Les souvenirs de Quiberon

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Mme MICHEL DE R***

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pendant quelques semaines de séjour à Auray, j’eus l’occasion d’y voir souvent Madame Béard du Désert, belle et noble épave de la tourmente révolutionnaire. La divine Providence lui conserva de longs jours, pour montrer, à la génération nouvelle, ce que l’épreuve de la souffrance sut faire dans des âmes chrétiennes et généreuses, formées à son école.

Si vous avez visité le Champ des Martyrs, près d’Auray, il vous souvient peut-être d’une campagne qui regarde ce champ funèbre, à travers un bras de mer qui ne forme plus, en cet endroit, qu’une sorte de marais couvert de roseaux et bordé de joncs.

Cette campagne, c’est Kerzo, qui donne son nom à la vallée qui l’entoure.

À l’époque de la Révolution, Kerzo était habitée par la famille Lanzer, dont la mère et les filles se signalèrent par leur dévouement héroïque envers les victimes de Quiberon.

Kerzo devint l’asile des prêtres et des gentilshommes poursuivis par les agents révolutionnaires ; un grand nombre de ces proscrits furent sauvés par les soins infatigables de ces grandes chrétiennes. Elles favorisaient l’évasion des prisonniers, protégeaient les émigrés qui rentraient en France pour rejoindre l’armée royaliste, cachaient les prêtres proscrits, etc.

Leur dévouement se développa sur une plus grande échelle, lorsque, après l’affreux désastre de Quiberon, les églises, les couvents, tout fut transformé en prisons pour recevoir la foule des royalistes arrêtés prisonniers. Dans ces affreux cachots où s’entassaient les victimes, tout manquait, l’air surtout ; pas de linge, pas de literies, pas de pain... Alors ces femmes, frêles et délicates, dignes émules de celles des catacombes, multiplièrent leurs soins, leurs attentions, pour subvenir à tant de besoins. N’est-il pas permis de croire que ce qui se fit dans la primitive Église, ce qui se renouvela dans les prisons de la Commune de 1870, se fit aussi dans ce pays où la Foi et la Charité sont le mobile de tous les actes ; n’est-il pas permis de croire que, par les pieuses mains de ces vierges héroïques, Jésus Eucharistie descendit jusqu’à ces âmes souffrantes, par le moyen de celles qui faisaient tout pour sauver seulement les corps ?... Que ne firent-elles pas pour les âmes ? Une lettre d’une petite-fille de Mesdames Béard du Désert et de Tréverret, Madame de Prévoisin, justifie cette supposition ; elle ajoute que ses deux aïeules réussirent aussi à favoriser l’évasion de plusieurs qui trouvèrent un asile, au moins provisoire, sous le toit hospitalier de Kerzo.

Ces dames n’habitant pas la ville même d’Auray, elles y avaient de dévouées auxiliaires, parmi leurs cousines ou leurs amies, spécialement en Mademoiselle Saint, qui depuis épousa M. Galles, et Mademoiselle Béard du Désert, dont une des filles de Madame Lanzer épousa le frère. Une autre devint Madame de Bourgeret. J’aime à tracer ici des noms si dignes de mémoire.

 

 

Les Prêtres cachés.

 

Citons quelques traits qui se passèrent à Kerzo.

Lorsque le serment constitutionnel fut demandé au clergé et l’obligea à fuir ou à se cacher, Madame Lanzer reçut plusieurs prêtres dans sa jolie habitation, devenue vraiment la maison du bon Dieu.

Son mari était de ces hommes bons, mais faibles, qui plient à tous les vents, plus par crainte que par ma lice. Il fallait que M. Lanzer ignorât la présence de ces prêtres sous son toit ; c’était difficile, mais il était bon prince et faisait semblant de ne rien savoir, moitié par peur, moitié par respect pour les sentiments de sa femme et de ses filles dont les caractères, mieux trempés, avaient aussi des opinions plus tranchées.

Sa faiblesse alla assez loin, pour accepter, toujours par crainte, de faire partie des membres du district d’Auray.

Un soir il annonça à ces dames qu’Il allait faire une absence de quelques jours et il partit en effet le lendemain matin.

La nouvelle en fut de suite donnée aux malheureux captifs, qui sortirent avec joie de leurs cachettes, pour respirer un air pur, voir le soleil radier sur la campagne, profiter de leur société mutuelle et de celle de leurs pieuses hôtesses. Ils parurent au salon, à la table ; enfin ce fut une halte et une oasis dans le désert de leur vie solitaire et sacrée.

Pendant que ces dames travaillaient au salon, un leur faisait une lecture, d’autres jouaient aux échecs ; un d’eux s’avisa de reprendre ses pinceaux abandonnés depuis longtemps. Un chevalet fut dressé et le voilà à l’œuvre.

Tout à coup Marguerite, la fidèle servante, initiée aux secrets royalistes et religieux de ces dames, la fidèle Marguerite accourt en disant :

– Monsieur arrive ! cachez-vous !

