Le spectre des âmes mortes

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Moisés PUENTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La plaine russe, baignée de nuances pâles, se perd dans des horizons paisibles. Devant cette solitude, la parole se meurt, l’âme s’assoupit. C’est là qu’est née la grande force imaginatrice du peuple russe et son exubérance, c’est là que fleurit son mysticisme.

J’ai pu observer que le dieu des Russes est un dieu de tristesse. Mais quoi qu’il en soit, c’est là, dans ces profondeurs où l’on retrouve l’Orient, qu’est ancré l’esprit soviétique, et comme Gimenez Caballero disait : « Il n’est rien de pire qu’un esprit errant qui retourne à sa forme élémentaire primitive. » Car tel est, en effet, l’esprit du communisme, dissolvant de l’âme, source de discorde éternelle et d’hérésie.

Lorsque Gogol, dans son œuvre « Les Âmes Mortes », décrivit le type du négociant ruiné et pillé, il reproduisit fidèlement le fond de ce tableau, empreint de tristesse. Ses ouvrages pleins de sagesse et d’amertume dépassent son époque avec ses vices et ses excès. Il décrit une série de personnages qui, dans une atmosphère confuse et morbide, se soulevèrent avec véhémence contre l’esclavage. Et, de même que nous avons notre « Don Quichotte », chacun de ses personnages peut être pris comme symbole de son pays. Comme cela se rencontre en général dans la littérature russe, l’action est déterminée le plus souvent par l’antinomie qui existe entre la laideur humaine et la beauté divine. Au plus fort, il réalise la transition entre l’adoration divine et le blasphème.

De son observatoire élevé, Gogol avait prévu l’avènement de la catastrophe dans toute son horreur. Il avait entrevu l’écroulement d’un monde puissant, vision qui l’avait fait frémir. Mais, en même temps, il partageait l’émoi des esclaves, qui faisait saigner son cœur. Et c’est ainsi qu’il salua, dans son esprit, le triomphe de la fureur, le règne des hordes, la fin de l’enchaînement. Mais tout cela, n’était-ce pas le fouet du bourreau ? La nuit serait illuminée par les flammes, de la vase sortiraient les images des idoles et, malgré tout, la Russie resterait plongée dans la tristesse et la désolation. Une voix montait en lui, et c’est en vain qu’il essayait de l’étouffer. C’était la voix du sang et de l’hérédité. Une nuit d’hiver, il s’approcha en tremblant du poêle et, dans un accès d’amertume, il brûla son ouvrage. Ensuite, il se mit à pleurer, moins de douleur que bouleversé par la vision qu’il avait eue de sa propre patrie.

À la tombée de la nuit, nous avancions dans la plaine, l’esprit imprégné de rêverie mélancolique, sous dirigeant de l’Ouest vers l’Est. À l’horizon se découpaient la silhouette des arbres et des dômes gris des églises russes. Mais le vent ne nous apportait ni le son d’une cloche, ni aucun chant. Un silence glacial régnait partout. La plus grande solitude pèse sur ces terres. Rien qu’un chemin poussiéreux et, au loin, les combats acharnés.

Nous rencontrâmes des colonnes interminables de prisonniers croisant notre chemin et qui nous regardèrent sans dire un mot. Il est impossible d’oublier l’expression de mélancolie qui se lit dans les yeux de ce jeune garçon appuyé contre la porte de sa cabane, qui nous regarde passer. On ne saurait oublier non plus le dénuement de cette cabane vide, abri du paysan, de celui qui, à la sueur de son front, devait servir de support à l’idéal communiste. Partout, des créatures dans des conditions inhumaines, sans chauffage, le sourire éteint sur les lèvres, en marge de la vie, de la civilisation. Et la faim, des haillons, une misère sordide, tout un monde voué à la dégénérescence morale : « des âmes mortes » !...

Voilà où conduit le communisme ! C’est là ce que, depuis longtemps déjà, on nous a présenté comme les délices d’un paradis terrestre, délices qui devaient se répandre comme une pluie bienfaisante sur toute l’Europe chrétienne. Mais les portes de ce paradis se sont effondrées devant la puissance de nos armes et déjà le grand mystère russe s’est évanoui. Ce chemin de la douleur et de la victoire est celui qu’a pris la jeunesse la plus valeureuse et la plus virile de notre continent séculaire. La victoire approche.

Toutes ces figures à dos voûté ont été pétries, broyées, afin d’en faire sortir jusqu’au dernier souffle spirituel qu’elles pouvaient contenir. L’opprobre des esprits plane sur cette décadence. Bientôt, les dieux reviendront. Dans la plaine brille le feu d’un bivouac, tandis que le jour se lève qui verra se produire la résurrection des âmes mortes.

 

 

Moisés PUENTE, de la Division des volontaires espagnols,

dans Des soldats européens vous parlent

de la Russie soviétique, s. d.

 

 

 

 

 

 

 

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