Le petit manoir breton

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Mme MICHEL DE R***

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une visite domiciliaire.

 

 

Kermat est une bien modeste habitation, cachée dans les bois au milieu d’un pays retiré. C’est là que vint s’établir un jeune officier de vingt-quatre ans, avec sa femme âgée de vingt ans ; à trois lieues de là seulement était le château de leurs parents. La jeune femme sut embellir sa nouvelle demeure, en la cachant dans un nid de fleurs qui enguirlandaient la façade ; mais elle l’orna surtout de ses vertus domestiques, de la simplicité de ses goûts, de la douce piété de son âme et des qualités de la femme forte que dépeint la sainte Écriture.

Le ciel bénit cette union chrétienne par la naissance d’un fils, Augustin, qui fut mon père, et dont le berceau fut agité par les premiers flots de la Révolution de 1789.

L’année suivante, la naissance de la petite Sophie vint compléter le bonheur du modeste foyer domestique.

Pendant trois ans, malgré les progrès de la tempête sociale, rien ne troubla extérieurement la paix des tranquilles habitants de Kermat. Leur mère, Madame de R..., se trouvant seule et trop en évidence dans son joli château de Herscoff, vint rejoindre ses enfants au fond des bois où le manoir était caché.

On y vécut à petit bruit, pour ne pas éveiller l’attention des patriotes ; mais ceux-ci avaient trop de zèle pour le salut de la République, pour que le silence du manoir ne les alarmât pas : on devait y conspirer sourdement.

Les arrestations s’étaient multipliées au Guémené et aux environs. Le château seigneurial, qui en était l’ornement et la gloire, fut transformé en prison, où l’on entassait de nobles et religieux captifs.

Le jeune chef de famille trouva prudent d’enlever de sa maison les objets qui pouvaient y exciter la cupidité des révolutionnaires ou leurs susceptibilités démocratiques.

Aidé d’un fidèle serviteur, une nuit, il enfouit au fond d’un bois de l’argenterie, des tableaux de famille et autres objets précieux. Après avoir recouvert de mousse et de branches sèches la terre nouvellement remuée, ils y plantèrent un groseiller, afin que cet arbuste de jardin pût, en des temps meilleurs, faire reconnaître le lieu où ces trésors avaient été cachés.

Il était temps de prendre cette mesure de sûreté.

Peu de jours après, le silence habituel des bois fut troublé par le son insolite et inquiétant du clairon et du tambour. Bientôt quinze cents hommes cernent la maison. Leur chef, pour se donner une forme de mission officielle, fit subir un interrogatoire dérisoire au personnel de Kermat, après lequel on procéda, non seulement à une visite domiciliaire qui ne fut autre qu’un pillage, mais encore à l’enlèvement des personnes suspectes du manoir.

Devant la force brutale on ne pouvait résister. Le cœur français et chevaleresque du jeune militaire protesta, mais on le laissa dire : on avait mieux à faire qu’à l’écouter.

Pendant ce temps, les charrettes des fermiers, mises en réquisition, se chargeaient des meubles, literies, etc.., de la maison, tandis qu’un jeune soldat, voulant faire preuve de patriotisme, appliquait une échelle contre la façade et, armé d’un marteau, se mit en mesure de briser les armoiries gravées sur l’écusson qui couronnait la porte d’entrée.

À cette vue, le jeune officier de Navarre sent bouillonner le sang de gentilhomme qui coule dans ses veines, et, saisissant l’échelle, il la renverse avec le héros qu’elle porte.

Le petit Augustin, âgé de trois ans, comprend à ce spectacle que la propriété est menacée et que, à l’exemple de son père, il doit sauver ce qu’il a de plus précieux. Il rassemble ses jouets, les cache dans la niche du chien et s’assied devant l’ouverture, bien décidé à résister à la force pour défendre sa propriété.

Les soldats avaient plus à prendre que les joujoux d’un enfant. Il s’agissait, en ce moment, d’absorber les comestibles et de vider la cave. Après donc qu’on eût tout mangé, on voulut tout boire. Vin et cidre coulèrent en abondance ; ne pouvant tout consommer, parce que le cidre était un des plus sérieux produits de la propriété de Kermat, les héros enfoncèrent les barriques à coups de fusils et laissèrent couler le reste.

La visite domiciliaire avait été consciencieuse, les murs sondés, les boiseries enlevées, les parquets soulevés. L’âtre de la cuisine excita leurs soupçons ; des barres de fer, faisant levier, l’eurent bientôt renversé... Quelle ne fut pas la surprise des propriétaires, présents à cette opération, et la joie cupide des démolisseurs, en découvrant dans cette cachette de beaux couverts de vermeil que personne ne s’attendait à trouver là.

Les habitants du manoir ignoraient absolument la présence de ce trésor. Ils en furent réduits aux conjectures et à des probabilités remontant au moins aux guerres de la Ligue. Quant aux patriotes, sans chercher si loin la cause de leur bonne fortune, ils emportèrent leur riche butin, car le nombre de ces couverts lourds et massifs était considérable.

La visite de Kermat achevée, on passa chez le fermier, connu par son dévouement à la famille. Il avait prévu que le zèle des patriotes les amènerait chez lui, et voulut leur jouer un tour.