Chacun s’échappe et court à sa cachette, mais l’artiste n’a pas le temps de faire disparaître son chevalet et ses pinceaux. Marianne (celle-là même dont je tiens ce fait), Marianne, avec une présence d’esprit précieuse en temps de révolution, se place devant le chevalet et, sa palette d’une main, son pinceau de l’autre, elle travaille au tableau ébauché. Son père entre, on l’entoure :

– Quoi, c’est vous, père ! nous n’espérions pas vous voir sitôt.

– En effet, mes enfants, je ne devais rentrer que dans trois jours, mais l’affaire qui m’appelait à Sarzeau s’est terminée plus tôt que je ne le pensais et me voici.

Tout en parlant ainsi, M. Lanzer jetait les yeux sur le chevalet, où sa fille, d’une main légère, étendait ses couleurs d’un air assuré.

– Comment, Marianne, tu sais peindre ? Je ne te connaissais pas ce talent ? T’a-t-il poussé subitement ?

– Oh ! cher papa, il y a bien d’autres talents en moi que vous ne connaissez pas encore ! Peu à peu vous les découvrirez et vous serez fier alors de votre fille.

M. Lanzer sourit avec une finesse qui voulait dire :

« J’y vois plus clair que tu ne le penses. »

 

 

La visite domiciliaire.

 

Cependant, malgré les apparences patriotiques de M. Lanzer, on commençait à le suspecter à la municipalité d’Auray. Quant aux sentiments religieux et royalistes de sa femme et de ses filles, personne ne les ignorait dans le pays.

Une visite domiciliaire fut décrétée au conseil du district, tenu en l’absence de M. Lanzer.

Ce jour-là sa femme reçut un billet, remis très secrètement par un de ces messagers fidèles qui servaient la correspondance entre les amis de l’ordre. Ce billet annonçait l’arrivée d’un émigré pour onze heures du soir ; il venait, au péril de sa vie, rejoindre l’armée royaliste.

La prudente femme garde son secret pour elle, tout en s’assurant d’une retraite sûre pour le fugitif et d’un repas réconfortant pour le voyageur affamé.

À l’heure ordinaire, on va prendre son repos. Quand tout le monde est endormi, Madame Lanzer éveille Marguerite et l’avertit de l’arrivée du nouvel hôte. Les deux femmes veillent en priant.

Un peu avant onze heures, des coups redoublés s’entendent au portail. On crie avec force :

– Ouvrez ! ouvrez au nom de la Loi !

Évidemment, ce n’est pas ainsi que s’annonce un émigré. Les cris redoublent avec accompagnement de coups de crosses de fusil à la porte.

– Au nom de la Nation, ouvrez !

Madame Lanzer, accompagnée de la craintive Marguerite, va ouvrir. C’est une patrouille qui se déclare envoyée par le comité du salut public, pour faire une visite domiciliaire à Kerzo.

– Entrez, citoyens : je suis bien aise que des affaires aient retardé mon repos, car, si j’avais été dans mon premier sommeil, vous auriez attendu plus longtemps. Vous pouvez tout visiter : quand on a l’amour de la patrie dans le cœur, on n’a rien à craindre des patriotes.

On introduit les envoyés nocturnes dans la salle à manger.

– Marguerite, dit Madame Lanzer, les citoyens doivent avoir besoin de se rafraîchir, car la distance d’Auray à Kerzo est encore assez grande. Apportez du vin, des viandes froides.

Marguerite s’empresse ; verres, bouteilles et viandes garnissent bientôt la table et soudain les physionomies des visiteurs s’épanouissent devant cette réfection inattendue.

Madame Lanzer, avec un sang-froid imperturbable, s’adresse à la troupe :

– Citoyens, pendant que vous vous restaurerez, permettez-moi que j’aille avertir mes filles qui sont endormies, vous leur laisserez bien le temps, n’est-ce pas, de passer une robe de chambre ?

Les patriotes, singulièrement radoucis par la vue des verres et des bouteilles, acquiescent à tout. On boit, on mange, on trinque à la République, une et indivisible, à la citoyenne Lanzer.

L’émotion de la vieille servante se trahit par un tremblement compromettant. Sa maîtresse s’en aperçoit :

– Ma pauvre fille, lui dit-elle, vous voilà prise de votre frisson : allez-vous coucher. Les citoyens sont satisfaits de votre service et permettront que vous alliez le faire passer entre vos draps.

Chacun approuva la retraite de Marguerite qui disparut.

– Maintenant, je monte prévenir mes filles, mais que le vin coule, pendant ma courte absence, tout comme si je vous le versais moi-même.

– Tu es une brave citoyenne, sois tranquille, nous boirons à ta santé.

