine, car ce serait en vain que nous te ferions des promesses, n’ayant aucune force pour les tenir si toi qui nous donne la volonté de te les faire ne les effectues par la vertu de ton saint Esprit, ce qui fait nos espérances, sachant que tu opéreras cette grande œuvre de la régénération en nous tous, pour la gloire de ton saint et grand nom. Amen, oui, Amen !

 

v. 16. Car il n’a point pris les Anges pour les délivrer, mais la postérité d’Abraham.

v. 17. C’est pourquoi il a fallu qu’il fût semblable en toutes choses à ses frères, afin qu’il fût un souverain Sacrificateur, miséricordieux et fidèle dans ce qu’il faut faire auprès de Dieu pour expier les péchés du peuple.

v. 18. Car ayant souffert lui-même lorsqu’il fut tenté, il est dans un état propre à secourir ceux qui sont tentés.

 

Notre bon Sauveur, notre Souverain Sacrificateur s’est revêtu de toutes nos misères et s’est fait semblables à nous ; a éprouvé toutes les tentations qui nous peuvent arriver, et au plus haut point ; il n’y en a aucune, de quelque espèce qu’elle puisse arriver à un homme dans son état de corruption, qu’il ne l’ait sentie en sa chair et dans la partie basse de son âme au plus haut point. Je dis qu’il n’y a point de tentation qui puisse assaillir une âme qui s’est convertie à Dieu sincèrement, et dont par conséquent la volonté supérieure ne consente point à la tentation dont elle est tourmentée, que notre Seigneur n’ait éprouvé ; car il n’a jamais consenti au péché, et il soutient l’âme tentée, afin qu’elle n’y consente pas non plus ; il est miséricordieux et fidèle, compatissant aux misères que nous sentons, aux attaques véhémentes du péché, parce qu’il les a senties lui-même, en sainteté tenté, et qu’on ne peut avoir la charité compatissante, nécessaire envers un misérable, que lorsqu’on a été soi-même dans l’état de misère où il se trouve ; l’on est aussi alors seulement propre à le secourir. C’est ce que fait notre charitable Sauveur ; il n’y a aucun homme dans quelque état de misère et de péché où il se trouve qui, dès qu’il a un vrai désir de quitter le péché et le quitte de volonté, ne puisse hardiment et avec confiance avoir recours à son Sauveur, se jeter à corps perdu et sans hésiter entre ses bras ; il le recevra assurément. Qu’aucune fausse honte et prétendue humilité n’empêche personne de le faire au plus tôt sans différer un moment ; nulle part ailleurs ni par aucun autre moyen aucun pécheur ne trouvera de remède pour être guéri de ses maux, des blessures qu’il a reçues par le péché, qu’en s’approchant de notre Sauveur charitable et bienfaisant, en se jetant à ses pieds, puisqu’il nous appelle si tendrement, et déclare qu’il est venu sauver les pécheurs, les appeler à la repentance, et non les justes, ou qui s’imaginent l’être.

Mais qu’est-ce qu’il faut que ce Sacrificateur fasse auprès de Dieu pour expier les péchés du peuple ? L’expiation valable et efficace auprès de Dieu, c’est la repentance, représentée par les sacrifices des bêtes que l’on offrait dans l’ancienne Loi. C’est donc à la repentance que notre Grand Sacrificateur nous invite tous, nous qui sommes le peuple ; et si nous acceptons cette repentance, alors, renonçant au péché, à ses œuvres, et nous étudiant à pratiquer les bonnes œuvres, nous remettant entre ses mains, comme une offrande, selon que saint Paul nous y exhorte (Rom. 12, v. 1) : Je vous exhorte mes frères, que vous offriez vos corps en sacrifice vivant, etc., alors cette offre ou abandon, ou délaissement de tout nous-mêmes entre les mains de ce souverain Sacrificateur étant fait, et lui l’ayant accepté, parce qu’il est fait de libre volonté de la part de l’âme qui se donne à lui, laquelle libre volonté il éprouve souvent pour s’assurer si l’âme est bien déterminée de ne point révoquer la donation qu’elle a faite d’elle-même, alors, dis-je, il commence à exercer son office de Souverain Sacrificateur et opère sur l’âme ce qui est nécessaire pour la purifier à fond du venin du péché ; il lui applique le feu divin et la fait être un holocauste qui est brûlé peu à peu ; j’entends le vieil homme, pour que le nouvel homme soit recréé et renaisse dans cette âme, et qu’elle puisse, après avoir été ainsi renouvelée, être présentée ou ramenée à Dieu, qui la reçoit (cette nouvelle créature) dans son union Divine.

C’est là ce que notre Seigneur Jésus Christ fait auprès de Dieu, et c’est là ce que Dieu désire, et pourquoi notre Sauveur est venu au monde, et y vient encore par son Esprit, y est, et y opère cette œuvre en chaque âme qui le veut recevoir ; Dieu ne demande rien autre chose des hommes, sinon ce que son amour infini pour eux lui fait désirer ; c’est qu’ils soient reconciliés à lui ; ils ne peuvent l’être qu’en cessant d’être ses ennemis quant à eux, par leurs mauvaises œuvres, qui sont les fruits de la rébellion de leur volonté ; dès qu’ils retournent cette volonté vers lui, se soumettant à lui, notre Seigneur les réconcilie en ôtant d’eux la cause de l’inimitié de l’homme envers Dieu, savoir la rébellion de sa volonté, et puis après la racine du péché, qui est la propriété, et lorsque cet ouvrage est achevé, l’âme est en état d’être réunie à Dieu, qui est ce qu’il désire.

Notre Seigneur Jésus Christ est né de la postérité d’Abraham. C’est de ce Père des croyants qu’il a voulu prendre sa race, parce qu’il a voulu naître comme toutes les âmes qui sont regénérées ou qui sont renées par lui doivent renaître aussi ; c’est par la foi, elles sont toutes des enfants de la foi ; comme Isaac, elles naissent par un effet de la puissance de Dieu, de même qu’il a plu à Jésus Christ de naître aussi de la sainte Vierge Marie, d’une manière non ordinaire, mais contraire à la raison humaine, qui ne peut rien comprendre en cette naissance, non plus qu’en la renaissance de l’âme régénérée tous les moyens et les voies que Dieu emploie pour opérer cette œuvre contrarient la raison humaine, et sont opposés à ce que l’esprit humain peut comprendre ; il n’y a que la foi et l’abandon total à Dieu, dans lequel il faut que l’âme reste pour que cette œuvre puisse avoir son accomplissement.

Ce qui est marqué, dans l’Épître aux Hébreux, du culte de la loi Judaïque et de ses Sacrificateurs, mis en parallèle au culte spirituel que notre Seigneur Jésus Christ a établi, que l’Apôtre décrit (chap. 8, v. 8-13) : Je mettrai mes lois dans leur entendement et les écrirai dans leur cœur. Cela nous montre la qualité de l’économie de l’ancienne loi, et quel est son Esprit, ce que ces cérémonies signifiaient ; elles étaient matérielles et grossières, et avaient ainsi un sens spirituel qui se rapporte à la conduite que l’Esprit de Dieu tient envers les âmes dans le chemin de la conversion. Cette loi Mosaïque marque l’état de l’âme dans la première conversion, ou bien dans l’état actif où elle travaille, étant assistée de la grâce, à se purifier des souillures et habitudes du péché ; toutes les fois qu’elle tombe dans une faute, elle s’en relève, se repent et en demande pardon à Dieu, elle s’offre de nouveau à lui, elle lui sacrifie ce à quoi elle prend ses plaisirs dans les créatures, elle lui offre toutes ses affections, ce qu’elle a de plus cher, et est dans une merveilleuse activité à s’exercer en toutes sortes de pratiques qui lui servent à mortifier ses passions, à la détacher de l’amour et de l’attachement aux créatures, et à entretenir et rappeler le souvenir de Dieu de tout son pouvoir, tâchant de le rendre continuel ; ce renoncement actif à ses affections, passions et attachements est admirablement bien représenté par les sacrifices de l’ancienne Loi, les dîmes de tous les biens, fruits et bêtes que l’on possédait. Les regrets et la repentance, le retour vers Dieu, lorsqu’on est tombé dans le péché ou dans quelque faute, est très bien représenté par l’offrande pour le péché et les sacrifices qui se rapportaient à cela. Car les bêtes que l’on offrait représentent nos passions et affections, qu’il faut sacrifier à Dieu. L’offrande de la fumée, des parfums et autres fumées représente fort bien l’oraison et ses états de toutes sortes ; les élévations de l’âme vers Dieu, ses désirs, ses soupirs, ses affections qui s’élèvent au Ciel, c’est là en raccourci ce que je crois que signifiaient les offrandes et sacrifices de l’ancienne Loi ; les lavements et les purifications diverses des ordures de la chair marquent pareillement celles que l’on doit faire des souillures aussi bien de la chair que de l’esprit par le regret et par la repentance et confession à Dieu qu’on en doit faire.

Ceci est aussi ce qui est l’exercice de l’état actif dans le commencement de la conversion, de laquelle l’Apôtre parle ici au Chap. 4, v. 1-2. C’est de cet état des commençants qu’il fait mention ici, décrivant quel est le sujet de leurs exercices de méditation et leurs pratiques, comme est la pénitence des œuvres mortes dont nous venons de dire que les offrandes pour le péché et pour les fautes faites par maladvertance étaient la figure, lavoir de cette pénitence des œuvres mortes. La foi en Dieu, les baptêmes, qui est aussi la figure de la première conversion, la résurrection de morts, le jugement dernier ; ces choses sont les sujets de méditation et les instructions qu’on donne à ceux qui ne font que commencer à croire en Jésus Christ.

L’Apôtre veut ici que les Chrétiens auxquels il écrit aient surpassé cet état des Commençants, et qu’ils aient, par l’expérience qu’ils doivent en avoir faite dans leur intérieur, appris à connaître la différence de ce service divin Lévitique, qu’ils ont pratiqué intérieurement, ayant éprouvé en eux, dans leur état actif, la réalité de ce ministère de la Loi, figuré par les cérémonies de la Religion Judaïque.

Ce ministère était administré par les Anges, c’étaient eux qui opéraient intérieurement et poussaient ces Chrétiens commençants aux pratiques susdites conformes à leur état, comme ils le font encore en de telles âmes commençantes, ou qui sont encore sous l’économie de la Loi, selon l’intérieur, de même que les Anges avaient aussi administré et donné la Loi judaïque. Ici l’Apôtre montre la différence du ministère de Jésus Christ notre grand Sacrificateur ; comment il est d’une toute autre espèce que ceux de la Loi judaïque ; il opère en nous le sacrifice total et entier de tout notre être à Dieu ; sacrifice figuré par l’holocauste qui était brûlé tout entier. Son sacrifice éternel marque le sacrifice irrévocable et l’état fixe de l’âme dans son sacrifice entier ou donation à Dieu qu’elle a fait de tout elle-même, sans qu’il soit plus besoin de le réitérer, comme l’on faisait les autres sacrifices ; ce sacrifice total de l’âme est fait par Jésus Christ notre grand Sacrificateur, qui s’est offert le premier à Dieu son Père en cette manière, et nous a acquis la grâce ineffable de lui être aussi sacrifiés de même ; il écrit sa Loi dans nos cœurs, dans notre intérieur, en changeant ces cœurs mauvais et en formant un nouveau, ce qui ne se pouvait faire par la Loi ; c’est qu’au lieu des bêtes qui y étaient sacrifiées, figurant ce que nous avons dit, ici notre grand Sacrificateur se sacrifie soi-même, meurt pour nous, et nous donne sa chair à manger et son sang à boire, lesquels nous changent en de nouvelles créatures, comme il a été expliqué ; il nous donne l’entrée au lieu très saint, c’est ce lieu qui figurait le centre de notre âme, où Dieu fait sa demeure ; c’est le lieu où notre esprit renouvelle la communication avec Dieu immédiatement en esprit et en vérité ; c’est là que nous sommes nous-même la maison de Dieu (Hébr. 3, v. 6) où il habite.

Jésus Christ est donc notre grand Sacrificateur, non pas pour être offert en sacrifice à Dieu, comme une offrande dont Dieu eut besoin pour apaiser sa colère envers nous ; mais il s’offre et se sacrifie pour nous réconcilier à Dieu, en ôtant de nous (en nous purifiant et sanctifiant) la cause qui nous rendait ennemis de Dieu ; c’est notre corruption, la source du péché ; c’est là ce qu’il détruit en nous par sa mort, et donne aussi la mort à notre vieil homme par l’application qu’il nous fait de son sang précieux. Melchisédech, mis ici en figure de Jésus Christ, est un Roi de justice ; car il détruit en nous par l’opération de son sang toute injustice, toute appropriation de la créature, et restitue cette créature et tout ce qu’elle possédait en propre ; il la restitue à Dieu, auquel elle appartient en propre, et c’est par cette restitution qu’il donne et opère la paix dans l’âme qu’il domine et dans laquelle il a établi sa demeure ; il est dans cette âme un Roi de paix, qui règne éternellement, il n’y aura nulle fin à son règne. Bienheureuse l’âme où il règne et demeure d’une manière stable et permanente ! Il n’est pas besoin de renouveler les sacrifices ; car il a sacrifié une fois, s’étant offert soi-même, et il a aussi une fois sacrifié à Dieu cette âme où il fait sa demeure ; il l’entretient et la maintient dans ce sacrifice total et permanent de tout elle-même à Dieu, et ainsi demeurant sacrifiée il n’est pas besoin qu’elle se sacrifie, ou plutôt qu’elle soit sacrifiée de nouveau par notre grand Sacrificateur. L’âme n’a qu’à rester sacrifiée entre ses mains, comme elle l’est par état, n’étant plus maîtresse d’elle-même, ni ne se possédant plus ; mais s’étant quittée et abandonnée, elle reste sacrifiée à Dieu dès ici-bas, elle reste aussi sacrifiée à Dieu dans l’état passif où le grand Sacrificateur l’a mise, en lui imprimant ou lui faisant porter les états de sacrifices et de souffrances dont il lui plaît de la charger ; de même, toutefois sans proportion, qu’il a lui-même porté le fardeau des péchés ou de la corruption de tous les hommes.

Il s’associe aussi certaines âmes à cet office de sa sacrificature, comme il fit à Saint Paul ; ce sont des offrandes continuelles, par lesquelles le salut de leurs frères est rendu aisé, parce qu’ils leur aident à porter la peine et la souffrance des états de purification par lesquels il faut qu’ils passent pour parvenir à l’union divine. C’est ce que notre grand Sacrificateur a fait pour nous. Ces âmes sont aussi sans cesse dans un continuel sacrifice en ce qu’elles ne s’attribuent point cet honneur de la sacrificature, non plus que leur grand Sacrificateur qui ne se l’est point attribué non plus, mais a été mis de Dieu son Père dans cet emploi ; ainsi il y demeure avec tous ceux qu’il s’y est associé, dans un état d’anéantissement à eux-mêmes envers Dieu, auquel recoule sans cesse tout l’honneur, la gloire, la vertu de tout ce qu’il lui plaît d’opérer en eux et par eux.

Il peut sauver à plein ceux qui s’approchent de Dieu par lui ; car c’est lui qui les purifie, les sanctifie et nettoie de toutes leurs ordures et qui détruit la source du péché en eux, et qui après cet ouvrage les réunit à Dieu avec lui. Voilà qui est bien sauver à plein. Il n’y a donc qu’à se livrer et se laisser entre les mains de cet adorable Sauveur, et il parachèvera en nous tout l’ouvrage de notre Rédemption.

 

 

 

 

CHAP. III.

 

 

v. 1. Vous donc, mes frères saints, qui avez part à la vocation céleste, considérez JÉSUS Christ, qui est l’Apôtre et le souverain Sacrificateur de la religion que nous professons.

 

NOTRE très adorable Sauveur nous est toujours proposé pour exemple et est notre modèle dans quelque état et âge du Christianisme que nous soyons. Il paraît, par ce que dit l’Apôtre à ceux à qui il écrit, qu’ils n’étaient pas encore fort avancés ; ce qu’il leur reproche, disant : Vous avez besoin de lait, etc., le marque aussi, il les exhorte ici, comme l’on doit le faire envers ceux qui sont dans le commencement, savoir dans l’état actif et de méditation ; il les exhorte de prendre pour sujet de leur méditation, dont ils doivent tâcher de s’occuper sans cesse, le Seigneur Jésus, de s’occuper de lui. C’est le plus utile exercice et le meilleur que l’on puisse pratiquer, que de méditer sur le Seigneur Jésus, sur ses états, ce qu’il a fait pour nous, son amour infini, ses souffrances, son renoncement à toutes les choses de la terre, aux honneurs, aux richesses et aux plaisirs, embrassant tout ce qui est contraire, la pauvreté, la mésaise, l’ignominie ; c’est là ce qu’il est bon de méditer, et de s’étudier à l’imiter dans sa vie renoncée. C’est ainsi que l’on marche à la suite du Seigneur Jésus d’une manière objective ; je veux dire en le regardant comme un portrait qui nous serait mis devant les yeux et auquel nous travaillons de nous rendre semblables ; Dieu nous assiste puissamment de sa grâce, si nous sommes bien fidèles à considérer le Seigneur Jésus Christ de cette manière, et cette fidélité nous attire puis après la grâce que, comme nous avons fait nos efforts à nous rendre semblables au Seigneur Jésus, ou bien à nous peindre autant que nous avons pu selon son image, il vient après lui-même et se peint en nous, et retrace son image en nous, ou il s’imprime et se grave en nous ; c’est ce que lui seul peut faire, et où il faut que notre ouvrage cesse, pour lui laisser opérer cette grande œuvre, qui est notre régénération, en comparaison de laquelle le premier ouvrage ici marqué n’est que peu de chose, et ne peut être comparé qu’à un tableau ou une toile sur laquelle un Peintre a tiré le portrait d’une personne vivante, mais qui n’a ni vie ni mouvement, ni aucune faculté d’un homme vivant ; ce n’est qu’une simple apparence de ressemblance au dehors de la personne en question, c’est ainsi que nous nous couvrons du portrait du Seigneur Jésus d’une manière fort défectueuse, par les efforts de notre travail, assistés de la grâce néanmoins en nous exerçant de tout notre pouvoir à imiter sa vie et ses vertus.

Mais le second état, que nous nommons l’état passif, parce que notre Seigneur y requiert que nous cessions de ces premières œuvres pour lui laisser faire son œuvre en nous, en quoi notre travail actif ne ferait qu’interrompre et gâter son ouvrage, qui est qu’il veut se former lui-même en nous et nous recréer à son Image, faire de nous une Image vivante, vivifiée de son Esprit, ayant même vie, les mêmes qualités et facultés que lui, en gardant la proportion qu’il y a toujours entre Dieu et la créature. C’est ces deux ouvrages dont il est ici traité dans la suite de cette Épître, et qui s’opèrent tous deux, savoir ces deux états ou âges du Christianisme, intérieurement dans toutes les âmes qui sont converties à Dieu et ne sont pas Chrétiens de nom seulement à l’extérieur, parce qu’ils confessent la Religion Chrétienne, et en pratiquent les cérémonies extérieures ; mais qui le sont en réalité, étant régis par l’esprit de Christ, selon l’économie de la conduite que tient cet esprit, qui opère en ceux qui se convertissent véritablement à Jésus Christ, conformément aux états ou âges de la vie Chrétienne où les âmes se trouvent ; ces deux âges ou opérations de l’Esprit de Dieu dans les âmes sont ici représentés sous la figure du Sacerdoce Judaïque, et sous celui de la Loi nouvelle ou Chrétienne, comme la suite le montre. Jésus Christ est donc toujours, en tous ces états, l’Apôtre et le Pontife de la Religion que nous professons.

 

v. 2. Qui est fidèle à celui qui l’a établi dans cette charge, comme Moïse lui a été fidèle en toute sa Maison.

 

Lorsqu’il est ainsi parlé de notre Seigneur Jésus Christ à l’égard de Dieu, ou par rapport à Dieu comme s’il était distinct de Dieu et une personne différente, pour me servir du terme usité, c’est toujours de son humanité qu’il est parlé. Jésus Christ comme homme a été fidèle dans la charge de souverain Sacrificateur Éternel, que Dieu son Père lui a donnée, selon son humanité, dans laquelle il est regardé envers Dieu comme Serviteur, auquel il est soumis et obéissant, comme Moïse l’a été dans l’emploi qui lui a été départi de Dieu à régir ou gouverner, mettre en ordre la Maison qui avait été commise à ses soins ; cette Maison était et est encore, selon l’esprit, l’économie de la Loi, ou le premier âge du Christianisme dans les âmes qui se convertissent à Dieu, dont les Anges sont les Ministres et ceux que notre Seigneur Jésus Christ emploie pour préparer sa demeure en elles, pour lui franchir le chemin, comme fit saint Jean Baptiste son précurseur, qui est aussi nommé son Ange ; Voici, j’envoie mon Messager (ou mon Ange) devant ta face, pour te préparer le chemin (Mal. 3, v. 1) ; ce qui est arrivé extérieurement à la venue de notre Sauveur dans ce monde, et arrive encore en réalité et vérité selon l’Esprit en chaque âme qui est convertie à Dieu.

 

v. 3. Et il a été jugé digne d’une gloire autant plus grande que celle de Moïse que celui qui a bâti la maison est plus estimable que la maison même.

v. 4. Car il n’y a point de maison qui n’ait été bâtie par quelqu’un ; et celui qui est l’architecte et le Créateur de toutes choses est Dieu.

v. 5. Quant à Moïse, il a été fidèle dans toute la maison de Dieu, comme un Serviteur, pour annoncer au peuple tout ce qui lui fut ordonné de dire.

v. 6. Mais Jésus Christ comme fils a l’autorité sur sa maison et nous sommes nous-mêmes sa maison.

 

Vous êtes le temple de Dieu ; il est clair ici par ces dernières paroles : Nous sommes nous-mêmes sa maison. Ce que j’ai avancé, que tout l’extérieur de l’Église Judaïque et Chrétienne est la figure au dehors de l’économie de Dieu dans l’âme, puisque l’Apôtre présente ici Moïse comme le serviteur de la maison de Dieu, qui est extérieurement l’économie de la Loi qu’il a annoncée et établie, et il nous propose ici Jésus Christ comme le fils qui a l’autorité sur sa maison, qui est l’Apôtre et le Pontife de la Religion que nous professons, savoir la Chrétienne, et puis il dit : Nous sommes nous-mêmes sa maison. Voilà qui a une connexion et un ordre admirable.

La Maison de Dieu est donc chaque âme en particulier qui se convertit véritablement à lui, dans laquelle il veut faire sa demeure ; et toutes ces âmes ensemble composent l’Église de Dieu, aussi bien la judaïque selon l’esprit que la Chrétienne. Elles ne sont toutes deux qu’une seule et même maison selon l’Apôtre ; car il nomme aussi bien être la maison de Dieu celle dans laquelle Moïse a été fidèle que celle qui est la même maison sur laquelle Jésus Christ comme fils a l’autorité. Nous sommes nous-mêmes sa maison ; et cette différence de l’économie de Moïse comme serviteur et de celle de Jésus Christ comme fils ne vient que des deux différents états de l’âme, qui est cette Maison de Dieu.

Le premier état est celui qui engendre la servitude ; c’est la Loi, qui n’amène rien à la perfection et ne règle et ne purifie que le dehors ; et le second nous rend participants de la filiation Divine par Jésus Christ qui est le fils, et nettoie, change et renouvelle le dedans du cœur, nous fait renaître de nouvelles créatures ; c’est là son emploi, et ce qu’il opère en nous par la Sacrificature, pourvu que nous conservions jusqu’à la fin une ferme confiance et une attente pleine de joie des biens que nous espérons.

Voilà la condition, pourvu que nous restions abandonnés à Jésus Christ, nous étant donnés à lui. Car les épreuves et les tentations de toutes sortes ne nous manquent pas à sa suite ; ainsi nous n’avons rien à faire dans tous ces cas que de rester fermes abandonnés entre les mains de celui auquel nous nous sommes confiés, quoi qu’il nous arrive, soit au dedans soit au dehors, de désolant ; il s’agit de persévérer jusqu’à la fin, en ne nous retirant point, quant à notre volonté, de la donation que nous avons faite de nous-mêmes à Dieu. Si nous restons dans cette disposition d’abandon ou de délaissement de nous-mêmes entre les mains de notre charitable Sauveur, quelques épreuves qui nous arrivent et quoique pour un peu de temps nous soyons dans l’affliction et la tristesse au dehors ou dans nos sens, si nous persévérons dans notre résignation, nous éprouverons bientôt, et toutes les fois que de pareilles épreuves sembleront nous vouloir accabler, que la grâce de Dieu nous donnera bientôt au dedans une attente pleine de joie des biens que nous espérons. L’Esprit de Dieu opérant au dedans de nous nous consolera et encouragera ; après que nous aurons été affligés et éprouvés, il nous remplira de joie, dans la lumière et l’impression qu’il nous donnera, par la douce onction de sa grâce dans nos cœurs, que ces épreuves, tentations et afflictions sont les moyens dont notre très adorable Sauveur se sert pour nous préparer à être sa Maison, où il demeurera d’une manière permanente.

Nous sommes sa Maison, pourvu que nous persévérions d’être ou de devenir cette maison ; elle est l’objet de notre espérance, ce sont les biens de tous les biens, de posséder et de loger Dieu, Dieu même ; ô, en vérité, puisque toutes les misères, tentations et épreuves que nous avons à essuyer dans le court temps de cette vie mortelle n’apportent pas un moindre bien que d’être la Maison de Dieu où il habite et demeure, ce qui apporte le bien de tous les biens, la gloire de toutes les gloires, et la félicité de toutes les félicités, nous avons bien raison de dire avec Saint Paul : Les souffrances du temps présent ne sont point à contrepeser à la gloire qui doit être révélée en nous (Rom. 8, v. 18), même dans cette vie ; car assurément si nous persévérons dans les épreuves et états pénibles par lesquels il faut nécessairement que Jésus Christ nous fasse passer à sa suite pour nous rendre capables que nos cœurs puissent être faits le lieu de sa demeure ou sa Maison, et la Maison de son Père dès cette vie, nous aurons la félicité de la vie Éternelle dans son commencement qui nous rendra bien supportables les souffrances auxquelles nous serons encore assujettis tout le temps de notre séjour temporel dans ce monde.

 

v. 7. Aussi le Saint Esprit a dit : Si vous écoutez aujourd’hui sa voix.

v. 8. N’endurcissez point vos cœurs, comme il arriva au temps que le peuple était au désert dans le lieu appelé contradiction et murmure.

 

Rien n’est si nécessaire que d’écouter la voix de Dieu qui parle si efficacement en nos cœurs. Il est si fidèle, ce Dieu plein de charité, cet amateur des hommes, qu’il n’y en a pas un seul auquel il n’adresse sa parole pour l’appeler à se convertir, à abandonner les voies de l’iniquité pour embrasser celles de la justice ; mais la plupart endurcissent leur cœur et méprisent les invitations salutaires que Dieu leur fait faire ; ceux auxquels cette exhortation s’adresse ici sont non des personnes qui n’ont point encore commencé de se convertir, mais ceux qui, comme les Israélites, se sont déjà laissé tirer de l’Égypte de ce monde ; ce sont ceux-là qui ont déjà renoncé au monde et aux plaisirs charnels, qui se sont mis en chemin sous la conduite de Moïse pour conquérir la Canaan céleste, qui pour cela se sont laissé mener dans le désert, après avoir passé la mer rouge, auquel passage ils ont éprouvé l’assistance singulière de Dieu, qui a rompu leurs liens d’Égypte, les ayant tirés de la servitude de ce Monde, dont ils étaient les esclaves, savoir de ses maximes ; qui ont aussi renoncé aux plaisirs de la chair, et ont été menés de Dieu jusque dans le désert de la foi obscure ; ce sont à de telles âmes que l’Apôtre s’adresse ici, lesquelles ont passé la première conversion et sont amenées dans ce désert pour y être éprouvées, afin de pouvoir parvenir au repos de la Canaan, duquel repos les Israélites se frustrèrent au lieu appelé contradiction et murmure ; ce fut leur raison et leurs passions qui murmurèrent, parce que les choses n’allaient pas comme ils voulaient, et ils comprenaient qu’elles devaient aller selon leurs idées ; ils ont soif et il ne se trouve point d’eau ; aussitôt ce manquement les fait murmurer, ils ne peuvent soutenir cette épreuve. Il en arrive de même à ceux qui se sont convertis à Jésus Christ ; dès que les eaux de la grâce sensible leur manquent, qu’ils sont mis dans la sécheresse, qu’il faut expérimenter nécessairement au passage de ce désert affreux, dès aussitôt l’on murmure, et quoique Dieu redonne des eaux pour abreuver les sens, parce qu’on en veut avoir, cependant l’incrédulité et le manque de foi et d’abandon à Dieu est la cause qu’on n’entre point dans la Canaan intérieure, où l’on aurait trouvé le repos durable et permanent qui est promis et réservé au peuple de Dieu qui lui reste fidèle et abandonné.

C’est de cette infidélité et de ce murmure et de ce manque de foi que l’Apôtre avertit les Chrétiens auxquels il écrit de se garder, leur montrant le dommage que ce manque de foi a apporté à leurs Pères, et que, quoiqu’à cause de leur murmure, Dieu fit le miracle de faire sortir de l’eau du rocher, néanmoins ils n’ont point eu sujet de se glorifier de ce miracle, quoiqu’il fut en leur faveur, car ils se rendirent indignes de parvenir jamais au repos. Que ceux-là donc qui, étant mis dans la sécheresse et dans la disette intérieure et autres épreuves qui se rencontrent dans le désert de la foi (après avoir éprouvé tant de faveurs de Dieu et tant de ferveurs, de grâces et de miracles sensibles qu’il a faits en leur faveur pour les tirer du monde et du péché), ne croient pas recevoir de nouvelles faveurs de Dieu et marques de sa bienveillance si leurs cris, leurs murmures, leur impatience, leur inquiétude à supporter les sécheresses et épreuves qui leur arrivent dans ce désert, qu’ils ne croient pas, dis-je, recevoir de nouvelles faveurs si Dieu leur donne de nouvelles douceurs et fait couler les eaux des consolations sensibles dans leurs sens intérieurs, lesquelles ils ont cherché et après lesquelles ils ont convoité, et seraient bien retournés dans l’Égypte, dans le Monde, si Dieu ne les avait pas ainsi abreuvés. Car ces grâces et miracles faits de nouveau en leur faveur les prive de la grâce des grâces, qui est de parvenir au repos permanent que l’âme trouve en Dieu après avoir passé ce désert, qui ne se termine à rien moins qu’à la Canaan Céleste, dont Dieu favorise ceux qui auront soutenu diverses épreuves dans le désert.

 

v. 12. Prenez donc garde, mes frères, que quelqu’un de vous ne tombe dans un dérèglement de cœur et dans une incrédulité qui le sépare du Dieu vivant.

 

Ô les admirables paroles ! lorsque le cœur est bien réglé, dans son assiette, ou bien dans l’état naturel où il doit être pour être en repos et à son aise, alors il n’aime que le bien souverain, qui est Dieu, il se repose en Dieu, il croit en Dieu, se fie en lui, se délaisse à lui, à sa conduite, sans avoir soin de soi-même ; les promesses de Dieu lui suffisent pour le mettre en repos ; lesquelles promesses l’âme a reçues que Dieu veut la conduire en son repos, dans le temps de son premier appel, ou bien avant qu’elle fût entrée dans le désert de la foi obscure. Si elle demeure dans cet état d’abandon à Dieu qui est fondé sur cette fidélité de Dieu dans ses promesses, aussi longtemps qu’elle lui demeure ainsi abandonnée, son cœur n’est point déréglé, malgré toutes les tentations qui lui arrivent, par les réflexions et les raisonnements que lui suggèrent son propre esprit et l’ennemi, qui la veulent porter à douter de Dieu. Mais si elle admet ces doutes, ces craintes et terreurs, se laisse émouvoir par l’apparence du danger où elle se trouve de périr dans ce désert, où tout le nécessaire semble lui manquer, dès lors son cœur tombe dans le dérèglement, il se trouve agité et mis hors de son repos ; l’on est en proie aux réflexions et cette incrédulité sépare l’âme du Dieu vivant.

C’est ce Dieu vivant dans l’âme qui lui procurait ce repos du cœur où elle était à son aise, malgré tout ce qui semblait lui manquer ; c’était la vie de Dieu en elle qui conservait ainsi l’âme et la soutenait, malgré tous les assauts qu’elle sentait dans sa partie basse ou sensitive ; mais dès aussitôt que l’âme écoute ce qui se passe dans cette partie basse, qu’elle y consent et le reçoit, y ajoutant foi, alors elle se sépare du Dieu vivant ; elle n’est plus capable ni en état de discerner son opération douce, profonde, paisible, et toute spirituelle, qu’il lui faisait sentir son efficace par la paix du cœur, le repos profond dont elle jouissait dans son intérieur, plus que par la lumière distincte qu’elle en avait ; c’était un bien être, une aisance dans laquelle elle se trouvait ; car Dieu habite dans la paix ; elle la perd et se sépare du Dieu vivant dès qu’admettant les réflexions sur ce qui lui semble lui manquer, le trouble, le doute, l’incrédulité s’emparent de son cœur, en chassant Dieu, par où ce cœur tombe en dérèglement.

Remarquez bien ceci, ô âmes qui êtes appelées de Dieu pour entrer en son repos, qui avez en vous une conviction que Dieu vous appelle à parvenir à son union !

 

v. 13. Mais exhortez-vous chaque jour les uns les autres, pendant que dure ce temps que l’Écriture appelle aujourd’hui.

 

C’est cette exhortation que Dieu vous adresse ô âmes appelées à la foi et à l’abandon total à Dieu, l’esprit de grâce lui-même vous exhorte à persévérer dans cette foi et abandon de vous-mêmes à lui sans aucune réserve, et vous fera souvenir de renouveler cette donation que vous avez faite à Dieu, autant de temps qu’il sera aujourd’hui, c’est-à-dire autant de temps qu’il sera en votre pouvoir de le faire ; vous ne devez pas le négliger, car ce sera un trésor que vous aurez amassé, qui vous soutiendra secrètement et très-efficacement, quoique d’une manière cachée à vos sens dans le temps de disette, et que, privés de tout soutien sensible, vous serez mis de Dieu dans un état où il n’y aura plus de temps qui soit en votre puissance ou dont vous puissiez disposer. De peur que quelqu’un de vous, étant séduit par le péché, ne tombe dans l’endurcissement. Il est certain que le péché est le détour de Dieu ; et celui qui se sépare de Dieu, comme il a été dit, tombe dans le péché et par là dans l’endurcissement, ayant tourné le dos à Dieu et ne voulant pas suivre le chemin salutaire par où il voulait le conduire, se couvrant de mille prétextes plausibles selon la raison humaine ; il déchoit de la foi et ne garde que la fausse lumière de sa raison corrompue, qui lui endurcit le cœur de plus en plus, en sorte qu’il n’est plus susceptible de recevoir les impressions douces et très délicates de Dieu, qui est esprit, et dont les opérations sont aussi spirituelles, et non sensitives.

 

v. 14. Car nous sommes entrés dans la participation de Jésus Christ, pourvu que nous conservions inviolablement jusqu’à la fin le commencement de l’être nouveau qu’il a mis dans nous [2].

 

Ce commencement de l’Être nouveau, c’est le germe du nouvel homme qui est cet Être nouveau ; c’est ce qu’on a nommé l’attrait du Centre, c’est l’attrait qui est produit en l’âme par ce germe ou ce commencement de l’Être nouveau, lequel nous donne cette confiance enfantine qui fait que nous nous laissions à la conduite de Dieu, sans nous vouloir plus conduire nous-mêmes ; laquelle confiance nous avons eue dès le commencement qu’il nous a appelés à lui, et laquelle nous est ravie par les réflexions, raisonnements, retours et regards sur nous-mêmes, en voulant reprendre notre propre conduite ; c’est par là que nous étouffons ce germe du nouvel Être, ou son commencement, par lequel nous sommes entrés dans la participation de Jésus Christ ; car c’est par ce nouvel Être, qui est le commencement de la nouvelle créature, qui est créée de Jésus Christ, que nous avons part et communion avec lui.

 

v. 15. Pendant que l’on nous dit : Aujourd’hui, si vous écoutez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs, comme il arriva au lieu appelé contradiction.

 

Ce lieu-là est très bien nommé contradiction,  car ce combat qui se fait dans l’âme dans le temps de cette épreuve est bien une contradiction ; l’attrait de Dieu dans le fond de l’âme l’attire à la foi, à se confier à lui, quoi qu’il en coûte, et quoiqu’elle ne voie que mort, que perte, par le manquement d’eau qu’elle éprouve ; et d’un autre coté la raison lui fournit mille et mille raisons pour l’engager à abandonner cette voie, et pour retourner en Égypte ; là il n’y a que contradiction, et la pauvre âme se trouve tiraillée fortement des deux côtés ; heureuse si elle se détourne généreusement de tout regard sur elle-même et reste en foi et abandon à Dieu, attendant de pied ferme ce qu’il lui plaira de faire d’elle ; s’il la laissera mourir de soif ou bien s’il lui plaira de l’abreuver de la pierre, qui est Christ. Le dernier arrivera infailliblement ; mais l’âme n’en a point de certitude qui lui puisse servir d’appui dans le temps d’épreuve ; car si elle en avait, elle lui serait nuisible et l’empêcherait de se quitter soi-même, sa propriété, pour rentrer dans la dépendance entière de Dieu, par l’abandon total et à son entière discrétion entre ses mains.

Elle est donc abreuvée du Rocher qui est Christ, si elle reste ferme et immobile dans son abandon, sans se mêler de soi-même ni de son sort, si elle aura la mort ou la vie pour son partage. Cette immobilité, ce courage est ce qui lui est communiqué par Jésus Christ, qui est très bien représenté par ce rocher, auquel l’âme demeure attachée dans le centre d’elle-même, et, restant dans cette disposition, l’immobilité, la dureté de ce rocher même est ce qui abreuve l’âme, quelque sec et insipide qu’il semble être aux sens et à la partie basse de cette âme. La foi qui la rend immobile et inébranlablement attachée à son rocher fait sa nourriture, elle en reçoit la Manne cachée, qui lui est communiquée d’une manière secrète, par ce caillou blanc qui est ce rocher ; cette nourriture est le corps et le sang de Jésus Christ en substance et réalité ; c’est une toute autre eau que celle des consolations sensibles que l’âme reçoit dans ses sens et qui ne lui est donnée qu’à cause de son incrédulité.

Elle perd, si elle est incrédule et qu’elle murmure, la grâce des grâces, qui est de changer d’être par l’aliment spirituel de la chair et du sang de Jésus Christ qui devient sa nourriture et la change peu à peu par cet aliment en une nouvelle créature. C’est ce dont elle se frustre elle-même, aimant mieux une petite consolation sensible que Dieu lui donne à regret ; puisqu’il désire infiniment davantage de le donner lui-même à l’âme, qui pour une soupe de lentilles vend son droit d’aînesse ; ceci est un malheur, dont l’abandon et délaissement entier entre les mains de Dieu nous met à couvert. Ce rocher, savoir Jésus Christ, est une pierre dure pour la nature et pour les sens ; car ils y perdent leur vie, cette pierre les froisse ou les meurtrit ; cette nourriture spirituelle de la chair et du sang de Jésus Christ cause la mort à la nature et aux sens ; c’est pour cela que plusieurs s’en scandalisent, retournent en arrière et murmurent ; mais ceux qui veulent bien mourir à la nature, etc., avec et par Jésus Christ, vivront aussi de lui, par lui et avec lui. (Jean 6, v. 58 et 61.)

 

v. 16. Car quelques-uns, l’ayant entendue, irritèrent Dieu par leur contradiction, quoique cela n’arrivât pas à tous ceux que Moïse avait fait sortir de l’Égypte.

 

La voix de Dieu se fait entendre à quelques-uns dans le fond de leur cœur, ils sont attirés et invités de lui à croire, à se laisser mener par le chemin de la foi, qui certainement est toute contraire à la raison ; mais ceux qui veulent, en suivant le chemin par où cette foi les veut mener, consulter ou écouter à chaque pas que la foi les veut faire marcher, les contradictions que leur propre esprit et leurs raisonnements leur fournissent, ceux-là irritent Dieu, ils se rendent indignes de sa conduite, l’amour Divin est rebuté par ceux qui ne veulent pas se laisser conduire aveuglément par lui, il se retire de ceux qui ne reconnaissent pas sa dignité, sa noblesse et sa pureté, car les amateurs d’eux-mêmes, ceux qui s’aiment plus que Dieu, sont indignes de Dieu, et n’entreront point en son repos.

Quelques-uns de ceux qui sont tirés d’Égypte ne sont pas de ces raisonneurs, ils se laissent à la conduite de Dieu, ils s’en fient à lui.

 

v. 17. Or, qui sont ceux que Dieu a supportés avec peine, avec dégoût durant quarante ans, sinon ceux qui avaient péché, dont les corps demeurent étendus dans le désert ?

v. 18. Et qui sont ceux à qui Dieu a juré qu’ils n’entreraient point dans son repos, sinon ceux qui n’ont pas obéi à sa parole ?

v. 19. Et, en effet, nous voyons qu’ils n’y ont pu entrer à cause de leur incrédulité.

 

Que personne ne prenne en mauvaise part si l’on trouve tant de fois cette matière répétée dans ces écrits qui traitent de la Foi obscure et nue, du désert de cette Foi, de la nécessité d’y rester, en s’y laissant conduire à l’aveugle ; cette matière est si importante qu’elle ne peut être assez répétée pour le bien et l’avertissement des âmes qui ont un désir sincère de suivre Dieu. Nous voyons combien souvent l’Apôtre répète et insiste à mettre devant les yeux des Chrétiens auxquels il écrit cet exemple insigne de leurs Pères les enfants d’Israël dans le désert, qui sont une figure si naïve de ce qui arrive à la plupart des Israélites selon l’Esprit, dans le chemin du retour à Dieu. C’est sous cette emblème que l’Apôtre avertit ceux-ci, ces âmes qui se sont converties à Dieu, de n’être pas incrédules comme ils l’ont été, de ne pas croire leurs sens, de ne pas murmurer dès qu’ils ne voient pas devant leurs yeux charnels et grossiers les moyens de leur subsistance ; mais de croire en Dieu, de lui laisser le soin de toutes choses, en s’abandonnant à lui sans réserve. Certainement ç’a été là la leçon la plus nécessaire pour les Chrétiens vivants du temps de l’Apôtre qui a écrit cette Épître, et c’est encore la plus nécessaire pour les bonnes âmes de notre temps qui se sont converties à Dieu.

Car c’est l’ordinaire qu’elles retournent en arrière, bientôt après que les douceurs sensibles manquent, que le chemin par où elles doivent marcher n’est plus semé de roses, de lumières distinctes et de tout ce qui nourrit et agrée aux sens intérieurs, dont l’amour-propre fait sa nourriture. Dès que Dieu mène l’âme dans ce désert ténébreux de la foi obscure, où il ne s’agit plus que de croire, de s’abandonner soi-même, de perdre la possession propriétaire où l’on a été de soi jusqu’alors, ne voyant ni chemin ni sentier, mais ne savoir où l’on est, attaqués de tentations et d’épreuves de toutes sortes. C’est à ce pas important de la vie intérieure que la plupart retournent en arrière et ne donnent pas à Dieu la gloire de s’en fier à lui uniquement ; c’est ce manque de foi et de confiance envers ce Dieu fidèle et plein d’amour envers nous qui fait qu’il nous supporte avec dégoût, il en est ennuyé ; il les supporte néanmoins, comme il fit les Israélites pendant quarante ans dans le désert ; il fait plusieurs miracles en leur faveur, mais ce n’est qu’à cause de leur incrédulité, et pour éviter qu’ils ne pèchent encore davantage par leurs murmures et rébellions.

C’est ce qui arrive encore aujourd’hui parmi ceux qui ont commencé à marcher dans les voies de Dieu ; il les supporte dans leur incrédulité, et quoiqu’ils ne retournent pas tous dans l’Égypte de ce monde et restent dans le désert, ils y meurent néanmoins et ne passent point en Canaan. Ce sont cependant presque les meilleurs qui meurent dans ce désert, puisque plusieurs retournent en Égypte. Dieu ne leur retire pas ses grâces et sa protection, il les supporte, les garantit et protège ; il ne permet pas que ces âmes déchoient entièrement ; mais elles meurent cependant dans le désert, elles ne font point les délices de Dieu, il ne prend point plaisir en eux, car il ne prend plaisir que là où il trouve l’image de son saint fils Jésus retracée où rétablie ; c’est seulement dans l’âme où il la trouve qu’il rétablit aussi sa demeure, et ne la trouvant point dans ces âmes propriétaires, qui ne veulent pas souffrir que ce Roi Divin règne en elles, il ne peut se complaire en ces âmes, qui n’entreront jamais en son repos à cause de leur incrédulité, de leur manque de foi et d’abandon, de renoncement à leur propre esprit et propre Être ; et comme Dieu ne peut se reposer en elles, elles ne peuvent aussi être introduites au bonheur de se reposer d’une manière permanente en Dieu.

Comme donc c’est ce qui est le plus agréable à Dieu que de pouvoir retrouver sa demeure et reprendre son repos en une âme renouvelée par Jésus Christ, l’on ne doit pas s’ennuyer de trouver que l’on répète si souvent une matière si importante, d’où dépend la vraie félicité et le salut de l’homme ; d’autant plus cette matière est importante, moins elle est connue et observée parmi les personnes qui font profession de la Piété. L’Apôtre ne peut non plus assez insister sur cette matière et la répète souvent, déplore le malheur des âmes qui se défendent d’entrer dans le repos dont ils font tant de cas ; et quoiqu’il en traite encore d’une manière voilée, cependant il est bien entendu des âmes intérieures et qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu dans les voies de l’esprit intérieur, qui est assurément le sens de ces paroles et expressions, dont on rend ici témoignage ouvertement pour l’intelligence des âmes de bonne volonté, qui sont attirées de Dieu dans ces voies, et ne savent souvent comment elles s’y doivent comporter, parce qu’elles ne discernent pas clairement l’artifice de l’ennemi, qui se couvre de leur esprit propre et leur fait bien des doutes et scrupules à l’égard du chemin dans lequel l’Esprit de Dieu les conduit, pour le leur rendre suspect, sous belle apparence et spécieux prétexte, dans leurs raisonnements ; son but n’étant que de les entraîner dans l’incrédulité et la méfiance, pour leur faire quitter l’unique chemin qui les conduit à l’union Divine, où elles trouvent le vrai et permanent repos dont il est ici traité.

 

 

 

 

CHAP. IV.

 

 

v. 1. Craignons donc que, négligeant la promesse qui nous est faite d’entrer dans ce repos de Dieu, il n’y ait quelqu’un d’entre vous qui en soit exclus.

 

IL ne faut point traiter avec négligence et légèreté l’appel de Dieu qu’il nous a fait entendre et comprendre intérieurement qu’il nous veut honorer de la grâce de nous conduire à son union Divine où est le repos de Dieu, car c’est le plus grand honneur et la plus grande grâce qui nous puisse être faite ; nous sommes dans l’agitation et inquiétude aussi longtemps que nous sommes en nous-mêmes ; en nous séparant de Dieu, nous avons perdu ce repos, qui seulement est en lui ; c’est son repos dont il nous veut honorer ; nous sommes participants et jouissons du repos qu’il possède en lui-même, dès aussitôt que nous sommes retournés en lui en nous étant quittés nous-mêmes ; c’est donc cette réunion de notre âme en lui qui est la Canaan Céleste, le repos ici marqué, repos de Dieu dès cette vie ; la promesse et l’arrhe qu’il nous donne de cet appel, lorsqu’il nous attire à lui, ne doit pas être négligée de nous ; et si nous restons dans la vigilance, nous sentirons que la vertu de cet appel fera que notre âme ne trouvera point de repos jusqu’à ce qu’elle soit retournée dans son origine par cette union ; rien ne la pourra contenter, non pas même les choses les plus saintes ; son attrait est vers Dieu ; elle ne peut non plus reposer qu’elle n’y soit arrivée ; non plus que les Israélites ne devaient point se reposer dans le désert, mais marcher toujours vers la Canaan promise, où ils seraient arrivés en peu de temps si leur incrédulité ne les avait arrêtés quarante ans dans ce désert, qu’ils auraient pu passer en peu de mois s’ils s’étaient confiés en Dieu et lui eussent laissé le soin de les conduire et de les nourrir selon sa volonté, et ne se fussent mis en peine que de marcher et de reposer à ses ordres sans prendre soin d’autres choses.

 

v. 2. Car c’est à eux aussi bien qu’à nous que cette heureuse nouvelle a été annoncée ; mais la parole qu’ils ouïrent ne leur servit de rien, n’étant pas jointe avec la foi en ceux qui l’avaient entendue.

 

Il faut accepter et consentir aux promesses que Dieu nous fait qu’il veut nous faire parvenir à son repos, qu’il veut nous conduire à son union Divine, quand même nous nous en trouvons fort éloignés ; car c’est à nous que cette heureuse promesse, cette heureuse nouvelle est annoncée. Oui, bien, est-ce une heureuse nouvelle telle que fut celle que les Anges annoncèrent aux bergers ! C’est donc à nous de l’accepter et de dire avec la sainte Vierge : Qu’il me soit fait selon sa parole. C’est toujours un saint Ange qui nous annonce cette bonne nouvelle, c’est un Envoyé ou Messager de Dieu, ces paroles qu’il nous annonce sont accompagnées de la vertu et de l’efficace du Saint Esprit en nous, elles portent une conviction dans notre intérieur qui fait que nous acceptons ces paroles si nous ne donnons point entrée aux réflexions qui contredisent la conviction intérieure que nous recevons par l’onction de la grâce, en regardant les difficultés insurmontables qui sont devant nos yeux de pouvoir parvenir à cette grâce, à cause de la puissance des ennemis qui sont à surmonter pour cela et de notre état impropre à y pouvoir parvenir, lequel regard et réflexions causent l’incrédulité, qui empêche l’accomplissement des promesses de Dieu ; car il faut les croire simplement si nous voulons qu’elles aient leur effet, sans regarder l’impossibilité de l’accomplissement de ses promesses selon notre manière de voir et de comprendre, ou comme l’on dit communément que les choses sont impossibles, à parler humainement ; Dieu prend plaisir à agir toujours d’une manière contraire à la compréhension humaine ; ce ne serait pas foi s’il en était autrement. Voilà pourquoi rien n’est si nécessaire que de mourir à son propre esprit, à ses vues et Idées propres, si l’on veut expérimenter les effets des promesses de Dieu et avoir le bonheur d’en éprouver l’accomplissement ; croyons-le donc humblement et ceux dont il lui plaît de se servir pour nous certifier la vérité de ses promesses.

 

v. 3. Pour nous qui avons cru, nous entrerons en ce repos dont il parle quand il dit : J’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ; ce qui, ayant été dit longtemps depuis que Dieu eut achevé ses ouvrages dans la création du monde.

v. 4. Ne se peut entendre du repos dont l’Écriture dit en quelque lieu, parlant du septième jour : Dieu se reposa le septième jour.

v. 9. Ainsi il reste encore un sabbat et un repos pour le peuple de Dieu.

v. 10. Car celui qui est entré dans le repos de Dieu se repose aussi lui-même en cessant de travailler, comme Dieu s’est reposé après son ouvrage.

 

Si nous restons dans notre abandon à la conduite de Dieu, ayant accepté les promesses de parvenir à son union Divine, nous entrerons dans ce repos qui assurément n’est pas un repos de nonchalance ou d’oisiveté ; de même que Dieu n’est pas oisif dans son repos depuis qu’il a cessé de créer le monde ; sans comparaison n’est une âme non plus oisive laquelle Dieu a favorisée de la grâce de l’avoir ramenée à son union ; bien au contraire, c’est alors qu’elle est occupée à travailler d’une manière qui honore Dieu comme il faut. Car elle repose à la vérité de ses œuvres propres, mais c’est afin que l’Esprit de Dieu qui l’anime puisse sans empêchement la mouvoir, la pousser et l’incliner sans résistance à tout ce qu’il lui plaît.

Cet Esprit de grâce qui a pris le domaine en elle ne la laisse point oisive, mais cette occupation et ce travail qu’il opère en elle ne la tire point du repos où elle est en Dieu ; bien au contraire, il augmente ce repos ; car c’est en se laissant mouvoir et en souffrant les opérations de cet Esprit de Dieu qui l’anime que son repos est augmenté ; c’est l’état qui lui est devenu tout naturel, il est sans effort ni contrainte ; cet esprit est l’âme de l’âme et la vie de la vie d’une telle âme, et si elle voulait résister aux motions et opérations de ce Divin hôte qui la possède en parfait repos, elle perdrait et sortirait de cet heureux repos ; mais c’est ce qu’elle ne peut vouloir, car elle se trouve trop bien dans ce lieu de paix.

Il est donc certain qu’il y a un Sabbat, un temps de repos pour le peuple de Dieu, pour le peuple qui est devenu son peuple, sur lequel il est Roi, qui se laisse dominer et gouverner par son Esprit ; car de telles âmes sont à lui et sont son peuple et nulle autre, quand même des peuples entiers usurpent et s’attribuent ce nom d’être le peuple de Dieu, c’est à faux, car nul peuple n’est à lui que les âmes qui se laissent dominer et conduire par son Esprit, lui étant obéissant entièrement ; c’est là la marque certaine qu’on est de son peuple.

Ceux qui en sont savent bien quel est ce repos dont il est parlé ici, car ils le possèdent ; c’est en vérité et réalité qu’ils en jouissent, et non des noms de paix et de repos de rédemption, qui n’ont de réalité que dans l’imagination, laissant ceux qui s’en vantent dans l’inquiétude et le trouble, le mécontentement, esclaves du Démon et de leurs passions corrompues, de leur propriété, où il n’y a point de paix ; ou bien dans l’inquiétude, dans la multiplicité de leurs voies, savoir les âmes de bonne volonté qui vont d’une pratique à l’autre, qui embrassent tantôt une manière de servir Dieu à leur bon sembler, tantôt une autre, sans trouver le vrai repos, lequel est déjà goûté et possédé en partie par ceux qui sont assez dociles pour se laisser conduire à l’attrait que l’Esprit Saint met en eux, et le laissent opérer sans résistance selon son bon plaisir pour les préparer à entrer au repos permanent où il les veut conduire. Ceux-là reposent déjà de leurs œuvres propres, car ils ne servent point Dieu à leur bon sembler dans la multiplicité de leurs voies, mais ils renoncent sans cesse à ce bon sembler et aux inventions de service de Dieu, inventées par l’esprit humain ; ils captivent sans cesse leur propre esprit pour se soumettre à Dieu et à sa conduite, pour souffrir ses opérations intérieures passivement et sans y apporter de résistance ; et ainsi dans ce travail de l’Esprit de Dieu en eux, ils se reposent déjà et jouissent de l’avant-goût du repos Éternel qui leur est préparé, malgré les peines qu’il faut que ces âmes supportent dans l’opération qui se fait en elles pour les purifier, afin de les rendre capables de jouir du repos ici marqué.

 

v. 12. Car la parole de Dieu (le Verbe de Dieu) est vivante et efficace, et elle perce plus qu’une Épée à deux tranchants ; elle entre et pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, jusque dans les jointures et dans les moelles, et est juge, ou discerne les pensées et les mouvements du cœur.

 

Il est ici marqué bien clairement ce qu’opère le Verbe ou la Parole faite chair, en notre âme ; c’est une Épée à deux tranchants ; l’occupation de ce verbe en nous est de séparer l’âme de l’esprit, ou, comme il a été dit ailleurs, la partie supérieure de l’âme d’avec l’inférieure, afin d’opérer par cette division ou séparation la purification de l’âme. Nul ne peut comprendre ces paroles selon le vrai sens que ceux qui ont le bonheur d’expérimenter ce que cette Parole de Dieu, qui est le Verbe Christ en nous, opère dans leur intérieur ; l’expérience qu’ils en font leur manifeste le sens de ces paroles qui sont très profondes, montrent comment la Parole de Dieu en nous sépare la volonté supérieure de la volonté animale ou inférieure de l’âme ; cette volonté supérieure s’unit à l’esprit qui est recréé en nous par le Verbe, et abandonne la partie basse et la volonté animale de l’âme, laquelle sent bien qu’elle est partagée et séparée d’elle-même ; c’est ce que l’âme éprouve dans l’état de la foi et nuit obscure où elle est mise pour être purifiée foncièrement, état dont on a écrit amplement ailleurs, et que l’on ne répète ici que pour montrer comment tous les Apôtres ont été véritablement des âmes mystiques, ou des Chrétiens intérieurs ; ils ont parlé et écrit de ces états ; si l’on était intérieur, l’on les entendrait, et l’on verrait, étant éclairé de l’Esprit de Dieu qui a dicté l’Écriture sainte, que la Théologie mystique n’est autre chose que la description des états de l’âme Chrétienne, par lesquels l’esprit de Dieu ou le Verbe qui a pris possession d’elle la conduit, ce qu’il opère dans cette âme pour la purifier et la rendre propre à être introduite dans l’union Divine, l’on verrait que ce n’est autre chose que le chemin par lequel il faut marcher pour parvenir réellement et véritablement au salut que notre Seigneur Jésus Christ nous a mérité et acquis par son Sang, et qu’il n’y a rien de particulier ni d’extraordinaire dans ces états que ce que chaque âme expérimentera infailliblement, laquelle a en elle l’esprit de Christ et ainsi lui appartient.

Et la cause que cette Théologie mystique est si étrangère parmi ceux qui se nomment Chrétiens, c’est qu’ils n’ont point l’Esprit de Christ, le Verbe marqué ici, en eux, et par conséquent ne sont point à lui ; car, dit saint Paul : Si quelqu’un n’a point l’Esprit de Christ, celui-là n’est point à lui, et n’est par conséquent pas Chrétien, ou bien ne l’est que de nom.

Ce verset exprime donc d’une manière admirable les opérations du Verbe dans l’âme, les séparations et divisions qu’il y fait pour la purifier et la rendre toute spirituelle et divine, comme elle a été dans sa création et état d’innocence, où l’âme était sujette à l’esprit, et la volonté animale était soumise à la volonté supérieure, qui est celle où est le franc arbitre ; laquelle, s’étant unie à l’inférieure ou animale et sensuelle, est devenue aussi terrestre et sensuelle, comme nous sommes tous naturellement depuis la chute d’Adam. Il faut donc, pour avoir part à la régénération, que cette noble partie qui nous est restée dans la chute, savoir la volonté supérieure de notre âme, soit séparée de l’inférieure et animale, afin qu’elle soit réunie à l’esprit, ce qui est l’ordre Divin dans lequel Adam a été créé ; et c’est cette séparation qui est opérée par le Verbe en nous, si nous lui laissons faire sans résistance cette opération ; alors notre rébellion, notre manque de foi cesseront, car, lui remettant notre franc arbitre et lui l’ayant accepté et s’en étant rendu le maître et le possesseur absolu, nous sortons du danger d’en faire un mauvais usage, comme nous l’avons si souvent fait à notre dommage.

