La révolution de Serbie 1

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Léopold RANKE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’insurrection de la Serbie, qui, il y a vingt ans, retentit dans toute l’Europe, est une des époques les plus intéressantes de l’histoire de tant de nations chrétiennes subjuguées par le cimeterre musulman, et qui n’ont cessé de protester, les armes à la main, contre la tyrannie d’un conquérant dont trois siècles de possession n’ont pu adoucir la férocité. Des révoltes, des soulèvements sont pour ainsi dire toute l’histoire des peuples esclaves ; tout le reste n’est qu’un gémissement étouffé, un murmure secret, un bruit de chaînes monotone.

Les hordes slaves semblaient, dans les temps de la décadence de l’empire romain, destinées à jouer dans l’Orient le même rôle que les tribus germaniques remplirent avec tant d’éclat dans l’Occident. Dès le dixième siècle elles étaient maîtresses de l’Épire, de la Macédoine, d’une partie même de l’antique Hellade. Mais le succès ne répondit pas à ces commencements. Au quatorzième siècle seulement les Serbiens qui, avec les Bulgares, étaient la tribu dominante, semblaient au moment de devenir les maîtres de l’empire d’Orient. Leur roi, Étienne Duschan, avait un lieutenant en Étolie et régnait sur la Macédoine. Déjà il s’intitulait sur ses monnaies empereur et roi, et marquait les drapeaux d’une aigle à deux têtes. Tous les voïvodes reconnaissaient sa loi ; en 1356 il se mit à la tête de quatre-vingt mille hommes, et s’avança pour porter le dernier coup à l’empire défaillant. Mais la destinée en avait décidé autrement : Étienne mourut au plus fort de sa puissance ; sa mort rompit le lien qui avait momentanément uni les Serbiens en un seul faisceau. Dans cette même année les Turcs s’établirent définitivement en Europe. Les Serbiens seuls pouvaient leur résister ; malheureusement le sceptre de Duschan était tombé entre les mains d’un prince faible et pusillanime, à qui les voïvodes refusèrent d’obéir, et qui avait pour adversaire Amurat Ier le victorieux : trente-trois années seulement après la mort du grand Étienne, les Serbiens perdirent, à la bataille de Kossovo, leur liberté et leur indépendance ; le commencement du seizième siècle les trouva esclaves ; et si toutes leurs tribus ne furent pas réduites à une égale servitude, toutes tombèrent dans la même barbarie.

Dans la Bosnie, la noblesse embrassa pour la plupart l’islamisme ; peu à peu la plus grande partie de la nation suivit l’exemple de ses chefs ; grâce à cette apostasie, les Bosniens s’égalèrent à leurs vainqueurs ; mais ils conservèrent leur ancien langage et le souvenir de leur origine. Les sandjaks ou gouvernements de la Bosnie sont devenus héréditaires ; la capitale Sarajevo forma une sorte de république oligarchique 2.

Dans l’Herzégovine, une partie des anciens voïvodes, tout en demeurant fidèles à la foi chrétienne, ont été maintenus dans leurs privilèges. Sous leur protection le peuple jouit de quelque liberté ; d’autres cantons encore surent conserver la même indépendance. C’est ainsi que les communes de Monténégro se gouvernent encore aujourd’hui selon leurs anciennes coutumes et les mœurs de leurs pères, tantôt sous l’autorité d’un magistrat de la famille des Radowitch, tantôt sous celle de leur évêque 3.

Beaucoup de Slaves, d’origine serbienne, vivent sous le sceptre de l’Autriche. Les uns ont défriché les déserts de Varaždin et de Karstadt, et sont représentés à la diète de Hongrie ; les autres forment la plus grande partie de ces colonies militaires qui gardent les frontières de la monarchie autrichienne contre la peste et les incursions des Turcs. Toutes ces nations, et avec eux les Dalmates et les Morlaques, au nombre de plus de quatre millions, forment un seul et même peuple, ayant même langue, mêmes mœurs. Mais les uns forment les avant-postes du croissant, les autres gardent les frontières de l’Autriche. Le sort le moins favorable échut à ceux qui demeurèrent dans la Serbie proprement dite ; là huit cent mille Slaves chrétiens vivent au milieu des Turcs, sous le joug immédiat de leurs maîtres, sans privilèges, sans franchises, et sans noblesse héréditaire. Il n’y a dans la Serbie, gouvernée par le pacha de Belgrade, que des vainqueurs et des vaincus, des maîtres et des esclaves. Toutefois cet esclavage n’a pas toujours été également rigoureux. Au seizième siècle il pesait à la fois sur les personnes et sur les biens. Le spahi enlevait la dixième gerbe dans les champs ; tous les ans à Noël chaque maison apportait au pacha son contingent de froment, d’orge et d’avoine, et tous les mâles avaient à payer au sultan le caratch. Ce n’était pas tout : souvent les paysans étaient traînés depuis Belgrade jusqu’à Constantinople pour travailler dans les prairies du grand-seigneur ; d’autre encore servaient pendant cent jours dans les champs du pacha. En tout temps les spahis et les janissaires demeuraient dans les villages et y exerçaient sans relâche le droit du vainqueur. Tous les cinq ans le tribut des garçons leur enlevait la fleur de la jeunesse ; du reste, nulle sécurité pour ceux qui y échappaient, le pays étant sans cesse infesté de brigands, qui ravissaient des hommes pour les vendre comme esclaves.

Tel fut le sort des Serbiens sous Soliman Ier. Il changea avec le temps, et s’améliora à mesure que l’empire ottoman tombait en décadence. Au dix-huitième siècle le raja put respirer. Le tribut des enfants cessa d’être exigé, le brigandage s’abolit à mesure que l’esprit guerrier des Turcs s’affaiblissait ; le sultan, le pacha ne réclamaient plus le service personnel ; le spahi et le janissaire se retirèrent des villages. Le tribut en blé payé au pacha fut converti en un impôt en argent, la porésa, que le conseil des knèzes ou des chefs du peuple répartissait entre les douze districts du pays ; mais le spahi continuait à percevoir en personne la dîme de tout ce que rapportaient les champs, les vignobles et les ruches à miel, et une capitation de deux piastres par ménage. Dans quelques cantons le spahi se contenta pour toute redevance d’un impôt de dix piastres par an. Il arriva ainsi que peu à peu les deux nations vécurent séparées, et que le Serbien resta le maître dans sa cabane et dans l’exploitation de son champ. Les Tores habitaient les villes et les forts, les Serbiens demeuraient seuls dans les campagnes.

Les spahis, qui étaient en même temps la force militaire et les seigneurs du pays, formaient une espèce d’aristocratie toute particulière, sans juridiction sur les villages, et qui n’avait d’autre droit que celui de percevoir un tribut. Du reste, les paysans n’étaient point attachés à la glèbe ; un petit nombre de villages étaient demeurés la propriété de la couronne. Le pacha et le kadi formaient le lien entre les spahis avec leurs vassaux et le gouvernement du sultan. Auprès du pacha, nommé par la Porte, résidait un juge suprême (kadiasker) qui députait des kadis inférieurs dans les chefs-lieux des cantons. Les évêques aussi étaient envoyés par le gouvernement central. L’Église de Serbie, gouvernée longtemps par un patriarche, perdit son indépendance en 1690. Depuis ce temps les évêques, étrangers par leur naissance, firent cause commune avec les Turcs, et ne regardèrent leur charge que comme un riche bénéfice. Le pacha, le kadi, l’évêque, qui le plus souvent achetaient leur dignité, regardaient le pays comme un grand capital dont ils cherchaient à tirer le plus de profit possible, et qu’ils affermaient, chacun en ce qui le concernait, à des subalternes. Heureusement que leurs charges n’étaient pas héréditaires. Les spahis les considéraient comme des étrangers, et formaient contre eux une opposition profitable au pays. De son côté le pacha ne souffrait pas que les sujets devinssent les serfs des spahis, et ce fut à ce conflit d’intérêts entre leurs maîtres que les Serbiens durent leur existence et même une sorte de prospérité. Cependant les Turcs, grands et petits, se regardaient en masse comme les maîtres des rajas. Ils se réservaient certaines professions ; on en voyait, par exemple, qui, retroussant une manche de soie, ferraient les chevaux, sans déroger pour cela à leur semi-noblesse. Rien de plus humiliant que le traitement que le sujet avait à essuyer personnellement. Il était défendu à tout raja d’entrer à cheval dans une ville ; un Turc avait-il besoin du service d’un Serbien, celui-ci était obligé de s’y prêter sans murmure. Un Serbien rencontrait-il un Turc hors de la ville, il était tenu de s’arrêter, de lui céder le pas, de cacher ses armes. Tout outrage fait à un sujet était légitime, toute réparation impossible.

Mais ce fut précisément à ces vexations, à cet orgueil des conquérants, qui rendait tout rapprochement impossible, que les Serbiens durent de conserver leur caractère et leurs mœurs nationales.

Dans des vallées profondes et arrosées par d’abondantes eaux, et jusque dans les gorges étroites des montagnes, s’étendent les villages des Serbiens, si l’on peut appeler ainsi une suite de maisons assez distantes les unes des autres, pour que quarante à cinquante en occupent un espace aussi vaste que Vienne avec ses faubourgs.