Au fond de son cellier, il affecta de vouloir cacher un objet précieux ou suspect que, volontairement, il ne dissimula pas suffisamment afin d’attirer l’attention des chercheurs.

En effet, on apercevait dans l’ombre, derrière des fatras et de vieilles barriques, un coin de drap blanc qui semblait voiler un objet gros et compact. Un soldat saisit le bout de cette toile pendante, le soulève brusquement et renverse une ruche que le fin paysan avait, à dessein, posée dessus et recouverte par les trois autres coins du drap.

Les abeilles en fureur se jettent sur les assaillants qui s’enfuient couverts de piqûres.

Tout au manoir étant pillé, ravagé, ou empilé dans les charrettes, la besogne de cette glorieuse journée se couronna par la plus belle des conquêtes, celle des personnes. Les jeunes époux et leurs deux petits enfants, la grand’mère paternelle et Antoinette, la femme de chambre, furent placés sur ces chars, déjà chargés de meubles, et emmenés au Guémené. Le butin fut vendu à l’enchère sur la place publique, et les habitants du manoir de Kermat jetés en prison.

 

 

La Prison.

 

Cette prison, je l’ai dit, était l’ancien château seigneurial des princes du Guémené. La chambrée où la famille fut incarcérée renfermait déjà un nombre considérable de personnes de tout âge et de tout rang. Les six nouveaux détenus reçurent l’honneur exceptionnel d’un lit et d’une chaise ! Les trois femmes occupèrent le lit, à la grande confusion d’Antoinette, toute honteuse de partager la couche de ses maîtresses ; les deux enfants couchèrent à leurs pieds et leur père dormit sur la chaise.

Tous les soirs, vers dix heures, une patrouille verrait faire la visite et l’appel des prisonniers. Quand elle revenait le matin, pour un nouvel appel, l’air était tellement vicié que, n’en pouvant supporter la fétidité, elle ouvrait une fenêtre pour le renouveler.

Un soir, à la visite accoutumée, un des soldats de la patrouille passe près du châtelain de Kermat et, sans tourner la tête, sans même ralentir sa marche, murmure furtivement ces mots à son oreille :

– Demain au soir, à onze heures, partez !

Quand les visiteurs officiels se furent retirés, le prisonnier fit part à sa femme et à sa mère de l’avis donné comme un ordre, surtout comme un secret. On tient conseil sur le grabat : on se disait à voix bien basse : « Est-ce un traître ?... est-ce un ami ? Faut-il tenter l’aventure ? faut-il attendre ici le départ pour l’échafaud,... notre tour arrivera bientôt, le bruit en court, dit-on. » On restait indécis.

L’aurore éclaira enfin ce long entretien. Par la fenêtre ouverte, quand parut le jour, arrive soudain une pierre lancée du dehors : elle est enveloppée d’un papier. Depuis que l’air pur du matin circule dans la chambrée, les prisonniers se sont profondément rendormis ; ils n’ont pas remarqué la pierre lancée, mais celui à qui elle s’adresse a saisi le papier et rejeté la pierre qui a servi à le lancer. On se groupe encore en conseil de famille, pour s’assurer si le billet n’est pas une nouvelle forme d’un même avertissement. En effet, les mêmes paroles écrites confirment les espérances de la veille et assurent que des amis veillent sur les prisonniers.

Il n’y avait plus à hésiter. D’ailleurs il était certain que les portes de la prison ne s’ouvriraient plus pour eux que pour les conduire à la guillotine.

Il fut donc décidé qu’à l’heure dite, M. de R*** tenterait l’évasion. On sait pourtant que chaque porte est barrée de fer et gardée par des sentinelles... Mais si le Ciel est pour nous, qui sera contre nous ?

À dix heures l’appel ordinaire se fit et chaque prisonnier répondit : Présent ! Oui, ils sont tous là, mais pas pour longtemps désormais. Quand la patrouille se fut retirée, le père s’approche du lit où reposaient ses petits enfants endormis. La mère, l’aïeule veillent, prient : on se consulte encore, on s’encourage. Le fugitif assure qu’avant peu il reviendra délivrer sa famille qu’il laisse en prison. Sans l’espérance de la sauver, consentirait-il jamais à la quitter ?

Onze heures sonnent... on tressaille de crainte on tressaille d’espoir... les yeux sont pleins de larmes... on s’embrasse en silence. Le père jette un long regard sur les innocents qui dorment si paisiblement et appelle les bénédictions du Ciel sur leurs jeunes têtes... puis se dirige à pas légers vers la porte verrouillée et barrée de fer : elle cède au simple loquet ; la sentinelle se range pour le laisser passer. Dans l’escalier, un autre gardien est sur le palier : il s’efface pour faire place au fugitif. Au bas de l’escalier, un long corridor, donnant d’un bout sur la rue, de l’autre sur le jardin, l’oblige à faire un choix. Là encore se trouvent deux sentinelles. De quel côté est la liberté ? « Les champs, se dit-il, sont plus sûrs que la rue. » Il se dirige donc vers la porte qui donne sur le jardin : elle ne lui résiste pas plus que la sentinelle.

