LE NOUVEL HOMME

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Louis-Claude de SAINT-MARTIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous ne pouvons nous lire que dans Dieu lui-même

et nous comprendre que dans sa propre splendeur.

Ecce Homo. p. 19.

 

 

 

1.

 

LA vérité ne demande pas mieux que de faire alliance avec l’homme ; mais elle veut que ce soit avec l’homme seul, et sans aucun mélange de tout ce qui n’est pas fixe et éternel comme elle.

Elle veut que cet homme se lave et se régénère perpétuellement et en entier dans la piscine du feu et dans la soif de l’unité ; elle veut qu’il fasse boire chaque jour ses péchés à la terre, c’est-à-dire, qu’il lui fasse boire toute sa matière, puisque c’est la ton vrai péché ; elle veut qu’il tienne sans cesse son corps prêt à la mort et aux douleurs, son âme prête à l’activité de toutes les vertus, son esprit prêt à saisir toutes les lumières, et à les faire fructifier pour la gloire de la source d’où elles lui viennent ; elle veut qu’il se regarde dans tout son être comme une armée toujours sur pied et prête à marcher au premier ordre qu’elle lui donnera ; elle veut qu’il ait une résolution et une constance que rien ne puisse altérer, et qu’étant prévenu qu’en avançant dans la carrière, il ne peut trouver que des souffrances, puisque le mal va s’offrir à lui à tous les pas, cette perspective ne l’arrête point dans sa marche, et qu’il ne porte pas moins sa vue exclusivement sur le terme qui l’attend à la fin de la course.

Si elle le trouve dans ces dispositions, voici les promesses qu’elle lui fait et les faveurs qu’elle lui destine. Car, à peine l’intérieur de l’homme s’ouvre-t-il devant elle, qu’elle est saisie d’un transport de joie, non-seulement comme la mère la plus tendre pour un fils qu’elle n’avait vu depuis longtemps ; mais comme le plus sublime génie à la vue de la plus sublime production qui, d’abord, lui paraît neuve, étrangère à son esprit et, pour ainsi dire, effacée de sa mémoire, mais qui bientôt lui fait unir l’amour le plus vif à cette profonde admiration, quand ce sublime génie vient à reconnaître que cette sublime production est son ouvrage.

À peine la vérité voit-elle naître ainsi le désir et la volonté dans le cœur de l’homme qu’elle s’y précipite avec toutes les ardeurs de sa vie divine et de son amour. Souvent même elle ne lui demande que de se priver de ce qui est nul, et pour ce sacrifice négatif elle va le combler de réalités. Les principales de ces réalités, c’est de commencer par lui donner les signes d’avertissement et de préservation, afin qu’il ne soit plus dans le cas de craindre comme Caïn et de dire : Ceux qui me rencontreront me tueront. Ensuite elle attache sur lui les signes de terreur, afin que sa présence devienne redoutable et qu’il fasse fuir ses ennemis ; enfin elle le décore des signes de gloire, afin qu’il puisse faire briller la majesté de son maître et recevoir partout les honorables récompenses qui sont dues à un fidèle serviteur.

C’est ainsi qu’elle traitera ceux qui auront pris confiance en la nature de leur être ; qui n’en auront pas laissé éteindre la moindre étincelle ; qui se seront regardés comme étant une idée fondamentale, ou un texte dont notre vie entière ne devrait être que le développement et le commentaire, de façon que tous nos moments devraient concourir à l’expliquer et à le rendre plus clair, et non pas à l’obscurcir, à l’effacer, et à le faire oublier, comme cela arrive presque généralement pour notre malheureuse postérité.

Pour coopérer à notre guérison, la vérité possède un médicament réel, et que nous sentons physiquement en nous lorsqu’elle juge à propos de nous le faire administrer. Ce médicament est composé de deux ingrédients en conformité de notre maladie, qui est une complication du bien et du mal, que nous tenons de celui qui ne sut pas se préserver du désir de connaître cette fatale science. Ce médicament est amer, mais c’est son amertume qui nous guérit, parce que cette partie amère, qui est la justice, s’unit à ce qu’il y a de vicié dans notre être, pour lai rendre la rectification ; alors ce qu’il y a de régulier et de vif en nous s’unit à son tour à ce qu’il y a de doux dans le médicament, et la santé nous est rendue.

Tant que cette opération médicinale ne se fait point en nous, c’est en vain que nous nous croyons sains et bien-portants ; nous ne sommes pas même alors en état d’user des aliments salutaires et purs, parce que nos facultés ne sont point ouvertes pour les recevoir. Ce n’est donc point assez pour notre rétablissement de nous abstenir des aliments malsains et corrompus, il faut encore que nous usions de ce médicament amer que les ministres spirituels de la sagesse font passer en nous, pour y occasionner une sensation douloureuse qu’on pourrait appeler la fièvre de la pénitence ; mais qui se termine par la douce sensation de la vie et de la régénération.

Les personnes qui sont dans la voie de la régénération, reçoivent et sentent ce médicament toutes les fois que l’ennemi les a touchées et est venu vicier quelque chose dans leur être. Les autres ne le reçoivent ni ne le sentent, parce qu’elles sont dans une continuité de dérangement et d’infirmité qui ne permet pas au médicament de les approcher.

Mais ce médicament est si nécessaire à notre rétablissement que ceux qui ne l’ont pas reçu ne peuvent pas manger utilement pour eux le pain de vie, et qu’ils ne deviennent point de l’or pur. Enfin il doit presser et travailler notre âme sans relâche, sans interruption, comme le temps travaille constamment tous les corps de la nature, pour les ramener à la pureté, à la simplicité, et à la vive activité de leurs principes constitutifs. C’est par là qu’il s’ouvre en nous une source vivante, qui est nourrie et entretenue par la vie même ; et c’est par ce moyen que nous parvenons à nous emparer d’une nature de joies qui ne passent point et qui établissent d’avance en nous à demeure l’éternel royaume de ce qui est.

Il est aisé de sentir que ce médicament ne doit pas être confondu avec les tribulations terrestres, avec les maux du corps, avec les injustices que nous pouvons recevoir de nos semblables et qui tiennent notre âme dans l’angoisse. Toutes ces choses sont ou pour la punition de l’âme, ou pour son épreuve, mais elles ne lui donnent qu’une sagesse temporelle ; or, nous ne pouvons recevoir la vie divine que par des préparations de son même ordre ; et le médicament dont nous parlons est cette exclusive préparation. Heureux celui qui persévérera jusqu’à la fin à le désirer et à le mettre à profit toutes les fois qu’il aura le bonheur de le sentir ! Il éprouvera par là que l’homme peut avoir de si grandes choses à dire, qu’il ne faut plus que ce soit lui qui les dise, qu’il doit attendre qu’on le lui fasse dire ou écrire.

Car la rosée que Dieu fait descendre dans l’homme est toute composée d’actions toutes vives, toutes formées, toutes complètes, comme d’autant de guerriers armés de pied en cap, ou comme d’autant de puissants médecins, portant dans leur main l’ambroisie, ou comme d’autant d’anges célestes tous rayonnants intérieurement et extérieurement, des saintes et pures lumières de la vie ; et l’homme destiné à être l’objet et le réceptacle de tant de bienfaits aperçoit par l’intelligence, au milieu de cette rosée sacrée, la main suprême du Dieu resplendissant de gloire qui veut bien le prendre pour le terme de cette incomparable munificence, tant il est vrai que la parole divine ne peut venir en nous sans créer à la fois tout un monde.

Mon Dieu, je sais bien que vous êtes la vie et que je ne suis pas digne que vous approchiez de moi, qui ne suis que souillure, misère, et iniquité. Je sais bien que vous avez une parole vive, mais que les ténèbres épaisses de ma matière empêchent que vous ne la fassiez entendre aux oreilles de mon âme. Faites-en néanmoins descendre en moi une assez grande abondance de cette parole, pour que son poids puisse contrebalancer la masse du néant dans lequel est absorbé tout mon être, et qu’au jour de votre universel jugement ce poids et cette abondance de votre parole puissent me soulever hors de l’abîme et me faire remonter vers votre sainte demeure ; placez dans les diverses régions et facultés qui me composent nombre d’ouvriers habiles et vigilants qui désobstruent les canaux de toutes leurs immondices, et qui brisent jusqu’au roc vif qui s’oppose à la circulation des eaux ; alors la vie de vos sources pures et actives entrera en moi et remplira mes fleuves jusqu’aux bords ; alors vous créerez un monde d’esprits dans ma pensée, un monde de vertus dans mon cœur, et un monde de puissances dans mon opération, et c’est le tout-puissant, le sanctificateur universel qui entretiendra lui-même tous ces mondes en moi, et qui les nourrira continuellement de ses propres bénédictions.

 

 

2.

 

Un secret à la fois immense et terrible a été communiqué dans l’Homme de désir, no 146, pag. 217. Et ce secret est que le cœur de l’homme est le seul passage par où le serpent empoisonné élève sa tête ambitieuse, et par où ses yeux jouissent même de quelque lumière élémentaire, car sa prison est bien au-dessous de la nôtre.

Ici nous osons communiquer un autre secret non moins profond, mais plus consolant, plus encourageant, et fait pour nous apprendre à nous respecter tant par rapport à la sainteté de notre origine qu’à la sublimité de l’œuvre que nous devons et que nous pouvons opérer sur la terre. Voici ce secret :

L’ami fidèle qui nous accompagne ici-bas dans notre misère est comme emprisonné avec nous dans la région élémentaire, et quoiqu’il jouisse de sa vie spirituelle, il ne peut jouir de la lumière divine, des joies divines, de la vie divine que par le cœur de ce même homme qui fut choisi pour être l’intermède universel du bien et du mal. Nous attendons de cet ami fidèle tous les secours, toutes les protections, tous les conseils qui nous sont nécessaires dans nos ténèbres, et toutes les vertus pour subir le décret de notre épreuve, à laquelle il n’a pas le droit de rien changer ; mais il attend de nous en récompense que par le feu divin dont nous devrions être embrasés nous lui fassions éprouver la chaleur et les effets de ce soleil éternel dont il se tient éloigné par la pure et vive charité qui l’anime en faveur de la malheureuse humanité.

C’est pour cela que J.-C. dit, dans S. Mathieu, 18, 10 : Ne méprisez aucun de ces petits, car je vous dis que leurs anges dans les cieux voient continuellement la face de mon père qui est dans les cieux. Ils ne voient la face de Dieu que parce que les enfants qu’ils accompagnent ont le cœur pur, et c’est le cœur pur de ces enfants qui sert d’organe à ces anges, puisqu’ils ne sont pas dans le ciel où est le père, mais réciproquement le cœur de l’homme n’est pur que quand il est fidèle à la voix de son ange ; c’est-à-dire, en d’autres paroles quand l’homme est redevenu enfant et qu’il fait en sorte que son ange ait la liberté de voir la face de Dieu.

Aussi y a-t-il un grand sens dans ces paroles de J.-C., même chapitre, verset 3 : Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. L’ange est la sagesse, le cœur de l’homme est l’amour ; l’ange est le récipient de la lumière divine, le cœur de l’homme en est l’organe et le modificateur. Ils ne peuvent se passer l’un de l’autre, et ils ne peuvent être unis que dans le nom du Seigneur, qui est à la fois l’amour et la sagesse, et qui les lie par là dans son unité. Nul mariage comparable à celui-là ; et nul adultère comparable à celui qui altère un pareil mariage ; aussi est-il dit, Matthieu, 18, 6, que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint.