Chaque habitation forme une communauté à part. Autour de la demeure principale, close de parois de terre glaise, couverte d’écorces de tilleul et d’herbes séchées, et au milieu de laquelle se trouve le foyer, sont pratiqués divers appartements ; la chambre du milieu est à la fois le rendez-vous commun de toute la famille pendant le jour, et la chambre à coucher des chefs ; les autres sont occupées par les jeunes couples. Tous forment un seul ménage ; à la mort du père, les frères choisissent parmi eux un nouveau chef, et ne se séparent que lorsque l’habitation ne peut plus suffire à leur nombre. Un père de famille a rarement besoin du secours d’autrui. Les hommes construisent eux-mêmes leur demeure, fabriquent leur charrue et leurs chariots, taillent le joug de leurs bœufs, et une peau grossière leur fournit la chaussure. Les femmes filent la laine et le lin, tissent la toile et le drap, et teignent ces étoffes de garance. Chaque village a son forgeron, et plusieurs maisons possèdent ensemble un moulin.

L’amour fraternel est le lien principal qui unit ces familles patriarcales. Le frère s’honore de la possession d’une sœur, et la sœur jure par le nom de son frère. Ce n’est pas l’épouse qui pleure le mort ; ce soin regarde la mère et les sœurs, qui soignent son tombeau. Dans quelques endroits s’est conservé un usage fort singulier : lorsque de deux frères nés dans le même mois l’un vient à mourir, on attache le survivant au mort jusqu’à ce qu’un étranger consente à le délivrer, en se détachant publiquement son frère d’adoption.

Outre cela, souvent des membres de familles différentes s’unissent, au nom de S. Jean, d’un lien indissoluble. Des hommes ainsi unis se nomment frères en Dieu, frères d’élection (Dobratinie). Les mariages se font par une sorte de vente. Le père du jeune homme fait à celui de la jeune fille un présent ; mais c’est le frère de celle-ci qui la remet au cortège qui vient la prendre dans la maison paternelle. Dans la demeure du beau-père la jeune mariée est reçue par une sœur ou une belle-sœur du futur. La bouche lui est fermée par un morceau de sucre. Après son introduction dans la maison elle y reste encore une année comme étrangère et séparée de son époux.

Un double lien attache les familles à la commune : un lien civil et un lien religieux. Chaque village élit ses anciens (kmètes), son knèze (maire), qui répartissent l’impôt. Un meurtre a-t-il été commis par un membre de la commune, la composition est payée par tous. La fête patronale est un second moyen de réunion et de communauté. Enfin, plusieurs villages forment un district, une kneschina, présidée par un baschknès, qui correspond directement avec le gouvernement. Ce qui resserre encore les rapports que plusieurs communes ont entre elles, c’est l’habitude qu’elles ont d’aller à confesse chez les moines du couvent le plus proche. Toute la population adulte se réunit à certains jours de l’année aux environs du cloître. Après la communion, les anciens délibèrent sur les intérêts du pays, la jeunesse se mêle et se livre à la danse. Les knèzes ont l’obligation de pourvoir à l’entretien du monastère et le droit de nommer l’archimandrite ou le chef.

Le clergé n’a pas chez les Serbiens l’influence qu’on pourrait lui supposer au milieu de tant de barbarie. Les popes qui, avant les troubles, achetaient leur emploi de l’évêque, étaient traités par lui comme ses valets. Toutes leurs fonctions se réduisaient à lire le rituel aux baptêmes, aux mariages et aux décès, et à indiquer les jours de fête d’après le calendrier ; du reste, ils vivaient et travaillaient dans les champs comme les autres paysans. Les moines jouissent de plus de crédit ; mais ils dépendent des communes ; et sont eux-mêmes trop pénétrés du génie du peuple pour pouvoir en modifier le caractère. À côté des pratiques positives du culte, les Serbiens nourrissent, sans l’intervention des prêtres, des sentiments religieux, où se réunissent, malgré leur apparente contradiction, la foi en une providence universelle, et une sorte de culte naturel. Ils ont conservé d’antiques usages, qui semblent se rapporter à cette relation mystérieuse dans laquelle les hommes simples et rustiques se croient avec les puissances de la nature.

En hiver, avant le carême, s’est célébré le jour des morts ; chacun a renouvelé la mémoire des siens ; mais à l’approche du dimanche des rameaux on se réjouit de la vie renouvelée. La veille les jeunes filles se réunissent sur une colline et chantent la résurrection de S. Lazare. Le dimanche, avant le lever du soleil, elles se rassemblent autour de la fontaine ; là, en dansant, elles disent dans une chanson comment le bois du cerf trouble les ondes, et comment son œil leur rend leur limpidité. L’eau délivrée de la glace et de la neige fondue est la première messagère de l’année rajeunie.

La veille du jour de S. George, vers la fin d’Avril, les femmes vont chercher des fleurs et des herbes printanières, qu’elles jettent dans l’eau recueillie de la roue du moulin, et le lendemain au matin elles se baignent dans cette infusion. Elles semblent ainsi vouloir se pénétrer des forces vivifiantes de la nature à son réveil.

Arrive ensuite la Pentecôte, la fête de Kralitza. Dix à quinze jeunes filles se réunissent ; l’une représente le porte-bannière, une autre le roi, une troisième, voilée, la reine Kralitza. La troupe s’arrête, dansant et chantant, devant chaque maison. Le contenu de leurs chants, qui célèbrent le mariage, le bonheur des époux, la félicité des parents, heureux par leurs enfants, le refrain de tous leurs couplets, Leijo, qui passe pour le nom slave de la déesse des amours, tout respire la volupté du printemps.

Chaque révolution de l’année a sa fête ; à celle de S. Jean, disent-ils, le soleil s’arrête trois fois, saisi de respect. La veille les pâtres, des flambeaux d’écorce de bouleau à la main, font le tour de l’enclos qui renferme les bœufs, le parc des brebis, se portent ensuite sur les montagnes, où, en se livrant à toutes sortes de jeux, ils laissent se consumer les torches.

Une longue sécheresse fait-elle désirer la pluie, une jeune fille, dépouillée de ses vêtements, est toute entière couverte d’herbes et de fleurs ; dans cet état elle se transporte d’habitation en habitation, escortée de ses compagnes, qui ne cessent de chanter et de demander de la pluie au Ciel, et arrosée de temps en temps par les mères de famille. Élie préside ici aux orages ; il est pour ainsi dire le Dieu du tonnerre.

L’hiver amène de nouvelles cérémonies. La veille de la fête de Ste Barbe, on fait cuire toutes sortes de blé, et on laisse le pot près du feu pendant la nuit ; le lendemain on observe de quel côté la masse s’est le plus élevée, et ce sont les champs en friche situés de ce côté-là qu’on se décide à cultiver pour l’année suivante.

Ainsi ce peuple se sent incessamment dans la dépendance des forces de la nature. Il jure par le soleil, par la terre. En même temps il ne doute pas que tout ne soit dans la main de Dieu, et tous les travaux sont commencés en son nom. S’il plaît à Dieu est la formule obligée de toutes les questions, de tous les projets. Chacun se croit en outre sous la protection d’un saint patron.

Ce qui caractérise surtout les idées religieuses des Serbiens, c’est la manière dont ils célèbrent la fête de Noël. La veille de ce jour solennel, vers le soir, le père de famille se rend dans le bois, il y coupe un jeune chêne bien droit. Il l’apporte à la maison en disant ces mots : bon soir, et heureux Noël ! On lui répond : Dieu te les donne, et en même temps on verse sur lui des grains de blé. Puis on met le chêne sur un brasier. Le lendemain au matin, qu’on salue avec des coups de pistolet, paraît devant chaque maison un visiteur. Il lance des grains à travers la porte en disant : le Christ est né ! Ceux qui en ont été atteints, répondent : en vérité, il est né ! Ensuite le visiteur approche, et en frappant avec des pincettes sur le chêne encore gisant dans le foyer, il s’écrie : autant d’étincelles, autant de bœufs, de chevaux, de chèvres, de brebis, de pourceaux, de ruches. Après cela la femme de la maison jette un voile sur le visiteur, et on porte le reste du chêne dans le verger. Au repas qui suit ces cérémonies, chacun se présente un cierge allumé à la main. Puis on prie, et l’on s’embrasse en disant ces paroles : que la paix de Dieu soit avec vous ! Christ est né en vérité, nous l’adorons ! Et pour figurer l’union intime de tous les membres de la famille, le chef réunit tous les cierges en un seul faisceau et les met dans un plat qu’on vient de servir, rempli de toutes sortes de grains et d’un gâteau azyme, appelé Tschisniza. On rompt ensuite le gâteau, et celui à qui tombe en partage la pièce d’argent qu’on y a mise en le pétrissant, est estimé le plus heureux de la famille. La table reste servie et ouverte pour tout le monde pendant trois jours, et jusqu’au premier jour de l’an on se salue de ces paroles : Christ est né ; il est né en vérité !

Le besoin d’assigner une origine au mal a fait naître ici comme ailleurs diverses pratiques superstitieuses. On croit à des sorcières (wjeschtizes), qui ont la faculté de dépouiller leur corps comme un vêtement ; elles vont trouver, avec des ailes de feu, les personnes endormies, leur ouvrent le côté gauche et en retirent le cœur pour le dévorer. C’est de préférence sur les enfants qu’elles s’acharnent. Les adultes sont menacés des vampires (wukodlak), qui sortent de leurs tombeaux pour sucer le sang des vivants. La peste, ce fléau redoutable de l’Orient, est personnifiée : des fantômes de femmes, couverts d’un voile blanc, l’apportent de village en village, de maison en maison, et plus d’un malade assure les avoir vus entrer dans sa cabane, et même leur avoir parlé.

La création la plus singulière de l’imagination serbienne sont les wiles. Belles et rapides, les cheveux flottants, elles demeurent au fond des forêts, sur les bords des rivières. Elles connaissent l’avenir. Il y a des gens qui sont en relation avec elles, et auxquels elles communiquent une partie de leur puissance. Les autres doivent éviter avec soin de les rencontrer, et surtout de les troubler dans leurs danses nocturnes.