Cette Parole de Dieu est donc vivante et efficace en nous ; elle fait bien sentir ses effets ; ce n’est point une parole morte, où le Verbe Éternel, s’étant précipité et étant descendu dans notre âme, n’y est assurément point comme mort et sans agir ; mais il y est vivant et opérant, occupé à y reformer la nouvelle créature, à purifier notre âme, et à mortifier et crucifier le vieil homme, jusqu’à ce qu’il lui ait entièrement ôté la vie ou l’ait anéanti ; c’est ce que les mystiques nomment anéantissement de l’âme, anéantissement qui est non physique, mais mystique ; cela veut dire que l’âme perd toute propriété ou être propre, toute la vie du vieil homme produite par le détour de Dieu et la sortie de sa dépendance pour être à soi-même, vivre pour soi-même ; il faut redevenir l’héritage et le propre bien de Dieu qui nous a créés, il faut vivre pour lui et par lui.

Qu’y a-t-il de plus juste, de plus raisonnable et de plus naturel ? C’est ce que le Verbe opère en nous ; mais c’est une Épée à deux tranchants ; assurément l’âme qui en est pénétrée sent bien la douleur que cause cette opération du Verbe, qui pénètre l’âme jusqu’aux jointures et moelles ; car la pauvre âme s’est jointe et unie par la propriété à la créature et surtout à elle-même ; elle est toute pénétrée, empoisonnée et gâtée comme d’une gangrène de ce venin de la propriété jusque dans la moelle de ses os, et ainsi il faut que l’opération du Verbe la pénètre comme une épée à deux tranchants jusque-là pour la séparer de cette propriété et chasser, faire évacuer ce venin.

Cette parole juge les pensées et les mouvements du cœur, elle découvre à l’âme toutes ses intentions les plus secrètes et les condamne. La pauvre âme est toute étonnée de sentir découvrir mille et mille plis et replis d’intentions impures et propriétaires dont elle est remplie, qu’elle ignorait jusqu’alors, et que cette Parole lui fait voir être en toutes choses et par tout ce qu’elle fait et entreprend ; heureuse découverte pour l’âme qui doit la réjouir au lieu de l’attrister comme il arrive d’ordinaire, puisque cette découverte de ces impuretés foncières est une marque certaine que la Lumière Éternelle dont parle saint Jean est venue luire dans les ténèbres de l’âme pour la sauver, purifier et sanctifier en la nettoyant, et non pour la perdre, ce qui serait arrivé si elle était restée dans les ténèbres de son aveuglement et inconnue à elle-même.

Les pensées du cœur sont celles auxquelles nous donnons notre consentement en unissant notre volonté aux pensées qui nous sont suggérées dans notre imagination. Les pensées viennent de plusieurs principes, elles viennent des mauvaises affections de notre cœur mauvais, auxquelles affections nous sommes attachés volontairement et y prenons plaisir, tâchons autant que nous pouvons de les contenter, ou de les mettre en effet, et les pensées de cette sorte sont très mauvaises ; ce sont elles qui nous induisent au péché et qui nous entretiennent dans le péché. Il y en a d’autres qui nous sont suggérées par nos anciennes habitudes, qui nous représentent les choses que nous avons aimées d’une manière criminelle avant de nous être convertis à Dieu, et qui nous tourmentent parce qu’ayant retiré notre cœur, notre volonté et nos affections de ces choses, nous voudrions bien les oublier.

Ces pensées-là ne sont point criminelles, puisque notre volonté n’y a point de part, et les distractions et peines qu’elles nous causent, par le souvenir des choses passées, par lesquelles nous avons offensé Dieu, marquent bien qu’elles nous sont à charge ; Dieu permet que ces pensées nous reviennent souvent, ces représentations importunes, pour nous humilier ; c’est une peine et une croix qu’il faut souvent porter longtemps pour notre mortification, c’est un châtiment pour nos fautes passées ; mais c’est un remède dans la main de Dieu pour nous humilier ; nous devons porter et souffrir ces représentations et souvenirs importuns avec humilité, reconnaissant qu’il est juste que nous soyons tourmentés par les mêmes choses qui ont par le passé fait les objets de nos plaisirs et de nos contentements, et si nous ne pouvons nous détourner de ces Images importunes en nous tournant vers Dieu ou nous occupant de quelque bonne chose, si malgré cela nous en sommes poursuivis et tourmentés, nous ne devons pas nous en inquiéter, mais tâcher de les souffrir avec paix.

Si nous ne voulons nous occuper que de la présence de Dieu, faisant notre grande et unique affaire de conserver cette sainte présence continuellement, par une attention du cœur vers lui et une volonté déterminée de n’aimer que lui, ces distractions ne nous nuiront pas, non plus que mille pensées vagues qui se présentent en foule dans notre imagination et nous distraient lorsque nous voudrions n’être occupés que de Dieu ; il faut les mépriser et les souffrir avec paix, tâchant de conserver la présence de Dieu de cœur et de volonté ; car c’est cette disposition et la volonté qui fait l’Oraison, et qui n’est interrompue que lorsque la même volonté ou les affections se tournent vers un autre objet que Dieu, quand ce ne serait que passagèrement ; alors, si nous veillons sur notre intérieur, nous sentirons bien que cet objet, cette créature, cette affaire, ce travail dans lequel nous sommes entrés et nous en sommes occupés avec complaisance nous a distrait, a attiré nos pensées à lui ; et c’est alors qu’il faut s’en détourner par un retour vers Dieu, sans quoi ces pensées qui sont produites par l’affection déréglée de notre cœur nous sont nuisibles, en nous éloignant de Dieu.

Ceci nous arrive souvent et journellement, malgré la détermination générale et sincère que nous avons prise de n’aimer que Dieu, de lui être sacrifiés sans réserve, avec tout ce qui nous appartient et concerne, et c’est sur cela que doit s’étendre notre vigilance et notre attention intérieure sur Dieu, dans le détail des occupations de notre vie, dans le commerce des créatures, où chacun est engagé selon son état et condition.

Il est permis et nécessaire de penser aux choses et aux affaires qui dépendent de nos soins dans notre état ; mais il faut le faire en la présence de Dieu et veiller sur son cœur pour ne pas y laisser entrer ces choses qui, d’innocentes parce qu’elles sont de notre vocation, deviennent criminelles dès que nous en laissons posséder notre cœur, que nous le détournons par là de Dieu qui doit le posséder tout seul, et c’est ce détour et occupation des créatures qui nous cause mille distractions.

Il y a aussi une infinité de pensées qui nous sont suscitées par des esprits étrangers, puisqu’ils ont entrée en notre imagination et ont le pouvoir, autant que Dieu le leur permet, d’y former des représentations ou Images, d’y susciter des pensées bonnes et mauvaises, sans que nous y ayons d’autre part que par le consentement que nous y donnons, les acceptant ou écoutant avec complaisance ; ceci est une source d’une infinité de tentations qui nous arrivent, et il n’y a point d’autre remède plus salutaire pour n’être pas en proie à ces esprits étrangers, à n’être pas entraînés par les tentations qu’ils nous présentent, que de se tenir attaché à Dieu, en faisant peu de cas de ce qui se passe dans l’imagination, se mettant peu en peine d’examiner ou de s’arrêter à tous ces fantômes qui s’y présentent ; mais s’attachant à ce qui donne la paix au cœur, une confiance enfantine envers Dieu, demeurant attachés à lui en foi, sans s’amuser à combattre ces fantômes. S’il plaît à Dieu de nous enseigner d’une manière distincte par des bonnes pensées qu’il nous suggère, celles-là apportent un caractère tout particulier de paix et d’onction qui se légitime à notre cœur et porte avec soi une conviction exempte de doute et de crainte inquiète que ce qui nous a été excité ou représenté dans notre partie sensitive est de Dieu ; elles produisent aussi leur effet selon la volonté de Dieu et se caractérisent elles-mêmes.

 

v. 13. Nulle créature ne lui est cachée, tout est nu et à découvert devant les yeux de celui de qui ou à qui nous parlons.

 

Quelle joie, quelle consolation pour une âme droite et simple, et de laquelle le désir tend sans cesse d’être exposée aux yeux de Dieu continuellement, qui souhaite que tous les plis et replis de son cœur lui soient manifestés, qui ne lui veut rien cacher, non plus que se cacher à elle-même, rien de tout ce qui se passe dans le plus profond de son cœur ; mais qui ne désire rien davantage sinon que Dieu veuille la sonder, l’éprouver, l’examiner, comme David l’en priait ; qui hait l’hypocrisie, la dissimulation, le déguisement, aime au contraire la droiture, la franchise, la simplicité ; quelle joie, dis-je, pour une telle âme que Dieu a mise dans ces dispositions, de savoir ce qui est dit ici, que nulle créature ne lui est cachée, que tout est nu et à découvert devant ses yeux, qu’il sait et connaît toutes choses, et qu’ainsi quelque portés que nous soyons à nous tromper nous-mêmes, à nous en faire à croire, à nous déguiser et excuser nos fautes, nos vices, à quoi l’amour-propre est fort adroit, nous sommes garantis de ces séductions en nous exposant volontairement devant Dieu, sachant qu’il connaît et voit toutes choses, et que notre amour-propre ne le trompera pas, puisque toutes les intentions du cœur trompeur sont à découvert devant sa sainte présence. Mais, au contraire, tremblez, ô hommes qui aimez à vous cacher à vous-mêmes aussi bien qu’à Dieu ; ne croyez pas pouvoir lui en faire à croire par votre déguisement et hypocrisie, c’est inutilement ! Et quoique vous vouliez vous persuader qu’il est un Dieu de loin et non un Dieu de près, cependant cette même présence, qui fait le Paradis, la félicité des âmes enfantines et qui qui ne veulent pas avoir d’autre ressource que d’aller à Dieu, elle sera pour vous une source d’effroi, de crainte et de confusion, tandis qu’elle est la source de paix et de joie, oui, une forteresse invincible et une retraite sûre, où les âmes enfantines sont à l’abri et en sûreté contre elles-mêmes, aussi bien que contre tous les autres ennemis ; nous n’avons qu’à déclarer à ce Dieu de bonté toutes nos peines en lui parlant familièrement, comme un ami parle avec son intime ami, lui découvrant les maux que nous sentons et tout ce qui nous tient au cœur, tout comme s’il ne le savait pas lui-même ; et nous éprouverons que cette manière familière et enfantine pleine de confiance envers notre bon Dieu comme envers un tendre Père nous sera une source de paix et nous procurera le remède à nos maux, qu’il guérira et consolera notre cœur.

 

v. 15. Car le Pontife que nous avons n’est pas tel qu’il ne puisse compatir à nos faiblesses, mais il a été tenté comme nous en toutes choses excepté le péché, (ou bien) il a éprouvé comme nous toutes sortes de tentations, hormis le péché.

 

Cc passage fait voir comment la charité de notre très adorable Sauveur a été si grande pour les hommes qu’il a pris sur soi leurs langueurs et a chargé leurs maladies ; il n’y a aucune tentation qui puisse arriver à une âme qu’il n’ait soufferte et expérimenté l’aiguillon de cette tentation au plus haut degré ; cela est en vérité bien consolant et doit relever le courage abattu de toutes les âmes qui se trouvent affligées de tentations de quelque espèce qu’elles soient, pouvant s’assurer que notre Seigneur Jésus Christ a éprouvé et souffert le sentiment des mêmes tentations ; il les a expérimentées, elles l’ont peiné dans son corps et dans la partie basse de son âme, il en a senti l’aiguillon le plus vif, et c’est ce qui doit nous donner une liberté, une hardiesse d’aller à lui sans crainte ni honte ; dans quelque état d’humiliation que nous nous trouvions, nous devons nous exposer à ses yeux avec nos maladies les plus honteuses et les plus dégoûtantes, qui nous font horreur à nous-mêmes ; ce Médecin charitable ne nous repoussera ni ne nous rebutera point, car il dit : Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés et je vous soulagerai. Il a porté nos langueurs, il a été tenté en toutes choses excepté le péché ; ce qui fait le péché est le consentement et l’agrément de notre volonté en ce qui se fait sentir de criminel dans notre chair ou dans la partie basse de notre âme, savoir dans nos sens internes, dans notre imagination, mémoire et entendement ; tant que notre volonté supérieure n’accepte point ou ne s’unit point avec complaisance à ces sentiments criminels, que nous souffrons se faire sentir malgré nous dans ces parties de notre corps ou de notre âme, aussi longtemps nous ne péchons point ; ce qui est très certain et doit servir de consolation pour les âmes sincères et qui ont en haine le péché, ne désirant que de vivre saintement selon Dieu, et qui par sa permission pour la purification de leurs âmes sont mises dans des épreuves intérieures, où elles sentent toutes sortes de passions déréglées se révolter et se faire sentir vivement en elles ; et cela leur arrivant souvent, après avoir cru pendant longtemps que ces passions étaient déracinées, n’en ayant plus été tourmentées depuis qu’elles les ont combattues avec zèle et vigueur et les ont surmontées avec l’assistance de la grâce ; le sentiment qu’elles en éprouvent de nouveau leur en est d’autant plus insupportable, ayant vécu dans l’innocence et dans un commerce saint et doux, d’une manière sensible, avec Dieu. Mais elles doivent se consoler de leur désastre et savoir que notre très adorable Sauveur a voulu être tenté et sentir en soi les mêmes dérèglements, mais sans pécher.

Ainsi elles n’ont qu’à conserver la volonté supérieure unie à Dieu, n’admettant que lui, se tenant collées à lui quant à la volonté, et elles ne pécheront pas non plus ; ces peines seront des moyens salutaires pour la Sanctification de leurs âmes, si elles les portent avec résignation et abandon à ce que Dieu permet en cela, sans s’en vouloir affranchir par leurs propres efforts, ce qui serait également inutile et ne ferait qu’augmenter leurs peines.

Notre très adorable Sauveur a bien voulu porter le sentiment de ces tentations pour nous, il les a chargées sur soi afin de nous en rendre le fardeau léger, il a porté en notre place ou pour nous les états pénibles par lesquels il faut nécessairement que nous passions si nous voulons être véritablement délivrés de l’esclavage du péché, c’est-à-dire nettoyés foncièrement du venin du péché qui a pénétré toute notre âme, venin qui faut qui soit chassé au dehors pour que notre âme en soit purifiée ; les peines que ceci nous cause, les maux et les tentations que nous avons à souffrir pour cela, c’est ce dont il a plu à notre très adorable Sauveur de se charger pour nous en ayant pris sur soi et souffert ce qu’il y a de plus pénible. C’est lui aussi qui nous conduit dans ces états, qui nous y soutient, et qui fait, par ses mérites et sa force Divine, qu’ils opèrent l’effet salutaire de la purification foncière de nos âmes ; c’est à lui que nous devons tout l’ouvrage de notre salut, c’est par lui que cet ouvrage se fait ; c’est lui qui est notre Sauveur et Rédempteur.

 

v. 16. Allons donc nous présenter avec confiance au Trône de sa grâce, afin d’y recevoir miséricorde et d’y trouver grâce pour être secourus dans nos besoins.

 

Puisque nous avons un souverain Sacrificateur qui a été tenté en toutes choses comme nous, n’ayons point honte et ne soyons point timides pour n’oser nous approcher de lui ; ce serait une fausse honte et timidité, quoiqu’elle fût couverte du prétexte d’humilité ; ce serait l’ennemi qui voudrait vous empêcher d’aller avec assurance au trône de grâce, parce qu’il sait bien que c’est seulement en nous approchant de Dieu que nous trouvons le remède pour guérir nos maux ; il sait bien, cet ennemi rusé, que si nous nous tenons toujours auprès de Dieu, dans quelque état de misère et de saleté que nous nous sentions être, nous en serons sûrement nettoyés et guéris de nos maux, ce qui ne fera pas par quelque autre moyen que ce soit.

Ô oui certainement ! de se tenir auprès de Dieu continuellement, de rester en sa présence sans vouloir se cacher, de se présenter à ses yeux dans quelque état de misère et quelque abominable que l’on se sente être, cette pratique nous apportera toute sorte de bien et nous délivrera de tout mal ; nous le devons faire avec une confiance enfantine, pleine et entière, puisque notre Sauveur c’est lui-même mis au rang des pécheurs, s’étant fait semblable à nous, afin de nous donner un libre accès sans crainte vers lui qui a voulu lui-même sentir et éprouver toutes les misères et tentations qui nous peinent, desquelles ainsi nous ne devons point avoir une telle honte qui nous effarouche et nous empêche d’approcher de son Trône ; au contraire, nous devons faire comme la femme malade qui, par une sainte hardiesse, passe au travers de la foule pour toucher le bord de son vêtement ; ainsi nous devons nous comporter intérieurement ; nous devons passer au travers de tous les obstacles et empêchements, franchir toutes les difficultés que l’ennemi nous suggère en nous fournissant mille raisons pour nous empêcher par des pensées diverses et des réflexions plausibles qui se présentent en foule pour nous interdire l’accès auprès du Sauveur notre bon et charitable Médecin ; il faut franchir la presse, passer hardiment et avec courage au travers de toutes ces difficultés, et se tenir attaché à son sauveur ; ces difficultés s’évanouiront comme de la fumée au vent si nous les méprisons ainsi.

Usons donc de cet accès qui nous est donné d’oser nous tenir attachés à notre Sauveur ; c’est un trésor inestimable ; pratiquons l’exercice de conserver cette divine présence en tout temps et à toute occasion dans quelque état que nous soyons, et nous apprendrons par la continuation de ce commerce familier et confident à le connaître ; son amour s’emparera de notre cœur, et enfin cet exercice nous sera la source de tout bien, et nous y trouverons le secours nécessaire dans tous nos besoins, nous y trouverons la grâce, la paix, la miséricorde et la réconciliation que l’esprit de Jésus Christ fera sentir à nos cœurs, desquels il s’emparera peu à peu, oui, même en très peu de temps, si nous sommes assidus à conserver ainsi sa Divine présence en tout temps.

 

 

 

 

CHAP. V.

 

 

v. 1. Car tout Pontife étant pris d’entre les hommes est établi pour les hommes, en ce qui regarde le culte de dieu, afin qu’il offre des dons et des sacrifices pour les péchés.

v. 2. Et qu’il puisse être touché d’une juste compassion pour ceux qui pèchent par ignorance et par erreur, comme étant lui-même environné de faibles.

 

NOUS avons déjà dit que le service Lévitique était la figure du Service Divin qui s’exerce intérieurement par l’opération du Saint Esprit dans l’âme qui se donne à Dieu. Le Pontife ici marqué est donc premièrement Ia figure de notre grand Sacrificateur Jésus Christ, qui, quoiqu’il fût sans péché ni faiblesse pour lui-même, a chargé nos langueurs et nos faiblesses qu’il a expérimentées ; rien ne peut nous donner une connaissance plus claire et certaine de ce que Jésus Christ a fait pour nous que la petite expérience qu’il en fait faire à une âme qu’il fait aussi être un Sacrificateur à sa suite et à son imitation, après l’avoir préparée lui-même et mise en état de recevoir cet office ; cette âme expérimente, sans qu’elle y ait d’autre part de son côté que de se laisser passivement aux opérations de l’esprit de Dieu en elle, comment notre Seigneur qui l’a prise pour son Épouse lui charge sur elle et lui fait porter et sentir très réellement les faiblesses, les misères, les fautes d’ignorance et d’inadvertance des âmes dont il l’a chargée ; elle est comme associée aux états par lesquels ces âmes passent, lesquelles sont dans l’opération de l’Esprit Divin ; elles portent leurs états comme si c’était leur état propre, quoique notre Seigneur les y ait fait passer il y a bien longtemps ; elles portent leurs tentations de même, et elles en sont chargées de Dieu pour le bien de ces âmes, qui par cet aide et ce secours reçoivent une grande facilité à surmonter les tentations qui leur arrivent, et les difficultés qu’elles rencontrent dans le chemin de leur retour à Dieu sont par cette aide allégées plus qu’on ne peut le comprendre.

Cette âme apostolique fait donc l’office du grand Sacrificateur qui opère ces choses uniquement par son Esprit en elle ; l’âme qu’elle porte est relevée facilement de ses fautes par ce moyen, rentre dans son abandon à Dieu par le Sacrifice total d’elle-même qu’elle a fait et où elle est entretenue et aidée à le renouveler et à y rentrer, par l’aide de ce Sacrificateur, toutes les fois qu’elle tombe et se reprend tant soit peu elle-même, pourvu qu’elle reste seulement dans son abandon quant à la volonté et dans la docilité requise pour recevoir avec humilité, comme de Dieu, l’aide qu’elle sent bien lui être faite.

Tout ceci, et encore plus qu’on ne saurait décrire, s’opère sans l’activité ou la coopération de la créature, qui ne peut en aucune manière prendre sur soi de telles charges envers qui il lui plaît ; cela est impossible et n’aurait point de réalité ; mais il est opéré uniquement par l’Esprit de Jésus Christ dans l’âme, qui ne fait autre chose de son côté que de souffrir et de porter passivement mais volontairement les états des âmes dont l’Esprit de Jésus Christ la charge ; ce qui ne lui cause pas de petites souffrances et lui fait expérimenter elle-même, quoique sans comparaison et seulement selon la petite portion qui lui est donnée à porter, ce que notre très adorable Sauveur a fait, souffert et porté pour opérer le salut des hommes qui veulent bien le recevoir en se soumettant sous le joug de sa croix.

Cet Esprit saint opère dans ces âmes les prières et les supplications selon le besoin des âmes dont elles portent les états, et ces prières sont toujours exaucées ; car ce n’est pas elles qui prient, mais c’est l’Esprit de Jésus Christ qui prie en elles, et il est toujours exaucé ; car notre Seigneur dit : Père, je sais que tu m’exauces toujours.

Ô merveilleuse économie de la grâce de notre bon Dieu ! qui est-ce qui peut comprendre les merveilleuses opérations de la grâce de ton Esprit ? Personne ne le peut que ceux auxquels il te plaît de le leur faire expérimenter ; personne n’y peut être propre que les cœurs enfantins, simples et qui se laissent dépouiller de leur propre sagesse et présomption pour se quitter eux-mêmes en se laissant à la discrétion des opérations de l’Esprit du Seigneur, qui seul opère toutes ces merveilles de la grâce, dont on voit les effets avec admiration dans les âmes pour l’avancement spirituel desquelles ces choses s’opèrent. Loué soit le Seigneur ; car sa gratuité est grande envers les hommes ; heureux sont ceux qui la mettent à profit en s’humiliant pour recevoir sans réflexion ni choix, sans prendre conseil de la chair et du sang ni de la raison (qui ne comprend rien de ces choses), en simplicité de cœur, les grâces qui lui sont présentées.

 

v. 3. Et c’est ce qui l’oblige d’offrir le sacrifice de l’expiation des péchés aussi bien pour lui-même que pour le peuple.

 

Quel est ce Sacrifice pour l’expiation de péchés en réalité et non en figure ? C’est le renouvellement de la donation qu’on a fait de soi-même à Dieu, par lequel repentir et retour à Dieu on rentre dans sa dépendance dont on s’était retiré. Car le péché en son essence est ce détour de Dieu, auquel on tourne le dos en donnant un acte d’amour à la créature, ou en la prenant pour objet de sa passion, sur laquelle on jette son amour ou bien sa haine, sa colère ou sa bienveillance, d’où proviennent les actes extérieurs de péché ; ainsi en ramenant ou redonnant de nouveau tout son amour, toute son affection, en renouvelant la donation ou le Sacrifice entier de soi-même et de tout ce que l’on possède à Dieu, c’est là le vrai Sacrifice qui expie le péché, c’est la vraie pénitence et contrition qui lui est agréable et qui nous remet en sa grâce ; c’est par le Médiateur et grand Sacrificateur que cette grâce nous est communiquée, c’est lui qui l’opère par son Esprit en nous ; car nous sentons bien que par nous-même nous ne pouvons le faire.

 

v. 4. Or nul ne s’attribue à soi-même cet honneur ; mais il faut y être appelé de Dieu, comme Aaron.

v. 5. Ainsi Jésus Christ n’a point pris de lui-même la qualité d’être Pontife, mais il l’a reçue de celui qui lui a dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui.

 

Si notre Seigneur n’a point pris de lui-même la qualité d’être Sacrificateur, combien moins une autre créature pourrait-elle se mettre elle-même dans cet emploi ? C’est donc ce grand Sacrificateur qui seul y met l’âme qu’il lui plaît, et c’est à nous de nous laisser sans résistance à sa volonté, en disant avec la sainte et humble Marie : Qu’il me soit fait selon ta Parole (Luc 1, v. 38).

Jésus Christ, selon son humanité, a donc reçu de Dieu son Père la charge de souverain Sacrificateur et nous est un modèle, un exemple comment aucun homme ne peut et ne doit s’ingérer à choisir par lui-même une charge, puisqu’il ne nous appartient pas ; mais il nous convient de nous donner à Dieu en sacrifice premièrement nous-mêmes, en rentrant sous sa dépendance et nous abandonnant à lui en nous démettant de tout le droit que nous avons pris sur nous-mêmes par Ia propriété ; et étant ainsi redevenus l’héritage de Dieu, il nous emploie à quoi bon lui semble, il nous donne la charge qu’il lui plaît. C’est alors son Esprit qui nous donne les qualités qui nous sont nécessaires pour remplir la vocation qu’il nous a donnée selon sa volonté.

Ceci est surtout nécessaire à l’égard du Sacerdoce spirituel, qui n’a de réalité qu’envers ceux qui y sont introduits par la vocation Divine, comme il a été dit ci-dessus. Les autres qui n’ont pas une telle vocation n’en ont que l’écorce et l’apparence, et sont dénués de l’Esprit qui donne la réalité, la vie, et qui produit l’effet et le fruit des vrais sacrifices. Les hommes se repaissent à présent d’ombres et d’apparence, peu cherchent le réel et le solide, qui est l’esprit et la vie dans les choses ; c’est pourquoi le Christianisme réel est si fort inconnu, et les merveilles que Dieu opère par son Esprit dans les âmes qui se donnent à lui totalement en sacrifice sont devenues toutes étrangères ; c’est qu’il n’y a plus de foi parmi les hommes, cet Esprit de la foi qui fait que nous nous laissons à Dieu, à l’opération de son Esprit en nous, lequel est l’Esprit de la foi, est inconnu, et comme c’est par l’opération de cet esprit en nous qu’est formée la nouvelle créature en nous, et que le vieil homme est mis à mort, cela fait que cet ouvrage de la régénération est aussi si fort inconnu parmi les hommes qui en parlent beaucoup et étudient et raisonnent sans cesse sur la lettre de l’Écriture sainte ; c’est la raison pourquoi il y a si peu de Chrétiens, savoir de ceux qui se laissent vivifier et mouvoir par l’Esprit de Jésus Christ ; c’est ce qui fait que notre Seigneur dit : Pensez-vous que le Fils de l’homme trouvera de la foi en terre ? Non certainement, cet Esprit de la foi en est banni, il est inconnu et étranger parmi ceux qui crient sans cesse : Nous croyons, nous sommes les vrais croyants.

Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd’hui. C’est de celui-là, savoir de Dieu le Père, que notre Seigneur Jésus Christ a reçu l’office de Grand Pontife, savoir de celui qui l’a engendré ; de même aussi nulle âme ne reçoit l’office de Sacrificateur que celle qui est née de Dieu, qui est renée et régénérée, est ainsi fille de Dieu et Épouse de Jésus Christ ; c’est à une telle âme seulement que Dieu dit comme à son fils bien aimé : Je t’ai engendré aujourd’hui, à cette âme qui est née de Dieu.

 

v. 6. Selon qu’il lui dit aussi dans un autre Psaume : Vous êtes le Prêtre Éternel selon l’ordre de Melchisédech.

v. 7. Aussi, durant les jours de sa chair, ayant offert avec grand cris et avec larmes ses prières et ses supplications à celui qui le pouvait sauver de la mort, et ayant été exaucé selon son humble respect pour son Père, et délivré de sa crainte.

 

L’ordre de Prêtrise de Melchisédech est l’ordre de la Sacrificature Spirituelle, où l’on n’est point appelé par une vocation humaine, ou dans laquelle on n’est point établi selon le règlement des hommes, de même que Melchisédech était un Roi de paix et Sacrificateur du Dieu vivant, selon le témoignage même de l’Écriture Sainte, et n’était cependant point de la race d’Abraham, n’avait point de part au parentage charnel du peuple Juif, que Dieu lui-même s’était choisi pour être la figure extérieure du peuple qu’il a choisi selon l’esprit. C’est pourquoi ce Melchisédech n’a point de parenté charnelle qui lui donne quelque prérogative comme celle dont se vantaient les Juifs et les Lévites surtout, leur tribu étant choisie expressément de Dieu pour exercer la Sacrificature. Notre Seigneur montre qu’il n’a aucun égard à ce choix qui est selon la chair, et a voulu, pour le montrer, naître d’une autre tribu et être souverain Sacrificateur à la façon de Melchisédech, pour montrer aussi qu’il en use de même envers les âmes qu’il s’associe à sa Sacrifìcature, envers lesquelles il n’a point d’égard à l’apparence des hommes.

Il choisit les âmes qu’il lui plaît, de tout ordre, condition et nation, même des plus étrangères et qui sont les plus inconnues, comme Melchisédech en est un exemple qui nous est représenté, comme étant tellement étranger et inconnu selon la chair qu’il n’est pas fait mention de son origine ; il est représenté comme étant sans Père et sans Mère, etc.

Remarquons bien ceci, et recevons les vérités de Dieu et les opérations de son Esprit par l’efficace de la vérité qui se légitime elle-même à nos consciences ; prenons garde aux effets de la grâce que nous en recevons, sans nous laisser rebuter par les organes ou instruments faibles, méprisables, sans crédit ni autorité desquels il plaît à Dieu de se servir ! Tout bien lui appartient, toute vérité est de lui, c’est lui seul que nous devons regarder sans nous arrêter à la créature qui n’est qu’un pur néant ; à Dieu seul soit rendu la gloire et l’honneur, car elle lui appartient uniquement, et il n’a point d’égard à l’apparence des hommes.

C’est ce Jésus qui, pendant qu’il vivait dans une chair infirme, offrit des prières et des supplications accompagnées de grands cris et de larmes à celui qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé et délivré de sa crainte. Nous voyons aussi comment notre Seigneur a voulu sentir toutes les faiblesses de la nature humaine dans l’état de corruption où elle est ; il a craint la mort, elle l’a fait frémir ; et cette crainte l’a fait crier et prier avec larmes vers son Père ; il a été exaucé et délivré de la crainte de la mort, mais non pas de la mort même, qu’il a voulu souffrir.

Non seulement il a voulu sentir les terreurs de la mort et des souffrances temporelles, mais il a aussi voulu sentir les terreurs qu’une âme ressent lorsqu’il lui paraît qu’elle n’a à attendre que la mort éternelle, la damnation au sortir de cette vie ; et c’est cette peine qui nous est due à tous, qu’il a sentie vivement aussi dans son âme pour nous, et qui a causé une bonne partie de ses souffrances intérieures, qui l’ont fait crier avec larmes, et il en a été délivré ; c’est par ses mérites et les souffrances qu’il a pris sur soi à cet égard que nous en sommes aussi délivrés.

 

v. 8. Quoiqu’il fût le Fils de Dieu, il a appris l’obéissance par tout ce qu’il a souffert.

 

Il pourrait paraître étrange de dire cela de notre Seigneur Jésus Christ, qu’il eût eu besoin pour lui-même d’apprendre l’obéissance par tout ce qu’il a souffert. Non, certainement, il n’a pas eu besoin de cela pour lui-même, puisqu’il a toujours été dans une obéissance parfaite et une soumission et dépendance entière envers Dieu son Père ; jamais il ne fut désobéissant ; ainsi il n’a pas eu besoin d’apprendre à être obéissant par les souffrances ; mais comme il a voulu porter dans son humanité toutes les misères dont nous sommes accablés par nos péchés, il a aussi voulu sentir l’opposition à la soumission aux volontés de son Père dans la partie basse de son âme ; et ainsi porter et sentir vivement dans cette partie sensitive l’opposition que nous avons de nous soumettre à la volonté de Dieu ; il a voulu porter les états et représenter un homme qui s’est converti à Dieu, qui a renoncé au péché et à toute rébellion de sa volonté envers Dieu, que Dieu a reçu dans sa grâce, et qui ne consent plus au péché ; mais qui a encore en la partie basse de son âme l’habitude du péché, dont il sent malgré lui les aiguillons et les tentations ; la chair qui combat contre l’esprit, mais qui ne le surmonte pas et n’entraîne pas la volonté supérieure de l’âme dans les mauvais désirs de mal faire dont la volonté inférieure et animale est assaillie ; c’est ce que notre Seigneur a aussi voulu sentir et éprouver.

Et comme cette habitude du mal qui est dans la partie basse de notre âme, quoique notre volonté supérieure en soit séparée, ne peut en être bannie que par la purification du venin du péché qui a pénétré cette partie, et que cette purification ne peut se faire que par la souffrance, laquelle souffrance est causée par l’application du Sang de Jésus Christ qui est un feu qui s’attache à l’impureté de l’âme et la fait souffrir vivement, par laquelle opération l’âme est rendue nette, flexible, humble et obéissante, Jésus Christ a aussi voulu souffrir la même souffrance, s’étant laissé humilier, ayant souffert jusqu’à la mort cruelle et honteuse de la croix, et a voulu recevoir le même effet dans son âme que nous recevons par les souffrances qui nous sont départies ou dispensées par l’application de son sang ; car de ce qu’il a offert avec grand cris et larmes ses prières et supplications, cela marque l’angoisse de son âme, la souffrance où elle était lorsqu’il prie : Père, s’il est possible que cette coupe passe arrière de moi ; cela marque la résistance et la répugnance qu’il voulait sentir dans sa nature humaine et dans la partie basse de son âme à la souffrance, par laquelle souffrance il a voulu apprendre pour nous l’obéissance ; il nous en donne l’exemple et nous montre le chemin par où il faut que nous marchions pour retourner dans l’obéissance envers Dieu, et pour être délivrés de toute la résistance que nous avons en nous par l’habitude du péché contre la volonté de Dieu ; il nous montre que c’est par la souffrance que nous serons délivrés de cette rébellion et apprendrons à obéir sans résistance ; il a souffert si cruellement aussi pour nous, nous ayant déchargés du plus pesant fardeau et de la souffrance la plus cruelle qui nous aurait fait succomber sous son poids, s’il ne nous en avait déchargés, l’ayant prise sur soi ; c’est ainsi qu’il a porté nos péchés en son corps sur le bois (1. Pier. 2, v. 24). C’est de cette manière qu’il vient encore à notre aide dans les âmes qu’il associe à ses souffrances pour son corps qui est l’Église, qui sont les Élus qu’il se prépare, les purifiant du venin du péché ; car nous ne pouvons en être délivrés que par les souffrances ; ce sont elles qui produisent l’effet admirable de donner de nouveau à notre âme la qualité de souplesse et d’entière conformité aux vouloirs Divins, nous donnant ainsi une obéissance parfaite que Jésus Christ nous apprend par les souffrances qu’il nous impose et qu’opère la purification de notre âme par l’application de son Sang précieux qui nous nettoie de tout péché, oui, qui nous purifie foncièrement de ce venin qui a pénétré toute notre âme, nous ayant rendus roides, inflexibles, désobéissants ; il nous communique les vertus contraires à ces vices, qui se trouvent imprimées dans notre âme et être, ses inclinations, savoir la flexibilité, l’humilité et l’obéissance parfaite, qui sont les qualités de l’âme renouvelée, étant renée et nettoyée par le Sang de Jésus Christ.

Ce que nous avons donc à souffrir est peu de chose, et est très léger en comparaison de ce que notre Sauveur Jésus Christ a souffert pour nous ; mais nous n’en pouvons être exempts si nous voulons marcher à sa suite et recevoir l’efficace ou l’effet de ses souffrances, qu’elles nous soient appliquées ; car cette application de son Sang ne peut autrement que de causer de la souffrance à l’âme malade et pénétrée du venin du péché ; ce Sang précieux est une médecine qui s’attache à chasser et à consumer la cause de la maladie. Le malade ne peut que sentir les douleurs qu’elle cause, il n’en peut être dispensé s’il veut être guéri.

Notre Sauveur nous montre par les prières et supplications qu’il a offertes à Dieu son Père, faites selon l’humble respect avec lequel il le prie : Père ! non point ma volonté, mais ta volonté soit faite, comment nous devons nous comporter dans les mêmes cas, nous abandonnant entièrement au vouloir Divin, dans la souffrance que sa Providence nous envoie, de quelque nature qu’elle soit et quelque cuisante qu’elle se fasse sentir. Notre nature effrayée et timide, accablée par le vif sentiment de la souffrance, pourra bien crier et pleurer, dire : Père, s’il est possible, etc. ; mais le Dieu de bonté qui nous fait la grâce de nous soumettre à ses volontés nous fera celle de dire avec notre Sauveur : Ta volonté soit faite ; c’est ce que l’abandon entre les mains de Dieu produit ; cet abandon entier, humble et respectueux que l’esprit de notre Sauveur Jésus Christ nous communiquera, nous ayant acquis cette grâce de pouvoir recevoir les souffrances par l’obéissance humble et respectueuse qu’il a lui-même pratiquée au plus haut point dans les souffrances les plus extrêmes qu’il puisse y avoir. Adorons ce Sauveur charitable et nous offrons et abandonnons à lui, et il nous donnera la portion nécessaire de son Esprit humble et docile pour pouvoir porter dans ces dispositions la portion de souffrances qu’il nous a destinée, car il faut boire la coupe qu’il a bue et être baptisé du Baptême dont il a été baptisé si nous voulons avoir part à son Royaume de gloire.

 

v. 3. Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l’auteur du Salut Éternel pour tous ceux qui lui obéissent.

 

Nous voyons que c’est uniquement par lui que nous sommes sauvés, puisque c’est uniquement par l’opération de son Esprit saint que le salut nous est donné, cet Esprit Saint nous rendant capables de recevoir ce Salut en nous purifiant et nous changeant en de nouvelles créatures ; car sans cela, sans ce changement entier, sans cette renaissance, nous ne pouvons entrer au Royaume de Dieu (Jean 3). Le vieil homme avec sa nature corrompue n’y peut entrer, c’est l’homme du péché qui faut qui meure ; il n’a aucune part aux promesses de Dieu, et c’est faussement et en vain qu’il se les veut appliquer ; la mort entière, d’être exterminé à la façon de l’interdit, est sa portion ; c’est ce que l’Auteur de notre Salut Jésus Christ notre Seigneur opère en nous par la vertu de son Sang précieux.

 

v. 10. Dieu l’ayant déclaré Pontife selon l’ordre de Melchisédech.

 

C’est l’office que notre grand et souverain Sacrificateur opère en nous que d’égorger, de brûler, d’exterminer entièrement ce vieil homme jusque dans sa plus profonde racine, où est l’essence de sa vie, qui est la propriété, et il achèvera cette œuvre en tous ceux qui le désirent pour la gloire de son Saint et grand Nom, cette œuvre étant ce en quoi consiste l’ouvrage de notre Rédemption.

 

v. 11. Sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer à cause de votre lenteur et de votre peu d’application pour les entendre.

 

Ce qui retarde notre avancement dans les voies de Dieu et rend notre chemin long avant que de pouvoir parvenir à la réunion de notre âme à Dieu, c’est la lenteur et le peu d’application que nous apportons à écouter les admonitions intérieures que Dieu nous donne dans l’état actif, ou bien sous l’économie de la Loi Évangélique ; c’est cette lenteur à remplir avec assiduité et application cet état que l’Apôtre reproche aux Hébreux ; si l’on n’apporte pas toute diligence à remplir les devoirs auxquels nous sommes poussés dans cet état actif, et que nous n’employons pas toute notre attention pour nous tenir recueillis en la présence de Dieu au-dedans, en retirant nos sens des choses du dehors, qui nous distraient et nous dissipent, nous marchons longtemps sans faire beaucoup de chemin ; c’est ce manque de fidélité à se tenir recueillis et attentifs en la présence de Dieu au-dedans de soi, autant qu’il est possible, qui fait que tant d’âmes qui sont appelées à l’intérieur, à apprendre à connaître Dieu dans leur fond où il habite, demeurent cependant toute leur vie des commençants dans les voies de l’esprit, et sont incapables de connaître ou d’entendre la voix du Grand Sacrificateur, qui est la voix du Verbe Éternel en elles, qui désire si fort de se faire entendre et de se manifester à elles comme le vrai Melchisédech.

Duquel grand Sacrificateur il y a assurément beaucoup de choses à dire, et plus que le monde entier ne peut comprendre, qui sont difficiles à expliquer à ceux qui eux-mêmes n’en font pas l’expérience, en se mettant et se tenant assidûment aux pieds de Jésus, comme Marie Magdeleine, pour se laisser pénétrer de sa parole efficace, qui s’explique ou se fait entendre elle-même (mieux que qui que ce soit ne la peut expliquer) par l’onction de la grâce dont elle pénètre nos cœurs.

C’est donc là l’application intérieure qui est nécessaire si nous voulons apprendre et comprendre qui est notre grand Sacrificateur et ce qu’il opère dans nos cœurs ; car c’est au cœur qu’il parle et qu’il apprend à connaître sa voix, et non pas aux sens qui ne sont pas les organes propres à entendre cette voix qui est muette à l’égard de ces sens, mais très éloquente, pénétrante jusqu’au fond de l’âme, efficace et qui opère et fait ce qu’elle dit dans l’âme ; mais il faut de l’attention au dedans, du recueillement, de la retraite, pour apprendre à discerner sa voix et son opération ; elle est délicate et, comme nous sommes grossiers, attachés aux sens, et accoutumés à ne rien connaître que ce qui les touche et est de leur ressort, il est impossible d’apprendre à connaître la voix de notre bon berger et Grand Sacrificateur en vivant dans la dissipation continuelle, étant toujours tournés au dehors dans le tumulte des sens, aussi bien des sens intérieurs qu’extérieurs, desquels il faut être séparés si nous voulons apprendre à connaître la voix du bon Berger.

Ainsi il faut autant que notre état et condition le permette, sans négliger les devoirs que nous sommes obligés de remplir, chercher la retraite, le silence, cultiver le recueillement, se tenir le plus continuellement qu’il est possible en la présence de Dieu, même dans nos occupations, pendant notre travail, en faisant nos affaires ; être assidus à conserver cette sainte présence, et la rechercher aussitôt que nous nous apercevons que nous en sommes détournés ; il faut interrompre souvent nos occupations, en suspendant l’attention que nous y avons pour un peu de temps, afin de se recueillir de nouveau pour quelques moments dans cette sainte présence ; un regard vers Dieu de l’œil intérieur est l’exercice le plus utile quand il est pratiqué avec assiduité, pour nous faire avancer en peu de temps dans l’intérieur, et par lequel nous apprenons bientôt à nous dégager des sens et à entrer dans la région de l’esprit, à connaître l’attrait du centre, à le suivre, qui est où se fait entendre la voix de notre grand Sacrificateur et où enfin il se manifeste lui-même.

 

v. 12. Car au lieu que depuis le temps qu’on vous instruit vous devriez déjà être Maîtres, vous auriez encore besoin qu’on vous apprît les premiers éléments par où l’on commence à expliquer la parole de Dieu ; et vous êtes devenus comme des personnes à qui on ne devrait donner que du lait et non une nourriture solide.

 

C’est ce que l’on voit bien communément, mais qui est un grand malheur de nos jours, que des âmes qui, à proportion du temps qu’elles ont été touchées de Dieu dans leur intérieur et ont commencé à marcher en ses voies en abandonnant le train du monde, devraient par rapport à ce temps qu’elles ont été appelées de Dieu être Maîtres et être parvenues au but qui est l’Union de leur âme à Dieu, elles sont néanmoins encore dans les commencements et n’ont point avancé dans le chemin qui mène à cette Union ; mais hélas ! ce serait encore beaucoup si elles avaient conservé le Zèle de leur première ferveur et fussent demeurées dans la bonne résolution qu’elles avaient prise de se consacrer à Dieu ; mais on voit que la plupart retournent en arrière et reprennent le goût du monde, deviennent tièdes et quittent l’oraison tout à fait ; ou bien, lorsque Dieu les met dans les épreuves intérieures, entrent en crainte et méfiance, et qui, au lieu de se tenir coi dans ces épreuves et ténèbres intérieurs, où Dieu les fait entrer pour les mener plus avant, s’accrochent à quelque pratique extérieure, veulent, par leurs œuvres et forte activité dans laquelle ils se jettent de nouveau, échapper aux épreuves intérieures où l’Esprit de Dieu voulait les conduire pour les avancer.

Mais comme ces états-là sont désagréables aux sens et à la nature qui y trouve une profonde mort, l’on aime bien mieux recommencer à agir, en recommençant toujours de nouvelles pratiques, en inventant de nouvelles manières de servir Dieu ; et ainsi l’on demeure toujours commençant, et ce sont encore les meilleurs qui agissent ainsi. Il faut pour avancer demeurer ferme et soutenir les épreuves de Dieu sans vouloir s’en affranchir, mais les porter passivement, et ne pas reprendre ce qui est usé.

Les premiers éléments où l’on commence à expliquer la parole de Dieu, c’est l’exercice de la méditation dans la voie active où l’on se nourrit de ces choses avec fruit ; mais il ne faut pas en rester là comme l’Apôtre le reproche ; car c’est le lait qui est doux et agréable au goût des sens, et que l’on veut toujours garder, ce sont les douceurs et consolations sensibles que l’on ne veut pas abandonner lorsque l’attrait intérieur de Dieu nous en veut sevrer pour nous donner une nourriture plus solide.

 

v. 13. Or celui qui ne se nourrit que de lait ne saurait comprendre la doctrine de la justice, parce qu’il est encore Enfant.

 

Ceux qui sont dans ce premier état des commençants dont nous venons de parler ne peuvent comprendre les états de la vie spirituelle qui sont plus avancés, ou bien par lesquels il faut que l’âme passe pour arriver à cette vie de l’esprit ; ces états plus avancés sont la doctrine de la justice. C’est la justice que l’opération de l’esprit de Dieu dans l’âme, qui se laisse à cette opération, exerce sur elle, en la sevrant de son lait, et en la mettant dans le creuset des épreuves intérieures par lesquelles elle est purifiée foncièrement. C’est le feu de l’amour Divin qui fait cet ouvrage, amour pur et unique, et qui ne souffre aucun mélange de l’amour propre et de l’amour Divin dans l’âme dont il s’est rendu le maître ; il veut en être le seul et l’unique possesseur, et c’est pour cela qu’il attaque l’amour propre jusqu’en sa plus profonde racine, et ne cesse point son opération qu’il ne l’ait entièrement banni de l’âme, qu’il ne l’ait purifiée de ce venin mortel dont elle était toute pénétrée ; c’est là la doctrine de la justice ; car par là la justice est faite à Dieu, son droit lui est rendu, qui est d’être Seigneur unique et maître absolu de l’âme, qui est son bien en propre, et que nous lui avions usurpé, nous l’étant appropriée par la propriété, ce qui est une injustice atroce que nous avons faite à Dieu, un vol, un larcin damnable, et c’est proprement en quoi consiste notre chute. C’est ce qui nous est découvert clairement par la lumière Divine, si nous voulons bien nous abandonner à l’opération de l’Esprit de Dieu en nous, qui nous montre et fait restituer toutes les usurpations que nous avons faites, et que nous ne connaissons qu’à mesure qu’il plaît à Dieu de nous en éclairer, tant sommes-nous dans les ténèbres de la mort du péché jusqu’à ce qu’il plaise à la bonté de Dieu de faire luire la clarté de sa lumière en notre intérieur, qui nous découvre l’état d’injustice où nous sommes naturellement à l’égard de Dieu.

C’est donc la doctrine de la justice qui s’exerce sur l’âme qui doit être purifiée foncièrement, afin qu’elle puisse être remise dans l’union divine dont il est parlé ici, et qu’il faut que l’âme apprenne par l’expérience qu’elle en fait, en se laissant passivement à l’opération de l’Esprit Saint, qui fait cette œuvre en elle.

 

v. 14. Mais la nourriture solide est pour les parfaits, c’est-à-dire pour ceux dont l’esprit, par une habitude et long exercice, s’est accoutumé à discerner le bien et le mal.

 

C’est uniquement par l’expérience que l’Esprit de Dieu opérant en nous nous fait faire que nous sommes instruits en réalité et apprenons la vérité des voies de Dieu ; car pour les connaissances acquises par études et même par les lumières qui nous en sont communiquées médiatement dans notre entendement, les premières acquises sont des Idées et des Images fort superficielles, et qui subsistent la plupart du temps dans notre Imagination sans produire aucun fruit de justice dans notre âme, la laissant dans son état d’impénitence et de méchanceté, dans ses vices, ce que l’on ne voit que trop communément parmi les gens doués d’un grand savoir ; et pour les seconds, quoiqu’ils soient ordinairement meilleurs, ils ne sont d’ordinaire que du nombre de ceux qui sont ici nommés Enfants ou commençants dans les voies de l’Esprit ; il n’y a que ceux qui sont enseignés par leur propre expérience longue et acquise par les diverses épreuves par lesquelles il a plu à l’Esprit de Dieu de les faire passer qui soient instruits solidement des vérités Divines, ayant éprouvé le bien et le mal en eux, qui se sont combattus l’un l’autre ; et le bien ayant surmonté le mal et ayant banni celui-ci de leur âme, ils le connaissent l’un et l’autre et le discernent fort bien ; ils ont appris à découvrir et à connaître les ruses et artifices du mal qui s’est si souvent voulu travestir en eux sous l’apparence du bien pour éviter d’en être chassé ; ils ont éprouvé les ruses et les finesses de l’amour-propre, et ont le bonheur à présent d’être possédés de l’amour pur et Divin ; ainsi ils connaissent et ont le discernement de l’un et de l’autre, et ne sont plus trompés par les ruses de l’amour-propre ; l’amour pur et Divin est la nourriture solide qui les entretient, ils ne se peuvent nourrir d’autre chose ; c’est là la viande solide ; celui qui en a goûté est dégoûté de toute autre viande. Ô saint amour divin, brûle sans fin, fais-toi des amateurs qui aiment à se laisser consumer par tes ardeurs, c’est là leur nourriture que d’être ta pâture ; ils trouvent leur subsistance à se laisser consumer par toi de plus en plus ; car c’est par là qu’ils changent d’être et sont changés en toi ; ils servent de pâture à leur Divin Seigneur et Roi, qui est aussi la leur, le portant dans leur cœur.

Les personnes sont encore heureuses qui, étant restées longtemps Enfants ou commençants, s’étant pendant longtemps nourries de lait, sont assez humbles pour recevoir encore le discours de la parfaite justice, qui ne se roidissent pas contre cette doctrine, lorsque Dieu la leur fait proposer, en leur faisant bien sentir dans leur intérieur, s’ils veulent y prendre garde, que cette nourriture de lait est usée et n’est plus de saison pour eux ; heureux sont-ils s’ils suivent cet attrait de leur intérieur qui leur fait sentir un certain dégoût pour ce lait qui est vieilli.

Mais le malheur est qu’ils entrent en trouble, donnent lieu aux réflexions, se regardent eux-mêmes pour considérer leur état ; au lieu de regarder Dieu en foi et confiance, s’occuper de lui, et s’abandonner à lui dans le fond de leur cœur où ils trouveraient la paix et le repos, qui est la marque que le Roi de Salem, le Roi de paix y réside et que sa présence donne la paix qui est la marque qu’il est là.

Mais on se méfie de cet attrait doux et tranquille, parce qu’il n’est pas si sensible que ce qui se passe dans les sens dont il est entièrement séparé ; l’on aime mieux en demeurer aux opérations des sens, l’on étouffe cet attrait du fond et, en jugeant par les sens et la raison, on se taxe de nonchalance, de paresse, de sécurité, parce que cet attrait invite l’âme au silence et à la cessation des opérations sensibles, et ainsi, en faisant les sens et la raison juges, les établissant pour décider des choses et opérations de l’esprit de la foi, qui est l’Esprit de Christ opérant dans le centre de l’âme, desquelles choses ils sont incapables de juger, étant trop spirituelles et de toute autre nature que ce qui est de leur portée, l’on se méprend, l’on étouffe cet Esprit de la foi en soi ; et lorsque Dieu retire le lait, dont il avait nourri l’âme dans son Enfance spirituelle, lorsqu’elle ne veut pas alors s’ajuster à la conduite de Pieu, à son opération qui l’en dénue, alors, dis-je, elle cherche ce lait qui lui manque dans ses sens intérieurs, et qui lui était donné par le Ministère des Anges que Dieu avait employés pour cela ; elle va le chercher auprès des hommes qui lui en donnent un bien plus grossier que celui qu’elle avait ; c’est le lait qu’elle reçoit dans ses sens extérieurs par la parole extérieure des hommes qui ont des talents pour parler avec élégance des choses pieuses, à prêcher et endoctriner, qui ont le don de réveiller l’appétit et le goût sensible.

C’est auprès d’eux que ces pauvres âmes vont chercher leur nourriture et qu’elles la trouvent, et croient, étant enflammées de nouveau et recevant par ces moyens une nouvelle vie dans leurs sens qui étaient aux abois, elles croient, dis-je, avoir beaucoup gagné, et avoir renouvelé leur Zèle et ferveur. L’on leur laisse volontiers ces choses dont l’usage est bon dans son temps, comme est le lait aux enfants ; mais elles verront un jour qu’elles se sont fait un tort irréparable et ont préféré une soupe de lentille au droit d’aînesse ; ayant voulu se conserver la vie des sens, elles se sont privées de la vie de l’Esprit ; elles verront que le reproche que l’Apôtre fait ici à ceux à qui il écrit leur est justement appliqué ; qu’au lieu que depuis le temps qu’ils ont été instruits de Dieu dans leur intérieur, ils devraient être maîtres, ils se nourrissent toujours de lait et non d’une nourriture solide, et sont incapables d’entendre les discours de la parfaite justice. Encore s’ils se reconnaissaient pour en être incapables ; mais le pis est que de telles personnes, s’étant ainsi fixées en elles-mêmes, en leurs pratiques à écouter sans cesse, et à apprendre toujours sans parvenir à la réelle connaissance de la vérité, sans se mettre en état de recevoir l’Esprit de vérité lui-même dans leur intérieur, elles deviennent présomptueuses, et s’ingèrent de juger selon leurs idées à leur manière, et selon la capacité de leur état qui est très petit et renfermé dans les limites étroites d’eux-mêmes, de leur propre compréhension ; elles s’ingèrent, dis-je, par ces facultés propres de juger des états des âmes qui par un généreux abandon d’elles-mêmes se sont données à toute discrétion à Dieu qui les a attirées à se quitter, qui par un amour très pur se sont quittées et que Dieu a prises en sa conduite, en les préparant à son gré par l’opération de son Esprit en elles ; auquel elles appartiennent et non plus à elles-mêmes, n’étant ainsi non plus en leur dépendance de se conduire et ajuster, régler et mouler au niveau et selon le bon sembler de ceux qui, étant les propres maîtres d’eux-mêmes, ont la liberté et le pouvoir de se conduire selon leur bon sembler. Mais il n’y a que l’Esprit de Dieu qui puisse juger des choses de Dieu et des opérations de son Esprit dans les âmes qu’il a prises sous sa conduite.

Et l’on peut bien dire avec raison que l’homme animal ne comprend point les choses qui sont de l’Esprit de Dieu, elles lui sont folies, d’autant qu’elles se discernent spirituellement ; mais l’homme spirituel discerne toutes choses, et n’est jugé (ou bien : il n’est connu) de personne (1. Cor. 2, v. 14-15), sinon de ceux en qui le propre esprit ne juge et ne domine pas ; mais qui sont régis et vivifiés, possédés de l’Esprit de Dieu, lequel discerne, conçoit et juge droit de ce qui lui est propre.

 

 

 

 

CHAP. VI.

 

 

v. 1. Quittant donc les instructions que l’on donne à ceux qui ne font que commencer à croire en Jésus Christ, passons à ce qui est de plus parfait, sans nous arrêter à établir de nouveau ce qui n’est que le fondement de la religion, comme est la pénitence des œuvres mortes, la foi en Dieu.

v. 2. La doctrine des baptêmes, l’imposition des mains, la résurrection et le jugement éternel.

v. 3. C’est aussi ce que nous ferons, si Dieu le permet.

 

L’APÔTRE ne veut donc pas qu’on reste arrêté aux choses qui sont très bonnes et nécessaires dans les commencements de la conversion à Dieu, et sur quoi la religion est fondée, ce qui est cela même qui fait l’occupation et les sujets de la méditation dans l’état actif de la première conversion dont on a écrit ; il faut au commencement méditer les vérités fondamentales de la religion pour s’en laisser pénétrer et convaincre l’entendement par cela même. Ces vérités étant bien gravées dans l’entendement, la volonté est déterminée à s’y soumettre et à vivre selon la conviction que l’on a ; l’inclination s’y porte et se soumet à la croyance que l’entendement a reçue et dont il a été éclairé.

Ces vérités que l’on embrasse sont la pénitence ou repentance des œuvres mortes. L’on renonce aux vices, non seulement l’on en abandonne la pratique, mais on abandonne aussi les œuvres inutiles qui n’ont pas pour but la gloire de Dieu et le bien du prochain, comme sont les amusements mondains, les passe-temps, les discours inutiles qui ne font que distraire, en un mot tout ce qui n’est pas attaché aux devoirs de notre vocation. L’on s’étudie au contraire à la pratique de toutes les vertus selon les occasions que la providence en fournit.

C’est un ample exercice que cette repentance des œuvres mortes ; la conscience d’un chacun lui dira assez en quoi il consiste et jusqu’où il s’étend ; si cette conscience est réveillée et qu’on suive fidèlement ses corrections et admonitions, elle ne nous laissera rien passer de ce qui déplaît à Dieu dont elle ne nous reprenne. Si nous sommes fidèles à la suivre, nous n’avons pas besoin de nous faire des haires et des cilices pour nous mortifier ; ces corrections de notre conscience nous mortifieront bien mieux, plus à propos et pour notre solide mortification, que toutes les inventions humaines ; il est bon et nécessaire de mortifier ses passions et de retrancher les appétits que l’on a pour les choses de la terre, selon l’attrait que l’on y sent avoir, et d’être rigide à soi-même à l’égard des choses dont on a fort abusé ; mais une vie trop austère de propre choix entretient plutôt l’amour-propre qu’elle ne le mortifie, et aigrit l’esprit au lieu de l’adoucir, ce qui est pourtant le principal et qui est le fruit que l’humilité produit, vertu qui est la plus nécessaire de toutes et à laquelle nous devons le plus tendre dans l’exercice de notre état actif par une humble obéissance et en nous soumettant à tous les évènements de la Providence, recevant de la main de Dieu les contradictions, les humiliations et traverses de toutes sortes, qui nous arrivent par le moyen des créatures ; c’est là le meilleur exercice de mortification et de pénitence ; savoir tout ce qui contrecarre et contrarie nos volontés propres, à laquelle propre volonté il est le plus nécessaire qu’à toute autre chose d’y renoncer ; c’est ce que nous enseignent intérieurement les premiers principes de la doctrine de Jésus Christ à pratiquer, comme il est assez clair dans l’Évangile.