Tout favorise son évasion, mais, pendant plus de soixante-dix ans, la famille ignora à quel cœur dévoué elle devait la conservation de celui qui allait devenir, non seulement son sauveur, mais encore un des chefs des guerres religieuses et royalistes de la Bretagne.

Les murs d’un jardin sont faciles à escalader pour un officier de vingt-quatre ans. Il est bientôt dans les champs, et, tout en rendant grâce à Dieu de sa délivrance, il court, il court, car il est prudent qu’il soit en lieu sûr, avant la visite matinale de la patrouille.

– Où court-il ?... à Kermat, que l’on a dévasté, mais où il est connu, aimé, respecté des paysans du canton.

À la pointe du jour, il frappe chez ses fermiers, qui ne peuvent en croire leurs yeux : car déjà la nouvelle de sa prochaine exécution est arrivée au pays. La joie de revoir leur jeune maître est au comble, et leur haine contre les oppresseurs de la France redouble d’intensité. Le militaire profite de cet élan généreux, il les invite à prendre les armes et à s’unir à l’armée catholique et royaliste qui s’organise de toutes parts. L’ardeur qu’il communique à ces nobles cœurs s’étend de proche en proche. Lui-même parcourt les villages prêchant la nouvelle croisade. L’enthousiasme s’empare de tous : chacun s’enrôle.

Ceux qui manquent d’armes s’en font de terribles avec leurs faux, leurs haches ; leurs instruments de travail deviennent des engins de guerre entre les mains caleuses des laboureurs. En quelques jours, deux mille hommes se rangent sous la conduite de la Couronne, nom de guerre sous lequel nous désignerons désormais le seigneur du petit manoir breton.

 

 

Une alerte au Guémené.

 

Revenons à la prison du Guémené. Huit ou dix jours, pleins d’anxiété, se passèrent sans que les prisonnières entendissent parler du fugitif. Sa tentative avait-elle réussi, ou bien était-il tombé entre les mains de ses ennemis ?... Est-il en lieu sûr, sous la garde de cœurs dévoués ?... ou bien le bourreau a-t-il promptement délivré la patrie de cet ennemi dangereux ?

Que de prières s’élevèrent au cours de ces jours d’angoisses, de conjectures, d’incertitudes, du cœur de la mère et de l’épouse !

Quand on s’aperçut de l’évasion du prisonnier, l’émoi des patriotes fut au comble, la surveillance devint rigoureuse, les interrogatoires journaliers, les vexations continuelles, au dedans, et au dehors les recherches furent aussi minutieuses qu’infructueuses.

Tout à coup les cloches, muettes pour les exercices du culte, jetèrent au loin leur son d’alarme. Le tocsin répand l’effroi dans le pays. On bat la générale ; les patriotes courent aux armes !

Le Guémené est cerné par une troupe de Royalistes dont on ignorait l’existence. La Couronne la commande. Les citoyens demandent à parlementer ; le chef royaliste dicte ses conditions :

– Si l’on touche à un cheveu de la tête de ma mère, de ma femme et de mes enfants, je mets le feu aux quatre coins de la ville.

On fait des promesses ; les Royalistes s’éloignent.

– Mais prenez garde ! ils veillent et reviendront, si l’on ne tient pas aux conditions et ce sera alors sans miséricorde.

Les Républicains effrayés demandent de la force armée à Lorient, à Pontivy, à Rennes. La présence de deux femmes dans la prison devient un danger pour la patrie. On télégraphie à Rennes. Ordre est donné, par Énu-Lavallée, d’y expédier immédiatement les deux citoyennes redoutables.

Ce décret est officiellement communiqué aux nobles prisonnières qui, dès ce moment, peuvent prévoir le sort funeste qui les attend, dans une ville où règne en tyran le sanguinaire Énu-Lavallée, le grand pourvoyeur de la guillotine, et l’émule de Carrier à Nantes.

Une voiture de prisonniers stationne à la porte du vieux château des princes du Guémené, entourée d’une forte escorte de gendarmes et de militaires. S’il avait fallu quinze cents hommes pour enlever de leur modeste manoir ses paisibles habitants, quelle force ne faudra-t-il pas pour soustraire deux femmes aux tentatives d’enlèvement faites par les Royalistes ? tentatives qui auraient certainement eu de suite leur exécution, si la Couronne avait prévu leur départ soudain pour Rennes.

 

 

La Séparation.

 

Les gendarmes pénètrent dans la chambrée, arrachent la mère aux embrassements de ses petits enfants qui, sans comprendre l’étendue de leur malheur, voient qu’on l’entraîne ; ainsi que leur aïeule. Ils poussent des cris perçants et essaient de les défendre selon leurs petites forces. Leurs ongles aigus égratignent les mains des gendarmes et leurs dents acérées mordent partout où elles peuvent atteindre.

Cette scène attire les sympathies des compagnons de la chambrée, et bientôt celles de la foule qui grossit dans la rue.

Pour y couper court, les enfants sont rudement repoussés en arrière, et ces dames sont jetées dans la voiture qui s’éloigne rapidement, suivie d’une escorte à cheval.