Toutes ces croyances traditionnelles, débris d’une antique mythologie, sans cesse rajeunies et conciliées avec des croyances d’un autre climat, d’une autre origine, sont le fondement des poésies serbiennes. Ces poésies sont plutôt la production commune de l’imagination nationale que les œuvres des poètes. On ignore jusqu’aux auteurs des plus récentes. Elles ne sont pour ainsi dire que des thèmes que chacun varie selon sa faculté poétique, et font d’autant plus d’effet que celui qui s’en fait l’organe actuel est plus pénétré du génie national. Le peuple les regarde comme des productions naturelles. Chacun les sait et les chante, comme si elles étaient son ouvrage. Dans les montagnes, où le caractère national a conservé avec le plus de pureté son empreinte primitive, la guzla, dont les chants sont accompagnés, se trouve presque dans chaque habitation. En hiver, lorsque le soir la famille est réunie autour de la flamme du foyer, tandis que les femmes sont occupées à filer, celui qui se sent le mieux inspiré saisit l’instrument et se met à chanter. Dans la bouche des vieillards ces poésies deviennent pour leurs petits-enfants la première connaissance du monde. Le chef même d’un cloître ne dédaigne pas de les chanter en s’accompagnant de la guzla. Ce chant est du reste un simple récitatif. Le son monotone de l’instrument, qui n’a qu’une seule corde, ne se fait entendre qu’à la fin du vers. Dans les montagnes, où les hommes sont plus simples, d’une plus hante stature, plus sauvages, le chant héroïque, avec ses cinq trochées, et la césure après le second pied, presque chaque vers offrant un sens complet, s’est conservé invariable ; et plus on descend vers le Danube et la Save, plus les maisons d’un même village se rapprochent, et plus leurs habitants se montrent plus souples, plus affables et plus petits, plus aussi disparaît la guzla, et plus deviennent dominantes la danse et la chanson érotique, joignant au trochée le dactyle.

Dans des assemblées plus nombreuses domine la poésie héroïque ; elle fait l’amusement des cabarets, où le jeu des cartes est encore inconnu. Là, les aveugles surtout sont en possession de la guzla ; comme les anciens rhapsodes et les ménestrels, ils sont plutôt les propagateurs que les inventeurs des chansons nationales. Un cercle se forme autour d’eux, et souvent leur enthousiasme fait couler des larmes. Ceux-là même qui ont embrassé l’islamisme ont conservé cette passion pour la poésie. Sans la pratiquer eux-mêmes, les maîtres aiment le chant, et à Sarajevo un chrétien prisonnier obtint sa liberté, parce que ses chants plaisaient au peuple. Ainsi la poésie, plus forte que l’antipathie religieuse, est le lien vivant qui unit toutes ces tribus. Les montagnes où le pâtre garde les troupeaux, les plaines où se font les moissons, les forêts même, lorsque le voyageur les traverse, retentissent de ses magiques accents.

Cette poésie est l’image de la vie ; elle reproduit l’histoire et les mœurs de la nation. Elle nous introduit d’abord dans la maison du Serbien. Elle s’arrête peu auprès du laboureur « qui a les mains noires, mais qui mange du pain blanc » ; elle se plaît chez le vieillard, dont la barbe vénérable tombe sur sa poitrine, et dont l’âme, lorsqu’il revient de l’église, est si pure, qu’elle est comparable à la douce haleine des fleurs ; elle aime surtout à célébrer les sentiments qui forment et unissent les familles. Elle nous présente avec prédilection la jeune fille qui danse et folâtre au milieu des fleurs du printemps, dont elle est l’image ; elle observe et suit ses amours, depuis le moment où la vierge s’aperçoit de ses sentiments et ne les confie encore qu’à la guirlande qu’elle jette dans la rivière, jusqu’à celui où elle avoue au jeune homme que c’est pour lui qu’elle a grandi : le bonheur de leur réunion est peint d’une manière inimitable. Mais ensuite cette poésie, toujours vraie, ne vous cache pas les désagréments qui viennent se mêler à cette félicité : l’humeur grondeuse des belles-mères, les querelles des belles-sœurs. L’hirondelle estime heureux le coucou, de ce qu’il n’est pas forcé d’en être témoin. Elle nous montre les affections rivales de la famille ; si l’amant est vainqueur du frère, le frère l’emporte sur l’époux ; et quelquefois la jalousie de l’épouse contre la sœur va jusqu’au meurtre. La sainteté de l’alliance fraternelle est représentée avec de vives couleurs ; malheur à celui qui cherche à séduire sa sœur adoptive, ou la femme de son frère d’élection ! En un mot, ce qui caractérise la vie domestique et publique de ces peuples, la procession nuptiale, les présents de noces, la fête du village, où les hommes causent ensemble en buvant et en chantant, où les jeunes garçons s’exercent à la fronde, où les jeunes filles dansent le kolo, tout est célébré tour à tour.

Le poème héroïque nous représente la lutte des Serbiens contre les Turcs, infidèles, superbes, enrichis par le brigandage, et contre qui tout est légitime. Il nous montre le héros serbien, posté sur la frontière, et s’élançant sur sa proie, comme le faucon qui fend les airs ; exposé à mille dangers, épiant son ennemi derrière les rochers, le fusil à la main. Des scènes d’amour forment un agréable contraste avec le meurtre et le brigandage, et souvent la clémence désarme le vainqueur. Le maître a soin de son captif, le conduit au soleil, et souvent lui donne la liberté, s’en remettant pour la rançon à la sainteté du serment. La jeune épouse qu’il conduit dans sa maison ne consent à descendre de son coursier qu’à condition qu’on lui remette la clef du cachot où gémit le captif qu’elle veut rendre à la liberté. Une autre fois ce sont deux frères d’alliance qui plongent ensemble le poignard dans le cœur d’une femme turque dont l’amour menace de rompre leur amitié, ou bien un vieillard auquel on apporte la tête de celui qui a tué son fils, et qui à cette vue meurt consolé et tranquille.

C’est la poésie qui a conservé l’histoire de ces peuples, parce qu’elle seule lui a donné de l’intérêt. Les temps antérieurs à la conquête sont presque oubliés ; les plus anciens souvenirs se rattachent à la période glorieuse qui précéda de si peu la décadence.

Une première suite de poésies héroïques nous représente d’abord le grand Étienne Duschan, entouré de ses voïvodes, les Jagovitch, fiers et violents, et les Mierljavtchevitch, que favorisent les wiles, et qui, après la mort de Duschan, s’emparent du souverain pouvoir au préjudice du jeune et faible Urosch. C’est de cette race qu’est issu le héros de la nation, Marko Kraljevitch, qui ne craignait que Dieu. Il débute par un haut acte de justice·, en forçant son propre père et ses oncles de résigner l’autorité entre les mains du légitime héritier. Cette action plus que héroïque lui attire des bénédictions et des exécrations qui s’accomplissent fidèlement les unes et les autres. Il lui a été prédit qu’il servira les Turcs ; et les évènements qui amènent la servitude de la nation sont le sujet d’une seconde suite de poésies, connues sous le nom de Lasaritza. Cette catastrophe, tout en se rattachant à la division intérieure, se présente en même temps comme l’effet d’une inévitable fatalité. Le héros le plus pur, le plus beau et le plus généreux, Milosch, en est le prophète ; des messagers célestes viennent d’ailleurs l’annoncer au roi, qui se retire, chargé de malédictions, avant le combat, avec les siens.

Marko, qui n’assiste pas à cette bataille décisive, est le héros d’une troisième série de poésies. Ce n’est plus un simple mortel, mais un être supérieur, merveilleux. Il vit cent soixante ans, il est toujours monté sur le même coursier, qui boit avec lui dans la même coupe ; il est invulnérable au sabre et à la massue. Il poursuit dans les airs la wile qui a blessé à mort son compagnon d’armes, l’atteint et ne la relâche qu’après qu’elle lui a promis son assistance dans les dangers et qu’elle a guéri son ami. Et ce héros si célébré sert les Turcs, mais il les sert avec colère et ne souffrant aucune injustice. Il tue le vizir et douze des siens, parce que celui-ci a cassé une aile à son faucon. Une autre fois il entre, la massue levée, dans la tente du sultan, qui cherche à l’apaiser par de bonnes paroles et des présents. Partout où il y a un grand combat à soutenir, c’est Marko qui est placé au premier rang. Il semble que ce soit la nation serbienne personnifiée dans les premiers temps de sa soumission aux Turcs. Comme lui, cette nation était pleine de force et de courage, mais elle servait. Selon les uns, l’invulnérable héros finit par être mis à mort par Dieu lui-même ; d’autres espèrent qu’il vit encore. Quand Marko, disent-ils, eut vu le premier mousquet et qu’il se fut assuré de son effet, il se retira dans une grotte profonde ; que là est suspendue son épée, qu’il s’est endormi, et que son coursier se nourrit de mousse ; qu’il se réveillera pour revenir lorsque l’épée tombera à terre, et que le cheval ne trouvera plus de quoi se nourrir.

Toutes ces traditions poétiques ne sont point formellement liées entre elles ; mais elles sont empreintes d’un même génie, de la même manière de voir les choses, du même esprit de nationalité. Elles font revivre sans cesse au milieu de la nation le souvenir de son ancienne gloire et un sentiment profond de sa servitude actuelle.