La foi en Dieu est le sacrifice ou abandon total de nous-mêmes que nous lui faisons. Les baptêmes sont de deux sortes. Le baptême d’eau en repentance des œuvres mortes, qui est la première conversion, ou l’état actif dont nous venons de parler. Et le second est le baptême de feu, qui est la seconde conversion, consistant à cesser de nos propres œuvres actives pour nous laisser posséder à l’Esprit de Dieu, qui est le feu de l’amour Divin qui s’empare de notre âme pour la purifier de sa corruption foncière. Le premier état est figuré par le baptême d’eau, et le second est celui dont saint Jean dit : Il en vient Un après moi qui vous baptisera du Saint Esprit et de feu. C’est l’esprit de Jésus Christ qui par la vertu de son sang purifie nos âmes.

Le premier baptême est le premier pas que l’on doit faire si la conversion est véritable, en croyant et pratiquant ce à quoi il nous engage, et nous devons croire le second et en souffrir l’opération lorsque le temps est venu auquel il plaît à Dieu de nous y appliquer lorsque le premier lavement de l’eau a eu son effet.

L’imposition des mains signifie que nous sommes consacrés désormais à Dieu pour être à lui en propre, pour vivre pour lui, et non plus pour nous-mêmes, nous dévouant uniquement à ses volontés saintes ; c’est comme le vœu que nous faisons que nous renonçons à nous-mêmes et à toute autre prétention et sommes à lui sans réserve.

La résurrection des morts signifie qu’étant baptisés dans la mort de Jésus Christ, nous croyons et avons l’espérance de resusciter de la vie de son Esprit ; nous consentons qu’il opère en nous l’entière mort de nous-mêmes en nous conduisant par les états douloureux et obscurs, lesquels sont opérés en nous par son Esprit ; états qui causent la mort entière de notre vieil homme, qui est suivie de la résurrection du nouveau ; c’est à ce que l’Esprit de Jésus Christ opère cet ouvrage de la régénération en nous à quoi nous nous abandonnons et croyons qu’il l’accomplira, laquelle vie de Jésus, qui est la vie nouvelle, est suivie du jugement éternel, qui signifie l’état fixe ou éternel dans lequel l’âme est mise dans l’état de cette nouvelle vie Divine, dans laquelle vie elle est confirmée.

Ce sont là les états que l’âme croit et auxquels elle s’abandonne, afin que l’Esprit de Jésus Christ les opère en elle, accomplissant ainsi l’ouvrage de la rédemption qu’il nous a acquise par ses souffrances et par sa mort. C’est, dis-je, là ce qu’elle embrasse ou qu’elle doit embrasser dès qu’elle commence à croire en Jésus Christ ; c’est là le fondement sur lequel sa conversion est posée, et qui la rend véritable et réelle ; si cela manque, elle ne peut être rendue participante des grâces que notre Sauveur nous a acquises.

Je sais bien que toutes ces choses ici décrites dans le texte du 1er et 2e vers de ce chapitre sont l’objet de la foi historique que l’on confesse et des cérémonies extérieures que l’on pratique ; mais comme ce n’est pas du sens littéral dont on veut parler ici, l’on le laisse, puisqu’il est assez connu, et l’on s’attache à ce que les cérémonies extérieures et la connaissance et confession historique de ces vérités de la religion signifient dans la réalité, de ce que l’Esprit de Jésus Christ opère dans l’âme dans l’ouvrage de la régénération.

C’est donc la croyance réelle et le sacrifice que l’âme Chrétienne fait de soi-même à Dieu afin que ces choses s’opèrent en elle que l’Apôtre nomme le commencement de la foi en Christ, v. 1, qu’il veut à présent que ceux à qui il écrit surpassent pour passer à ce qui est plus parfait. Mais, mon Dieu, où sont donc les Chrétiens, si les choses décrites ici ne sont que le commencement du Christianisme ? En vérité, ils sont bien rares ; car combien peu en trouve-t-on dans lesquels ce fondement soit posé, non en Idée, en foi historique, mais dont la volonté soit pleinement déterminée à être à Dieu sans réserve propre, comme il a été dit, qui se sont ainsi consacrés à lui et qui ne veulent plus se reprendre jamais ? S’ils sont rares, soyons au moins de ce petit nombre et marchons avec courage dans le chemin royal que la grâce de Dieu nous a montré, et dans lequel il nous a conduit par son Esprit, qui nous a donné la volonté de nous sacrifier à lui sans réserve ; car alors ce fondement étant posé, nous pouvons nous promettre, fondés sur la fidélité de Dieu, qu’il parachèvera cette œuvre qu’il a commencée par sa pure grâce.

 

v. 4. Car il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don céleste, qui ont été rendus participants du saint Esprit.

v. 5. Qui ont goûté l’excellence de la parole (ou qui se sont nourris de la sainte parole de Dieu) et des merveilles du Siècle à venir.

v. 6. Et qui après cela sont tombés, qu’ils se renouvellent par la pénitence, parce qu’autant qu’il est en eux, ils crucifient de nouveau le fils de Dieu et l’exposent à l’ignominie.

 

Cette impossibilité ne doit pas être entendue absolument ; car de même qu’il est fort difficile et autant impossible que ceux qui ont goûté le don céleste, etc., déchoient, autant difficile et impossible est-il que ceux qui tombent après avoir été dans un état aussi avancé que celui qui est décrit ici soient renouvelés par la repentance ; l’un est aussi impossible que l’autre moralement, mais non d’une impossibilité absolue ; car ayant été rendus participants du Saint Esprit, Jésus Christ est né en eux ; et ainsi, comme l’Apôtre dit, ils le crucifient de nouveau, ils sont ses meurtriers, cela est terrible et doit bien faire frémir ; c’est un motif pour nous tenir dans une continuelle méfiance de nous-mêmes et dans une continuelle dépendance de Dieu, reconnaissant que c’est sa grâce uniquement qui peut nous soutenir et empêcher de déchoir ; ce que chaque âme, en quelque état avancé et sublime où Dieu l’ait mise, expérimente très réellement et d’une manière si vive qu’elle se sent aussi impuissante de se conserver et soutenir dans l’état sublime de l’union divine où il a plu à Dieu de la mettre par pure grâce qu’elle se sent de même une impuissance à se renouveler par la repentance si Dieu permettait qu’elle tombât.

Elle est pénétrée si vivement par l’expérience de son néant et impuissance à tout bien, de ces deux impossibilités, qu’elle en est pleinement convaincue, et c’est ce qui la tient dans son anéantissement. Mais autant qu’il est non seulement possible, mais inévitable du côté de la créature de tomber si elle était abandonnée à elle-même, dans quelque état élevé qu’elle fût (ce qui est possible parce que la créature conserve toujours sa libre volonté), autant est-il impossible que cela arrive aussi longtemps qu’elle ne veut point reprendre cette libre volonté qu’elle a donnée à Dieu librement depuis si longtemps. Mais si cela arrivait qu’elle voulût se reprendre elle-même en propre, ce qui fait sa chute, il serait aussi difficile et comme impossible qu’elle se renouvelât par la repentance.

Ce serait une chute pareille à celle de Lucifer, ce serait se reprendre après s’être donné à son Créateur et Rédempteur ; ainsi la chute serait double. Nous nous sommes débauchés de Dieu par l’état de péché dans lequel nous naissons ; et si après que Dieu nous a fait tant de grâces que de nous avoir ramenés à la repentance et rendus participant du Saint Esprit, nous avoir fait goûter le don du Ciel en nous ayant dégoûté de la terre et des biens qu’elle possède, nous avoir éclairés, nous être nourris de la parole de Dieu, qui est Jésus Christ en nous, s’il était possible qu’après toutes ces grâces et surtout la dernière, qui est d’avoir été honoré de la grâce d’être nourri de la parole vivante de Dieu, ainsi d’avoir eu pour nourriture la chair et le sang de Jésus Christ, l’on le chassait de chez soi, ne voulait plus qu’il régnât sur nous et en nous, mais voulût se reprendre en propre pour être à soi-même, certainement cela serait exposer à opprobre le fils de Dieu, puisque ce serait lui faire la plus grande injure qui se puisse ; c’est le crucifier quant à nous.

Une telle chute serait difficile d’être relevée ; elle serait autant difficile qu’elle est à se faire ; car en vérité je crois qu’elle est autant impossible à se faire qu’il serait impossible à une âme qui l’aurait faite de se relever ; je crois que ce serait là le péché contre le Saint Esprit ; car, en quelque manière, cet état serait pire que celui des anges tombés ; car ils ne sont tombés qu’une fois et ne se sont pas repentis ; mais une telle âme serait encore retombée après avoir été relevée de sa chute et rétablie dans la grâce de la régénération. Car ceci est infiniment davantage que de tomber dans un acte de péché comme David avec Batseba ; ceci n’est qu’un détour passager de Dieu pour regarder et aimer la créature hors de Dieu ; mais cette chute ici est de se reprendre soi-même de propos délibéré, se retirant de la dépendance de Dieu, de sa possession, par laquelle on est devenu son bien propre.

Car comme pour appartenir à Jésus Christ, il faut se renoncer soi-même, l’on s’arrache de sa dépendance, sort de son union lorsqu’on se reprend en propre ; car se renoncer est se quitter, se perdre, s’abandonner, sortir de soi ou de sa possession propre ; toutes ces expressions signifient la même chose ; lorsque je renonce à une chose, cela veut dire que j’en abandonne la possession et la cède à un autre. Nous nous sommes pris en propre en nous arrachant à la possession de Dieu, en nous soustrayant de sa dépendance ; c’est là ce qui fait notre chute et en quoi elle consiste ; il faut donc, pour rentrer dans l’ordre divin, que nous nous renoncions, quittions et abandonnions de nouveau, en cédant le droit que nous avons usurpé sur nous-mêmes à Dieu auquel il appartient, rentrant sous sa dépendance ; c’est là se renoncer, se quitter et sortir de soi.

Si Dieu nous a fait une fois la grâce de nous quitter tout à fait afin qu’il nous possède et nous régisse, nous nous trouverons si bien d’être quittes de nous-mêmes, et d’être devenus siens en propre, que nous ne pourrons vouloir nous reprendre pour rentrer en nous-mêmes. C’est un malheur dont Dieu, par sa grâce et bonté infinie, nous garantira. Comme il nous a créés libres, il nous laisse cette liberté, et ainsi, à parler absolument, nous conservons toujours le pouvoir de nous séparer du bien souverain pour rentrer en nous-mêmes, nous reprendre en propre ; mais ayant expérimenté si vivement et pendant si longtemps la misère qu’il y a d’être à soi-même, et la félicité et béatitude d’être à Dieu, après s’être renoncé et quitté, comment pourrait-on vouloir rentrer dans un état misérable en quittant la félicité dont Dieu fait la grâce de jouir ? Mais il est bon de savoir qu’on le peut faire, afin d’être entretenu dans une profonde méfiance de soi-même, qui fait que nous nous tenons avec humilité attachés à Dieu, mettant toute notre espérance et entière confiance en lui seul, dans la vive conviction où nous sommes que c’est sa grâce seule et unique, sa pure miséricorde et son soutien continuel, qui nous empêche de déchoir de l’état de grâce éminente où il lui a plu de nous mettre par pure grâce, par un effet de sa miséricorde infinie, sans que nous y ayons contribué de notre part. Tout est donc grâce et pure charité sans aucun mérite de notre part.

Mettons donc toute notre confiance en la bonté et en l’amour de Dieu, qui par une charité infinie nous a attirés à lui ; demeurons dans la dépendance de sa discrétion humblement, dans une entière méfiance de nous-mêmes, et nous laissant à lui, n’ayant pas la volonté de nous reprendre nous-mêmes, il prendra soin de conserver son bien, ayant la puissance et la sagesse infinie de même que l’amour pour le faire. N’espérons rien de nous mais tout de lui, et nous serons à l’abri de tout danger ; car c’est la présomption de pouvoir nous garder et nous défendre qui fait qu’il permet que nous tombions, pour nous apprendre à espérer en lui seul et à dépendre uniquement de sa grâce.

 

v. 7. Car lorsqu’une terre, étant souvent abreuvée des eaux de la pluie qui y tombe, produit des herbages propres à ceux qui la cultivent, elle reçoit la bénédiction de Dieu.

v. 8. Mais quand elle ne produit que des ronces et des épines, elle est en aversion à son Maître, elle est menacée de sa malédiction, et à la fin il y met le feu.

 

Il est décrit ici l’état de l’âme dans l’état actif, et comment elle se doit comporter dans l’usage des grâces que Dieu verse dans les sens et les puissances de l’âme, qui est ici comparée à une terre qui est bien cultivée et qui reçoit la pluie du ciel, qui est l’onction de la grâce par laquelle elle est rendue féconde en toutes sortes de vertus et de bonnes œuvres qu’elle exerce, faisant ainsi usage des grâces qu’elle reçoit dans sa capacité ; et c’est ici la fidélité qui est absolument requise et la coopération que Dieu demande de l’âme dans cet état dans lequel elle se sanctifie et est agréable à Dieu, qui est le Maître de cette terre. Ces fruits qu’elle produit sont les herbages ici marqués ; ce ne sont à la vérité que des herbages ; cependant elles sont bonnes et utiles à ce Maître pour ce à quoi elles sont propres ; et il n’en demande pas davantage pour ce temps-là ; c’est tout ce qu’il prétend des âmes dans cet état, savoir qu’elles se renoncent elles-mêmes, cela veut dire à leurs passions et attachements aux créatures ; généralement à tout ce qui n’est pas Dieu selon toute l’étendue de la lumière qui leur en est donnée, et plus elles sont fidèles en cela, plus il leur est donné une plus grande lumière et grâce, selon les desseins de Dieu sur elles et le temps qu’il juge à propos que l’âme s’exerce ainsi, avec l’assistance de la grâce qui lui est communiquée, non seulement à se renoncer, mais aussi à pratiquer dans cet esprit de renoncement toutes les vertus à l’exercice desquelles la providence lui fournit les occasions dans son état.

Si l’âme est ainsi fidèle à la grâce de Dieu qui lui est communiquée, elle lui est très agréable ; si elle ne l’est pas et ne fait pas usage de cette grâce, elle devient une terre maudite et, ne produisant que des ronces et des épines, Dieu retire les grâces qu’il lui avait donnée ; elle est à la fin livrée au feu éternel.

Ceci est le sens ordinaire de ce passage, qui est une exhortation à la vigilance et à la fidélité pour les âmes qui sont dans l’état actif de la première conversion et ont les forces de pouvoir employer de cette sorte les grâces qui leur sont données de Dieu, par laquelle fidélité elles deviennent très agréables à ses yeux et sont garanties de tout relâchement et tiédeur aussi bien que du malheur de retourner en arrière. Mais si Dieu veut pour récompense de leur fidélité les gratifier de les conduire plus avant et les préparer à ce que leur terre soit changée en or , je veux dire que leur âme et toutes ses facultés soient entièrement renouvelées pour être rendue participante de la nature divine et être ainsi purifiée jusqu’au fond de la propriété, qui a rendu l’âme semblable à une terre grossière, alors Dieu retire aussi cette pluie céleste qui l’arrosait et faisait croître les herbes agréables, il la dessèche ainsi, en dardant les rayons de son soleil de justice en elle, qui véritablement la brûle et la consume par son opération douloureuse ; elle n’est plus alors en état de produire les herbes précédentes, il lui est impossible, étant privée de l’humidité nécessaire pour les faire croître ; c’est toute une autre opération qu’elle souffre, et alors sa fidélité consiste à se laisser brûler et consumer par le feu ardent qui est allumé en elle par les rayons brûlants du soleil de justice, qui la rend noire et défigurée ; c’est alors ce qui fait sa beauté, et elle doit souffrir cela si elle veut être changée de nature terrestre et grossière pour devenir un or très pur, pour changer sa nature impure et mélangée du venin de la propriété, pour être divinisée ou bien devenir une nouvelle créature, créée selon Dieu en justice et vraie sainteté.

C’est dans ce sens que ce passage est accompli et doit s’entendre à l’égard des âmes qui, ayant été fidèles dans le premier état de sainteté dont il a été parlé, sont mises par l’esprit de Dieu dans le second ; leur terre propre devient une terre maudite, n’étant plus arrosée de la pluie de la grâce, et elle doit être brûlée pour être changée en une matière infiniment plus excellente, savoir dans l’or très pur de la pure charité.

 

v. 9. Or nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, mes chers frères, quoique nous parlions de cette sorte.

 

Ce n’est pas pour vous effrayer et pour vous vous faire entrer dans une crainte servile que nous parlons ainsi ; crainte qui rétrécit le cœur et met l’âme dans l’état de gêne et d’anxiété ; ce n’est pas cela qui est propre pour faire avancer l’âme vers Dieu, car il faut un cœur étendu, un amour libre et dégagé de la crainte mercenaire et servile ; un amour et confiance enfantine est la disposition propre qui nous avance vers Dieu, une confiance enfantine qui fait que, convaincus de notre faiblesse et impuissance, aussi bien que du pouvoir de lui demeurer fidèle, en persévérant dans ses voies, fait que nous mettons toute notre espérance en lui seul, nous jetons entre ses bras, attendant tout de sa pure grâce, mais rien du tout de nous-mêmes.

 

v. 10. Car Dieu n’est pas injuste pour oublier vos bonnes œuvres et la charité que vous avez témoignée par les assistances que vous avez rendues en son nom et que vous rendez encore aux saints.

 

Les âmes qui ont été fidèles dans l’exercice des vertus et premier renoncement ne doivent pas croire que Dieu les ait oubliées, qu’il ne se souvienne plus d’elles après qu’il les a cherchées et prévenues avec tant d’amour, par lesquels attraits il les a attirées à se convertir à lui. Il est ordinaire que ces pensées d’oubli et de rejection de Dieu soient des tentations qui arrivent à l’âme, lorsque Dieu cesse de l’arroser des eaux sensibles et rafraîchissantes de l’onction qu’il versait dans ses sens intérieurs, lorsqu’il la dessèche, qu’elle ne sent plus que le brûlement douloureux que lui cause le feu divin, qui s’attache à son impureté centrale pour la consumer. Elle se sent accablée de maux, de peines, de tentations, assaillie de ses passions qui se réveillent de nouveau (après qu’elle a cru les avoir surmontées) avec plus de furie que jamais, sans qu’elle ait plus de force propre, comme elle en avait autrefois, pour les surmonter.

Tout ce désastre et la laideur qui succède à la beauté apparente dont son Divin Époux l’avait ornée ; la faiblesse et l’impuissance qui succède à la force dont elle était revêtue pour surmonter ses ennemis, qui présentement semblent avoir tous le dessus sur elle, tout cela lui donne lieu de croire, lorsqu’elle écoute sa raison et les pensées que l’ennemi lui suggère plausiblement en jugeant de son état selon le sentiment et la vue qu’elle en a, que Dieu est injuste et qu’il l’a oubliée ou rejetée.

Mais il n’y a rien à craindre : Dieu n’oubliera jamais et ne rejettera jamais aucune âme à qui il a fait tant de grâces que de la rendre fidèle par la conversion du péché à la grâce qu’il a opérée en elle en l’ayant attirée à lui, et elle ayant suivi ses attraits et exercé la charité et le renoncement par les bonnes œuvres qu’elle a faite selon l’occurrence de son état tant qu’elle en a la force ; une telle âme, dis-je, peut être assurée que si elle a le témoignage en elle-même que sa volonté est encore la même qu’elle était dans le commencement, de suivre Dieu, de lui être dévouée sans réserve, Dieu a le même œil d’amour et de bienveillance fixé sur elle, le même soin paternel qu’elle a expérimenté de sa part dans les états précédents ; quelque pénible, obscure et désolant que son état semble être à ses yeux propres et à ceux des autres hommes, il est bon et très cher aux yeux de Dieu, et il n’a jamais veillé avec plus de soin et d’amour sur cette âme, désolée selon l’apparence, qu’il fait à présent ; jamais il n’a plus employé sa toute-puissance pour la garder et garantir d’être endommagée par les efforts de ses ennemis, à la discrétion desquels elle semble être abandonnée.

Mais ce n’est que selon l’apparence, et la fidélité de Dieu ne permet jamais qu’une telle âme qui reste dans son abandon à Dieu et ne s’en est point retirée volontairement soit confondue ; Dieu la garde comme la prunelle de son œil, et le temps apprendra que l’apparence de perte et de délaissement dans lequel elle semble être est le moyen dont Dieu s’est servi pour opérer son salut véritable. Car Dieu est fidèle et n’est pas injuste, mais reste toujours un Père plein de tendresse et d’amour, envers ceux-là surtout à qui il a fait la grâce de se donner à lui.

Entre les œuvres, celles de la charité envers le prochain et l’assistance des biens temporels que Dieu nous donne en faveur des pauvres, et surtout de tels pauvres qui craignent Dieu véritablement, lesquels l’Apôtre nomme ici les saints, ces œuvres-là sont celles qui sont les plus agréables à Dieu, et qui attirent sa bénédiction sur nous et la grâce d’être menés plus avant dans les voies de Dieu. Voilà pourquoi de telles œuvres sont si souvent recommandées dans l’Écriture Sainte, et tous ceux qui sont parvenus à un état avancé dans la piété nous sont des exemples qu’ils y ont été fort adonnés.

 

v. 11. Or nous souhaitons que chacun de vous fasse paraître jusqu’à la fin le même Zèle afin que votre espérance soit accomplie ;

v. 12. Et que vous ne soyez point lents et paresseux ; mais que vous vous rendiez les imitateurs de ceux qui, par leur foi et par leur patience, sont devenus les héritiers des promesses.

 

Le Zèle que Dieu demande de nous est non pas celui qui nous pousse à agir avec chaleur, à pousser les choses que nous entreprenons avec bonne intention ; car comme ces choses sont le plus souvent les fruits ou entreprises de l’esprit propre, c’est aussi cet esprit propre qui nous pousse d’ordinaire à y agir avec Zèle et grande activité, lequel Zèle a souvent grande apparence au dehors dans les choses bonnes en elles-mêmes que nous entreprenons ; mais comme aux yeux de Dieu et au poids du Sanctuaire, rien n’est estimé pour véritablement bon que ce que l’Esprit de Dieu opère lui-même, et que de notre côté le plus grand et solide Zèle ou amour pour Dieu et pour sa gloire consiste à se laisser mouvoir comme de purs instruments en sa main, afin que nous ne gâtions et retardions pas son œuvre en nous par notre propre mouvement et activité ; ainsi le Zèle solide et véritable est celui qui nous porte avec paix et tranquillité de nous laisser à la motion Divine, ne désirant de faire que ce à quoi il nous pousse ; et la persévérance, la patience, la foi, l’abandon à Dieu sont les vertus qui nous sont les plus nécessaires, afin que l’ouvrage de Dieu en nous ait son effet et son accomplissement.

Cet ouvrage est la recréation du nouvel homme en nous, lequel est l’héritier de la promesse ; c’est là la grande œuvre, qui ne peut se faire en nous que par la patience, etc. Toutes les autres œuvres que nous faisons aussi selon la volonté de Dieu doivent se faire avec patience, abandon du succès entre les mains de Dieu, sans précipitation, avec paix, persévérance, et repos d’esprit ; ce qui doit toujours accompagner toutes nos œuvres, afin qu’elles soient faites selon Dieu.

C’est là où doit se manifester le vrai Zèle, savoir dans l’abandon à Dieu en tout ce que nous faisons, nous attachant à lui, à sa volonté bien plus qu’à la chose à laquelle nous travaillons, laquelle il lui plaît souvent de retarder, quoique ce soit son œuvre, pour rompre notre volonté précipitée et purifier ce que nous faisons par son ordre de tout mélange du propre esprit et de la propre volonté, qui gâtent les meilleurs choses. C’est pour cela qu’il nous exerce dans les choses qu’il opère en nous et auxquelles il nous pousse par mille renversements, nous tournant de tous côtés, nous obligeant à renoncer à ces mêmes choses par les difficultés et contrariétés que sa providence nous fait rencontrer par le moyen des créatures et circonstances imprévues auxquelles nous ne nous attendions pas, auxquelles choses il faut s’abandonner, laisser à Dieu de surmonter les obstacles, rester passif et prêt à tout, aussi bien à faire qu’à laisser.

Car c’est ainsi que Dieu opère par des renversements continuels, au travers desquelles choses il ne laisse pas d’opérer son œuvre d’une manière d’autant plus solide et véritable qu’elles se font d’une toute autre manière que l’esprit de l’homme n’est accoutumé d’agir ; car tout ce que Dieu fait et établit passe par morts et renoncements sans nombre aux mêmes choses ; c’est sa manière d’agir, par laquelle il contrecarre et mortifie notre propre esprit qui est ordinairement âpre et précipité en tout ce qu’il fait ; ou bien lent et paresseux, nonchalant selon la complexion de celui qui agit ; il faut que Dieu corrige ces vices qui se mêlent dans l’exécution des meilleures choses par les renversements susdits, en rectifiant ce qui s’y mêle de l’esprit naturel ; à quoi chaque âme sera poussée et avertie selon son besoin dans les choses qu’elle a à faire dans l’ordre de Dieu et la vocation où elle le trouve si elle est diligente et attentive à prendre garde à ce qui se passe dans son intérieur, en évitant les distractions des sens, qui l’attirent toujours au dehors pour la distraire de l’attention du dedans, par laquelle seule elle est garantie de la lenteur, négligence et paresse à être attentive à Dieu et à suivre ses attraits dans son intérieur, lequel manquement d’attention l’entraîne dans la négligence et dans les fautes qu’elle commet.

 

v. 13. Car Dieu, dans la promesse qu’il fit à Abraham, n’ayant point de plus grand que lui par qui il put jurer, jura par lui-même.

v. 14. Et lui dit ensuite : Certainement je te comblerai de bénédictions et je te donnerai une nombreuse postérité.

v. 15. Et ainsi Abraham, ayant attendu avec patience, obtint ce qui lui avait été promis.

 

Dieu fait à chaque âme qu’il attire à lui de grandes promesses, et elles ont une telle certitude dans l’intérieur de l’âme qu’elle n’en peut douter ; toutes celles qui sont faites aux fidèles dans l’Écriture sainte lui sont appliquées par l’Esprit de grâce, qui lui donne la foi pour les recevoir, en sorte qu’elle ne peut en douter ; surtout elle reçoit la promesse que Dieu la délivrera, par sa grâce et l’opération de son Saint Esprit en elle, de tous les ennemis qui l’empêchent d’être unie à Dieu, de sa propre corruption, qui est le principal ; elle reçoit de cela une certitude très grande, qui ne lui en laisse aucun doute ; c’est cette espérance ferme qui la soutient pendant longtemps dans tous les combats et les tentations qui lui arrivent, et elle doit garder ce soutien aussi longtemps qu’il plaît à la bonté de Dieu de le lui laisser.

C’est la foi d’espérance qui lui est très douce, c’est cette foi qui est ici mise devant les yeux des fidèles pour les encourager par l’exemple d’Abraham, lequel obtient les promesses de Dieu ; la foi qu’il eut que Dieu lui donnerait une postérité innombrable est donc ici proposée pour nous encourager à croire aux promesses de Dieu ; mais de même qu’Abraham ne vit que le commencement de l’accomplissement des promesses de Dieu pendant sa vie et se contenta du seul Isaac que Dieu lui donna pour héritier, de même arrive-t-il d’ordinaire aux âmes de foi, qui sont celles que Dieu met dans l’état d’être ses épouses ; il leur fait des promesses de les rendre fort fertiles en son union divine, et cependant elles vieillissent d’ordinaire sans voir l’effet des promesses de Dieu ; la foi et l’abandon à Dieu, le délaissement à toutes choses doit être leur soutien dans les souffrances et renversements qu’elles ont à souffrir ; un amour désintéressé, qui n’admet que Dieu seul et sa volonté, sans vue ni regard sur elles-mêmes, est l’ancre auquel elles se doivent tenir fermes et où elles trouvent le repos de leurs âmes, sans vouloir avoir rien pour elles ni par rapport à elles, laissant à Dieu d’accomplir les promesses qu’il leur a faites, et les regardant comme n’y ayant point de part.

Ô que l’âme trouve de repos et une profonde paix dans ce procédé ! elle est contente dans les renversements et désastres qui lui arrivent ; elle reste attachée à Dieu même, tout comme Abraham fît tout le long espace de temps qui se passa entre la promesse de Dieu qui lui fut faite d’avoir une race innombrable, et le temps qu’il lui fit naître un fils ; il n’y a donc que l’abandon, le délaissement entre les mains de Dieu, le sacrifice total de soi-même, le renoncement à toutes les espérances, même aux choses dont nous avons la certitude que c’est Dieu qui nous les a promises, qui nous puisse tranquilliser, nous entretenir dans l’attente et la persévérance dans la paix, faire que nous possédions nos âmes en patience, lors même que toute espérance distincte s’évanouît, que les promesses de Dieu aient jamais leur accomplissement. Car c’est par l’abandon que nous sommes exercés et purifiés de toute propriété et attribution qui se mêle dans tout ce que Dieu nous promet, lesquelles choses ne doivent avoir leur accomplissement que pour sa seule gloire, en lui et pour lui ; ce qui seul doit faire notre félicité, notre salut, notre contentement ; et de rester dans notre rien est notre plus grand bien.

Dieu effectue ses promesses et beaucoup plus qu’il ne promet ; mais c’est dans son temps et à sa manière et non dans le temps que notre esprit impatient le veut ; c’est à nous à l’attendre avec patience et humble soumission à toutes ses volontés. Abraham n’a pas eu la satisfaction de posséder en propre un pouce de la terre qui lui était promise pendant toute sa vie ; et cette terre n’a été l’héritage de ses descendants que plusieurs siècles après sa mort ; cependant il lui fut dit qu’il posséderait cette terre ; ainsi il se soumit à Dieu, il crut et laissa à Dieu le soin d’accomplir ses promesses ; il ne s’y arrête pas et ne se met en peine que d’obéir à Dieu et à vivre dans une dépendance entière à toutes ses volontés, à suivre ses ordres, quand même elles semblent aller contre ses promesses, comme il arriva lorsqu’il reçut commandement de Dieu de lui sacrifier son fils Isaac, qu’il avait reçu de lui par sa promesse ; il captive sans cesse sa raison et ses Idées, son bon sembler, ses vues pour ne rien écouter que la foi en son Dieu ; il ne veut rien savoir que de l’aimer et de lui témoigner cet amour si pur et si dégagé de tout propre intérêt par une obéissance aveugle à tous ses vouloirs divins, sans se regarder un seul moment soi-même, ses intérêts propres, son profit ou sa perte ; il ne veut qu’obéir et ne se met pas en peine de tout le reste ; rien ne le touche que cette obéissance à son Dieu ; et c’est par ce procédé généreux qu’il reçoit la promesse, Dieu le récompense par lui-même ; je suis, dit-il, ton bouclier et ton loyer très grand. Il n’épargne point son fils unique qu’il veut lui sacrifier ; et Dieu se donne à lui pour récompense.

Remarquons bien ceci et suivons ce grand Patriarche dans sa générosité, son amour, son abandon et sacrifice total à Dieu, et nous éprouverons comme lui la générosité de Dieu qui se donne lui-même pour récompense à toutes les âmes qui n’ont point de réserves pour lui. Ô fidélité, générosité et amour infini de mon Dieu, qui est-ce qui parlera dignement de toi ? Qui est-ce qui annoncera ta grandeur, ta bonté, ta clémence, ton amour tendre, fidèle et paternel envers tes pauvres et chétives créatures ? Pourquoi es-tu si peu connu, mon Dieu ? Fais-toi connaître au cœur, désabuse les âmes de leur erreur, de la méfiance où elles sont envers roi ; aveuglement de l’amour-propre, quand prendras-tu fin ?

Seigneur, détruis ce monstre horrible qui te fait injure ! qui blasphème ton saint nom ; l’on se fie davantage à un honnête homme qu’à tes promesses. Ô mon Dieu, il n’y a plus de foi en la terre ! Au moins fais-toi de nos cœurs des cœurs véritablement simples et enfantins, qui ne sachent rien que t’aimer, t’obéir, et s’abandonner à toi sans réserve ; que l’enfance et la simplicité succède à la fausseté, à la fourberie, à la hauteur ; fais-toi un peuple, Divin Enfant Jésus, qui ne soit composé que d’enfants simples, innocents et dépendants de toutes tes volontés, comme tu l’es envers ton Père céleste.

 

v. 16. Car comme les hommes jurent par celui qui est plus grand qu’eux et que le serment est la plus grande assurance qu’ils puissent donner pour terminer tous leurs différends.

v. 17. Dieu, voulant aussi faire voir avec plus de certitude, aux héritiers de la promesse, la fermeté immuable de sa résolution, a ajouté le serment à sa parole.

v. 18. Afin qu’étant appuyés sur ces deux choses inébranlables par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe, nous ayons une puissante consolation, nous qui avons mis notre refuge dans la recherche et l’acquisition des biens qui nous sont proposés par l’espérance.

v. 19. Laquelle sert à notre âme comme d’une ancre ferme et assurée, et qui pénètre jusqu’au sanctuaire qui est au-dedans du voile.

v. 20. Où Jésus Christ comme précurseur est entré pour nous, ayant été établi Pontife Éternel selon l’ordre de Melchisédech.

 

L’espérance nous guide et nous conduit dans tout le chemin qui nous mène à Dieu, et quoiqu’elle soit souvent cachée à notre sentiment, elle ne laisse pas de subsister toujours ; car c’est le fondement sur lequel est posé notre édifice spirituel. L’espérance que nous avons eue par la lumière Divine qui nous a été communiquée qu’en nous convertissant et nous abandonnant à Dieu, il nous ramènera à son union divine, fait que nous nous livrons volontairement à tous les états pénibles, obscurs et difficiles à supporter par lesquels il faut passer avant de parvenir à  acquérir la grâce promise d’être réunis à Dieu ; ce qui est l’accomplissement de notre espérance ; ainsi elle ne nous abandonne jamais en effet, jusqu’à ce qu’elle nous ait accompagnée jusques au Sanctuaire très saint qui est au-dedans du voile.

Cette espérance nous soutient dans toutes les épreuves, comme il a été dit, nous fait croire à l’aveugle et nous fait abandonner à la conduite obscure de l’Esprit de Christ dans notre intérieur, lequel Esprit de Christ nous conduit enfin au travers du voile qui nous cachait et empêchait l’entrée du lieu très saint qui est le Centre de notre âme, où nous trouvons la présence de notre Dieu, car il y a établi sa demeure. Ô bonheur admirable ! que notre grand Prêtre nous ait acquis la grâce d’être admis dans ce lieu où aucun n’a entrée que lui, et qu’il nous y introduit ; nous n’avons donc rien à craindre, mais pouvons et devons avec pleine liberté et entière confiance espérer en notre Dieu et attendre tout bien de lui, pourvu que nous nous regardions, non comme nous appartenant à nous-mêmes, mais comme étant à lui en propre ; alors tous nos soins et toutes nos craintes cessent, car elles ne viennent que de ce que nous voulons appartenir à nous-mêmes.

Le voile dont il est parlé ici, v. 19, au-dedans duquel est le Sanctuaire ou le lieu très saint, représente très bien ce qui sépare la partie sensitive de notre âme d’avec son centre, qui est caché sous ce voile et tellement inconnu à toute âme à qui Jésus Christ ne le manifeste pas que ce lieu ne peut être compris ni représenté par quelque Idée qu’on s’en puisse faire ; cela vient de ce qu’il n’y a rien là de distinct et que toutes les Images en sont bannies ; et comme il est défendu de se former des Images de Dieu, l’âme expérimente aussi que le centre est sans images, où Dieu habite et s’unit à l’âme d’une manière tout à fait spirituelle et qui ne peut être comprise par les sens. C’est là où notre Grand Sacrificateur nous conduit et où il unit l’âme avec Dieu ; mais il faut pour cela qu’elle meure à elle-même, savoir à son propre ; c’est la victime qui est égorgée et offerte par ce Grand Sacrificateur, afin que l’âme puisse être introduite dans ce Sanctuaire très saint.

 

 

 

 

CHAP. VII.

 

 

v. 1. Car ce Melchisédech, Roi de Salem et Prêtre du Dieu très haut, qui vient au-devant d’Abraham lorsqu’il retournait de la défaite des Rois et qui le bénit.

v. 2. Auquel même Abraham donna la dîme de tout ce qu’il avait pris, qui s’appelle, selon l’interprétation de son nom, Roi de justice, puis Roi de Salem, c’est à dire Roi de paix.

v. 3. Sans Père, sans mère, sans généalogie, qui n’a ni commencement ni fin de sa vie, étant ainsi l’Image du fils de Dieu, demeure Prêtre pour toujours.

 

VOICI une figure admirable de la Sacrificature que notre Seigneur Jésus Christ exerce dans l’âme dont il s’est rendu possesseur et maître, afin de la rendre participante du fruit de l’office qu’il a choisi. L’âme qui est dans cette disposition de fidélité envers Dieu, ou bien l’âme croyante, est ici représentée dans la personne d’Abraham ; son état actif ou sous l’économie de la loi est celui qu’il représente lorsqu’il défait les Rois, qui de leur côté représentent les vices régnants dans l’âme qui est sous l’esclavage du péché. L’âme donc, dans la première conversion, combat ces vices et les captive, elle les combat assistée de ses serviteurs qui sont nés en sa maison, qui sont les vertus qu’elle a acquises par son activité ; c’est l’état où l’âme courageuse, revêtue de foi et de Zèle, combat avec succès tous ses ennemis.

Cette âme, étant frappée de la voix de Dieu dans sa conscience, est avertie que des dominateurs étrangers ont emmené captive la volonté supérieure, figurée dans cette histoire par Lot ; alors l’âme croyante animée du Zèle Mosaïque va combattre ces ennemis et les défait. Elle est victorieuse de ces Maîtres étrangers qui avaient captivé sa volonté supérieure, elle lui redonne la liberté, et d’accord avec elle désormais elle travaille unanimement à ce qui concerne l’avancement dans le chemin qui conduit à Dieu, lequel récompense cette fidélité de l’âme, qu’elle a exercée dans cet état actif, ayant employé toutes ses forces et ses vertus, toutes ses facultés à combattre le vice ; et ayant consommé cet état, revenant de la défaite de ces Rois qui l’avaient tenue captivée et dominée, elle rencontre ce Roi Melchisédech qui se présente à elle.

C’est le grand Prêtre Jésus Christ qui veut à présent, pour récompenser sa fidélité, se rendre le possesseur et conducteur de l’âme, auquel Aaron se soumet dans la personne d’Abraham, se laissant dîmer par lui en faveur de Melchisédech ; cela veut dire que l’état sous la loi dans lequel était Abraham cède alors en cessant, et il rend hommage à Jésus Christ du butin qu’il a fait ; l’âme lui donne les fruits de la victoire qu’elle a remportée sur le Diable, le monde et sur elle-même, sur ses passions, et se soumet désormais à ce Roi ; elle entre dans l’état de la seconde conversion et s’abandonne comme une victime à la discrétion et disposition de ce grand Sacrificateur, lequel se rend maître de l’âme.

Il est Roi de justice, car il exerce premièrement la justice dans cette âme en faisant par son opération intérieure qu’elle est obligée de rendre tous les larcins qu’elle a faits à Dieu, lesquels lui sont découverts peu à peu par l’opération de l’Esprit de Jésus Christ en cette âme ; il exerce cet office de Roi de justice dans l’âme où il règne, en ne lui laissant aucune propriété dans les meilleures choses, dans les vertus, et dans tout le bien qu’elle a pratiqué et acquis avec tant de succès dans son état précédent ; c’est là et sur toute l’âme que la justice est exercée et est rendue à Dieu, qui est seul juste et bon ; les plus profondes injustices et propriétés, toutes les appropriations sont donc découvertes à l’âme, qui en est purifiée par le feu de l’autel, que notre grand Sacrificateur allume dans cette âme, qui y consume toutes les impuretés les plus profondes ; ce sont les sacrifices de ces bêtes, savoir ses passions, qui sont égorgées et brûlées.

Il est aussi nommé le Roi de paix ; c’est qu’il communique la paix intérieure à l’âme qui est assez heureuse pour se soumettre à sa domination ; cette âme expérimente la paix et le contentement profond, que Jésus Christ communique à ceux en qui il fait sa demeure, lesquels se soumettent à lui, laissant opérer sans résistance son Esprit Saint dans eux ; car quoiqu’il exerce la justice dont nous venons de parler et que ces opérations soient douloureuses, les sacrifices étant sanglants, comme autant de morts pour l’âme par lesquelles il faut qu’elle passe, à cause de l’attachement qu’elle a aux choses qui sont sacrifiées, ces passions et affections étant la vie de ces bêtes qui sont égorgées, il ne se peut qu’elle ne sente vivement lorsqu’on les sacrifie, et ce sont autant de vies qui sont arrachées à l’âme, et par conséquent autant de morts pour elle ; mais morts et douleurs qui sont toujours accompagnées de la paix qui est procurée à l’âme par là ; car ce sont les moyens qui la réunissent avec Dieu, ces choses étant ce qui l’en avait séparé.

Ainsi elle jouit déjà des fruits de cette paix qui est faite avec Dieu ; c’est ainsi que le Grand Sacrificateur Jésus Christ la réconcilie avec Dieu en ôtant d’elle et la purifiant de ce qui faisait la cause de sa séparation de Dieu ; dès qu’elle consent à se laisser arracher ces choses auxquelles elle a donné son amour et son affection, à se laisser purifier par l’opération de ce feu divin, de l’impureté foncière qui est le venin du péché qui l’a toute pénétrée, dès aussitôt qu’elle se soumet ainsi, elle reçoit aussi la paix ; et quoique le sentiment distinct de cette paix intérieure se cache quelquefois à cause de la violence des épreuves ou de l’âpreté du feu Divin qui consume les impuretés de l’âme, cette paix ne laisse pas de subsister dans le fond de l’âme et se fait de nouveau sentir dès aussitôt qu’il plaît au souverain Sacrificateur de suspendre son opération douloureuse ; et chaque fois qu’il fait quelque nouveau sacrifice ou fait passer l’âme par un nouveau creuset de purification, aussi souvent ces épreuves sont suivies d’un nouveau surcroît de la paix que notre Sauveur dit qu’il donne à l’âme qui se soumet volontairement à son joug.

C’est cette paix que notre Sauveur dit qu’il donne à ses disciples : Je vous donne ma paix, que le monde ne peut recevoir, et celle dont il dit : Vous trouverez repos pour vos âmes en chargeant mon joug, en nous soumettant à lui ; car cette soumission volontaire sous son Empire donne le repos et la paix, même d’une manière souvent aperçue et sensible, lorsque l’âme est dans les épreuves les plus amères ; car cette paix reste au fond de l’âme, où est la présence de Dieu, qui y fait sa demeure et y communique la paix ; car où il est présent, là est la paix et le repos profond, et subsiste pendant que la partie basse de l’âme  est dans les ténèbres, dans la souffrance et la désolation ; car dans le temps qu’on sacrifie, qu’on égorge, tue, et brûle, il ne peut être autrement, il faut que l’âme en sente la souffrance dans sa partie sensitive ; car le Roi qui la possède est un Roi de justice ; il ne cesse de l’exercer jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds, qu’ils soient sous son domaine ; il ne cesse de brûler jusqu’à ce que toute l’impureté de l’âme soit consumée ; mais il donne aussi la paix au travers de tout cela ; c’est ce qu’expérimente l’âme qui se soumet volontairement sous son Empire bénin.

Mais quelle paix n’est pas donnée à l’âme lorsque tous les sujets de sacrifices sont consumés, que le Roi de Justice et le Roi de paix est paisible possesseur de l’âme ? C’est alors qu’elle expérimente encore d’une toute autre sorte que notre Seigneur est un Roi de paix, et quel bonheur est celui que d’avoir le bonheur d’être un de ses sujets ? Venez, âmes, expérimentez ce bien, vous le louerez et bénirez sans fin ; mais plutôt ce sera lui qui vous bénira, comme il bénit Abraham ; il vous rendra participants de la félicité qu’il y a nécessairement à être retourné dans l’ordre Divin ; louons, louons notre bon Dieu sans fin.

Melchisédech apporta à Abraham du pain et du vin ; cette nourriture est la figure du corps et du sang de Jésus Christ qu’il donne pour nourriture à l’âme qui est passée de l’économie de la Loi, sous l’Évangile, ou qui est à présent sous la direction de l’Esprit de Jésus Christ. Ainsi Melchisédech représente admirablement bien la manière dont notre Seigneur Jésus Christ se comporte envers l’âme chrétienne ; il n’a ni Père ni Mère ni généalogie, c’est ainsi que l’opération de Jésus Christ dans l’âme se caractérise, par laquelle opération de son Esprit la nouvelle créature est recréée. Cette opération n’est nullement comme la précédente qui se faisait par l’Esprit de la Loi avec la coopération de l’activité de la créature, laquelle opération active avait ainsi l’âme pour origine, laquelle était comme le Père et la Mère de ses œuvres, tout de même que les Sacrificateurs Lévitiques avaient leurs Pères et Mères et leur généalogie.

Mais ici l’opération de l’Esprit de Jésus Christ dans l’âme n’a point d’origine de la part de la créature ; son opérer est par lui-même, et l’âme sent bien qu’elle n’y a aucune part ; il fait son œuvre en elle d’une manière qui est non seulement dégagée de l’aide de l’âme, qui ne ferait que gâter cette excellente œuvre si elle voulait y mettre la main ; mais aussi cette œuvre est tout à fait contraire à la manière d’agir de la créature, et rien n’est plus nécessaire à l’âme que de mourir à ses propres idées et manière de concevoir et de juger des choses, afin de se soumettre en foi et abandon à l’opération de cet Esprit de Jésus Christ, qui crée en elle la nouvelle créature.

Cette opération divine dans l’âme est semblable à ce qu’en dit notre Sauveur à Nicodème (Jean 3, v. 8) : Le vent (ou l’Esprit) souffle où il veut, et vous entendez le bruit qu’il fait, mais vous ne savez d’où il vient, ni où il va ; il en est de même de tout homme qui est né de l’Esprit. Il en est ainsi de l’opération de cet Esprit dans l’âme, pour l’ouvrage de la régénération que cet Esprit y opère, et dont notre Seigneur parle dans cet endroit ; l’âme entend bien le son de cette opération, elle en sent bien les effets, mais elle ne peut discerner d’où viennent ces opérations ni concevoir où elles aboutissent, comme elle pouvait le faire dans les choses où elle avait la plus grande part par son activité ; mais c’est que le grand Sacrificateur n’a ni Père ni Mère, la Parole Éternelle est de toute éternité et ne finira jamais, elle absorbe la créature, qui ne peut la comprendre, mais qui doit en être comprise ; elle ne sait ce que cette Parole opère, et ne doit pas l’examiner, mais se soumettre à son opération, en entier abandon et délaissement d’elle-même entre les mains de ce grand Sacrificateur Jésus Christ, qui opère une œuvre qui est proportionnée à lui-même, une œuvre éternelle ; c’est la recréation de la nouvelle créature en nous, la renaissance, par laquelle il nous reforme de nouveau à son image, œuvre si excellente et admirable, qu’il n’y a que lui seul qui puisse la faire ; il ne veut l’aide de personne, il l’opère par lui-même.

L’âme en laquelle il l’opère, non plus que nulle autre, ne peut rien aider ni contribuer, et ne ferait que retarder et gâter ce bel ouvrage de notre Sauveur qui repeint son Image dans l’âme. Tout ce que l’âme peut et doit faire est de demeurer en repos dans une passivité entière à son opération, comme la toile sur laquelle un très habile peintre voudrait peindre un excellent tableau doit demeurer immobile à souffrir les traits de pinceau qu’il y trace s’il ne doit pas être empêché en son ouvrage ; l’âme est cette toile et doit ainsi rester exposée à l’opération de Jésus Christ, qui est cet habile peintre ; celui qui veut aider dans cet ouvrage ne fait que le gâter et retarder. C’est en cette passivité que consiste la fidélité qui est requise de l’âme dans cet état.

 

v. 4. Considérez donc combien grand il devait être, puisque le Patriarche même Abraham lui donne la dîme de ses dépouilles.

v. 5. Aussi ceux qui, étant de la race de Lévi, entrent dans le Sacerdoce ont droit selon la Loi de prendre la dîme du peuple, c’est-à-dire de leurs frères qui sont sortis d’Abraham aussi bien qu’eux.

v. 6. Mais celui qui n’a point de place dans leur généalogie a pris la dîme d’Abraham et a béni celui à qui les promesses ont été faites.

 

Combien sont grandes les merveilles de la conduite de mon Dieu ! Que ses voies sont impénétrables et qu’il prend son plaisir d’agir par sa providence d’une toute autre manière que celle des hommes ! Voyez le Patriarche Abraham, quelles promesses de Dieu il a ; il est le Père des croyants, qui a abandonné sa maison, son pays pour suivre l’ordre de Dieu ; il va de foi en foi et il est bien à croire qu’il était l’homme le plus favorisé de Dieu de son temps d’une manière toute singulière ; il a un commerce familier et continuel avec Dieu, qui lui promet que de lui il ferait naître un grand peuple choisi et élu ; il pouvait bien croire, recevant tant des faveurs de Dieu immédiatement, qu’aucun homme sur la terre ne l’égalait en foi et en piété envers Dieu ; et cependant, dans le temps même qu’il vient de recevoir une preuve insigne de l’assistance de Dieu dans la victoire des Rois qu’il vient de remporter, voici un Roi, un Prophète, un Sacrificateur du Dieu vivant qu’Abraham adore, qui vient à sa rencontre, étranger de généalogie, qui n’est connu d’Abraham que par la manifestation intérieure que Dieu lui en donne, ce qui fait qu’il rend hommage à sa dignité et reconnaît son caractère auguste.

C’est ainsi que Dieu manifeste souvent à l’impourvu à ses serviteurs chéris d’autres âmes cachées au genre humain, qu’il tient dans le secret à son service, et qu’il fait être à la suite du grand Melchisédech Sacrificateur du Dieu vivant. Si Abraham n’avait pas été le plus humble de tous les hommes, il n’aurait pas été en état de recevoir le grand Melchisédech et de reconnaître son auguste caractère ; il ne se serait pas soumis à lui comme il fit, et ainsi il se serait privé de l’avantage inestimable de recevoir Jésus Christ dans son cœur, qui le change, recréant le nouvel homme en lui, le faisant puis après changer de nom, lorsque l’accueil que lui fit Melchisédech eut son effet à la naissance d’Isaac, figure du nouvel homme. C’est ainsi que l’humilité, la docilité, la petitesse est récompensée d’un surcroît de grâce à l’infini ; car d’Abram, qui signifie un Juif et l’état de l’âme sous la Loi, il reçoit le nom d’Abraham, Père des croyants, homme de foi ; car l’Esprit de Jésus Christ est l’Esprit de la foi, et ce n’est que par la foi que, s’abandonnant à lui en parfait abandon de soi-même, que l’on obtient la promesse, savoir la recréation et naissance du nouvel homme, qui est Christ en nous. Car cet Esprit de Jésus Christ est l’Esprit de la foi, qui opère en tous les vrais croyants, et cette foi qu’il opère en eux, cet entier abandon entre ses mains, fait qu’ils se soumettent et souffrent les opérations de cet Esprit Divin, sans laquelle foi et abandon à l’aveugle contre toutes leurs Idées et conceptions, ils ne le laisseraient jamais à ces opérations.

Voilà pourquoi les Pharisiens, qui se fixent en eux-mêmes, ne veulent laisser entrée en leur cœur qu’à cet Esprit de la Loi, veulent agir et opérer sans cesse à leur manière et selon leurs Idées ; leurs œuvres saintes et bonnes, dont ils se parent et s’enorgueillissent, sont mal disposés à recevoir Jésus Christ ; il leur demeure inconnu selon l’esprit, et ils ne parviennent jamais à la grâce de devenir de nouvelles créatures. Car Jésus Christ, se présentant à eux comme à un étranger inconnu sans apparence selon la vue de leur jugement propre et de leur raison, ils disent comme les Juifs : Celui-ci serait-il le Christ ? Quand le Christ viendra, nous saurons sa généalogie d’où il vient ; mais celui-ci, nul ne sait qui il est. (Jean 7, v. 27, 41.) Ainsi arrive-t-il à l’âme qui se fixe en elle-même à la venue du Sauveur dans son cœur, si elle en veut juger ainsi et non par le goût secret du cœur, par l’Esprit de la foi qui lui est communiqué dans son fond, mais qu’elle ne peut connaître par sa raison quoiqu’éclairée, étant tout un autre lieu où notre Dieu se manifeste et fait sa demeure dans l’âme.

 

v. 7. Or il est sans doute que celui qui reçoit la bénédiction est inférieur à celui qui l’a donnée.

 

La bénédiction est la communication des grâces, et c’est dans la réalité l’écoulement de l’Esprit de grâce de l’âme supérieure en état de grâce sur l’âme qui est dans un degré inférieur ; c’est ce que signifie ce que l’Apôtre dit ici, que celui qui reçoit la bénédiction est inférieur à celui qui la donne. Melchisédech était supérieur à Abraham en état de grâce, et est le canal dont Dieu se sert pour conduire Abraham dans un état plus avancé que celui où il était ; c’est par la bénédiction que Melchisédech lui donne qu’il lui communique et influe dans son âme la grâce de cet état dans lequel il est transmis ; la bénédiction qu’il lui donne au dehors par parole prononcée n’est que le signe de l’Esprit intérieur de la grâce qui pénètre son âme et la prend en possession ; c’est l’Esprit de Jésus Christ qui s’influe et s’empare de lui tout entier. C’est là la réalité de la bénédiction, tout de même que lorsqu’Élie fut enlevé de la terre, son Esprit fut communiqué à Élisée.

Quelles merveilles de grâce ne plaît-il pas à Dieu d’opérer ainsi dans les âmes simples et enfantines, pures et dégagées d’elles-mêmes ! Ce sont les œuvres cachées aux sens et inconnues aux hommes qui ne vivent que dans les sens et dans leur esprit propre, et qui sont d’autant plus admirables et merveilleuses pour l’accroissement spirituel de ces âmes simples, qui reçoivent ces communications toutes spirituelles, comme Abraham la reçoit ici avec une humilité sans égale, laquelle lui apporte aussi une élévation proportionnée à son abaissement, le rendant digne d’être fait le Père des croyants.

 

v. 8. Aussi, dans la loi, ceux qui reçoivent la dîme sont des hommes mortels ; mais celui qui la reçoit ici n’est représenté que comme vivant.

 

C’est-à-dire que les œuvres qui sont faites sous l’économie de la loi doivent mourir, être anéanties, de même que leur Origine ou l’Esprit qui les opère doit cesser, comme saint Jean Baptiste dit de Jésus Christ : Il faut qu’il croisse, mais que je sois amoindri (Jean 3). Je lui cède la place ; ainsi les œuvres ou l’économie de la loi, qui est aussi figurée par le Ministère de saint Jean Batiste, doit cesser dans l’âme, et ainsi est mortelle et passagère ; mais l’économie du fils de Dieu et ce qu’il opère et fait en l’âme est immortel, demeure éternellement ; car c’est la nouvelle créature, qui ne mourra jamais. Ainsi le grand Prêtre Melchisédech, qui représente Jésus Christ, est ici proposé comme vivant éternellement ; ce qu’il opère est semblable à son être, il est Sacrificateur éternel, et les œuvres qu’il opère sont aussi éternelles.

 

v. 9. Et de plus, Levi, qui reçoit la dîme des autres, l’a payée lui-même pour le dire ainsi en la personne d’Abraham.

v. 10. Puisqu’il était encore dans Abraham son aïeul lorsque Melchisédech vint au-devant de ce Patriarche.

 

La dîme est le signe, la marque et l’aveu de la dépendance sous laquelle on est de celui à qui on la paie, marque qu’on lui est sujet et qu’on dépend de lui comme de son Seigneur et souverain. C’est ainsi qu’Abraham, dans l’état de la Loi et comme aïeul de Levi, le chef de la sacrificature Lévitique, témoigne qu’il est moindre et se soumet à Melchisédech, qui est le chef et représente la sacrificature éternelle de Jésus Christ, auquel Abraham se soumet et témoigne qu’il est sous sa dépendance, de laquelle dépend et à laquelle est attachée l’avancement des âmes, à savoir qu’elles se soumettent à l’ordre Divin dans la subordination que Dieu établit par son Esprit et qu’il fait connaître aux âmes par la lumière intérieure du même Esprit, qu’il leur donne pour cela et dont elles ont la certitude ; leur avancement dépend de se soumettre à cet ordre et subordination Divine.

 

v. 11. Que si le Sacerdoce de Levi, sous lequel le peuple a reçu la Loi, avait pu rendre les hommes justes et parfaits, qu’était-il besoin qu’il se levât un autre Prêtre qui fût appelé Prêtre selon l’ordre de Melchisédech et non pas selon l’ordre d’Aaron ?

 

Il est donc clair par ce passage que les hommes sont rendus justes et parfaits par l’office de la Sacrificature de notre Seigneur Jésus Christ, et que c’est l’intention de Dieu de les rendre tels par la sacrificature qu’il établit, et qu’il a fait cesser la Lévitique pour établir celle de Jésus Christ, parce que la première ne pouvait pas opérer cette justice et cette perfection requise pour les hommes, ou plutôt dans les hommes, en faveur desquels elle s’exerce.

Mais quelle est donc cette perfection que Dieu requiert et quelle est cette justice ? C’est l’entière mort du vieil homme qui doit être sacrifié et éteint, sans que jamais il retourne en vie ; il doit rester mort éternellement ; c’est le sacrifice éternel que Jésus Christ seul peut faire, c’est la justice qu’il exerce dans l’âme Chrétienne, de déraciner le vieil homme jusqu’en sa racine et de l’exterminer entièrement ; et la perfection qu’il opère est pour le nouvel homme qu’il recrée en l’âme, lequel nouvel homme est créé selon Dieu en justice et vraie sainteté (Éphés. 4). Celui-là est parfait ; car celui qui est né de Dieu ne pèche point (1 Jean 3), il ne peut pécher parce qu’il est né de Dieu ; ses inclinations sont toutes Divines et célestes. Ainsi tout comme il est impossible au vieil homme de ne pas pécher, parce que c’est l’homme de péché, dont le Père est le diable, comme dit Jésus Christ aux Pharisiens (Jean 8, v. 44), ainsi aussi est-il impossible au nouvel homme, qui est né de Dieu, de pécher ; cela est contraire à sa nature. Les disputes sur la perfection ne viennent que de ce que l’on ne s’entend pas et que l’on ne discerne pas le vieil homme du nouveau.