On peut aussi trouver dans cette grande vérité le sens de ce passage, aimez votre prochain comme vous-même, et celui de l’autre passage qui nous apprend que c’est celui qui se fera le plus petit qui sera le grand. Tout est vif dans cette triple alliance, tout y est esprit, tout y est Dieu, tout y est parole : comment l’ennemi pourrait-il jamais en approcher ? Ô homme ! si tu aperçois le moindre rayon de cette haute lumière, ne perds pas un moment pour accomplir toutes les lois qu’elle t’impose et pour te rendre aussi vif, aussi actif, et aussi pur que les deux correspondances entre lesquelles tu te trouves placé ; ce sera le moyen d’accélérer ta régénération et de te préparer d’avance un lieu de repos pour le temps à venir. Tu es la lampe, l’esprit est l’air, la chaleur et le feu de la lumière divine sont renfermés dans l’huile ; l’air souffle sur toi pour te mettre en activité, et pour que tu lui transmettes la chaleur douce et vivante et la sainte clarté de cette huile qui doit nécessairement passer par toi pour lui parvenir.

Dans cette opération l’homme devient une véritable lumière au milieu des ténèbres ; il ne devient cette véritable lumière que parce qu’il manifeste le principe vivant qui veut bien la lui procurer et la faire passer par son cœur ; ainsi l’homme peut grandement se réjouir, mais il ne peut pas se glorifier ; enfin l’ange est comblé de consolations et de jouissances ; et, au moyen des joies divines que nous lui procurons, il se lie et s’attache d’autant plus à nous, tant par sa vive charité naturelle que par le besoin d’augmenter son propre bonheur. De son côté, la Divinité ne cherche continuellement qu’à percer de plus en plus dans le cœur des hommes pour étendre sa gloire, sa vie et sa puissance, et en remplir l’ange qui la désire si ardemment.

Y a-t-il donc rien au-dessus de la sublimité de notre sort qui nous destine à être le moyen de communication de la Divinité avec l’esprit ? Et pouvons-nous désormais nous permettre un moment de relâche dans une si sainte œuvre, puisque chacun des moments que nous perdons retarde l’accomplissements de ce trinaire actif qui représente spirituellement et en caractères distincts le ternaire éternel ? Enfin, puisque chacun de ces moments que nous perdons nous rend coupables envers Dieu, en ce que nous faisons manquer ses desseins ; envers l’esprit, en ce que nous le laissons sans nourriture ; et envers nous, en ce qu’indépendamment du tort que nous avons de ne pas remplir notre loi, nous nous détruisons nous-même, en nous privant de la double subsistance qui nous est accordée dans cette sainte fonction ; savoir, de la subsistance divine et de la subsistance spirituelle, lesquelles ne peuvent passer en nous sans nous vivifier d’une manière secrète et cachée pour nous ?

Car lorsque la vie divine passe en nous, elle y attire l’esprit, et lorsque l’esprit vient en nous, il y attire la vie divine ; là Dieu se spiritualise et l’esprit se divinise, et notre être reçoit alors cette nourriture ainsi préparée par la sagesse qui dispose toutes ses opérations pour le plus grand bien des êtres ; sans cela la Divinité nous consumerait, si elle y venait seule, et l’esprit ne nous nourrirait pas assez, s’il y venait seul à son tour, attendu que sans être Dieu, nous sommes cependant plus que l’esprit.

Cette loi qui nous est tracée pour opérer notre régénération nous indique assez clairement quelle était la loi qui devait accompagner notre destination primitive, puisqu’elle devait être encore plus étendue sans cependant changer de nature, car une loi n’en change point, quoiqu’elle se resserre, ou se retire quand les êtres se sont rendus absolument indignes qu’elle agisse encore sur eux ; ainsi puisque nous devons aujourd’hui faire parvenir la région divine jusqu’à notre ange, nous devions autrefois avoir le privilège de rendre le même service à un plus grand nombre d’êtres, et à des êtres qui fussent encore plus dans la privation que notre ange particulier ; enfin si nous pouvons aujourd’hui faire passer par nous quelques rayons du soleil divin, il faut que par notre nature originelle nous ayons eu le pouvoir de faire passer par nous la Divinité toute entière, et par conséquent nous ne pourrons nous croire régénérés que quand nous aurons atteint ce but immense qui est le terme final de notre être ; car, nous venons de le dire, une loi ne peut changer et, pour obtenir notre régénération, il faut que la Divinité toute entière pénètre notre être comme elle l’aurait fait primitivement, si nous eussions suivi ses desseins. Homme, apprends ici combien tu es loin de ton terme, et vois si cette perspective te peut laisser croire que tu doives languir dans l’inaction.

Nous voudrions n’avoir pas besoin d’appuyer tous ces grands principes par des démonstrations raisonnées de la nature spirituelle de l’homme et de la divinité de son origine, ces preuves étant déposées dans d’autres écrits ; mais si on ne les avait pas digérées avec assez de soin pour avoir chassé de soi tous les doutes, ce serait en vain qu’on voudrait nous suivre en ce moment : nous croyons donc devoir nous arrêter un instant à ces éléments qui ne sont que comme les très petits préliminaires des connaissances qui nous sont réservées ; car, nous aurons à exposer des vérités d’un autre rang.

 

 

3.

 

Lorsque nous avons dit, dans le numéro 1, que l’homme était une espèce de texte dont toute la vie devrait être le développement et le commentaire, nous n’avons fait que présenter sous d’autres mots la proposition suivante ; savoir, que l’âme de l’homme est une pensée du Dieu des êtres.

Quelque idée que le lecteur ait prise jusqu’ici de la nature de l’âme de l’homme, il n’en doit pas moins être persuadé que cette âme est impérissable ; car comment la pensée de Dieu pourrait-elle périr ?

Le matérialiste, l’athée même, s’il en existait, ne pourraient infirmer ce principe, car en leur accordant ce qu’ils soutiennent, c’est-à-dire que tout est matière, il n’en serait pas moins vrai que nous serions impérissables comme cette matière qu’ils veulent faire éternelle et immortelle, enfin comme cette matière qu’ils veulent faire Dieu, et dont nous serions toujours une nécessaire modification ; parce que ce qui est éternel ne peut pas faire des modifications qui soient passagères.

Il ne resterait donc plus qu’à observer attentivement s’il est vrai qu’il y ait en nous plus d’une seule substance ; c’est-à-dire, si dans nous tout est esprit, si dans nous tout est matière, ou si dans nous il y a de la matière et de l’esprit.

Or, ceux qui n’auraient pas senti leur véritable nature, je ne leur demanderais que de se regarder pour être à couvert des méprises. Car ce qu’ils appellent l’homme, dans ce qu’ils appellent le moral, dans ce qu’ils appellent le politique, dans ce qu’ils appellent la science, enfin dans ce qu’on pourrait appeler le chaos et le champ de bataille de leurs diverses doctrines, ils trouveraient tant d’actions doubles et opposées, tant de forces qui se combattent et se détruisent, tant d’agents clairement actifs et tant d’autres clairement passifs, et cela sans chercher même hors de leur propre individu, que sans pouvoir peut-être dire encore ce qui nous compose, ils conviendraient que sûrement en nous tout ne se ressemble pas ; et que nous n’existons que dans une perpétuelle différence, soit d’avec nous-même, soit d’avec tout ce qui nous entoure, et d’avec tout ce que nous pouvons atteindre et considérer. Il ne s’agirait plus ensuite que d’appuyer avec quelque soin sur ces différences pour en apercevoir le vrai caractère et pour classer l’homme dans son véritable rang en le comparant à une ligne droite à côté de laquelle se peuvent décrire et se décrivent en effet journellement une infinité de courbes, mais dont l’exclusive rectitude ne peut sans un grossier aveuglement se confondre avec ces courbes qui ne sauraient jamais lui ressembler ; ou si l’on veut, en le comparant à la durée inarrêtable qui conserve silencieusement son imperturbable existence au milieu de toutes les révolutions des êtres.

Ceci est suffisant pour montrer que nous pouvons nous dispenser de nous arrêter plus longtemps aux objections secondaires, avec lesquelles les hommes inférieurs s’aveuglent mutuellement tous tes jours ; nous avons un objet plus vaste à remplir que celui de nous occuper des obscurités volontaires qui ne viennent que de la frivole inattention du monde ; et cet objet, c’est de nous occuper des obscurités naturelles qui tiennent essentiellement à l’état terrestre de l’esprit de l’homme, mais bien plus encore de nous occuper des clartés et des lumières qui appartiennent à son indestructible essence ; car il y a plusieurs degrés dans les besoins de l’homme, et ce ne serait pas faire assez pour lui que de ne songer exclusivement qu’à celui de ses maux qu’il lui est possible de guérir lui-même, soit en se considérant de toute son attention, soit en usant des secours qu’on lui a déjà procurés. Répétons donc sans inquiétude cette assertion que l’âme de l’homme est une pensée du Dieu des êtres.

De cette sublime vérité il résulte une vérité qui n’est pas moins sublime, savoir, que nous ne sommes pas dans notre loi, si nous pensons par nous-même, puisque pour remplir l’esprit de notre vraie nature, nous ne devons penser que par Dieu, sans quoi nous ne pouvons plus dire que nous soyons la pensée du Dieu des êtres, mais nous nous déclarons être le fruit de notre pensée ; nous nous annonçons comme si nous n’avions pas d’autre source que nous-même, et comme si nous avions été notre propre principe, de façon qu’en défigurant notre nature nous anéantissons celui seul de qui nous la tenons : aveugle impiété qui peut éclairer sur la marche qu’ont suivie toutes les prévarications.

De cette sublime vérité que l’homme est une pensée du Dieu des êtres, il résulte une vaste lumière sur notre loi et notre destination ; savoir, que la cause finale de notre existence ne peut être concentrée dans nous ; mais qu’elle doit être relative à la source qui nous engendre comme pensée, qui nous détache d’elle pour opérer au-dehors ce que son unité insubdivise ne lui permet pas d’opérer elle-même ; mais ce dont elle doit être cependant le terme et le but, comme nous sommes tous ici-bas le but et le terme des pensées que nous enfantons, et qui ne sont qu’autant d’organes et d’instruments que nous employons pour coopérer à l’accomplissement de nos plans dont notre nous est perpétuellement l’objet ; c’est pour cela que cette pensée du Dieu des êtres, ce nous doit être la voie par où doit passer la Divinité toute entière, comme nous nous introduisons journellement tout entiers dans nos pensées, pour leur faire atteindre le but et la fin dont elles sont l’expression, et pour que ce qui est vide de nous devienne plein de nous ; car tel est le vœu secret et général de l’homme, et par conséquent tel est celui de la Divinité dont l’homme est l’image.

Cette opération s’accomplit par des lois de multiplication spirituelle de la part de la Divinité dans l’homme, quand il lui a ouvert sa vie intégrale ; et alors la Divinité développe en nous tous les produits spirituels et divins relatifs à ses plans, comme nous voyons que pour ce qui est relatif aux nôtres nous transportons constamment nos forces et nos puissances dans notre pensée, déjà produite, pour qu’ils puissent parvenir à leur parfait accomplissement ; mais avec la différence que les plans divins nous liant à l’unité même nous ouvrent des sources intarissables lorsqu’ils veulent bien nous associer à eux ; et comme ils sont vifs par eux-mêmes, ils opèrent en nous une suite d’actes vifs qui sont comme des multiplications de lumières, des multiplications de vertus, des multiplications de joies qui vont toujours en croissant ; c’est plus qu’une pluie d’or qui tombe sur nous, c’est plus qu’une pluie de feu, c’est une pluie d’esprits, de tout rang et de toutes propriétés ; car c’est une vérité déjà connue que Dieu ne pense point sans enfanter son image ; or il n’y a qu’un esprit qui puisse être l’image de Dieu ; c’est par là, dis-je, que nous recevons en nous des multiplications de sanctification, des multiplications d’ordination, des multiplications de consécration, et que nous pouvons les répandre à notre tour, d’une manière active, sur les objets qui sont hors de nous et sur les personnes qui nous approchent.