Toutefois, malgré ce que la situation de ces peuples avait d’oppressif, une longue habitude et les adoucissements que le temps y avait apportés l’avaient rendue si tolérable que sans une cause plus puissante, sans un incident extraordinaire, il est douteux qu’elle eût suffi pour produire un grand mouvement populaire. Il y avait bien quelques éléments d’insurrection qui n’attendaient qu’une occasion pour entrer en fermentation. Telle était l’existence antisociale des bandits, connus sous le nom de heiduques. Un Serbien était-il menacé de la peine de mort, soit pour un crime réel, soit qu’il fût accusé innocemment, il fuyait dans les forêts, où il s’associait avec ceux qui s’y trouvaient pour une raison semblable. Comme les heiduques ne faisaient en général la guerre qu’aux Turcs, et qu’ils interceptaient souvent les envois d’argent que les pachas expédiaient pour Constantinople, ils n’étaient pas toujours regardés comme ennemis par leurs compatriotes. En hiver ils étaient accueillis dans les villages, et ne retournaient dans les bois qu’avec le printemps. Ils se piquaient entre eux d’une probité et d’une fidélité à toute épreuve. Un autre élément de révolution se trouvait parmi les Turcs eux-mêmes : c’était l’insoumission des janissaires établis dans le pays. Le pacha de Belgrade les craignait comme le sultan à Constantinople. Ils étaient sans cesse en opposition avec les spahis. La dernière guerre entre l’Autriche et la Porte, où ils servirent utilement, empêcha de les punir. C’est aussi dans cette guerre que les Serbiens reprirent les armes ; beaucoup d’entre eux se joignirent au corps franc que formèrent contre les Turcs les Serbiens établis en Hongrie ; dans leur nombre fut George Pétrovitch, depuis si célèbre sous le nom de Kara-George (Czerni-George). Après le traité de Szistowa qui, en 1791, rendit la paix au gouvernement de Belgrade, le nouveau pacha, Ebu Bekir, accordant une amnistie aux Serbiens révoltés, et s’entourant de spahis, se déclara contre les janissaires, qui furent réduits à sortir du pays. Son successeur gouverna avec tant de douceur qu’il mérita le nom de Srpska Maïka, mère de la Serbie.

Cependant les janissaires dépossédés avaient trouvé un chef dans le fameux Passwan Oglou, de Vidin. Dans la dernière guerre il s’était formé au fond de la Bulgarie et dans les montagnes de l’ancienne Macédoine des bandes mercenaires, qui, accoutumées au métier des armes, vendaient leurs services tantôt à un pacha rebelle contre la Porte, tantôt à une province soulevée contre le pacha ; ou bien elles faisaient la guerre pour leur propre compte. C’était un ramas de guerriers de toute nation, chrétiens et mahométans. Il y avait alors à Vidin un jeune homme, Passwan Oglu, fils d’un ayan de cette ville, lequel avait été mis à mort par ordre du séraskier : soit désir de venger son père, soit pour se dédommager de la confiscation de ses biens, le jeune Passwan s’attacha dix mille de ces mercenaires (Krdschalis), et avec leur secours s’empara du pachalik. C’est auprès de lui que se réfugièrent les janissaires de Belgrade ; ils formèrent sa garde. Passwan attaqua la Serbie ; c’est alors que le bon Hadgi Mustapha, pacha de Belgrade, n’hésita pas à armer les rajas contre ce dangereux voisin. Les Serbiens apprirent à vaincre les Turcs. Malheureusement la Porte préféra de traiter avec le rebelle ; elle légitima son usurpation, et permit aux janissaires expulsés de revenir à Belgrade. Ce retour fut la cause principale de la révolution de Serbie. Les janissaires qui n’étaient pas rentrés dans leurs anciennes possessions cherchèrent à s’en dédommager sur les sujets chrétiens. Un chef de canton ayant refusé d’obtempérer à une demande arbitraire que lui fit un janissaire de Schabaz, celui-ci le tua, et pour échapper à la punition que le pacha s’apprêtait à lui infliger, il s’empara du fort qui commandait cette ville. Les janissaires, secondés par Passwan Oglou, qui reprit les armes, attaquèrent le pacha dans sa capitale ; la trahison leur en ouvrit les portes ; le pacha fut mis à mort, et les janissaires, maîtres du pays, prirent le nom de dahis. Quatre d’entre eux se partagèrent le souverain pouvoir, dont le nouveau pacha, Aga Hassan, envoyé par la Porte, ne conserva que l’ombre. Ils appelèrent de nouvelles bandes mercenaires de la Bosnie, et livrèrent les campagnes à leurs vexations. Ils placèrent dans chaque ville et dans chaque village des chefs subalternes, qui foulèrent aux pieds tous les anciens usages, et qui exercèrent la plus cruelle tyrannie.

Cependant un ancien serviteur de Hadgi Mustapha, Asambeg, s’unit secrètement avec les spahis et les rajas, pour s’opposer à l’usurpation ; mais un des conjurés ayant éclaté trop tôt, l’entreprise échoua, et l’oppression n’en devint que plus accablante. Les spahis furent chassés, et les janissaires se permirent toutes les espèces de violences : ils pillaient les paysans, enlevaient leurs femmes, troublaient le culte public.

Les démarches que les spahis firent à Constantinople pour être rétablis dans leurs propriétés, les plaintes que les chefs des Serbiens adressèrent au sultan, et que Asambeg appuyait de son mieux, ajoutèrent encore à leurs maux. Le sultan menaça les dahis d’envoyer contre eux une année, qui ne serait pas composée de Turcs, parce que, disait-il, il ne voulait pas combattre des croyants par des croyants ; les dahis, persuadés que le projet du grand-seigneur était d’armer contre eux les rajas eux-mêmes, résolurent de les prévenir et de massacrer tous les Serbiens qui pouvaient leur devenir dangereux. Ils commencèrent l’exécution de ce cruel dessein en Février 1804. Tous ceux qui avaient quelque influence, soit par leurs richesses, soit par leur éloquence, soit par leur renommée militaire, périssaient ou étaient destinés à la mort. Mais bientôt, lorsque déjà les principaux chefs de la nation eurent été massacrés, les janissaires ne trouvèrent plus dans les villages que des vieillards et des enfants : tout ce qui avait quelque force et quelque courage se réfugia dans les montagnes, dans les asyles des heiduques. Les Serbiens, rentrés ainsi dans tous les droits qu’ils tenaient de la nature, animés des ressentiments les plus justes et les plus violents, ne tardèrent pas à s’opposer en armes à la farouche tyrannie de leurs oppresseurs.

 

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Nous avons laissé, dans notre premier article ci-dessus, la Serbie en proie aux déprédations et aux fureurs des janissaires, qui sous le nom de dahis s’étaient emparés de l’autorité du pacha, des spahis et des cadis, et qui exerçaient cette autorité sans égard pour les anciens usages ; tout te qui avait conservé quelque force dans la nation s’est retiré dans les bois, auprès des heiduques, et se dispose à la guerre.

Dans les forêts de la Schumadia s’étaient rencontrés trois chefs serbiens, George Pétrovitch, Janko Katitch et Vasso Tcharapitch. Le premier, appelé Kara George (George le noir) par les Turcs, avait déjà précédemment fait le métier de heiduque, et s’était enrichi au commerce des porcs ; le second, homme sage et éloquent, avait fait la guerre contre Passwan Oglou, et le troisième brûlait de venger la mort de son frère Marko. Bientôt ils se virent entourés d’un grand nombre de leurs compatriotes, tous résolus à vendre chèrement leur vie, et des chefs les plus entreprenants des heiduques, Glavasch et Veliko. Ils envoyèrent des émissaires dans les villages, et appelèrent auprès d’eux tout ce qui était en état de manier un fusil. Aussitôt le pays de l’autre côté de la Kolubara se souleva, et se rassembla sous le commandement de Jacques Nenadovitch et du pope Luca Lasarevitch. Le heiduque Kjurtchia porta le drapeau de Nenadovitch. D’autres chefs s’élevèrent, et en peu de jours les insurgés se rendirent maîtres des villages et des villes non fortifiées, et renfermèrent les Turcs dans les forteresses.

Cependant les Serbiens sentirent le besoin de nommer un commandant en chef ; leur choix tomba sur Kara George. « Mais je ne sais pas gouverner », opposa-t-il. – « Nous vous conseillerons », répondirent les knèzes. – « Mais mon humeur colère me rend peu propre au commandement, insista George : je ne m’amuserai pas à parler beaucoup ; j’ordonnerai aussitôt la mort. » – La sévérité est nécessaire, disaient les chefs, et George fut investi du commandement de l’armée de la Schumadia. Cette armée alla mettre le siège devant Belgrade, tandis que Nenadovitch attaquait Schabaz, et Milenko, Poscharevatz. Jusqu’ici les Serbiens croyaient agir dans l’intérêt de la Porte et des spahis dépossédés, et quelques Turcs combattaient même dans leurs rangs. Un firman, forgé, dit-on, par un prêtre turc, et tout favorable à l’insurrection, était affiché dans le camp. Nous passons sous silence une foule de traits de bravoure qui honorèrent les armes des Serbiens, pour nous attacher à la marche générale des évènements. Schabaz se rendit la première au corps de Nenadovitch, qui avait su se procurer un canon de siège ; Pocharevatz et Smederevo suivirent bientôt son exemple, et toutes les forces des insurgés purent se porter devant la capitale. Cependant Asambeg, l’ancien serviteur de Hadgi Mustapha, dernier pacha de Belgrade, avait su intéresser le grand-vizir à l’entreprise des Serbiens, et Bekir, pacha de Bosnie, reçut l’ordre d’aller à leur secours, de chasser les dahis et de rétablir la tranquillité dans le pays. Dès que Békir parut devant la capitale, les dahis, qui d’ailleurs s’étaient aperçus que Guschanz Ali, chef des troupes mercenaires qu’ils avaient prises à leur solde, les trahissait, s’enfuirent sur le Danube avec leurs trésors. Après leur départ, Ali, seul maître de la ville et du fort, après avoir pillé les principaux habitants, ouvrit les portes au pacha de Bosnie, Pour satisfaire les insurgés, Bekir ordonna au gouverneur d’Orschova, où les dahis s’étaient réfugiés, de livrer leurs têtes, et quelques jours après, Milenko les apporta dans le camp de Serbiens.