La sacrificature Lévitique ne peut donc rendre les hommes justes et parfaits ; il est impossible que le vieil homme soit déraciné et exterminé, qu’il meure par les pratiques et opérations de l’Esprit de la Loi, quelque bien inventées qu’elles soient, et quelque souvent réitérés que soient les sacrifices qui y sont faits ; ils tiennent bien en bride le vieil homme et font qu’il paraît bien réglé, vertueux et sage au dehors ; mais la vie du vieil homme reste au fond du Cœur et se produit toujours de nouveau au dehors dans son temps ; elle n’en peut être arrachée que par celui qui s’est réservé le droit d’entrer au lieu très saint, qui est le centre de l’âme, d’où il chasse et pousse au dehors cet homme de péché, change l’homme en une autre nature.

Mais de ce que l’on dispute tant de la perfection aussi bien que de la régénération, c’est parce que rien ne peut donner d’idée claire de ces choses que l’expérience. Celui qui n’a pas laissé opérer ces œuvres de Dieu en soi ne peut guère les comprendre, et comme il y a peu d’hommes qui aient cette expérience, il y en a peu qui le comprennent ; ce sont les secrets du Royaume des Cieux. Tout ce que l’on connaît de plus parfait est l’économie de la Loi, par laquelle on ne peut arriver à la perfection ; elle pousse bien à étouffer les mouvements qui incitent au péché, lesquels s’élèvent du fond corrompu qui est en nous ; elles les réprime ; cet Esprit de la Loi incite bien aux bonnes œuvres, à la repentance des fautes et péchés commis, comme autant de sacrifices réitérés chaque jour que l’on fait avec fruit et utilité ; mais il ne peut affranchir l’âme de la source du péché ; Jésus Christ seul peut le faire, en faisant l’arbre bon, et alors son fruit est bon. C’est là l’ouvrage de la Rédemption qu’il nous a acquise par sa mort et qu’il opère en chaque âme qui s’abandonne à lui.

 

v. 12. Car le Sacerdoce étant changé, il faut nécessairement que la Loi soit aussi changée.

 

C’est ce qu’expérimente l’âme, en laquelle ces deux économies sont exercées ; que la Loi aussi bien que le Sacerdoce sont changés, qu’elle est obligée de se comporter sous la dernière économie de Jésus Christ tout autrement qu’elle ne faisait sous celle de la Loi ; cela vient de ce que celui qui est le conducteur et le sacrificateur, le Prêtre dans l’âme, est un autre, et ainsi il a aussi une autre Loi, à laquelle il faut que l’âme se conforme. Ce changement d’état et la différente manière d’agir, à laquelle l’âme est poussée par son conducteur ou Prêtre qui est en elle et l’enseigne dans son intérieur est figurée à l’extérieur par l’économie de la Loi Judaïque et celle de l’Évangile dans les deux Églises extérieures ; mais la réalité de ce que ces deux Églises représentent au dehors s’accomplit seulement en chaque âme qui se convertit à Dieu et qui laisse plein pouvoir à son Esprit Saint d’agir en elle.

Ces deux lois sont donc différentes et les sacrifices qui s’y pratiquent sont différents. Dans la première la créature opère, et sa perfection consiste dans celle de ses œuvres ; elle s’exerce encore à combattre le vice qui l’attaque (et dont elle a encore l’habitude en elle) avec force et vigueur ; elle pratique avec la même vigueur toutes sortes de vertus, selon qu’elle y est poussée intérieurement par l’Esprit de la Loi qui est en elle ; c’est à cette activité qu’elle emploie la force ; et l’assiduité et la vigilance à remplir ses devoirs dans cet état fait sa perfection ; elle se sauve, pour ainsi dire, par ses œuvres, étant puissamment assistée de la grâce. Mais dans le second état, son conducteur Jésus Christ la dénude de ses forces propres pour le combat, la met dans l’impuissance de pratiquer ce qu’elle avait fait avec tant de Zèle et d’ardeur ; ce qu’il demande d’elle est qu’elle reste tranquille et se laisse préparer et conduire à son gré, sans se mêler de son œuvre. Elle expérimente alors, l’Esprit de la foi en Christ lui étant donné, qu’elle est sauvée par grâce, par la foi, et cela non point d’elle, c’est le don de Dieu, non point par les œuvres, afin que nul ne se glorifie (Éphés. 2, v. 8) ; car elle se sent dépouillée au nu de toute la propre justice qu’elle avait amassée en secret dans le premier état sous la Loi, et est obligée de s’abandonner à discrétion à son Dieu, convaincue de son impuissance à tout bien, comme un pécheur ; elle attend ce qu’il plaira au sauveur de disposer de son sort.

 

v. 13. Or celui dont ces choses ont été prédites est d’une autre Tribu, dont nul n’a jamais servi à l’autel.

v. 14. Puisqu’il est certain que notre Seigneur est sorti de Juda, qui est une Tribu à laquelle Moïse n’a jamais attribué le Sacerdoce.

 

Cela ne pouvait être autrement, puisque la figure devait avoir rapport à la vérité des choses qu’elle représente. Lévi représente la Loi dans son économie, sous laquelle toutes les autres tribus, qui représentent le commun des hommes en général, doivent être soumises. Ce qui marque comment les hommes en général doivent être gardés et tenus en bride par l’Esprit de la Loi lorsqu’ils sont moralement bien réglés.

Cet Esprit de la Loi à l’extérieur à présent est celui qui gouverne dans toutes les religions différentes, par lesquelles ordres et cérémonies extérieures les hommes naturels sont entretenus en quelque vénération envers Dieu et les choses Divines ; mais comme l’économie de notre Seigneur passe plus avant et pénètre de l’extérieur des sens jusqu’au cœur pour le purifier et le changer entièrement dans un être nouveau, il fallait que l’Auteur de cette nouvelle Loi toute spirituelle naquît selon la chair non de la tribu des Prêtres, mais d’une tribu mondaine où il n’y avait rien de spirituel selon l’apparence ou l’extérieur, n’étant point employée au service de l’autel matériel, mais du commun des hommes.

Voilà pourquoi les Pharisiens se scandalisaient de ce qu’il mangeait avec les péagers et les pécheurs, qui le reçoivent et reconnaissent plutôt que les spirituels d’entre les Juifs. Cela marque aussi la manière dont l’Esprit de Jésus Christ opère dans l’âme où il se fait entrée ; il abat la justice Pharisaïque que cette âme avait établie et la réduit à l’état d’un péager et d’un pécheur, tant il lui fait sentir le fond de sa corruption. Et c’est à une telle âme humiliée par ce sentiment si vif qui la pénètre tout autrement qu’elle n’en avait été de la vue de ses péchés dans sa première conversion, c’est à une telle âme, dis-je, que le Sauveur se manifeste, comme il le dit : Je ne suis point venu pour sauver les justes, mais les pécheurs ; il agit encore tout de même dans les cœurs par son Esprit, comme il a fait extérieurement dans sa vie mortelle.

 

v. 15. Et ceci paraît encore plus clairement en ce qu’il se lève un autre Prêtre selon l’ordre de Melchisédech.

 

Il se lève et naît de la tribu de Juda ; c’est la tribu Royale, parce qu’il est Roi, oui le Roi des Rois. Il est aussi Roi dans l’âme où il se fait entrée ; car il la domine et extermine tout ce qui ne veut pas se soumettre à lui dans cette âme. C’est pour cela qu’il fallait que celui qui était son véritable type fût aussi Roi, comme l’est ici Melchisédech. Les Prêtres de la race de Lévi étaient bien Sacrificateurs, mais ils n’étaient et ne pouvaient être Rois ; aucun d’eux ne l’a jamais été ; ce qui marque aussi que cette Sacrificature ne pouvait jamais obtenir la Royauté ou la domination dans l’âme, ne pouvant se soumettre et exterminer tous ses ennemis ; ce qui était impossible à la Loi, Dieu a envoyé son fils qui exerce sa Royauté, mettant ses ennemis sous ses pieds.

L’âme ne peut, quelque longtemps qu’elle reste sous l’économie de la Loi, faisant tous ses efforts pour surmonter le péché en elle, en devenir la maîtresse ; quelques pratiques qu’elle invente, quelque austérité qu’elle observe, avec tout cela elle ne peut déraciner le péché de son cœur ; elle sent et expérimente cela très bien ; c’est que l’Esprit de la Loi n’a point la Royauté. Il n’y a que l’Esprit de Jésus Christ dans l’âme qui l’affranchisse de la domination du péché ; c’est parce qu’il est seul Roi et a le pouvoir de le faire.

 

v. 16. Qui n’est point établi par la Loi d’une Succession charnelle et mortelle, mais par la puissance de sa vie immortelle.

 

Ô si les hommes de bonne volonté voulaient comprendre ceci et, dès qu’ils commencent à sentir l’insuffisance de leur travail, que leurs opérations ne sont que charnelles et mortelles, pleines d’impuretés, n’atteignant point au fond corrompu qui est en eux, que tous leurs efforts ne peuvent rien produire, que de nettoyer le dehors de la coupe et du plat ; s’ils voulaient se rendre justice à eux-mêmes et ne pas s’opiniâtrer à établir une justice que Dieu prend plaisir de confondre et de renverser, quelque peine qu’ils se donnent pour la soutenir, en la couvrant de si belles apparences, en lui donnant le nom de loi Évangélique de pratiques Chrétiennes, de foi et de charité ; s’ils voulaient, dis-je, s’exposer sincèrement et en simplicité devant Dieu, il leur découvrirait bientôt la marque dont ils couvrent leur vieil homme, et les convaincrait qu’avec toute leur manœuvre ils ne font rien que l’orner et le parer ; pour lui conserver la vie, ils tâchent de le faire passer pour le nouvel homme, en l’embellissant et le fardant ainsi ; car c’est en vérité tout ce que font ceux qui prétendent, par leurs beaux ordres, règlements pratiques, sociétés pieuses cimentées au dehors, parvenir à la régénération ; ils verront clairement un jour leur tromperie, et comment ils ont trompé ceux auxquels ils l’ont fait croire.

L’expérience devrait assez en convaincre, puisque de s’arrêter dans ces choses et d’y employer toutes ses forces et son Zèle ne produit que dissension, ne fait qu’augmenter la discorde, la confusion et le scandale, chasse et éteint l’esprit de charité et d’union entre ceux de divers partis qui se forment de gens de bonne volonté, qui cherchent et veulent se distinguer par la piété ; qui ont horreur de la corruption générale qui règne dans le monde et veulent s’en séparer au dehors ; qui le font et établissent des confréries, se font des Lois et des pratiques singulières, croyant par là devenir saints et parfaits. Mais ils expérimentent le contraire, et l’Esprit de Jésus Christ leur demeure étranger, quoiqu’ils se vantent de le posséder.

Cet Esprit apporte dans l’âme où il règne la paix, l’union, la concorde ; il fuit les disputes et les dissensions, est tranquille et doit se caractériser par une conduite simple, humble, paisible ; au lieu que les vices opposés se manifestent suffisamment, se couvrant du masque de la spiritualité et du Zèle de la gloire de Dieu dans ceux qui font profession de s’attacher à ces choses inventées par l’esprit humain. Dieu découvrira aux âmes simples et désireuses de l’aimer purement la tromperie et apprendra aux âmes enfantines de s’attacher à leur bon berger, seul Maître et Docteur, à leur Sauveur charitable, qui leur donnera la vraie et solide nourriture pour leurs âmes, les nourrissant de sa chair et de son sang, qui sera le vrai poison pour le vieil homme et qui formera en eux le nouveau.

Il est temps, chères âmes qui cherchez Dieu, de ne plus s’amuser à le chercher dans ces pratiques de néant, à ne plus s’y amuser, mais à le chercher en vous-mêmes. La disposition qu’il requiert de nous est un entier abandon entre ses mains, que vous vous donniez à lui sans nulle réserve avec tout ce que vous possédez, que vous espériez en lui seul, en son secours, que vous persévériez, en toutes les épreuves extérieures et intérieures, à mettre cette confiance en lui seul, n’attendant rien que de lui ; il vous fera éprouver son secours ; car le temps est prêt que le Seigneur se lève pour assister les oppressés, pour rendre la vie à ceux qui depuis longtemps gisent dans l’ombre de la mort, ne sachant où ils en sont, désespérant à tout secours. Il vient par son Esprit, ce grand Melchisédech, comme Roi, vous délivrer de la captivité sous laquelle vous gémissez depuis longtemps, attendant le secours et n’en ayant trouvé nulle part auprès d’aucun de ceux qui disent : Venez à nous, nous sommes ceux où vous trouverez le salut et la délivrance.

C’est l’Esprit de votre Sauveur qui veut vous délivrer ; il vous ouvrira les yeux, se manifestera dans votre intérieur où il fait sa demeure ; il vous donnera l’intelligence et la connaissance de ses voies, vous apprendra à vous laisser préparer et délivrer par lui-même par la force de son bras ; il vous manifestera la rédemption éternelle qu’il vous a acquise et dont il veut vous rendre participants ; il vous découvrira les mystères des opérations de son Esprit dans les cœurs simples et enfantins, qui sont les dispositions qu’il demande de vous afin de pouvoir entrer dans vos cœurs et y faire son œuvre sous l’apparence d’un enfant faible ; car c’est ainsi qu’il veut se manifester à présent et établir son Règne ; sa faiblesse apparente veut surmonter toutes les forces qui paraissent invincibles, les principautés et puissances du Prince de ce monde, de la raison, où il exerce son empire avec arrogance et moquerie, de même que le Géant Goliath se moquait du petit berger David ; mais il aura le même sort ; votre Divin petit berger Jésus Christ l’abattra en tous ceux qui veulent bien lui devenir semblables ; ce petit et aimable berger ne veut que des cœurs simples, semblables à lui ; il les fait être ses compagnons.

Renonçons donc à toute force propre par laquelle nous voulons nous aider nous-mêmes ; mettons-nous à la suite de ce divin enfant, et nous éprouverons que sous l’apparence de la faiblesse et l’impuissance même, de la plus grande simplicité et nudité, est cachée la puissance, la sagesse, et la force d’un Dieu puissant pour nous délivrer de toutes nos frayeurs ; oui, qu’il terrasse tous nos ennemis, n’en laissant qu’il ne le soit soumis ; à lui seul soit la gloire et l’honneur !

Tout ce qu’il désire à présent, c’est de nous convaincre de notre impuissance, nous engager à nous abandonner à ce divin Enfant, et il nous fera expérimenter les merveilles de sa rédemption, pourvu que nous nous laissions à sa discrétion. Cœurs enfantins, vous faites toute la complaisance de mon Dieu, qui à présent prend son plaisir à se manifester comme un Enfant ; il aime la petitesse, il caresse les petits, il les délivre de tous leurs ennuis ; il ne demande que la confiance, de la candeur, de l’innocence, de la simplicité ; en lui vous trouverez tout rassemblé en unité, tous vos besoins, tout ce qu’il faut vous sera communiqué par lui ; vous mettant simplement à ses pieds comme de petits enfants, vous expérimenterez des merveilles de son amour, de son secours, mille fois plus qu’on ne saurait vous dire ; il suffit, croyez seulement qu’il ne vous laissera manquer de rien, il vous donnera tout si vous restez dans votre rien, vides d’images et de toute prétention ; son onction pénétrera vos cœurs, vous sentirez l’effet des ardeurs de l’amour de son feu divin ; croyez seulement, attendez son secours avec patience et persévérance sans vous lasser ; il viendra en son temps vous visiter ; demeurez seulement sacrifiés à lui de volonté sincère ; tout le reste est son affaire ; il l’opérera et vous changera en des cœurs nouveaux à votre ins ; vous l’éprouverez avec étonnement, il mettra fin à tout mécontentement ; espérez donc en lui, que cela seul soit votre appui.

 

v. 17. Ainsi que l’Écriture le déclare par ces mots : Vous êtes le Prêtre Éternel, selon l’ordre de Melchisédech.

v. 18. Car la première Loi est abolie, comme impuissante et inutile.

 

C’est bien à présent que cette première Loi est abolie, puisqu’on voit avec étonnement que des âmes simples et enfantines que Dieu touche et attire à lui par l’opération de son Esprit intérieur deviennent aussitôt, de gens mondains et vains qu’ils étaient, de vrais enfants selon l’Esprit ; étant attirés à une simplicité merveilleuse, ils sont inclinés par l’attrait qui est en eux à s’abandonner à Dieu dans une simplicité admirable ; ils n’ont ni force ni inclination pour embrasser la vie austère, les pratiques de pénitence qui sont l’exercice ordinaire des âmes qui se convertissent à Dieu en abandonnant la Vie mondaine et vicieuse, auxquelles pratiques sévères elles sont attirées par l’Esprit de la Loi qui s’empare de leur cœur.

C’est à quoi ces âmes, attirées à présent dès le commencement à cet abandon simple et enfantin entre les mains de Dieu, n’ont point d’attrait ; une confiance enfantine et un amour pur envers Dieu est ce à quoi elles sont attirées ; elles n’ont point de force pour travailler avec vigueur dans les exercices de la vie active ; Dieu opère en elles d’abord et les incline à une attention intérieure, à souffrir ses opérations ; le silence, la retraite est où va leur inclination, la simplicité est de leur goût, surtout pour l’intérieur ; elles ne peuvent se multiplier dans l’oraison, étant attirées à celle du silence, ou à quelques paroles enfantines qu’elles disent à Dieu sans recherche, comme elles leur viennent selon leur disposition.

Ainsi elles ne se peuvent ajuster à l’Esprit de la Loi ; et il paraît que dès le commencement de leur conversion Dieu leur donne l’attrait du centre, où l’Esprit de Jésus Christ règne et incline l’âme qu’il a prise en sa possession. Elles sont inclinées à se laisser conduire par la providence, aussi bien pour l’extérieur que pour l’intérieur, prenant d’elle les évènements qui leur arrivent, et de ne point se mettre par propre choix et bon sembler sous apparence d’avancement spirituel dans un autre état que celui où elles se trouvent dans la conviction où Dieu les met que, comme des petits enfants, elles ne savent ni connaissent ce qui est bon ou ne l’est pas pour elles. Cette conduite enfantine et cet attrait enfantin que Dieu leur donne marque assez que la première Loi est abolie, qu’elle devient impuissante et inutile, que Dieu abrège les jours pour les siens et qu’il veut les conduire par un chemin plus court qu’il n’a fait encore jusqu’ici, parce que le temps est sur la fin.

L’on voit ces choses avec admiration et on bénit et loue le Seigneur qui parle au cœur et apprend à ses enfants à entendre sa voix, inclinant leur volonté à la suivre. À présent son Esprit sera manifesté aux siens, ses opérations seront reconnues, et il ne sera plus étranger comme il a été, étant banni de parmi les humains ; ce fera la nouvelle Loi écrite dans le cœur qui prendra à présent le Règne, parce que la première est impuissante et inutile. Ô Seigneur, mon cœur se réjouit de ce que ton Esprit veut se répandre sur la terre, en bannir le mensonge, faire revivre et fleurir la vérité, et mettre fin à l’injustice et à l’iniquité. Voici le temps qui vient, Divin Enfant, que tu veux régner dans les tiens, dans tes petits ; tu les veux préparer toi-même et te faire des cœurs enfantins qui ne connaissent plus de voies ni de voix que la tienne, se laissant mouvoir et conduire par ton Esprit divin, qui les préserve de tout mal et les pousse à tout bien. Règne donc seul en eux, ô Saint Amour Divin, éternellement et sans fin. Divin Enfant, c’en est le temps, tu nous le fais expérimenter entre nous, que tu prends le domaine et que nul ne peut gouverner ni disposer de rien, que tout est soumis à ton pouvoir bénin que tu nous fais sentir par ta bonté ; prends-nous de plus en plus, rends-nous tes esclaves de franche volonté, et ne nous laisse rien qui ne soit parfaitement soumis à tes vouloirs divins.

 

v. 19. Parce que la Loi ne conduit personne à une parfaite justice ; mais une meilleure espérance, par laquelle nous nous approchons de Dieu, a été substituée en sa place.

 

Cessez donc, vous qui vous épuisés dans la multitude de vos voies, n’en disant jamais : Tenons-nous en repos, et voyez que votre travail est en vain, et reconnaissez l’esprit d’erreur qui vous pousse et n’a de but, en toute la multiplicité dans laquelle il vous entretient, que de vous tenir toujours sous le joug de la Loi, qui n’emmènera aucun de vous à la parfaite justice, vous entretiendra toujours dans la propriété et par conséquent dans l’impureté, où vous restez fixés sans en jamais être affranchis ; car il n’y a que le fils de Dieu qui puisse nous en affranchir. Mais hélas ! c’est inutilement, tant de paroles adressées à des gens qui sont et qui veulent rester dans leur aveuglement, et qui malheureusement croient être bien clairvoyants ; laissons-les au Seigneur, qui saura bien les en désabuser et leur découvrir leur orgueil, leur propriété, quand il en sera temps ; demeurons dans la compagnie des enfants simples et petits qui ne désirent rien que d’être rien, afin que le divin Enfant Jésus règne en eux tout en souverain et se fasse obéir sans résistance ; c’est là où tendent tous leurs soupirs, c’est là où se bornent tous leurs désirs.

C’est à ceux-là qu’il faut parler et à eux seulement que nous voulons nous arrêter ; c’est là leur espérance, qui est uniquement en Dieu, en leur Sauveur, ne trouvant rien en eux, ni force ni vertu, ni sagesse, ni subsistance ; ils espèrent en Dieu et s’approchent de lui en bons enfants pauvres et petits ; et cette confiance, confidence et familiarité leur vaut mieux que toute la force, la prudence, la sagesse, la sainteté des âmes propriétaires, qui avec toute leur grandeur demeurent loin de notre petit Seigneur, notre Divin Enfant, qui, avec la simplicité dont il caractérise les petits de son Royaume, sont enlevés en peu de temps de la terre dans les Cieux, arrachés d’eux-mêmes, ravis en Dieu, et cachés dans ce lieu contre toutes les atteintes du serpent ancien, qui n’a aucun pouvoir de leur nuire. C’est là l’avantage qu’ont les enfants de ces temps.

 

v. 20. De plus ce Sacerdoce n’a pas été établi sans serment.

v. 21. Car au lieu que les autres prêtres ont été établis sans serment, celui-ci l’a été avec serment, Dieu lui ayant dit (dans le Psaume) : Le Seigneur a juré et ne s’en repentira point (ou bien : et son ferment demeurera immuable) que tu seras prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech.

v. 22. Tant il est vrai que l’alliance dont Jésus est le Médiateur est plus parfaite que la première.

 

La première alliance sous la Loi était établie sans serment, ce qui marque qu’elle devait prendre fin et n’avait point d’immutabilité ; car le serment marque la fermeté inébranlable d’une chose ; cela est le signe de l’immobilité de l’état. Comme notre Seigneur est donc Sacrificateur éternel, l’état de rédemption et de la régénération qu’il opère dans l’âme est aussi immuable et ne changera jamais ; il est ferme, de même que celui qui l’a établi demeure immuable éternellement, étant établi pour Sacrificateur Éternel par serment, au lieu que l’âme dans l’état de la Loi peut fort bien déchoir, et cela arrive très souvent.

C’est que l’âme n’est pas encore liée à Dieu et dévouée à lui par serment, elle ne lui est pas encore acquise en propre, laquelle acquisition de l’âme en faveur de Dieu est marquée par le serment, qui est dans sa réalité l’abandon ou le renoncement entier de nous-mêmes et de tout ce que nous possédons à Dieu ; c’est ce renoncement et cet abandon qui nous met à l’abri de déchoir ; car aussi longtemps que nous ne nous possédons point nous-mêmes, mais que c’est Dieu qui nous possède, nous ne pouvons déchoir ; ainsi c’est en restant dans cet abandon à Dieu que nous sommes liés à lui par serment. Pour le rompre, il faut se reprendre soi-même, par où l’on sort du renoncement qu’on a fait de soi en faveur de Dieu, et c’est ce qui fait la chute. Parce que dans l’état sous la Loi, l’âme est encore en possession d’elle-même, elle agit et opère par elle-même ; elle a sa vie et sa mort en sa disposition, ainsi elle est en grand danger de déchoir et déchoit aussi souvent de cet état.

 

v. 23. Aussi il y a eu autrefois successivement plusieurs Prêtres, parce que la mort les empêchait de durer.

v. 24. Mais comme celui-ci demeure et éternellement, il possède un Sacerdoce qui est éternel.

v. 25. C’est pourquoi il peut toujours sauver ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise, étant toujours vivant pour intercéder pour eux.

 

Ceci confirme tout ce qui a été avancé et montre comment nous ne devons que pour un temps rester sous l’économie de la loi si nous ne résistons pas à l’opération de l’Esprit de Dieu et lui laissons plein pouvoir d’opérer en nous son œuvre, de nous conduire et acheminer d’un état moindre à un état plus avancé ; car il ne repose point, et cet Esprit Saint, cet Esprit universel de l’Église est toujours empressé pour conduire l’âme qui est humble et flexible toujours plus outre, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée dans la réunion de son Origine qui est Dieu. Ainsi, si nous ne nous fixons et ne nous arrêtons pas dans l’état de la Loi par notre propriété, ne voulant pas abandonner notre propre conduite conforme à nos Idées et conceptions, l’Esprit de Dieu ne nous y laissera pas longtemps reposer, mais nous conduira plus outre ; l’Esprit de la Loi cédera bientôt la place à celui de Jésus Christ, par lequel nous arrivons au salut éternel.

C’est lui qui nous conduit à Dieu ; il est le moyen qui nous est donné pour pouvoir approcher de Dieu ; c’est par son entremise, et c’est lui seul qui nous y conduit, en ôtant les empêchements qui nous le rendent inaccessible : c’est notre propriété et nos souillures ; si nous nous abandonnons à Jésus Christ et laissons pleine liberté à son Esprit d’agir en nous, il nous en purifiera et nettoiera, et ne cessera d’agir sur notre âme d’une manière purifiante, jusqu’à ce que toute l’impureté, le venin du péché, soit consumée. La prière ou l’intercession de Jésus Christ par laquelle il nous réconcilie à Dieu est donc cette purification qu’il opère ; car c’est dans l’accomplissement de cette purification que s’accomplit aussi notre parfaite réconciliation, qui n’est autre chose que notre parfaite réunion à Dieu. Mais Jésus Christ est aussi toujours vivant pour opérer par son intercession que toute âme pécheresse qui accepte la repentance est reçue en grâce ; c’est par son intercession que la grâce est acquise à tous les hommes de pouvoir se repentir en acceptant la grâce qui leur est présentée pour cela.

Il y a encore un mystère dans ces paroles que Jésus Christ est toujours vivant pour intercéder pour ceux qui s’approchent de Dieu par lui ; ce Mystère ne peut être compris non plus que par l’expérience ; la mort empêchait de durer les Sacrificateurs de la Loi, mais celui-ci, notre Seigneur Jésus Christ, ne meurt point, mais demeure dans son office envers nous éternellement ; cela veut dire qu’il y a un temps où l’âme est sous l’économie de la Loi et, ce temps étant passé (ce qui est signifié par la mort du Sacrificateur), alors, si l’âme selon l’attrait intérieur qui lui est donné de s’abandonner à discrétion, en foi et confiance à Jésus Christ, en se quittant soi-même, si, dis-je, elle ne le fait pas, mais, écoutant ses réflexions, voulant juger de son état par la lumière de sa raison et ne pouvant le juger autrement que mauvais, puisqu’alors elle n’a que la foi et l’abandon à Dieu qui puisse la tranquilliser et lui donner la paix dans son fond, ce qui est à quoi elle doit se tenir, mais si ne voulant pas s’en contenter, et regardant cette paix comme suspecte, elle ne veut pas quitter la manière de sa première conduite ou bien se la laisser arracher, alors, résistant et se roidissant contre l’opération de l’Esprit de Jésus Christ en elle sous bon prétexte, elle entre en sa propre conduite de s’affermir dans sa propriété, dans laquelle elle tâche de se tranquilliser par son activité qu’elle emploie de son mieux dans des choses qui ont une bonne et vertueuse apparence.

Si néanmoins elle ne trouve point de repos et de vrai contentement dans ces choses, auxquelles sa propriété s’est accrochée pour éviter la mort qu’elle craint, l’âme rentre en elle-même et se laisse enseigner par l’Esprit de Jésus Christ opérant en elle, il l’acheminera toujours de nouveau à entrer dans l’abandon d’elle-même, à lui laisser le pouvoir de la dépouiller de ses biens qu’elle veut conserver en propriété, il l’invitera à entrer dans la foi, obscure pour sa raison, et dans le chemin de laquelle où cette foi obscure conduit l’âme la raison ne comprend rien ; c’est toujours là la voie où l’Esprit de Jésus Christ travaille d’engager l’âme, sitôt qu’elle veut bien entrer sous sa conduite.

C’est la perpétuité de sa Sacrificature qui est toujours uniforme et la même, et qui se trouve toujours être la même lorsque l’âme veut s’ajuster à l’opération de cet Esprit de Jésus Christ qui vit toujours et veut la faire approcher de Dieu, la conduire à la réunion divine par lui. L’âme ne peut trouver de véritable paix intérieure qu’en lui cédant et se résolvant de souffrir qu’il exerce l’office de sa Sacrificature en elle, qui consiste à crucifier et exterminer le vieil homme, sacrifiant et brûlant par son opération ce vieil homme peu à peu dans toutes ses parties.

La première économie est finie pour cette âme ; si elle veut s’y entretenir ou y retourner de nouveau, elle trouve bien que le Sacrificateur est mort ; elle ne trouve plus le goût, la vie et l’utilité qu’elle sentait avoir dans ses pratiques actives lorsqu’elle était en cet état dans l’ordre divin ; tout cela lui devient insipide, il est usé ; c’est que l’ange qui la poussait par l’ordre divin à ces choses s’est retiré, lequel est figuré par le Sacrificateur qui est mort ; il ne fait plus sentir la vie de son opération dans la conscience de l’âme.

 

v. 26. Car il était bien raisonnable que nous eussions un Pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs et élevé au-dessus du ciel.

v. 27. Qui n’eut pas besoin, comme les autres Pontifes, d’offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses propres péchés et ensuite pour ceux du peuple, l’ayant fait une fois en s’offrant lui-même.

 

Ainsi notre Seigneur Jésus Christ a par le sacrifice de son corps et de son sang, qu’il a fait une fois, il a, dis-je, pour toujours fait être ce corps et ce sang sacré la teinture qui est suffisante pour sanctifier et purifier toutes les âmes qui veulent bien en recevoir l’application qu’il est toujours prêt de leur en faire ; et quiconque veut recevoir cette teinture précieuse et la laisser opérer en son âme a le remède unique et seul suffisant pour opérer la régénération de l’âme, l’entier lavement et purification de toutes ses souillures ; quiconque se met ainsi dans la cure que le Sauveur veut lui faire, comme le Médecin charitable, n’a pas besoin de chercher d’autre remède pour guérir de ses maux ; s’il le veut faire, il expérimentera qu’ils sont insuffisants et nuisibles, empêchent que ce remède universel ici n’ait son effet.

Une telle âme n’a pas besoin d’autres Sacrificateurs ni d’autres Sacrifices que ceux que notre Souverain Sacrificateur fait en elle, et elle n’a qu’à rester abandonnée à son opération ; elle éprouve qu’il fait, agit et opère tout ce qui est nécessaire pour l’accomplissement de son œuvre ; il la pousse et l’incline aussi lui-même à tout ce qu’il faut afin qu’elle évite et agisse conformément à ce qui est nécessaire pour que son œuvre qu’il opère en elle ne soit point retardée, mais ait son cours selon son dessein.

Ce grand Sacrificateur et adorable Sauveur est saint, innocent, sans tache, et séparé des pécheurs ; et cependant quelle merveille d’amour et de compassion envers nous il ne dédaigne pas d’entrer en nous, pécheurs, impurs et gâtés que nous sommes depuis les pieds jusqu’à la tête, au dedans et au dehors, couverts d’ulcères, en telle sorte qu’il n’y a rien de pur ni de sain en nous ; c’est ce qui surpasse toute compréhension, que la sainteté et la pureté même veuille bien venir entrer chez et dans les pécheurs pour être leur médecine et les nettoyer de leurs souillures et maladies, tout comme une médecine que l’on prend, laquelle se répand dans notre estomac, et de là pénètre dans notre sang et dans toutes les parties de notre corps pour le purifier et les guérir, en chasser le venin qui cause notre maladie ; car c’est ainsi que le sang de Jésus Christ pénètre et s’influe dans toute notre âme, pour la purifier et la guérir du venin du péché. Mais pour ce qui est de la manière dont cette guérison et opération du sang de Jésus Christ dans nos âmes s’opère, quelle merveille de charité et d’abaissement cet adorable Sauveur et Médecin charitable fait sentir à l’âme dans laquelle il opère ainsi ; c’est ce qui ne se peut exprimer que peu et que l’expérience seule peut apprendre ; car en vérité c’est un abîme de charité où l’on se perd en admiration et étonnement, et l’on ne pourrait jamais s’imaginer jusqu’à quel point notre adorable Sauveur s’abaisse pour chercher l’âme pécheresse, et après qu’elle s’est laissé trouver à lui et lui laisse opérer en elle, comment il ne dédaigne pas d’entrer en elle, de panser ses plaies, nettoyer ses ordures.

Mais, ô mon Dieu, il faut se taire ; car en vérité l’homme le moins dégoûté tomberait malade de répugnance et d’horreur pour la puanteur des plaies que tu ne dédaignas pas de penser ni de guérir avec tant de soin, de charité et de patience. En vérité, mon très adorable Sauveur ! il n’y a point d’hôpital où l’on pense les maladies les plus infâmes et les plus dégoûtantes qui approche de l’horreur et de l’infection que tu trouves à nettoyer et à guérir dans notre âme, dans laquelle il te plaît d’entrer.

Ce n’est pas une manière de parler que tu dis : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Je me tiens à la porte et frappe ; si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai en lui, etc., et tant d’autres passages qui expriment clairement comment notre adorable Sauveur veut venir faire sa demeure en l’âme qui le veut recevoir. Mais surtout pour ce qui regarde l’ouvrage de la purification de notre âme par la manducation de son corps sacré et de son sang, c’est ce qui est exprimé distinctement dans le même chapitre de l’Évangile de saint Jean. Quiconque l’expérimente le comprend ; mais à tous les autres qui ne se donnent pas à Jésus Christ par un vrai renoncement à eux-mêmes et à toutes choses, à ceux-là ces choses demeurent des mystères cachés ; quoiqu’ils en parlent et en fassent des longs discours, ils n’ont que l’écorce, l’apparence et l’ombre de ces choses, et demeurent vides de la réalité et vérité de ce que le Sauveur exprime par les paroles.

Il est donc saint et sans tache, séparé des pécheurs ; mais il les cherche et les sanctifie lorsqu’ils veulent bien lui donner entrée ; il est séparé du péché, mais il ne dédaigne point d’entrer dans le pécheur, lorsqu’il a la volonté d’abandonner le péché, pour l’en délivrer et l’en purifier. C’est là son œuvre, qu’il opère et opérera tant qu’il y aura des pécheurs qui se voudront soumettre à lui ; c’est la sacrificature continuelle qu’il exerce sans cesse par son Esprit ; heureux celui qui s’en rend participant et ne foule point aux pieds le corps et le sang du fils de Dieu, qui lui est offert pour viande et pour médecine de son âme. Ô mon Dieu, fais comprendre aux hommes endurcis et aveugles le précieux don que tu leur offres et le dommage infini qu’ils se font de négliger ainsi par une légèreté inconcevable le grand salut que tu leur offres en t’offrant toi-même à eux. Mais, que dis-je, ô mon Dieu, y en a-t-il un seul qui ne soit obligé de confesser et de rendre témoignage de l’amour et de la fidélité avec laquelle tu t’es offert à eux ? Heureux et mille fois heureux ceux qui, entendant ta voix bénigne qui les appelle, n’endurcissent point leurs cœurs !

Notre grand Sacrificateur Jésus Christ est élevé au-dessus des Cieux. C’est encore l’avantage qu’il a par-dessus les Sacrificateurs de la Loi. Cela signifie que ce qu’il opère, aussi bien que son Esprit lui-même, est élevé au-dessus de l’Esprit astral, laquelle région de l’Esprit astral et des astres ou planètes est ici nommé le Ciel, comme cela est ordinaire dans l’Écriture Sainte ; ainsi aussi les opérations de l’Esprit de Jésus Christ dans l’âme sont élevées au-dessus des opérations de l’esprit de la Loi ; car celles de l’Esprit de la Loi sont dans les sens internes et dans les puissances (qui sont les Cieux où l’Esprit astral a son opération), mais celles de l’Esprit de Jésus Christ sont dans le centre de l’âme, qui est tout une autre région, et plus élevée que les sens, dont il est entièrement séparé ; c’est la région de l’Esprit.

 

v. 28. Car la Loi établit pour Pontifes des hommes faibles, mais la parole de Dieu, confirmée par le serment qu’il a fait depuis la Loi, établit pour Pontife le Fils, qui est consacré pour toujours.

 

Ceux qui prêchent la parole de Dieu, les ministres qui sont fidèles et de vrais prédicateurs, ayant non seulement la vocation humaine qui les a établis dans cet emploi, mais qui sont aussi doués de la grâce intérieure pour cela, ceux-là sont néanmoins des Prêtres dont l’office et la parole est faible et produit peu de fruit à repentance et pour la conversion des hommes, ce que l’expérience montre assez pour l’ordinaire. Leur parole est faible en comparaison de la Parole Éternelle, le Verbe, lorsqu’elle parle, pénétrant l’âme, et effectuant dans l’âme ce qu’elle parle ; laquelle Parole demeure éternellement et se consacre l’âme dans laquelle elle parle pour toujours. Heureuse est l’âme qui entend cette voix du fils de Dieu ! qui l’écoute et s’y soumet de même que le grand Sacrificateur Dieu-homme est consacré pour tel dans cette âme pour toujours ; de même aussi l’âme favorisée de la grâce de loger en elle et d’être l’autel sur lequel il offre, lui est aussi consacrée pour toujours par serment réciproquement. Mon bien-aimé est à moi, dit cette âme amante, et je suis à mon bien-aimé. (Cant. 2, v. 16.)

 

 

 

 

CHAP. VIII.

 

 

v. 1. Tout ce que nous venons de dire se réduit à ceci : que le Pontife que nous avons est si grand qu’il est assis dans le ciel à la droite du Trône de la souveraine Majesté.

v. 2. Étant le ministre du Sanctuaire et de ce véritable Tabernacle que Dieu a dressé et non pas un homme.

 

CE Tabernacle est le Tabernacle de Dieu avec les hommes, dans lesquels il veut habiter ; c’est le centre de l’âme où il veut faire sa demeure, c’est là véritablement que Dieu l’a dressé, et non pas un homme ; car les hommes avec toute leur industrie et leur savoir ne peuvent atteindre ni connaître ce lieu très saint ; c’est là ce qui relève la puissance et la gloire de notre grand Sacrificateur, qui non seulement exerce son office auprès de Dieu, à sa droite, où il est assis, qui est l’honneur que son humanité a reçue et s’est acquise par l’ignominie et les souffrances dont il s’est chargé ici-bas ; il a reçu la plus grande gloire, la félicité et le repos ; mais aussi c’est là la gloire et la félicité et le repos dont il jouit dans le centre de l’âme qui est son Ciel et dont il rend l’âme participante avec lui, la faisant régner, asseoir sur son trône, la faisant jouir de la félicité et du repos dont il jouit aussi, par les souffrances, la mort, l’ignominie que l’âme a endurée dans le temps qu’elle a vécu dans le monde ou sur la terre.

Je veux dire que ceci s’opère dans l’âme dès cette vie et qu’elle est rendue participante de cette gloire, paix et félicité, dont elle jouit lorsqu’il a plu à ce grand Sacrificateur de la conduire à l’union Divine, après qu’elle a été sacrifiée, tuée, humiliée et anéantie entièrement à elle-même, par les épreuves et états de purification, par lesquels le grand Sacrificateur l’a fait passer dans le chemin par lequel il l’a menée, pour retourner à Dieu. C’est ce temps là où elle vivait encore en elle-même, dans ses sens et ses facultés, qui est la terre. À présent qu’elle est assez heureuse pour avoir été reçue en Dieu, ayant quitté ce séjour terrestre d’elle-même, elle jouit dans le ciel, où Jésus Christ l’a introduite, d’une paix et félicité inaltérable, commencée dans cette vie mortelle, et qui aura la perfection lorsque les biens de ce corps mortel seront rompus.

En vérité, quoique l’âme à qui Dieu a fait cette grâce ne soit pas exemptée des souffrances auxquelles on est sujet dans cette vie par rapport aux infirmités et accidents auxquels ce corps mortel est sujet, quoique Dieu même lui inflige de grandes souffrances qu’elle a à porter dans sa partie basse, cela n’empêche pas qu’elle ne jouisse en telle sorte de la paix, gloire et félicité, qui est très réelle dans l’union Divine où elle est et dont elle jouît dans son centre, que cette paix et félicité surpasse de beaucoup tout ce qu’on en pourrait dire. Car comment pourrait-on n’être pas heureux et content étant uni à Dieu dans la communion et commerce dont on jouit d’une manière permanente en esprit et en vérité et en réalité, au-dessus de tout ce que l’esprit humain peut atteindre et comprendre ?

J’entends par l’esprit humain la raison humaine et ce qu’elle peut comprendre. Non seulement l’âme que Dieu a conduite à son union permanente jouit d’une félicité incompréhensible dans sa grandeur, mais même l’âme qui est encore en chemin pour y parvenir, qui ne résiste pas à l’opération de l’Esprit de Jésus Christ en elle, mais se laisse conduire et préparer par ce Divin Esprit sans résistance, avec enfance et docilité, une telle âme qui se laisse ainsi en la main de Dieu jouit déjà d’une paix et d’un contentement solide, d’un repos qui surpasse tout ce que l’on en pourrait exprimer ; et quoiqu’elle passe par des états ténébreux et douloureux, ils ne durent pas toujours et sont accompagnés la plupart d’une paix et d’un repos profond qui est conservé dans l’âme dans presque toutes les épreuves qu’elle a à soutenir lorsqu’elle y est dans l’ordre Divin et dans la règle de la conduite de son Esprit.

 

v. 3. Car tout souverain Sacrificateur est établi pour offrir à Dieu des dons et des victimes ; c’est pourquoi il est nécessaire que celui-ci ait aussi quelque chose qu’il offre à Dieu.

 

Il exerce sans cesse et continuellement sa souveraine Sacrificature envers Dieu, en opérant toujours dans les âmes qui donnent entrée à son Esprit l’ouvrage de la rédemption et de la régénération ; il sacrifie ou fait mourir le vieil homme en eux ; il les purifie et les sanctifie. Cet Esprit de Jésus Christ qui est son Sang n’est ainsi jamais oisif, mais il exerce sans cesse son office. Ce sont là les Sacrifices qu’il présente et remet à Dieu son Père, après avoir parachevé son œuvre dans ces âmes qu’il a préparées ; les ayant rachetées, purifiées et sanctifiées, il les ramène à Dieu, dans lequel elles se perdent avec lui ; il accomplit à leur égard sa prière (Jean 17, 23) : Je suis en eux, et toi en moi, afin qu’ils soient consommés en l’unité. Toutes les âmes que Jésus Christ se prépare et les ramène à l’union divine sont donc les offrandes qu’il présente à Dieu.

 

v. 4. Que s’il n’avait dû être souverain Sacrificateur que sur la terre, il ne l’aurait point été du tout, y ayant déjà des Prêtres établis qui offrent des dons selon la Loi.

 

Ceci certifie le sens spirituel que l’on a avancé, savoir que la Sacrificature qui s’exerce sur la terre, savoir dans les sens et puissances de l’âme, n’est pas celle que notre Souverain Sacrificateur exerce, mais les Anges ordonnés à cela, qui ont le Ministère de l’état sous la Loi. Mais le grand Sacrificateur Jésus Christ exerce son office dans le Ciel de l’âme ou dans le Centre. C’est pour cela qu’il a bientôt quitté ce monde, et qu’il dit à ses Apôtres : Il est nécessaire que je m’en aille (que je vous quitte corporellement), car si je ne m’en vais (si vos sens ne perdent la vue et la jouissance de ma présence corporelle, laquelle représente la communication médiate que l’âme reçoit dans ses sens intérieurs par le ministère des Anges), le Saint Esprit ne viendra point ; mais si je m’en vais (si vous mourez à la vie de ces sens, ce qui se fait en vous privant de ces communications médiates), je vous l’enverrai. (Jean 16, v. 7.) Et par cet envoi dans le centre de votre âme, vous deviendrez véritablement spirituels et serez transmis dans la vérité par cet Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, car il ne le connaît point, il lui est étranger et il ne le peut comprendre, car il est au-dessus de sa portée et de sa compréhension.

C’est parce que le secret de l’Éternel est pour ceux qui le craignent, et l’on ne peut l’apprendre ; quoiqu’on le voit marqué par écrit, qu’on le lit et l’entend, il demeure toujours un secret très caché à l’esprit humain et à ceux qui n’ont d’autre lumière que celle de leur entendement naturel ; ce secret n’est manifesté que par l’Esprit de la foi, qui est cet Esprit de vérité qui réside dans le centre de l’âme, et il n’y est reçu que par l’âme qui se soumet au joug de Jésus Christ, qui vient à lui en renonçant à soi-même. C’est par ce renoncement seul, il est le seul moyen par lequel nous sommes mis dans sa disposition et recevons la capacité dans notre âme de recevoir le secret du Seigneur, ou bien cet Esprit de vérité, l’Esprit de la foi, qui nous enseigne ce secret.

 

v. 5. Qui rendent à Dieu un culte qui consiste dans des figures et dans l’ombre des choses du Ciel, ainsi que Dieu dit à Moïse lorsqu’il devait dresser le Tabernacle : Ayez soin de faire tout selon le modèle qui vous en a été montré sur la montagne.

 

Ce que l’âme expérimente dans la première économie de la Loi qui s’exerce dans ses sens internes est bien une figure de ce qui se passe puis après dans son fond ; il plaît même à Dieu de faire comme un plan en raccourci des états par lesquels l’âme doit passer pour arriver à l’union divine ; elle éprouve les mêmes états dans un court espace de temps, et parvient à un état de paix et de repos goûté, d’abandon d’elle-même à Dieu ; sa propre volonté disparaît si fort qu’elle croit être arrivée au port désiré de l’union divine et s’être quittée elle-même, elle a de la peine à ne se pas le persuader ; et si elle s’en croit et s’en fie à sa propre lumière et à ses sentiments qu’elle éprouve dans les sens intérieurs, elle le croira assurément pour un temps ; car il semble que tous ses ennemis sont disparus, elle ne sent plus leurs attaques et ne s’aperçoit plus de sa propriété.

Ceci arrive à l’âme lorsqu’étant sortie de l’économie de la Loi intérieure, elle est mise dans celui de la foi savoureuse ; elle croie presque que tout est fait et surmonté pour elle, et jouit avec douceur et suavité de l’union divine, comme elle la nomme et la croit être, prenant ses sens intérieurs et ce qu’elle y reçoit et la paix dont elle y jouit pour l’intérieur et le fond de l’âme. C’est le Modèle du bâtiment que Dieu a dessein de faire puis après, mais non le bâtiment même, et l’âme se trouve bientôt désabusée par le changement qu’elle éprouve peu après. Ceci est figuré par le patron des choses divines et spirituelles que Moïse a dû représenter dans la construction du Tabernacle et dans tout l’ordre du service divin qu’il a établi, qui est la figure du service divin que notre grand Sacrificateur exerce dans l’âme dont il a pris possession.

 

v. 6. Mais quant à notre Souverain Sacrificateur, il a obtenu une Sacrificature d’autant plus excellente qu’il est le Médiateur d’une meilleure alliance, et qui est établie sur des meilleures promesse.

v. 7. Car s’il n’y avait eu rien de défectueux à la première alliance, on n’aurait pas pensé à y en substituer une seconde.

v. 8. Et cependant Dieu parle ainsi en blâmant ceux qui l’avaient reçue (ou bien en se plaignant d’eux), etc.

 

Parce qu’ils veulent toujours rester sous cette alliance de la Loi, qui est à la vérité bonne en son temps, mais à laquelle on ne doit pas s’attacher et y vouloir demeurer lié lorsqu’il plaît à l’Esprit divin de conduire l’âme dans un autre état, qui est celui qui suit et duquel l’alliance nouvelle notre grand Sacrificateur Jésus Christ est le Médiateur, celui qui nous y conduit et nous en rend capables par l’opération de son Esprit saint en nous.

Il viendra un temps, dit le Seigneur, auquel je ferai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Juda.

Il faut donc que l’âme qui est de cette maison, qui s’est convertie du paganisme, dans lequel nous naissons tous naturellement, au Judaïsme, ayant commencé à se convertir à Dieu en renonçant au vice et s’adonnant à l’exercice de la vertu et aux devoirs religieux de la Loi Évangélique, à l’observation de laquelle elle se dévoue, il ne faut pas qu’une telle âme s’arrête plus longtemps dans cet état que l’Esprit de la grâce ne l’y retient lui-même, et qu’elle prenne garde au temps que notre Sauveur veut faire une nouvelle alliance avec elle, afin de ne pas négliger cet heureux temps, se roidissant contre l’opération de son saint Esprit parce qu’elle n’est pas conforme aux Idées et conceptions de l’Esprit humain, lequel assurément foulera aux pieds cette alliance si l’on le consulte pour la recevoir ; mais c’est l’Esprit de la foi qui est donné à l’âme dans son fond qui l’incline et l’invite à s’abandonner à Dieu sans réserve, en pleine confiance, qu’elle doit écouter et suivre.

 

v. 9. Non selon l’alliance que j’ai faite avec leurs Pères au jour que je les pris par la main pour les faire sortir d’Égypte, parce qu’ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j’avais faite avec eux, et c’est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur.

 

Ceux qui ne sont pas fidèles à satisfaire à ce que la voix de leur conscience leur dicte et ne persévèrent pas ainsi dans cette première alliance de Ia Loi, n’en remplissant pas les devoirs requis, ceux-là sont indignes de recevoir la seconde alliance de grâce, ils s’en rendent incapables ; il ne suffit pas d’avoir profité du secours de la main forte du Seigneur, par laquelle il nous a tirés de l’Égypte, c’est-à-dire du Monde grossier et de la tyrannie du péché duquel nous étions les esclaves et le servions de toutes nos forces, selon les maximes de ce monde pervers ; Il faut persévérer dans cette alliance et satisfaire à tout ce que notre conscience nous convainc qu’il faut abandonner et y renoncer, le subtil aussi bien que le grossier ; alors Dieu nous fait la grâce, ayant éprouvé notre fidélité dans le renoncement à ces petites choses qui sont la plupart hors de nous, de nous honorer de la grâce de nous conduire dans l’économie de la Loi nouvelle, dans laquelle il veut par pure grâce, sans nos œuvres, opérer en nous l’ouvrage de la régénération par son Esprit, en nous donnant un autre cœur et nous changeant en de nouvelles créatures.

 

v. 10. Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur ; je mettrai mes Lois dans leur entendement et je les écrirai dans leur cœur ; je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.

 

Voici donc la nouvelle alliance et celle que Jésus Christ établit par son Esprit, l’opérant dans tous les cœurs qui la veulent recevoir ; c’est, comme il a été dit si souvent, qu’il change le cœur, le rend tout autre qu’il n’était de sa nature, dans laquelle nature corrompue nous naissons ; il lui donne ses inclinations et lui ôte celles qu’il avait ; ce n’est plus une loi qu’on reçoit au dehors ou par le dehors, que l’on puise de la lettre écrite sur le papier ou sur les tables de pierre, ou bien que l’entendement reçoit d’une manière médiate, par lumière et suavité répandue dans les sens intérieurs, ce n’est plus cela ; car, par toute cette loi reçue de cette manière, le cœur n’est point changé et renouvelé ; ses inclinations vicieuses et propriétaires ne sont point déracinées ; mais c’est l’Esprit de Jésus Christ qui s’empare du cœur, qui y écrit sa Loi, donnant à l’âme ses inclinations, et changeant peu à peu tout l’homme en une nouvelle créature.

C’est là l’alliance que notre adorable Sauveur nous a acquise, dont il est le médiateur, nous donnant de tels cœurs ; ce n’est plus alors par contrainte ni par réflexion que l’on évite et s’abstient du mal, et que l’on fait le bien, c’est tout naturellement qu’on s’y sent incliné et porté, c’est la nature du nouvel homme, que Jésus Christ a formé en nous, qui le porte à agir ainsi. Il pratique le bien, possède les vertus, ce sont ses inclinations, il est dans une parfaite dépendance de Dieu ; il fait toutes ses volontés sans avoir besoin de les examiner et d’y réfléchir ; ce sont ses actions auxquelles sa nature, qui est divine, l’incline ; c’est son poids qui fait qu’il aime Dieu uniquement et qu’il ne peut faire autrement, son esprit est mû de l’Esprit de Dieu, sans effort, ni sans qu’il paraisse être deux esprits différents ; s’il n’y avait ni Écriture Sainte ni Décalogue, il ne laisserait pas de pratiquer ce qui y est contenu, car Jésus Christ vit en une telle âme ; ce n’est plus elle, elle est morte à toute la vie du vieil Adam.

C’est là l’alliance de Jésus Christ et qui doit avoir son accomplissement dans tous ceux qui sont à lui ; et c’est à quoi son Esprit travaille à présent avec force, à amener les âmes qui se donnent à lui d’une volonté sincère ; nous n’avons pas besoin d’autre Loi que cette Loi de l’Esprit qui nous affranchit de la Loi du péché et de la mort ; il n’en sera point établie d’autre par cet Esprit de Jésus Christ dans ces derniers temps, où son Esprit veut régner d’une manière universelle et rendre les siens des vrais adorateurs en Esprit et en vérité ; car le Père veut de tels adorateurs. C’est l’adoration qui est conforme à son Être spirituel ; toute autre sorte d’adoration et de manière extérieure d’adorer est insuffisante.

 

v. 11. Et chacun d’eux n’aura plus besoin d’enseigner son prochain et son frère en disant : Connaissez le Seigneur, parce que tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand.

 

Lorsque cela sera ainsi, alors sera établie la première innocence, l’on vivra en Dieu et de Dieu ; la multiplicité des pratiques et des manières de servir Dieu, comme on parle, sera inutile et usée, car l’on le servira et l’adorera continuellement et sans interruption ; toutes nos actions, tous les actes de notre âme seront pour lui ; autant de fois que nous tirons l’haleine, autant d’actes d’amour réitérés envers lui fera notre âme, ou bien plutôt ce sera un acte continuel d’amour et d’adoration la plus intime et la plus continuelle qui se puisse comprendre ; nous aimerons, adorerons aussi continuellement et plus paisiblement avec plus d’aisance que nous ne tirons l’haleine facilement lorsque nous sommes en parfaite santé. Ô Dieu d’amour, ce sera, oui, c’est déjà notre unique vie que de t’aimer, t’adorer sans cesse, de vivre unis à toi inséparablement ; toute autre occupation est mésaise, cause un tourment, ce n’est plus là notre élément.

C’est à présent que tu veux commencer de te faire de tels adorateurs, qui te connaissent tous, petits et grands ; tu as été jusqu’à présent comme étranger entre les hommes ; renouvelle cette alliance qui est la Loi du cœur, fais cesser la multiplicité, et conduit les petits dans l’unité, là où dans un parfait repos on t’aime et on t’adore uniquement, non plus en figures et images, mais en réalité ; mon cœur se réjouit de penser à ce temps bienheureux qui vient paraître. C’est l’aurore du jour que nous voulons approcher, mon Dieu, quel bonheur, quelle félicité de penser seulement que tu veux régner dans tous les cœurs, bannir l’iniquité, rétablir la simplicité, l’innocence et l’enfance ; viens, ô règne tant désiré, qui bannit la confusion, toute mésintelligence ; Esprit unique, Esprit universel, viens confondre Babel, donnez, donnez entrée, cœurs enfantins à cet Esprit universel, Esprit de Dieu qui veut à présent régner ; ouvrez-lui la porte de vos cœurs par un entier abandon et dévouement à lui, et vous expérimenterez l’accomplissement de cette Prophétie, qui à présent vient s’effectuer dans tous les cœurs sincères qui cherchent Dieu ; il est tout près de vous, attendant devant votre porte, il n’y a qu’à lui ouvrir et vous éprouverez qu’il vous enseignera, vous conduira et se manifestera à vous par lui-même, moyen court, moyen abrégé, qui conduit à la fin dès le commencement. Recevez Dieu qui est à votre porte, sans vous amuser à le chercher bien loin lorsqu’il est près ; c’est un moyen bien raccourci que de marcher en sa présence ; faisant sous ses yeux comme un enfant, vous le trouverez bientôt ; pourvu que vos intentions, votre amour, votre volonté soit d’être à lui uniquement, tout le reste ne vous manquera pas.

Ne le cherchez seulement nulle part ailleurs que dans votre propre âme, il y est assurément dès que votre volonté est unique et droite de n’être plus à vous, mais à votre Divin Époux ; dès que cela est résolu, attendez qu’il se manifeste ; il le fera très sûrement, pourvu que vous n’alliez pas le chercher ailleurs que là où il est ; quoique couvert du nuage de la foi, qui souvent le cache à vos sens, vous prive du sentiment distinct de sa présence, attendez et persévérez à ne vouloir que lui et que sa volonté ; et il viendra à l’impourvu très sûrement, croyez-le seulement et ne vous lassez point, vous éprouverez la vérité de ce qui est ici prophétisé.

 

v. 12. Car je leur pardonnerai leurs iniquités et je ne me souviendrai plus de leurs péchés.

 

La rémission se trouve dans l’abandon ; tout aussitôt qu’une âme sait se soumettre à Dieu, se résignant entre ses mains, en cessant de vouloir être plus à elle-même, mais faisant un don sincère et irrévocable d’elle-même à son Dieu, toute couverte de souillure et de péché, quelque affreuse qu’elle soit, comme était Marie Madeleine ; sans réflexion, elle se jette avec hardiesse aux pieds du Seigneur, elle obtient par cet acte d’amour, de repentance et d’abandon la pleine rémission.