Les pauvres innocents tendaient les bras vers la voiture ; la foule s’écoula et ils restèrent seuls dans la rue, pleurant et se lamentant, sans que les amateurs de la liberté et de la fraternité se missent en peine du sort qu’ils venaient de leur faire.

Chacun, même entre les mieux intentionnés, laissait à son voisin le soin de pourvoir aux besoins des petits abandonnés, lorsqu’une paysanne, s’approchant en s’essuyant les yeux, les appela par leurs noms :

– Augustin ! Sophie ! Venez avec moi. Je retourne à Kermat. J’aurai bien soin de vous, en attendant le retour de votre maman.

Dans leur détresse, c’était une bonne fortune, qu’une voix amie, qu’un visage connu ! Les enfants suivirent avec joie une des fermières de leurs parents, venue à la ville pour y vendre ses denrées et qui se trouva ainsi témoin de cette scène touchante.

Accueillir ces enfants chez elle pouvait passer pour un crime digne de mort, aux yeux des patriotes ; la charité de la chrétienne s’en mit peu en peine. Elle installe ses petits maîtres dans les mannequins vides qui ont porté les légumes au marché, et monte sur son cheval, entre les deux enfants. Ceux-ci, ravis, sourient à travers leurs larmes et bientôt mêlent leur joyeux babil aux gazouillements des oiseaux qu’ils n’avaient pas entendus depuis longtemps !

 

 

 

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Auguste ! Sophie ! Venez avec moi !

 

 

 

Tous les charme au cours du chemin, les arbres, les fleurs, l’air pur qu’ils respirent.

Voici la maison paternelle... on passe outre... C’est à la ferme qu’il faut descendre... Kermat est désert, dévasté.

La bonne fermière multiplie ses soins et ses attentions pour faire oublier aux enfants du manoir ce qui fait défaut à la chaumière ; mais la délicatesse de son cœur lui fait sentir son insuffisance pour y suppléer ; tout manque aux pauvres enfants.

La Providence y pourvut, Augustin et sa sœur furent réclamés par Mesdemoiselles Gilard de Kéranfleih, saintes et nobles filles, appauvries par la Révolution, au point d’être obligées de travailler pour vivre. Elles n’hésitèrent pourtant pas à s’en charger avec une tendresse aussi grande que leur admirable charité.

Les chers enfants, heureux de se sentir aimés, les aimaient aussi de tout leur cœur. Ils conservèrent toujours le souvenir des soins dont on les entoura ; tout fut mis en œuvre pour faire disparaître les traces que le séjour de la prison avait empreintes sur leurs corps délicats. Enfin, ils se retrouvaient eux-mêmes !

Cependant le service de la table plus que frugale se ressentait davantage de la gêne de leurs nobles hôtesses : la soupe et le bœuf en faisaient ordinairement les frais.

– Je voudrais bien du poulet maintenant, disait Augustin en tendant son assiette.

– Oui, mon enfant, et tournant le bœuf d’un autre côté, Mademoiselle de Keranfleih lui en donnait un second morceau.

Une autre fois, c’était du canard, puis du gigot. Après quelques jours de ce touchant stratagème, l’enfant, trouvant la même saveur à tous les mets qu’on lui présentait, soupçonna, sans le pénétrer tout à fait, le mystère de pauvreté qui entourait la charité de ses admirables bienfaitrices. Dès ce moment, la délicatesse d’un enfant de quatre ans à peine ne laissa plus deviner les désirs d’un petit estomac habitué à une table plus recherchée.

Bientôt l’excellent docteur le Boucher, médecin et ami de la famille, devinant les sacrifices que devait s’imposer la noble infortune de Mesdemoiselles de Kéranfleih, insista pour obtenir comme une faveur le bonheur de partager les soins qu’elles prenaient des enfants de leurs amis communs.

Augustin et Sophie reçurent donc une généreuse hospitalité chez le bon docteur jusqu’au retour de leur mère au manoir paternel.

 

 

Le retour à Kermat.

 

Le 27 juillet 1794, Robespierre, en perdant la vie, la conserva à des centaines de Royalistes, condamnés par lui à mourir sur l’échafaud. De ce nombre étaient la mère et l’épouse de la Couronne. Non seulement la peine de mort était commuée, mais la prison même s’ouvrit pour elles.

Libres désormais, ces deux femmes fortes et chrétiennes rentrèrent à Kermat avec les deux enfants. On s’y installa comme on put. Peu suffit, après de telles épreuves ; le plus humble chez-soi devient plus cher qu’un palais.

La Couronne s’y reposait au sein de sa famille, dans les intervalles des combats. Toutes les fois que la distance le permettait, le colonel y amenait ses Chouans, pour les reposer et les ravitailler. Alors, tous les appartements étaient envahis, les granges, les greniers, tout servait de dortoirs et la paille fraîche suppléait aux matelas insuffisants.

Sa jeune femme, vrai cordon-bleu, exerçait son zèle patriotique et charitable en mettant son talent culinaire au service des défenseurs du Trône et de l’Autel.

Par ses soins vigilants, la basse-cour s’était repeuplée et les cris de toutes sortes d’animaux domestiques annonçaient au loin que la vie avait repris son cours au petit manoir breton.