Tout semblait alors terminé, et Bekir invita les Serbiens à retourner à leur charrue et à leurs troupeaux ; mais les vainqueurs de Belgrade étaient peu disposés à renoncer aux armes et à reprendre leur ancien joug. D’ailleurs la guerre continuait encore contre les forteresses du midi. Dans Belgrade, Guschanz Ali refusait de rendre le fort supérieur, à moins qu’on ne lui payât la solde arriérée ; et Bekir s’estima trop heureux qu’on le laissât retourner en Bosnie. Pour sortir de cet état d’anarchie, les Serbiens envoyèrent, au mois d’Août 1804, une députation en Russie pour invoquer la médiation de cette puissance.

Cependant Kjurtchia, ancien chef des heiduques, qui s’était brouillé avec Jacques Nenadovitch, au sujet du butin de Poscharevatz, avait soulevé cette partie de la Bosnie, située en deçà de la Drina, où Alibeg avait usurpé le pouvoir ; il en avait chassé les Turcs ; mais bientôt ceux-ci étant revenus en force, et ayant pénétré jusque vers Schabaz, Jacques profita de ce prétexte pour obtenir contre Kjurtchia une condamnation à mort ; pour l’exécuter, il invita ce chef dans son camp, le reçut avec de perfides démonstrations d’amitié, et ce héros périt, première victime de la division intestine.

Toutefois le pays qu’il avait soulevé lui dut le retour à l’ordre et à la tranquillité ; grâce surtout à la sage et courageuse intervention d’un noble vieillard, Mehemet-kapetan, qui obtint du pacha de Bosnie les conditions les plus favorables, et que les Serbiens de Belgrade se seraient sans doute empressés d’accepter. En Février 1805, leur ambassade revint de Pétersbourg avec cette réponse : ils devaient avant tout adresser leurs demandes au gouvernement de Constantinople, où le ministre russe avait ordre de les appuyer. En conséquence de ce message, les Serbiens tinrent, au mois d’Avril, une conférence, à laquelle assistèrent des Turcs de Belgrade, et, au nom de la Porte, des envoyés de Valachie et de Moldavie. On convint qu’on enverrait une députation à Constantinople, avec la mission de demander que toutes les forteresses seraient occupées par les Serbiens, et de réclamer une indemnité de deux millions de piastres, qui devaient servir d’équivalent aux tributs arriérés. En même temps on résolut de poursuivre avec vigueur la guerre contre les dahis du midi. Kara George alla assiéger Karanovaz, Nenadovitch marcha contre Uschize (Oussitza). Le premier réussit à se faire livrer le poste par l’entremise da pacha de Jeni-bazar, et Nenadovitch s’empara d’Oussitza par la force.

Pour toute réponse, la Porte fit arrêter les députés et ordonna au pacha de Nissa, Afis, de désarmer les rajas ; mais il fut si bien reçu qu’il ne tarda pas à s’en retourner, et à dater de sa retraite forcée, les Serbiens se trouvaient, sans le vouloir, en insurrection contre la Porte elle-même. L’indépendance était acquise de fait, il fallut la conserver par la force des armes, puisque la Porte refusait de traiter. La guerre ne tarda pas à éclater de nouveau entre les Turcs restés dans le pays et les Serbiens. Un de ces derniers, ayant visité la ville de Smederevo, excita l’animosité des Turcs par le luxe de ses vêtements et de ses armes, et fut tué par eux. Les Serbiens, pour se venger, prirent la ville et y établirent le synode, nouvellement organisé par le conseil d’un Serbien de Hongrie, Philippovitch, docteur en droit. À ce signal toute la Serbie fut en feu, et, vers le nouvel an de 1806, la guerre recommença plus vive que jamais. Désormais les insurgés allaient avoir à combattre à la fois un ennemi intérieur et les troupes les plus braves du grand-seigneur, qui chargea les pachas de Bosnie et de Scutari de châtier les rebelles. Dans les premières rencontres les Serbiens furent victorieux, mais quand Hadgi-Beg vint les attaquer avec trente mille hommes, ils furent obligés de céder, et les Turcs s’avançaient mettant tout à feu et à sang. C’est alors, au plus fort du danger, que Kara George déploya pour la première fois tout ce que la nature lui avait donné de courage et de sagacité. Il repoussa les Turcs avec une armée de quinze cents hommes, fit mettre à mort tous les knèzes institués par eux, et se renforça de tout ce qui était capable de porter les armes. Il parvint à réunir sept mille hommes de pied et deux mille chevaux, qu’il conduisit à une lieue de Schabaz, où les Turcs s’étaient retirés. Il n’avait qu’un mortier et trois canons. Les Turcs, fiers de leur nombre, les sommèrent de se soumettre et de rendre les armes ; les Serbiens répondirent comme autrefois les Spartiates : venez les prendre ; et les Turcs sortirent par deux fois de leur camp pour assaillir George dans ses retranchements, sans obtenir le moindre succès. Un troisième assaut allait décider du sort des deux armées : c’était au commencement d’Août 1806. Dans la nuit qui précéda le jour de la bataille, Kara George posta ses cavaliers dans la forêt voisine, avec ordre d’attaquer l’ennemi par derrière au premier coup de feu. Dans les retranchements il défendit de tirer sur l’ennemi avant qu’il fût à portée. Au point du jour le séraskier sortit de son camp avec toutes ses forces ; les plus vaillants des begs de Bosnie portaient les drapeaux en avant de l’armée ; les Serbiens, calmes et silencieux, les attendaient l’arme prête. Enfin George donne le signal ; les premiers rangs ajustent, et aucun ne manque son but ; les étendards tombent et le canon ajoute au désordre. En même temps les cavaliers se précipitent de la forêt, et Kara George sort avec toute son infanterie : en un instant la confusion des Turcs est au comble et leur défaite achevée. Leurs principaux chefs, le séraskier lui-même, la fleur de Bosnie périrent, tandis que les Serbiens n’avaient fait aucune perte. Une partie de l’armée battue se jeta dans Schabaz, le reste s’empressa de passer la Drina. Mais la retraite leur fut aussi fatale que la bataille. Ils perdirent beaucoup de monde, le butin et tous les prisonniers qu’ils conduisaient avec eux.

D’un autre côté Ibrahim, pacha de Scutari, qui, avec quarante mille hommes, assiégeait les retranchements de Deligrad, où commandait Pierre Dobriniaz, n’eut pas plus de succès. Quand il vit Kara George s’approcher avec ses troupes victorieuses, il offrit la paix. Il importait d’autant plus à la Porte d’en venir promptement à un accommodement avec la Serbie, que la guerre était près d’éclater avec la Russie. Il y eut une entrevue à Smederevo. Les Serbiens consentirent à envoyer des députés à Constantinople, et bientôt l’un d’eux revint (à la fin d’Octobre) avec la réponse, que la Porte était disposée à leur laisser la possession et le gouvernement exclusifs de leur pays, avec la seule réserve qu’un muhasil résiderait à Belgrade avec cent cinquante Turcs, et que les Serbiens paieraient à la Porte un tribut annuel de dix-huit cents bourses (un million trois cent cinquante mille francs). Les Serbiens s’empressèrent d’accepter ces conditions. Cependant la confirmation expresse du traité n’arriva point ; sa teneur était trop contraire aux préjugés des Turcs et à la loi musulmane. De leur côté les Serbiens étaient impatients de recueillir les fruits de leur victoire. Ils se présentèrent, avec le muhasil que la Porte avait envoyé, devant Belgrade et Schabaz ; les Turcs refusèrent de leur en ouvrir les portes ; il fallut les conquérir. Kara George assiégea d’abord la capitale. Parmi ses troupes se trouvait un ancien krdschali, un de ces soldats mercenaires qui sous Guschanz Ali avaient occupé Belgrade. Il professait la religion grecque, et lorsque la guerre eut pris un caractère religieux, il avait passé aux Serbiens. Cet homme, nommé Konda, offrit de hâter la prise de la ville par une action hardie. Connaissant toutes les localités, il en profita pour se glisser, au milieu de la nuit, dans la place, accompagné de six hommes résolus. Au point du jour il se rendit à la porte des chrétiens, se jeta sur le poste, le vainquit malgré sa résistance, et réussit à ouvrir la porte, par laquelle aussitôt se précipita le brave Milosch, tandis que Kara Georgt franchissait les murs. Le combat fut terrible ; à dix heures la ville était conquise ; et quinze jours après, Guschanz Ali se vit réduit par la famine à rendre le fort supérieur. Soliman-pacha en prit possession au nom de la Porte. En Février 1807 se rendit Schabaz ; au mois de Mars Soliman demanda à se retirer : Oussiza succomha en Juin, et alors tout le pays était de fait entre les mains des Serbiens. Pourquoi faut-il ajouter que les vainqueurs abusèrent avec cruauté de la victoire ; qu’ils se livrèrent envers les vaincus à toutes les atrocités que peuvent inspirer à un peuple barbare le fanatisme, la vengeance et la cupidité ? Qu’il suffise de dire que les Turcs, à l’exception de quelques pauvres, que ceux-là même qui avaient capitulé, furent massacrés. Il est vrai qu’à la prise de Belgrade Kara George avait défendu le pillage, et qu’il avait montré de l’humanité à ceux qui avaient imploré sa protection ; mais plus tard, soit impuissance de retenir la fougue d’un peuple irrité, soit qu’il cédât lui-même à la férocité de son naturel, l’historien ne rapporte pas qu’il fit rien pour arrêter ou modérer le carnage.