Le premier soin de Madame Lanzer fut d’aller prévenir les prêtres de la visite domiciliaire ; ceux-ci l’avaient prévue, en entendant les cris des patriotes et leurs coups redoublés au portail ; ils s’étaient levés à la hâte, et leur charitable hôtesse les trouva prêts pour l’évasion : ils gagnèrent aussitôt les retraites préparées pour semblables circonstances. Mesdemoiselles Lanzer passèrent leurs robes de chambre : on fit disparaître les traces de lits nouvellement occupés, en les bordant et mettant tout en ordre : ce fut l’affaire de quelques minutes, et Madame Lanzer retourna vers ses joyeux convives qui, sous l’influence d’un vin généreux, étaient de la plus belle humeur du monde.

– Mes filles sont prêtes, citoyens, vous pouvez monter.

– C’est inutile, citoyenne ; on s’est mépris sur les sentiments civiques qui t’animent : nous savons que tu aimes la patrie.

– Et, ajouta un autre, que tu traites bien les patriotes.

– Il ne s’agit pas de compliments, citoyens ; je suis bien aise que vous ayez trouvé mon vin bon et le jambon appétissant ; mais, moi, je tiens à ce que vous fassiez la visite de ma maison en conscience, afin que vous puissiez assurer le comité que vous n’y avez trouvé rien de suspect.

– Nous allons l’attester dans notre procès-verbal.

– Cela ne suffit pas : il faut accomplir votre mandat jusqu’au bout. Suivez-moi : je vous éclaire.

Certaine que les ecclésiastiques sont en sûreté, Madame Lanzer prend un flambeau et monte résolument, suivie des patriotes, et les conduit de chambre en chambre. Ceux-ci trouvent de bon goût et de haute convenance de ne rien approfondir et répètent à chaque porte que l’on ouvre devant eux :

– C’est inutile, citoyenne, nous sommes sûrs de ton civisme.

On salue fort poliment Mesdemoiselles Lanzer réunies dans une même chambre, puis on revient au salon. Un procès-verbal en bonne forme y est dressé, attestant qu’après une minutieuse visite du domicile de la citoyenne Lanzer, en l’absence de son mari, rien de suspect ne s’y est trouvé. Au contraire, la susdite citoyenne n’a manifesté que des sentiments dignes de la République une et indivisible, en foi de quoi nous avons signé le dit procès-verbal. Suivaient les signatures et la date.

Cette visite assurait la tranquillité de Kerzo pour le moment. On se quitta satisfaits, sinon les uns des autres, du moins les uns et les autres. Les patriotes s’éloignèrent au chant de la Marseillaise.

Cependant, m’écrit sa petite fille, Madame de Prévoisin, on trouva prudent de chercher un autre asile aux respectables prêtres ; Madame Lanzer les conduisit elle-même dans un lieu plus sûr qu’elle leur avait ménagé.

 

 

L’Émigré.

 

Au cours de cette visite qui avait été longue, l’heure qui devait amener l’émigré à Kerzo était arrivée ; aussi les angoisses de Madame Lanzer étaient-elles cruelles, en pressentant la rencontre du royaliste avec les patriotes.

Qu’était-il devenu, lui qui s’annonçait pour onze heures ?... L’excellente femme continue seule sa veillée en priant. Un grand silence enveloppe le château et la campagne où le chant de la patrouille s’éteint peu à peu. Soudain son oreille attentive croit entendre un léger coup au portail. La courageuse veilleuse va ouvrir : c’est l’émigré cette fois ! Il se fait reconnaître, et, sans bruit, il est introduit au salon, où il est instruit de ce qui vient de se passer et des angoisses par lesquelles Madame Lanzer a été à son sujet ; elle lui demande la cause de son retard providentiel.

– J’avais suivi de point en point, d’heure en heure, l’itinéraire qui m’avait été tracé, quand, à une lieue d’ici, j’ai été pris d’un besoin de sommeil tellement invincible qu’il m’a fallu m’étendre sur la mousse d’un bois voisin, où j’ai dormi, je ne sais combien de temps ; à mon réveil j’ai hâté le pas, et me voici.

Alors, on constata, montre en main, que ce sommeil impérieux avait duré juste tout le temps de la visite domiciliaire.

L’action de la divine Providence était sensible en ce sommeil mystérieux qui les avait préservés tous deux de la peine de mort portée contre les émigrés qui rentraient en France et les personnes qui leur donnaient un asile sous leur toit : et l’action de grâce remplit ces cœurs religieux et reconnaissants.

Les visites domiciliaires se renouvelèrent encore à Kerzo, mais elles n’eurent pas les inquiétantes circonstances de celle-ci. Mesdames Lanzer y montrèrent toujours la même présence d’esprit qui sauva la vie à un grand nombre d’émigrés. Leur nom était connu comme celui des anges dans les prisons d’Auray, et Kerzo était aux yeux des malheureux détenus comme un port de salut qui les abriterait, s’ils avaient le bonheur de pouvoir s’évader.