Des pâtés de venaison, des volailles, des jambons, s’expédiaient journellement au colonel pour soutenir les forces de son état-major, des blessés et des malades.

Le petit Augustin se rappelait une de ces haltes militaires à Kermat :

– Je dormais, disait-il un jour à ses propres enfants, je dormais dans mon petit lit d’osier, quand je fus éveillé par une foule de paysans armés qui envahissaient ma chambre. On y étendit des matelas. Chacun déposa ses armes et plusieurs appuyèrent leur fusil contre mon berceau. À travers ce rempart formidable, j’examinai ce qui se passait, avec une certaine émotion ; j’avais peur de tous ces fusils menaçants, mais je vis tous ces guerriers s’agenouiller pieusement : on récita la prière en commun, après quoi chacun s’étendit sur les matelas et s’endormit. Quand je m’éveillai moi-même, il faisait grand jour ; je ne vis plus personne : les Chouans étaient partis reposés et prêts pour de nouveaux combats.

Ce simple épisode, conservé dans la mémoire d’un enfant de quatre ans, nous montre, parmi les Chouans bretons, le même sentiment religieux que ceux du Bas-Maine, tous également des héros valeureux, humbles, chrétiens et priants.

 

 

Le Juif Jacob.

 

Un jour, parut au milieu de cette armée chrétienne un personnage d’une toute autre trempe. Il se présenta devant la Couronne, qui se reposait en ce moment sous les ombrages de Kermat.

Cet homme était un juif nommé Jacob qui, pendant les guerres de la République, se battit en Allemagne contre les Français ; mais Jacob, grand et fort comme Goliath, ne se bat que pour le plaisir de se battre ; jamais l’amour de la patrie n’a ému ce cœur de Juif-Errant. Il ne connaît pas davantage le devoir, celui qui, s’il a un passé dans l’histoire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, pressent d’instinct que son présent est méprisable et son avenir effrayant.

Jacob aime la guerre par tempérament, mais, ne se battant pas pour soutenir un principe, ou pour défendre un droit, il s’est ennuyé d’une punition militaire méritée, et il a quitté l’Allemagne pour passer à l’armée ennemie.

En France, on l’envoie exercer ses forces herculéennes contre les Royalistes de la Bretagne. Là, il déploie la même ardeur au combat ; mais, là aussi, une contrariété disciplinaire le fait déserter de nouveau.

C’est alors que le Juif se présenta devant la Couronne :

– Mon colonel, je désire m’engager dans votre régiment.

Son histoire était déjà connue de la Couronne qui lui répondit :

– Je t’accepte, car tu ne peux plus déserter : si tu rentres dans l’armée républicaine, tu seras fusillé ; si tu retournes en Allemagne, tu seras pendu. Tu n’as donc plus d’autres ressources que de mettre ton courage et tes expédients au service de l’armée royaliste. Si tu y manques à ton devoir, je te fais fusiller sur place ; acceptes-tu ces conditions ?

– Cela suffit, mon colonel, dit Jacob, en faisant le salut militaire.

Le nouvel enrôlé royaliste avait un pantalon allemand, une veste républicaine ; on le coiffa, en Bretagne, d’un énorme bonnet à poil surmonté d’un grand panache blanc.

Son costume peignait la vie militaire du Juif-Errant : il était de partout et de nulle part, comme sa race.

On ne pouvait compter ni sur sa parole, ni sur son honneur, mais sur son courage et sur ses expédients. Jacob pouvait être assimilé à ces formidables machines à battre qui broient sans discernement ce qu’on leur présente.

L’armée des Chouans était organisée de telle sorte qu’elle semblait sortir de terre et y rentrer à point nommé, ce qui donnait à son existence quelque chose de fantastique qui effrayait les Bleus, car, faute de foi, ils croyaient aux prestiges et à la magie.

L’homme a tant besoin de croire au surnaturel !

Tout ce merveilleux était pourtant bien simple. Quand l’ennemi ne se montrait pas, chacun rentrait, qui dans sa ferme, qui dans son manoir. Les enfants faisaient le guet en gardant les troupeaux et annonçaient l’approche de la Nation, c’est ainsi qu’on appelait l’armée républicaine dont les soldats se nommaient les Bleus, à cause de la couleur de leur habit.

Si la vigilance des enfants faisait défaut, les oies, dignes descendantes de celles du Capitole, en avaient aussi le flair. À l’approche des Bleus, elles s’agitaient, battaient des ailes, puis s’élevant lourdement en l’air elles poussaient des cris discordants. À ces cris, tous couraient aux armes.

Quand les vedettes, envoyées à la découverte, reconnaissaient que les forces républicaines étaient considérables, personne ne quittait sa maison ou son champ. Si le contraire était constaté, l’armée royaliste paraissait soudain, et semblait sortir de terre ; chaque buisson, chaque tronc d’arbre, chaque talus, cachait un Blanc, nom donné au soldat royaliste.

Jamais de bataille rangée, mais une armée de tirailleurs, où de bons paysans, sans tactique militaire, ne savaient, en face d’un régiment rangé en bataille, que faire le signe de la croix, enfoncer la toque sur leur tête et fondre sur l’ennemi avec la faux, ou la hache, ou la pioche, etc., au cri breton de : Doué agar Roué ! Dieu et le Roi !