Demeurés seuls maîtres du pays, il s’agissait pour les Serbiens d’organiser un gouvernement. Rien n’était plus difficile. Tout le monde était devenu guerrier. À côté des anciens knèzes, chefs civils, dont les attributions étaient déterminées par l’usage, s’étaient élevés les voïvodes, chefs militaires, qui ne prétendaient reconnaître d’autres bornes à leur autorité que celles de leur puissance, et qui aspiraient à se substituer aux droits des spahis. Chacun était entouré d’une troupe plus ou moins nombreuse d’hommes d’armes, appelés momkes, qui ne recevaient d’ordres que de leurs chefs respectifs. Quelques-uns qui s’arrogèrent le nom de hospodars, Jacques Nenadovitch, Luc Lasarevitch, Milenko, Pierre Dobriniaz et surtout Kara George, commandaient les diverses provinces, se regardaient comme souverains et s’observaient avec jalousie. Du reste, nulle autorité centrale reconnue. Le sénat, composé de douze membres, n’exerçait qu’un pouvoir législatif. Il régla les finances, organisa des tribunaux, en se réservant les appels, et établit des écoles élémentaires dans les chefs-lieux de district, et une espèce d’académie à Belgrade, où l’on enseignait l’histoire, les mathématiques et un peu de jurisprudence. Mais le sénat fut impuissant pour rétablir l’équilibre entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire, et pour concilier les prétentions des voïvodes et des hospodars avec l’intérêt général. Les sénateurs étaient d’ailleurs nommés sous l’influence des hospodars. Dès les commencements Kara George, mécontent de quelques ordonnances du sénat, réunit ses momkes et leur ordonna de diriger leurs fusils contre la salle des délibérations. « Il est facile, s’écria-t-il, de faire des lois dans une chambre bien chauffée ; mais qui marchera au-devant de l’armée turque, si elle reparaît ? »

Outre le sénat, il y avait encore une autre assemblée : tous les ans, à Noël, les voïvodes se réunissaient à Belgrade. Dans cette assemblée chacun présentait les comptes de ce qu’il avait dépensé dans ses courses contre les Turcs ; on y convenait du plan de la campagne prochaine, et l’on y déterminait la quotité des impôts. Toutes les affaires dépendaient en dernier ressort de cette réunion toute militaire. Mais loin de remédier à l’anarchie, elle ne faisait qu’y ajouter encore. Restait, pour donner quelque unité à ce gouvernement, la suprématie de Kara George. Mais il n’était réellement reconnu pour chef que dans sa province. Il est vrai qu’il commandait à Belgrade ; il disposait de l’artillerie ; il était entouré du plus grand nombre de soldats dévoués ; il jouissait de la plus grande renommée militaire, et était de fait supérieur à tous. Aussi passait-il à l’étranger pour le chef de la nation. C’est ici le lieu d’entrer dans quelques détails sur sa vie antérieure.

George Pétrovitch, surnommé Kara ou Zrni, le noir, était né entre 1760 à 1770 dans le district de Kragujevac, au village de Vichevzi, fils d’un paysan nommé Pétroni. Dès 1787, lorsque la Serbie, dans l’espoir d’une invasion des Autrichiens, se souleva, il prit à ce mouvement une part qui décida de sa destinée. Forcé de s’enfuir, et ne voulant pas abandonner son père 4 à la merci des Turcs, il l’emmenait avec lui. Mais plus on s’approchait de la Save, plus le père s’inquiétait et pressait son fils de revenir sur ses pas. « Humilions-nous, disait-il, et nous obtiendrons notre pardon. Ne va pas en Allemagne, mon fils. » George demeura inébranlable ; le père de son côté déclara fermement la résolution de s’en retourner. Comment ? s’écria George, apprendrai-je que les Turcs te font éprouver les angoisses d’une mort cruelle ? En même temps il arma son pistolet et tua son père. Dans le prochain village il dit aux habitants : « Allez enterrer ce vieillard qui gît là-dehors, et buvez au salut de son âme » ; et abandonnant tout son avoir il passa la Save.

Cette action qui signala sa jeunesse, le jeta hors de la route commune de la vie. Il revint avec un corps franc en qualité de sergent ; mais bientôt, se croyant victime d’un passe-droit, il se jeta parmi les heiduques dans les montagnes. S’étant réconcilié depuis avec son colonel, il passa avec lui en Autriche. La douceur de Hadgi Mustapha l’engagea à retourner dans sa patrie. C’était un homme qui sortait absolument de la ligne ordinaire. On le voyait quelquefois replié sur lui-même, pendant plusieurs jours, sans proférer un seul mot, se rongeant les ongles. Lui adressait-on la parole, il tournait la tête sans répondre. Le vin seul avait le pouvoir de le rendre gai et affable, et alors il n’hésitait pas à danser le kolo. Il méprisait le luxe et l’éclat. Au plus haut de sa fortune il continuait à porter ses vieux pantalons bleus, sa pelisse usée et son bonnet noir. Pendant qu’il exerçait le pouvoir ·suprême, sa fille, comme une autre Nausicaa, allait puiser de l’eau à la fontaine, à l’égal des autres filles du village. Toutefois il était sensible à l’attrait de l’or. À Topala on l’eût pris pour un simple paysan. Il défrichait avec ses gens un terrain inculte, ou dirigeait l’eau vers un moulin ; d’autres fois il pêchait avec eux dans la Jasenitza. Il labourait et semait. Dans la bataille seulement se montrait le héros. Lorsque les Serbiens le voyaient s’avancer au milieu de ses momkes, ils prenaient courage, tandis que les Turcs tremblaient à son aspect. On le reconnaissait aisément à sa haute stature, à ses larges épaules, au nez puissant qui marquait son visage. Il aimait l’ordre et la régularité, et quoiqu’il ne sût pas écrire, il laissait volontiers un libre cours aux lenteurs de la chancellerie ; mais lorsqu’une fois les affaires, après avoir passé par les divers degrés de judicature, étaient arrivées jusqu’à lui, sa justice était violente, terrible. Son frère unique, dans l’espoir de l’impunité, s’étant permis de faire à une jeune fille le dernier outrage, Kara George en fut si irrité qu’il le fit pendre à la porte de sa maison, et qu’il défendit à sa mère de le pleurer.

Habituellement doux, la colère le rendait féroce. Il tua de sa main le knèze Théodosi, à qui il devait son élévation. Revenu à lui-même, il pleurait et maudissait ses fureurs. Il savait pardonner et oublier les injures. Malheureusement il cédait trop facilement à toutes les insinuations de ceux qu’il croyait ses amis. Cette faiblesse était d’autant plus déplorable qu’il se trouvait dans une position où la modération et la circonspection lui étaient surtout nécessaires. Les hospodars n’étaient nullement disposés à lui accorder un pouvoir absolu. Quand on organisa le sénat, ils espéraient qu’il mettrait des bornes à l’autorité de George, qui, de son côté, voulait s’en servir pour dominer sur ses rivaux. Il en résulta que le sénat fut aussi divisé que les chefs militaires, et que la discorde qu’il était destiné à prévenir, sortit principalement de son sein. Le membre le plus éloquent du sénat, en 1807, était Mladen Milovanovitch, nommé sous l’influence de Czerni George. Impatients du joug qu’il leur imposait, les autres sénateurs obtinrent enfin son éloignement de Belgrade. En même temps l’alliance avec la Russie, qui avait déclaré la guerre à la Turquie, étant devenue nécessaire, les députés des Serbiens avaient demandé à cette première puissance qu’on leur envoyât le conseiller d’État Rodofinikin, Grec de nation. Cet envoyé déplaisait à Kara George et à beaucoup de Serbiens, qui voyaient en lui moins l’homme d’État russe que le Grec, et les Grecs étaient en général suspects aux peuples de la Serbie. Rodofinikin se rendit plus odieux encore par sa liaison avec le métropolitain grec Léonti, également odieux aux Serbiens. Mladen et ses adhérents en profitèrent pour faire croire à George que l’envoyé russe et Léonti travaillaient à ériger la Serbie en hospodarat, en faveur d’un prince grec du Phanar. Ainsi se multiplièrent les semences de discorde, et elles ne tardèrent pas à porter leurs fruits.