Parmi eux se trouvait un jeune homme, à peine âgé de dix-sept ans, le comte de Rieux, dernier du nom de cette ancienne et illustre famille. Les pieuses auxiliaires que Mesdames Lauzer avaient à Auray en Mesdemoiselles Saint et Béard du Désert, avaient indiqué à cette jeune victime qu’elles auraient voulu sauver la maison hospitalière de Kerzo comme un asile sûr où il était attendu et désiré. Les malheureux prisonniers de Quiberon savaient bien que l’évasion seule pouvait les sauver de la mort certaine qui les attendait, par une exécution particulière et sans éclat ou en une grande hécatombe. C’était certainement la mort... on ignorait le reste...

On sait qui elles étaient, ces victimes de la haine révolutionnaire, de la trahison de la politique anglaise, de la rivalité jalouse d’Hervilly et de Puisaye, ou de l’agence royaliste de Paris. C’était une élite qui devait expier pour tant de coupables... On le pressentait parmi les Royalistes, Chouans ou Émigrés. Aussi « l’air était-il comme imprégné de trahison, sans que l’on sût d’où elle venait. On la respirait, on la savait partout, quoiqu’elle restât invisible. » Cette conviction portait le découragement dans tous les esprits.

Cependant la foi de l’Église et l’honneur de la France semblaient s’être réfugiés dans la multitude des vrais Royalistes rassemblés à Quiberon.

En citant l’exemple de ceux qui y périrent ou qui s’y signalèrent, nous ferons connaître aussi ceux qui étaient entassés dans les prisons d’Auray, car les mêmes sentiments font battre les cœurs animés d’une même foi et d’un même amour de la patrie.

Ici, c’est Gesril de Papeu, ami de Chateaubriand, qui, pour rendre la capitulation plus facile, rejoint à la nage la corvette l’Allouette, qui continue le feu après la capitulation, le fait cesser, et, fidèle à la foi donnée, retourne se constituer prisonnier de ses ennemis.

Les grenadiers d’Humbert avaient parlé les premiers de capitulation. Sombreuil, dans une lettre à Hoche, lui rappelle que cette foi donnée doit être SACRÉE pour lui. Pour réponse, Hoche remet le département sous les ordres du général Lemoine dont il connaît la férocité et s’éloigne, au moment où son intervention, en réclamant pour les vaincus l’exécution des conditions de la capitulation, pouvait encore les sauver.

Un brave Anglais, Shéridan, indigné de la politique du cabinet de Saint-James en cette affaire, disait à Pitt :

– Vous dites que le sang anglais n’a pas été versé à Quiberon !... c’est vrai !... mais l’honneur anglais y a coulé par tous ses pores.

Un lieutenant-colonel du régiment d’Anjou, M. de la Villéon, répond à d’anciens soldats de ce régiment qui veulent le sauver :

– Non, mes amis, il y a eu capitulation, et je ne croirai jamais que des officiers français puissent manquer à leur parole.

Le marquis de Senneville répondait par le même refus à la même proposition.

– La vie vaut-elle un mensonge ? demandait le jeune de Lazes à son ami.

– Non, lui répondit l’ami, il vaut mieux mourir pour la vérité que de vivre en la trahissant.

Il s’agissait de profiter d’un sursis offert à ceux qui déclareraient avoir émigré avant l’âge de seize ans. Les deux amis se préparèrent mutuellement à paraître devant Dieu.

M. de Portzampaie, couvert de blessures et qu’on allait conduire au supplice, demande un instant pour écrire à sa famille :

– Je vous conjure tous de pardonner à mes bourreaux, comme je leur pardonne moi-même, pour l’amour de Dieu.

Le comte de Rotalier, au fort du combat, voit son fils tomber dans ses bras frappé d’une balle en pleine poitrine. Le père courageux continue de protéger la retraite avec ses artilleurs.

– Aujourd’hui, dit-il en pleurant, il n’y a pas de pères, mais seulement des Révolutionnaires et des Royalistes.

Ces traits, pris au hasard et sans ordre, laissent voir la noblesse de sentiments des Royalistes. Il en faudrait nommer tant d’autres ! Sombreuil, l’évêque de Dol, Rohn, le marquis de la Jaille, etc.

Ce sont des âmes semblables qui gémissaient dans les cachots d’Auray, en attendant la mort.

Maintenant, nous pouvons reprendre les récits que nous fit Madame Béard du Désert au sujet de la visite domiciliaire à Kerzo. Il nous tardait d’entourer encore le grand fauteuil de la vénérable aïeule, témoin de scènes à jamais mémorables. Cette fois ce n’est plus sa mère qui en est l’héroïne, mais elle-même, cette respectable octogénaire, qui n’était à cette époque orageuse qu’une jeune fille de vingt ans au plus.

Avant de l’entendre, je voudrais savoir décrire et peindre cette noble tête ; les lignes si pures et si graves de ce visage, aux traits accentués ; ce front large, toujours haut, non par fierté, mais par l’élévation des pensées et des sentiments qui cherchent leur élément en Dieu. Sa taille, élevée et droite, était habituée, depuis son enfance, à se soutenir sans appui. Il fallait la voir, dans son fauteuil antique : il semblait un trône, d’où cette reine respectée et aimée régnait sur une famille nombreuse de jeunes hommes, de jeunes femmes, entourée d’une gracieuse guirlande de petits-enfants. Oui, elle régnait sur cette tribu chrétienne par ses vertus patriarcales, mélange très suave de force et de douceur.