Un des signes de notre avancement dans ce genre, c’est quand nous éprouvons sensiblement que les choses de ce monde ne sont point et que nous pouvons les comparer physiquement avec les choses qui sont ; alors une seule sensation de la vie nous instruit plus que tous les documents, et renverse, comme par un pouvoir magique, tout l’échafaudage de la fausse philosophie ; car cette comparaison, quand nous avons le bonheur de la pouvoir faire, nous apprend quelle différence il y a entre une pensée vive du Dieu des êtres et cet assemblage confus et ténébreux de toutes ces substances mixtes, errantes, et muettes qui composent la région matérielle où nous sommes liés par les lois de notre corps. C’est là une opération indispensable pour être mis au rang des catéchumènes et pour mettre le pied sur le premier degré de la ligne sacerdotale.

Ô mon ami, allons ensemble dresser des autels au Seigneur ; va d’avance préparer tout ce qui nous sera nécessaire pour célébrer dignement les louanges de sa gloire et de sa majesté ; sers d’organe à mon œuvre pour l’annoncer au peuple, comme j’en dois servir à la Divinité pour annoncer à toutes les familles spirituelles les mouvements de la grâce et les vibrations de la lumière. Et toi, Dieu de ma vie, s’il te plaît jamais de me choisir pour ton prêtre, que ta volonté soit faite ! Toutes mes facultés sont à toi. Je me prosternerai dans mon indignité en recevant le nom de ton prêtre et de ton prophète : aide-moi seulement à ne pas rendre tes grâces impuissantes et à briser en moi tous les écueils que mes iniquités et mes faiblesses ont semés devant mon élection. Je n’oserais jamais de moi-même te demander que ta main reposât sur moi ; mais si par ta pure munificence, tu veux bien faire reposer ta main sur moi, je n’aurai aucun doute que tu n’opères dans mon être tout ce qui lui manque pour être utile à tes desseins, et je n’ai dans ce moment d’autre soin à prendre que de t’offrir le dévouement de ma fidélité à ton service et une universelle soumission à toutes les conditions que tu voudras mettre à notre alliance.

 

 

4.

 

L’homme qui, comme étant la pensée du Dieu des êtres, s’est observé au point d’avoir abandonné ses propres facultés à la direction et à la source de toutes les pensées, n’a plus d’incertitudes dans sa conduite spirituelle, quoiqu’il n’en soit pas à l’abri dans sa conduite temporelle, si la faiblesse l’entraîne encore dans des situations étrangères à son véritable objet ; car dans ce qui tient à ce véritable objet, il doit espérer les secours les plus efficaces, puisqu’en cherchant à le poursuivre et à l’atteindre, il suit la volonté Divine elle-même, qui le presse et l’invite de s’y porter avec ardeur.

Mais d’où lui vient cette manière d’être si avantageuse et si salutaire ? C’est que s’il parvient à être régénéré dans sa pensée, il l’est bientôt dans sa parole, qui est comme la chair et le sang de sa pensée, et que quand il est régénéré dans cette parole, il l’est bientôt dans l’opération qui est la chair et le sang de la parole. Non seulement l’esprit le pénètre, circule dans toutes ses veines, et se revêt de lui pour donner le mouvement à tous ses membres, comme nous faisons mouvoir à notre gré les vêtements dont nous nous couvrons ; mais tout en lui se transforme en substances spirituelles et angéliques, pour le porter sur leurs ailes vers tous les lieux où son devoir l’appelle ; c’est ainsi que le Juge souverain viendra un jour au milieu de ses saints et environné de millions d’anges, pour rétablir le règne de la vérité dans toutes les régions qui en seront susceptibles.

C’est alors que l’homme se trouve être, en esprit et en vérité, le prêtre du Seigneur ; c’est alors qu’il a reçu la vivifiante ordination et qu’il peut transmettre cette ordination sur tous ceux qui se consacrent au service de Dieu, c’est-à-dire, lier et délier, purifier, absoudre, plonger l’ennemi dans les ténèbres, et faire revivre la lumière dans les âmes ; car le mot ordination vient du mot ordinare, ordonner, qui veut dire remettre chaque chose à son rang et à sa place ; et telle est la propriété du Verbe éternel qui produit continuellement tout selon le poids, le nombre, et la mesure. Tel est enfin le zèle de la Parole pour cette œuvre sublime qu’elle se transformerait en homme elle-même pour venir nous ordonner et nous consacrer, s’il ne se trouvait point d’hommes qui pussent nous imposer les mains ; parce qu’elle sait qu’il faut ici-bas que les organes de la vérité soient corporisés humainement pour nous être utiles.

Ce n’est donc point un simple effet mystique, ni une simple opération métaphysique qui se passe en nous lorsque le Verbe Divin nous régénère et qu’il nous appelle par notre nom pour nous faire sortir de notre tombeau, c’est une œuvre vive et dont tout notre être spirituel et corporel éprouve physiquement la sensation, puisque cette parole est la vie et l’activité ; et lorsque Lazare sortit de son cercueil à la voix du Seigneur, ses membres n’éprouvèrent pas autant de cette sensation réelle, que nous en éprouvons dans notre régénération spirituelle, parce qu’après être descendu dans le tombeau, son âme passive, ne pouvant recevoir la sensation de la mort et de la froideur sépulcrale, ne pouvait pas non plus en faire la comparaison avec la sensation de la vie qui s’introduisait alors en lui et semblait le créer pour la première fois ; au lieu que notre âme immortelle ne descend point dans le lac de sa mort spirituelle sans en ressentir toute l’horreur ; et par conséquent lorsqu’elle recouvre la sensation de la vie, ce doit être avec une sensibilité inexprimable.

En effet, nous nous sommes laissé garrotter tout vifs et dans toutes nos facultés par les chaînes de l’ennemi : nous sentons que ces chaînes nous écrasent et nous ôtent tous nos mouvements ; si nous avions donc le courage de prononcer l’arrêt à cet ennemi et de lui déclarer que, conformément aux intentions de la volonté suprême et bienfaisante, nous sommes déterminés à rompre tous les liens dont il se sert pour nous retenir captifs, si nous lui annoncions fermement qu’il doit s’attendre que son règne sur nous va être détruit et qu’il nous est aussi aisé, par les secours Divins qui nous environnent, de briser ce règne qu’il nous est aisé de briser un brin de paille ; enfin, si cet arrêt étant prononcé nous n’oublions rien pour l’exécuter et pour persévérer avec constance dans cette indispensable et nécessaire résolution, il n’est pas douteux que nous verrions bientôt tomber à nos pieds toutes ces entraves qui nous gênent si horriblement, et que nous sentirions y substituer en nous, à la fois, tous les transports de la vraie vie, lesquels seraient d’autant plus actifs et délicieux pour nous que nous en aurions été plus dénués. C’est ce passage complet de la mort à la vie que l’âme de l’homme peut éprouver physiquement dans toutes ses facultés quand, en imitant la douce et humble simplicité du verbe et de la parole, il parvient à en recouvrer la force, la chaleur et la lumière.

Un mot de plus pourra peut-être aider à notre persuasion et augmenter notre courage pour travailler à cette grande entreprise ; ainsi nous ne le tairons point. L’homme sous les lois de sa matière est emprisonné et borné de tous les côtés ; il a fallu, pour le lier ainsi, qu’on rassemblât, dans une sorte d’unité, les puissances, les forces et les facultés qu’il avait laissé sortir de lui-même et qu’il avait disséminées dans toutes les régions pour y opérer le désordre de ses plans impies et mensongers. L’ennemi appuie encore sur les chaînes dont on l’a chargé, et cherche par là à traiter comme son jouet et sa victime celui qu’il a feint autrefois de vouloir traiter comme son ami. Mais ce double poids rassemblant et concentrant, de plus en plus, dans une unité, les puissances et facultés de l’homme, le rend, dans sa privation même, une nouvelle image de cette unité qu’il aurait dû représenter dans ses justes développements ; alors cette harmonie concentrée recouvrant naturellement une sorte de rapport avec l’harmonie supérieure et libre, elle l’attire insensiblement à elle, et elle en reçoit les secours dont elle est susceptible, selon sa mesure gênée et restreinte.

Il est donc vrai de dire que notre délivrance a commencé dès l’instant de notre punition ; il est donc vrai de dire que l’Agneau a été immolé dès le commencement du monde ; il est donc vrai que l’Écriture a raison de nous recommander les larmes et de nous féliciter de nos tribulations, puisque le médicament d’amertume est la seule voie que nous ayons de recouvrer le commencement de nos rapports avec notre unité harmonique et primitive ; enfin il est donc vrai que l’écriture a raison de nous enseigner que celui qui se fera humble et petit sera élevé.

Nous serions peu étonnés des merveilles sensibles et vives qui se passent en nous lors de notre régénération, si nous pénétrions un peu plus profondément que nous ne le faisons dans la connaissance et la nature de l’homme. Nous l’avons peint comme étant une pensée du Dieu des êtres, et nous avons dit que quand il parvenait à être régénéré dans sa pensée, il le devenait bientôt dans sa parole ; c’est donc à dire qu’alors il devient une parole du Dieu des êtres, comme il en était auparavant une pensée, et cela nous apprend par conséquent que dans l’origine il était à la fois une pensée et une parole du Dieu des êtres, et qu’il doit l’être encore aujourd’hui quand il a le bonheur d’être rétabli dans sa nature originelle.

Voilà le terme où doivent tendre tous nos efforts, et sans lequel nous nous flatterions en vain d’être avancés dans la carrière de notre retour vers notre principe. C’est aussi ce qui nous rétablit sur notre trône en mettant nos ennemis à nos pieds ; en même temps cela nous apprend que telle fut notre puissance autrefois, et que tel fut l’emploi que nous en aurions dû faire, puisqu’aujourd’hui nous pouvons la faire servir au même usage, en prononçant fortement cette parole interne qui constitue notre être et qui fait trembler nos ennemis. Ne cessons donc point de contempler ce but sublime et indispensable où nous devons tendre ; ne nous reposons point, n’épargnons aucuns de nos efforts jusqu’à ce que nous nous sentions renaître dans cette faculté vive qui est notre essence, et jusqu’à ce que, par sa forte vertu, nous ayons chassé de nous tous les vendeurs qui sont venus établir le siège de leur trafic jusques dans le temple.

Nous apercevrons, même dans cette occupation, une clarté aussi encourageante pour nous qu’elle est glorieuse pour le suprême auteur de notre existence ; c’est que si nous sentons que nous ne pouvons être régénérés qu’autant que nous sommes devenus une parole du Dieu des êtres, c’est une preuve que le Dieu des êtres est aussi, par lui-même, une parole vive et puissante, puisque nous sommes son image ; et dès lors notre similitude avec lui se présente à nous de la manière la plus naturelle, la plus instructive et la plus douce, puisqu’à tout moment nous pouvons nous convaincre de cette similitude et montrer que dans tous les instants nous tenons à Dieu comme Dieu tient à nous. Or, ce qui manifeste entièrement la gloire de ce Dieu suprême et la nature spirituelle de notre être, c’est que malgré la dignité et la puissance de la parole qui est en nous, nous ne pouvons en espérer la renaissance et le développement, qu’autant que la parole Divine, elle-même, vient ranimer la nôtre et lui rendre son activité comprimée par les chaînes de notre prévarication ; c’est enfin de sentir irrésistiblement que la parole est absolument nécessaire pour l’établissement de la parole ; axiome qui a passé dans les sciences humaines et dont l’empire indestructible s’est montré à ceux qui ne se sont même occupés que des langues conventionnelles.

Cet axiome, dis-je, renferme les vérités les plus essentielles, en ce qu’il nous enseigne d’abord que toute notre œuvre doit se passer dans l’intérieur de l’homme, comme dans le foyer invisible de notre vie divine ; et secondement que cette œuvre ne peut s’opérer véritablement que par la parole Divine, ou la Divinité elle-même.

Par ce moyen, notre intelligence nous défend de regarder comme une régénération pour nous tout ce qui ne tient qu’à des faits extérieurs dans lesquels notre essence intime n’est pour rien, puisque ces faits ne sont pas plus liés à nous que les ouvrages d’un peintre ne le sont à l’ignorant qui les regarde ; en outre, elle nous défend de regarder comme un moyen de régénération tous les agents secondaires et toutes les voies particulières où marchent tant d’hommes égarés, puisque toutes ces choses ne sont pour la naissance de notre intérieur que comme l’application extérieure de quelques médicaments pour un malade dont toute la masse du sang serait viciée. Ainsi, par ce moyen, notre intelligence nous préserve de grandes méprises au sujet de notre avancement, et de grandes idolâtries envers la Divinité.

