Antoinette Deshoulières

(1638 ? – 1694)

 

Notice biographique extraite de;

Jeannine MOULIN, La poésie féminine, Seghers, 1966.

 

 

 

 

Antoinette Deshoulières est la première femme à avoir été élue membre d’une académie de France (Académie d’Arles, en 1689), la première « académicienne », celle pour qui le nom fut inventé. Elle fit partie aussi des « Ricovrati » de Padoue et fut fréquemment mise à l’honneur par ses contemporains en dépit de sa modestie. Ce n’est en effet qu’en 1688, sur l’insistance de ses proches, qu’elle se décida à rassembler des poèmes dont les premiers avaient été composés dès 1672.

En vérité, Antoinette du Ligier de la Garde, qui était belle, instruite et douée, ne se souciait que de vivre à sa guise, de satisfaire son appétit de savoir et de plaisir. Elle connaissait le latin, l’espagnol et l’italien, dansait à ravir et faisait de l’équitation. Elle passa peu de temps avec son époux, Guillaume Deshoulières, gentilhomme ordinaire de Condé, mais le rejoignit pourtant à Bruxelles lorsqu’il fut exilé. Elle se fit même emprisonner pour avoir réclamé avec trop de véhémence aux Espagnols la pension qui était due à son conjoint. En 1657, on la retrouve à Paris. Sa maison, rue de l’Homme-Armé, au Marais, située dans le voisinage de celles de Mlle de Scudéry et de Mme de Sévigné, accueille les plus hautes personnalités. Mais sa vie s’assombrit dans les dernières années. Elle connaît la misère et souffre d’un cancer au sein.

Aujourd’hui, Mme Deshoulières est à la fois un auteur connu et méconnu. Elle ne subsiste plus que par le souvenir de ses petits moutons qu’évoque un poème trop célèbre qui n’est pas des meilleurs et fut en outre mal interprété. On le voit rose alors qu’il est noir. C’est une sombre méditation sur la raison, l’optimisme et la vanité. Bien sûr, Antoinette du Ligier prête à la critique. C’est une attardée, trop attachée encore aux paysages de l’Astrée, ayant eu le grand tort de diriger la cabale contre la Phèdre de Racine. Dioclée – c’est le nom que lui donne Somaize – représente d’une certaine manière la tradition des dernières précieuses, ainsi que le lui reproche Boileau dans sa Xe satire.

Par contre, elle est d’avant-garde lorsqu’elle se range aux côtés de Perrault dans la « Querelle des Anciens et des Modernes ». Ménage, Fléchier et Bayle l’admiraient, Montausier, Vivonne, Vauban et La Rochefoucauld furent pour elle des amis fidèles. Sans doute ses contemporains ne distinguèrent-ils pas ses meilleurs poèmes de ses couplets frivoles sur les chats et les chiens, de ses fades bergeries ou enfin des éloges courtisanesques, platement flatteurs, que sa pauvreté la forçait à composer en l’honneur de Louis XIV.

Les historiens de la littérature ne lui accordent, de nos jours encore, que quelques lignes dédaigneuses.

Pourtant, Mme Deshoulières est un esprit original, accessible au sentiment de la relativité de toute chose ici-bas. Ses derniers poèmes – l’Ode de 1686 et ses diverses Paraphrases de Psaumes – témoignent d’une haute spiritualité à laquelle la souffrance physique communique une pathétique résonance. Sainte-Beuve est seul à avoir compris la sobre gravité de la moraliste: « Elle vaut, écrit-il dans ses Portraits de femmes, elle valait beaucoup mieux que sa réputation d’aujourd’hui... Il y a des pensées sous ses rubans et sous ses fleurs. Elle est une digne contemporaine de M. de La Rochefoucauld; on s’aperçoit qu’elle savait à fond les choses de la vie, qu’elle avait un esprit très ami du vrai, du positif même... Sous le titre de Moralités, elle a exprimé bien des réflexions graves, vraies, amères, qui tendent à démasquer la vanité de notre nature... Elle mérita de vivre. Il ne s’agit ni de la réhabiliter ni de la proposer pour modèle, mais simplement de reconnaître ce qui fut... »

Rompant avec une longue tradition du silence fait autour de Mme Deshoulières, Jacques Vier la loue dans sa récente Histoire de la littérature (aux XVIe et XVIIe siècles): « Elle en vient, dit-il, à faire du vers le confident d’une vie intérieure de plus en plus riche et nuancée. »

 

OEUVRES; Poésies de Madame Deshoulières, Paris, veuve de Mabre-Cramoisy, 1688. Œuvres complètes, Paris, David l’aîné, 1747. Œuvres choisies, préface de M. de Lescure, Paris, Jouaust, 1882.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net