C’est de celle qui fut Marianne Lanzer, plus tard Madame Béard du Désert, que nous tenons ce récit.

 

 

Massacre des Émigrés.

 

Après la déroute de Quiberon, nous l’avons déjà dit, plus de huit cents prisonniers, entassés dans des prisons étroites, y engendrèrent, par la concentration d’un air méphitique, des maladies pestilentielles qui obligèrent à prendre des mesures sanitaires. On organisa des promenades militaires pour les prisonniers qui, sous bonne escorte de soldats armés, permettaient aux émigrés de respirer l’air pur de la campagne.

On était habitué, à Kerzo, à les voir passer en bon ordre sur la grand’route, peu éloignée, au son du tambour et du clairon.

Depuis quelques jours, ces dames remarquaient qu’en face des fenêtres du salon, de l’autre côté du marais, au fond d’une prairie nommée Tré-Auray, on faisait de grands remuements de terre ; elles en ignoraient alors la destination. Hélas ! elles l’apprirent trop tôt...

« Nous travaillions au salon, nous dit Madame Béard du Désert, lorsque nous fûmes distraites de notre conversation, par le roulement du tambour venant du côté de la grand’route : « Voilà, dit ma mère, les malheureux prisonniers qui font aujourd’hui leur promenade sanitaire de notre côté. » En effet, ils défilaient en bon ordre, quand un roulement de tambour arrête leur marche. Puis un commandement : « Tourne à droite ! »

« Tous entrent dans la prairie de Tré-Auray : elle est tout émaillée de fleurs...

« Les prisonniers se séparent en deux lignes, à droite et à gauche du pré. Les premiers arrivés au fond sont rangés le long d’une énorme tranchée, large et profonde : ils réunissent les deux lignes, comme en une longue chaîne humaine.

« De nombreux soldats armés ferment l’entrée du champ ; d’autres se placent à l’entour pour la surveillance. Il n’est pas nécessaire de nommer d’office les bourreaux de cette hécatombe. Trois bataillons de volontaires d’Arras, de la Gironde et de Paris, avec quelques soldats étrangers, acceptèrent cette horrible besogne. »

Marianne Lanzer continue : « Nous regardions ces évolutions sans les comprendre, et pourtant, saisies, comme instinctivement, d’un sentiment d’effroi. Le grand silence qui régnait dans la campagne nous permit d’entendre distinctement la voix du commandant : « Feu !... » Et la ligne d’émigrés qui longe la fosse y tombe tout entière...

« Ceux qui attendent voient le sort qui leur est réservé. Plusieurs cherchent à fuir... mais ceux que les soldats n’ont pu arrêter sont atteints par leurs balles... et tombent...

« Pendant ce temps, une seconde ligne se forme sur le bord de la fosse, et le commandement « Feu ! » les y précipite également. Ce massacre se renouvelle, tant qu’un Royaliste reste encore debout...

« De nos fenêtres, nous assistions à cette horrible scène, non comme spectatrices inertes et stupéfaites, mais priant et agissant, pour essayer de sauver quelques-uns de ceux qui, en fuyant, s’étaient jetés dans le marais qui nous séparait de Tré-Auray. Quelques-uns y périrent, mais nous eûmes la consolation d’en sauver plusieurs, au moyen de perches et de cordes que nos domestiques leur jetèrent au péril de leur propre vie.

« Nous avons nommé plus haut le jeune comte de Rieux, au nombre des prisonniers d’Auray ; il se trouva, malgré son jeune âge, au nombre des condamnés de Tré-Auray. En présence d’une mort si cruelle, la vue de Kerzo ranime son courage et ses espérances : on a tant besoin d’espérer à l’âge de dix-sept ans !... Mais, c’est en vain ; il ne peut s’échapper ; à son tour le voilà sur le bord de la fosse !... Les balles l’épargnent, mais il s’y laisse tomber... et parvient à se dégager des cadavres qui le pressent de toute part... Il gagne, en rampant, le marais qui le sépare de Kerzo, le traverse en courant ; il touche déjà au mur du parc... il est sauvé !... Nous le suivions des yeux, nous l’encouragions du geste et de la voix, nous l’assistions de nos prières... quand une balle l’étend mort devant nous... En lui s’éteignaient un grand nom et de grandes espérances... Nous recueillîmes du moins le corps de celui que nous avions tant espéré sauver.

« La besogne était trop grande dans le champ du carnage qui désormais s’appellera le Champ des Martyrs, pour que l’on s’aperçût de tout ce qui se passait au marais et dans l’habitation voisine. »

La Providence, qui veillait si visiblement sur l’admirable famille Lanzer, permit même que, après l’horrible massacre, on ne songeât pas à laisser des gardes auprès de cette fosse béante.