Dans les temps de repos, Jacob, étranger au pays, n’avait pas de foyer pour s’y retirer. La Couronne en eut pitié et le reçut dans sa petite gentilhommière, nid de fleurs, caché dans les bois.

Ne pouvant alors faire la guerre aux hommes, Jacob donnait la chasse aux lièvres et aux perdrix qui foisonnaient dans le pays.

Un jour que, coiffé de son formidable bonnet à poil, il chassait à l’ordinaire, Jacob, du haut d’une colline, aperçut une colonne républicaine qui se disposait à descendre un chemin étroit et rapide, à l’autre penchant du vallon. Une petite rivière y serpentait ; on la traversait alors sur un petit pont en bois.

D’un coup d’œil, Jacob a compris la position stratégique et veut en tirer parti.

Il dit à des paysans qui labouraient près de lui :

– Je ne m’appellerai plus Jacob si je laisse ces diables de Bleus traverser le pont.

Il se hâte lui-même de descendre la colline, et d’atteindre le pont. Des haies de broussailles épaisses garnissent le chemin. Jacob dépose son bonnet à poil sur une de ces haies, laissant, à dessein, paraître le panache blanc. Il court plus loin en se cachant et tire un coup de fusil, court en avant et, d’une voix étouffée, mais qui s’entend, il dit :

– Qui a tiré ? je vous ai dit de les attendre au défilé du pont.

Il court plus loin, tire un second coup de fusil suivi d’un juron ronflant et de :

– Quand je vous ai dit de les laisser venir.

La colonne républicaine s’arrête...

– Évidemment il y a une troupe de Chouans derrière ces broussailles... Nous serons massacrés si nous nous engageons sur ce pont étroit, ainsi pensait le commandant républicain.

Un troisième coup de fusil vient confirmer son jugement. Le guet-apens est certain. Un roulement de tambour, puis un commandement accentué de volte-face, suivi d’un sauve-qui-peut général, laisse Jacob maître du champ de bataille, où l’eau limpide du ruisseau avait seule coulé.

Le vainqueur remonta tranquillement le coteau, en disant aux bons paysans qui riaient à cœur-joie de la déroute des Bleus et de l’expédient de Jacob :

– Je savais bien que j’empêcherais ces diables de Bleus de passer le pont.

 

Vous désirez peut-être savoir ce que devint le Juif batailleur, quand la paix fut rendue à la France ?

L’influence chrétienne et patriotique de l’armée royaliste agit sur cette nature inculte ; plus encore, l’admirable piété de la mère du petit Augustin remua profondément cette âme insensible. Elle l’instruisit elle-même des vérités chrétiennes ; son fils, alors âgé de sept à huit ans, lui apprit ses prières, et quand l’ordre fut rétabli, que les églises furent rouvertes et le culte permis, Jacob se trouva prêt pour le baptême. Antoinette, la fidèle femme de chambre qui avait partagé la prison de ses maîtres, fut choisie pour sa marraine.

Il se maria peu après, fut nommé gendarme, honorable position qui allait à ses goûts ; il vécut chrétiennement et mourut de même.

La Chouannerie lui fut une heureuse guerre. Quoiqu’elle ne distribuât pas de croix d’honneur, elle donnait mieux et plus. Jacob lui dut l’eau du baptême, la croix du chrétien qui racheta son âme et celle qui, gage de résurrection pour la vie éternelle, veille encore sur son modeste tombeau.

 

 

L’Émigré.

 

Un soir la Couronne, accompagné d’un officier de l’armée royaliste, entra dans une ferme pour y passer la nuit.

Cette ferme était un de ces lieux sûrs, où les chefs pouvaient, sans crainte d’être trahis, se donner rendez-vous, pour s’entendre sur les dispositions à prendre, afin d’assurer un succès ou éviter une surprise.

Dès qu’ils y furent entrés, le fermier leur dit, d’un air mystérieux et â voix basse, qu’un émigré venait d’arriver d’Angleterre pour rejoindre l’armée royaliste, qu’il était harassé de fatigue et dormait en ce moment sur de la paille dans son grenier.

– Avec quelle confiance vous l’accueillez, dit l’officier. Êtes-vous certain que ce soit un émigré ?

– Je le crois ; il dit qu’il a des papiers qu’il ne veut remettre qu’aux chefs de la Chouannerie.

– Les avez-vous vus ?

– Non, puisque je ne suis pas un chef comme vous.

– Ceci ne me paraît pas du tout clair. Où est-il ?

– Là-haut, vous dis-je, dans mon grenier.

– Là-haut ? quelle imprudence ! si près de nous ! Il nous aura entendus ! Nous sommes trahis !...

La tête de l’officier soupçonneux se montait de plus en plus :

– Imprudent ! Conduisez-moi près de lui que je lui fasse son affaire.

À ces mots, la Couronne, qui l’avait laissé dire, sent qu’il ne faut pas le laisser faire.

– Comme vous y allez, mon cher. On ne tue pas un homme comme on tuerait un chien soupçonné d’hydrophobie. Montons ensemble et faisons-le s’expliquer.