Agissons ainsi, sans autre prudence, et nous éprouverons que sans autre cérémonie, le Seigneur dira à notre cœur, comme à la chère Sainte Madeleine : Tes péchés te sont pardonnés. Laissons faire les Pharisiens à leur mode, leurs pratiques, leurs longues prières, leurs longs discours ; apprenons seulement brièvement à nous abandonner à discrétion au Seigneur, il parlera bientôt à notre cœur et nous apprendra à l’aimer selon sa volonté.

 

v. 13. Or en appelant cette alliance nouvelle, il a montré que la première se passait et vieillissait ; or ce qui se passe et vieillit est proche de sa fin.

 

N’attendons donc pas de réformation ni de renouvellement sur la forme ancienne ; elle est usée et insuffisante, les images et figures cesseront de plus en plus ; c’est inutilement qu’on s’efforce à en faire de nouvelles, voulant s’entretenir dans la multiplicité. L’Esprit de Dieu tend et travaille à l’unité, à se faire des adorateurs capables de l’Esprit, afin qu’il puisse se manifester à eux ; car il est Esprit ; c’est pour cela qu’il prend à présent un chemin raccourci et le fait marcher et enseigner aux siens ; c’est la voie du recueillement en sa présence tout simplement, c’est le commandement donné à Abraham : Marche devant ma face et sois parfait ; car c’est le chemin court d’arriver à la perfection, qui consiste dans l’union de notre âme avec Dieu, n’ayant avec lui qu’une volonté ; nous vivons dans l’unité, fuyons donc la multiplicité ; car assurément le temps en est fini, et Dieu veut à présent accomplir la promesse faite ici qu’il veut se manifester lui-même et enseigner tous ceux qui voudront se soumettre à lui, les conduire et être leur unique appui ; quiconque est humble et simple, ou désire sincèrement de le devenir, en mourant à son propre esprit, à son ambition, éprouvera la vérité de ce qui est dit ici ; car le temps en est venu ; il faut seulement poser pour fondement de notre bâtiment spirituel le vrai renoncement, auquel l’Esprit de Dieu, opérant dans notre cœur, nous attirera, et il nous conduira sûrement, croyons-le seulement.

 

 

 

 

CHAP. IX.

 

 

v. 1. Cette première alliance a eu des lois et des règlements touchant le culte de Dieu et un sanctuaire terrestre.

 

Cette première alliance ou tabernacle, touchant le culte de Dieu, ou bien touchant la manière dont les hommes se doivent comporter envers Dieu conformément à sa volonté, cela leur est un tabernacle où ils doivent faire leur demeure ou leur maison et forteresse où ils sont à l’abri de toute injure et de tout danger, des injures de l’air, qui viennent des éléments, et des injures des mauvais esprits, qui sont sans cesse au guet pour profiter de l’occasion qu’ils trouvent favorable pour nous séduire et nous nuire lorsque nous ne sommes pas sur nos gardes, c’est-à-dire que nous sortons hors du tabernacle que Dieu nous a ordonné ou prescrit pour y faire notre demeure, lorsque nous sortons ainsi de la dépendance de Dieu, de l’abandon à lui en tout point et à tous égards, et rentrons en notre propre. Cette première alliance avait donc ses ordonnances et règlements, ce qui est l’état de la loi, et lorsque sous cette économie les âmes s’attachent à ces ordonnances afin de les observer religieusement, alors elles leur sont un tabernacle qui, quoique terrestre et qui doit changer, leur est salutaire et les garantit de tout mal, puisqu’elles y sont dans l’ordre de Dieu selon sa volonté, et c’est cet ordre et cette volonté qui nous donne la grâce (lorsque nous y restons, dans quelque état que nous soyons) d’être protégés de Dieu contre tous les maux et dangers qui nous pourraient assaillir et qui nous assaillent infailliblement. Il ne s’agit donc qu’à être dans l’ordre de Dieu et par sa volonté dans les états où nous nous trouvons, quelque étranges qu’ils paraissent à nos yeux propres et à ceux des autres, posé pour fondement que notre volonté demeure ferme d’être à Dieu sans réserve, n’ayant et ne gardant de notre su d’autre intention ni volonté que celle-là seule d’être à Dieu sans réserve, de vivre pour lui uniquement et de faire sa volonté ; ce fondement posé, sur lequel il faut que notre bâtiment spirituel repose, Dieu nous donnera, en tous ces états où il nous met, un tabernacle assuré où nous serons à l’abri de tout danger ; ainsi, autant de temps que nous sommes dans l’ordre Divin sous l’état de la loi, nous y sommes bien et sentons une paix et un bien-être intérieur qui nous fait connaître que nous sommes pour ce temps-là dans l’ordre Divin ; nous ne pouvons pas non plus comprendre comme il faut aucun état plus avancé, et il faut y rester avec humilité tant qu’il plaira à Dieu, devant lequel tous les états tirent leur valeur seulement de cette sainte volonté.

 

v. 2. Car dans le tabernacle qui fut dressé, il y avait une première partie où était le chandelier, la table et les pains qu’on exposait ; et cette partie s’appelait le Saint.

v. 3. Après le second voile était le tabernacle appelé le Saint des saints.

v. 4. Où il y avait un encensoir d’or, dans laquelle était une urne d’or pleine de Manne, la verge d’Aron qui avait fleuri, et les deux tables de l’alliance.

v. 5. Au-dessus de l’Arche, il y avait des Chérubins pleins de gloire, qui couvraient le propitiatoire de leurs ailes ; mais ce n’est pas ici le lieu de parler de tout ceci en détail.

 

Il suffit de dire que ce tabernacle en toutes ses parties et tout ce qu’elles contenaient est une figure très naïve du temple intérieur que Dieu se prépare ou bâtit dans chaque âme, laquelle il fait parvenir à la grâce de la régénération, où la réalité se trouve du tabernacle ici décrit, construit par Moïse, qui en était la figure. Car la première partie de ce tabernacle figure la partie basse de l’âme où toutes choses sont représentées en distinction, selon qu’elles peuvent être comprises et connues par les sens et la capacité propre de l’âme ; et c’est là où s’opère et se fait tout le service divin dans le premier état actif de l’âme ; tous les sacrifices et actes distincts se font là, savoir ce qui regarde les sens internes ; car pour ce qui est encore plus grossier et plus bas, savoir les sens extérieurs, cela se faisait dans la première entrée du tabernacle ou au parvis, où était l’autel d’airain, où les sacrifices des bêtes grossières se faisait, en figure des passions grossières qui s’attachent aux choses visibles et sensibles de ce monde.

Ce Sanctuaire est nommé terrestre, ou mondain, c’est-à-dire de ce monde, et bas, il n’était pas céleste ; c’est ainsi qu’est l’économie de la loi où est l’âme, en comparaison de l’état qui suit qui est céleste et divin et qui a un service spirituel en esprit, réalité et vérité, qui se fait dans le lieu très saint ou dans le Centre de l’âme, dont le lieu très saint était la figure. Mon Dieu, qui pourra décrire ou faire comprendre la noblesse, la divinité et spiritualité de ce service Divin en esprit, et combien il est relevé au-dessus du précédent ! Mais c’est inutilement qu’on voudrait le faire comprendre ; il demeurera toujours inconnu à tous ceux qui veulent vivre en eux-mêmes et ne meurent pas à leur propre esprit ; car ce n’est que par cette mort entière à soi-même et à toutes choses qu’on trouve entrée dans ce lieu très saint, n’étant plus, mais étant revêtus ou transformés en Jésus Christ, qui y entre lui seul, et nous en lui y entrons avec lui, car c’est seulement en y étant qu’on le peut comprendre ; laissons-nous donc consumer sur l’autel en y laissant notre vie propre, et nous serons transformés en Jésus, prendrons son Être, et nous ne vivrons plus qu’en lui, et il vivra tout seul en nous dedans ce lieu très saint. Là est l’Arche de l’alliance nouvelle et éternelle de Dieu avec nous ; là est la manne qui nous nourrit et est la chair du Seigneur, pain qui donne la vie ; là sont les Chérubins qui éclairent l’entendement des saints mystères, lorsqu’il faut y penser ou en écrire ; ils impriment la majesté du Dieu dont l’on témoigne ; c’est par leur entremise que l’on est éclairé et illuminé par le fond ; là est la verge qui nous conduit et qui fait les miracles que nous voyons par les yeux de l’esprit opérés continuellement ; elle fleurit, produit ses fruits tous les mois de l’année, du temps que nous vivons en Dieu dès ce bas lieu. Ceci n’est qu’un petit échantillon de ce qui ne peut s’exprimer ; il faut l’expérimenter et mourir seulement selon que l’esprit de grâce l’opère ; le reste se trouvera pour toute âme qui persévérera jusqu’à la fin ; elle expérimentera l’heureux sort qui lui est donné par la mort. Les trois parties du tabernacle ou bien du Temple étaient aussi la figure de trois états d’oraison de l’âme intérieure. Le premier état par où elle commence le chemin du retour à Dieu est l’état purgatif, très bien figuré par ce qui faisait le service Divin dans le parvis ; on y égorge les bêtes, l’on y brûle et lave les sacrifices ; tout cela se rapporte fort bien à l’état de la première pénitence, où l’on est occupé à mortifier ses pallions brutales, à y renoncer, à mourir au vice, à se laver et purifier du péché d’une manière active, en sacrifiant à Dieu le plus beau et le meilleur de ce que l’on aime et à quoi on a mis son affection. Et que bienheureuse est l’âme qui ne garde aucune réserve de tout ce qu’elle possède qu’elle ne sacrifie à son Dieu, qui la tire et qui l’invite à lui faire ces sacrifices, autant et comme il le lui donne à connaître ; car cette fidélité lui attire des grâces infinies pour les états où Dieu la fait entrer dans la suite. La seconde partie du Temple ou le lieu saint se rapporte au second état d’oraison, où il y a des lumières et des goûts dans les sens qui sont communiqués d’une manière médiate, d’une manière très sublime dans cet état qui est très agréable à Dieu et a son haut prix ; les âmes qui y sont ont grande édification, et leur état intérieur est très bien représenté par le chandelier d’or et la table sur laquelle sont les pains de proposition exposés devant Dieu. Elles le servent par la lumière qu’elles communiquent aux autres âmes par l’entremise des sens avec grand goût. L’entendement comme l’œil de l’âme reçoit cette lumière avec goût de suavité ; elles édifient, réveillent et encouragent au service de Dieu autant que la fonction de leur état s’étend, et sont dans une activité accompagnée de grâce dont Dieu se sert selon ses desseins. Quoique dans ces écrits l’on traite principalement des âmes qui sont dans l’état qui suit celui-ci, savoir des âmes conduites dans la foi obscure, ce n’est nullement pour mépriser ou condamner celles-ci, auxquelles l’on rend l’honneur qui leur appartient, et l’on ne prétend nullement ramoindrir ou rendre méprisable leurs dons et grâces lorsqu’elles s’en servent avec humilité, selon l’appel de Dieu envers elles ; mais elles doivent seulement prendre garde de travailler avec Dieu ; et comme d’ordinaire ce n’est que pour un certain temps que Dieu s’est prescrit, qu’il donne l’onction et l’esprit aux dons et grâces qu’il communique à ces âmes pour le bien du prochain, c’est à quoi elles doivent bien prendre garde ; et lorsqu’elles aperçoivent que le temps que Dieu a voulu se servir d’elles de cette manière est fini, sentant bien par leur disposition intérieure qu’elles sont desséchées et que la grâce des dons se retire peu à peu, elles doivent s’accommoder à l’opération de Dieu, qui change à leur égard, et se laisser volontiers dépouiller de ce qui leur avait été confié ; elles doivent être volontiers pauvres et dénuées après avoir été riches, et voir qu’elles ne font plus de fruit après y avoir abondé. C’est ici la pierre de touche par laquelle se manifeste si elles sont fondées dans l’humilité et tendent au renoncement total d’elles-mêmes dans les dons spirituels ; car si cela n’est pas, elles s’inquiéteront et travailleront de tout leur pouvoir à conserver les biens spirituels dont Dieu veut les dépouiller ; alors elles les prendront dans leur propriété et y deviendront plus propriétaires, elles déchoieront dans un état inférieur à celui où elles ont été pendant l’ordre de Dieu dans ces dons, deviendront plus grossières, attachées aux sens, se fixeront en elles-mêmes, et perdront de plus en plus l’onction qui accompagnait leurs dons ; elles auront recours, pour se soutenir, à des lois et règles extérieures qu’elles cimenteront par manque de l’esprit de la grâce, voulant établir la piété par des œuvres et par l’esprit de la loi, déchus qu’ils sont de la grâce, comme l’exemple des Galates le montre en esprit. C’est à quoi il faut bien prendre garde, et se servir des dons que Dieu donne dans son temps, sans s’y fixer ou arrêter, les lui laisser reprendre lorsqu’il les retire ; car si l’on se comporte ainsi humblement, l’on éprouvera qu’il ne ravit les dons que pour se donner lui-même dans son temps.

Les Chérubins de gloire qui sont au-dessus de l’arche marquent très bien comment ces Anges bienheureux et glorieux sont ceux qui donnent les connaissances à l’âme en éclairant son entendement en lumières distinctes ; ils sont au-dessus de l’Arche, qui représente le lieu le plus profond du Centre de l’âme, où tout est obscur pour l’entendement ; mais obscurité auguste et glorieuse, où réside la Divinité qui ne peut être ni pénétrée ni comprise par aucune lumière distincte que l’entendement puisse recevoir par le ministère de ces Chérubins glorieux ; les Anges désirent d’y pénétrer jusques au fond (1. Pier. 1, v. 12), savoir jusqu’en ce Centre profond de la Divinité, qu’ils adorent et regardent en profonde humilité, et en se plongeant dans leur anéantissement où ils s’abîment et se perdent sans cesse dans cet océan de la Divinité. Voilà comment le Sanctuaire très saint ne représente autre chose que le temple intérieur : comme dit Saint Paul : Vous êtes le temple de Dieu. Ô merveilles de Dieu que l’homme renferme en soi ! Est-il possible qu’une si noble créature se laisse ainsi abrutir par son détour de Dieu ? Retournez, retournez, donnez-lui gloire et ne craignez pas l’anéantissement, la mort, la destruction que vous rencontrez lorsque vous vous abandonnez à l’opération de Dieu à toute discrétion ! Il ne vous détruit que pour vous bâtir, pour rétablir son temple ruiné dans votre âme, afin d’y demeurer, de s’y manifester ; ce n’est que la demeure de Satan qu’il détruit, ce qui vous cause tant de douleur et de frayeur ; laissez-le faire seulement, et vous éprouverez un jour l’excès de son amour, il bâtira son Temple glorieux au milieu d’eux.

 

v. 6. Or ces choses étant ainsi disposées, les Prêtres qui exerçaient le saint ministère entraient en tout temps dans le premier Tabernacle.

 

Dans l’état actif, l’âme doit s’exercer ainsi à rentrer sans cesse le plus souvent qu’elle peut en elle-même, qui est alors dans ces sens internes ; car elle ne connaît pas d’autre lieu plus intime ni plus profond ; elle exerce là la Sacrificature, combat ses passions, se purifie des souillures qu’elle a contractée par l’attachement aux créatures ; elle reconnaît les fautes qu’elle a faites qui lui sont montrés ; elle s’en humilie et reçoit la lumière et la force pour se conduire toujours plus purement selon son état. C’est le service médiat administré par les Anges, qui donnent à l’âme cette lumière qui lui est nécessaire pour sa conduite, selon la fidélité qui est requise de l’âme dans cet état ; là les examens de soi-même, de sa conduite, les considérations, les méditations sont de raison et sont d’un grand goût pour l’âme qui s’y applique avec fruit et utilité, s’exerçant dans la vertu, combattant le vice, sacrifiant ces passions journellement, y renonçant ; ce sont autant de Bêtes qu’elle sacrifie ; elle s’exerce ainsi avec fidélité dans cette activité, c’est là sa nourriture ; elle s’entretient et se soutient par l’aide de bons livres, en se réveillant et s’occupant de la présence de son Dieu d’une manière sensible, distincte et délectable pour les sens. Cela est très bon, il faut y rester tant qu’on y trouve son goût, sa nourriture ; l’on ne requiert que la fidélité à renoncer à tout ce qui nous est montré dans cet état en y correspondant ; sans hésiter et sans raisonnement, la conscience dictera ce qu’il faudra. J’ai dit que les anges ont le ministère de cet état, qui est celui de la Loi ; mais cependant ils sont ici aussi dans le lieu très saint, comme ces Chérubins et Séraphins sont du plus haut ordre, et leurs communications se font par le Centre de l’âme, et sont ainsi immédiates ; ils n’opèrent point dans les sens par le dehors, comme font les autres Anges, dont les qualités se rapportent à nos sens comme j’en ai écrit.

 

v. 7. Mais il n’y avait que le seul grand Pontife qui entrait dans le second, et seulement une fois l’année, non sans y porter du Sang qu’il offrait pour lui-même et pour les ignorances du peuple.

 

Figure admirable du service Divin que Dieu lui-même fait dans l’âme qui est devenue son Temple par la régénération, et qu’ainsi Jésus Christ a associée à sa souveraine Sacrificature ; cette âme est conduite dans le lieu très saint, mais non sans sang ; il faut mourir à soi-même et aux autres et pour les autres, comme Jésus Christ nous a enseigné qu’il faut mourir pour ses frères ; ainsi aussi l’âme est sacrifiée pour elle et pour ses frères, entrant dans le sanctuaire Divin, y faisant son offrande par la souffrance ; tout est opéré par l’esprit très réellement ; ce sont ceux-là seulement en qui l’esprit Divin opère ces sacrifices qui sont associés à Jésus Christ, dont il est dit : Il nous a fait Rois et Sacrificateurs à Dieu son Père. (Apoc. 5, v. 10.) Ce culte intérieur est très certain, le Sacrificateur est le très saint amour Divin.

 

v. 8. Le Saint Esprit nous montrant par là que la voie du vrai Sanctuaire n’était pas encore découverte pendant que le premier Tabernacle subsistait.

 

Aussi longtemps que le premier Tabernacle subsiste dans l’âme, le chemin du vrai Sanctuaire n’est pas encore découvert à l’âme. C’est-à-dire qu’aussi longtemps que l’âme est sous l’économie de la loi intérieure et dans sa propre activité, elle n’a point entrée dans le lieu très saint qui est le vrai sanctuaire ; c’est le centre de l’âme ; il faut que cette première économie, ce premier temple ou le tabernacle soit renversé, et c’est aussi ce que Dieu fait dans l’âme, et si ces choses extérieures ne signifiaient pas et ne représentaient pas ces voies de l’esprit de Dieu dans toutes les âmes véritablement fidèles qui se donnent à Dieu en réalité et vérité, à quoi serviraient toutes ces choses extérieurement et à quoi buteraient-elles ? Quel profit a-t-on de toutes ces connaissances qui ne sont qu’historiques et littérales, de l’histoire des Juifs, de leur cérémonies, de l’abolition de leur culte, et de l’histoire de Jésus Christ, et du culte et de la croyance extérieure et littérale de l’Évangile qui a succédé à la loi mosaïque ? En vérité, si nous ne voulons pas nous aveugler nous-même et nous flatter, est-ce que ce changement extérieur de culte divin et de foi historique a rendu les hommes plus saints et meilleurs que n’étaient les Juifs ? Sont-ils moins adonnés au vice, plus amateurs de la vertu qu’ils n’étaient, à en parler seulement selon la morale naturelle qui est reconnue des païens et des Turcs ? Certainement le vice règne avec plus d’insolence universellement entre ceux qui confessent de bouche le nom Chrétien qu’il n’a jamais fait parmi les Juifs dans le temps où ce peuple a été le plus corrompu ; et puisque nos œuvres doivent rendre témoignage de notre foi et manifestent en effet ce que nous croyons, selon saint Jaques (Chap. 3), et que c’est la vérité que notre Seigneur nous déclare disant que l’arbre est connu à son fruit, n’est-il pas manifeste que cette foi que tant de gens s’imaginent leur être une foi qui les sauve, de confesser de bouche Jésus Christ, n’est qu’une pure chimère et imagination qui mène aux Enfers ? Ainsi ce sont donc ceux qui sont mus par l’esprit de Dieu qui sont Enfants de Dieu, et si quelqu’un n’a point l’esprit de Christ qui le régit, le gouverne, et est sa vie, celui-là n’est point à lui, qu’il se nomme Chrétien tant qu’il voudra, car c’est l’esprit qui nous donne la vie du corps et la vie à l’âme, c’est l’esprit qui nous gouverne et régit, dont nous sommes les esclaves, auquel nous appartenons, ne pouvant subsister ni vivre par nous-même sans esprit ou sans un principe de vie qui est invisible, qui donne la vie et meut notre corps, cette machine grossière qui est morte et n’a ni vie ni mouvement par elle-même, non plus que toutes les plantes et les animaux ne peuvent croître, se mouvoir et fructifier sans cet esprit invisible ou principe de vie qui est en eux. Ainsi ces figures extérieures de Temple de service Divin extérieur ne sont que la représentation de ce que l’esprit de Dieu, l’esprit de Christ opère, et comment il conduit d’un état dans un autre, d’un degré dans un autre toutes les âmes qui s’abandonnent à lui ; il les conduit d’un état moins parfait dans un état plus parfait, de l’état de la loi dans celui de l’Évangile, et le tout selon l’esprit dans leur intérieur, dont l’extérieur n’est que la figure et ne peut faire, sans qu’on possède l’intérieur, un vrai Chrétien.

 

v. 9. Or cette figure était l’Image même de ce qui se passait en ce temps-là, pendant lequel on offrait des dons et des sacrifices, qui ne pouvaient purifier la conscience de ceux qui rendaient ce culte à Dieu.

 

L’état de la loi ne peut purifier la conscience ; c’est toujours à recommencer, l’on ne fait que se nettoyer ; et puis l’on se salit de nouveau, l’on est toujours accusé de nouveau péché et de nouvelle faute ; la pénitence et l’aveu qu’on en fait à Dieu dès que la conscience nous accuse est l’offrande que l’on fait pour le péché, et cette conscience devient toujours plus chargée grièvement de fautes et de péchés, plus on travaille avec soin à la purifier, car c’est ce que Dieu veut à l’égard de l’âme qui est dans cet état de la loi, que par elle ses fautes soient manifestées d’autant plus clairement.

 

v. 10. Consistant seulement en viandes et en breuvages, en divers lavements et en des cérémonies charnelles, jusqu’au temps que cela devait être redressé.

 

C’est là à quoi l’on est occupé dans le temps que l’on est sous cette économie ; l’on s’applique à acquérir la pureté extérieure par les cérémonies, œuvres, pratiques et règles que l’on s’impose, soit celles qui sont d’usage dans l’Église extérieure où l’on est, soit celles que l’on choisit soi-même en son particulier ; ce sont, comme il est dit ici, choix de viandes et breuvages, abstinences, règles en manger et en boire, veilles et autres règles que l’on s’impose ; quelque austères et rigides qu’elles soient, et quelque ordre qu’elles mettent dans l’extérieur, ce n’est tout au plus que des cérémonies charnelles qui à peine ont la valeur devant Dieu de celles qui étaient établies sous la loi de Moïse, qui sont encore les plus excellentes qui aient été dans leur temps ; toutes les autres que l’on a inventées du depuis et que l’on invente encore tous les jours, à bonne intention et par ignorance, ne peuvent sanctifier la conscience, elles ne peuvent arracher la racine du péché du cœur, elles ne peuvent blesser, encore moins tuer le vieil homme, et encore moins donner la vie au nouveau, ou bien opérer la régénération ; c’est abus que de le croire, c’est perte de temps que de s’y amuser davantage que l’état de l’âme ne le requiert, qui est le temps qu’elle est retenue sous la loi, dans la manière et selon l’attrait qu’elle y a en elle, ce qui est fort divers selon l’état et situation où chaque âme se trouve extérieurement, et les circonstances diverses et condition où elle se trouve engagée, qui sont si différentes selon les peuples, paix, religions, partis, etc., où elles se trouvent engagées ; mais quelles que soient ces pratiques, elles dérivent toutes d’un même esprit et ne peuvent au plus que donner une belle apparence à l’homme extérieur, de pureté et de sainteté, qui doit être bientôt renversée en chaque âme qui est fidèle et souple à se laisser conduire et avancer par l’opération de l’esprit de Dieu en elle et qui n’y résiste pas ; car cette économie doit bientôt cesser en chaque âme fidèle et doit être redressée et corrigée par une nouvelle.

 

v. 11. Mais Christ le souverain Sacrificateur des biens à venir, étant venu dans le monde, est entré une fois dans le Sanctuaire par un Tabernacle plus grand et plus excellent, qui n’a point été fait par la main des hommes, c’est-à-dire qui n’a point été formé par la voie commune et ordinaire.

 

Quel est donc ce tabernacle par lequel Jésus Christ est entré sinon l’âme qu’il a choisie et qu’il prépare pour être faite son Épouse ? Il la prépare et la bâtit pour qu’elle soit faite son Temple ou son Tabernacle non par la voie commune et ordinaire ; c’est de toute une autre manière, car celle dont il opère en l’âme pour cela est toute contraire à ce que l’esprit humain peut comprendre et se représenter. Voilà pourquoi il faut que l’âme en qui cet Esprit de Jésus Christ doit opérer sans résistance s’abandonne à lui sans réserve, le laisse faire sans se regarder elle-même, ce qui est un si grand mal parce que le doute et la crainte s’empare de l’âme par ce regard ; ce travail surpasse trop la capacité de l’âme pour qu’elle puisse y rien comprendre, car ce Tabernacle ne se fait point par aucune main d’homme ; Jésus Christ qui en est l’architecte et le bâtisseur ne veut point d’aide de l’homme par son propre esprit.

 

v. 12. Il y est entré non avec le Sang de boucs et de veaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption Éternelle.

 

Ce n’est point par la propre activité accompagnée et soutenue de la grâce qu’on entre dans le lieu très saint, ce n’est point en mortifiant ses passions d’une manière active, ce qui est représenté par les boucs et veaux, etc., qui étaient sacrifiés ; mais c’est par la mort entière à soi-même, par cette mort mystique que l’on entre dans le lieu très saint où Jésus Christ est entré lui-même le premier par sa mort, et nous a acquis par là la grâce d’y pouvoir être conduits par lui, car c’est là que s’acquiert ou que l’on reçoit en réalité et vérité la rédemption éternelle que Jésus Christ nous a acquise.

 

v. 13. Car si le sang des boucs et des taureaux et l’aspersion de l’eau mêlée avec la cendre d’une génisse sanctifient ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle.

v. 14. Combien plus le sang de Jésus Christ qui par l’Esprit Éternel s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour faire rendre un vrai culte au Dieu vivant !

 

Le saint Esprit fait peu de cas ici de la purification extérieure, figurée par les lavements et holocaustes pratiqués dans la loi ancienne, puisqu’il dit que s’ils ont sanctifié ceux qui ont été souillés en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, c’est peu de chose, puisqu’elles laissent le fond corrompu sans le nettoyer, duquel fond sort et se produit la souillure extérieure par la convoitise et la méchanceté (qui produit tous les péchés dont on se lave) qui sont dans ce fond. C’est donc toujours ce que l’on a avancé, que le ministère de la loi représente l’économie intérieure de la première pénitence ou conversion, par laquelle l’on se lave, par les pleurs ou par les regrets d’avoir offensé Dieu par les péchés et fautes que l’on a commis dans le temps passé où l’on a vécu dans l’impénitence, lesquels péchés sont les œuvres mortes marquées ici ; et qui purifient aussi des fautes et péchés que l’on commet encore étant sous cette économie de la loi. Quoique la repentance et les regrets soient très nécessaires et que toute âme qui se convertit véritablement à Dieu par la touche de son esprit commence par là, au moins la plupart, il y a des exceptions à faire d’âmes qui sont d’abord saisies et converties par une touche d’amour qui est si forte qu’elle engloutit tous les sentiments de tristesse et les pleurs qui proviennent d’un sentiment distinct et douloureux d’avoir offensé Dieu, en telle sorte que de telles âmes ne sentent que fort peu ou bien point du tout le brûlement ou les remords d’une conscience chargée et peinée du fardeau de ces péchés ; ce sont de telles âmes que Dieu favorise et qu’il fait passer par-dessus ce pas de l’économie de la loi, leur communiquant d’abord l’Esprit de filiation, exempt d’une crainte servile et qui rend timide, qui rend scrupuleux et plein de doute, mais il remplit leur âme d’une douce confiance, pleine d’amour et de tendresse filiale, qui donne un accès familier et tout Enfantin à l’âme qui est admise à s’approcher de son Dieu dans cette douce confiance ; de telles âmes ne doivent point se faire de scrupule et s’arrêter à examiner si leur conversion est véritable parce qu’elles ne se sentent pas foudroyés et harassées, remplies d’effroi par le tonnerre de Sinaï dans leur conscience qui les accable par ses accusations ; elles ne doivent pas s’affliger de ne pas sentir les remords et reproches de cette conscience, il suffit qu’elles s’abandonnent en sincérité et amour à leur Dieu, qui les attire à lui. Je dis en sincérité, ne sachant pas autrement, sinon que son retour vers Dieu est sincère et de tout le cœur ; car c’est tout ce que Dieu demande, et quand même cette volonté qui est sincère serait sans sentiment fort vif dedans les sens de l’âme, elle ne doit pas s’en peiner, comme une telle conversion si sèche peine souvent de telles âmes qui sont saisies ainsi de Dieu ; mais il suffit que leur volonté soit déterminée d’abandonner le mal et de se donner à Dieu entièrement, de ne plus vivre pour elles-mêmes, mais pour leur Dieu uniquement ; c’est là le vrai renoncement et ce qui fait la réalité de la conversion, ce qui suffit ; car les sentiments vifs et distincts ne sont que des choses accessoires que Dieu donne et ne donne pas comme il lui plaît, et la réalité de la conversion consiste dans le retour de l’amour et de la volonté vers Dieu ; car on aime véritablement celui auquel on se donne ou s’abandonne sincèrement de volonté déterminée ; c’est cet abandon qui donne la véritable paix et le repos à l’âme, qui est par là rentrée dans l’ordre Divin selon son état ; c’est là la solide conversion et la vraie contrition de telles âmes ; il plaît à Dieu souvent de les caresser au lieu de les châtier, leur faisant sentir la douceur de son amour. Ô Dieu charitable, adorable et bénin ! l’oserait-on dire, tu es si aisé et si charmé lorsque tu trouves un cœur qui veut bien te recevoir, dans quelque état qu’il soit, quelque rempli d’ordure et pourriture qu’il puisse être, tu ne peux t’empêcher de le caresser, de lui faire sentir la douceur de son amour, de l’occuper de toi nuit et jour par tes Divins attraits ! Ô Dieu, nous t’adorons, nous te louons, prends-nous à toi entièrement. Apprends-nous à te suivre sans différer ni raisonner, car tu ne pourras jamais nous tromper, ni nous nous égarer en nous fiant en toi, n’ayant de but que d’obéir à ta très sainte loi que tu écris dans notre cœur par le feu pur de ton très saint amour, auquel nous voulons adhérer nuit et jour.

C’est donc le sang de Jésus Christ qui nous lave et purifie notre conscience des œuvres mortes en purifiant non pas seulement le dehors, qui est l’extérieur et le charnel. Mais il purifie par le dedans, en attaquant la racine du vieil homme, il purifie par le centre, et nous affranchit par là des accusations de notre conscience, en établissant et nous faisant rendre à Dieu un vrai culte au Dieu vivant. Mais le culte précédent, sous l’économie de la Loi, et celui que l’on rend en purifiant sa conscience, ne sont-ils donc pas tous les deux un vrai culte ? Puisque ce dernier, opéré par le sang de Christ, est nommé ainsi, à ce qu’il semble, au préjudice du premier culte de la loi ? Il est vrai que le premier avait son prix et devait précéder le dernier, mais à le comparer à celui-ci, il ne nettoyait que le dehors de la coupe et du plat, mais laissait le dedans plein d’ordure, il blanchissait seulement le sépulcre au dehors, et le laissons plein d’ossements de morts et de pourriture et puanteur ; il ne peut que faire un pharisaïsme ; quand même l’âme est très sincère, elle ne peut, dans son état actif, faire d’elle qu’un bon Pharisien. Mais Dieu met l’âme dans l’état passif où Jésus Christ, étant entré dans le lieu très saint, dans le Centre de l’âme par son sang, il y opère la purification foncière et établit dans l’âme un vrai culte, c’est-à-dire le culte du cœur, qui seul est agréable au Dieu vivant ; car c’est la loi du cœur que Jésus Christ y établit en donnant d’abord à l’âme l’attrait du Centre, qui incline ou lui donne l’instinct et l’inclination pour faire tout ce que Dieu veut et lui donne du détour pour tout ce qu’il ne veut pas d’elle, non seulement suivant la règle générale de la loi écrite dans les dix commandements et dans la lettre de l’Évangile, mais aussi il lui donne l’inclination de suivre la loi qu’il écrit dans son cœur, loi qui est particulière pour l’âme et qui concerne sa conduite et l’appel particulier de Dieu envers elle, qu’elle connaîtra par la paix et la sérénité que lui procurera l’obéissance à suivre ce à quoi il l’incline par le Centre, lui faisant connaître que c’est sa volonté. C’est là le culte du Dieu vivant dans l’âme, parce que cela est l’opération de son esprit qui est vivant dans le Centre de l’âme, qui la meut, l’incline ; et le sang de Christ répandu dans cette âme opère l’ouvrage de sa purification et de sa régénération. C’est cette œuvre qui est le vrai culte du Dieu vivant. Le sang répandu dans le Centre de notre âme purifie notre conscience des œuvres mortes, ces œuvres mortes sont non seulement les péchés et mauvaises œuvres qui le sont en elles-mêmes, mais ce sont aussi les bonnes œuvres, qui sont des œuvres mortes autant qu’elles sont produites par l’esprit de la loi, qui opère dans la conscience et pousse l’âme à faire ce que cette loi lui ordonne, quoiqu’elle y répugne, et ainsi ce n’est que par force qu’elle y obéit, et non par inclination et de tout le cœur. Ainsi Jésus Christ, entrant par son Sang dans le Centre de l’âme, purifie la conscience de telles œuvres mortes ou faites par force, et donne à l’âme de faire des œuvres vivantes, qui sont animées de la vie de son esprit, qui donne la vie (Jean 6) toutes choses, sans lequel tout est mort ; car c’est par inclination et de tout le cœur qu’on agit alors, et les accusations et prétentions de la conscience, sont alors ôtées, et Jésus Christ se fait un peuple qui obéit de franche volonté, ce qui est le seul agréable au Dieu vivant, qui veut des adorateurs qui l’adorent en Esprit et en vérité.

Pour revenir à mon sujet, je dis donc que quoique la repentance et les regrets soient nécessaires, cependant cela n’est que le premier état de la conversion par lequel le dehors est sanctifié et lavé ; mais c’est le Sang de Christ reçu dans le centre de l’âme par lequel nous sommes purifiés à fond ; et c’est Jésus Christ qui établit ainsi un service tel qu’il est agréable au Dieu vivant. Voilà pourquoi il est dit ici que ce n’est qu’une pureté extérieure et charnelle, celle qui est acquise par le travail actif de la pénitence figurée par le service de l’ancienne loi, quoique ce travail se fasse néanmoins par le dedans ou bien dans l’âme même, qui y est poussée par les mouvements de sa conscience ; mais tout cela n’est et ne se passe que dans la partie extérieure ou superficielle de l’âme, à comparer la conscience et autres facultés de l’âme à son Centre et son attrait, où est et en quoi consiste le véritable intérieur.

 

v. 15. C’est pourquoi il est le médiateur du Testament nouveau, afin que, par la mort qu’il a soufferte pour expier les iniquités qui se commettaient sous le premier testament, ceux qui sont appelés de Dieu reçoivent l’héritage éternel qu’il leur a promis.

 

Comment donc est-ce que Jésus Christ expie les iniquités qui se commettaient sous le premier Testament ? Ce n’est pas d’une autre manière que comme l’on l’a dit. Il dit : Faites l’arbre bon et son fruit sera bon. Les iniquités qui se commettent sous l’économie de la loi sont les fruits du mauvais arbre, qui est mauvais, lequel ne peut être changé pour être rendu bon par la loi ; ce mauvais arbre produit toujours de mauvais fruits tant qu’il subsiste ; il est le cœur dont dit notre Seigneur que sortent les paillardises, adultères, meurtres, mensonges, etc. (Matth. 15, v. 17-20.) Sa mort, son sang répandu dans ce mauvais cœur change ce cœur mauvais et, l’ayant purifié, en fait un cœur nouveau, et ainsi non seulement les iniquités commises sous le premier Testament sont expiées et effacées, mais aussi la source dont elles sortaient est tarie, le cœur est changé ; mais cette source n’est pas tarie tout d’un coup, ce cœur nouveau n’est pas formé tout d’un coup, cet ouvrage de la régénération par le sang de Christ n’est pas d’un jour. C’est par la médiation ou le moyen de ce Sauveur, par son sang, qu’étant régénérés nous recevons l’héritage Éternel que Dieu nous a promis ; dès que la régénération est faite, nous recevons cet héritage, qui est non seulement de posséder la vie Éternelle et le salut après cette vie, mais aussi, étant dès lors dans l’union du maître et Seigneur de cet héritage, nous possédons dès cette vie avec lui sa félicité en partie, quoique sous la croix qui l’accompagne dans cette vie, que nous portons toujours à la suite de notre Sauveur ; et cela n’empêche pas que nous ne soyons déjà introduits dans l’héritage Éternel et permanent quant au nouvel homme, lequel seul est en état de le posséder. Voilà pourquoi c’est en foi et non en vue distincte aux sens que nous le possédons, mais non moins en réalité et vérité.

 

v. 16. Car où il y a un testament, il est nécessaire que la mort du testateur intervienne.

 

Car c’est Jésus Christ lui-même qui se donne par son Testament, disant je suis avec vous jusqu’à la fin des Siècles (Matth. 28, v. 20) en quittant ses disciples et le séjour de ce monde terrestre ; se dérobant à notre vue corporelle, il nous assure qu’il est avec nous ; oui, sans doute, bien plus qu’avec nous, il est en nous ; mais ce n’est que par sa mort et qu’en se dérobant à nos sens que nous sommes faits participants de son Testament, car c’est alors qu’il accomplit en nous les promesses contenues dans ce Testament, par son Esprit qu’il nous donne, lequel est dans son sang pour nous purifier et regénérer nos âmes, les mettant par là en état de recevoir l’héritage Éternel qu’il nous a promis en accomplissant les conditions qu’il nous prescrit dans ce Testament, sans lesquelles nous ne pouvons recevoir ces promesses ; c’est l’entier renoncement à nous-même qu’il demande, à quoi il faut que notre volonté se détermine, car c’est par cette disposition seulement qu’il devient le Maître de notre âme pour la pouvoir regénérer par son sang. Il meurt donc, ce charitable Testateur, et nous donne son sang comme la teinture qui purifie et régénère nos âmes, et les introduit au repos et héritage éternel, ayant par sa mort et son sang opéré en nous cet excellent ouvrage de la régénération ; et il fallait qu’il mourût afin que ce sang pût nous être distribué pour faire cet ouvrage, sans quoi nous n’aurions jamais pu être mis en état de recevoir la possession de ce que son Testament nous promet, puisque c’est pour l’homme regénéré que sont faites ces promesses et non pour le vieil homme, qui n’a d’autre promesse que la mort.

 

v. 17. Parce que le Testament n’a lieu que par la mort, n’ayant point de force tant que le Testateur est encore en vie.

 

Car il nous donne sa chair à manger et son sang à boire, par laquelle nourriture il accomplit son Testament en nous, en opérant en nous par la vertu de ce corps et ce sang ce que ce testament contient, nous donnant son Esprit qui accomplit la loi contenue dans ce Testament qui est la loi d’amour, ou bien le caractère et les inclinations du nouvel homme. Jésus Christ fait donc détruire ou dissoudre son corps et son sang et nous l’influe dans nos âmes, et par cette teinture sacrée il les purifie et recrée en nous l’esprit par son Esprit.

Ici l’on répond à la demande : s’il était absolument nécessaire que Jésus Christ souffrît et mourût comme il a fait pour le salut des hommes ou afin qu’ils puissent être relevés de leur chute ?

Si l’on considère la chose du côté de la toute-puissance de Dieu, cela n’a pas été absolument nécessaire, puisque faisant tout ce qu’il veut, il aurait pu employer d’autres moyens pour cela ; mais il ne l’a pas fait, et la raison pourquoi il a choisi ce moyen est sans doute l’amour infini, qui surpasse toute compréhension, qu’il a pour l’homme, lequel amour s’est manifesté d’une manière si éclatante que rien ne peut être de pareil à ce que Dieu a fait pour nous par son amour en Jésus Christ. C’est donc son amour qui lui a imposé la nécessité de se faire homme, c’est cet amour tout libre qui l’a engagé à souffrir et mourir pour nous sauver. Après que le même amour l’a engagé dès la création d’Adam de prendre de lui la nature humaine pour devenir son semblable, pour converser avec lui, il se fait homme et il fait l’homme Dieu. Il veut être aimé de l’homme et aimer l’homme réciproquement ; en tout son procédé envers l’homme, en l’œuvre de sa création et de sa rédemption, c’est toujours le même principe d’un amour infini qui le fait agir ; n’en cherchons point d’autre cause, car il n’y en a point ; c’est ce que l’Écriture Sainte affirme dans tant d’endroits, surtout Saint Paul Rom. 5, v. 8, et Saint Jean 1. Épit. 4, v. 9. Contentons-nous de cette absolue nécessité que l’amour lui a imposée ; pour contenter cet amour, il s’est abaissé à devenir notre semblable dans l’état de notre abjection, il a souffert, vécu pauvrement, il est mort douloureusement dans l’ignominie, pour nous inviter à l’imiter ; non seulement cela, mais son sang répandu est la teinture et la semence de notre régénération, comme j’en ai écrit ; c’est là principalement par où se manifeste son amour [3]. (*) Je crois que cela doit suffire pour nous contenter et nous engager à aimer ce Dieu de charité, en nous abandonnant à lui par un entier renoncement à nous-mêmes, car nous ne sommes point à nous-même mais à celui qui nous a rachetés par son précieux sang.

Nous trouverons encore plus d’éclaircissement dans cette matière, savoir touchant la nécessité qu’il y a eu que notre rédemption se fît par Jésus Christ Dieu homme et que notre rétablissement ne pouvait se faire par un autre moyen, si nous considérons ce qui a été dit, que l’homme par sa chute a perdu l’homme Divin selon la sentence qui fut prononcée à Adam : Dès le jour que tu mangeras du fruit défendu, tu mourras de mort (Gen. 2, v. 17), laquelle mort ne fut pas corporelle, puisqu’Adam ne mourut que fort longtemps après qu’il eut mangé de l’arbre ; mais cette sentence eut d’abord son accomplissement à l’égard de son esprit ou homme Divin, qu’il perdit aussitôt, lequel retourna à Dieu, qui l’avait donné. Ainsi il ne pouvait recouvrer cet homme Divin ou cet esprit que par Dieu qui s’est fait homme ; car Jésus Christ a été le seul homme qui par la puissance et toute suffisance de sa Divinité pût ainsi recréer l’Esprit Divin ou l’homme Divin dans tous les hommes qui sont régénérés ; et c’est ce qu’il fait par son sang répandu, qu’il donne pour nourriture ou pour rendre la vie au monde (Jean 6), car il est la semence de la vie Divine dans tous les hommes. Il n’y avait donc qu’un Dieu qui pouvait recréer l’homme Divin dans tous les hommes ; et non seulement cela, mais aussi cet Esprit Divin ou bien la Divinité dans Jésus Christ est unie avec l’âme de Jésus Christ ou avec l’homme astral de même nature que notre âme ou notre homme astral ; et cette âme de Jésus Christ est unie avec son corps qu’il a pris semblable au nôtre ; il recrée en nous l’esprit ou l’homme Divin par son Esprit, et par son âme il purifie notre âme, et par son corps il purifie notre corps, le rendant capable de ressusciter en vie Éternelle, par un effet de sa toute-puissance Divine ; il prend donc son âme et son corps et en fait une teinture qui est pure et sainte en les solvant pour ainsi dire par ce qu’il a souffert par sa mort et souffrances cruelles, qui est l’opération par laquelle il fait de son âme et de son corps une teinture propre à être répandue dans toute la matière corrompue par le péché, de nos âmes et de nos corps, par laquelle teinture Divine il purifie ces âmes et ces corps en tous ceux qui veulent recevoir cette médecine Divine qui est son corps et son sang, qu’il nous dit devoir manger et boire (Jean 6) pour avoir la vie Éternelle, et sans laquelle manducation nous ne pouvons jamais y parvenir ; car c’est par cette médecine Divine ou teinture que nous pouvons être guéris du venin du péché, par lequel venin nous sommes tous gâtés ; c’est donc par Jésus Christ que nous sommes tirés de la mort où Adam tomba, et dont il mourut au moment de sa chute, en perdant l’esprit, mourant à la vie Divine, et c’est par son sang répandu dans nos âmes qu’elles sont nettoyées et purifiées de la corruption, de même que nos corps sont renouvelés ; tout cela se fait par Jésus Christ, auquel soit gloire à toujours, Amen.

Ainsi cette grande œuvre ne pouvait se faire que par un Dieu homme, et non par une autre créature ; et l’homme même ne peut, par quelque effort qu’il fasse, jamais parvenir à la régénération ; c’est une œuvre qui est réservée à Jésus Christ seul Dieu et homme ; et quiconque croit pouvoir parvenir à la régénération par quelque autre moyen que celui de s’abandonner à Jésus Christ afin qu’il opère ainsi son œuvre, celui-là se trompe grossièrement ; il ne connaît ni la profondeur de notre chute, ni la difficulté de notre rétablissement, et ne sait pas non plus ce que Jésus Christ a fait pour nous, il ne connaît pas l’étendue de ses mérites infinis.

La chute d’Adam ne consiste pas seulement en la désobéissance par laquelle il viola la défense que Dieu lui avait faite de manger du fruit de l’arbre de science du bien et du mal, cela n’en est que la moindre partie, mais c’est sa convoitise en quoi consiste proprement sa chute, et l’action du dehors n’est que le fruit du venin que Satan a influé dans son âme, dont il l’a toute pénétrée aussi bien que son corps, au moment qu’Adam inclina sa volonté à accepter ce que Satan proposa à Ève, qui est son caractère, savoir la marque de la bête, l’orgueil, la concupiscence, et l’avarice, ou la propriété, dans la proposition qu’il fait. Tu seras comme Dieu, voilà l’orgueil et l’ambition qu’il lui propose et que la volonté d’Adam accepte, tu connaîtras le bien et le mal, et auras ainsi en toi-même la connaissance et la sagesse, indépendamment de Dieu ; voilà la propriété, ou l’appropriation, qui est l’avarice et la concupiscence, ou convoitise de la chair, le fruit est beau à voir et bon à manger.

Adam le prend et en mange par l’adhérence, et puisqu’il accepte ce que Satan lui propose, il a aussitôt pleine entrée en son âme pour influer en lui son venin mortel par la convoitise de l’homme, qui est par où il a toujours entrée en nous. C’est donc l’amour-propre, ce venin de Satan, la concupiscence, et l’orgueil, qui s’empare tout aussitôt d’Adam et chasse de son âme l’amour pur et Divin résidant dans son esprit, qui retourne aussi tôt à Dieu dès qu’Adam se laisse remplir de ce venin infernal, de ce poison que Satan lui influe. Voilà donc le pauvre Adam tout infecté et tout gâté par la convoitise, voilà l’image de Dieu, le souffle Divin qu’il a perdu ; il ne lui reste que le franc arbitre ou la volonté supérieure, mais qui est si fort captivée par ses passions terrestres, qui sont dans sa partie basse dont il devient esclave, savoir l’amour charnel, l’amour propre et l’orgueil dont son entendement, sa mémoire, et ses sens sont captivés, qu’il n’est plus en état de discerner cette volonté supérieure, tant est-elle dominée par la volonté animale ou inférieure ; il est mort, par rapport à la vie Divine, et est sans esprit, est esclave de Satan. Ô état déplorable, qui est plus déplorable qu’on ne le peut comprendre ! C’est dans cet état désolé que nous naissons tous dans ce monde, puisque chacun produit son semblable, et que ce qui est né de la chair est chair. Jésus Christ né d’Adam dans son état d’innocence ne peut laisser dans cet état déplorable l’homme auquel il s’est rendu semblable, et étant resté juste et saint, sans participer en aucune sorte à sa chute, l’amour qu’il a pour l’homme le fait résoudre aussitôt de le suivre dans son état, déchu de Dieu qu’il est, de revêtir ce corps de péché dont l’homme a été revêtu, la matière dont ce corps glorieux avait été formé étant devenue aussitôt grossière et ténébreuse par le venin que Satan y a influé ; car c’est le poison qui a rendu nos corps grossiers, ténébreux et sensibles comme ils sont, aussi bien que la terre et tout ce qui y est ; Jésus  Christ, dis-je, prend un corps de cette matière corrompue et grossière, de la Sainte Vierge Marie, pour pouvoir souffrir et mourir, et nous donner son corps et son sang pour nourriture et médecine, qui nous rend la vie Divine que son Esprit recrée en nous en nous rendant l’esprit ou l’homme Divin. Son amour ne lui laisse pas le temps pour ainsi dire de réfléchir ou de penser à prendre un autre moyen pour retirer l’homme de sa chute, il se donne soi-même pour être ce moyen le plus efficace, par lequel l’homme peut être relevé avec le plus de facilité, puisqu’il a toute la puissance et l’amour de Dieu, pour, sans user de violence en blessant la libre volonté de l’homme, le pouvoir amener à la repentance, le faisant se convertir ou retourner à Dieu, se soumettre à lui et être purifié par lui-même, par sa chair et son sang, qu’il sacrifie et fait dissoudre pour cela. Ô merveille d’amour ! C’est parce que Dieu s’était fait homme que son amour est si grand envers l’homme, qui le pousse à cet excès d’amour ; il fait détruire, pour ainsi dire moralement, son corps et son âme pour retirer les nôtres de la corruption, pour les changer, par cette teinture Divine, dans la sienne ; c’est ce qu’opèrent ses souffrances, et c’est en quoi nous le suivons aussi, et l’imitons par la mort mystique et les souffrances par lesquelles notre Être propre est anéanti, et que nous recevons un nouvel Être saint et pur semblable au sien. C’est par cette opération que le venin du péché est chassé ; tout ce qui nous a été influé dans notre être par Satan, à savoir son image, est chassé dehors de nous ; nous en sommes purifiés par le sang et corps de Christ. C’est par ce moyen et cette médecine que toute la matière gâtée et corrompue des hommes sera purifiée et rétablie dans sa pureté.

Ô que la rédemption de Jésus Christ est glorieuse, excellente et de grand prix ! Qui peut concevoir la grandeur et l’étendue de son amour en ce qu’il a fait pour nous ? C’est ce qu’aucune créature ne pourra jamais atteindre. Adorons, admirons, et donnons-nous à ce Sauveur charitable dans un silence respectueux afin qu’il accomplisse et opère en nous toutes ses volontés.

Jésus Christ fait comme un ami fidèle agirait envers son ami qu’il verrait se précipiter dans l’eau, qui au lieu de penser à aller chercher d’autres moyens pour lui sauver la vie et le tirer de l’abîme ou il s’est précipité, s’y précipite lui-même pour en tirer son ami ; c’est l’amour et la fidélité qu’il a pour son ami qui l’oblige d’agir ainsi, sachant bien que c’est le moyen le plus efficace et le plus court par lequel il puisse sauver son ami ; quelle merveille d’amour ! Dieu peut-il engager l’homme plus intimement à se donner et à retourner à lui que par un tel amour ? Ô homme perfide et ingrat, ne te veux-tu pas laisser trouver d’un Dieu qui t’aime et te cherche avec tant d’empressement !

Ce venin de Satan nous a si fort pénétrés et gâtés que, quoique par une conversion sincère et véritable notre volonté est soumise et rentrée dans l’ordre Divin et que la semence de l’Esprit de Jésus Christ soit en nous, que son sang soit répandu dans notre âme et opère pour la purifier, cependant nous souffrons le mal que ce venin a produit dans notre volonté propre, qui est si fort accoutumée à adhérer à Satan dans la convoitise de nos passions que lorsque ces passions ont un objet où elles se veulent attacher, elles entraînent facilement notre volonté, la séduisant et obscurcissant l’œil de notre âme pour nous entraîner dans le mal, qui nous est comme caché et inconnu, aveuglés que nous sommes par nos inclinations corrompues dans le temps de la tentation ; et surtout lorsque nous croyons avoir un sujet ou un objet légitime, la raison et le droit de notre côté ; ô que la propre suffisance, la propre volonté, l’attachement à son propre jugement sont des ennemis dangereux et subtils, qui prennent de beaux masques de vertu apparente pour nous séduire, et qu’ils réussissent souvent ! Voilà pourquoi rien n’est plus nécessaire ni salutaire que de se laisser contrecarrer, céder, plier à la volonté et bon sembler des autres, obéir et se renoncer en tout point sans raisonner ni disputer ; car nos passions s’attachent à tout ce qu’elles peuvent attraper, et lorsque c’est le bien et la vertu qu’elles prennent en propriété, alors elles sont les plus opiniâtres. Voilà pourquoi Dieu donne aux siens tant d’exercices de renoncement de toutes sortes, pour les rendre souples, pliables, mortifiés, humbles, et enfin pour les anéantir, afin que le Sang de Christ puisse avoir son effet en eux pour les purifier entièrement dès ce temps. Laissons-nous donc bien exercer et bien mortifier par tout ce que la providence nous envoie, c’est la meilleure préparation pour une vraie régénération.

 

v. 18. C’est pourquoi le premier même ne fut confirmé qu’avec le sang.

v. 19. Car Moïse, ayant récité devant tout le peuple toutes les ordonnances de la Loi, prit du sang des veaux et des boucs, avec de l’eau, et de la laine teinte en écarlate, et de l’hysope, et en jeta sur le livre même et sur tout le peuple.

v. 20. En disant : C’est le Sang du Testament et de l’alliance que Dieu a faite en votre faveur.

v. 21. Il jeta encore du Sang sur le Tabernacle et sur tous les vases qui servaient au culte de Dieu.

v. 22. Et selon la Loi, presque tout se purifie avec le Sang, et les péchés ne sont point remis sans effusion de sang.

 

Ne soyons donc pas surpris si dans le chemin dans lequel l’Esprit de Jésus Christ nous conduit, et où il nous purifie de notre corruption foncière, nous n’expérimentons que mort et renoncement, si tous les jours il opère quelque nouveau sacrifice par lequel quelque bête est égorgée et son sang répandu ; ce sont quelques-unes de nos passions qui sont sacrifiées, et ce qui nous cause une si grande douleur que c’est une mort et comme si l’on égorgeait quelque partie de nous-même, oui, même qu’on nous déchire le cœur et qu’on répand notre sang, tant il nous est sensible et nous cause de douleur. Certainement quiconque est dans l’opération de l’Esprit de Jésus Christ, celui dans l’âme duquel son sang opère, expérimente qu’il faut qu’il meure tous les jours ; un sacrifice suit un autre, et cela de cesse point jusqu’à ce qu’enfin tous les sacrifices soient consommés par le grand sacrifice où l’âme meurt à la croix avec Jésus Christ, et où le corps meurt aussi ; ainsi cette économie de l’opération du sang de Jésus Christ en nous est très bien représentée par les sacrifices de la Loi ; c’était des types parlants et très vifs de ce qu’il faut souffrir, afin que notre âme soit purifiée et nettoyée du venin du péché ; il faut que toutes les parties de notre âme soient pénétrées et arrosées par le sang de Jésus Christ pour qu’elles soient purifiées et que cette âme puisse après cela servir au culte de Dieu en esprit et réalité ; comme le Tabernacle qui représentait le centre de l’âme et tous les vases qui représentent toutes les puissances et facultés de l’âme ont été arrosés du sang des bêtes offertes, avant de servir au culte de la Loi, c’est par là qu’ils ont été consacrés et sanctifiés. C’est là le Testament, la volonté absolue, la dernière volonté de Dieu qui nous est manifestée dans le livre de la Loi et de l’Évangile, que toute âme qui est consacrée au service Divin en esprit, qui doit être renée et sanctifiée, doit être auparavant purifiée par le sang de Jésus Christ ; ce sang doit aussi être répandu ou jeté sur le livre même de l’Évangile, car c’est par lui que cette parole écrite reçoit esprit et vie, au lieu que sans cela elle ne serait qu’une lettre morte, ce qui est à l’égard des âmes qui ne se laissent pas aussi arroser ou pénétrer de ce sang précieux de Jésus Christ en se convertissant à lui, lui ouvrant leur cœur, afin que ce sang y puisse être répandu. Pour ceux qui restent impénitents, ce livre n’est point arrosé de ce sang, il n’est qu’une lettre morte, qui n’a point d’effet à leur égard. Voilà pourquoi Moïse jette du sang sur le livre et sur le peuple. Il saut que l’un et l’autre soit arrosé de ce sang de Jésus Christ pour qu’il opère par la vertu de son esprit l’œuvre de la sanctification et de la régénération. Et pour ces âmes qui reçoivent ce sang dans leur intérieur, dans leur cœur, pour celles-là le livre de l’Évangile en est aussi arrosé, étant une parole de vie qui produit son effet en elles. C’est donc l’alliance que Dieu a faite avec les Pères sous les figures de la Loi ancienne, que tout doit être purifié par le sang, et sans quoi rien n’était accepté de lui pour être sien ; et c’est l’alliance nouvelle qu’il a faite avec nous par Jésus Christ, qu’il n’accepte point nos âmes qui ne peuvent être remises dans son union qu’elles ne soient auparavant purifiées et nettoyées du venin du péché par le Sang de Jésus Christ, qui doit non seulement laver et nettoyer nos âmes des pêchés que nous avons commis, ce qui se fait par la première conversion, qui est représentée par le baptême d’eau ; mais aussi ce sang doit pénétrer jusqu’au plus intime de nos âmes pour les purifier de la propriété et du venin empoisonné de l’amour impur qui a pénétré nos âmes ; et c’est par la purification foncière, qu’opère ce sang précieux comme étant le feu sacré qui consume cette impureté centrale, que nous rentrons en réalité dans l’alliance de Dieu qui est d’être réunis à lui, ce qui est la vraie réconciliation.

 

v. 23. Il était donc nécessaire que ce qui n’était que figure des choses Célestes fût purifié par le Sang des animaux, mais que les Célestes mêmes le fussent par des victimes plus excellentes que n’ont été les premières.

 

L’Apôtre parle de plusieurs victimes plus excellentes. Ce sont tous ceux qui sont purifiés par le Sang de Jésus Christ qui sont les victimes de Dieu, et Jésus Christ est la grande victime par laquelle ils sont purifiés. Mais quelles sont les choses célestes qui ont besoin d’être purifiées ? Nos âmes sont ces choses célestes, car c’est dans nous qu’est le Royaume de Dieu, le Temple, le Tabernacle, qui est le lieu où Dieu veut habiter, et c’est pour cela qu’elles doivent être sanctifiés.