Quand l’holocauste fut consommé, les bourreaux militaires s’en retournèrent à Auray, tambours battants, laissant ce champ funèbre dans le silence de la mort et la solitude du tombeau...

Je me trompe... au milieu de ce silence on entendait de faibles gémissements. Il y avait donc encore quelque reste de vie dans ce sinistre tombeau !... Oui. L’horreur d’une telle mort et l’espoir de se sauver avaient poussé plusieurs à se jeter dans le gouffre quelques secondes avant que le signal du feu de peloton eût été donné... ils y étaient donc vivants... mais, en y attendant la fin de l’exécution générale, les cadavres s’amoncelaient sur ces vivants et les écrasaient...

Il y eut, dans ce champ funèbre, des mystères de souffrances que le cœur peut soupçonner, mais qui resteront pourtant à jamais insondables.

Le nom de Champ des Martyrs ne se donna pas à la prairie de Tré-Auray : il s’imposa de lui-même.

Le massacre de cette journée, sans exemple dans l’histoire, avait répandu l’horreur et l’effroi à Auray et dans la campagne... le champ qui en fut le théâtre demeura désert... qui aurait osé en approcher ?... Chaque famille, renfermée à son foyer, ne parlait que tout bas de l’exécrable exécution. On y priait pour les trépassés de cette lugubre journée. Le peuple de la religieuse Bretagne n’oublie jamais les morts ; cependant, malgré sa foi robuste, les traditions celtiques de son origine persistent, à travers les siècles, et se conservent par la vue et au contact des monuments druidiques qui couvrent son sol ; aussi, quand vint le soir, les imaginations frappées crurent entendre ces âmes gémir, et voir leurs ombres passer, en demandant des prières pour leur âme, un linceul pour leur corps.

Les chiens seuls entouraient la fosse, à peine recouverte d’un peu de terre, et léchaient les herbes ensanglantées qui la bordaient.

À Kerzo, les trois sœurs aînées, réunies dans leur chambre commune, aux premières ombres de la soirée, s’y étaient retirées mystérieusement : elles y formaient un projet hardi, projet que jamais peut-être, jusqu’à ce jour, une jeune fille n’aurait osé entreprendre. Après une prière ardente, où elles demandaient à Dieu de les bénir, à sainte Anne de les protéger, elles rejoignirent la famille pour le souper.

À l’heure du repos, elles se retirèrent, comme de coutume, dans leur chambre et y attendirent, en priant, que le sommeil des habitants de Kerzo favorisât leur sublime dessein. Elles sortent sans bruit, et trouvent au portail la robuste et généreuse fermière qu’elles ont initiée à leur secret. Armée d’une grosse lanterne, elle les précède sur le chemin de la prairie de Tré-Auray.

 

 

 

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Les trois sœurs au Champ des Martyrs.

 

 

 

Voyons-les franchir, d’un pas alerte, la distance qui les sépare de Kerzo ; elles se sont munies de linge, de cordiaux, de tout ce qui peut aider leur héroïque entreprise.

Ne semble-t-il pas voir les saintes Femmes se rendant au tombeau de Notre-Seigneur, portant les parfums et les plantes aromatiques, pour embaumer son corps ? Elles cherchent un mort et trouvent un ressuscité...

Les trois sœurs cherchent des vivants parmi les morts du grand tombeau de Tré-Auray. Elles y arrivent avant minuit... il faudra le quitter aux premières lueurs de l’aurore.

Quel lugubre silence dans ce champ des martyrs ! Si leurs cœurs battent plus fort, elles savent cependant dominer, par leur énergie chrétienne, toute impression qui pourrait affaiblir leur force morale.

Penchées sur le bord de la fosse, restée sans prières, en l’absence des ministres du culte divin, elles y jettent l’eau bénite et récitent le De profundis.

Soudain un faible gémissement les fait tressaillir de crainte, car ce sont des femmes... et d’un secret espoir... car ce sont des héroïnes chrétiennes. Oui, la vie est là, dans cet amas de morts... Les gémissements se prolongent, s’accentuent... Et les jeunes héroïnes de s’écrier : « Nous voici ! pour vous sauver... confiance ! confiance ! le bon Dieu nous envoie vers vous... » Une autre ajoutait : « Gémissez encore... que votre plainte dirige nos recherches ; courage ! »

Mais ces gémissements partent de divers points : il y a donc plusieurs vivants, dans ce grand tombeau, et l’espérance y est descendue, avec les voix sympathiques qui les appellent. Oui, de ces profondeurs, répondent des plaintes plus fortes... D’autres victimes, anéanties et presque étouffées sous le poids des cadavres qui les écrasent, se laissaient mourir... l’espérance les réveille de leur torpeur... elles gémissent... elles appellent au secours !