 

 

5.

 

Cette renaissance de notre parole interne ne se borne pas à un simple effet partiel et concentré dans le seul point de notre être intérieur ; elle se propage dans toutes les régions qui nous constituent, et elle y ressuscite la vie à tous les pas ; elle semble donner les noms propres et actifs à toutes les substances spirituelles, célestes, élémentaires rassemblées en nous, et les rétablir dans la vivacité de leurs mouvements et dans le puissant exercice de leurs fonctions originelles, comme autrefois Adam imposait des noms à tous les animaux et introduisait sa vivante puissance dans toute la création et dans toutes les œuvres et productions de Dieu qui avaient été remises à sa libre administration. Or, ces deux témoignages, savoir, celui de notre expérience et celui de la tradition, nous apprennent que telle est la marche progressive de l’éternelle Divinité dans ses saintes opérations, restaurations, rectifications, où certainement la vie de sa parole Divine se répand successivement dans tous les êtres, dans toutes les productions qu’elle veut régénérer et qui ne résistent point à son action ; et si, par notre propre expérience et par la tradition des opérations d’Adam, nous savons que telle est la marche restauratrice de la parole Divine ; cela devient une nouvelle preuve pour nous que telle a été la marche créatrice de cette même parole, puisque les choses ne se régénèrent que par la même voie qui les a créées. Ainsi, St Pierre a raison de nous dire (actes 4 : 12) que nul autre nom sous le ciel n’a été donné aux hommes par lequel nous puissions être sauvés ; puisqu’avant St Pierre, St Jean nous avait déjà dit qu’au commencement était le Verbe, et qu’il était Dieu, et que rien n’a été fait sans lui de ce qui a été fait ; ainsi nous ne pouvons trouver de Dieu sauveur, de Dieu sanctificateur, et de Dieu fortificateur et revivificateur que dans le Dieu créateur, comme nous ne pouvons trouver de Dieu créateur que dans celui qui est par lui-même, dont la vie est l’éternité et dont l’éternité est la vie, quoique ces diverses puissances aient agi en divers temps et aient manifesté des propriétés différentes.

Si, comme nous l’avons vu, la parole est nécessaire pour l’établissement de la parole, et que par conséquent nous ne puissions être ressuscites dans notre parole que par le verbe, nous ne pouvons être ressuscités dans nos autres facultés que par des facultés analogues, dans notre pensée que par la pensée, dans notre mouvement que par le mouvement, dans notre vie que par la vie, dans notre esprit que par l’esprit, dans nos vertus que par la vertu, dans nos lumières que par la lumière ; ainsi nous devrions être dans une mobilité et activité continuelles, puisque les plus petits rayons de ce qui est en nous devraient perpétuellement être réactionnés par les étincelles similaires qui se dardent sans cesse hors du foyer éternel de la vie.

Tel est l’état de ceux qui après avoir vaincu le dragon sont montés après leur mort dans la région du repos et du bonheur ; tel est même l’état de ceux qui ici-bas ont rompu les chaînes de leur esclavage et ont ouvert toutes leurs facultés à celui qui ne demande pas mieux que de les pénétrer et de les remplir ; enfin tel est l’état de ceux sur qui l’esprit a imposé les mains, parce que par cette imposition des mains, il rassemble en eux dans une unité toute les subdivisions spirituelles qu’ils avaient laissé disséminer ; c’est même par ce moyen, et en vertu de l’unité indivisible dont cet esprit est dépositaire, qu’il les met dans le cas d’imposer les mains à leur tour sur leurs semblables, et d’y opérer les mêmes rassemblements qui se sont opérés en eux lors de l’imposition des mains de l’esprit ; et tel est l’objet du sacerdoce ; tels en sont les pouvoirs ; tels en sont les fruits pour ceux qui s’en sont rendus dignes et qui ont été compris dans la divine élection.

Ces fruits même ne paraissent plus avoir de bornes dès que le principe, après avoir été mis en activité, se transmet dans la même mesure et sans altération, parce qu’il agit toujours par la même loi, et toujours sur la même espèce de désordre qui n’est autre chose qu’une subdivision ; aussi c’est le même esprit qui, au physique et au moral, fait par l’imposition des mains que l’aveugle voit, que le sourd entend, que le boiteux marche, que le malade est guéri, que le mort ressuscite et que l’esclave est remis en liberté.

Charge-toi, ô mon Dieu de tout ce qui peut concerner mon élection ; je te dirai comme Moïse, que je ne puis que bégayer et que tout mon être est dans une universelle impuissance pour l’accomplissement des devoirs que tu imposes à un élu ; j’admire la gloire de tes prophètes et de tes serviteurs, mon âme tressaille de joie en sentant les douceurs et les consolations qui les attendent, mais si tu ne délies toi-même ma langue, si tu ne mets ton feu dans mon cœur et ta lumière dans mon esprit, si tu ne me traces ma route à chaque pas, et si tu ne me pousses pas toi-même dans ces sentiers que tu m’auras tracés, je demeurerai englouti dans ma faiblesse et je serai un être entièrement inutile à tes plans.

Hommes qui croyez à la vertu de la parole et aux prodiges qu’elle opère dans l’âme de l’homme quand elle le veut employer à ses diverses manifestations, croyez aussi à la progression de ses puissances et à l’accroissement quoiqu’invisible des diverses actions qu’elle a dessein de faire fructifier dans le champ de la mort que nous habitons. Car cette parole est vive par elle-même et, quoiqu’elle soit fixe, et en quelque façon immobile dans la centre de son essence, les mouvements qu’elle opère ne peuvent pas être bornés et fixés à demeure dans les localités du temps. Nous voyons combien cette vérité se démontre sur nous-même par les progressions que notre esprit parcourt et qui font que notre vie entière semble n’être qu’une suite d’accroissements, dans lesquels les dons et les vertus d’une époque disparaissent et sont remplacés par les dons et les vertus de l’époque suivante.

Voilà pourquoi les actions que la sagesse envoie dans notre région n’y restent point, au moins sous la même forme, et pourquoi l’homme s’abuse quand il regarde ces actions comme devant être sensiblement permanentes ; car dès qu’il leur imprime par sa pensée ce caractère de stagnation, il n’en peut plus retirer de fruit puisque la stagnation opérerait la mort et que tout doit être esprit et mouvement or le mouvement de l’esprit est comme celui du feu il se fait en ascension il se fait dans la ligne droite et il échappe bientôt à notre vue. Mais cependant ces diverses actions ne tendent qu’à nous conduire un jour par leurs différents degrés temporels au vrai repos dans le centre de la parole éternelle.

Hommes qui croyez que l’homme est non-seulement une pensée, mais aussi une parole du Dieu des êtres, vous ne pouvez vous dispenser de croire que l’homme est également une des opérations divines de cet Être éternel. Si cela n’était pas ainsi, vous seriez des êtres incomplets ; vous ne seriez pas l’image parfaite de Dieu, puisque Dieu est à la fois la pensée, la parole et l’opération éternelles ; enfin vous ne pouvez douter que vous ne deviez être une de ses opérations, puisque vous cherchez vous-même continuellement à réaliser vos paroles par vos œuvres, comme vous cherchez à réaliser vos pensées par vos paroles.

Mais de même que votre pensée et votre parole ne peuvent renaître sans la pensée et sans la parole supérieures, de même votre opération spirituelle ne peut vous être rendue que par l’opération de l’esprit sur vous, et c’est ce que nous avons ci-dessus montré comme étant l’imposition des mains ; opération qui est un acte de restauration dans toutes les élections que Dieu a faites, en envoyant son esprit sur des hommes choisis ; mais qui est plus que restauratrice dans ce qui concerne votre essence, puisque c’est cette triple action de la divinité qui vous constitue, et qu’il ne suffit pas que la divinité pense l’homme, et qu’elle parle l’homme, mais qu’il faut encore qu’elle opère l’homme.

Ainsi nous ne devons être autre chose continuellement que l’effet réel de ces trois actes ; et la différence qu’il y a de Dieu à nous, c’est qu’il est un Dieu pensant, un Dieu parlant, un Dieu opérant, et que nous, nous sommes un Dieu pensé, un Dieu parlé, un Dieu opéré ; et telles sont les merveilleuses puissances, lumières, vertus destinées à nourrir notre être. Enfin tels sont les trésors qui sont promis à notre âme, puisque nous avons annoncé ci-dessus que la Divinité devait nous traverser toute entière pour pouvoir s’étendre jusqu’à l’ami fidèle qui attend de nous cette divine nourriture, et pour qu’intérieurement et extérieurement nous puissions remplir les plans originels de notre principe.

 

 

6.

 

Mais quelle terrible opération doit se faire en nous avant que cette Divinité toute entière nous traverse dans sa splendeur et dans sa joie ! Il faut auparavant qu’elle nous traverse dans son ignominie et dans sa douleur ; il faut que le Dieu souffrant passe tout entier au travers de l’âme concentrée et comme pétrifiée par le crime et l’insensibilité. Âme de l’homme, abîme-toi ici, dans ta détresse, et prépare-toi à l’opération la plus douloureuse. Il faut que le Dieu souffrant te pénètre et se fasse jour au travers de tes substances les plus épaissies et les plus dures, pour te rendre ta primitive existence ; tu ne pourras jamais être régénérée complètement si l’opération n’est pas universelle et si le Dieu souffrant dans sa pensée, dans sa parole et dans son œuvre ne traverse tout entier ta pensée, ta parole et ton opération.

Amertume corporelle, amertume spirituelle, amertume divine, venez vous établir dans notre être, puisque vous êtes devenues l’indispensable aliment de nos ténèbres et de notre infirmité. Que l’amertume spirituelle du calice se joigne à notre amertume spirituelle particulière, et forme ainsi ce médicament actif et salutaire qui doit ronger toutes nos fausses substances pour laisser revivre nos véritables substances amorties ! Malheur à qui voudra repousser de lui ce médicament régénérateur ! Il ne fera qu’accroître ses maux et les rendre peut-être un jour inguérissables. Car telle est cette pénitence qui seule peut faire ressusciter l’esprit en nous, comme l’esprit peut seul y faire ressusciter la parole et la parole y faire ressusciter la vie divine, attendu qu’aujourd’hui rien ne peut plus s’opérer que par des concentrations, puisque tel a été le principe de l’origine des choses, tant physiques que spirituelles ; telle est, dis-je, cette pénitence qui donne à l’homme la puissante tranquillité de la confiance et la terrible force de la douceur, choses si inconnues aux hommes du torrent, qui n’ont que le courage du désespoir et que la force de la colère. C’est-là cette pénitence par laquelle le pasteur daigne venir se revêtir de nous qui sommes des loups, afin de sauver de nos dents la malheureuse brebis que nous dévorons ; tandis qu’avec la pénitence humaine et extérieure, c’est le loup même qui se revêt de la peau du berger afin de dévorer à la fois et la brebis et le pasteur, en les séparant l’un de l’autre. C’est là cette pénitence qui efface en nous non-seulement les taches du péché, mais jusqu’au et à la connaissance du péché.

Ouvrons donc notre être à ce puissant médecin qui veut nous procurer la vie dont il jouit et dont il est lui-même la source, et prêtons-nous, avec action de grâce, à tous les détails de ses procédés et de ses opérations curatives ; car s’il parvient une fois à pénétrer en nous et à y faire sa demeure, il traversera bientôt toutes nos substances par son action toujours opérante, qui fera sortir de tout notre être mille rayons de lumière dont cette action est en même temps le foyer et la source.