La campagne de 1807 n’avait eu d’autre résultat que d’élever au rang d’hospodar l’ancien heiduque Veliko, qui fit la guerre sur son propre compte et s’empara du fort de Podgoraz sur les frontières de la Bulgarie. L’armistice conclu à Tilsit entre les Russes et les Turcs avait également fait poser les armes aux Serbiens ; ils les reprirent avec les Russes en 1809. Plusieurs chefs envahirent et soulevèrent la Bosnie. Kara George franchit les montagnes près de Simiza pour se mettre en communication avec les Monténégrins, battit les turcs, assiégea Novi-Bazar, et il était sur le point de s’en rendre maître et peut-être de conquérir l’Herzégovine, lorsque tout à coup il reçut la nouvelle que les Turcs venaient de remporter un grand avantage du côté de Nissa, et qu’ils s’avançaient dans le pays. Ils devaient leurs succès à la division qui avait éclaté entre les deux chefs, Pierre Dobriniaz et Miloje, qui commandaient sur ces frontières, et qui refusaient de combiner leurs moyens. Vainement Kara George accourut à leur secours ; tout le pays situé sur la rive droite de la Morava tomba entre les mains des Turcs ; et telle fut un instant l’épouvante générale, que l’envoyé russe Rodofinikin ne se crut plus en sûreté à Belgrade et qu’il se retira, accompagné de Pierre Dobriniaz, au-delà du Danube. Cependant le danger commun commanda l’union ; les Russes passèrent le Danube, les Turcs furent obligés de se retirer et les Bosniaques furent repoussés. Après le danger vinrent les reproches mutuels. Les hospodars, rivaux de George, l’accusaient d’avoir empêché les Russes de venir au secours du pays, et d’avoir mécontenté Dobriniaz en donnant le commandement supérieur à Miloje. Jacques Nenadovitch surtout s’empressa de profiter de ces mécontentements pour briser l’autorité de George. Il se présenta à la diète de 1810 avec six cents de ces soldats dévoués appelés momkes, Il demanda à grands cris qu’on se donnât au Czar. Son avis prévalut ; les amis de George furent éloignés : Jacques présida le sénat et en expulsa ceux qui lui déplaisaient. Une ambassade fut envoyée à l’empereur de Russie. Milenko se mit en révolte ouverte contre le commandant en chef ; Veliko se joignit à lui. Cependant Pierre Dobriniaz, qui s’était rendu au camp des Russes, manda que les Serbiens ne devaient s’attendre à aucun secours de leur part, tant qu’on ne déposerait pas le général en chef. Kara George avait cédé jusque-là ; mais il était décidé à se maintenir à la tête de l’armée. Il manœuvra si bien qu’au mois de Mai 1810 le général russe Kamensky, dans une proclamation aux Serbiens, leur promit du secours et reconnut George pour leur chef ; et au printemps on reprit d’un commun accord les armes contre les Musulmans. Courchid-pacha s’avançait du côté de Nissa avec une armée de trente mille hommes. Une armée non moins considérable passa la Drina, et néanmoins les Serbiens, avec le secours des Russes, réussirent à repousser l’une, à battre l’autre, et à la fin de la campagne la Serbie, libre d’ennemis, avait reculé ses limites : heureuse si l’hiver n’avait réveillé les anciennes divisions. Les hospodars, ennemis de Kara George, résolurent de le renverser dans la prochaine diète. Mais cette espèce de conspiration lui ayant été révélée, il prit si bien ses mesures qu’il se rendit maître des délibérations. Les principaux chefs y ayant paru trop tard, George eut le temps de faire décréter une constitution qui lui donnait un pouvoir presque monarchique. Il fut décidé que les voïvodes ou chefs inférieurs, qui jusque-là avaient relevé des hospodars, dépendraient immédiatement du gouvernement central. En même temps la diète sépara les fonctions judiciaires des fonctions administratives. Les moins considérables des sénateurs devaient former une cour suprême, tandis que le gouvernement serait confié à plusieurs ministres, et notamment à plusieurs des hospodars, qui par cette mesure seraient éloignés de leurs provinces. Un décret bannissait du territoire quiconque refuserait de se soumettre à ces nouvelles lois, et avant de se séparer, tous les voïvodes jurèrent de n’obéir qu’à George seul. Ce qui acheva de consolider son pouvoir fut que Jacques Nenadovitch, dont le fils épousa la fille de Mladen, se rangea de son parti. Veliko fut éloigné par la ruse : un Tatare, couvert de sueur, vint lui apporter la nouvelle supposée que les Turcs avaient envahi ses possessions. Pierre Dobriniaz et Milenko furent bannis et passèrent en Russie. Enfin, l’opposition armée de Milosch fut également vaincue, et Kara George put désormais se regarder comme le prince de cette nouvelle monarchie ; il ne manquait plus pour lui donner de la durée que sa reconnaissance par le grand-seigneur.

Mais il se préparait ailleurs des évènemens qui, en renversant le trône le plus puissant de la terre, devaient entraîner la chute de celui où venait de se placer Kara George. La Russie, à l’alliance de laquelle George sacrifia, en 1811, les offres de Courschid-pacha, menacée par Napoléon, fit, en Mai 1812, la paix avec la Turquie. La paix de Bucarest n’accordait aux Serbiens que l’administration de leurs affaires. Du reste ils avaient à payer le tribut, à livrer les forteresses et leur artillerie ; des négociations ultérieures devaient régler les affaires de détail. Des députés serbiens partirent pour Constantinople ; mais quand ils arrièrent au camp du grand-vizir, le jour même, le prince Morousi qui avait conclu la paix, et sur le crédit de qui ils comptaient, fut décapité. Les vues de la Porte étaient changées.

Les Serbiens, réduits à leurs propres forces, reprirent alors leur attitude guerrière ; Molla-pacha, successeur de Passwan Oglou à Vidin, leur offrit son alliance ; mais il fut vaincu et mis à mort ; et l’armée qui l’avait battu marcha contre la Serbie. On essaya encore une fois de négocier. Kara George consentait à tout ; il demandait seulement qu’on laissât aux Serbiens le pistolet et le fusil, et que les mêmes Turcs qui avaient autrefois possédé le pays n’y fussent pas rétablis. Mais avant que ces nouvelles offres pussent être portées à Constantinople, l’armée turque entra en Serbie ; c’était peu de temps après la bataille de Lützen. Kara George fit de bonnes dispositions. Il opposa aux Turcs qui venaient de la Bosnie et du côté de Nissa, deux corps d’armée de dix mille hommes chacun ; Veliko devait avec trois mille hommes protéger les forts du Danube. George lui-même voulait former une réserve à Jagodina. Veliko fut attaqué le premier : c’était le héros de la nation ; il ne respirait que la guerre et le pillage. Il exposait sa vie pour quelques piastres, et puis il les donnait à qui les lui demandait. Mais il était plus propre à la guerre de partisans qu’à défendre une forteresse. Dix-huit mille hommes le renfermaient dans Negotin. Il fut longtemps victorieux dans ses sorties ; mais il ne reçut aucun renfort. Kara George, qui n’avait jamais réussi à former une armée de réserve, ordonna à Mladen d’envoyer du secours à Veliko. Mladen, jaloux de la gloire du héros, refusa. Cependant un boulet de canon tua Veliko, et avec lui tomba le boulevard de la Serbie. Cinq jours après sa mort la garnison de Negotin sortit nuitamment de la ville. Les Turcs s’avancèrent, semant partout leur route de hideux trophées, empalant les hommes et jetant les enfants dans de l’eau bouillante, en dérision du baptême. Tout ce qui put échapper se jeta dans Poretch, et de là sur le territoire autrichien. Poretch succomba. De son côté Courchid-pacha, laissant une partie de ses troupes devant Belgrade, descendit la Morava, que devait défendre Mladen. Le knèze Sima, posté sur la Drina, ne montra pas plus de valeur et ne fit rien pour défendre les places attaquées, et attendit l’ennemi dans son camp de Schabaz.

Que faisait cependant le nouveau souverain ? Ce Kara George, la terreur des Turcs, qui deux fois, en 1806 et 1809, avait sauvé la Serbie, ne paraît ni sur le Danube, ni sur la Drina, ni sur la Morava. Il demeure immobile à Topola ou à Belgrade. Il oubliait qu’il devait sa vie à un peuple qui lui avait confié son salut, et ne songeait qu’à lui-même. Soit qu’il cédât à de pusillanimes conseils, soit que, loin du théâtre de la guerre, il fût plus accessible à la crainte, il regardait la situation du pays comme désespérée, et n’eut plus d’autre pensée que de sauver les débris de sa fortune du naufrage général. Le 1er Octobre il parut un instant au camp de la Morava ; le 2, les Turcs franchirent cette rivière, et le 3, Kara George s’enfuit au-delà du Danube sur le territoire autrichien. Nul doute que si les hospodars avaient encore eu la même autorité qu’avant la diète de 1811, le départ de George n’eût point décidé du sort du pays ; maintenant la fuite d’un seul homme entraîna la perte de tout un peuple. Aussitôt l’armée de Schabaz se dispersa. Smederevo et Belgrade, qu’on avait négligés d’approvisionner, ouvrirent leurs portes aux Turcs, qui bientôt se répandirent dans le pays en vainqueurs.

Les principaux chefs des Serbiens suivirent l’exemple de George, et furent comme lui traités par l’Autriche en prisonniers d’État. Un seul des voïvodes de l’armée de Schabaz, Milosch Obrenovitch, refusa de fuir au-delà de la Save. Vainement Jacques Nenadovitch revint sur ses pas pour le conjurer de se sauver avec ses frères : que m’importe de vivre en Autriche, répondit-il, si cependant l’ennemi réduit à l’esclavage ma femme, mes enfants et ma vieille mère ? Il demeura inflexible, et se rendit chez lui à Brusnizza, dans le midi, où les Turcs n’avaient pas encore pénétré. Il occupa Oussitza ; mais à l’approche de l’ennemi la garnison se dispersa. Milosch alors résolut d’accepter les offres des Turcs. Il déposa les armes aux pieds du lieutenant du grand-vizir, et sa soumission acheva celle de toute la Serbie. Le grand-vizir le reçut avec bienveillance et le nomma knèze ou seigneur de Rudnik ; Soliman, le nouveau pacha, le combla de présents.

Cependant les spahis et tous ceux qui avaient été chassés avec eux, revinrent et se firent réintégrer dans leurs biens, et Soliman s’appliqua à rétablir tout sur l’ancien pied : et telle fut la nouvelle oppression que même la femme du prince Milosch était obligée de mettre des habits d’esclave quand un musselim venait dans sa maison.

Cette situation, après qu’on avait goûté la liberté, était intolérable. Une première émeute, qui éclata ·soudain, fut facilement réprimée, à l’aide de Milosch lui-même. La vengeance que l’on en tira fut atroce, et le joug s’appesantit encore ; la cruauté des Turcs ne connut plus de bornes. Milosch se trouvait à Belgrade quand on y apporta la tête d’un chef serbien, qui comme lui avait rendu des services au pacha ; il résolut alors de prévenir un sort semblable. Il sortit avec peine de la ville, se rendit dans les montagnes de Rudnik, s’entoura de ses partisans et leva l’étendard de la révolte. C’est lui qui sera désormais le héros de la nation.