Sans hésitation, ces quatre femmes chrétiennes descendent dans cette affreuse fosse... elles trébuchent contre les corps qu’elles foulent, mais avancent toujours du côté d’où viennent des signes de vie. Guidées par la lueur de la lanterne, elles écartent, avec peine, de leurs mains délicates, les cadavres qui encombrent et pressent de toutes parts les malheureux qui survivent... quel travail pour des femmes !..., presque pour des enfants... délicatement élevées ! Il est au-dessus de leurs forces, mais non de leur courage et de leur confiance en Dieu, en Marie, en sainte Anne.

Avec le secours surnaturel de celui qui est la force des faibles, ces jeunes filles parviennent à dégager une de ces victimes. On l’étend sur l’herbe de la prairie, où l’air et un cordial lui rendent un peu de vie.

Elles retournent au gouffre et lui arrachent de nouvelles proies.

Qui douterait du secours que les anges du ciel prêtèrent à ces anges de la terre ? Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’au retour de l’aurore ces quatre femmes eurent le bonheur de rendre à la vie sept ou huit personnes vouées à la plus effroyable des morts.

Pendant que deux d’entre elles couraient à la ferme, réclamer le secours de quelques serviteurs pour transporter leurs conquêtes en lieu sûr, les deux autres s’empressaient auprès de ceux qu’elles avaient retirés « des ombres du tombeau et des portes de la mort ».

Les premiers rayons du soleil vinrent alors éclairer ce tableau et l’embellir de leurs lueurs dorées. La nature souriait à la vue de ces deux jeunes filles, inclinées vers ces victimes, qui renaissaient à la vie, par leur dévouement incomparable. Pour elles, humbles et simples, elles bénissaient ensemble le Dieu qui avait fait par elles, si petites, des choses si grandes !

Les oiseaux unissaient leurs chants joyeux à l’hymne de leur reconnaissance, et les anges rendaient gloire à Dieu d’avoir créé des cœurs si forts dans des créatures si faibles.

 

 

Quand cette grande œuvre fut accomplie, Marianne, Fanny et Lucinde osèrent l’avouer à leur mère. Effrayée des dangers auxquels ses enfants s’étaient exposées, de ceux qu’elles couraient encore, si leur héroïque courage était connu, ce grand cœur fut ému d’une sainte fierté, en retrouvant en ses filles l’énergie chrétienne des vierges des Catacombes. Elle les blâma doucement de leur imprudence, tout en les pressant sur son cœur maternel et en unissant ses actions de grâces à celles de ses enfants.

 

 

Marianne était une de ces trois sœurs ; c’est de ses propres lèvres que je tiens tous ces détails dont le souvenir l’avait émue comme nous. Après ce récit, je compris mieux la belle expression de cette noble figure que j’ai décrite plus haut, et, à mes yeux, une auréole sainte s’ajouta à la couronne déjà si vénérable de ses cheveux blancs.

 

 

Le petit mousse de Quiberon.

 

Après avoir entendu les souvenirs de madame Béard du Désert, il nous tardait de visiter les lieux qui en furent les témoins. Nous allâmes sur cette plage où s’effectua la désastreuse descente des émigrés, dont le sable but le sang des meilleures familles de France. Un capitaine au long cours dont la ferme paternelle touche à cette grève si blanche, et à cette mer si bleue, nous invita à dîner, avec la simplicité cordiale d’un marin breton.

À l’époque du désastre de Quiberon, ce bon capitaine n’avait que dix ans, et il servait de petit mousse au bateau de son père qui transportait les émigrés des vaisseaux sur la plage. Il fut donc témoin de ce grand massacre et nous en racontait les détails sur les lieux mêmes.

« Sombreuil, nous dit-il, marchait à la tête d’une division d’émigrés où nobles et paysans combattaient ensemble avec la même ardeur, mais que pouvait-il contre la trahison qui trompait les chefs et qui faisait prendre la cocarde blanche aux Républicains qui livraient les plans des Royalistes ? J’étais trop petit alors pour comprendre ces choses-là ; plus tard, mon père nous les raconta à la veillée, mais je voyais tout ce qui se passait : c’était terrible.

« Les paysans, poursuivis par les Bleus, fuyaient avec leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux en poussant des cris de détresse. Au milieu de ce désordre physique et moral, Sombreuil ne voit de salut, pour la foule affolée qui l’entoure, que sur les vaisseaux de l’escadre. Il demande des embarcations à grands cris. Le pilote Rohu est envoyé dans ce but à sir John Warren : pas une chaloupe ne bouge !... Le marquis de la Jaille, dépêché après lui, ne réussit pas davantage. Moi, pauvre enfant de neuf à dix ans, je ne comprenais pas tout ce que je voyais, mais je sentais que nous étions en grand danger, et je voyais cette multitude de femmes, de vieillards, de blessés qui étaient fous de terreur, car elle était prise entre la mer et les bataillons ennemis qui les écrasaient. Ils tuaient même les petits enfants, ce qui me faisait pleurer de chagrin et de peur...