Mais si avant que la Divinité nous pénètre et nous traverse dans sa splendeur et dans sa gloire, il faut qu’elle nous traverse dans son ignominie et dans sa douleur, il est nécessaire aussi qu’elle fasse en nous une première opération et cette opération, c’est de nous faire annoncer par l’ange que l’esprit saint doit survenir en nous, que la vertu du Très-Haut nous couvrira de son ombre, et que c’est pour cela que le saint qui naîtra de nous sera appelé le fils de Dieu ; or pour que cette annonce puisse nous être faite, il faut que nous soyons renouvelés dans la véritable innocence et que trois vierges plus anciennes que Marie nous aient purifiés dans notre corps, notre âme, et notre esprit ; c’est-à-dire qu’elles nous aient rendus vierges comme elle. Lorsque par notre constance et nos efforts nous avons recouvré cette triple virginité, l’annonciation se fait en nous, et nous ne tardons pas à nous apercevoir que la conception sainte s’y est faite aussi, ce qui nous met dans le cas de chanter le cantique de Marie, lorsque nos proches nous saluent et nous bénissent sur le fruit de nos entrailles, comme Marie fut saluée et bénie par Élisabeth.

Dès que cette conception est formée en nous, il n’y a pas de soins que nous ne devions prendre pour la conduire heureusement à son terme, comme dans l’ordre matériel nous veillons sur les jours et la santé d’une épouse chérie qui nous donne l’espoir qu’elle deviendra mère. Nous devons épier avec attention tous les mouvements qui se font en nous, et jusqu’aux moindres affections spirituelles et vraies qui nous sont suggérées ; nous devons n’en négliger aucune, et tout sacrifier pour les satisfaire, afin que par nos négligences, ou notre parcimonie qui n’est autre chose que notre paresse, nous ne soyons pas dans le cas de nuire à la croissance de notre fils ; mais défendons-nous aussi soigneusement de tous les mouvements faux qui ne tiennent qu’à la fantaisie ; car nous prêterions par là des puissances à notre ennemi qui ne manquerait pas de s’en servir pour poser ensuite son sceau et son caractère sur quelques parties du corps de notre reproduction. Imitons donc en tout la nature qui emploie tous ses efforts pour faire fructifier ses productions, quand par notre faute nous ne gênons pas ses opérations.

Ce n’est qu’une seule et même puissance, qu’un seul et même amour qui opère notre reproduction corporelle, et qui prend soin de l’entretenir et de la conserver. Faisons en sorte qu’à son image la puissance et l’amour divin qui opèrent en nous la conception spirituelle nourrissent eux-mêmes leur propre fruit ; que la même main qui aura semé cette plante en nous l’arrose journellement et en écarte tout ce qui peut lui être préjudiciable ; ne craignons ni les inquiétudes, ni les dégoûts, ni les vomissements, ni les insomnies ; ce sont toutes ces souffrances qui facilitent l’accroissement de notre fils, et il est impossible qu’il acquière sans cela une juste et solide conformation.

Disons à notre ennemi : c’est le Dieu souffrant qui veut lui-même élever en moi son édifice ; c’est le Dieu souffrant qui veut le soutenir lui-même, tu ne pourras jamais le renverser. Plus le Dieu souffrant s’approchera de moi, plus je serai en sûreté contre les attaques, parce qu’il prendra lui-même sur lui le fardeau que je ne pourrais pas porter ; quoique je sois suspendu au-dessus de l’abyme comme par un fil, quoique j’habite au milieu des lions voraces et des serpents sifflants et meurtriers, il est près de moi ce Dieu souffrant, il est conçu en moi ce Dieu souffrant, et d’un seul de ses mouvements, quelque faible qu’il soit, il me séparera lui-même de tous ces insectes et reptiles venimeux dont les iniques séductions ont fait revêtir corporellement la malheureuse postérité de l’homme. Ce Dieu souffrant ne cherche qu’à faire entrer en moi sa chair, son sang, son esprit, sa parole, pour y introduire enfin le nom puissant qui a tout créé et qui veut aussi créer tout dans moi ; il veut me faire planer avec lui dans la région de la vie, afin que je sois dans l’impossibilité de retomber dans les précipices et dans les régions de la mort.

Pernicieux ennemi de l’homme, tu occasionnes bien aussi des souffrances, mais c’est en opérant une contraction de la puissance désordonnée et mensongère contre les lois éternelles de la vérité et contre l’ordre immuable des choses ; aussi tes succès, quand tu l’emportes, entraînent l’homme dans le néant, la mort et les ténèbres. Mais lorsque le Dieu souffrant s’approche de nous et nous occasionne des douleurs, c’est en opposant la mesure, l’ordre et la vérité, aux désordres et aux irrégularités que tu sèmes journellement dans les hommes et que tu y entretiens. Aussi la contraction que ce Dieu souffrant opère dans ceux qui la désirent et qui y concourent, se termine toujours par la joie, le bonheur et la lumière.

C’est en effet par ces douces consolations que se terminera le cercle des choses pour ceux qui auront su laisser entrer en eux le Dieu souffrant ; car le cercle des choses n’est composé que d’êtres en contraction et en souffrance, ce qui fait que l’univers entier nous montre le Dieu souffrant, aussi bien que le peut faire l’état pénible de notre âme. C’est ce qui fait aussi que nous ne devrions considérer qu’avec respect et reconnaissance tous les objets que cette nature renferme, puisque le moindre d’entre eux est le fruit de la charité divine, qui ne cesse de modifier son amour selon toutes les voies possibles, afin de faire parvenir sa force, sa vie et sa lumière jusques dans nos régions les plus matérielles et les plus ténébreuses. Heureux celui qui aura considéré l’univers sous cet aspect et qui aura recueilli par ce moyen un assez grand nombre de ces étincelles divines, pour lui promettre un flambeau au dernier jour !

 

 

7.

 

La sagesse conduit l’homme par des degrés insensibles afin de ne pas l’effrayer par l’immensité de la tâche qu’il a à remplir. Aussi commence-t-elle par dire à l’homme qu’il doit servir d’organe et de passage à la Divinité toute entière, s’il veut que son ange jouisse de la paix et des félicités Divines. Cet avis est si consolant que l’âme de l’homme en est comme absorbée dans l’admiration et dans la joie. Elle pleure de regret, elle pleure d’espérance : c’est comme si l’image Divine elle-même était venue se dessiner sur toutes ses substances et qu’elle eût senti la douce chaleur de la main qui a conduit le pinceau ; mais comme c’est là le terme final de l’œuvre, cette sagesse nous apprend bientôt qu’avant d’atteindre à cet heureux terme, nous devons voir passer en nous le Dieu souffrant, puisque lui seul peut enchaîner tous les lions voraces et tous les serpents qui circulent en nous et ne cessent de nous effrayer par leurs sifflements, ou de nous empoisonner par leur venin.

La sagesse ne nous découvre ce grand combat que le dernier, afin qu’étant préparés d’avance par les douceurs qui nous sont promises dans le Dieu bienfaisant, et par les moyens qui nous sont offerts dans le Dieu souffrant, nous puissions nous lancer plus courageusement dans le champ de bataille et nous flatter de remporter la victoire : car ce n’est qu’après cette victoire que se tracent en nous les plans du temple et les différentes divisions qu’il renferme, parmi lesquelles il en est une par où le Saint des Saints se communique à nous, comme il se communiquait au grand prêtre dans le temple de Jérusalem ; ce n’est qu’alors que se confirme en nous, et l’annonciation de la part de l’ange, et la conception par l’opération de l’Esprit-Saint, d’où nous pouvons espérer un heureux enfantement Divin, si nous remplissons toutes les conditions dont nous avons déjà parlé à ce sujet, et qui nous sont imposées à la fois par la sagesse et par le besoin de notre propre régénération.

Ce n’est pas que, par notre victoire sur ces animaux féroces qui tendent journellement à nous dévorer, nous les ayons entièrement séparés de notre cercle et qu’ils ne soient plus liés à notre existence : non, ils y sont liés par la nature de notre chair et de notre sang ; et ils sont destinés à être entraînés avec tout notre être dans le cercle passager que nous parcourons, comme l’abîme est entraîné avec l’univers dans le vaste cercle du temps ; mais de même que cet abîme est entraîné avec l’univers sans lui nuire et sans gêner la marche de ses opérations et l’accomplissement de ses lois, de même la région de nos animaux dévorants doit être entraînée avec nous sans se mêler aux fonctions de notre esprit, et comme occupant une demeure séparée, cette région n’existant pour nous que comme l’abîme pour l’univers, c’est-à-dire, pour faire le contrepoids et pour que nous ne remontions pas dans la région de la vie avant d’avoir eu le temps de purger nos éléments spirituels, sans quoi nous ne serions pas admis dans son sein.

C’est pourquoi nos prières ne sont encore que des gémissements, des lamentations, et des invocations, au lieu d’être des contemplations, des commandements, des actions de grâce, et des jouissances, comme elles auraient dû l’être dans l’origine, et comme elles le seront à la fin de toutes choses, pour ceux qui se seront dévoués au maintien de la justice et à l’observation des lois du Seigneur.

Car, lorsque le premier homme fut créé, Dieu ne lui dit point de se lamenter et de passer sa vie dans les larmes, il lui dit qu’il l’établissait sur tous les ouvrages de ses mains ; il lui dit de donner des noms à tous les animaux ; il lui dit de remplir la terre et de la dominer ; mais après sa chute, la terre est maudite, il ne doit plus manger son pain qu’à la sueur de son front ; ainsi la famille humaine n’a plus de ressource et de salut que dans la supplication et le recours à la miséricorde du Seigneur, d’autant que les nouvelles prévarications des générations successives ne font qu’accroître les maux et la misère de l’homme.

Aussi tous les envoyés ne lui prêchent-ils autre chose que de travailler à l’absolu dépouillement de l’homme de péché, afin que par ses soupirs et ses sanglots, il puisse obtenir que la parole créante, souffrante, sanctifiante, multipliante, vienne fonder en lui sa demeure, comme n’y trouvant rien qui la gêne, qu’elle puisse parler pour lui dans tout ce qui le constitue et dans tout ce qu’il a à manifester, c’est-à-dire, qu’elle parle dans la pensée de l’homme, qu’elle parle dans la parole de l’homme, qu’elle parle dans toutes les affections de l’homme, qu’elle parle dans tous ses mouvements, dans toutes ses vertus, dans tous ses éléments, dans son sang, dans sa chair, dans tous les organes de sa vie, dans les aliments dont il se nourrit, dans toutes les substances qu’il emploie à ses besoins ; et enfin, qu’elle fasse de l’homme une oraison universelle ; en un mot, il faut que nous soyons dévorés comme une proie par toutes les puissances du Seigneur, avant qu’il trouve en nous sa joie et sa consolation, et que, nous ayant consumés en lui-même par le feu créateur de sa propre vie, il nous rende de nouveau cette primitive existence libre et joyeuse où nous n’avions à former que des prières de jubilation.

Ô vous, instituteurs humains, combien vous repentirez-vous un jour d’avoir abusé les âmes en les menant par des voies nulles, figuratives, et illusoires qui leur auront donné un calme trompeur, en leur procurant des joies extérieures et en leur communiquant des ombres de vérités qui les auront empêchées de travailler au renouvellement du centre de leur être ! Toutes vos associations emblématiques ne leur auront point communiqué la vie puisqu’elles ne l’ont point elles-mêmes. Vos associations pratiques leur auront encore été plus funestes, si ce n’est pas l’esprit qui les a convoquées, assemblées, constituées, et sanctifiées par ses larmes et les prières de sa douleur ; et où sont-elles ces associations qui nous seraient si salutaires !

Oui, instituteurs aveugles, ignorants, ou présumant trop de vos forces et de vos lumières, vous vous repentirez un jour d’avoir abusé les âmes. Ce n’était point assez que par l’effet du crime primitif elles fussent sous le joug du septénaire temporel qui les distrait et les détourne continuellement de la simplicité de leur ligne, vous les aurez encore plus attirées à l’extérieur par toutes vos images et vos symboles, et vous aurez fini peut-être par les diviser entièrement, en les éloignant tout-à-fait de ce point central et invisible qui est le seul lieu de ralliement que nous ayons ici-bas dans nos ténèbres. Car l’âme mal dirigée augmente encore ses entraves et la désemboîture de ce septénaire temporel : c’est ce qui fait que par notre force et notre impatiente puissance nous rendons nous-même notre existence cent fois plus malheureuse que celle des bêtes.