Les choses Célestes qui doivent être purifiées sont donc nos âmes, pendant que nous vivons ici-bas ; mais aussi ce sont les âmes qui, après avoir quitté ce corps mortel, ne sont pas encore achevée d’être purifiées et qui, afin que cette purification s’achève, sont envoyées dans les lieux destinés de Dieu pour cela, qui sont les Planètes, comme j’en ai écrit, ce qui est très véritable. La rédemption de Jésus Christ n’est donc pas bornée aux hommes vivants dans ce monde, mais les mérites de son sang s’étendent sur ces âmes qui sont d’un nombre innombrable, lesquelles sont reçues dans ces lieux célestes pour y achever leur purification par le sang de Jésus Christ. Ce sont donc là les choses Célestes qui sont purifiées, car aussi ces planètes ont encore besoin d’être purifiées, quoiqu’elles soient des mondes transparents et lumineux, et qui se rapportent à l’état où était la terre après la création d’Ève et avant la chute, mais qui n’était plus si pure et glorieuse qu’elle l’était lorsque Dieu la Créa avant la création d’Adam, et lorsqu’il était encore dans son état d’innocence avant la création d’Ève ; car lorsqu’elle fut créée, Adam avait déjà fait une première chute, ayant convoité son semblable, et par cette première chute, il avait aussi fait perdre à la terre sa première gloire et pureté, quoiqu’elle en eut encore conservé une grande, aussi bien que le corps d’Adam ; et c’est cette pureté et gloire que les mondes des Planètes ont conservée, mais qui n’égale pas la pureté et la gloire des étoiles fixes, où la corruption n’a point atteint, et qui ainsi n’ont besoin d’aucune purification. Ainsi l’Apôtre nomme nos âmes les choses Célestes, parce qu’en effet elles le sont, étant créées pour Dieu et pour les choses du Ciel, et non pour la terre ; et notre Seigneur Jésus Christ a répandu son Sang pour les purifier dans cette vie et dans les demeures Célestes des Planètes, où cette purification se doit faire pour les âmes qui ne l’ont pas été dans cette vie ici. C’est ainsi que le Sang de Jésus Christ est d’un mérite et d’un prix infini pour le rétablissement de toutes les choses qui sont aux Cieux et en la terre.

C’est ainsi que les offrandes des animaux sous l’ancienne Loi représentaient les sacrifices de la première conversion, la pénitence et la purification du dehors, qui est la repentance des œuvres mortes ou des productions et fruits du fond corrompu de la propriété qui est en nous ; c’est cet exercice de pénitence et de mortification aux œuvres mauvaises qui se fait continuellement dans l’état de la première conversion qui est les choses de la terre ; parce que cela s’opère dans la partie basse de l’âme, qui est par là purifiée et lavée de l’ordure qui se répand sans cesse sur elle, du fond qui est corrompu, et qui comme une source sale et empoisonnée répand son venin et sa vilenie dans la partie basse de l’âme, qui est la terre, et le fond de l’âme est le Ciel. C’est donc ce Ciel, où réside la volonté supérieure, qui est purifiée par le Sang de Jésus Christ, lorsque par la seconde conversion il opère la purification de ce fond qui, étant purifié une fois, communique aussi sa pureté à la terre.

 

v. 24. Car Jésus Christ n’est point entré dans le Sanctuaire fait de la main des hommes, qui n’était que la figure du véritable ; mais il est entré dans le Ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu.

 

II se présente pour nous ayant pris notre nature humaine, et il nous présente avec lui devant la face de Dieu. Ô mon Dieu, la seule expérience peut faire comprendre comment ceci se fait en nous ! Jésus Christ s’unit tellement à l’âme qu’il est en elle et elle est en lui, et l’âme dans cette union avec Jésus Christ se présente avec lui comme s’ils n’étaient qu’un devant la face de Dieu ; en telle sorte qu’il semble à l’âme que c’est Jésus Christ qui prie et est en la présence de Dieu, et qu’elle est tellement unie à lui qu’elle ne se distingue point de lui. C’est dans le Centre de l’âme qui est le Ciel que ceci se fait, et c’est la réalité et vérité de ce que dit l’Apôtre ici ; c’est là le véritable sanctuaire qui n’est point fait de main d’homme, car c’est celui dont Dieu lui-même est l’Architecte et le bâtisseur, car vous êtes le Temple de Dieu, et c’est Jésus Christ qui ouvre ce Sanctuaire en nous ; dont le lieu très saint du Temple des Juifs était la figure. L’âme sent bien que c’est Jésus Christ seul qui peut et veut lui ouvrir ce sanctuaire intérieur et qui la présente ainsi devant Dieu quand il lui plaît avec lui, et qu’elle ne le peut nullement quand elle le voudrait, et que c’est ainsi par Jésus Christ seul qu’elle a accès vers Dieu.

 

v. 25. Et il n’y est pas aussi entré pour s’offrir soi-même plusieurs fois, comme le grand Prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, portant le sang d’une victime, et non le sien propre.

v. 26. Car autrement il eût fallu qu’il eût souffert plusieurs fois depuis la création du monde ; au lieu qu’il n’a paru qu’une fois vers la fin des siècles, pour abolir le pêché en s’offrant lui-même pour victime.

 

Lorsque le Sacrifice que Jésus Christ fait dans l’âme et de l’âme, en la faisant mourir mystiquement à sa vie propre ou bien à sa propriété est accompli, ce sacrifice ne se réitère plus, il ne se fait qu’une fois ; après quoi l’âme ressuscitée en Jésus Christ à la nouvelle vie ne meurt plus de cette manière ; tout de même que Jésus Christ n’est aussi mort qu’une fois pour nous mériter la grâce d’être ainsi régénérés par lui, par son sang précieux qui est répandu pour cela ; ce grand sacrifice de l’âme ne se fait qu’une fois ; par sa consommation, le pêché est ôté, le vieil homme meurt et est extirpé dans sa racine hors de l’âme ; elle en est affranchie et elle est renouvelée et ne meurt plus, au lieu que les sacrifices qui précédaient celui-ci (qui à la vérité dure lui seul, avant d’être accompli, plus longtemps d’ordinaire que n’ont fait tous les autres ensembles, sous l’état de la Loi où l’âme a été auparavant) étaient réitérés à toutes occasion. C’est à la fin des siècles que Jésus Christ est apparu pour abolir le péché. C’est aussi à la fin du temps sujet à vicissitude ou changement que Jésus Christ apparaît dans l’âme pour abolir le pêché ; car c’est l’œuvre qu’il y fait ; les siècles ou le temps représentent le temps où l’âme est sous la Loi et celui qui se passe pendant que Jésus Christ est occupé à opérer l’œuvre de la régénération dans l’âme ; car dès que cet ouvrage est achevé, la fin des siècles ou du temps est venue, et l’âme vit dans l’Éternité où il n’y a plus de temps ; c’est le jour Éternel où elle est et reste invariablement.

 

v. 27. Et comme il est arrêté que les hommes meurent une fois et qu’ensuite ils soient jugés ;

v. 28. Ainsi Jésus Christ a été offert une fois pour porter sur soi les pêchés de plusieurs ; et la seconde fois il apparaîtra sans avoir plus rien du péché, pour le salut de ceux qui l’attendent.

 

Il faut que toute âme régénérée ou qui est dans le chemin de la régénération suive Jésus Christ dans tous les états par lesquels il a passé. Il a revêtu notre chair de péché pour condamner et abolir le péché en nous, et il vient ainsi de même ; c’est sa première apparition dans l’âme, et c’est sous cette forme et apparence de chair de pêché qu’il abolit le péché et en purifie nos âmes en faisant mourir le vieil homme qui est l’homme de péchés, et lorsqu’il a fait cet ouvrage de la régénération dans l’âme, il apparaît une seconde fois dans l’âme, ayant ôté cette couverture de ressemblance de péché dont il s’était revêtu, et n’ayant plus rien du péché, non plus que l’âme qu’il a régénérée et qui, l’ayant longtemps attendu, trouve enfin la consommation de son salut dans cette seconde apparition de Jésus Christ qui s’est glorifié en elle. De même que tout ce que l’Apôtre écrit ici s’est fait et s’accomplira extérieurement à la venue glorieuse de Jésus Christ à la fin de monde, tout de même ceci s’opère et s’accomplit très réellement dans chaque âme Chrétienne, qui l’est non seulement de nom mais en réalité, Jésus Christ l’ayant renouvelée, vivant en elle, comme dit saint Paul : Je vis, non point moi, mais Christ vit en moi. (Gal. 2, 20.)

 

 

 

 

CHAP. X.

 

 

v. 1. Car la Loi n’ayant que l’ombre des biens à venir, et non la solidité même des choses (qui y étaient représentées), ne peut jamais par l’oblation des mêmes sacrifices qui s’offrent toujours chaque année rendre justes et parfaits ceux qui s’approchent de Dieu.

 

CECI certifie ce qui a déjà été dit tant de fois, que l’homme, par la propre activité où il est sous l’état de la Loi, ne peut, par toutes les saintes et bonnes pratiques et exercices dans la vertu et du renoncement, parvenir à la vraie justice et à la perfection, quelque assidu qu’il soit à s’approcher de Dieu de cette manière ; ce qui est de marcher en sa présence et de tourner son cœur vers lui par la prière autant continuelle qu’il est possible de la pratiquer dans cet état actif ; car la justice, ou bien ce qui nous rend juste, c’est lorsque Dieu a repris toutes nos attributions, qui nous rendent injustes parce que nous avons pris en propre le bien qui ne nous appartient pas, lequel il faut rendre à Dieu auquel il appartient. La perfection ne peut être non plus acquise que la justice par les œuvres de la Loi, car la perfection consiste à rentrer dans l’ordre et la dépendance de Dieu. Nous sommes parfaits lorsque Jésus Christ vit et règne seul en nous, et il n’y a point d’autre véritable état parfait pour l’homme. C’est donc par l’entière renaissance que nous devenons parfaits, laquelle renaissance est opérée uniquement par l’Esprit de Jésus Christ en nous. C’est donc lui seul qui nous rend parfaits, ou plutôt c’est lui-même qui est parfait en nous ; ainsi cette perfection ne pouvait être acquise par les œuvres de la Loi, dont les meilleures sont les sacrifices, comme on l’a expliqué, et qui cependant ne rendent ni justes ni parfaits ceux qui s’approchent de Dieu par eux ; car nul ne peut par ses propres efforts sortir de soi-même et mourir à soi-même quant au fond et à la racine de la vie du vieil homme ; et tant que l’homme vit en soi-même, il ne peut être parfait, quelque apparence de perfection qu’il ait au dehors, car il n’y a nul qui soit bon que Dieu, et c’est le nouvel homme qui est bon et parfait, parce que c’est Dieu, et Dieu manifesté en chair en Jésus Christ, qui vit alors en nous, qui est bon et parfait. Ô Dieu ! qui peut comprendre cette vérité, que tu es seul bon et parfait, et que la créature n’est que méchanceté et malice ? C’est toi seul qui par toi-même peux l’apprendre et le faire comprendre en réalité et vérité aux âmes qui sont sous ta conduite, et dans lesquelles tu es pour les préparer selon ton bon plaisir, c’est donc Dieu seul qui est bon, et parfait en nous, lorsqu’il vit et règne en nous par l’entière mort à tout notre propre Être, qui est et sera toujours mauvais, tant qu’il subsistera ; tout autre état de perfection que l’on se représente dans l’homme qui vit encore en lui-même n’est que fausseté et tromperie, car il n’y a personne qui fasse bien, non pas même un seul.

 

v. 2. Autrement, on aurait cessé de les offrir, parce que ceux qui lui rendent ce culte n’auraient plus senti leur conscience chargée de péché, en ayant été une fois purifiés.

 

La réitération continuelle des sacrifices et que la conscience se sent toujours de nouveau chargée de péchés est une marque certaine que le fond d’où ces péchés viennent n’est point changé et purifié ; changement qui est ce qu’opère Jésus Christ par son sang et lorsque son Sacrifice a une fois fait son effet ; ayant purifié le fond de notre âme, ce fond ne pousse plus au dehors les fruits et productions du péché, et ainsi il n’est plus besoin des précédents sacrifices ou exercices de pénitence passés ; l’âme n’y est plus attirée comme elle y était alors ; parce que son état est changé, ce premier culte tombe de lui-même.

 

v. 3. Et cependant on y parle de nouveau tous les ans de péchés à expier.

v. 4. Car il est impossible que le Sang des taureaux et des boucs ôte les péchés.

 

Il est impossible que la purification active ôte les péchés dans leur racine, et ce n’est que le fruit que le péché produit, qui est la souillure superficielle dont il salit l’âme, qui est lavée par le continuel renouvellement de la contrition de les avoir commis.

 

v. 5. C’est pourquoi le fils de Dieu entrant au monde dit : Vous n’avez point voulu d’hostie ni d’oblation, mais vous m’avez donné un corps.

 

Cela montre comment, dès que le fils de Dieu entre au monde, que le Verbe se fait chair en nous, qu’il s’est précipité dans le Centre de l’âme et a fait sentir à l’âme son opération par l’attrait du Centre, dès lors il attire l’âme à changer de culte Divin ; les oblations et sacrifices de son premier état sous la Loi, sa manière de faire cesse, Dieu ne demande plus cela d’elle ; tu n’as point voulu d’hostie ni d’oblation ; l’âme ne peut plus agir suivant sa première manière de faire, elle est usée, et l’âme est attirée par l’Esprit de Jésus Christ, qui est en elle, à se comporter autrement. Mais vous m’avez donné un corps, cela marque la fixation où l’âme est mise, l’état passif où elle est à présent fixée dans ce corps pour y souffrir et pâtir en y recevant passivement ce qu’il plaira désormais à cette Parole qui s’est faite chair, qui s’est couverte de ce corps où elle s’est précipitée pour y purifier l’âme à fond, d’y opérer. L’âme cesse d’agir et d’opérer activement pour céder à l’opération du Verbe qui s’est fait chair en elle.

 

v. 6. Vous n’avez point agréé les holocaustes et les sacrifices pour le péché, il n’en est plus le temps.

v. 7. Alors j’ai dit : Me voici, je viens, selon qu’il est écrit de moi dans le livre, pour faire, mon Dieu, votre volonté.

 

Voilà où se termine le travail actif de l’âme ; c’est le grand Sacrifice par lequel elle s’offre elle-même et s’abandonne totalement à son Dieu pour qu’il fasse d’elle tout ce qui lui plaira ; elle cesse la multiplicité des holocaustes précédents ; et de faire la volonté de Dieu, de la souffrir, de la laisser opérer en elle, est à présent la seule chose et l’unique qu’elle fait ; elle n’a d’inclination que de laisser opérer en elle cette sainte volonté, elle ne peut s’occuper d’autre chose, elle ne peut entendre parler d’autre chose. La volonté de Dieu est uniquement son service Divin, et à quoi elle se sacrifie sans aucune réserve ; c’est l’abandon total à son Dieu, c’est là le grand commandement, qui est à la tête du Livre de la loi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, âme, pensée et force, car cet abandon total provient d’un amour souverain ; l’on ne peut se sacrifier totalement à Dieu ou se consacrer uniquement pour qu’il fasse de nous et en nous toutes ses volontés, qu’il les y accomplisse, à moins de l’aimer souverainement ; c’est la marque certaine et infaillible que le Divin amour, le Verbe Éternel, s’est emparé et a pris possession de l’âme, qu’elle lui a cédé tout et qu’il l’a prise pour être à lui en propre ; elle dit en effet : Me voici que je fasse, ô Dieu, ta volonté ; c’est là la disposition unique où l’âme se trouve à présent.

 

v. 8. Ayant dit auparavant : Tu n’as point voulu de Sacrifice, ni d’offrande, ni d’holocaustes, ni d’oblation pour le péché, et tu n’y as point pris plaisir ; lesquelles choses sont pourtant offertes selon la Loi ; alors il a dit : Me voici, je viens afin de faire, ô Dieu, ta volonté.

v. 9. Il ôte donc le premier, afin d’établir le second.

 

Ceci explique et confirme ce qui vient d’être dit du changement de l’état de l’âme et de sa disposition qui est son parler ; elle dit ou exprime sa disposition par ces paroles.

 

v. 10. Or c’est par cette volonté que nous sommes sanctifiés ; savoir par l’oblation qui a été faite une seule fois du Corps de Jésus Christ.

 

Il a suffi que cette oblation du Corps de Jésus Christ se soit faite une fois pour sanctifier et purifier à fond toutes les âmes qui le reçoivent dans leur intérieur, où son sang précieux opère cette sanctification de la manière dont on en a écrit, et cela ne se fait qu’une fois. Car le nouvel homme étant né et l’âme purifiée à fond et renouvelée par ce Sang précieux, il n’a plus besoin de renouveler ou de réitérer ses sacrifices ; elle est unie à Dieu et n’a plus de volonté que la sienne ; Jésus Christ, étant une fois mort et ayant opéré en cette âme la mort du vieil homme, ne meurt plus, il est vivant en elle et elle vit aussi de sa vie, la mort n’a plus de puissance sur elle, savoir la mort qui est produite par le péché.

Et quoique de telles âmes, dans lesquelles cette œuvre de la régénération est faite en elles par Jésus Christ, ressentent encore après cela les sentiments du péché dans leurs sens intérieurs et des mouvements de ce corps mort de péché dans leurs membres, elles peuvent croire que, cela leur causant des souffrances très amères, ce sont des états qui leur sont donnés de porter pour d’autres âmes qui sont dans la préparation, auxquelles elles doivent aider à porter leur fardeau et leurs peines, à limitation de notre adorable Sauveur, qui quoi qu’il n’ait eu jamais péché, ni qu’il ne fut accessible au péché, a cependant été tenté en toutes choses, et a souffert le sentiment du péché dans son corps saint et pur, aussi bien que dans la partie basse de son âme. C’est pour cela que Saint Paul dit que Jésus Christ est venu en forme de chair de péché, et par le péché il a condamné le péché en la chair (Rom. 8, v. 3) ; il en arrive de même aux âmes que Dieu emploie, pour en aider d’autres dans l’œuvre de la purification ou régénération ; il leur est aussi infligé, comme à Jésus Christ, de porter et de sentir dans leur corps et dans les sens intérieurs de leur âme les tentations et les états de purification dans lesquels sont ceux à qui il est imposé de Dieu de les aider, tout comme s’ils avaient eux-mêmes ces tentations et comme s’ils souffraient ces états de purification pour eux-mêmes ; et ils ne pourraient s’empêcher de le croire si Dieu ne leur découvrait ce mystère, qui assurément est très réel, véritable et profond. Ainsi, c’est pour les tranquilliser que Dieu le leur manifeste, afin que ces âmes apostoliques, ces pères et mères en Christ, ne se peinent pas dans l’expérience si pénible et très humiliante et mortifiante de ces sentiments du péché et de la corruption qui leur est souvent infligé de porter pour ceux avec lesquels Dieu les a unis en son Esprit et par son esprit, afin de leurs aider dans l’état pénible de purification où ils sont. Car ces sentiments fâcheux ne salissent en aucune manière leur âme, non plus que les tentations que notre très adorable Sauveur a bien voulu porter pour nous, ayant été tenté en toutes choses, non point sali ni souillé, ni son sacré corps, ni son âme toute pure et sainte. De même en est-il de ces âmes qu’il s’associe à sa paternité spirituelle, elles portent et sentent avec douleur (et ce sont les souffrances les plus cruelles et pénibles qu’elles aient à porter) ces tentations et sentiments fâcheux des passions impures de toutes sortes de ceux dont elles sont chargées ; mais ces choses ne les touchent point et ne les souillent point, elles n’y ont aucune part quant à la volonté, et cela se passe en elle sans elle, ni sans qu’on en voie rien au dehors ; car ce n’est point la présence corporelle de ceux pour qui elles souffrent ces choses qui les leur cause, car cette présence n’est pas ordinairement et n’y fait rien ; ainsi aucune circonstance extérieure n’y contribue, et dans le temps que l’âme porte ces tentations-là, elle sent plus d’éloignement pour l’âme quelle aide qu’elle ne sent de l’inclination pour elle, la corruption de l’âme qu’elle aide et dont elle doit être purifiée se faisant sentir avec un horreur d’une manière inexprimable à l’âme qui aide ; mais c’est par ces souffrances que le péché est condamné en la chair ; tout ceci est spirituel et ne doit en aucune manière être entendu de personne d’une manière charnelle ou grossière ; car, comme je l’ai dit, ce sont des états intérieurs que Dieu inflige et qu’il opère lui seul par la dispensation de son esprit dans les âmes qui sont à lui sans réserve, et c’est seulement pour ces âmes-là et pour leur donner quelque ouverture de ces états pour leur encouragement dans les peines et étranges souffrances qu’elles ont à supporter que l’on écrit de ces choses, car d’ailleurs elles ne peuvent s’en affranchir ; Dieu les inflige et les ôte lorsqu’il lui plaît, et l’âme pour laquelle l’on souffre et porte ses tentations n’y peut rien non plus ; son absence ou présence corporelle n’y fait rien, c’est Dieu uniquement qui dispense ces choses comme il lui plaît, sans que la créature y puisse rien faire sinon de souffrir et de rester en paix en sa douleur, s’y soumettant sans se défendre de porter ce que Dieu lui impose ; c’est donc dans son corps et dans la partie basse de son âme qu’elle est obligée de souffrir les sentiments fâcheux de la révolte des passions et du dérèglement de la raison et autres peines ; elle doit souffrir cela comme ne la regardant pas, mais étant des choses qui se passent hors d’elle ; tout de même, comme l’on ne pourrait s’empêcher de voir et d’entendre ce qu’une compagnie de gens débauchés et impudiques disent et les choses qu’ils font si on se trouvait parmi eux, l’on ne pourrait empêcher non plus qu’étant entre leur mains ils ne nous fissent toute sorte d’insulte et d’insolence, autant que Dieu le leur permet. C’est ainsi qu’il lui plaît de permettre que les Diables et autres mauvais esprits impurs tourmentent de telles âmes choisies de Dieu, et c’est par ces souffrances que ceux auxquels ils aident ou bien leurs Enfants spirituels sont délivrés de la tyrannie de ces mauvais esprits et aidés à être purifiés des passions et de la corruption foncière de leur âme ; ce que l’expérience vérifie à la gloire de Dieu, et c’est pour le glorifier et lui rendre honneur et louange que l’on écrit ceci.

L’on lit dans les histoires des anciens Pères des Déserts que plusieurs d’entre eux ont été maltraités, battus et blessés jusqu’à être comme morts, par les esprits malins qui leur sont apparus en forme corporelle et visible. Ce que les âmes dont on vient de parler souffrent intérieurement de ces malins esprits est la même chose que ce que ces anciens Pères ont souffert à leur corps.

C’est pour que cette œuvre de la régénération se puisse faire facilement que Dieu nous a approprié un corps ; ce corps est le bélier et le taureau qui sert pour le sacrifice, car c’est dans ce corps qu’il doit se consommer, selon l’intention de Dieu qui nous en a revêtus pour cela, afin que notre âme y soit purifiée.

 

v. 15. Et c’est ce que le Saint Esprit nous déclare lui-même, car après avoir dit :

v. 16. Voici l’alliance que je ferai avec eux après que ce temps-là sera arrivé, dit le Seigneur, j’imprimerai mes Lois dans leur cœur et je les écrirai dans leur esprit.

v. 17. Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités.

 

Ceci marque l’état de l’entière régénération lorsqu’elle est parachevée par Jésus Christ après que le premier temps est passé dans lequel l’on se ressouvenait toujours des péchés qui navraient la conscience ; ici ils sont tous effacés et oubliés étant une fois déracinés, et la source en étant tarie, l’âme n’en est plus accablée ni peinée.

 

v. 18. Or quand les péchés sont remis, on n’a plus besoin d’oblation pour les péchés.

 

Les âmes intérieures entendent fort bien ce passage, selon qu’elles en expérimentent la vérité, comment les péchés sont en effet remis, et que l’on n’a plus besoin de regrets ou de contrition parce qu’ils sont effacés. Ceci s’expérimente lorsque Jésus Christ a pris l’âme dans sa conduite, dès qu’il a commencé à la purifier foncièrement ; car quoique l’état de purification dans lequel elle est apporte avec soi qu’elle sente souvent l’aiguillon du péché et que souvent même elle en est surprise par précipitation dans la presse où la nature attaquée dans ses passions se trouve, elle expérimente que les fautes qu’elle fait dans cet état ne font point d’impression sur elle ; elle ne sent point les regrets et les remords de conscience qu’elle avait ci-devant de ses plus petites fautes lorsqu’elle était encore sous l’économie de la Loi, et il lui paraît ici, lorsqu’elle se regarde et s’examine, que sa conscience est endurcie, qu’elle fait des fautes et ne les pleure pas, ou ne sent point en avoir du regret. La raison en est : parce que les péchés sont remis, ils sont effacés, et il n’est plus besoin d’oblation. Le sentiment du péché et les fautes que l’âme commet alors n’est point un péché véritable, ce sont des évacuations du corps mort et puant du péché ; il n’a plus de vie et de réalité dans l’âme, parce que sa volonté supérieure en est séparée, qui est ce qui donnait la vie au péché ; ainsi ces mouvements irréguliers ne sont que la puanteur du corps mort du péché et de la charogne de son cadavre qui est poussée au-dehors par la vie du Verbe, qui est dans le Centre de l’âme, qui a tué le vieil nomme. Voilà pourquoi les fautes apparentes des âmes qui sont dans cet état, dont la vie du Verbe s’est rendue maître, ne leur causent plus de contrition véritable dans leur fond, parce qu’il n’y a pour ainsi dire point de réalité dans leurs fautes ; ce n’est que comme un cadavre ou un corps sans vie, que l’on voit à la vérité, qui a la figure d’un corps, mais qui n’en a point l’esprit et qui se corrompt peu à peu et est fort incommode à ceux qui le voient et l’approchent, par la puanteur qu’il donne et qui est en horreur à la vue à mesure qu’il pourrit et se corrompt. Il est fort incommode à l’âme même et aux autres qui l’approchent ; il faut qu’elle souffre ce cadavre jusqu’à ce qu’il soit consumé et détruit par les vers et par la pourriture, et réduit en poussière.

Mais quoique cela soit ainsi, que le sentiment de la corruption et de la malignité n’ait point de vie réelle en l’âme qui est possédée de l’Esprit de Jésus Christ, ou bien dans laquelle son sang est répandu pour opérer dans l’âme, la purification foncière de cette âme, à laquelle les péchés sont pardonnés, cela n’empêche pas que l’âme ne sente très vivement ces sentiments du péché comme des aiguillons très piquants et aigus dans la partie basse de l’âme et dans la chair et le sang ; et l’âme à chaque assaut et tentation est mise de nouveau à l’épreuve et a la liberté de redonner la vie à ce corps mort de péché ; ce qui arriverait si l’âme consentait de nouveau au péché et rejoignait sa volonté supérieure avec l’inférieure ; ce qui néanmoins arrive difficilement dans l’état dont on écrit ici ; et il est à croire qu’où ce déchet arrive, l’âme n’était point dans cet état en réalité, quand même elle en aurait eu l’apparence.

 

v. 19. Puis donc, mes frères, que nous avons la liberté d’entrer avec confiance dans le Sanctuaire par le Sang de Jésus Christ.

v. 20. En suivant cette voie nouvelle et vivante qu’il nous a le premier tracée par l’ouverture du voile, c’est-à-dire de sa chair.

v. 21. Et que nous avons un grand Prêtre qui est établi sur la maison de Dieu.

v. 22. Approchons-nous de lui avec un cœur vraiment sincère et avec une pleine foi, ayant les cœurs purifiés des souillures de la mauvaise conscience par une aspersion intérieure et le corps lavé d’eau pure.

 

C’est donc le sang de Jésus Christ qui nous donne accès à la Divinité, dont la demeure est représentée par le Sanctuaire ; cela veut dire que c’est par l’incarnation du Verbe Dieu que nous avons accès à la Divinité, puisque c’est par là que Dieu est descendu vers nous. Ô la merveille admirable ! qui pourra jamais la comprendre ! Quel abaissement ! Que Dieu se fait homme, c’est la merveille des merveilles, que les Anges mêmes ne peuvent pénétrer ni comprendre. Mon bon Jésus, tu viens te précipiter dans cette masse toute corrompue de notre nature, dans ce cloaque d’ordure et de corruption que le péché a produit ! Tu quittes le Ciel et ta félicité bienheureuse dont tu jouis dans le sein de ton Père pour te précipiter dans les abîmes où nous sommes enfoncés ! Tu épouse la nature humaine, oui, tu t’unis à elle, tu la prends pour ton Épouse, qui est les hommes qui te veulent recevoir, dont tu fais ton Église ! Tu viens vers les pécheurs et te joins à eux pour les sanctifier et purifier par ton sang ! Mais comment fais-tu ? Tu n’as point répugné de t’unir à eux dans l’état déplorable où tu les trouves, tous pénétrés du venin du péché, de la corruption qui est la maladie dont ils sont infectés ; tu prends l’âme qui te veut donner entrée, qui t’ouvre la porte de son cœur où tu frappes ; tu le trouves plein de corruption, et tu unis ta pureté, ta sainteté, ta divinité à cette corruption pour la consumer et en purifier l’âme. Tu t’unis à cette paillarde, à cette (Ézéch. 16, v. 6, 15) prostituée qui gît dans son sang. Quelle merveille ! La pureté s’unit à l’impureté sans en avoir du dégoût ! Tu prends sur toi les misères et les souillures de cette âme, car tu t’es chargé de nos péchés, tu t’es revêtu de notre corps de péché, pour nous en délivrer et purifier. Ô que l’on comprend peu ce que tu as fait pour nous ô mon Sauveur ! Car comme l’on est accoutumé à entendre et à lire ces expressions, que tu es venu en forme de chair de péché (Rom. 8, v. 3), l’on ne fait pas attention à ce que signifient ces fortes expressions, parce qu’on n’en a pas l’expérience. Tu t’unis donc à cette paillarde, qui est en général la nature humaine, et en particulier chaque âme qui te veux recevoir. Mais, ô Dieu ! quel cloaque de corruption ne trouves-tu pas dans cette âme, corruption qui a tellement pénétré dans tout son être que tu ne peux t’unir à l’âme sans t’unir à cette corruption ; c’est là ta chair et ton sang que tu lui donnes à manger d’une manière autant réelle qu’elle est spirituelle ; tu t’insinues dans tout l’être de cette âme corrompue et souillée, comme le pain et le vin que nous mangeons s’insinue dans notre sang et pénètre dans tout le corps ; ainsi fais-tu, ô mon Sauveur, et te mélanges ainsi avec nous pauvres pécheurs, et c’est par ce mélange admirable de ta pureté, de ta chair et de ton sang saint et innocent que tu nous purifies et sanctifies ; tu n’as point en horreur notre corruption, et ton amour incompréhensible et infini pour la nature humaine, pour le genre humain, fait que tu fais ce mariage admirable pour sanctifier et purifier cette nature. Ô merveilles des merveilles, je ne puis exprimer ce que tu m’en fais entrevoir ! Il semble que tu deviens toi-même un pécheur, ô Divin amour, pour délivrer le pécheur ! Non seulement tu en as pris la forme extérieure, mais tu t’es chargé intérieurement de ses misères ; et il semble que tu prends tellement sur toi et te charges des misères et de la corruption de l’âme que tu veux purifier, comme si tu étais toi-même cette âme, tant sens-tu ces misères et maladies et t’en trouves-tu pénétré, car tu as porté nos langueurs (Ésaïe 53) et les portes encore ; tu t’en charges dans les âmes que tu t’associes après les avoir purifiées, afin qu’elles travaillent à ta suite à consommer tes saints ; car il faut qu’avec ton saint Apôtre elles accomplissent dans leur chair ce qui reste à souffrir à Jésus Christ, en souffrant elles-mêmes pour son corps qui est l’Église (Col. 1, v. 24). Ô merveille admirable ! il faut que ces âmes portent les tentations et soient elles-mêmes tentées en toutes choses, comme Jésus Christ a été tenté (Hébr. 2, v. 18 ; 4, v. 15) pour les hommes ; il s’est abaissé à porter toutes les tentations qui nous arrivent, il s’est précipité dans cet abîme de misères où nous sommes pour nous en tirer ; il a pris toute notre corruption et nos tentations sur soi, comme s’il l’avait lui-même, et c’est par cette merveille d’amour qui l’a porté à faire cela qu’il nous a mérité la grâce d’être tirés de cette corruption et de ces tentations ; qui peut exprimer l’abaissement dans lequel il est entré ?

Ô mon Sauveur, combien peu est connu ce que tu as fait pour nous ! Tu t’es marié avec la nature humaine tout comme si tu t’étais uni avec sa corruption, mais pour l’en purifier ; tu t’es plongé dans ce cloaque, mais tu n’y es pas demeuré ; tu as par ta vertu Divine surmonté cette corruption, tu t’y es précipité afin d’en tirer les âmes, qui y seraient restées éternellement abîmées si tu n’étais pas ainsi descendu vers elles dans cet abîme. Ô amour infini ! c’est ainsi que tu fais agir ceux qui doivent te suivre après avoir triomphé de leur corruption et que tu les en as purifiés ; il faut qu’elles redescendent dans cet abîme dont tu les as tirés pour prendre par la main et en tirer aussi ceux auxquels tu les unis pour toi ; savoir de ceux desquels tu as touché le cœur, en sorte qu’ils désirent de sortir de cet abîme, s’abandonnant à toi afin que tu les délivres de cette corruption ; il faut que ces âmes qui sont à toi, dont tu as fait tes Épouses, te suivent dans cette œuvre charitable, et comme tu n’es plus revêtu de cette chair mortelle, il faut qu’elles accomplissent dans leur chair, en ta place, ce qui reste à souffrir à Jésus Christ pour son corps qui est l’Église, pour ces âmes qui doivent être tirées de l’abîme de leur corruption, qui sont celles qui sont les membres de cette Église. C’est donc là ce qui reste à souffrir à Jésus Christ, savoir ce qu’il est nécessaire que les âmes apostoliques souffrent à son imitation pour tirer les âmes qui se convertissent à lui de l’esclavage de leur corruption, à mesure qu’il y en a qui se convertissent solidement et qui s’abandonnent à Jésus Christ à un tel point qu’elles consentent à ce que l’œuvre de la purification foncière de leur corruption s’opère en elles. Il les associe à une âme apostolique en esprit, qui la tire de l’abîme de sa corruption en y descendant pour cela, à l’imitation de notre charitable Sauveur, qui la charge des misères, langueurs, maladies, et tentations de cette âme à laquelle il l’unit, afin de l’en tirer et qu’elle en soit guérie, et c’est ainsi ce que Saint Paul a fait et que font ses imitateurs, comme il l’est de Christ et qu’il exprime par ces paroles : Je me réjouis maintenant dans les maux que je souffre pour vous et qui, accomplis dans ma chair et qui restent à souffrir à Jésus Christ, en souffrant moi-même pour son corps qui est l’Église (Col. 1, v. 24). Et qui peut exprimer l’union étroite que l’Esprit de Jésus Christ forme entre de telles âmes et comment elles sont un cœur et une âme, tant sont-elles liées ensemble, en sorte que l’on porte toutes les misères et la corruption de celles que l’on doit aider à en être affranchies ? C’est ce qui n’est compréhensible que par l’expérience, et c’est ce que Saint Paul exprime aussi lorsqu’il dit (2. Cor. 11, v. 29) : Qui est affaibli que je ne sois aussi affaibli ? Qui est-ce qui est scandalisé que je n’en sois aussi brûlé ? Ainsi en arrive-t-il, et c’est ce qui fait comprendre ce qui est dit de notre très adorable Sauveur, qu’il est venu en forme de chair de péché, que l’on l’a vu étant semblable à un lépreux, mais pour condamner ou exterminer le péché en la chair ; il s’en est chargé pour en guérir et délivrer les âmes qui veulent accepter l’aide qu’il leur présente pour les en racheter ; et c’est à ce but et c’est l’effet de ce que font ceux qu’il honore du même emploi à sa suite ; ministère dont il les charge, opérant toutes ces choses purement par son esprit en eux, car ceux qu’il emploie à cela sont morts à tout propre agir. C’est Jésus Christ seul qui vît et opère tout ceci en eux. Comme en Saint Paul et en toutes les âmes regénérées, qui disent avec vérité : Je vis, non point moi, mais c’est Jésus Christ qui vit en moi (Gal. 2, v. 20). Mais office de croix et de souffrances de toutes sortes, craintes, soins, combats, douleurs et peines pour ces enfants spirituels, et enfin la mort à la suite du Sauveur ; mais on s’en réjouit avec l’Apôtre, il suffit que Dieu soit glorifié et les âmes sauvées ; c’est bien un heureux sort de suivre son Sauveur jusqu’à la mort.

C’est donc ainsi que par la chair de Jésus Christ nous avons l’entrée dans le lieu très saint, étant purifiés et rachetés ; car c’est par sa chair et son sang qui s’unit à notre âme qu’elle est purifiée, c’est là la voie nouvelle et vivante par laquelle nos âmes reçoivent la vie nouvelle et Divine par la régénération ; au lieu que la voie ancienne, qui est celle de la loi, dans la propre activité, était une voie morte, ou qui donnait la mort, sans communiquer la vie.

Jésus Christ a ouvert le voile, c’est-à-dire sa Chair, et nous a franchi le passage, ce qui est signifié par le côté qu’il s’est fait ouvrir afin de nous donner par cette ouverture entrée dans son cœur, qui est le Sanctuaire ; par là il nous tire de la captivité de la chair et fait passer notre âme dans son cœur qui est le Sanctuaire et la région de l’esprit. O mystères admirables ! Mais il a souffert pour nous afin que nous souffrions avec lui et mortifions notre chair dans l’union de sa chair et de son Sang avec le nôtre, et que nous mourions avec lui ; et non pas afin que nous en soyons dispensés. De même, lorsqu’il nous associe avec ceux qu’il s’est associé à sa paternité spirituelle, qui souffrent et meurent pour nous, qui sont chargés de nos misères et tentations, c’est afin que nous mourions et souffrions avec eux, renonçant à toute notre nature corrompue, et non pour que nous en soyons dispensés ; car si nous voulions abuser ainsi de ces aides salutaires que Dieu nous donne, nous n’en pourrions tirer aucun profit, et Dieu nous les ôterait bientôt. Car ce n’est qu’autant que nous nous renonçons sérieusement nous-même et que nous entrons en effet dans toutes les morts et abnégations que Dieu demande de nous et dont il nous donne la lumière et conviction, selon notre état, que ces moyens que Dieu nous donne pour aide nous sont d’un avantage inestimable ; mais si la volonté manque du côté de l’âme qui doit recevoir aide, Dieu retire la grâce qu’il faisait couler par ce canal, et ce serait aussi vainement qu’elle se flatterait et s’imaginerait recevoir l’avantage et le profit qu’elle en aurait tiré si elle avait été humble et fidèle dans le renoncement requis et qu’elle s’imaginerait être en effet régénérée, quoiqu’elle soit restée dans sa propriété et corruption, en se fondant sur la vertu que lui aurait mérité l’aide qui lui avait été présentée. Autant est-ce en vain et une flatterie trompeuse, et encore infiniment plus vaine, que les hommes s’attribuent et se flattent des mérites de Jésus Christ en se les attribuant, pendant qu’ils refusent d’en recevoir la vertu efficace qu’il leur présente en renonçant véritablement à eux-mêmes, en mourant au monde et à toute propriété, sans quoi les mérites de Jésus Christ ne peuvent produire leur effet, puisqu’il faut entrer dans son union pour cela, il faut une conformité de volonté avec la sienne pour pouvoir recevoir l’effet que produit en nous sa chair et son sang. C’est par cette union de volonté seulement que nous le recevons, qu’il nous donne sa chair à manger et son sang à boire, qui s’unit à nous et se mélange dans notre être ; il faut pour cela lui ouvrir la bouche de notre âme. C’est lui ouvrir notre cœur, lui donner notre amour, nous soumettre à lui, pour aimer ce qu’il aime, nous conformer à son exemple ; car c’est ce que produit l’amour et l’union, qui n’est point où les inclinations sont contraires, et si l’on s’en vante, c’est faussement et pure Imagination sans réalité.

Approchons-nous donc de ce Divin Sauveur avec un cœur vraiment sincère, et avec une pleine foi et confiance, sans crainte, car il est semblable à nous et notre frère, toujours prêt à nous recevoir ; puisqu’il nous cherche, confions-nous à lui et croyons qu’il nous aidera et nous délivrera, pour l’amour de son nom ; c’est la foi et la confiance qui nous soutiennent et nous guident pendant tout le chemin du retour à Dieu. Plus la confiance est enfantine, et plus confidemment et familièrement nous agissons envers notre bon Dieu et Sauveur en toute rencontre et dans toutes tentations et les cas épineux qui se présentent pendant tout le chemin qui nous mène à Dieu, plus faciles nous sont toutes choses, et nous passons plus aisément par toutes les difficultés qui se rencontrent dans la vie spirituelle ; les tentations perdent leurs forces, d’autant plus que nous nous pressons vers notre Divin Sauveur, comme la femme qui se fait passage au travers de la presse pour toucher le bord du vêtement du Seigneur (Marc 5, v. 27). Faisons de même, et nous collons à lui d’amour, de volonté, et nous serons guéris et mis en sûreté ; ayons la foi, la confiance de cette femme, et restons tranquilles attendant son secours dans son temps ; il ne nous manquera pas, suivons ses pas, ayant les cœurs purifiés des souillures de la mauvaise conscience par une aspersion intérieure. Cela marque que tout ce qui est dit ici est intérieur ou exprime les opérations de l’Esprit de Jésus Christ dans l’âme. Selon cette économie intérieure, il faut qu’avant de pouvoir ainsi aller à Jésus Christ en sincérité et pleine foi, avoir été purifié des souillures de la mauvaise conscience, c’est-à-dire par la première purification ou le lavement d’eau, intérieurement, ce qui se fait sous l’état de la Loi, dont on a tant écrit, par lequel la conscience est purifiée et après quoi il faut à l’âme une purification plus foncière, qui s’opère lorsqu’elle vient à Jésus Christ, comme il est ici marqué, en pleine foi et confiance enfantine s’abandonnant à lui. L’aspersion intérieure par laquelle la conscience est purifiée est la première pénitence, et les larmes qu’elle produit, dont l’âme est arrosée et lavée, sont ce qui est représenté par l’eau du baptême. C’est l’état de l’âme préparée pour être reçue dans l’économie de l’esprit de Jésus Christ.

 

v. 23. Demeurons fermes et inébranlables dans la profession que nous avons faite d’espérer ce qui nous a été promis, puisque celui qui nous l’a promis est très fidèle dans ses promesses.

 

Nous étant ainsi abandonnés à Jésus Christ, rien n’est plus nécessaire que de soutenir avec persévérance, en demeurant fermes et inébranlables, tous les assauts et fortes tentations qui suivent infailliblement cet abandon. C’est alors qu’il faut rester dans cet abandon inébranlablement, car tous les vents et tempêtes frappent alors contre notre âme, comme contre la maison (Matth. 7, v. 25) ; rien ne nous peut alors garantir d’être renversés et tirés hors de notre voie de l’entier abandon à Dieu, que de demeurer inébranlables malgré toutes les peines et tentations, expériences de nos faiblesses et misères qui suivent notre entier abandon à Dieu ; il est suivi de désastres et de renversements horribles dans la partie basse de notre âme ; mais ce sont les épreuves de purification nécessaires pour purifier notre âme de sa corruption foncière ; et c’est parce que pendant ce temps d’épreuves, nous sommes souvent tentés de retourner en arrière et d’abandonner l’oraison intérieure, nous retirant de notre abandon à Dieu, que l’Apôtre exhorte si sérieusement de demeurer inébranlables, puisque celui qui nous a promis de nous conduire à l’union Divine est très fidèle. Et qu’il parachèvera son œuvre en nous pour sa gloire, par le moyen des mêmes tentations et épreuves qui semblent devoir et vouloir ruiner cette œuvre de Dieu en nous.

 

v. 34. Et veillons les uns sur les autres, afin de nous entr’exciter à la charité et aux bonnes œuvres.

 

Cette vigilance tire sa valeur de la subordination que l’esprit de Dieu a établie entre les âmes qui lui appartiennent et qu’il a unies ensemble pour s’entraider mutuellement les unes les autres. Cette union est si réelle et si étroite, comme elle est spirituelle, que lorsque quelqu’une des âmes que Dieu a ainsi unies avec d’autres ne sont pas fidèles à marcher dans la voie du renoncement à elles-mêmes et à toutes choses dans toute l’étendue de la volonté de Dieu pour elles, selon l’appel qu’il leur a donné et qui leur est très bien connu ; dès, dis-je, que ces personnes gauchissent tant soit peu de cet ordre, elles le sentent très vivement par l’éloignement qu’elles aperçoivent avoir pour elles dans leur intérieur, et par le fait qu’elles se trouvent séparées d’elles sans savoir distinctement pourquoi ; seulement leur fond intérieur leur fait sentir très vivement de la séparation pour ces personnes auxquelles elles sont si étroitement unies lorsqu’elles restent dans l’ordre de Dieu. Cela arrive surtout aux âmes qui sont les Pères et Mères de grâce à l’égard de leurs Enfants ; mon Dieu, quels déchirements, quelles peines, douleurs et agonies ne sentent pas ces mères de grâces pour leurs enfants lorsqu’ils ne sont pas fidèles à la grâce ! Ce sont eux que Dieu établit réellement pour veiller sur ceux qui leur sont confiés ; et quelle douleur pour eux lorsqu’ils voient que leurs Enfants correspondent mal à l’abondance de grâce que Dieu leur donne pour leur communiquer, grâce qui est d’un si grand prix qu’elle ne sera connue que bien tard de ceux à qui Dieu l’offre pour en faire usage et qui en font à présent si peu de cas. Mais si elle est méprisée d’eux, elle sera reçue avec d’autant plus d’avidité d’autres âmes humbles et dociles qui en feront bon usage. Car c’est par elle qu’est communiquée la pure charité ou le pur amour de Dieu à ces âmes ; feu pur qui consume peu à peu toute l’impureté foncière qui est en eux, afin que la nouvelle créature y soit formée ; cette charité qui est le pur amour de Dieu régnant et vivifiant le cœur est alors le principe de toute bonne œuvre, et toute œuvre d’une telle âme dont la vie est la charité ne peut qu’être bonne, ayant Dieu qui est la charité pour principe ; ce sont ces âmes-là dont il est dit dans Jean 3, v. 21, que toutes leurs œuvres sont faites en Dieu.

 

v. 25. Ne nous retirant point de l’assemblée des fidèles, comme quelques-uns ont accoutumé de faire, mais nous exhortant les uns les autres, d’autant plus que vous voyez que le jour s’approche.

 

Il est impossible qu’une âme qui véritablement est convertie à Dieu ou qui a une volonté sincère de se convertir à lui se retire de l’assemblée des fidèles ; car tout l’attrait et le désir de son cœur tend à leur être uni, à jouir de leur aide, tout de même qu’il est impossible qu’un des membres du corps humain soit désuni ou séparé des autres, car il ne peut avoir de vie qu’en restant dans cette union. Mais comme je crois qu’il y a peu de passages de l’Écriture Sainte dont on abuse autant que de celui-ci, et que l’on explique et applique si mal à propos, il est bon d’expliquer un peu ici comment on l’entend. L’assemblée des fidèles est ce que l’on nomme l’Église, hors de laquelle il n’y a point de salut, car c’est l’Épouse et le corps de Jésus Christ dont il est le chef, et par conséquent ce corps est animé du même esprit et de la même vie dont ce chef est animé. Mais ce n’est donc pas une foule innombrable de gens du monde, qui ne connaissent point l’esprit de Jésus Christ, ne vivant point selon ses règles de l’Évangile et qui sont régis de l’esprit de ce monde, suivant leurs passions et appétits mondains et sensuels ; telles assemblées ne sont donc pas l’Église, puisqu’elles ne se laissent pas conduire par l’Esprit de l’Église qui est l’Esprit de Jésus Christ. Car quoiqu’elles confessent son nom et le prêchent dans leurs assemblées, étant unis entre eux par les confessions littérales et les cérémonies extérieures qu’ils ont établies et adoptées unanimement, cependant ils ne sont pas fidèles et ne peuvent être nommés tels ; car leurs œuvres et les inclinations qu’ils ont contredisent ce que signifie ce mot de fidèle, qui signifie que l’on observe religieusement et fidèlement la Doctrine de l’Évangile que l’on confesse. Il y a donc bien quelques âmes fidèles dans ces assemblées et différents partis ou religions du peuple qui se nomme Chrétien, qui sont celles qui se laissent régir et conduire par l’esprit de Jésus Christ, et ce sont celles-là qui, partout où elles sont dispersées dans toutes sortes de religions, composent l’assemblée des fidèles ou l’Église ; mais ces grands corps en gros et en général ne peuvent selon la vérité se nommer l’Église, puisqu’aussi bien parmi ceux d’entre eux qui se nomment gens d’Église ou Ecclésiastiques, aussi bien que parmi les Séculiers, le plus grand nombre sont des gens qui sont non convertis à Dieu, mais encore impénitents, gens de ce monde qui se laissent mouvoir et conduire par l’esprit de ce monde, et non par l’esprit de Christ. Ainsi l’on ne peut pas dire avec vérité que ceux qui se séparent de leurs assemblées se séparent de l’Église (comme l’on leur applique d’ordinaire ce passage) et sont, par cette séparation, séparés ou retranchés de la communion de saints, si d’ailleurs leur intention n’est pas de vivre dans le libertinage, mais par scrupules de conscience, tâchant d’ailleurs de vivre saintement et de pratiquer avec soin les maximes de l’Évangile. Car cette assemblée des fidèles est spirituelle et non corporelle dans sa pureté, réalité et vérité, de même que l’aide et le profit qu’en reçoit chaque âme fidèle est spirituel, changeant le cœur, le liant à Dieu de plus en plus, donnant lieu à son St. Esprit de le posséder entièrement, séparant l’âme de l’amour du monde et d’elle-même, car c’est là le fruit qui provient de cette assemblée et communion des fidèles dont l’Apôtre parle ici et qu’il entend, par où tous ces fidèles sont conduits peu à peu chacun en son rang à l’union Divine. Ainsi, quoique la plupart des fidèles soient dans les corps de ces grandes sociétés ou religions qui se nomment Chrétiennes, et peuvent pratiquer les cérémonies qui y sont usitées avec fruit selon la pureté de leur intention, et ne soient pas obligés de s’en séparer pour être ou devenir bons Chrétiens ou fidèles, parce que la moindre partie de ceux qui composent ces assemblées le sont, cependant on ne peut pas dire, selon la vérité, que ceux qui s’en séparent se séparent de l’assemblée des fidèles, si leur volonté et intention est par cette séparation de chercher, avec plus d’ardeur et d’assiduité qu’ils n’ont jamais fait, l’union avec Dieu et avec les fidèles membres vivants de l’Église de Jésus Christ, en renonçant au monde et à toutes les créatures, et particulièrement à eux-mêmes et à leur esprit propre ; et quand même leur séparation serait faite par un Zèle mal entendu et un manque de connaître à fond où est la corruption qui leur peut nuire réellement, qui est uniquement celle qui est en eux, cependant on ne peut les accuser pour cela de s’être séparés de l’Église, encore moins les persécuter, bannir ou maltraiter pour cela, et ceux qui le font marquent, par ce procédé même, qu’ils ne sont rien moins que possédés de l’esprit de Jésus Christ, mais bien du contraire, puisque cet esprit de Jésus Christ ne force personne et ne cherche personne, son peuple est un peuple de franc vouloir. Il est bien vrai que du temps que l’Apôtre a écrit cette Épître, l’Église de Jésus Christ était plus assemblée extérieurement qu’elle n’est aujourd’hui ; ainsi il entendait aussi selon la lettre les assemblées extérieures usitées entre les Chrétiens d’alors, car ils n’avaient dans leurs assemblées que de ceux qui confessaient de cœur ce que leur bouche prononçait et qui le prouvaient par la sainteté de leur vie dans toute leur conduite ; il n’y en avait qu’un très petit nombre de ceux qui devenaient lâches, tièdes et nonchalants dans la pratique de la piété, et c’était de ceux-là que l’Apôtre parle ici, et qui devenaient aussi nonchalants à fréquenter les assemblées des Chrétiens, où l’on reprenait la tiédeur et dans lesquelles un tel qui était lâche de cœur était repris par les autres dans sa propre conscience, sans qu’il eût même besoin qu’ils lui disent une seule parole ; l’esprit de Christ, qui était en tous, leur faisait connaître et sentir le mauvais état de celui qui lui-même était aussi repris intérieurement par eux, comme St. Paul le dit de l’infidèle qui entre dans l’assemblée des Chrétiens (1. Cor. 14, v. 24-25), et cette crainte d’être ainsi jugé par l’esprit intérieur qui habitait dans un chacun était la cause que celui qui se laissait aller volontairement à la nonchalance et à la tiédeur s’absentait aussi de ces assemblées, où tous ceux qui les composaient étaient d’ailleurs la plupart du temps exposés à la plus cruelle persécution, à être martyrisés et massacrés comme il arrivait si souvent. Ainsi les tièdes s’en absentaient volontiers pour éviter ces inconvénients. À présent, les choses sont bien changées, et ces assemblées sont pour la plupart une occasion à faire entretenir les hommes qui les composent dans leur impénitence et nonchalance, puisqu’ils se font une œuvre méritoire d’y aller et croient rendre service à Dieu lorsqu’ils assistent aux cérémonies qui s’y pratiquent, vivant au reste selon les inclinations de leur nature corrompue ; ils sont même entretenus dans cette fausse croyance et erreur par bien des Ecclésiastiques, qui ne peuvent souffrir qu’on ne les écoute pas, mais qui tolèrent les vices dans ceux qui les écoutent le plus assidûment, pendant que la vie la plus vertueuse des autres, lorsqu’ils s’absentent de leurs assemblées, ne les peut mettre à l’abri de leur persécution. Ainsi, au lieu que les Chrétiens s’exposaient dans ces premiers temps de l’Église Chrétienne au mépris et à la persécution du plus grand nombre des hommes en fréquentant les assemblées Chrétiennes, ceux qui aujourd’hui s’absentent des assemblées de nos Chrétiens de nom (qui ne le sont qu’ainsi pour la plupart, étant Païens en effet) s’exposent au contraire à leurs mauvais traitements. Ainsi l’on abuse de ce passage très lourdement et l’applique très faussement. Car en vérité il n’y a aujourd’hui aucun corps d’Église, quel qu’il soit, ni grands ni petits, sociétés ni confréries cimentées par les hommes, quelque bonne intention qu’ils aient, des anciens et modernes, qui puisse dire avec vérité être l’Église de Jésus Christ, et ceux qui s’en vantent le plus sont le plus grossièrement dans l’erreur, puisque l’Église de Jésus Christ est composée des membres vivants de son corps, et qu’aucun autre n’y a part de ceux qui ne se laissent pas mouvoir et conduire par son esprit. Car si quelqu’un n’a point l’esprit de Jésus Christ, celui-là n’est point à lui (Rom. 8, v. 9-14), et n’est par conséquent point de son Église. Car les Enfants de Dieu sont ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu. Ainsi à présent son Église et l’assemblée de ses fidèles est partout, et n’est nulle part renfermée et restreinte dans un corps particulier, et ceux qui sont de cette assemblée spirituelle sont unis dans le même esprit, ils communiquent ensemble très réellement, ils expérimentent de loin et de près cette communion et aide mutuelle que l’esprit de Dieu opère dans tous selon son bon plaisir, pour l’édification du corps de son Église, et ils expérimentent entre eux dans leur intérieur l’excommunication et l’éloignement, la séparation que cause l’infidélité dans ceux qui, étant entrés par l’opération et appel de Dieu dans cette union, n’y sont pas fidèles ; ils sont jugés des autres dans leur intérieur, sans paroles ni assemblées formées pour cela, par l’esprit de Dieu qui est en tous, comme l’on dit qu’il l’était parmi les premiers Chrétiens, étant jugés d’eux extérieurement par leurs paroles. Dans cette Église spirituelle, tout se fait en réalité et vérité ce que l’on pratique en forme et figure extérieure dans les formes des religions les plus réglées et les plus rigides qui n’ont gardé que l’écorce, l’esprit de l’Église s’étant retiré de tous ceux qui ne lui donnent pas entrée dans leur cœur par une solide conversion, quelque nom de Chrétiens qu’ils aient et titres de successeurs des Apôtres dont ils se vantent.

 

v. 26. Car si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n’y a plus désormais d’hostie pour les péchés.

v. 27. Mais une attente effroyable du jugement et l’ardeur du feu qui doit dévorer les ennemis de Dieu.