« C’est alors que le vieil évêque de Dol se jeta dans le canot de mon père où j’étais en disant à Sombreuil : « Je vais moi-même demander des chaloupes à l’amiral qui ne me refusera pas, comme il a refusé à Rohu et au marquis de la Jaille. » En effet, nous arrivâmes aux vaisseaux, l’évêque réussit à obtenir des chaloupes qui s’ébranlent et l’embarquement des Royalistes dans ces chaloupes est protégé par les feux de l’Allouette et de la Pomone.

« La foule s’y précipite, s’y entasse avec une effroyable confusion. Plusieurs, trop chargées, chavirent, sombrent ; les autres sont suivies à la nage par des malheureux dont la tête, s’élevant au-dessus de l’eau, sert de point de mire aux fusils des Bleus.

« Sombreuil, avec huit cents hommes, continue à porter la mort dans les rangs des grenadiers d’Humbert ; ceux-ci, parmi lesquels était Cambronne, demandent les premiers la capitulation. Hoche s’engage à épargner la vie des émigrés s’ils mettent bas les armes.

« Sombreuil, de son côté, s’offre à mourir pour le salut de tous. »

Ce que nous disait le brave capitaine, alors enfant, a été écrit. L’heure du dîner était venue ; il nous fit monter dans une chambre haute de la ferme qui était comme un petit manoir ; la table y était servie.

« C’est ici, nous dit notre excellent hôte, que logeait Sombreuil, quand il arriva avec son bataillon d’élite, pour se réunir aux émigrés qui débarquaient. Son lit était à cette place. Je le vois encore écrivant sur cette table-là, près de cette fenêtre. »

Avec quel intérêt nous regardions ce lit, cette table, cette fenêtre, cette chambre où nous nous trouvions qui fut celle du héros, ce bon capitaine qui était le petit mousse du canot.

Il ajouta : « Dans le plus fort de la déroute, l’ennemi cherchait Sombreuil pour le massacrer. Mon père le saisit vivement et l’entraîna dans ce verger : il le poussa dans ces broussailles pour le cacher ; mais lui ne songeait qu’à sauver la foule éperdue, et c’est alors qu’il s’offrit à mourir seul pour le salut de tous. Hoche accepta sa vie, ne tint pas sa parole et s’éloigna. Ce bon M. de Sombreuil que nous avions reçu chez nous fut mené à Vannes et fusillé sur la Garenne.

« Mon imagination d’enfant était effrayée de tout ce que j’avais vu et de ce que je voyais encore, quand je fus distrait de cet horrible spectacle, par un incident auquel tout autre qu’un enfant n’aurait pas pris garde. Il s’agissait, en ce moment, de mon perroquet chéri qui, effrayé du tumulte, des cris de la foule et du fracas de la mitraille, s’était réfugié au plus haut du plus grand arbre du verger, et, de cette élévation, il répétait tous les bruits qu’il entendait, cris de femmes, cris d’enfants, bruit de la mitraille, rien n’échappait à son instinct d’imitation.

« À ce moment, tout disparut à mes yeux, pour ne voir que le danger auquel est exposé mon cher perroquet. J’oubliai ceux que je courais moi-même, j’oubliai cette multitude affolée, tout s’effaça devant le désir de rattraper le compagnon et l’ami de mon enfance ; qu’on me le pardonne : je n’avais que dix ans ! »

Le capitaine ajouta : « Les balles et les boulets tombaient comme grêle autour de moi, mais je n’y prenais pas garde : je ne songeais plus qu’à sauver mon perroquet. J’y parvins... mais que de soucis il me causa, jusqu’à ce que je l’eusse renfermé en lieu sûr ! »

Avant de quitter la ferme, et notre hôte, nous voulûmes revoir cette plage témoin d’une des plus grandes expiations qui aient été offertes à la justice de Dieu, en réparation des erreurs et des impiétés qui préparèrent la Révolution, et des crimes que celle-ci enfanta.

Le sang des justes s’épancha à flots sur cette grève si blanche ; les cadavres sans sépulture y devinrent la pâture des oiseaux de proie et des fauves. Leurs ossements y blanchirent pendant trente-trois ans, avant que l’on songeât à les ensevelir avec honneur...

Tout cela entrait dans la grande œuvre expiatrice envers la justice divine.

 

En 1827 ou 28, la duchesse d’Angoulême vint à la Chartreuse qui avoisine le Champ des Martyrs, y poser la première pierre du monument destiné à recevoir les restes précieux des morts de Quiberon, et de la prairie de Tré-Auray, où l’on érigea aussi une chapelle commémorative, sur l’emplacement même de la fosse qui engloutit tant de victimes. Elle porte à son fronton cette inscription, éloquente dans son laconisme :

 

 

HIC CECIDERUNT !

 

 

Mme MICHEL DE R***, Souvenirs de la Révolution,

Abbeville, F. Paillart, imprimeur-éditeur, s. d.

 

 

 

 

 

 

 

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