Vous resterez vous-mêmes alors sous le joug de ce septénaire temporel, jusqu’à ce que les âmes que vous aurez égarées aient pu recouvrer leur propre centre particulier, afin qu’elles puissent ensuite recouvrer leur centre général ; et vous frissonnerez de honte et de désespoir, tandis que si vous aviez eu plus de confiance à l’esprit, vous auriez avoué qu’il n’avait pas besoin de vos moyens factices et détournés pour se répandre ; et que si vous aviez eu plus de bonne foi, vous auriez dit qu’il fallait commencer par chercher vous-même à avoir l’esprit, avant de vouloir mener les autres à un esprit que vous n’aviez point.

Oh ! mes amis, prenons garde à un autre danger qui nous menace tous : c’est d’être traités comme ceux à qui on redemandera le sang des prophètes ; non pas que nous leur ayons ôté la vie temporelle, mais pour n’avoir pas profité de leur esprit plus que les nations auxquelles ils avaient parlé, ni plus que les hommes du torrent ; car cet esprit des prophètes est leur véritable sang que nous versons tous à tous les instants, quand nous ne suivons pas les leçons qu’ils nous ont données, et qu’au bruit de leurs menaces nous ne rentrons pas sous la domination exclusive du seul et souverain être qui est jaloux de tout gouverner lui-même, comme étant le seul qui ait pu tout créer ; oui, voilà ce véritable sang qui sera demandé à la famille humaine, non-seulement depuis le sang d’Abel jusqu’à celui de Zacharie ; mais encore depuis celui de Zacharie jusqu’à celui qui sera également versé et profané pendant toute la durée des siècles. Voilà ce sang que versent tous les jours les Pharisiens, les Scribes, et les docteurs de la loi qui étouffent sans cesse l’esprit du prophète, non-seulement sous le poids de la lettre, mais sous le poids de leurs hypocrites et frauduleuses interprétations, et sous celui de leurs superstitieuses traditions dans lesquelles la vérité va toujours en descendant.

Veillons donc jour et nuit pour que ce sang de l’esprit nous soit profitable, veillons pour qu’on ne nous reproche pas un jour de l’avoir laissé perdre et couler en vain ; veillons, car c’est ce sang qui doit servir à la formation et à la nourriture du fils spirituel conçu en nous par l’opération de la sagesse sainte.

 

 

8.

 

Quand l’homme prie avec constance, avec foi, et qu’il cherche à se purifier dans la soif active de la pénitence, il peut lui arriver de s’entendre dire intérieurement ce que le Réparateur dit à Céphas : Tu es pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront jamais contre elle. Cette opération de l’esprit dans l’homme nous apprend quelle est la dignité de l’âme humaine, puisque Dieu ne craint point de la prendre pour la pierre fondamentale de son temple ; elle nous apprend combien nous devons nous nourrir de douces espérances, puisque cette élection nous met à couvert des puissances du temps, et plus encore des puissances des ténèbres et des abîmes ; elle nous apprend enfin ce que c’est que la véritable Église, et que, par conséquent, nulle part il n’y a d’Église où cette opération invisible de l’esprit ne se trouve pas.

Mais remarquons pour quelle raison cette opération de l’esprit constitue la véritable Église ; c’est que c’est la parole éternelle qui se grave elle-même alors sur la pierre fondamentale qu’elle choisit, comme le Réparateur gravait sa propre parole sur l’âme de St-Pierre à qui il parlait face à face, sans l’impression de cette parole Divine sur notre âme, l’Église ne s’élève point ; comme nous voyons que dans l’ordre temporel les édifices que les rois se proposent de bâtir ne commencent à s’élever que lorsque, d’après l’usage reçu, le nom du fondateur est inscrit sur la première pierre qu’il est censé par-là avoir posée lui même.

Dès ce moment nous nous trouvons engagés à veiller soigneusement à la construction spirituelle qui nous est confiée ; construction qui doit d’autant plus nous attrayer que nous en trouvons en nous tous les matériaux, et que, sous l’inspection, et avec l’aide de celui qui nous a fait cette annonce, nous pouvons devenir à la fois l’architecte, le temple, et le prêtre par qui le fondateur Divin y sera honoré : nous devons, comme un artiste zélé et reconnaissant, tracer sur toutes les parties de notre édifice le nom de celui qui nous emploie, et ne pas oublier un seul instant que ce nom sacré, inscrit sur la pierre fondamentale, est aussi celui qui doit accompagner tous les accroissements que l’Église va prendre en nous, marquer les décorations extérieures et intérieures, régler les divisions du temple, fixer ses horizons, et prescrire tous les détails du culte qui doit y être éternellement célébré.

En un mot, l’idée de cet être puissant doit désormais devenir aussi inséparable de notre œuvre que la pensée l’est de nos paroles et de toutes les opérations qui en sont les fruits. Lors même que nous nous sentons contrariés dans notre entreprise ou que nos forces se ralentissent, nous avons le droit d’interpeller par ses propres paroles celui qui nous a dit qu’il voulait fonder sur nous son Église ; nous avons droit de lui rappeler que sa parole ne peut pas passer ; comme l’a promis Isaïe 55, 11 : Ma parole qui sort de ma bouche ne retournera point à moi sans fruit ; mais elle fera tout ce que je veux, et elle produira l’effet pour lequel je l’ai envoyée. C’est honorer Dieu que de se servir ainsi des titres qu’il nous donne envers lui, et il ne demande pas mieux que de nous voir en faire un pareil usage ; et la preuve que c’est l’honorer que d’agir ainsi, c’est que nous ne tardons pas à recevoir le prix de notre confiance, et que la paix et la lumière renaissent bientôt dans notre être, quand nous avons employé ce moyen.

Réveille-toi donc, homme, chaque jour avant l’aurore pour accélérer ton ouvrage. C’est une honte pour toi que ton encens journalier ne fume qu’après le lever du soleil. Ce n’est point l’aube de la lumière qui devait autrefois avertir ta prière de venir rendre hommage au Dieu des êtres et solliciter ses miséricordes, c’est ta prière qui devait elle-même appeler l’aube de la lumière et la faire briller sur ton œuvre, afin qu’ensuite tu pusses du haut de cet orient céleste la verser sur les nations endormies dans leur inaction et les arracher à leurs ténèbres. Ce n’est que par cette vigilance que ton édifice prendra son accroissement et que ton âme pourra devenir semblable à l’une de ces douze perles qui doivent un jour servir de portes à la ville sainte.

Car l’âme de l’homme a été produite pour servir à la fois de réceptacle et d’intermède à la lumière ; et de même que des vases transparents et remplis d’une eau limpide nous transmettent la douce et vive émanation de ces rayons nombreux qui se sont rassemblés et préparés dans leur sein, de même notre âme doit embrasser les rayons de l’infini qui sortent du centre de la ville sainte et les unir à nos propres facultés qui sont finies, afin que par cette divine alliance, étant nous-mêmes vivifiés et rendus resplendissants par la clarté de ces rayons, nous puissions la faire sortir de nous, plus rassemblée, plus tempérée, et plus appropriée aux besoins des peuples que quand elle agit dans sa libre dispersion et dans sa vaste immensité ; et tel sera l’emploi et la destination des portes de la Jérusalem future.

Ne te relâche donc point, homme de désir, car le Dieu des êtres lui-même ne dédaigne pas de venir faire alliance avec ton âme, il ne dédaigne point de venir opérer avec elle cette divine et spirituelle génération dans laquelle il t’apporte les principes de vie et veut bien te laisser le soin de leur donner la forme. Si tu voulais t’observer avec attention, tu sentirais tous ces principes divins de l’essence éternelle délibérer et agir puissamment en toi chacun selon leur vertu et leur caractère ; tu sentirais qu’il t’est possible de t’unir à ses suprêmes puissances, de devenir un avec elles, d’être transformé dans la nature active de leur agent, et de voir toutes tes facultés s’accroître et s’aviver par de divines multiplications ; tu sentirais ces divines multiplications continuer et s’étendre journellement en toi, parce que l’impression que les principes de vie auraient transmise sur ton être les y attirerait de plus en plus, et qu’à la fin ils ne feraient plus que s’attirer véritablement eux-mêmes en toi, puisqu’ils t’auraient assimilé à eux.

Tu pourrais alors te faire une idée de ces joies futures dont tu goûterais déjà les prémices ; tu aurais de délicieux pressentiments, que grâces aux miséricordieuses faveurs de celui qui t’a créé et qui veut bien te régénérer, ton entrée dans la vie t’est comme cautionnée par lui, et que tu peux dire avec une sainte sécurité inspirée par lui : Mon âme ne m’a point été donnée en vain ; il a daigné la faire renaître pour l’appliquer à l’œuvre active à laquelle ma sublime émanation me donnait droit de prétendre ; et il me promet encore de me faire recueillir un jour les fruits du champ que lui-même a bien voulu cultiver par mes mains. Que ce Dieu de toute puissance et de toute consolation soit à jamais honoré comme il devrait l’être, et comme il le serait des hommes, s’il leur était plus connu !

Nous pouvons donc déjà apercevoir les biens qui nous sont promis si nous persévérons à nourrir en nous l’esprit de douleur, ou plutôt la douleur de l’esprit, c’est-à-dire cette pénétrante amertume attachée au médicament spirituel par où doit commencer toute notre œuvre ; car n’oublions pas que nous sommes encore dans les déserts et que nous n’entrevoyons la terre promise que sur les récits et les images que nous en offrent les fidèles envoyés qui l’ont parcourue ; et s’il est consolant pour nous d’avoir à attendre un si magnifique héritage, ne perdons pas de vue le seul chemin qui puisse nous y conduire.

Disons-nous sans cesse les uns aux autres : le médicament spirituel veut nous rendre la santé et la vie ; le Dieu universel veut passer tout entier par notre être afin de parvenir jusqu’à l’ami qui nous accompagne ; il veut y passer souffrant, avant d’y passer dans sa gloire ; il veut rompre les liens qui nous enchaînent dans la caverne des lions et des bêtes féroces et venimeuses ; il veut régénérer notre parole par l’impression de sa propre parole ; il veut fonder sur notre âme son Église, afin que les portes de l’enfer ne prévalent jamais contre elle ; il veut s’unir à nous pour opérer avec nous une génération spirituelle dont les fruits soient aussi nombreux que les étoiles du firmament, et puissent comme elles faire briller universellement sa lumière ; et tous ces biens qu’il veut nous procurer, il veut les réaliser en nous par l’annonciation de son ange et par la sainte conception de son esprit, puisque c’est là le terme final de tous ses desseins et de toutes ses manifestations ; louons-le dans la magnificence de ses merveilles, et dans l’abondance de ses trésors ; mais que ce soit dans le chemin et en faisant notre route que nous occupions ainsi notre pensée ; afin que ces saintes méditations nous servent à adoucir les fatigues du voyage, et non pas à nous arrêter.

 

 

9.

 

Comment pourrions-nous cesser de nourrir en nous l’esprit de douleur, ou plutôt la douleur de l’esprit, quand nous considérons la voie temporelle et spirituelle de l’homme sur la terre ? L’homme est conçu non-seulement dans le péché, comme le disait David de lui-même, mais il est encore conçu par le péché, vu les ténébreuses iniquités de ceux qui l’engendrent. Ces ténébreuses iniquités vont influer sur lui corporellement et spirituellement jusqu’à sa naissance. Il naît ; il va recevoir intérieurement le lait taché de ces mêmes iniquités, et extérieurement mille traitements maladroits qui vont déformer son corps avant même qu’il soit formé ; des conceptions dépravées, des langues fausses et corrompues vont assaillir toutes ses facultés, et les épier au passage pour les infecter dès qu’il les manifestera par le moindre de ses organes.