Milosch était né en 1780 ; il avait d’abord servi comme bouvier. Son frère Milan avait été un des premiers à se soulever contre les dahis, et était devenu, par sa valeur, hospodar de Rudnik, Poschega et Oussitza. Milan, envoyé des Serbiens à Bucarest, y était mort, et Milosch lui avait succédé dans son commandement. Maintenant toute la nation avait les yeux fixés sur lui. Il éclata le dimanche des Rameaux 1815.

Lorsqu’il parut au milieu du peuple, aux portes de l’église de Takovo, les vieillards même demandaient la guerre, et tous les assistants jurèrent d’immoler leurs injures et leurs intérêts particuliers sur l’autel de la patrie. Les momkes étaient rassemblés à Zrnutcha ; Milosch, revêtu d’une armure brillante, le drapeau à la main, se présenta au milieu d’eux : Me voici, s’écria-t-il, et je vous apporte la guerre avec les Turcs ! Cette insurrection fut infiniment plus périlleuse qu’aucune des précédentes. En peu de jours le kiaja du pacha eut réuni dix mille hommes, et les premières rencontres furent si malheureuses pour les Serbiens que plusieurs de leurs chefs songèrent à tuer leurs femmes et leurs enfants, et à se jeter dans les bois. De nouveaux renforts raffermirent leur courage ; et le kiaja, au lieu de se maintenir dans ses positions, préféra de descendre sur les bords de la Morava. Milosch eut le temps de se retrancher, et dès-lors ses armes furent constamment heureuses. Il joignit l’humanité à la bravoure, et par là il se rendit favorables plusieurs des chefs turcs. Il permettait à tous les prisonniers de se retirer avec leurs armes et leurs trésors. Courchid-pacha, alors vizir de Bosnie, fut défait, et les deux partis, fatigués de la guerre, désiraient de faire la paix.

Milosch eut la généreuse imprudence de se rendre lui-même au camp de Courchid, qui se sentit tenté de le retenir. Mais il y avait dans son camp un homme qui était décidé à ne pas souffrir cette perfidie. Ali-Aga, délipacha du vizir, le même qui avait autrefois reçu la soumission de Milosch, et qui maintenant avait engagé sa parole pour son retour, lui dit : « Ne crains rien, tant que je vivrai avec mes mille délis. » En effet, il le ramena sain et sauf à Leschniza, et en le quittant : « Désormais, lui dit-il, ne te fie plus à personne, pas même à moi. » Cependant Maraschli-Ali-pacha se montra plus conciliant ; il consentit à laisser les armes aux Serbiens, et ceux-ci promirent de se soumettre à cette condition. Ils envoyèrent à Constantinople des députés, qui revinrent après un mois avec une réponse favorable, grâce surtout à l’intervention de l’ambassadeur russe, qui invoquait l’exécution du traité de Bucarest. Le firman de la Porte recommandait au pacha de Belgrade de traiter son peuple avec douceur. Les chefs serbiens parurent alors dans cette capitale. Trois fois le pacha leur demanda : Êtes-vous, ô Serbiens, soumis au Padisha ? et trois fois Milosch répondit : nous le sommes ! Dès-lors on les admit aux honneurs du café et du tabac.

Pour régler les rapports des Turcs et des indigènes, il fut convenu que les premiers conserveraient les villes et les forts qu’ils occupaient ; les Serbiens, le pays dont ils étaient en possession. Ceux-ci demeuraient seuls chargés de lever et de percevoir les tributs. Pour l’administration de la justice, dans chaque chef-lieu de canton, à côté du musselim, devait résider un knèze ; à Belgrade devait s’établir une grande chancellerie nationale, formée par douze chefs, nommés par les douze districts. Il était entendu que les knèzes prononceraient les jugements et que les Turcs les exécuteraient. Pour consolider cette restauration, Ali, dont elle était l’ouvrage, obtint le pachalik.

Le nouveau pacha ne s’était montré si conciliant que parce qu’il espérait obtenir plus tard le désarmement des rajas ; la loi musulmane défend de laisser des armes aux sujets infidèles, et la Porte n’avait encore rien confirmé. Les Serbiens de leur côté ne cessèrent d’élever des prétentions nouvelles. Les négociations de 1820 n’eurent pas plus de succès, et peu s’en fallut alors qu’on n’en vînt encore une fois aux mains. La Porte avait délivré un firman par lequel elle accordait tout ce que les Serbiens avaient demandé jusqu’alors ; mais elle exigeait de ceux-ci une déclaration formelle que désormais ils se tiendraient absolument pour satisfaits. Les Serbiens s’y refusèrent, et la paix établie de fait depuis treize ans n’a jamais été sanctionnée. La Serbie offre aujourd’hui le singulier spectacle de deux nations ennemies habitant le même sol, toutes deux armées et toutes deux aspirant ouvertement à la domination exclusive, et néanmoins tranquilles ; tranquillité que n’ont même pu troubler ni l’insurrection des Grecs, ni l’invasion des Russes.

Les peuples soumis depuis plusieurs siècles au despotisme des Turcs, lorsqu’ils sont délivrés de leur joug, auront besoin de plusieurs siècles pour donner à leur état social des formes supportables. Pendant longtemps leurs chefs voudront les gouverner d’après les errements de leurs anciens maîtres ; leur gouvernement, né de la guerre, sera longtemps une oligarchie militaire, troublée sans cesse par des prétentions rivales, jusqu’à ce que le plus fort s’empare de l’autorité souveraine.

Milosch avait été l’auteur de la seconde délivrance du pays, et dès 1817 il avait été reconnu pour chef par tous les knèzes. Il rétablit en grande partie la constitution donnée par Kara George. Les knèzes prirent la place des voïvodes, et réunissent l’autorité civile au commandement militaire. Milosch a le droit de les nommer et de les révoquer. Ils sont payés par le gouvernement. Depuis la rupture avec le pacha en 1820, la justice est administrée par des tribunaux serbiens. La chancellerie de Belgrade a été remplacée par un tribunal suprême séant à Kragujevac. Tous les juges sont à la nomination de Milosch. La coutume tient lieu de loi ; le prince seul peut prononcer la peine de mort. Tous les ans les knèzes se réunissent en assemblée générale, et là seulement sont délibérées les grandes affaires de la nation, et sont votés les impôts. Le tribut annuel est versé par Milosch entre les mains du pacha ; les spahis, appauvris et déchus, ne perçoivent plus leurs dîmes qu’avec peine et avec le secours des autorités serbiennes. Le clergé a peu d’influence ; il est justiciable des tribunaux ordinaires, et les prêtres et les moines n’ont d’autre privilège à cet égard, lorsqu’ils encourent quelque punition corporelle, que de la recevoir des mains de quelqu’un de leur ordre.

Ainsi tous les pouvoirs sont réunis dans la personne du prince Milosch ; tout le pays ressemble à un vaste camp, dont il est le général en chef : l’assemblée des knèzes peut être considérée comme un conseil de guerre. Plusieurs tentatives faites par quelques chefs ambitieux pour le dépouiller du commandement suprême, ou pour s’y soustraire, ont échoué. Il le maintient avec une fermeté qui dégénère quelquefois en une sévérité excessive. La Porte avait promis de nouveau aux conférences d’Akierman de sanctionner cet ordre de choses ; mais la guerre actuelle est venue interrompre les lenteurs des négociations. L’arrangement définitif de tous les différends a été ajourné par un acte formel jusqu’après la cessation de celle guerre. Cependant les Serbiens attendent en armes les évènements. La puissance de Milosch se consolide de plus en plus. Dans l’assemblée générale de 1827, tous les knèzes, les anciens, les juges, les popes présents, signèrent au nom de la nation une pétition au sultan, dans laquelle ils lui demandent un métropolitain né dans le pays, et la reconnaissance de Milosch Obrenovitch en qualité de prince héréditaire ; et dans un second acte ils déclarent se soumettre à jamais au prince Milosch et à ses descendants.

 

 

Léopold RANKE.

 

Paru dans la Nouvelle Revue germanique en 1829.

 

 

 

 

 



1 Die serbische Revolution, aus serbischen Papieren und Mittheilungen, von Leopold Ranke, mit einer Charte von Serbien. Hamburg, bei Fried. Perthes, 1829, in-8o. Le professeur Ranke, de Berlin, s’est déjà fait connaître par un ouvrage très-estimé sur l’histoire des peuples romano-germanique, (Geshichte der romanischen und germanischen Völker). Après s’être livré pendant dix-huit mois à des recherches savantes, dans les archives et la bibliothèque impériale de Vienne, il est allé dans le même but à Venise, d’où il doit se rendre à Rome, pour explorer les richesses du Vatican. L’ouvrage dont nous donnons ici un extrait est un des fruits les plus précieux de son séjour à Vienne. Le récit de M. Ranke est puisé dans des documents originaux et dans les entretiens qu’il eut à Vienne avec Wuck Stéphanovitch, ancien secrétaire du prince serbien Milosch, éditeur des poésies serbiennes, poète lui-même, témoin et acteur dans la révolution qui fait le sujet de ce mémoire. Vuck Stéphanovitch, le confident de plusieurs des chefs serbiens, mit à la disposition de l’auteur tous les renseignements et tous les documents qu’il avait recueillis sur l’état de la nation avant l’insurrection, sur les personnages qui y prirent une part active et sur la marche des évènements.

2 Voyez Pertusier, La Bosnie, Paris, 1822.

3 Vialla de Sommières, Voyage au Monténégro.

4  On a dit à tort que c’était son beau-père ; c’était réellement son père, et, comme le fait observer notre auteur, moins d’amour rendrait l’action plus cruelle.

 

 

 

 

 

 

 

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