Le fermier, une lanterne à la main, ouvre la marche et monte par une échelle à l’assaut du grenier.

Les visiteurs aperçoivent un homme endormi, tant à la lueur de la lanterne un laid visage, d’une chevelure et d’une barbe incultes :

– C’est un pataud ! un traître ! Avec une pareille mine, ce ne peut être autre chose.

Ce que disant, le gentilhomme royaliste prend son pistolet et l’arme...

– Malheureux ! qu’allez-vous faire ? dit le colonel, en repoussant le bras armé.

– Le tuer.

– Y pensez-vous ?... tuer un homme endormi,... sans défense !... quand nous sommes trois contre un !... C’est un crime... une lâcheté !... Réveillons-le, qu’il s’explique !

Inutile fut de l’éveiller ; le colloque des Chouans s’en était chargé.

L’émigré saisissant à son tour un pistolet :

– Que voulez-vous ?

– Vos papiers, répond la Couronne.

– Qui êtes-vous pour avoir le droit d’éveiller un honnête homme qui a besoin de dormir ?

– Je suis la Couronne, colonel des Chouans du Folgoët et du Guémené.

– La preuve ?

– Notre témoignage, dirent à la fois ses deux compagnons.

En même temps, le chef présente à l’émigré une petite urne d’ébène 1 : c’était un signe de passe. L’émigré présente la sienne avec ses papiers, soigneusement cachés sous ses vêtements.

 

 

 

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Qui êtes-vous pour avoir le droit d’éveiller un homme ?

 

 

 

On reconnaît l’identité des personnes : on finit même par se reconnaître. C’était M. de Geslin. On se donne l’accolade, on fraternise et cependant le zélé exécuteur de la justice, basée sur la beauté humaine, murmurait entre ses dents :

– Pourquoi aussi un Royaliste est-il laid comme un pataud ? Quand on est ainsi fait, on risque fort de recevoir une balle de Royaliste dans la tête.

 

 

L’enlèvement des poudres du Pont-de-Buis.

 

Un des souvenirs les plus chers à la Couronne fut celui de l’enlèvement des poudres du Pont-de-Buis.

Cette grande poudrerie, où de nombreux artilleurs sont occupés à la fabrication de la poudre, destinée à l’approvisionnement de l’armée française, est à deux lieues de Châteaulin, sur la route de Brest. Les casernes, les ateliers de fabrication, les logements des officiers, du commandant et du général, forment un ensemble de bâtiments de grande apparence, dans son isolement de toute autre habitation.

La poudrerie est prudemment bâtie sur un bras de la belle rivière de l’Aune, profonde et large comme un grand fleuve, quand, près de l’illustre abbaye de Landévennec, elle se jette dans la splendide rade de Brest. L’eau doit abonder près de ces usines explosibles, où les pompes à feu et les réservoirs sont établis sur tous les points de l’établissement.

Celui-ci est entouré de bois de bouleaux et de fusains, destinés à fournir le charbon friable qui, avec le salpêtre, constitue la composition de la poudre.

Les précautions les plus minutieuses sont prises pour éviter les explosions là où la poudre est partout, comme la poussière dans les sentiers.

Non seulement les cigarettes et les pipes y sont interdites, mais les chaussures des employés ne doivent pas être garnies de clous ; les chevaux n’ont pas de fers aux pieds, et les charrettes de transport ont des roues non ferrées, ou garnies d’étoffes, afin d’éviter tout frottement qui pourrait faire jaillir une étincelle dans les cours pavées de l’établissement, et provoquer une explosion.

Les sentinelles de garde sont armées de lances et non de fusils, ce qui leur donne une attitude chevaleresque et rappelle le moyen-âge.

Mais il ne s’agit plus du temps passé : nous sommes en pleine Révolution, et, c’est contre les ennemis de Dieu et du Roi, du Trône et de l’Autel, qu’il faut à cette heure brûler cette poudre.

L’armée royale manque de munitions... Où s’en procurer ?... On le sait bien, mais comment y parvenir ? Qui osera tenter un pareil coup de main qui vaut un coup d’État ?...

La Couronne se présente. Son plan est hardi, mais bien conçu. Ses mesures sont prises ; toute éventualité prévue. Il lui faut des gens de courage : il peut y compter. Des hommes de cœur ; les Bretons ont du cœur. Il peut de même compter sur la discipline de ses soldats et sur leur adresse.

Cependant, ne s’y trouvera-t-il pas un traître, ou même un indiscret ?... Une parole peut faire échouer la tentative et tant de personnes en ont nécessairement le secret !

En ce temps-là, temps des grandes terreurs, et des grandes hécatombes offertes par la Révolution, au nom de la liberté, en ce temps-là, on savait commander à ses lèvres et régler ses démarches avec prudence. Les enfants eux-mêmes firent des prodiges de discrétion et de dévouement.

Rien du complot ne transpira. Le jour de l’attaque fut fixé et le rendez-vous donné dans les bois qui entourent la poudrerie. Des charrettes sont réquisitionnées chez les fermiers voisins.