Ainsi vicié dans son corps et dans son esprit avant même d’en avoir l’usage, il va entrer sous la fausse administration de ceux et celles qui l’environnent dans son premier âge, qui sèmeront en abondance des germes empoisonnés dans cette terre déjà empoisonnée elle-même, et s’applaudiront de lui voir produire des fruits analogues à cette atmosphère désordonnée qui est devenue leur élément naturel.

La jeunesse, l’âge viril ne vont être qu’un développement successif de tous ces germes. Un régime physique, presque toujours contraire à la nature, va continuer de presser à contre sens le principe de sa vie. Un régime moral destructif de toute morale va nuire encore plus à son être intérieur et le dévier tellement hors de sa ligne qu’il ne croira plus même qu’il en existe une pour lui ; des doctrines de tout genre vont repousser son esprit par leur contrariété, ou ne l’asservir qu’en le trompant ; des occupations illusoires vont absorber tous ses moments et lui voiler sans cesse sa véritable occupation.

C’est ainsi qu’au milieu d’une tempête perpétuelle, il arrive au terme de sa vie ; et là, pour achever de mettre le sceau sur le décret qui l’a condamné à venir dans cette vallée de larmes, l’on tourmente son corps par les procédés d’une médecine ignorante, et son esprit par des consolations maladroites, tandis que dans ces moments périlleux cet esprit ne cherche qu’à entrer dans sa voie, et éprouve peut-être en secret toute la douleur de s’en voir écarter.

Quand on pense que nous sommes tous composés de ces mêmes éléments, dirigés par ces mêmes lois, alimentés par ces mêmes désordres et ces mêmes erreurs ; que nous sommes tous immolés par ces mêmes tyrans, et que nous immolons nos semblables à notre tour par ces mêmes armes empoisonnées ; quand enfin on pense que telle est l’atmosphère qui nous enveloppe et nous pénètre, on craint de respirer, on craint de se regarder, on craint de se remuer et de se sentir.

Que doit-ce donc être si l’on pénètre dans l’homme intérieur et spirituel, et si l’on réfléchit aux dangers qui le menacent et qui sont incomparablement plus effrayants que ceux qu’il a à craindre de la part des hommes et des désordres de ce monde ? C’est alors qu’il sent la nécessité d’être jeté d’abord dans le désert par l’esprit, c’est-à-dire de rectifier en lui toutes les difformités que la maladresse des hommes et ses propres écarts ont semées dans son être ; afin qu’étant devenu totalement étranger au régime de l’illusion, il puisse s’adonner tout entier au combat de l’esprit, lequel combat ne commence point ici-bas pour ceux qui sont livrés au torrent, parce qu’étant entraînés loin du désert, ils ne savent pas même qu’il y ait un combat à livrer ; aussi voit-on sur cet article combien d’hommes passent leurs jours dans la tranquillité !

Mais celui qui a senti l’aiguillon du désir se lance courageusement dans cette carrière où les dangers et les puissances ennemies vont l’environner et l’assaillir jour et nuit ; l’ardeur de la victoire lui cache la grandeur du péril et des fatigues ; il est déterminé à tout, parce qu’il sait que les récompenses qui l’attendent embrassent tout. Il doit donc compter qu’en entrant dans ce désert toutes les facultés de son être vont être éprouvées, et qu’il n’y en a pas une non-seulement dans son corps, mais encore plus dans son âme et dans son esprit, qui ne doive verser des sueurs de sang et en imbiber les différentes terres auxquelles appartiennent ces différentes facultés ; et cela continuellement jusqu’au jour de sa sépulture, parce que tant qu’il demeure sur cette terre de douleur, il est dans le règne du mensonge, et que celui qui y domine n’oublie rien pour faire prospérer son empire.

Voilà pourquoi nous ne devons méditer qu’en marchant et qu’en faisant notre chemin les merveilles que le Seigneur veut bien faire briller de temps en temps dans nos ténèbres ; et sans la plus sérieuse vigilance, ces merveilles mêmes peuvent nous devenir funestes en ce que notre ennemi a le pouvoir de s’en emparer et de les employer à sa gloire, quand nous n’avons pas la sagesse de les employer à sa molestation ; mystère d’iniquité qui a comme inondé la terre.

Mais cependant après être avertis sur cela comme nous le sommes, ouvrons aussi nos cœurs à l’espérance et à la joie, et ayons la confiance que la même main qui nous aura poussé dans le désert, la même main qui nous aura choisi pour servir de fondement à son Église, la même main qui aura fait opérer en nous une conception spirituelle, daignera nous accompagner dans l’épreuve, et ne permettra pas que notre ennemi altère et souille en aucune manière les jouissances qu’elle nous réserve. Car ces jouissances doivent être aussi incalculables que le sont pour nous les dangers et les fatigues de l’épreuve que nous avons à subir ; et même elles doivent en faire plus que la compensation, parce que la miséricorde l’emporte toujours sur la justice.

Aussi toutes les facultés de notre être, après avoir versé des sueurs de sang, doivent verser des sueurs de joie et de délice ; il n’y a pas une seule de nos fibres qui ne doive devenir un des torrents de la vie et recevoir sans cesse une accumulation de trésors qui nous établisse à demeure au milieu de ces multiplications de lumières, de ces multiplications de confiance, de ces multiplications de courage, de ces multiplications d’espérances et de consolations que nous avons déjà eu occasion de peindre, et que l’on ne peut jamais trop retracer pour ranimer la foi du faible, et même pour l’entretenir dans celui qui ne l’est pas.

Pour quelle raison nous doit-il arriver de si grands biens ? C’est que c’est ainsi que la mesure suprême se fait connaître quand nous l’avons laissé s’emparer en nous de toutes les mesures. C’est que cette mesure, étant la vie par essence, ne peut communiquer d’autre impression à ceux qui l’approchent ; c’est que cette mesure ne tend qu’à percer jusqu’à l’unité de notre centre, pour le gouverner par la même action par laquelle elle se gouverne, et l’entraîner perpétuellement dans l’identité de son mouvement ; et voilà le sort qui est réservé à ceux qui auront aimé à manger du verbe.

 

 

10.

 

Le moment de la naissance est arrivé. Les puissances supérieures, après avoir formé en nous par l’esprit la conception de notre fils spirituel, ont décrété selon leur sagesse que le moment est venu de lui donner le jour. Nous allons donc sortir de ces abymes dans lesquels nous avons séjourné, dans lesquels le saint par excellence n’a pas craint de descendre lui-même, et dans lesquels il ne craint pas de descendre tous les jours pour en arracher les victimes et pour libérer les esclaves ; nous allons recevoir, dans la nouvelle atmosphère où nous arrivons, des affections plus vives et plus douces que celles de cette région ténébreuse d’où nous sortons, et qui dès-lors est censée morte pour nous.

Nous n’aurons pas cependant de beaucoup plus vastes connaissances, ou plutôt, nous recevrons la lumière et tous les secours de la vie sans pouvoir contempler leur source, encore moins sans pouvoir nous en emparer ; comme l’enfant jouit de tous les biens que ses parents et ses guides lui procurent sans qu’il puisse se rendre compte de la manière dont tous ces bienfaits lui sont prodigués.

Défie-toi donc, homme, de ces lumières précoces qui t’arrivent sur la nature de l’être qui veut te gouverner à ton insu. Il est le Dieu inconnu, il veut planer sur toi, comme le soleil plane sur les humbles plantes, et lorsqu’il te viendra de ces rayons brillants qui ont tant de pouvoir pour nous éblouir, dis-leur : Vous me ravissez, vous m’éclairez, mais dès que je vous vois, vous n’êtes point mon Dieu, vous n’en êtes que les images. Mon Dieu est encore au-dessus de vous, parce que son action doit être éternellement une surprise et un miracle pour moi, sans quoi je ne serais pas son fils. Dis-leur que tu veux rester constamment et exclusivement dans la main de ce Dieu inconnu qui t’approche secrètement et te soulève pour te faire voguer en sûreté au-dessus des abymes, et te remplir par-là de plus de joies et de consolations que si tous les trésors des cieux étaient ouverts devant tes regards. Car voilà la véritable renaissance ; voilà ce fils chéri qui vient de recevoir le jour.

Tremble, Hérode, ton trône est menacé. Il vient de naître un roi des juifs. Les bergers ont entendu les anges chanter la naissance de ce fils de l’homme ; les mages ont vu son étoile dans l’Orient, ils viennent le visiter et lui offrir leur or et leur encens. Tu as beau faire exterminer les enfants de Rachel pour calmer tes craintes ; ce fils est un fils qui ne s’extermine point par la main de l’homme, parce qu’il n’est point né de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté du sang, mais qu’il est né de Dieu ; aussi le Dieu qui l’a formé saura veiller sur ses jours, et il le fera réfugier dans l’Égypte, jusqu’à ce que les temps de ta fureur soient écoulés et que le temps de la gloire de son fils soit arrivé.

Et toi, homme, ne t’offense point de te voir naître dans une étable et parmi des animaux ; tu ne nais que dans l’humiliation, tandis qu’auparavant tu existais dans des abîmes. Ces animaux vont faire pour toi ce que tu aurais dû faire pour eux si tu eusses conservé tes droits ; ils vont te réchauffer de leur haleine comme tu aurais dû les réchauffer de ton esprit et leur conserver par là leur caractère et leurs formes primitives. Car c’est aujourd’hui ta forme qui te préserve, au lieu qu’autrefois tu aurais dû préserver ta forme. Tu iras bientôt au temple pour y recevoir la circoncision, et Siméon chantera le cantique de joie en te prenant dans ses bras et en disant que tu es un enfant né pour le salut et pour la ruine de plusieurs.

On nous donne peu d’instruction sur les soins que l’on doit à l’enfance ; cependant, homme, ce temps va être pour ton fils le temps le plus précieux de sa vie, car tu vas être à la fois ton fils, ton père, ta mère, tous les serviteurs qui seront employés à la plus sublime des tâches. Que ce fils nouveau-né devienne donc pour toi l’objet de tes soins les plus assidus. Ce fils est amour, et il est amour Divin ; tâche que toutes les lumières qui se développeront en lui ne lui parviennent que par cette même voie : j’allais presque dire que, par son nom, ce sera un moyen de le rendre homme dans un âge où tant d’hommes sont non-seulement encore enfants, non-seulement pas encore nés, mais même pas encore conçus ; sans compter ceux qui sont nés par avortement ou qui ont péri depuis longtemps par mille autres accidents, quoique tu les voies marcher devant toi, se bien porter, et remplir parfaitement toutes les fonctions ostensibles de l’homme.

Mais n’oublie pas que ce fils est aussi le fils de la douleur, que c’est le second né de Rachel, qu’il a coûté la vie à sa mère, qu’il est le seul des douze chefs de tribus qui soit né dans la terre promise, et qu’il y est né après que son père eut offert un sacrifice au Seigneur et qu’il lui eut érigé un autel à Béthel.

Si tu veux donc conserver ce précieux rejeton, nourris-le chaque jour des mêmes éléments qui lui ont donné la naissance ; fais couler à chaque instant sur lui le sang de l’alliance qui doit le préserver du glaive de l’ange exterminateur ; bien plus, fais pénétrer sans cesse, dans toutes ses veines, ce même sang de l’alliance qui doit donner la mort à tous les Égyptiens, et le mettre à même de les dépouiller un jour de leurs vaisseaux d’or et d’argent avec lesquels ils font des festins d’iniquité. Laisse couler dans ses veines ce sang corrosif qui n’aura point de relâche qu’il n’ait rongé jusqu’aux moindres traces du péché ; tu verras par-là les membres de ton fils acquérir peu-à-peu de la force et de la consistance.