 

S’il y a un passage dans l’Écriture Sainte qui doive faire trembler tous ceux qui ont reçu des grâces de Dieu particulières pour la connaissance de la vérité, c’est celui-ci. Car en vérité c’est une chose terrible que de n’être pas fidèle à mettre en pratique les lumières que Dieu nous donne pour connaître notre état dans l’impénitence où nous sommes, nous faisant luire la lumière de sa grâce dans notre intérieur, par laquelle nous sommes frappés et éclairés merveilleusement et découvrons des choses que nous n’avions jamais sues ni que nous n’aurions pu croire, quoiqu’on nous les ait dites et que nous les ayons entendues et lues mille fois dans l’Écriture Sainte et ailleurs. Mais c’est toute autre chose lorsque la parole Éternelle vient elle-même luire dans nos ténèbres, c’est-à-dire dans notre âme qui est encore gisante dans les ténèbres du péché, dans l’état d’impénitence. C’est cette lumière que Jésus Christ, qui l’est lui-même, apporte dans l’âme pour l’instruire de la vérité, qui est de son état corrompu et damnable dans lequel elle est. Car c’est la vérité dont il lui est nécessaire d’être instruite. C’est ce que signifie ce passage. Le peuple qui gisait en ténèbres a vu une grande lumière, et à ceux qui gisaient dans l’ombre de mort la lumière s’est levée. Ô, certes, âmes tant favorisées de Dieu que d’avoir reçu une telle grâce, que d’être touchées de lui, d’être éclairées dans votre intérieur de votre mauvais état et de ce que Dieu demande de vous pour en sortir, prenez bien garde de mettre à profit cette grâce singulière ; car si dans le temps des épreuves intérieures que Dieu vous envoie après vous avoir convaincu clairement de ce qu’il demande de vous et après que vous vous êtes données à lui, ayant entrepris de mettre en œuvre le renoncement à vous-même et à toutes choses, ce qui est absolument nécessaire pour poser le fondement d’une solide et vraie conversion, prenez bien garde de ne pas retourner en arrière lorsque le temps des épreuves est venu et qu’il ne vous arrive comme à l’homme fou qui a bâti sa maison sur le sable, dont la ruine a été grande, parce qu’il n’a pas persévéré dans le temps des épreuves ; vous voyez ici la grande difficulté qu’il y a à recouvrer la grâce que l’on a méprisée ; car à celui auquel il est beaucoup donné, il lui sera beaucoup redemandé. Et qui ne met pas à profit les grâces qu’il a reçues de Dieu, la fin d’un tel homme est pire que le commencement. Et ne croyez pas, vous qui faites si peu de cas de ces grâces que Dieu vous a faites, qui par paresse et légèreté ne voulez pas les mettre à profit à présent, malgré la conviction intérieure que vous avez que c’est ce que Dieu demande de vous, qui pensez : il est encore temps, je suis jeune, une autre fois, cette parole du renoncement total est trop rude pour moi, ne vous flattez pas, dis-je, qu’ayant méprisé cette grâce qui vous est offerte à présent, il dépendra de vous de la recouvrer quand il vous plaira, non, certes, ceux qui la méprisent en seront privés ; l’endurcissement suit le mépris des grâces, et si vous avez endurci votre cœur aujourd’hui que vous avez eu la grâce d’entendre la voix du fils de Dieu dans votre intérieur, croyez certainement que vous périrez dans votre endurcissement si vous ne vous hâtez pas d’en sortir à présent qu’il en est encore temps ; car cet endurcissement deviendra toujours plus dur et inflexible, et il faudra le feu terrible dont il est parlé ici pour vous amollir et consumer, étant devenus ennemis de Dieu par votre incrédulité et rébellion, par le mépris que vous avez fait de ses grâces ; que celui qui le veut hasarder le fasse ! Pour nous, ô Dieu, tu nous en garderas par ton amour et ta bonté, tu nous feras la grâce d’en profiter. C’est donc la Lumière charmante du Soleil de justice qui se lève dans l’âme du pécheur, qui en est touché et charmé, tout comme un homme que l’on tirerait d’un cachot obscur pour l’amener à jouir de la clarté du Soleil luisant dans un jour serein, ou comme un aveugle-né qui n’a jamais vu le jour auquel le Seigneur Jésus redonne la vue. C’est cette lumière de la vérité qu’il faut mettre à profit. Mais on ne le peut faire autrement qu’en étant fidèle dans les épreuves que chaque état dans lequel l’âme est mise par la conduite de Dieu apporte avec soi, depuis le premier pas de la conversion jusqu’à la fin, qui est le but ou terme, savoir la réunion de l’âme avec Dieu, son Origine et principe. Chaque pas, dis-je, qu’il faut faire pour arriver à ce but est accompagné des tentations, épreuves, morts et renoncements qui lui conviennent et par lesquels l’âme est toujours de nouveau mise à l’épreuve si elle veut persister dans le renoncement à elle-même et à toutes choses ; ou bien si elle veut se reprendre en propre et les choses qui lui appartiennent et qu’elle a abandonnées à Dieu, comme à celui qui en est le légitime Maître et Seigneur, auquel elle l’avait ravi injustement ; et plus elle avance dans le chemin qui conduit à la réunion à Dieu, plus les tentations sont subtiles et dangereuses et plus la déchéance de l’âme est terrible et difficile à se relever si elle ne met pas à profit le moment de la grâce qui lui est présentée pour cela, qui est toujours accompagnée de la force nécessaire que Dieu communique à l’âme, afin que sa volonté se puisse déterminer à accepter la grâce que Dieu lui présente pour se relever de sa chute et pour sortir des ténèbres où la tentation l’a plongée. Ainsi ceux qui ont reçu beaucoup de grâces de Dieu ont à bien prendre garde à eux pour les mettre à profit par une fidélité très singulière ; et plus Dieu leur fait expérimenter leur faiblesse et impuissance pour pouvoir par eux-mêmes ou par leurs propres efforts se tirer ou se garantir des tentations et écueils dans le chemin du retour à Dieu ; avec d’autant plus de soin doivent-ils profiter promptement et à point nommé de la force qui leur est communiquée par la grâce de Dieu, au moment qu’ils sentent bien qu’elle leur est offerte, sans retardement, car si nous négligeons le moment Divin où Dieu nous veut aider par sa grâce puissante, nous la perdons aussitôt, il la retire avec justice ; car il hait ceux qui la méprisent, et la fidélité de l’âme consiste toujours à accepter humblement et promptement la grâce qui lui est présentée sans délai. La parabole des vierges nous le montre, les folles voulurent aussi entrer dans la Salle des noces, mais ayant négligé le temps divin, elles ne purent y être admises. C’est donc pécher volontairement que de mépriser et ne pas accepter la grâce qui nous est présentée, pour sortir de l’état où nous sommes, convaincus qu’il est mauvais et contraire à l’ordre de Dieu, et dans lequel nous savons bien que si nous y persistons, nous ne sommes point dans l’ordre et dans la volonté de Dieu, qui est pour nous et notre état en particulier selon l’appel de Dieu, et ainsi que nous savons bien être un état de rébellion ou de résistance à Dieu, quelque bonne apparence qu’il pût avoir aux yeux des hommes qui, non éclairés de la lumière Divine et ne jugeant que selon l’apparence, pourraient bien croire notre état bon et saint étant exempt de vices repréhensibles à leurs yeux. Mais la propriété est la racine du péché, ce qui fait son venin et ne peut subsister devant l’amour Divin, qui est le feu consumant.

 

v. 28. Celui qui a violé la loi de Moïse est condamné à mort sans miséricorde sur la déposition de deux ou de trois témoins.

v. 29. Combien donc croyez-vous que celui-là sera jugé digne d’un plus grand supplice, qui aura foulé aux pieds le fils de Dieu, qui aura tenu pour une chose vile et profane le sang de l’alliance par lequel il avait été sanctifié, et qui aura fait outrage à l’esprit de la grâce ?

 

L’Apôtre continue à faire voir combien grande est la déchéance de ceux qui, ayant passé par la première conversion du péché à la grâce, ayant été sanctifiés par le lavement de cette première conversion et ayant reçu en eux le Saint Esprit qui les voulait conduire jusqu’à l’union Divine, se retirent de cette conduite Sainte. Si, dit-il, celui qui a violé la Loi de Moïse, qui ne demandait qu’une purification et des observations extérieures, était condamné à la mort sans miséricorde, combien sera jugé digne d’un plus grand supplice celui qui aura foulé aux pieds le fils de Dieu, etc., cela veut dire que le péché que les personnes intérieures qui ont reçu en elles l’esprit de grâce de Jésus Christ commettent en se retirant de sa conduite sera puni bien plus sévèrement, savoir par l’ardeur du feu, dans la vie à venir, qui est si terrible et épouvantable que rien de ce qui est le plus ardent dans ce monde n’y peut être comparé.

Mais, Saint Apôtre, dites-nous, comment donc, n’y a-t-il plus d’offrande pour de tels péchés commis contre toute la connaissance de ceux qui les commettent ? Ô, certes, voilà qui paraît bien dur ! Est-ce donc que l’offrande de notre Divin Sauveur ne peut leur être appliquée ? C’est ce qui ne peut être le sens positif des paroles de l’Apôtre selon ce que nous en croyons ; nous ne croyons pas qu’il pose une impossibilité absolue et qui ne puisse jamais être levée du côté de Dieu. Car comme nous l’avons déjà posé, il a toujours les bras ouverts et étendus pour recevoir tous ceux qui veulent venir à lui. J’ai tout le jour eu mes bras étendus vers un peuple rebelle et contredisant (Ésa. 65, v. 3). S’il n’était pas toujours prêt à les recevoir dès aussitôt que quelqu’un d’entre eux veut venir à lui, il n’aurait pas les bras de son amour toujours étendus pour les recevoir. Ainsi l’Apôtre veut seulement marquer par ces expressions la grande difficulté qu’il y a pour que de tels se repentent et rentrent dans l’ordre de Dieu dans cette vie ; difficulté qui est du côté de la créature, qui a tant de peine à se soumettre, et non du côté de Dieu, qui est toujours prêt à la recevoir dès qu’elle se soumet. Plus les grâces qu’on a reçues de Dieu sont excellentes, plus leur mépris est difficile à réparer, parce qu’il suppose un endurcissement terrible de la créature et une malignité Diabolique qui les a fait fouler aux pieds et mépriser. Le remède pour de tels maux est violent et c’est le feu ardent dont il parle ici, qui doit consumer les adversaires ou les ennemis de Dieu, qui est la propriété dans laquelle telles âmes sont rentrées et se sont fixées de nouveau. L’Apôtre signifie aussi par cette expression de l’ardeur du feu qui doit dévorer les ennemis de Dieu que ces âmes qui ont reçu tant de grâce, qui ont résisté à l’esprit de grâce qui opérait en eux, étant rentrés dans leur propriété, qu’il ne faudra pas un feu moins ardent pour consumer cette propriété dans laquelle ils sont rentrés que celui des ennemis de Dieu pour les ramener à se soumettre à lui. C’est le sens que Dieu me donne de ces paroles, qui est conforme à l’amour de Dieu, qui n’est occupé qu’à employer les moyens les plus convenables, pour chaque créature qui est déchue de lui, pour la ramener dans son ordre Divin et dont la difficulté à y rentrer est toujours du côté de la créature, selon la grandeur du détour de sa volonté envers son Dieu et de son éloignement, et non pas du côté de Dieu, duquel les bras de son amour sont toujours ouverts pour recevoir tous ceux qui veulent venir à lui. Mais plus l’éloignement et l’endurcissement est grand, plus violents sont les remèdes que l’amour de Dieu l’oblige à employer pour guérir sa pauvre créature, et c’est le feu ardent qui est le remède pour ceux-ci. Il peut être nommé Enfer, dans ce monde ou dans l’autre, pourvu qu’il nous ramène à Dieu, qu’importe dans quel lieu.

L’Apôtre dit que c’est fouler aux pieds le fils de Dieu, et c’est la vérité ; car il marque par là que Jésus Christ avait pris sa demeure dans de telles âmes, qu’elles l’avaient reçu ; ainsi elles le foulent aux pieds, le chassent de leur intérieur en ne voulant plus se soumettre à sa conduite. Car il ne peut rester dans une âme qui ne le laisse pas régner en maître absolu et en Roi souverain ; car il y est venu pour régner, et lorsqu’il a essayé pendant un temps d’amener l’âme où il a eu entrée à cette entière soumission et abandon à lui par un entier renoncement à elle-même, l’ayant invitée plusieurs fois à cela, si elle ne veut pas se soumettre entièrement et le laisser régner en Maître et Roi absolu en elle, il se retire, et cette âme déchoit peu à peu de la grâce qu’elle avait ci-devant. La fin d’un tel homme est pire que le commencement. C’est là fouler aux pieds le fils de Dieu et tenir comme une chose profane le sang de l’alliance ; car l’alliance que Jésus Christ a faite avec nous en répandant son sang consiste en ceci qu’il veut s’unir à nous, en sorte que mourant à la propre vie de notre nature corrompue, nous recevions sa vie en nous pour nous animer, après que nous avons laissé opérer ce sang précieux qui nous fait mourir à notre vie propre ; si donc nous ne voulons pas lui laisser opérer cette œuvre en nous de la mort de notre propre vie, mais nous retirons de lui et voulons la conserver après qu’il a commencé de l’attaquer pour la faire mourir, nous profanons cette alliance et la rompons, puisqu’elle n’est établie entre Dieu et nous qu’à cette condition de souffrir qu’il fasse mourir en nous le vieil homme totalement ; nous profanons le sang de cette alliance qui est le Sang de Jésus Christ en ne lui laissant pas opérer son effet pour lequel il l’a répandu. C’est tout comme un malade qui aurait commencé à prendre le remède infaillible pour sa guérison qu’un Médecin habile lui aurait ordonné à condition qu’il continuât à s’en servir jusqu’à son entière guérison, et qui, sentant l’effet violent et douloureux que lui cause cette médecine, l’abandonnerait et ne voudrait pas la continuer ; il ne pourrait être guéri, et profanerait et mépriserait la médecine infaillible que ce médecin charitable lui avait offerte. C’est ainsi que nous faisons lorsque nous nous retirons de Dieu après nous être donnés à lui.

 

v. 30. Car nous savons qui est celui qui a dit : La vengeance m’est réservée et je la saurai bien faire, dit le Seigneur ; et ailleurs : Le Seigneur jugera son peuple.

v. 31. C’est une chose horrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant.

 

C’est une chose bien terrible pour la nature que de tomber entre les mains du Dieu vivant ; car c’est le feu consumant du Divin amour qui attaque et consume la vie impure de la nature ; c’est pour cela que cette nature le craint et qu’il est dit : Nul ne peut voir Dieu et vivre. Il faut passer par la mort. Mais quelque terrible que vous soyez, Divin amour, vos amants ne craignent pas vos rigueurs, et vous savez le secret de vous faire aimer d’autant plus que vous faites sentir ces rigueurs à vos amantes. Heureux celui qui se livre à votre feu volontairement, sans craindre le tourment, mais malheur à celui qui, n’ayant pas voulu souffrir ici ses ardeurs, ses rigueurs et la souffrance qu’il cause ! Il tombera nécessairement dans la vie à venir dans ce feu consumant ; ô quel cruel tourment ! Souffrons donc volontiers et nous livrons très librement à l’opération douloureuse et purifiante du Saint amour dans ce séjour ; nous verrons bien un jour combien de peines et tourments nous ont été épargnés par le peu de souffrances que nous avons portées ici. Ô Dieu, donne-nous patience, résignation, persévérance, à souffrir volontairement ce qu’il te plaît nous envoyer, pour t’honorer en sainte humilité, ô Dieu de charité ! Que l’amour pur chasse la crainte et qu’une sainte liberté qui se trouve dans l’esclavage du saint amour nous rende doux tous les travaux et tous les maux que ce charmant vainqueur nous met dessus ! Que son tourment fasse notre contentement !

 

v. 32. Or rappelez dans votre mémoire les jours précédents durant lesquels, après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand combat de souffrances.

v. 33. Ayant été, d’une part, exposés à la vue de tout le monde par des opprobres et des tribulations, et, de l’autre, ayant été compagnons de ceux qui ont souffert de semblables indignités.

v. 34. Car vous avez aussi été participants de l’affliction de mes liens et vous avez reçu avec joie le ravissement de vos biens, sachant en vous-mêmes que vous avez dans les Cieux des biens meilleurs et permanents.

 

L’Exhortation que l’Apôtre fait ici à ceux à qui il écrit marque que ce ne sont pas des commençants dans la voie que le Chrétien a à fournir, puisqu’il leur fait souvenir des premiers temps, du commencement de leur conversion, où ils ont été illuminés de la lumière de la grâce qui les a éclairés dans leur intérieur ; ce qui marque la première ferveur, le premier Zèle que toutes les âmes qui se convertissent à Dieu expérimentent ; dans lequel temps d’ordinaire elles ont à essuyer des mépris et persécutions de la part du monde, comme il le décrit ici, que ces Chrétiens ont soufferts avec joie ; ce qui arrive aussi dans le temps de cette première ferveur, où la grâce sensible que Dieu verse dans l’âme fait qu’elle souffre avec joie toutes les traverses extérieures qui lui arrivent pour l’amour de Dieu. C’est dans cet état que tant des martyres des premiers Chrétiens ont souffert non seulement le ravissement de leurs biens temporels, mais les plus cruels tourments et la mort, avec un courage héroïque et qui surpasse toutes les forces humaines, Dieu ayant pris plaisir à manifester sa puissance par les miracles éclatants qu’il a faits en leur faveur, comme les histoires que nous en avons en témoignent. Ce premier état de ferveur sensible était passé à l’égard des Chrétiens auxquels ceci est écrit, et l’Apôtre les veut précautionner contre les tentations qu’il savait bien être arrivées à plusieurs d’entre eux, dans les états de sécheresses et de tentations intérieures qui suivent la première conversion et la ferveur qui l’accompagne. Il leur fait voir le danger terrible où les âmes sont qui, dans cet état, tombent dans les écueils qui s’y rencontrent de lâcheté et de tiédeur, ou de régression tout à fait en arrière, et par lesquelles tentations chaque âme doit être éprouvée ; il montre les chutes funestes où l’on est exposé et la difficulté de s’en relever, comme on en a écrit ici. Car la tiédeur, la faiblesse, la langueur, le dégoût pour la piété, et les plus terribles tentations, et les sentiments des révoltes, des passions, saisissent alors l’âme. Tout souvenir des grâces et faveurs insignes qu’on a reçues de Dieu autrefois s’effacent de la mémoire et semblent être des songes qu’on a eus autrefois ; c’est pour cela que l’Apôtre leur en fait souvenir, pour les engager par là à la patience et à la persévérance dans les états de misère qu’ils expérimentent à présent. Il réveille aussi leur espérance des biens à venir, qui a fait qu’alors ils avaient souffert avec joie le ravissement de leurs biens temporels.

 

v. 35. Ne perdez donc pas la constance que vous avez, qui doit être récompensée d’un grand prix.

 

Ces exhortations de l’Apôtre marquent bien la grandeur des épreuves intérieures où il fallait que fussent ceux auxquels il écrit, puisqu’il semble que des personnes qui ont souffert tant de maux et de persécutions et exercé tant d’éclatantes vertus, comme celles dont il fait ici mention, devaient être dans un état si affermi dans le Christianisme qu’elles n’eussent pas besoin de ces exhortations, encore moins des menaces terribles que l’Apôtre leur fait en leur montrant le grand danger où elles sont de faire des chutes si funestes qu’elles sont presque sans ressource ; rien ne marque donc plus clairement la grandeur des épreuves intérieures où des âmes d’un grand Zèle et grande ferveur dans les commencements de la course doivent passer dans la suite que l’exemple que l’on nous met ici devant les yeux ; et ce sont les épreuves et terribles tentations qui arrivent aux âmes qui se sont données à Dieu dont on a tant écrit pour les encourager et avertir d’y être fidèles.

Saint Paul savait bien que rien n’est plus important et nécessaire que de garder la confiance en Dieu dans quelque état de tentation et de misère où l’on se puisse trouver ; c’est pourquoi il y exhorte ici si expressément ; en effet, c’est un puissant soutien pour la pauvre âme battue des vents et orages sur la mer fougueuse de toutes sortes de tentations ; la confiance en Dieu adoucit toutes choses, elle tranquillise et garantit contre le doute et le découragement. L’âme, dans son plus grand désastre ne sachant où elle en est, ne trouvant que sujet de désespoir en se regardant, et l’état déplorable où elle se voit réduite, elle est abattue et proche du désespoir ; mais une confiance dans la fidélité de son Dieu la relève et la console ; elle dit : Quoi qu’il en soit, Dieu est fidèle, et quoi que je ne trouve en moi même que sujet de désespoir, qu’infidélité et que malice, je me repose sur la fidélité de mon bon Dieu, auquel je me suis abandonné ; c’est en lui que je mets toute ma confiance, car mon Sauveur qui m’a pris en sa conduite se nomme le fidèle et le véritable, et plus je trouve sujet de désespérer de moi-même et de mon état, d’autant plus veux-je mettre toute ma confiance et mon espérance en lui seul, par un délaissement et abandon total entre ses mains ; qu’il fasse de moi tout ce qui lui plaira. Reste dans cette bonne résolution, ô âme désolée et accablée du poids de tes misères et de tes tentations ! et ton espérance et ta confiance ne sera pas vaine, mais ton Dieu te fera expérimenter qu’il ne se dément point du nom de fidèle et de véritable qu’il porte. Cette confiance est un bon préservatif dans toutes les épreuves et tentations, tiens-t’y ferme, ô âme, c’est un remède pour tous les maux. Car pas un de ceux qui se sont confiés en Dieu ne seront confus (Psau. 25, v. 3) et cette confiance est suivie d’un grand prix. Ce prix est dès cette vie l’adoucissement qu’elle apporte dans toutes les peines, la paix qu’elle communique, et enfin l’on obtient selon l’intention de Dieu ce que l’on avait espéré, savoir la délivrance de tous les maux, savoir de tout ce qui nous empêchait l’accès vers Dieu et l’entrée dans son union permanente.

 

v. 36. Car la patience vous est nécessaire afin que, faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis.

 

Rien n’est plus nécessaire dans les voies intérieures que la patience, surtout dans les états d’épreuves, de ténèbres et tentations qui accompagnent celui de la purification foncière de l’âme, qui est l’état où se trouvaient ceux à qui ceci est écrit ; l’on est bien souvent tenté par l’impatience dans les misères que l’on éprouve, et toutes les adversités qui peuvent arriver au dehors ne sont pas à comparer avec la patience dont on a besoin dans les épreuves intérieures et changements d’états et disposition que l’on expérimente dans ces épreuves pénibles. Prions donc Dieu qu’il nous la donne, et après qu’elle aura été bien exercée, nous obtiendrons les biens qui nous sont promis. C’est l’Éternel notre Dieu qui est notre portion.

La volonté de Dieu, que nous avons principalement à faire, c’est de lui laisser opérer notre sanctification en souffrant les opérations du feu purifiant de son pur amour dans nos âmes, par lequel cette sanctification se fait. Ce n’est donc pas la multiplicité des bonnes œuvres que Dieu demande de nous pour accomplir sa volonté, quoiqu’on n’en exclue nullement celles que notre devoir requiert, chacun dans la condition où Dieu l’a appelé, et celles qu’il demande de nous qu’il nous fait connaître par sa providence et auxquelles il nous pousse, mais la volonté de Dieu qui est notre sanctification et qui l’opère proprement est à notre égard de souffrir cette opération sans y résister, sous quelque prétexte que ce soit ; c’est là l’œuvre qu’il demande de nous, qui lui est la plus agréable, puisqu’en restant passif sous l’opération de son esprit d’une manière souffrante, nous coopérons à cette œuvre de notre sanctification de la manière la plus efficace et qui lui est la plus agréable, toute la multiplicité de nos œuvres faites par notre propre esprit et mouvement et de notre propre choix, quoique faites à bonne intention, n’étant propres qu’à retarder et empêcher l’accomplissement de cette œuvre de Dieu en nous dont dépend notre sanctification. L’on sait que les biens qui nous sont promis sont ceux dont nous jouirons dans la vie Éternelle, et dont la plupart des hommes se flattent d’en avoir la possession, mais sans avoir vécu pour Dieu dans ce monde, ce qui est une grande erreur. Mais ceux qui ont embrassé la vie renoncée dans ce monde à la suite de notre Sauveur recevront dès cette vie, quoique non dans leur plénitude, la jouissance de ces biens qui nous sont promis, qui consistent principalement dans la jouissance de Dieu dès cette vie ; ce qui surpasse à l’infini tous les biens qui ne sont pas lui-même, autant que le Créateur surpasse en excellence tous les biens qu’il a créés.

 

v. 37. Parce qu’encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra et ne tardera point.

 

Oui, il viendra, notre Dieu, et se manifestera dans nos cœurs ! Quoiqu’il semble retarder, il se hâte de venir ; c’est pour cela qu’il fait son œuvre sans retardement et ne laisse pour ainsi dire pas le temps de prendre haleine aux âmes qui sont si généreuses que de s’abandonner à lui sans réserve ; il se hâte de parachever son œuvre en elles, ce qui ne peut se faire que par les tentations et peines intérieures par lesquelles Dieu prépare l’âme afin de pouvoir se manifester en elle lorsque le Feu de purification a consumé toute l’impureté de l’âme qui empêchait ce digne hôte de s’y manifester.

 

v. 38. Or le juste (qui m’appartient) vivra de la foi ; que s’il se retire et s’il s’affaiblit, il ne me sera pas agréable.

 

Le mot ajouté au texte (qui m’appartient) explique fort bien le sens de l’Apôtre, pour marquer quel est le juste qu’il entend et en quoi consiste sa justice ; elle consiste en ce qu’il appartient à Dieu, c’est l’âme qui s’est abandonnée à sa conduite. C’est cet abandon et donation qui fait sa justice ou qui la rend juste, car c’est en cela que consiste l’acte de justice que Dieu demande de nous, parce que nous lui rendons par là ce qui lui appartient. Une telle âme doit vivre de foi, de confiance en ce Dieu fidèle auquel elle s’est abandonnée, et doit y persévérer inébranlablement dans toutes les épreuves qui lui arrivent ; elle doit toujours rester dans son abandon à Dieu, ne doit point s’en retirer, quoi qu’il arrive ; mais si elle le fait ou s’affaiblit devenant lâche et tiède, ce qui arrive lorsqu’on se retire tant soit peu de son abandon, dès aussitôt la force divine de l’esprit de la foi, qui nous soutient par le fond de notre âme où il réside, se retire, et nous sommes affaiblis, nous défaillons nécessairement. De telles âmes ne sont point agréables à Dieu. Ô l’importante leçon ! Prenons-y bien garde, c’est ici d’où viennent toutes les déchéances des âmes pieuses qui s’étaient données à Dieu ! Lorsque les épreuves viennent de toute autre espèce qu’elles ne les avaient attendues, elles se retirent, et la force de l’esprit de la foi qui était dans leur centre se retire aussi, parce que cet esprit est outragé lorsque nous entrons en crainte et en doute de sa fidélité à nous garder après que nous nous sommes abandonnés à lui ; c’est toujours le manque de foi ou de confiance en Dieu (car c’est la même chose) qui cause qu’on se retire et dévient faible ; c’est là le grand écueil des âmes intérieures que Dieu a favorisées de tant de grâce que de les attirer à soi d’une manière si particulière. Fions-nous donc en Dieu et ne lui faisons pas l’injure de croire, quoi qu’il arrive et dans quelque état de misère que nous nous trouvions, qu’il nous abandonnera et nous laissera tomber et égarer, qu’il négligera de faire son œuvre en nous, si nous restons dans notre abandon à lui, ce qui est rester dans la foi et en vivre, car elle nous soutiendra d’une manière secrète inconnue aux sens mais très efficace, car elle est l’esprit de vie de Jésus Christ en nous.

Qu’est-ce donc que la foi dont le juste doit vivre, car ces paroles sont d’un grand sens ? Ce qui nous fait vivre, c’est l’esprit qui nous anime ; ainsi c’est donc l’esprit de la foi qui fait vivre le juste. Mais en vérité cet esprit de la foi est aussi peu connu à présent parmi le général des hommes que la foi même ; l’on parle à la vérité beaucoup de la foi, ce nom est fort commun, l’on le prend en diverses manières, auxquelles nous ne voulons pas nous arrêter. Communément l’on entend par ce mot de foi la religion ou le culte extérieur que l’on professe, les symboles que l’on a adoptés, l’on les nomme sa confession de foi ; mais comme cela n’est que la confession de foi historique, cela ne peut être l’esprit de la foi dont le juste vit ou qui l’anime. Voyons donc quelle est cette foi en la réalité ; je dis que l’esprit de la foi qui produit la véritable foi, laquelle foi est le fruit de cet esprit, est l’Esprit de Christ, qui anime le nouvel homme lorsqu’il est reformé en nous ; c’est cet esprit ou cet homme Divin dont j’ai dit que l’homme l’a perdu par sa chute, et dont tous les hommes tels qu’ils naissent et vivent dans ce monde dans leur état naturel sont dépourvus, lequel esprit ils reçoivent de nouveau par la régénération. C’est cet esprit-là qui est l’esprit de la foi et qui produit la véritable foi dans les âmes justes, qui sont les âmes régénérées dont il est question ici ; ces justes vivent de la foi, ils sont vivifiés, mus et régis par cet esprit, car l’esprit qui nous anime est le même esprit qui nous meut et pousse à tout ce que nous faisons. C’est donc le moteur qui fait vivre ou donne la vie à cette âme juste ou régénérée, qui anime cette partie. Il n’y a point de juste que Jésus Christ, et c’est uniquement l’âme en laquelle il vit et règne qu’il rend juste de sa justice, parce que ce n’est plus en elle et par elle qu’elle vit, mais en lui et par lui ; c’est son esprit uniquement qui vit en elle, et c’est ainsi que cette âme vit de la vie de la foi. Ô que cet esprit de Christ est inconnu ! Celui qui en vit ne vit plus dans aucune autre région, ni dans la terrestre ni dans l’astrale, ni dans les sens, ni dans la raison. C’est du centre de son cœur qu’il tire sa vie ou d’où la vie lui est communiquée ; et comme cette vie de nouvelle créature lui est toute nouvelle, elle a peine au commencement de s’y ajuster, à cause de sa simplicité et unité, car c’est la vraie vie naturelle de l’âme dans l’état d’innocence où l’homme a été créé. Ainsi cette vie n’a rien d’extraordinaire pour le nouvel homme, car c’est la vie qui lui est propre. C’est cette vie qui commence à se manifester dans l’âme, en la poussant et inclinant par l’attrait du Centre, qui la meut à tout ce qui est agréable à Dieu, jusqu’à ce que la nouvelle créature soit toute formée et se manifeste en l’âme. Alors elle commence à vivre véritablement d’une vie nouvelle, et ses actions et toutes ses productions sont des effets ou productions de l’esprit de la foi, ce sont ses fruits. Ainsi l’attrait du Centre est le commencement de la vie de la foi du juste, car nous devenons justes dès aussitôt que, nous démettant de nous-mêmes et de notre propre conduite, nous nous laissons conduire par l’esprit de la foi qui est l’esprit de Jésus Christ manifesté en chair, ou qui se manifeste en notre chair, ou dans notre humanité, dans le centre de notre âme, d’où il prend le domaine de tout notre Être pour nous vivifier et nous conduire, et nous enseigner la vérité, c’est-à-dire nous enseigner toutes choses comme elles sont dans la vérité. C’est ainsi que Jésus Christ se manifeste en nous comme le chemin où il nous conduit, comme la vérité qu’il nous enseigne, puisqu’il est notre seul Docteur, et comme la vie (Jean 14, v. 6) ; c’est son esprit qui nous anime et ainsi qui nous fait vivre, c’est là la vie de la foi dont le juste vit. Mais si quelqu’un se soustrait, mon âme ne prend point de plaisir en lui ; se soustraire est ne pas suivre la conduite que l’esprit de la foi nous a une fois indiquée et qu’il nous a manifesté que c’est celle-là qui est la voie par laquelle Dieu nous veut conduire, dont il nous a donné une conviction suffisante avec lumière et onction lorsque nous nous sommes abandonnés à lui ou dans le temps que nous avons renouvelé cette donation totale de nous-même à Dieu, à laquelle nous avons été attirés par l’attrait du Centre, qui est l’opération de l’esprit de la foi en nous. Si, dis-je, ayant reçu cette conviction du chemin que Dieu nous veut conduire et des moyens qu’il s’est choisis pour nous y guider, nous nous en soustrayons dans le temps de l’épreuve et de la tentation lorsque cette conduite ne va pas selon nos idées, que nous n’y trouvons que mort et renoncement pour notre propre esprit, pour nos sens et notre raison, pour nos vues et inclinations, aussi bien qu’à l’égard de ce que nous avons cru être agréable à Dieu et conforme à sa volonté dans le spirituel, lorsque par cette conduite les vues que nous avions se trouvant fausses, si, dis-je, trouvant tant de mécompte dans cette voie où Dieu nous mène, nous l’abandonnons et rentrons dans notre propre conduite, nous laissant séduire par notre amour propre qui se couvre de spécieux prétextes qui nous paraissent très valables selon notre raison, nos lumières et vues que nous croyons alors, dans ce temps d’épreuve, être Divines, c’est à quoi Dieu ne prend point plaisir ; car, nous laissant rendre suspects le chemin et le moyen que Dieu s’est choisis pour nous conduire, nous nous soustrayons de la dépendance enfantine et simple dans laquelle Dieu nous avait mis, où il nous avait fait goûter la paix intime du cœur et la sérénité tranquille dans notre entendement qui accompagne la conduite de l’esprit de la foi, où l’on se trouve vide des raisonnements divers et des réflexions et pensées importunes qui combattent et mettent en doute, et font perdre la paix du cœur qui se trouve dans l’ordre Divin en suivant le chemin Enfantin. Prenons-y donc bien garde, ne prenons pas le change, suivons en simplicité ce guide doux mais subtil et délicat de l’attrait du centre, qui est si fort séparé de tout ce qui touche les sens, car il nous attire et mène au renoncement, il nous incline à surpasser les goûts et lumières sensibles et distinctes dans le spirituel, nous portant à la foi obscure, à l’abandon total sans lumière distincte, à aimer, à s’ignorer et à se laisser à son Dieu comme l’on est, sans fin ni mesure mais à sa pleine discrétion sans distinction. Il nous attire à l’obéissance et dépendance en renonçant à notre propre volonté sans raisonner. C’est à quoi le Divin Enfant Jésus prend plaisir, il caresse les Enfants qui l’imitent ainsi dans son obéissance et sainte dépendance, c’est là à quoi il prend très grand plaisir. Suivons donc ce chemin qu’il nous a montré où il nous a engagés, et méprisons la tentation qui veut nous ravir tout le bien qui se trouve à être enfantin.

 

v. 39. Mais quant à nous, nous ne sommes point des personnes à nous retirer de Dieu, ce qui serait notre ruine ; mais nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos âmes.

 

Abandonner le chemin où l’esprit de la foi nous a mis par l’instinct et conviction de l’attrait du Centre pour rentrer dans sa propre conduite ou en prendre une autre, c’est se retirer de Dieu ; l’ennemi fait son possible pour nous persuader, dans le temps de l’épreuve, que ce n’est pas Dieu que l’on abandonne, mais un moyen particulier, une personne qui n’est rien que faiblesse et misère en elle-même regardée hors de Dieu, et à laquelle l’on est fort supérieur en tout point à regarder les choses dans la créature, et non en Dieu. Mais l’on expérimente puis après que c’est de l’ordre de Dieu que l’on s’est écarté, et qu’ayant méprisé les moyens qu’il nous avait choisis lui-même pour nous conduire sûrement jusqu’à lui, nous nous sommes faits un tort qui peut-être est irréparable ; car c’est à nous qu’il convient de nous accommoder à sa conduite, et non à lui à nous conduire selon notre caprice et bon sembler, auquel il faut que nous renoncions entièrement si nous voulons être conduits par l’esprit de la foi. C’est pendant tout le temps que nous n’avons encore que l’attrait du centre que nous sommes exposés à nous laisser détourner de ce chemin où Dieu nous a conduits. C’est l’Enfance et la simplicité qui nous garantit de tout danger. Mais si nous restons fermes dans cette foi et abandon à Dieu malgré tant de tentations, d’épreuves et de doutes, tant de combats que nous avons à soutenir, nous trouverons enfin par la persévérance le salut de nos âmes dans la perte de nous-même, et la réunion à Dieu dès cette vie, à quoi il nous a appelés et où se termine sûrement le chemin dont on a écrit ici.

Ce qui serait notre ruine. Ce serait la ruine de notre intérieur. J’entends par là la ruine de la vie nouvelle de grâce, vie de la nouvelle créature qui commence à vivre en nous par l’attrait du centre que nous expérimentons. C’est de quoi Dieu nous gardera, car ce serait étouffer l’Enfant Jésus dans notre âme, ce serait crucifier de nouveau le Seigneur de gloire en nous, qui veut y prendre possession de son règne de gloire en y dominant lui seul. Ce serait lui faire outrage, l’exposer à opprobre. Dieu nous en garde par sa grâce.

Mais nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos âmes.

Amen, Jésus, affermis-nous toi-même dans l’abandon à toi ; que cette Loi soit en nous inviolable, persévérant jusqu’à la fin à te rester abandonnés à toi, ô saint amour Divin, et nous éprouverons que notre perte fait notre gain ; n’ayant rien gardé en réserve, ni corps ni âme, ni vie ni santé, ni temps ni Éternité, le salut nous sera très assuré, nous l’aurons dès ici dans l’union à ta très sainte volonté.

 

 

 

 

CAP. XI.

 

 

v. 1. Or la foi est le fondement (ce qui rend présent) ou bien la subsistance des choses qu’on espère et une preuve certaine (ou démonstration) de celles qu’on ne voit point.

 

L’APÔTRE semble ne pouvoir trouver des termes assez expressifs pour signifier ou exprimer la certitude qui est dans les choses que la foi nous représente, quoiqu’elles ne puissent être vues ni comprises par les sens. Car, en effet, elle surpasse la compréhension de l’esprit humain, et il faut qu’il se soumette et confesse son ignorance et son incapacité ; j’entends par les sens non seulement les sens extérieurs du corps, mais aussi les sens intérieurs de l’âme, que l’on nomme d’ordinaire ses facultés, où je comprends l’entendement et la mémoire, qui sont celles par lesquelles on comprend les choses qui sont les plus relevées, pourvu qu’elles soient de la portée de l’esprit humain. Mais ici l’Apôtre nous fait une définition de la foi et dit qu’elle certifie la vérité de la subsistance des choses que l’on espère, quoique l’on ne les voit ni ne les comprend pas. Cet esprit de la foi, qui réside dans le centre de l’âme du fidèle qui est à Dieu, rend si certain à une telle âme les choses que cet esprit de la foi lui fait connaître que c’est pour lui une démonstration claire et convaincante des choses de l’esprit qu’on ne voit point ni des yeux du corps ni de ceux de l’âme qui est son entendement, mais cette certitude et démonstration est spirituelle, et d’autant plus certaine qu’elle ne peut être démontrée et comprise des sens ; c’est pour cela qu’il est requis, pour pouvoir recevoir le don de la foi dans le centre de son âme, de mourir ou de renoncer à son esprit propre, de le captiver, parce que c’est par ce seul moyen qu’on peut parvenir à soumettre cet esprit sous l’obéissance de la foi. L’on comprendra facilement que je n’entends pas ici par ce mot de foi une confession littérale que l’on accepte et dont on dit : Cela est ma foi ou ma croyance, ce qui est une foi historique. Mais j’entends par ce mot de foi l’esprit de la foi, l’esprit de Jésus Christ versé ou reçu dans nos cœurs par le saint Esprit ; et cette foi reçoit ainsi dans l’âme où elle habite cet esprit auquel l’âme s’est abandonnée ; c’est par l’attrait du Centre qui incline la volonté de l’âme, cette âme accepte et reçoit, elle croit et se soumet à tout ce qu’il plaît à cet esprit de la foi de lui proposer et de lui présenter. Car c’est l’opération de l’esprit de Jésus Christ dans l’âme, car elle sent que cet esprit imprime et grave ces choses en elle bien plus efficacement et réellement que n’est tout ce que nos sens voient, goûtent et comprennent ; voilà pourquoi il est dit ici que la foi est le fondement ou la réalité, la subsistance des choses que l’on espère, les croyant véritables par la connaissance spirituelle que l’esprit de la foi en donne à notre esprit à sa manière spirituelle et non sensitive, comme il est dit que l’Esprit saint rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Ainsi cet esprit de la foi est le saint Esprit qui habite dans tous ceux qui sont réellement appartenant à Jésus Christ, et personne autre n’a cet esprit en soi qui donne et opère la véritable foi, quelque nom qu’il porte extérieurement, de pieux ou de religieux ou Ecclésiastique. Car celui qui n’a point l’Esprit de Jésus Christ n’est point à lui.

 

v. 2. C’est par la foi que les Anciens Pères ont reçu (de Dieu) un témoignage si avantageux.

 

Comme Abraham, dont toute la justice qui lui est attribuée est le témoignage qui lui est donné de Dieu de l’avoir crue, cette croyance à Dieu, cette confiance est donc ce qui fait notre justice ; cette croyance et confiance Enfantine est l’opération de cet esprit de la foi en nous. Il faut que la volonté de l’âme l’accepte et acquiesce, qu’elle la reçoive et ne la repousse pas, et c’est ce consentement, ce fiat de l’âme à recevoir ce que l’esprit de grâce opère en elle ou lui propose, c’est ce fiat, qu’il me soit fait, qu’il me soit fait ainsi, je le crois, j’y consens, je l’accepte, c’est là la foi du fidèle qui est abandonné à Dieu, qui ne veut plus vivre en lui-même ni pour lui-même, ni par son propre esprit, mais en Dieu, pour Dieu et qui se veut laisser gouverner, conduire et vivifier par son esprit, mourant sans cesse à son esprit propre et à la volonté propre, par l’opération continuelle de cet esprit de la foi en lui. Car c’est cette mort et mortification continuelle qu’il opère dans toutes les âmes dans lesquelles il habite ; elles ne vivent plus à elles-mêmes ni pour elles-mêmes, mais pour celui auquel elles se sont données, Jésus Christ. Et c’est en quoi consiste le renoncement qu’il propose et demande de tous ceux qui veulent véritablement être ses disciples. Dès que cet esprit de la foi s’empare de l’âme et qu’elle veut bien se soumettre à lui, elle sent que ce correcteur contrarie sans cesse sa propre volonté et son propre esprit ; il lui est donné de vivre et d’agir par un autre esprit qui la pousse et la meut, et c’est la foi dont les Anciens-Pères ont vécu et dont tous les justes et fidèles vivent, sans quoi ils ne le sont qu’en Idée sans réalité.

 

v. 3. C’est par la foi que nous savons que le monde a été fait par la parole de Dieu, et que tout ce qui est visible a été formé, n’y ayant rien auparavant que d’invisible.

 

Cette même Lumière de la foi nous manifeste l’origine du Chaos, qui est la matière grossière dont ce monde visible à nos yeux charnels et grossiers a été créé, selon qu’en a écrit Moïse par cette Lumière de la foi qui l’en a éclairé. L’Apôtre nomme les choses invisibles, celles qui ne peuvent être vues par les yeux de notre corps grossier, et qui sont très claires et mille fois plus visibles et vues par les yeux de l’esprit qu’un œil sain ne voit clairement et distinctement les objets qui lui sont présentés à la clarté d’un jour serein.

C’est donc ce chaos qui a été la première matière visible grossière ; visible, dis-je, à nos yeux du corps, et qui n’a point été formé d’autres choses qui fussent pareillement visibles à nos yeux, mais que Dieu créa à l’occasion de la chute des anges rebelles, afin qu’ils y trouvassent une demeure qui leur convient, selon l’état horrible dans lequel ils se sont précipités par leur chute ; lieu qui leur fut assigné par sa grâce et miséricorde, afin qu’au moins ils eussent une demeure qui leur convient qui est l’Enfer ou l’abîme, s’étant rendus incapables d’habiter après leur rébellion les demeures magnifiques qu’ils possédaient avec les autres Anges bienheureux dans le Ciel où sont les étoiles fixes, dont ils furent précipités dans la matière du Chaos.

 

v. 4. C’est par la foi qu’Abel offrit à Dieu un plus excellent sacrifice que Caïn et qu’il est déclaré juste, Dieu lui-même rendant témoignage qu’il a accepté ses dons ; et c’est à cause de sa foi qu’il parle encore après sa mort.

 

Le Sacrifice d’Abel était sans doute un fruit de sa foi ; il partait d’un cœur rempli d’amour pour son Dieu, auquel il était abandonné en pleine confiance et dépendance ; ce n’était pas le don du Sacrifice qui fut agréable à Dieu, car il n’avait besoin de ses agneaux (Ps. 50), mais c’est le fond d’amour et d’abandon qui plaît à Dieu et par lequel principe il fait son offrande. Il faut que toutes nos œuvres partent de ce principe pour qu’elles puissent être agréables à Dieu ; elles doivent être le fruit d’un sincère abandon à Dieu, provenant de l’amour que nous avons pour lui. Cet amour divin est répandu dans nos cœurs par le saint Esprit, qui est l’esprit de la foi, et quoiqu’il ne soit pas nécessaire que chacun connaisse distinctement si le principe qui le fait agir à faire quelque chose pour Dieu est ce pur amour de Dieu, car cet examen embrouillerait et remplirait de scrupules et de doutes les âmes craintives et auxquelles Dieu ne donne pas cette lumière, cependant c’est par ce principe qu’agit toute âme sincère et simplement désireuse de vivre selon la volonté de Dieu, et qui a la volonté de lui appartenir sans réserve. Ainsi, quoique d’ordinaire elle ne voie dans ses meilleures actions que misères, faiblesses et impuretés qui la peinent et auxquelles sa volonté n’a point de part, ses actions ne laissent pas d’avoir pour principe l’esprit de la foi qui est dans cette âme qui a sincèrement et simplement la volonté de faire toutes choses pour l’amour de Dieu sans admettre d’autre vue ; car toutes les actions d’une âme ainsi disposées sont des œuvres de foi ; elle ne cherche point à payer Dieu par des œuvres extérieures comme fit Caïn, dont le cœur n’était point droit devant Dieu, ne l’ayant point pour l’objet de son amour, mais, étant rempli de l’amour de soi-même et de son propre intérêt, il ne pouvait faire un acte de foi par son Sacrifice, n’ayant point en lui l’esprit de la foi ; ainsi son offrande ne pouvait être agréable à Dieu. Ce n’est donc point aucune œuvre en elle-même que Dieu agrée, quelque excellente qu’elle paraisse être en elle-même, comme saint Paul en fait le dénombrement, jusqu’à faire brûler son corps. Mais c’est le principe de foi, d’amour et d’abandon à Dieu que Dieu regarde et accepte et qui rend très agréables à ses yeux les moindres actions, les plus communes et ordinaires, qui sont nécessaires à l’entretien de la vie, faites d’une âme simple qui désire de vivre continuellement en sa présence, de l’aimer et de faire tout pour l’amour de lui, désirant au contraire de se mépriser elle-même, qui ne trouve en elle que sujet de se haïr et qui ainsi n’est point elle-même l’objet et le motif de ses actions, mais Dieu. Toutes les offrandes et œuvres d’une telle âme qui agit ainsi en simplicité sont éternelles, elles parlent encore après la mort, car elles sont faites en Dieu, l’ayant pour objet, pour fin et principe ; elles sont du moment Éternel et participent à ce qu’a fait notre Seigneur Jésus Christ, dont toutes les œuvres et mérites sont toujours du temps présent et le seront dans toute l’éternité, et c’est là ce qui fait l’excellence des œuvres de la foi ou qui sont opérées et faites par l’esprit de la foi, parce qu’elles participent à la Divinité, étant faites en Dieu, ou par son verbe en nous. Elles ne sont point séparées de la Divinité, et sont ainsi Éternelles et parlent toujours, sont toujours présentes comme il est dit ici du Sacrifice d’Abel, qu’il parle encore après sa mort, et ainsi il vit et n’est pas mort. Ô avantage de la simplicité et d’un sincère abandon à Dieu, de vivre en sa présence comme un enfant sans raisonner ni tant examiner, vivant et agissant tout simplement, selon qu’il se présente, en abandon à Dieu et volonté sincère de lui plaire, de faire sa volonté en tout, sans propre choix, acceptant tout de sa main ; c’est ce qui seul donne la paix et l’entretient, nous faisant trouver Dieu en toutes choses dès ce bas-lieu, rend notre vie passagère et mortelle, stable et éternelle, donnant le prix de l’éternité à ce qui n’est en soi que vanité ; ô secret admirable, tu es caché aux sages et aux entendus, mais manifesté aux petits Enfants.

Il ne se faut donc point faire de haute Idée de ce qu’on veut faire pour Dieu, de haute perfection ni d’état d’oraison pour lui être agréable ; c’est un cœur simple et enfantin, désireux de l’aimer, de l’adorer sens cesse, qui n’admet aucun choix par méfiance pour soi-même, mais se laisse à son Dieu comme il est et où il est, prenant tout de sa main, et ayant intention de faire tout pour lui simplement, bonnement, tout ce qui se présente à faire dans son état et condition, Dieu faisant toute l’attention de son cœur ; un tel vit de foi et est dans la foi, et ce qu’il fait est agréable à Dieu, car il vit de la providence et de la sainte dépendance ; tout ce qu’il fait et souffre est agréable à Dieu ; il sacrifie à lui et pour l’amour de lui sa volonté, n’aimant rien d’avantage que d’y renoncer, car c’est à quoi l’incline l’esprit de la foi qui est en lui. C’est l’esprit de Jésus Christ qui poussa Abel à sacrifier par amour les agneaux de sa bergerie, qui donnèrent une si bonne odeur qu’elle restaure encore notre cœur.

 

v. 5. C’est par la foi qu’Énoch a été enlevé du monde, afin qu’il ne mourût pas, et on ne l’y a plus vu, parce que Dieu l’avait transporté ; car l’Écriture lui rend ce témoignage qu’avant que d’avoir été ainsi enlevé il plaisait à Dieu.

 

Nous avons tant écrit de la foi et de ce qu’elle est qu’il suffit de dire que le récit que fait l’Apôtre dans tout ce Chapitre des faits des Saints, de leurs miracles et de leur vie qui ont été opérés par la foi, il veut montrer par là que c’est l’esprit de Jésus Christ qui a opéré en eux toutes les merveilles qu’il raconte, et prouve par là que c’est de cet esprit de la foi qu’il faut que tous les Chrétiens se laissent régir, sans quoi ils ne le sont point, quoiqu’ils en portent le nom, et ne peuvent ainsi plaire à Dieu ; car aucun ne peut lui plaire que celui dans lequel il trouve l’esprit de son Fils qui est son Image, auquel seul il prend son bon plaisir. Hénoch en était possédé d’une manière éminente et a pour cela vécu avec Dieu, qui a voulu nous donner en lui un exemple insigne d’un homme contemplatif dont l’âme vivait dans les Cieux quoique son corps fût sur la terre, pour un moindre espace de temps pourtant que les autres hommes de son temps, car il vécut avec Dieu. Ô mon Dieu ! La vie de ce Saint homme me charme toutes les fois qu’il en est fait mention, vivre de Dieu en Dieu et pour Dieu uniquement est son affaire et son occupation, il est mort à toute autre chose et ne peut vivre que pour Dieu dès ce bas lieu. Je voudrais l’imiter, tout le reste étant vanité, tromperie et mensonge ; si nous nous laissons régir en nous abandonnant à l’esprit de la foi, à l’esprit de Christ, il nous fera vivre de cette vie, car il change toutes nos actions en oraisons ; faisant tout avec Dieu et pour Dieu, nous vivons avec lui dès ce bas lieu. Il n’est pas nécessaire pour cela de faire des merveilles ni des prodiges, car ce n’en est pas le temps. Dieu Enfant, qui règne à présent, se manifeste efficacement dans les petites choses Enfantines selon l’apparence du dehors, qui sont pourtant toutes Divines ; car ce qui donne la valeur à nos actions est le principe d’où elles viennent ; si c’est l’esprit de la foi qui régit l’âme, toutes ses actions sont actions de foi, qui sont agréables à Dieu, quelques petites et indifférentes qu’elles soient en elles-mêmes, et nous voyons dans la suite la merveille et l’amour avec laquelle Dieu a conduit et dirigé toutes les plus petites choses pour parvenir à ces fins, qui sont de reconduire notre âme à son union.

 

v. 6. Or il est impossible de plaire à Dieu sans la foi, car pour s’approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu’il y a un Dieu, et qu’il récompensera ceux qui le cherchent.

 

Tous les hommes croient qu’il y a un Dieu ; au moins ils ont cette croyance imprimée dans leur âme, quoiqu’il y en ait un petit nombre qui souhaitent qu’il n’y en eût point et qui voudraient bien se le persuader ; il est bien vrai que la plupart des hommes le renient par leurs œuvres, et montrent qu’en vérité ils ne le croient pas, puisqu’ils n’ont rien moins à cœur que de conformer leur vie selon ses Lois ; ainsi il faut que la foi soit autre chose qu’une foi historique et une croyance superficielle qu’il y a un Dieu, ce que les Diables croient aussi, et qui en tremblent (Jacq. 2, v. 19). Il faut donc que la foi qui nous rend agréable à Dieu soit telle que nous l’avons décrite ; car si nous croyons en Dieu véritablement, nous le laisserons régner en nous par l’Esprit de Jésus Christ, ce qui est ce qui nous rend agréables à Dieu comme Hénoch a fait aussi. Il récompense bien ceux qui le cherchent. Oui, assurément, il les récompense par lui-même, car celui qui le cherche le trouve. Et il suffit de l’avoir trouvé pour être bien récompensé, puisqu’il est le seul bien suprême. C’est donc l’unique chose que nous avons à faire de le chercher, notre âme a faim et soif du Dieu fort et vivant, et elle en sera rassasiée si nous nous tournons vers lui ; cette faim et cette soi-même apportent un solide rassasiement et contentement que nous ne pouvons trouver en nulle autre chose.

 

v. 7. C’est par la foi que Noé, ayant été divinement averti et appréhendant ce qu’on ne voyait point encore, bâtit l’Arche pour sauver sa famille, et en la bâtissant condamna le monde et devint héritier de la justice qui naît de la foi.

 

La foi nous enseigne toujours à croire ce que nous ne voyons pas et ce dont Dieu nous avertit par l’esprit de la foi en nous, qu’il faut croire et suivre fidèlement ses avertissements comme Noé le fit. Ô qu’il est fidèle ! Si nous sommes seulement attentifs à l’écouter, il ne manque point de nous garder et de nous garantir en toute occasion de tout danger dans lequel veulent nous précipiter les malins esprits et les hommes qui se laissent mouvoir d’eux.

Noé appréhenda. Il faut être en méfiance sur soi-même et ne point reposer d’un faux repos ; les hommes du temps de Noé n’appréhendèrent pas et ne crurent pas ses admonitions. Ainsi font les hommes d’aujourd’hui, qui ferment leurs cœurs et leurs oreilles à tous les avertissements que Dieu leur donne par ses jugements qu’il manifeste par les fléaux qu’il répand sur le monde, la misère générale, le changement de temps et des saisons, et par les avertissements de faire pénitence qu’il leur fait donner de s’amender ; ils sont par là endurcis et périssent. Mais le cœur docile est attentif et reçoit les avertissements du Seigneur et est sauvé du danger. Nous vivons dans un temps où la corruption est un déluge universel qui submerge tout l’univers ; l’Arche où nous devons nous retirer pour en être à l’abri est l’abandon à Dieu, qui est proprement en quoi consiste la foi ; nous remettant entre ses mains, nous abandonnant à sa providence, nous sommes garantis par elle et voguons sur les flots de la mer orageuse de ce monde, sans danger d’en être engloutis ni d’y faire naufrage. La corruption est générale à tous égards, tout est perverti et gâté dans le monde et dans l’Église, tout est en confusion. Dieu seul est notre retraite, il garde les simples, ceux qui sont droits de cœur, n’ayant aucun autre désir que d’être abandonnés à lui, n’ayant rien qui les garde, ni prudence, ni force, ni sagesse sur laquelle ils se puissent appuyer, que ce simple abandon et confiance en Dieu ; restant collés à lui sans autre appui, ils seront très bien garantis et bien conduits. Toute autre force, tout autre appui n’est que folie et vanité, et manque dans le besoin, mais cette simplicité tient bon et est à l’épreuve de tous les assauts de tous les esprits de l’enfer et du monde, comme aussi de notre propre corruption, qui est le déluge qui nous est le plus dangereux. Restons contre tous ces ennemis redoutables tranquillement dans notre abandon Enfantin, et nous serons bien garantis de tout le mal, Dieu nous fera tout bien. Et quoique nous soyons battus des flots et en mille dangers prêts à périr, remplis souvent de crainte et de frayeur qui nous saisit le cœur, ne perdons pas courage ; Dieu ne nous expose au danger que pour avoir le plaisir de nous sauver en nous donnant toujours des nouvelles preuves de son amour, de son secours, de sa fidélité, nous convainquant qu’il est Dieu de bonté. Ô âmes ! je ne puis donc vous recommander assez fortement la confiance en Dieu dans le temps de votre tourment et des épreuves, tentations et misères qui nous arrivent ; car croyez-le très sûrement, il ne vous manquera pas dans le besoin le plus pressant, et quoique souvent il paraisse retarder et qu’il vous semble vous oublier, n’importe quelques peines que vous ayez, sentant en vous s’élever ces murmures et mécontentements, tenez-vous coi seulement, vous courbant sous ces bourrasques et ces orages si fougueux ; restez tranquillement sans vous bouger dans votre Arche, dans votre barque de l’abandon, et vous verrez à la suite que ces Orages vous conduisent au port dans la Divinité en Éternelle sûreté, par la perte entière en vous-même dans le bien suprême.

 

v. 8. C’est par la foi qu’Abraham étant appelé obéit, en s’en allant dans la terre qu’il devait recevoir pour héritage, et qu’il partit sans savoir où il allait.

 

La simple confiance en Dieu fait qu’Abraham ne fait autre chose que d’obéir à son ordre de quitter son pays et son parentage, heureuse simplicité qui n’admet aucune réflexion, ni raisonnement, ni regard sur soi-même, mais qui suit simplement l’ordre Divin ! Aimer et le témoigner par une obéissance qui n’a point de bornes est le vrai caractère des âmes de foi qui se laissent aux soins de Dieu sans avoir soin d’elles-mêmes. C’est là la véritable foi qui est mise à l’épreuve, comme a été si souvent et si longtemps celle du bon Père Abraham, qui a persévéré jusqu’à la fin, nous étant un exemple de simple confiance et abandon à Dieu, en quoi consiste la véritable foi. C’est la marque certaine que nous croyons quand nous obéissons ; tout autre témoignage est sujet à tromperie ; mais l’obéissance est un gage assuré que nous croyons à celui auquel nous nous soumettons, en renonçant à notre volonté et à nos désirs propres, pour lui obéir sans réflexion, sans consulter notre raison.

 

v. 9. C’est par la foi qu’il demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentes avec Isaac et Jacob, qui devaient être héritiers avec lui de cette promesse.