La nuit est profonde. La garnison est endormie, les Chouans approchent en silence ; mais leurs cœurs prient. Tout à coup les portes sont renversées, l’établissement envahi avec tumulte. Les artilleurs éveillés en sursaut pensent plus à fuir qu’à prendre les armes. La surprise a été si soudaine qu’aucun moyen de défense n’est prévu, aucun commandement sérieux n’est fait à la garnison. Dans ce désordre, chacun se donne la mission d’aller jeter l’alarme dans le pays. Châteaulin, Pléber, Briec s’éveillent au cri : Au secours ! aux armes !

La panique des soldats se répand dans la campagne... Partout où il reste une cloche au clocher, on sonne le tocsin et là où il se trouve un tambour on bat la générale.

Pendant que tout le monde s’agitait et préparait ses armes, que la confusion était partout, l’ordre régnait parmi les envahisseurs ; personne ne s’opposait à leurs opérations. Les charrettes qui remplissent les cours se chargent de sacs de poudre, et prennent les directions qui leur ont été assignées. Quand toutes sont remplies, la Couronne donne ordre de jeter ce qu’il reste de poudre dans la rivière, afin qu’elle ne serve pas à leurs ennemis contre eux-mêmes.

Quand les patriotes arrivèrent enfin pour sauver la poudrerie, les Chouans étaient loin et les poudres en lieux sûrs.

Cette expédition audacieuse eut un plein succès et un grand retentissement dans les deux armées : l’une en bénissait la Providence ; l’autre la maudissait. Ces bénédictions retombaient en grâce et en gloire sur la Couronne que les malédictions des Bleus ne pouvaient atteindre.

 

 

Le faux Prêtre.

 

Le démon est appelé le singe de Dieu : il pousse le vice à imiter la vertu. Quand il fut permis aux ecclésiastiques de reparaître en France, ils se hâtèrent de répondre à la soif que les âmes avaient de leur ministère sacré ; mais les églises étant saccagées, les presbytères ruinés, ou occupés par les intrus, les ressources pécuniaires nulles, ces confesseurs de la foi se trouvaient sans moyens d’existence. Alors des toits hospitaliers leur furent offerts et, de ce nombre, était le modeste manoir de Kermat. Les pieux habitants se hâtèrent de profiter de ces secours spirituels et pourvurent libéralement aux besoins du prêtre qui manquait de tout.

Hélas ! de même qu’il y eut, à cette époque, de faux Chouans, il y eut aussi de faux prêtres ! Les enfants ont comme un sixième sens qui pénètre dans les âmes. Le petit Augustin avait grandi et pouvait servir d’enfant de chœur, mais un secret sentiment indéfinissable le rendait peu sympathique à ce prêtre ; il se méfiait de celui que sa famille entourait de respect et de soin. Une pénible déception n’était-elle pour rien dans cette disposition de l’enfant ? Cela pourrait être : sa mère, remplie de compassion pour le dénûment du pauvre prêtre, lui avait fait faire un habit d’un beau drap bleu destiné à faire un élégant costume garni de boutons dorés au petit Augustin... Toujours est-il qu’il était en défiance, tandis que sa mère, son aïeule et sa grand’tante, la carmélite d’Écouët qui était venue rejoindre la famille, pour échapper aux noyades de Carrier, usaient, à pleine âme, des sacrements conférés par leur respectable hôte.

Un jour, Augustin, armé d’une lanterne et d’une clochette, accompagnait le saint Viatique qu’on allait porter à un mourant. Arrivé dans la chaumière du malade et fatigué du chemin, le petit choriste s’agenouille et, cédant sans s’en apercevoir au besoin de se délasser, il s’assied sur ses talons au moment où le prêtre se retournant et élevant la sainte hostie disait : Ecce agnus Dei, etc. Apercevant son acolyte en cette attitude peu respectueuse, le pasteur l’interpelle du geste et de la voix. D’un coup de pied énergique il redresse le délinquant ; mais avec un jurement plus énergique encore, il s’écrie : « Est-ce ainsi que tu te tiens devant ton Dieu ? » Le remède était pire que le mal. Les pieux villageois scandalisés d’une pareille scène se dirent entre eux : « Ce n’est pas un vrai prêtre, celui-là : notre recteur et notre vicaire n’ont jamais parlé comme ça devant le bon Dieu... » On alla aux enquêtes et l’on reconnut la fourberie sacrilège de l’imposteur : « Je savais bien, moi, disait l’enfant, que le bon Dieu n’était pas avec lui ! »

 

 

Mme MICHEL DE R***, Souvenirs de la Révolution,

Abbeville, F. Paillart, imprimeur-éditeur, s. d.

 

 

 

 



1  La petite-fille de La Couronne a laissé cette note au sujet de l’urne de passe des Chouans :

« Cette urne était d’ébène, grosse comme une noix moyenne avec une petite base. Elle s’ouvrait par la moitié ; la vis était cachée dans les cannelures qui l’entouraient, et elles ne semblaient être elles-mêmes qu’un simple ornement : mais les regardant au jour, elles représentaient absolument la silhouette de Louis XVI.

« À ce signe, les Royalistes se reconnaissaient.

« J’ai eu bien souvent l’urne de La Couronne entre les mains. »

 

 

 

 

 

 

 

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