 

La manière dont Abraham demeure dans la terre de Canaan, qui lui appartenait déjà dans l’intention de Dieu et en foi, puisqu’en effet il y a fait sa demeure et que c’était le lieu de son habitation qui lui était assignée de Dieu comme sa patrie depuis qu’il était sorti du pays de sa naissance propre ; la manière, dis-je, dont il y habite représente très bien celle dont l’âme jouit de Dieu dans cette vie mortelle lorsqu’elle a été tirée du pays de sa naissance ou de sa propriété par un renoncement total à elle-même. La Canaan représentant le repos dans l’abandon à Dieu où elle fait sa demeure depuis qu’elle a abandonné le pays de sa propriété ; elle vit véritablement de Dieu et de l’ordre de Dieu, qui est la nourriture de son âme, n’ayant de repos et de demeure où elle trouve la paix et où elle en jouît que dans la volonté de Dieu ; mais elle est habitante comme une étrangère dans cette terre promise, et vit de grâce. C’est uniquement par grâce qu’elle est entretenue dans ce pays de la volonté de Dieu, elle ne peut s’y entretenir par aucune force ni autorité propre. C’est Dieu lui-même par pure grâce qui l’y protège et entretient ; car il semble qu’Abraham est à la discrétion des peuples qui habitent la terre qu’il doit posséder, qui sont les Cananéens, qui représentent toute la manœuvre des sens et des passions, et tout ce qui est de la dépendance de la partie basse de l’âme, qui doit souffrir le tumulte qu’ils font au tour de son centre où réside l’esprit de la foi. C’est bien en vérité comment il faut que l’âme vive dans ce monde ; elle est toujours entourée de ces peuples charnels qui sont ennemis de l’esprit ; et, à en juger selon l’apparence, la pauvre âme semble vivre à leur discrétion et qu’elle dépend de leur grâce. Mais c’est Dieu qui la protège, comme il fait avec Abraham, qui s’humilie devant ce peuple ; et c’est en se soumettant à eux selon l’apparence par abandon à Dieu qu’il possède parmi eux la terre promise et en jouit ; quoiqu’il semble selon l’apparence y habiter comme étranger, il en est cependant le maître, non en lui ni par sa force, ni selon l’apparence du dehors ; tout au contraire, ces peuples paraissent être les maîtres ; mais par l’esprit de la foi qui les tient en bride en secret par sa force toute puissante, en sorte qu’ils ne peuvent nuire à l’âme, quoique souvent pour l’éprouver, il lui semble que Dieu la livre à la discrétion et merci de ces peuples mutins. L’âme n’a d’autre défense que de rester dans son abandon en se courbant sous tout et attendant uniquement tout le secours de Dieu sans se défendre ; il vient à point nommé l’assister dans le besoin par sa puissance. Espérons donc en lui, vivons de sa discrétion, et nous ne serons jamais trompés, car Dieu est fidèle. Nous n’avons donc rien en propre possession ni de quoi nous puissions disposer si nous sommes dans l’ordre et la dépendance de Dieu comme était Abraham. Mais aussi, par cela même, nous sommes à l’abri du danger d’abuser des grâces de Dieu, puisqu’il est très dangereux de se les approprier, et que cela arrive d’ordinaire à ceux qui, étant encore en eux-mêmes, ont beaucoup de dons et de grâces ; il est donc sûr et salutaire d’être mis hors de possession de toutes choses. Dieu lui-même est notre trésor, en lui nous avons toutes choses, et c’est la béatitude dont notre Seigneur gratifie ceux qui sont pauvres d’esprit ; ma pauvreté fait ma richesse.

 

v. 11. C’est aussi par la foi que Sara, étant stérile, reçut la vertu de concevoir hors d’âge un fruit dans son sein, parce qu’elle crut fidèle et véritable celui qui le lui avait promis.

 

Dieu a pour maxime, dans toutes les choses qu’il fait dans l’économie de la grâce, de faire paraître ce qu’il veut faire comme étant tout à fait impossible selon toute apparence humaine et tout jugement que la raison en peut porter ; c’est parce qu’il agit en Dieu et veut manifester sa toute puissance et son indépendance dans ses ouvrages ; il se plaît à mettre l’impossibilité des choses qu’il veut faire devant nos yeux et d’en faire perdre toute espérance, faisant paraître tout le contraire comme étant inévitable et comme devant arriver infailliblement ; c’est ainsi que se font toutes les œuvres de Dieu qu’il opère envers nous et pour l’accomplissement desquelles il demande de notre côté que nous consentions ou acquiescions qu’il les fasse, croyant qu’il le peut faire à cause qu’il le promet, malgré l’impossibilité que nous en avons devant nos yeux. Ceci en est un exemple insigne ; il promet à Abraham et à Sara qu’ils auront un fils, et cependant il les laisse tellement vieillir l’un et l’autre que Sara est hors d’âge de concevoir ; avant qu’il accomplisse sa promesse, il rend la chose impossible selon la nature, et, avant de le faire, il veut que cette nature soit usée et hors d’état de produire ce qu’il promet. Sara ne fait que croire et même à grand-peine ce que l’ange lui en dit l’année avant qu’elle conçût ; elle le croit néanmoins, ne doutant pas de la toute-puissance de Dieu. Voilà comment Dieu se plaît de réduire à la dernière faiblesse les âmes dans lesquelles il veut se glorifier par l’accomplissement de l’œuvre de la régénération ; il leur fait user toutes les forces naturelles de leurs âmes pour contribuer à la formation de la nouvelle Créature, et lorsqu’elles en sont au non plus, à bout de toute force et dans la perte de toute espérance que jamais cette œuvre se fasse dans leurs âmes, ce qui avait toujours fait le but de tous leurs désirs, alors, dis-je, Dieu se plaît à l’impourvu de manifester cette nouvelle créature, ce cher fils de la foi et de la promesse.

Ainsi en est-il aussi de la fécondité spirituelle de l’âme régénérée elle-même. Ce n’est qu’après que Dieu lui a fait perdre tout espoir d’être jamais féconde qu’il la rend fertile dans son union. C’est après l’avoir laissé vieillir dans la stérilité et l’impuissance à tout bien qu’il la fait être une mère féconde ; et que l’on croie sûrement que cela n’arrive pas auparavant. Ceux qui croient être de ce nombre et n’ont pas passé par de longues et dures épreuves qui ont semblé ne devoir point prendre fin se trompent beaucoup, et le verront tôt ou tard. Si elles savaient les souffrances qui accompagnent cette fécondité spirituelle, assurément elles n’auraient pas envie de se presser à être des mères spirituelles ; car il faut, pour ainsi dire, que Dieu use du droit absolu qu’il s’est acquis sur ces âmes qui sont à lui sans réserve pour qu’elles puissent se résoudre à porter les misères et souffrances inexprimables, et telles qu’on n’oserait les dire, qui accompagnent cette fécondité spirituelle ; en vérité, il n’y a que ceux que Dieu honore de cette grâce crucifiante qui sachent combien cher elle coûte et ce qu’il y a à souffrir dans cet emploi ; mais n’importe, la volonté de Dieu suffit pour que l’âme à laquelle Dieu donne de porter ces états ne veuille pas s’en dispenser, quoiqu’en vérité les souffrances qui l’accompagnent soient incomparablement plus grandes et les misères plus extrêmes que tout ce que la pauvre âme a expérimenté pendant tout le cours du temps qu’elle a été pour sa propre purification dans le creuset où Dieu l’a tenue longtemps pour cela ; et le sentiment de la corruption des âmes dont Dieu la charge et qu’elle doit enfanter à Jésus Christ son Époux est beaucoup plus horrible et pénible à supporter que tout ce que l’on a souffert du sentiment de sa propre corruption. Mais pourvu que Dieu soit glorifié et que son règne s’établisse dans les âmes qu’il s’est choisies et dont il charge les Pères et Mères spirituels, qu’importe à quel prix et quoi qu’il leur en coûte ; Dieu les soutient et ne leur laisse pas manquer la grâce nécessaire pour porter ces pesantes et pénibles croix dont il les charge lui-même malgré toutes les répugnances de la nature, qui sert comme la bête au Sacrifice, qui est mortifiée et comme égorgée mille et mille fois. C’est dans cet emploi que l’on expérimente ce que Saint Paul disait de lui dans le même cas : Nous sommes mis à mort tous les jours, et sommes comme des brebis à la boucherie. Il l’expérimentait extérieurement et encore davantage par les souffrances ici mentionnées.

 

v. 12. C’est pourquoi il est sorti d’un homme seul, et qui était comme mort, une postérité aussi nombreuse que les Étoiles du Ciel et que le sable innombrable qui est sur le bord de la mer.

 

C’est ici qu’il est représenté dans la personne d’Abraham comment doivent être ceux que Dieu fait être comme lui des Pères des croyants ou des âmes de foi, qui sont les âmes intérieures qui seules appartiennent à Jésus Christ, dont il est le premier Père, et dont les autres le sont par participation. Lorsque Dieu a préparé une telle âme comme il fit avec Abraham, en sorte qu’elle est comme morte, ainsi qu’il est dit ici de lui, alors il la rend féconde comme lui, en sorte qu’il lui donne une postérité nombreuse comme les étoiles du Ciel et le Sable de la mer ; mais il faut pour cela que l’âme soit bien morte à elle-même, et c’est pour opérer cette mort mystique que Dieu exerce si impitoyablement telles âmes choisies comme était Abraham, dont toute la vie est un tissu d’épreuves et de tentations, qui succèdent l’une à l’autre, comme l’on l’a expliqué dans sa vie [4] ; ainsi Dieu exerce de même une âme qu’il appelle à cette grâce, et elle ne peut être rendue capable d’engendrer et d’enfanter des âmes à Jésus Christ qu’elle ne soit morte à elle-même, ce qui n’est effectué réellement que dans la vieillesse, comme Abraham et Sara n’engendrèrent Isaac que dans la leur. La mort à soi-même est un ouvrage pour l’opération duquel Dieu emploie du temps, et si l’on s’imagine qu’il soit achevé en peu d’années, l’on se trompe ; nous n’avons qu’à regarder l’exemple d’Abraham pour nous en désabuser, lui qui était si fidèle à obéir à Dieu au premier signal, sans hésiter, n’ayant rien qu’il gardât en réserve depuis le commencement qu’il l’appela à sortir de son pays et de son parentage jusqu’à la fin ; et cependant il faut qu’il vieillisse avec Sara avant d’être en état d’engendrer le fils de la promesse ; de quoi voulons-nous donc nous flatter, nous qui ne pouvons comparer notre fidélité et obéissance à la sienne, qui n’avons que peu d’années à compter depuis que Dieu nous a attirés à lui et qui n’avons depuis cela que nos infidélités dont nous puissions nous vanter ? Certes, si nous nous imaginons être déjà réellement morts à nous-mêmes et en état d’engendrer des Enfants à Jésus Christ, nous nous trompons beaucoup. C’est une tentation de croire ceci qui cependant est fort ordinaire aux âmes qui sont touchées de Dieu et se donnent à lui avec un grand Zèle dans les commencements, tous leurs désirs étant de mourir véritablement à elles-mêmes. Mais l’orgueil et l’amour propre n’étant pas encore amortis en elles. L’ennemi s’en sert pour faire croire à l’âme qu’elle est déjà parvenue à cet état éminent, en l’éblouissant par les grâces et lumières que Dieu lui a données et lui faisant croire que ces dons et les épreuves et tentations qu’elle a éprouvées sont beaucoup plus grandes qu’elles ne le sont en effet, et qu’elles ont opéré cette mort mystique, ce qui est une dangereuse tentation, dont il n’y a que l’humilité qui puisse en garantir et en retirer ceux qui y ont donnés s’ils veulent croire et accepter les moyens que Dieu ne manque pas de leur envoyer pour les désabuser de cette erreur dangereuse et qui les menace d’une ruine totale s’ils y persévèrent. Car si cela arrive, telles personnes deviennent des vrais visionnaires, esprits errants, séduits par leurs fausses lumières et état apostolique où ils se croient être, dans laquelle erreur Satan fait de son mieux pour les y entretenir en leur communiquant pour cela de fausses lumières, forces magiques en vertu de mensonge, par lesquelles ils séduisent d’autres personnes qui les croient et tombent d’une illusion dans l’autre jusqu’à la folie et extravagance ; ce dont on a tant de tristes exemples de toute espèce dans nos jours. L’un des caractères auxquels on les peut connaître, c’est que telles personnes se mettent elles-mêmes sur les rangs, rendent témoignage elles-mêmes de leur état, et s’offrent à aider les âmes, à les conduire, cherchent à être crues dans les choses qu’elles disent de leur état ; en un mot elles cherchent à se produire, et vont sans être appelées, selon que leur donne leur propre imagination ou l’ennemi par la fausse lumière et sentiments faux d’une personne ou de l’autre que telles âmes séduites prennent pour des lumières divines ou sentiments que Dieu leur donne des personnes où ils s’ingèrent de vouloir aider. Cette activité à se produire et s’ingérer à aider les âmes dans le spirituel est, dis-je, la marque certaine que l’appel n’est pas de Dieu, mais que la personne qui se l’imagine est séduite par son orgueil, par lequel Satan a eu prise sur elle sous cette belle apparence de spiritualité et d’état apostolique qu’elle avait convoité.

Car les vraies âmes apostoliques ne cherchent personne, il faut que la providence les produise et les fasse connaître à ceux que Dieu veut aider par leur moyen, lesquels en ont la conviction intérieure, Dieu leur manifestant ces Pères et Mères de grâces, qui ne se produisent point eux-mêmes et aiment toujours davantage d’être cachés que de paraître ; car quoiqu’ils soient prêts de donner leur vie et de sacrifier toutes choses pour la gloire de Dieu et le bien des âmes, ils n’ont aucun empressement d’agir pour cela, mais s’y laissent employer tranquillement selon les occasions que Dieu en fait naître par sa providence. L’abandon, l’équilibre et l’égalité en toutes choses est le caractère que Dieu leur donne ; ils se laissent tourner de tous les côtés, prêts à recevoir ceux qui leur demandent du secours et prêts à les laisser lorsqu’ils ne le veulent plus, contents que ce qu’ils croient que Dieu opère par eux ait son effet ou non, qu’il réussisse ou ne réussisse pas, sachant que c’est l’œuvre de Dieu et non la leur, et que Dieu permet tous ces changements pour séparer tout ce qui se mélange de la créature dans les choses qu’il opère par elle, et pour que tout le bien et l’honneur lui reste à lui seul, en humiliant et anéantissant par ces épreuves, toujours plus profondément, les instruments dont il se sert pour faire son œuvre ; la passiveté et tranquillité, l’abandon et délaissement, où les vraies âmes apostoliques restent dans toutes les traverses et épreuves qui leur arrivent dans le renversement des choses qui semblent être les plus nécessaires pour l’accomplissement de ce que Dieu veut établir pour l’avancement de son règne et pour le bien des âmes dont Dieu les a chargés par leur moyen, sont les marques certaines de la réalité de leur état ; sans ces caractères ici marqués, l’on n’y est qu’à faux ; car ce sont eux qui font connaître si l’âme est véritablement dans l’anéantissement à elle-même, et par conséquent dans la vraie humilité, n’ayant rien de propriétaire dans le spirituel, n’y cherchant rien pour elle, mais laissant tout à Dieu, qui s’en sert comme d’un pur instrument. Mais où il se manifeste passion et attachement, inquiétude, mécontentement, dépit, colère, etc., sous prétexte de la gloire de Dieu, lorsque les choses ne vont pas selon que nous l’avons cru devoir le faire dans l’idée que nous avons eue, comment l’œuvre que nous avons cru être de Dieu devait se faire, là il y a de la tromperie, et l’on n’est pas mort à soi-même.

Mais des tels qui le sont comme Abraham, de telles âmes, dis-je, Dieu se fait un peuple nombreux ; d’un seul il en naît par millions, surtout dans ce temps ici où l’esprit de Christ travaille avec force à se préparer de telles âmes par les fortes et fréquentes épreuves qu’il leur envoie pour les acheminer promptement autant qu’il est possible à la mort d’elles-mêmes, afin d’en faire des Épouses qui lui soient fécondes pour l’établissement du règne du saint Esprit, auquel il travaille à présent ; et si une seule âme ainsi morte à elle-même est si féconde, combien grand sera le peuple du règne du très saint Enfant Jésus qui naîtra lorsqu’il se sera préparé plusieurs âmes pour être ses Épouses, les rendant participantes de ses souffrances pour cela. Car c’est sur la croix qu’il a lui-même enfanté les premiers-nés, et c’est sur la croix et dans les souffrances que ces Épouses les enfantent aussi.

 

v. 13. Tous ces Saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre.

 

Tout ce que Dieu donne ici-bas dans cette vie mortelle à voir, goûter et sentir de la félicité qui est dans son union, dans laquelle consiste la félicité de la vie Éternelle, ne peut être regardé que comme ce que ses anciens Patriarches ont vu et salué de loin des promesses que Dieu leurs avait faites ; car quelque excellent et relevé que soit la jouissance que Dieu donne à l’âme de lui dans cette vie, ce n’est qu’un avant-goût de l’avenir ; nous ne sommes pas dans cette vie pour jouir, mais pour souffrir. La jouissance et la félicité est réservée pour la vie Éternelle. C’est ce que Jésus Christ, tous les Apôtres et les Saints témoignent, lesquels ont joui de Dieu et de son union dans le centre de leurs âmes. Il plaît à Dieu pendant un temps de manifester à quelques âmes qui ont ce trésor de la jouissance de Dieu dans leur Centre d’en manifester quelque chose en manière distincte aux sens et à l’entendement, afin qu’une telle âme puisse témoigner de la vérité et réalité de cette union de l’âme avec Dieu pour encourager d’autres à s’abandonner à lui et à souffrir les peines et tentations par où il faut passer pour arriver à cette union. II lui plaît de lui en faire sentir, goûter et voir la réalité autant que ses facultés basses en sont capables, pour que l’homme extérieur en puisse parler et écrire, en donner par ses expressions quelque idée aux autres ; mais tout cela n’est qu’une vue de loin, quoiqu’il semble alors à l’âme qu’elle possède et jouit en effet de cette union Divine, ce qui est bien vrai quant au Centre et à l’esprit, mais non pour la partie sensible à laquelle il en est donné quelque rayon en distinction ; car l’homme extérieur n’est pas capable de jouir de cette union (je comprends sous ce nom d’homme extérieur les facultés de l’âme, l’entendement, mémoire, les sens internes et externes) ; elle n’est pas pour lui, mais pour l’esprit. Ce ne sont donc que des éclairs qui sortent du centre, dont l’homme extérieur est visité quelquefois, est consolé et encouragé à porter la souffrance qui est sa portion ; il salue alors ses promesses de loin avec le respect et l’admiration dont il est pénétré par la majesté et la gloire de ce qu’il lui est donné de voir, de sentir, de goûter de cette paix et félicité dont son âme jouit dans son Centre dans l’union Divine, où sont enfermés tous les trésors de science et d’intelligence, comme dans un cabinet rempli de raretés et des trésors les plus magnifiques, et qui s’ouvre aussi souvent qu’il plaît à Dieu, qui en est seul le maître, de le manifester ou quelqu’un des bijoux qu’il renferme à l’homme extérieur. Mais cela à son temps, et après que Dieu l’a fait autant qu’il est nécessaire pour sa gloire et l’avancement de son règne dans les âmes selon ses desseins, il retire et cache ces trésors et laisse souvent cette âme, qui est dans son union Centrale, dans la disette et pauvreté la plus extrême quant à l’homme extérieur ; et non seulement cela, mais il permet qu’elle soit chargée de tentations et des souffrances les plus amères, qu’il lui fait porter dans la plus grande faiblesse en la privant la plupart du temps des consolations sensibles, et lui faisant sentir, pour augmenter ses peines, les répugnances de la nature à souffrir, sa faiblesse, oui, même quelquefois sa rébellion contre la souffrance, quoique la volonté supérieure n’ait aucune part à ces répugnances, mais reste unie à la volonté de Dieu pour souffrir. C’est ce qui est humiliant et terrassant, que d’expérimenter de telles faiblesses ; souffrir avec courage et ayant le sentiment de l’amour de Dieu auquel l’on s’est sacrifié mille fois volontairement pour souffrir est bien agréable et consolant et adoucit les souffrances les plus amères, les rend légères et faciles à porter. Mais souffrir en se sentant privé de toute force, de tout courage, de tout goût pour la souffrance, de tout amour pour Dieu, privé de toute vue et sentiment distinct que c’est pour Dieu et son amour que l’on souffre, sentir tout le contraire, comme n’étant que livré au mal et à tous les esprits malins, comme si l’on leur était abandonné en proie, pour exercer sur le corps et sur l’âme leurs volontés, ce sont là des souffrances amères, et que Dieu fait porter aux âmes qu’il a auparavant conduites à son union centrale ; elles n’ont donc la jouissance de Dieu qu’en foi. C’est l’esprit de la foi qui les soutient à l’insu du sentiment des sens dans ces souffrances si amères, et Dieu ne leur donne qu’autant de soutien sensible qu’il sait qu’elles en ont besoin pour ne pas succomber sous le poids des souffrances. Ainsi nous demeurons toujours étrangers sur la terre, dans ce monde où nous ne pouvons jouir d’une manière permanente de l’union de Dieu dans notre partie basse ou pour l’homme extérieur, qui est aussi loin et séparé du Centre que la terre des Cieux. Ainsi cet homme extérieur se contente, après avoir goûté quelque chose de la félicité où est l’esprit dans l’union Divine, de saluer avec respect cette gloire et majesté de Dieu qui y réside, s’humiliant et se courbant sous la souffrance, attendant le changement ou renouvellement de cet homme extérieur qui se fera par la mort, après quoi il en jouira aussi étant glorifié et rendu par là capable des choses Divines. Souffrons donc patiemment jusqu’au temps que ce qui est mortel et corruptible soit englouti par la vie.

Notre Seigneur a voulu, pour notre consolation, souffrir avec le sentiment de la faiblesse de la nature et de ses répugnances à la souffrance, et nous a mérité par là la grâce d’être soutenus par sa force Divine, quoiqu’en secret, lorsqu’il lui plaît nous faire éprouver de pareilles souffrances ; il a, dis-je, souffert ainsi dans le jardin de Gethsémané, lorsque sa nature y était si fort dans l’effroi, l’abattement et la crainte, qu’il sua du sang et pria : Père, s’il est possible que cette coupe passe arrière de moi sans que je la boive. Voilà l’état de la nature aux abois, sans soutien ni consolation sensible de la Divinité, ne sentant que le dénuement de toute force, livrée à la douleur et à la peine ; où est ici le courage de tant de Saints martyrs qui ont si joyeusement souffert les tourments les plus horribles et la mort la plus cruelle ! C’est ainsi que notre Seigneur s’est glorifié en eux et par eux, et a voulu manifester la force Divine dont il les a revêtus pour l’encouragement de plusieurs Chrétiens à les suivre et à se fier qu’il leur donnera toute la force nécessaire pour soutenir les épreuves qu’il leur dispense, de quelque espèce qu’elles soient, et il l’a fait pour certifier son Évangile. Mais pour ceux qui doivent porter ces états et souffrir comme lui, étant associés à ses souffrances pour la préparation de son corps qui est l’Église dans ses membres, pour leur consommation, ceux-là doivent souffrir comme il est ici marqué, lorsqu’il lui plaît ; et d’autant plus ils se trouvent dénués de soutien et de consolation sensible dans la privation de la présence de ce charitable Sauveur, d’autant plus efficacement il les soutient dans leurs peines amères, d’autant plus proche est-il d’eux ; oui, il est réellement dans ces âmes et les soutient puissamment par sa force Divine, ce qui se manifeste par les effets ; ainsi, quoique telles âmes soient les plus misérables et peinées, des hommes de douleur, comme notre Sauveur, elles sont les plus favorisées de lui.

 

v. 15. S’ils avaient eu dans l’esprit la patrie dont ils étaient sortis, ils avaient eu assez de temps pour y retourner.

 

Malgré les peines et souffrances intérieures et extérieures dont ces âmes sont accablées, elles ne veulent point retourner dans la région des sens, qui est la patrie qu’elles ont quittée et abandonnée pour suivre Jésus Christ en foi dans la région de l’esprit ou dans leur Centre, quoiqu’elles jouissaient dans cette patrie sensitive des douceurs et voluptés qui, quoique spirituelles selon l’apparence, étaient sensuelles en effet ; et quoique dans cette région du centre l’homme extérieur ait perdu ces voluptés et consolations sensibles et soit étranger et voyageur, privé, pour ainsi dire, de lieu stable où il puisse faire sa demeure, mais est comme errant et sujet de nouveau aux changements continuels de la région astrale, à tant de diverses sortes de peines, souffrances, obscurités, offusquements, fardeaux, douleurs, tristesses, angoisses, avec peu de consolation, cependant l’âme ne veut point retourner dans ce pays des sens, pour habiter dans cette région astrale devenue si contraire à l’homme extérieur, parce que l’âme n’y fait plus sa demeure quant à sa partie supérieure ou volonté suprême, étant jointe et habitant dans son Centre avec l’esprit, dans l’union Divine.

Mais ce ne sont pas seulement les âmes qui sont arrivées à l’union Divine qui peuvent s’appliquer ceci, celles qui sont en chemin pour y parvenir n’y ont pas moins de part, car elles expérimentent ce que l’on vient de dire selon leur degré et état ; elles ont quitté les sens par l’attrait du Centre et ne veulent point y retourner, et quoiqu’elles n’aient que croix et souffrances pour l’homme extérieur, elles aiment mieux la croix de Christ que les trésors d’Égypte, qui sont les richesses que les âmes qui vivent dans les sens possèdent dans le spirituel. Ainsi la force de Dieu se manifeste en ce que l’attrait du Centre est si fort dans les âmes intérieures qu’elles méprisent et ont du dégoût pour les richesses des sens ; elles aiment mieux la pauvreté d’esprit qui les fait mourir sans cesse à cet homme extérieur, par où elles sont purifiées de plus en plus de toute propriété, pour pouvoir parvenir à l’union Divine qui est la patrie Céleste qu’elles désirent et après laquelle elles aspirent, méprisant tout le reste ; quelque beau et excellent qu’il soit, elles ne s’y arrêtent pas, surpassant les lieux agréables qui se rencontrent dans ce chemin, aimant mieux la fatigue du voyage et d’en essuyer la lassitude et les incommodités que de s’arrêter dans les lieux agréables aux sens et à la nature, qui ne feraient que de les amuser et retarder dans leur route. C’est à leur but qu’elles tendent rapidement et constamment, malgré toutes les fatigues du voyage, car de tels se confessent être étrangers et voyageurs sur la terre.

C’est selon le sens spirituel et intérieur marqué ici que ce passage est utile aux âmes intérieures de ce temps, pour lesquelles on écrit, selon l’économie de la grâce présente, qui aussi l’entendront, étant des sujets que Dieu se prépare pour le règne du Saint Esprit qu’il établit dans ce temps ici, règne du Divin Enfant Jésus, duquel nous témoignons ; qui ne vient point avec apparence extérieure et ne s’établit point dans un lieu particulier, ou qui dépend d’une Société extérieure réglée par des formes et lois singulières ; c’est un règne universel, y ayant de ses membres en toutes religions, états et pays, sans distinctions que par le caractère intérieur d’entier abandon à Dieu ; et ce qu’il demande de telles âmes enfantines n’est pas qu’elles abandonnent leur pays, leur profession et vocation extérieure, leur parentage, comme il paraît, par le texte que l’on explique, qu’ont fait ceux dont l’Apôtre fait ici mention, Dieu ayant voulu alors se glorifier en eux de cette manière ; mais ce règne ici étant tout spirituel et intérieur, les persécutions extérieures ayant fort cessé, l’esprit de Jésus Christ substitue dans leur place les persécutions intérieures et le martyre du Saint Esprit, que ces âmes ont à souffrir et dont on fait mention ici ; martyre qui n’est pas moins pénible et cruel à supporter que n’était celui d’alors ; il était la portion de souffrance destinée à ces Saints, et le martyre intérieur est celle qu’il plaît à Dieu de nous dispenser. Ainsi ces âmes appelées à l’intérieur ne doivent et ne peuvent pas se mouler sur ces anciens héros de justice pour leur conduite extérieure, car ce n’est pas ce que Dieu demande d’elles (à moins que par une conduite particulière de la providence il ne leur fasse quitter parents, pays et emploi),  mais pour le général, à moins d’une vocation particulière et bien reconnue être de Dieu, ces âmes doivent rester dans l’état, condition et lieu où elles se trouvent placées lorsque Dieu les attire à soi, et n’y rien changer, mais le servir de toutes les circonstances de leur état et condition, pour mourir à elles-mêmes et à leur propre volonté selon les occasions qu’elles en ont, ce qui est la mortification que Dieu demande de ces Enfants-là, sans chercher autre chose, ce qui ne serait que propre choix, et les arrêterait dans eux-mêmes, au lieu de les avancer dans leur course vers Dieu. Mais on a écrit de ceci amplement en plusieurs endroits [5] et montré que cette conduite simple d’abandon à la providence sans propre choix est le chemin court qui nous conduit à l’union Divine. La raison pourquoi Dieu agit ainsi à présent est parce qu’il veut répandre son esprit partout et que cet Évangile de son règne du saint Esprit soit prêché ou connu en tous lieux, et ainsi il se sert d’un chacun qu’il attire à soi dans le lieu et condition où il est pour faire connaître les voies intérieures et étendre ainsi son règne, sans éclat, mais par la conduite de sa providence à laquelle ces âmes Enfantines s’abandonnent sans rien chercher ; car Dieu se sert d’elles par les occasions qu’il fournit, leur adressant les âmes qu’il connaît être capables de l’intérieur, sans aucune activité propre de leur part pour les chercher, puisque leur principale attention est de mourir sans cesse à leur propre activité, à quoi l’attrait de Dieu dans leur Centre les incline.

 

v. 16. Ils en désiraient une meilleure qui est la Patrie céleste ; aussi Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu, parce qu’il leur a préparé une Cité.

 

Oui, âmes chargées et peinées du sentiment douloureux de votre corruption (ce qui fait le martyre et la souffrance la plus cruelle des âmes de foi qui se sont abandonnées à Dieu, poussées du plus pur amour), prenez courage, quelque abominables que vous soyez à vos propres yeux, en sorte que vous vous faites honte à vous-même ; sachez que Dieu n’a point honte de se nommer votre Dieu ; ainsi n’ayez point honte de vous présenter à ses yeux, dans quelque état que vous vous sentiez être tout couvert des ordures de vôtre corruption, car il vous a préparé une Cité où vous faites déjà votre demeure, y habitant quant à votre volonté et votre amour. Cette Cité est le Centre de votre âme, qu’il vous a préparé et ouvert, où vous faites votre demeure en foi avec lui, et c’est parce que votre volonté et votre amour font là leur demeure qu’il n’a point honte de vous, et que l’aiguillon de votre corruption que vous sentez si vivement ne lui fait point horreur ; c’est l’effet de sa présence dans votre Centre où il habite qui vous cause ce sentiment qui est exempt de péché, parce que votre volonté et votre amour n’y ont point de part mais qu’ils sont unis à lui ; car il n’y a que le péché qui vous peut séparer de Dieu et faire qu’il ait honte de vous ; demeurez donc unis à lui de cœur et de volonté, et vous ne pécherez jamais, car le péché ne peut subsister en sa présence, et quoiqu’il fasse sentir son aiguillon à la partie basse, il ne peut atteindre à la Cité que Dieu nous a préparée, où vous faites votre demeure ; ce que vous sentez n’est que le corps mort du péché, dont il se sert pour vous faire mourir et sortir de votre demeure propre dans vous-mêmes, pour vous chasser de cette maison pour n’y rentrer jamais, mais pour demeurer dans la Cité qu’il vous a préparée, tout comme, lorsque vous mourez corporellement, votre âme quitte ce corps, qui se corrompt aussitôt, et ce monde grossier et corrompu, pour aller habiter la Cité permanente dans les Cieux que Dieu nous a préparée.

 

v. 17. C’est par la foi qu’Abraham offrit Isaac lorsque Dieu l’a voulu tenter et qu’il lui offrit son fils unique, lui qui avait les promesses de Dieu.

 

Une âme de foi ne vit que de Sacrifice, c’est ainsi que Dieu la conduit ; il promet, et puis, après avoir donné, il semble ôter et renverser ce qu’il a établi, et c’est cependant par cette conduite si étrange, à en juger selon l’apparence, qu’il fait son œuvre, qu’il établit son règne dans les âmes en particulier et en général dans tout le corps de son Église, qui sont les âmes de foi qui lui appartiennent sans réserve ; elles témoigneront toutes, par l’expérience de la conduite que Dieu tient envers elles, que ce n’est que par des renversements continuels et en donnant ou permettant arriver tout le contraire de ce que l’âme éprise de son plus pur amour désire qu’il opère et donne en réalité ce même pur amour qu’il est lui-même, en faisant qu’elle est tentée et peinée du sentiment de tout le contraire de ce que Dieu même la pousse à désirer ; c’est là à tous égards l’exercice de la foi, et c’est ainsi que Dieu fait ses œuvres en Dieu et non à la manière des hommes ; il nous met d’ordinaire devant les yeux et selon le sentiment de nos sens tout le contraire de ce qu’il opère et fait dans le fond et qu’il ne manifeste au dehors que lorsque son ouvrage est à peu près achevé ; jusque-là on voit la plupart du temps le contraire, à en juger selon l’apparence, et si Dieu n’ouvre pas les yeux de l’esprit pour pénétrer au travers du dehors afin de voir le fond où il fait son ouvrage, ce sont seulement les yeux de la foi qu’il donne par son esprit qui nous découvrent ce secret.

Le Sacrifice d’Abraham de son fils Isaac représente très naïvement les épreuves où Dieu met souvent les âmes qui lui sont le plus purement abandonnées ; il faut qu’elles sacrifient la nouvelle vie, il leur semble dans le temps de l’épreuve qu’elles doivent être elles-mêmes les bourreaux de la vie de Dieu en elle, que tout le bien va périr et qu’elles en sont elles-mêmes la cause et ne peuvent cependant faire autrement ; elles y sont poussées par une main invisible, mais qui est d’autant plus forte ; c’est la main de Dieu par l’attrait du Centre, mais elle leur est la plupart du temps cachée, et quoiqu’elles aient eu (au commencement de ce Sacrifice et lorsque Dieu a voulu leur consentement pour le faire) la lumière et conviction que c’est Dieu qui le demande, cette conviction est bientôt cachée à leur entendement, qui après cela est attaqué de mille doutes et peines, et ne laisse à l’âme que la persuasion qu’elle se précipite dans sa perte sans pouvoir l’éviter. Si une telle âme a un Directeur spirituel, il voit bien ce que c’est et que ce n’est qu’une épreuve où Dieu met cette âme pour la purifier davantage et la faire mourir à son esprit propre, mais comme il ne doit pas servir d’appui à l’âme dans sa perte, ce qui lui nuirait beaucoup, il ne doit pas dire à la personne la lumière qu’il a de son état, pour qu’elle n’ait point d’appui dans sa perte, et quand même il le lui dirait, Dieu fait en sorte qu’elle ne le peut croire, afin que l’intention de Dieu ait son effet. Cependant le Directeur sait bien jusqu’où doit aller l’abandon de cette âme, jusqu’à quel point doit aller son sacrifice, tout de même que l’ange qui cria à Abraham de ne point faire mal à l’Enfant Isaac lorsqu’il était sur le point de l’égorger ; Abraham ne savait pas qu’il ne devait pousser son abandon et que son obéissance ne devait aller que jusque-là de lever le couteau après avoir lié son fils sur le bois de l’Autel. Son fils était lié. La nouvelle créature, la vie Divine dans l’âme, est mise hors de tout pouvoir d’aider l’âme, elle est liée et comme déjà sacrifiée. Abraham n’a que le désastre cruel d’en être lui-même le bourreau ; si quelqu’un des amis d’Abraham et qui eût eu la lumière Divine que son Sacrifice ne devait aller que jusqu’à lever le couteau, de même que l’Ange le savait bien, lui eût dit cela, Abraham ne l’eût point cru, et l’eût regardé comme étant un homme qui voulait le détourner de son abandon à Dieu, auquel abandon il lui a tant coûté de peines avant d’y pouvoir parvenir. Cependant, quoique l’Ange, le Directeur et l’ami n’osent rien dire qu’à point nommé, et lorsque le sacrifice est consommé, ils savent l’intention de Dieu et sont employés de lui pour veiller sur Abraham sans qu’il le sache ; ils doivent en esprit en secret le soutenir et garantir de commettre cet homicide ; ils combattent et garantissent Abraham contre toutes les puissances infernales des mauvais esprits qui font leurs efforts pour pousser Abraham à égorger en effet son fils en se couvrant du prétexte de l’ordre qu’il a de Dieu pour le faire. Ces esprits malins se déguisent en Anges de lumières et influent dans l’esprit ou dans l’entendement d’Abraham que Dieu veut qu’il égorge en effet son fils, que la nouvelle créature qui est encore un Enfant périsse. C’est pour le garantir de cette exécution tragique que Dieu met des gardes d’Abraham à son insu, qui sont l’Ange, le Directeur ou l’ami.

Cette histoire du Sacrifice d’Abraham marque singulièrement la disposition où doit être l’âme de foi qui s’est abandonnée à Dieu ; comment elle ne doit tenir à rien, non pas même aux choses les plus nécessaires et les plus excellentes sur lesquelles il semble que repose et d’où dépendent toute l’œuvre de Dieu et ses promesses à son égard, comme cela était en Isaac, touchant lequel Dieu avait dit à Abraham :

 

v. 18. C’est d’Isaac que sortira votre véritable postérité.

 

Et il faut ici qu’il le sacrifie ; ainsi l’âme doit toujours être prête de sacrifier à Dieu ce qu’il lui a donné de plus cher lorsqu’il le demande ou semble de lui ôter, et le lui ôte en effet pour un temps ; car ce n’est que pour éprouver l’âme que Dieu agit ainsi, pour la purifier de toute propriété et de l’attachement qu’elle prend, aussi longtemps que cette propriété n’est pas entièrement déracinée, aux choses spirituelles que Dieu lui donne ou aux promesses qu’il lui fait ; c’est pour la rendre souple et détachée de tout ce qui n’est pas Dieu lui-même qu’il l’exerce ainsi presque continuellement ; sa jalousie contre l’appropriation est si grande qu’il rend l’âme si passive et souple, si délaissée et si abandonnée à tout par cet exercice de renoncement et de sacrifice à l’égard des choses qu’il opère cependant lui-même, et aux œuvres pour lesquelles il emploie les âmes dont il se sert, que l’on ne saurait croire ni exprimer la passiveté où il les met par là et le délaissement à laisser périr et renverser ce que cependant Dieu veut établir par elles ; il sépare son œuvre et ce qu’il opère des moyens dont il se sert pour la faire, afin qu’ils ne s’en puissent attribuer rien du tout, et que tout l’honneur et gloire lui reste à lui seul, aussi bien à l’égard des choses mêmes qu’il fait que de la manière donc il les fait ; tout cela est Divin, il l’opère par l’esprit de la foi, par lui-même, en mettant le contraire devant nos yeux, en nous ôtant souvent toute espérance que son œuvre que nous avons pour l’unique objet de nos désirs s’accomplisse jamais, et lorsqu’il relie quelque espérance, la voyant périr, c’est celle qu’avait Abraham ici.

 

v. 19. Mais il pensait en lui-même que Dieu le pourrait bien ressusciter des morts, et ainsi il le recouvra (comme d’entre les morts) en figure (de la résurrection).

 

Dieu redonne après le renoncement, qui est la mort des choses et aux choses qu’il nous fait sacrifier, ces choses mêmes ; mais, en ayant séparé toute propriété et attribution la plus subtile par la mort, elles ressuscitent et sont rendues dans une nouvelle vie plus excellente et plus pure ; mais ces choses ne sont nullement en notre déposition propre, elles restent à Dieu, et nous aussi ; c’est sa vie et son bien qui lui appartient, nous restons dénués de tout, et cette pauvreté fait notre richesse, nous y sommes en paix, et y trouvons notre vrai repos.

Chaque mort, chaque Sacrifice que Dieu opère en nous et qui ne se fait que par la souffrance, est toujours suivie d’une nouvelle vie, d’une nouvelle résurrection de la chose à laquelle nous mourons. Ô Seigneur, que tes œuvres sont admirables, tu fais ce que tu veux, et comme il te plaît, nous n’y comprenons rien et n’y entendons rien ! C’est par la foi que nous pouvons nous ajuster et nous soumettre à la manière de ta conduite ; donne-la-nous de plus en plus par ta grâce, afin qu’elle nous soutienne et remporte la victoire sur tous les ennemis ! Tu le fais et le feras Seigneur pour l’amour de ton nom. Amen, oui, Amen !

Quoique tes ennemis semblent souvent nous terrasser et triompher, ce n’est qu’en apparence, ton bras les surmonte aussitôt, c’est par la mort et le délaissement et l’abandon que tu nous fais voir tes victoires ; donne-nous seulement la grâce de ne nous point lasser de souffrir, de mourir aussi longtemps qu’il te plaira, quoi qu’il en soit ; ton règne nous viendra et l’amour pur triomphera !

 

v. 20. C’est par la foi qu’Isaac donna à Jacob et à Ésaü une bénédiction qui regardait l’avenir.

 

La bénédiction d’Isaac, qu’il donne à Jacob et puis à Ésaü, marque très bien comment ce que l’Esprit de Dieu opère dans l’âme est tout séparé de ses propres opérations et inclinations naturelles. Isaac, contre son intention, donne à Jacob la bénédiction qu’il avait destinée à Ésaü ; il est trompé selon l’apparence, cela renferme un grand mystère ; car Jacob représente le nouvel homme, l’homme spirituel qui est recréé dans l’âme régénérée, et Ésaü représente l’homme naturel dans son état de corruption vivant dans l’esprit du monde et soumis à la région astrale dont il dépend. Isaac représente le Père spirituel, qui est poussé à agir par l’Esprit de Dieu dans les choses qui regardent sa fonction, et qui ne peut agir suivant ses inclinations naturelles, ni sa volonté propre. Il aime Ésaü à cause de son adresse à tirer le gibier et pour la bonne odeur de ses vêtements ; cela signifie à cause qu’il représente une âme fort active occupée à tirer du gibier, c’est-à-dire à attirer les hommes sauvages et impénitents, vivants dans leurs vices grossiers, à mourir à ces œuvres criminelles et mauvaises.

Ésaü représente fort bien ceux qui travaillent ainsi à nettoyer le dehors de la coupe et du plat, à former un extérieur de vertu apparente qui donne une odeur agréable aux sens par la belle discipline que l’on observe au dehors ; le vieil homme se couvre de ce poil des vertus apparentes et cache par là sa malignité et sa véritable forme ; cela plaît à Isaac, qui aime la venaison ; c’est le Zèle que l’on a pour l’avancement du règne de Dieu et la conversion des âmes. Le Directeur manque d’expérience et, ayant mené une vie toute contemplative, les yeux naturels de son entendement sont obscurcis et incapables de distinguer dans cette occasion Ésaü d’avec Jacob ; ainsi il est incliné pour Ésaü voyant ou étant ébloui par ses vertus et son Zèle extérieur ; il le prend pour le nouvel homme, qui est diligent et alerte à procurer la conversion des âmes en travaillant pour la gloire de Dieu, où vont tous ses désirs, et c’est ce qui est sa nourriture ; il méconnaît pour ce temps Jacob, le prenant pour un paresseux et qui aime à rester au logis en repos. Il veut donc donner la bénédiction à Ésaü lorsqu’il reviendra du champ, ayant fait quelque nouvelle conquête. Mais comme cette bénédiction était prononcée non de la volonté de l’homme mais de la volonté de Dieu et par son esprit, elle doit être donnée à la nouvelle Créature, à laquelle elle appartient ; et c’est pour cela qu’elle doit se présenter à Isaac, couverte des mêmes habits de vertu et de la bonne odeur d’Ésaü ; il est trompé selon l’apparence, mais agit selon l’intention de Dieu, qui l’a ainsi ordonné, que la bénédiction soit sur Jacob, qu’il ait la domination sur son frère, qui lui doit servir. C’est-à-dire que l’esprit renouvelé doit dominer l’homme extérieur ou l’astral, car c’est ce que signifie cette histoire. Celui-ci, savoir l’homme extérieur et astral, a aussi sa bénédiction, mais comme il est le premier-né, l’homme naturel étant le premier, il est jaloux et malcontent ; il voulait dominer le nouvel homme ou l’homme spirituel, et étant frustré de son domaine, il entre en rage et haine contre l’homme spirituel ! En vérité, cela représente fort bien ce qu’il arrive dans ce monde ; les âmes actives et qui font consister leur piété dans la multiplicité des pratiques et œuvres extérieures en font de même ; elles n’ont point une vraie régénération et s’étudient à former un extérieur bien réglé et ayant belle apparence au dehors ; elles sont Zélées à travailler à convertir les gens du monde à leur manière, en les attirant dans le même extérieur composé comme eux. C’est là nettoyer le dehors de la coupe et du plat et faire des Pharisiens comme ils sont eux-mêmes. Ces gens veulent avoir la bénédiction due à Jacob, au nouvel homme, et veulent absolument qu’on tienne leur état pour celui d’une âme vraiment renée en Jésus Christ, et si quelqu’une de ces âmes véritablement renées qui ont emporté la bénédiction ne veut pas les tenir pour tels, découvre leur affaire et en juge selon la vérité, ils entrent en inimitié contre eux, font tous leurs efforts pour les tuer, comme Ésaü avait le dessein de tuer Jacob après la mort de son Père. Ces Chrétiens extérieurs, ou qui en ont l’apparence, tuent l’Esprit de Christ dans les âmes, décrient les âmes intérieures qui sont véritablement celles qui sont régénérées par cet esprit de Christ, dont elles se laissent mouvoir et qui opère en elles ; il faut que ces pauvres âmes prennent la fuite, se cachent, s’éloignent d’eux pour éviter leur persécution ; elles ne peuvent avoir de commerce avec elles, car toutes leurs machinations et intentions sont de tuer Jacob, qui est l’Esprit de Jésus Christ en elles, pour les dominer par les sens, les voulant soumettre à la région astrale, dans laquelle ils vivent. C’est ce qui a toujours été jusqu’à présent ; Ésaü ayant toujours brillé et fait grand éclat dans le monde, et ayant ainsi eu l’effet de la bénédiction qu’Isaac lui donna, il se nourrit de son arc, de son travail actif. Et Jacob est petit, paisible et vit de grâce et d’abandon à Dieu, s’humilie et souffre ; c’est le caractère des âmes intérieures et qui ne laissent pas de fructifier en réalité selon l’esprit, comme Jacob Père des Patriarches et de tout le peuple d’Israël. C’est donc touchant ces deux peuples de l’avenir qu’Isaac donna sa bénédiction.

C’est donc par l’esprit de la foi qu’Isaac donna cette bénédiction à ses fils, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur ; voilà pourquoi ils subsistent ensemble dans le monde aussi longtemps qu’il plaira à Dieu, qui est le Père de tous, et sépare et consume dans son temps le pur de l’impur, l’ivraie du bon grain ; il faut les laisser croître jusqu’à la moisson et se tenir paisible comme Jacob, souffrir et s’humilier, n’avoir d’autres armes que l’abandon à la providence Divine qui, malgré l’arrogance d’Ésaü, sait bien garder le pauvre simple Jacob, le conduisant par le conseil de sa Sagesse, qui est représentée par Rebecca.

 

v. 21. Par la foi, Jacob, en mourant, bénit chacun des fils de Joseph et adora sur le bout de son bâton.

 

Cette bénédiction des fils de Joseph nous éclaircit le mystère de la prédestination (Gen. 48). Jacob bénit Éphraïm et Manassé, il les bénit tous deux, mais il fait préférence d’Éphraïm à Manassé, mettant le cadet devant l’aîné ou dans une place plus haute et un plus haut rang. Dieu fait de même par pur choix et Élection ; il veut bénir et sauver tous les hommes, et en cela il n’y a point de choix ni d’Élection ; il ne veut point sauver les unes et laisser les autres éternellement dans la damnation, qu’ils ont tous méritée les uns aussi bien que les autres ; c’est cette opinion que l’on rejette et qui est contraire à l’amour d’un Dieu qui est le Père de tous les hommes, de même que Jacob était aussi bien le Père de Manassé que d’Éphraïm ; il les bénit tous deux, ce qui représente que Dieu veut bénir ou sauver tous les hommes qui sont ses Enfants ; mais du nombre de ceux qui reçoivent sa bénédiction (cela veut dire qui se retournent à lui, qui se convertissent et reçoivent la grâce de la rédemption que Dieu leur offre en Jésus Christ), il en choisit une partie par pure grâce, qu’il élit ou choisit d’une manière particulière pour les honorer de plus grandes faveurs que les autres ; disons que ceux-là sont les premiers-nés, qui sont entre eux aussi très différents en degrés. Les uns sont élus de Dieu pour être Apôtres, les autres Prophètes, Conducteurs, Pasteurs, etc. Tous ces appels à des ministères particuliers sont des grâces de Dieu particulières que Dieu distribue par pure élection et choix, et ces grâces singulières sont aussi accompagnées de souffrances et d’épreuves particulières et très grandes ; car plus hautes et grandes sont les vocations que Dieu donne aux siens par Élection, d’autant plus grandes sont aussi les souffrances, peines, tentations et épreuves, et les morts sans nombre par lesquelles Dieu les fait passer dans cette vie. Voici donc comme j’entends l’Élection ou la prédestination et où elle a lieu ; c’est pour ceux qui ont suivi l’appel de Dieu à la conversion et qui l’ont accepté ; de ceux-là Dieu en élit ou choisit par un appel particulier, outre l’appel général qui regarde tous les hommes. Car, sans doute, qu’as-tu, ô homme, que tu n’aies reçu ? Chacun auquel Dieu fait des grâces singulières l’attirant à un renoncement bien plus étendu et plus profond de lui-même et de toutes les choses du monde, sait bien et expérimente très bien que les faveurs singulières que Dieu lui fait sont de pure grâce, sans qu’il y contribue en quelque sorte que ce soit ; bien au contraire, plus ces grâces sont singulières, plus intimement et particulièrement Dieu attire une âme à être dévouée à lui sans réserve par un renoncement total à elle-même et à toutes choses, plus profondément elle est convaincue qu’elle n’y contribue en rien et qu’elle reçoit tant de faveurs par un pur effet de l’Élection de Dieu, qui est toute gratuite, dépendant uniquement de son bon plaisir et libre choix ; oui, elle expérimente de plus en plus, dans l’abîme de l’anéantissement où l’Esprit de Dieu l’enfonce par son opération, qu’elle n’a rien de quoi elle se puisse vanter ou s’attribuer, sinon ses résistances à recevoir de si singulières faveurs de Dieu, parce que sa nature frémit de ces faveurs, étant toujours accompagnées de souffrances et de peines très amères à la suite du Sauveur ; car plus une âme est honorée de la grâce de lui être rendue plus conforme et de le suivre de plus près, d’autant plus de part a-t-elle de ses souffrances, et plus grande est la portion dont elle est rendue participante. Ô profondeur, devons-nous nous écrier avec le saint Apôtre : Les secrets de Dieu sont impénétrables dans ce mystère de l’Élection comme dans tous les autres ! Nous ne faisons que d’en bégayer quelque petite chose comme un Enfant.

Il en est de l’Élection comme d’un grand Roi qui choisit de ses sujets ceux qu’il lui plaît pour en faire ses gens de cour, ses Officiers, ses favoris, et en établit pour être Princes, Gouverneurs de son peuple, selon la capacité qu’il reconnaît être à un chacun. Avec cette différence que notre Divin Roi donne la capacité à un chacun selon qu’il l’emploie. Tout son peuple lui appartient, les paysans, bourgeois, noblesse, tout lui est soumis, et s’il est un Roi débonnaire, comme est notre Dieu et son Christ, il les rend tous heureux étant leur Père, chacun en son état et condition qui est très différente ; ils sont tous un peuple choisi et bien-aimé, qui est en grâce auprès de son bon Roi ; mais les Sujets rebelles et qui sont dans la révolte et la rébellion, il ne les a point prédestinés à cela, leur faisant offrir sa grâce et son pardon s’ils veulent désister de leur rébellion.

Jacob adora sur le bout de son bâton, et cela après avoir, comme Prophète, rendu témoignage comment c’est par pur choix d’élection que Dieu préfère le moindre ou le cadet à l’aîné selon la nature. Comme Prophète, dis-je, il représente ici comment l’âme n’est pas en état d’adorer en Esprit et en vérité, et de reconnaître les voies de Dieu que lorsqu’elle défaille à ses propres forces et qu’elles sont à bout ; c’est ce que ce passage signifie ; le bâton est sur quoi on s’appuie, il représente ici la propre force ou le soutien de l’âme. Jacob adore sur le bout ou sur la fin de ce bâton lorsque ses propres forces ou que la propre vie défaille et est au bout ; alors l’âme adore Dieu comme il veut être adoré, lui rendant hommage et étant en disposition requise de recevoir les opérations pures de l’Esprit de Dieu sans y rien mélanger de l’esprit propre, qui défaille de sa force et en est au bout. Alors Jacob devient un Prophète, il rend témoignage de l’Élection de Dieu qui choisit ce qui est le moindre et le plus faible, le cadet selon la nature, et le préfère à l’aîné, afin que la gloire lui reste ; il prophétise aussi touchant l’avenir de ce qui concerne toutes les Tribus d’Israël.

 

v. 23. C’est par la foi que Joseph en mourant parla de la sortie des Enfants d’Israël hors d’Égypte et qu’il ordonna qu’on en transportât ses os.

 

Joseph est le Père nourricier, le conducteur ou directeur des âmes intérieures, en figure des Enfants d’Israël, ses frères dans le pays d’Égypte, pays de captivité, où ils vivent de la grâce du Souverain qui est Pharaon, figurant l’esprit de ce monde, qui de sa nature n’est assurément point ami des Enfants d’Israël. Mais parce que, par le moyen de Joseph, lui et tout son Royaume est garanti d’une ruine totale par la famine, il protège et reçoit dans ses États ce peuple qui d’ailleurs est en abomination aux Égyptiens, jusqu’au temps prescrit que Dieu s’est réservé de tirer son peuple de la captivité d’Égypte ; alors Joseph ne veut pas même que l’on y laisse ses os.

Voilà comment les enfants de Dieu, représentés par les Enfants d’Israël, les Enfants de foi, qui vivent de foi et de confiance en Dieu, sont dans ce monde, qui est Égypte. Dieu protège en leur faveur le monde, détourne la ruine totale qui aurait submergé il y a longtemps le genre humain si la famine et la malédiction n’était pas détournée par les âmes intérieures qui sont dans le monde, qui appartiennent à Dieu sans réserve. Parmi celles-là, Dieu en suscite de temps à autres qui donnent quelque bon conseil pour le bien public, comme fit Joseph, qui est élevé en honneur, Dieu le revêtant pour cela de dons de grâces d’habilité et de talents extraordinaires ; c’est ce qui est facile à Dieu, qui se donne lui-même à tous ceux qui se donnent à lui par l’union de l’âme la plus intime. C’est donc peu de chose en comparaison de lui que les plus excellents dons, soit de prophétie ou d’autres, dont il gratifie les âmes qui sont à lui comme il lui plaît et quand il lui plaît selon les desseins qu’il a. Ô mon Dieu, que tu es admirable en tes œuvres ! Ce sont bien des miracles et merveilles continuelles, tout ce que tu fais ! Tu prends à tâche de le faire d’une manière qui contrecarre l’esprit humain, afin que l’on voie et reconnaisse que ta sagesse ne peut être comprise de personne et que la petite chétive créature apprenne à se soumettre, à t’obéir aveuglément, à mettre sa science et sa gloire dans ce qu’elle captive volontiers et avec agrément son propre esprit et jugement, pour te donner à toi seul la gloire et l’honneur qui t’appartient, qui test rendue comme il faut lorsque nous nous soumettons à tous les ordres de ta providence, prenant tout ce qui nous arrive de ta main, quelque opposé qu’il soit à nos Idées et à nos volontés, en nous soumettant, reconnaissant que nous ne savons ni n’entendons rien, faisant notre gloire de notre ignorance, pour te rendre, ô Dieu maître et gouverneur de tout le monde, l’honneur et la gloire qui t’appartiennent !

Nous vivons donc dans ce monde pervers, dans cette Égypte sous ta protection, et tu te sers de tes Enfants pour attirer la bénédiction sur ce monde et en détourner les malheurs, jusqu’à ce que ton temps soit venu que les os même de Joseph en seront transportés ; attendons ce temps avec patience et laissons-nous humilier sous la servitude d’Égypte ; prions pour le Prince sous lequel nous vivons, comme le Prophète Jérémie exhorta les Israélites de faire dans la captivité de Babylone ; et que l’Esprit de charité, de support, de soumission au Souverain soit notre caractère, comme il appartient aux Enfants humbles du Divin Enfant Jésus. Soyons soumis à tout ordre humain pour l’amour de Dieu, comme St. Paul l’ordonne et qu’il convient à ceux dont le principal caractère doit être l’humilité et la soumission. C’est à présent le temps de la souffrance et de l’humiliation ; servons-nous à cette fin de tout ce qui nous arrive, et nous en aurons le profit, par la paix qu’apporte une telle conduite. Pensons que nous sommes tolérés et soufferts par grâce dans ce monde pervers, qui n’est nullement notre patrie et où nous n’avons aucun droit ; notre adorable Sauveur nous ayant déclaré que son règne n’est point de ce monde ; si donc lui qui est le Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs par lequel le monde a été fait s’est dépouillé de tout droit et prétention terrestre, n’ayant pas eu de lieu où reposer sa tête pendant le temps de sa vie mortelle pour nous montrer exemple, combien moins avons-nous à prétendre ! Ainsi courbons-nous, courbons-nous, et reconnaissons que c’est purement par grâce que nous sommes soufferts et tolérés dans ce monde pervers ; c’est Dieu qui nous protège et garantit, mais c’est à condition que nous pratiquions avec soin en tout cas et toute occasion cette leçon de l’abnégation, de l’humilité, la soumission, la petitesse, sans regimber ni disputer, apprenant à céder et nous accommoder avec douceur, comme notre Divin Sauveur.

Joseph, comme figure de Jésus Christ, parle ou prophétise la sortie des Enfants d’Israël hors d’Égypte, représentant que c’est par la mort de Jésus Christ que les Enfants de Dieu sont délivrés de la captivité de ce monde extérieur et de l’esprit de ce monde qui les tient captifs intérieurement ; mais il faut avant d’en être affranchis que cette captivité et esclavage devienne dure et insupportable, comme il arriva aux Enfants d’Israël. Prenez donc courage, ô vous Enfants d’Israël selon l’esprit, vous âmes de foi ! D’autant plus dure vous sentez être la captivité où vous êtes, la tyrannie que vous souffrez de l’esprit de ce monde, surtout de vos passions et corruption qui est en vous, sur lesquelles Pharaon semble dominer comme s’il était donné pouvoir à Satan de les émouvoir à l’excès pour vous tyranniser, ne perdez pas courage, ses exacteurs d’Égypte seront domptés, Dieu vous délivrera de cet esclavage. Joseph vous le prédit, qui est celui que Dieu vous a donné pour vous conduire, il certifie et affirme par sa mort la vérité de votre délivrance, que Jésus Christ opérera dans son temps ; croyez-le sûrement et prenez patience, car son temps viendra bientôt où Égypte ne pourra rien garder de ce qui est à vous, non pas même les os de Joseph, ce qui signifie la délivrance de nos corps (Rom. 8, 23), qui seront aussi délivrés de la terre d’Égypte de notre corruption par la mort et transportés dans la terre de Canaan ; c’est la nouvelle terre, où il ressuscitera d’une nouvelle vie en clarté et en gloire. Amen.

 

 

 



[1]  Ou : Tu l’as rendu pour un peu de temps inférieur aux Anges.

[2]  Ou : La confiance que nous avons eue dans le commencement.

[3]  Voyez expl. des III pr. Chap. de la Genèse.

[4]  Voyez Témoignage d’un Enfant de la vie des 24 Anciens.

[5]  Voyez Nouveaux discours, tom. III, disc. 5.

 

 

 

 

 

 

 

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