Et pourquoi ce sang accumulera-t-il ainsi la vie dans les membres de ton fils ? C’est qu’il est le sang de la douleur et que la douleur n’est point sans la vie, puisqu’elle n’est qu’une contraction de la mort contre la vie et de la vie contre la mort ; voilà pourquoi plus il y a de douleur, plus il y a de vie ; voilà pourquoi ce sang de l’alliance est si souffrant, puisqu’il est composé des ténèbres et de la lumière, de la corruption et de la santé, de la nature et de la Divinité, du temps et de l’éternité.

Fais donc tomber à grands flots ce sang de la douleur sur ton fils, plonge-le dans cette mer de douleur qui seule peut lui donner et lui conserver le sentiment ; qu’il y séjourne plus longtemps que Jonas dans la baleine, plus longtemps que Moïse sur la montagne, plus longtemps que l’arche sur les eaux du déluge, plus longtemps que les Hébreux dans le désert ; plus longtemps que ces mêmes Hébreux dans toutes leurs captivités ; qu’il y séjourne pendant toute sa vie terrestre, parce que ce n’est que par ce moyen que ce sang déposera dans son cœur, dans ses os, dans sa moelle, dans ses veines, dans toutes les fibres de son être, le vrai élément sacerdotal d’où doivent naître pour lui la lance et l’épée. Qu’il mange chaque jour de ce pain sacerdotal, et qu’il s’enivre du vin de la colère du Seigneur.

Qu’il passe les jours et les nuits dans les déserts, que la mort des lions soit comme les jeux de son enfance ; et qu’il s’annonce de bonne heure comme devant être redoutable aux nations, attendu qu’il aura mangé chaque jour de sa vie le pain sacerdotal. Les temps viendront où l’élément sacerdotal qui se sera déposé en lui y fera fleurir à son tour l’hysope et l’olivier ; car, ce n’est que pour triompher de la mort et faire régner la vie que le sang de l’alliance s’est rendu le sang de la douleur.

Mais que les longueurs du temps ne te fassent pas manquer ton but par l’impatience. Vois avec quelle lenteur se forment les pierres dans les carrières : ce ne sera de même qu’après une longue suite de périodes progressives que tu sentiras déposées en toi une assez grande quantité de substances réelles et se consolidant à mesure pour qu’elles puissent former cette pierre fondamentale de l’Église. C’est dans ces substances ainsi rassemblées et consolidées que s’accumule le feu de vie ; et quand sa mesure est complète, il fermente, il fait une explosion qui rompt ses barrières, il s’enflamme, et devient à jamais inextinguible.

 

 

11.

 

Lorsque Dieu voit qu’en nous donnant à lui, nous n’avons rien gardé de nous, il nous donne en retour une étincelle sacrée qui, à elle seule, est des millions de fois plus que notre être, et qui nous apprend combien nous avons gagné dans cet échange. Oui, notre Dieu est un Dieu effectif et réel ; ce qu’il opère alors en nous doit être effectif et réel comme lui. Ainsi ce n’est point une espérance mensongère que celle qui nous promet de nous faire sentir physiquement l’épée divine, le souffle divin, le feu du sanctuaire, et le contact vif de la puissance active et aimante. Et même nous ne sommes que dans les ombres et dans les figures, tant que ce mouvement sacré et sensible ne s’est pas opéré en nous ; comme le feu des corps est nul en quelque sorte, tant qu’il n’est pas en contact et en conjonction avec tous les points de l’air libre, et de l’atmosphère vivante qui l’environne.

Ce n’est même qu’après que ce grand mouvement est opéré en nous que nous avons mis le pied dans la ligne, et d’après ce qui nous est promis, nous devons voir s’il y a rien qui doive nous coûter pour franchir la barrière. Mets-toi en sang, mets-toi en lambeaux, comme en passant au travers des ronces et des épines ; ce n’est que de l’autre côté de la haie qu’est le trésor. Tu le manqueras si, pour former cette entreprise, tu attends que tu jouisses du repos et des commodités de la vie ; car, si tu jouissais de ce repos et de ces commodités, il faudrait les oublier en entier pour aller en avant ; comment songerais-tu donc à t’y appuyer en espérance, et ne les ayant point encore ? L’ennemi ne sait que te tromper par ces considérations illusoires ; ne dispute point avec lui, mais marche sans lui rien dire ; car, si tu l’écoutes, il t’abusera jusqu’à la fin de ta vie, par des promesses flatteuses de circonstances plus favorables qui n’arriveront jamais si tu ne les crées, c’est-à-dire, si tu ne les prends hors de cette région de ténèbres.

Car dès que ces circonstances favorables en apparence t’arriveront, le même ennemi qui se défend, mettra dessus son tarif, et les diminuera, par-là, au point de les rendre presque nulles, pour ne pas dire préjudiciables, en ce qu’elles te rendront son esclave et son tributaire, au lieu de l’état libre que tu en avais attendu. Mais si c’est hors de la région des ténèbres que tu ailles créer tes circonstances, l’ennemi ne peut y établir d’imposition ; il ne sait pas même que ces circonstances existent, et tu le laisses errer dans son abîme, sans qu’il puisse apercevoir ni tes mouvements ni tes succès.

N’espère donc que de ton courage et de tes sacrifices ces circonstances puisées dans la ligne : elles seules te découvriront les trésors qui t’attendent, comme c’est un seul soleil qui manifeste les riches couleurs de l’arc-en-ciel.

Car, ce n’est point assez que l’ennemi diminue par son tarif les circonstances favorables qu’il t’aura fait longtemps attendre ; il essayera, lorsqu’il te verra décidé à t’avancer, de te retrancher même celles dont tu jouissais, afin d’augmenter tes entraves ; ne sais-tu pas que les royaumes du monde lui appartiennent ? S’il ne les donne pas en entier à ceux qui l’adorent, au moins il les leur promet, et il ne retient pas toujours tout pour lui ; mais il les retranche à ceux qui ne le suivent pas, parce que ceux qui ne le suivent pas, ne se trouvant ni sous son action, ni sous celle du monde qui est la même chose, il n’est pas étonnant qu’ils soient comme étrangers à l’une et à l’autre, et même c’est une grâce d’en haut quand on les en dépouille ; c’est une marque de leur avancement.

Ami, tu es peut-être surpris que je te parle si peu de sciences et que je te parle tant d’exhortation et d’avertissement. C’est que j’ai sondé la science et que j’ai sondé l’exhortation. La science est grande, elle est fille de la lumière, elle est l’éclat vivant du soleil éternel ; mais elle ne veut pas connaître d’autre organe et d’autre voie que le cœur de l’homme ; quand on la force de se présenter par une autre entrée, elle souffre de se voir prostituée, et elle se sauve aussitôt qu’elle le peut. Aussi, homme, mon ami, si l’on t’avait communiqué le tableau universel de la lumière, et le flambeau de toutes les révélations passées, présentes et futures, tu pourrais encore n’avoir pas fait un pas si tu n’avais commencé par ouvrir ton âme à l’esprit de la vie, et à ce médicament actif dont tout ton être a besoin à tous les instants ; et au contraire, si tu ouvrais un instant ton âme à cet esprit de la vie, tu te sentirais marcher comme naturellement dans le sentier de la lumière et de la science.

 D’ailleurs, veux-tu voir par toi-même les effets de cette science si respectable, et combien elle a peu profité aux hommes ? La terre est remplie des monuments de cette science Divine, et des immenses développements qu’elle n’a cessé de fournir depuis le commencement du monde. Tout a été écrit, dit, publié ; il n’y a point de profondeurs ici-bas qui n’ait été sondée, il n’y a point de secret qui n’ait été découvert, point de lumière qui n’ait été manifestée ; les hommes regorgent de trésors en ce genre, ils en sont inondés, entourés, encombrés ; et cependant quel chemin leur vois-tu faire dans la carrière de la vérité et de la paix ? Ils croient leur cœur en sûreté, dès que leur esprit voit des rayons de lumière ; et ils ne songent pas que sans le secret et douloureux médicament, ils ne font, avec toutes leurs clartés, que se jeter plus sciemment dans le précipice.

Veux-tu savoir ce qui leur est nécessaire, et ce qu’ils peuvent attendre de la voie simple, cachée et naturelle ? C’est qu’une parcelle puisse se détacher de la grande mesure et apporter sur tout leur être cet esprit de mesure, d’aplomb, d’équilibre, de justesse, de sécurité, de certitude, et de confiance animée et irrésistible dont elle est à la fois le foyer, la source, l’organe, le sceau, le signe, le caractère, et le continuel, majestueux, universel et triomphant effet ; tâche de parvenir à ce degré à la fois délicieux et sanctifiant ; tâche qu’il n’y ait plus rien en toi qui ait quelque chose à toi ; car plus cette parcelle imperceptible, que j’ai appelée la mesure, trouvera en toi de choses qui lui appartiennent, plus tu seras plein de ces mesures si salutaires, et dont la seule présence peut servir de date à ta régénération.

Je voudrais bien qu’ils me crussent, mes malheureux frères, je pourrais leur présenter sur cet objet des vérités bien consolantes. Je leur dirais : vous voyez que votre langue et votre palais ont le discernement des saveurs, et des diverses propriétés des sels ; vous voyez que les substances alimentaires sont soumises à ce discernement de votre organe matériel ; vous voyez que votre intelligence a le discernement des esprits, et que par elle vous pouvez les éprouver, les vérifier, les goûter, et les juger ; et bien descendez encore un peu plus au fond de vous-même, vous allez trouver que votre cœur a le discernement des intentions, des facultés, des opérations, et des mouvements de votre Dieu lui-même ; et que vous êtes l’organe sacré auquel il veut bien laisser faire l’épreuve de tout ce qu’il daigne envoyer hors de son éternel centre ; c’est sur cette langue invisible mais impérissable que se peut faire l’essai de tous les sels Divins que la sagesse envoie continuellement dans l’atmosphère de l’esprit.

Oh ! homme, purifie donc sans cesse cet organe ; l’usage en est si doux, la perspective qu’il t’offre est si sublime, que je ne sais pas comment tu pourrais encore permettre à tes yeux de se fermer après avoir considéré une semblable merveille. Cependant quelqu’admirable qu’elle soit, elle ne te surprendrait plus si tu te rappelais que la Divinité doit nous traverser toute entière, soit dans sa souffrance, soit dans sa gloire : car si elle doit nous traverser toute entière, il n’est plus étonnant pour nous que nous soyons ordonnés et formés pour en avoir le discernement ; apprends donc ici à simplifier tes idées sur le caractère et l’emploi du prophète ; compare son élection et tout son être avec ce fils qui vient d’être conçu en toi par l’esprit, et avec tous les autres types que tu as parcourus ; car il faut t’attendre à trouver la même chose à tous les pas.

 

 

12.

 

Puisque notre Dieu est un être effectif, tout doit être effectif dans ce qui l’approche, comme dans ce qui sort de lui. Ainsi, pourvu que nous le recherchions avec une pénitence effective, une humilité effective, un courage effectif, nous ne devons pas douter qu’il ne vienne à nous avec des puissances effectives, avec des dons effectifs, et qu’il n’imprime sur nous des témoignages effectifs de son intérêt et de son effectivité ; croyons en outre que si, par cette effective influence Divine, nous nous trouvons dans une nouvelle situation effective de joie, de lumières, de forces, de vertus, de foi, de piété, de sainteté, enfin si nous nous trouvons effectivement dans une atmosphère réellement vive, nous pouvons espérer de produire cette même température effective dans tout ce qui nous environne, parce que la vraie et vive effectivité de notre Dieu ne cherche qu’à s’établir et se répandre, afin que selon son désir tout soit plein de lui.

Lorsque David écrit, psaume cent dix, vers. 7, les œuvres de ses mains ne sont autre chose que vérité et que justice, il dit plus que l’intelligence ordinaire ne peut apercevoir dans ces paroles, et on ne peut les comprendre effectivement que par la jonction de cette influence effective pour laquelle nous sommes tous faits, et qui nous est si nécessaire que nous ne pouvons être renouvelés sans elle. Mais aussi dès qu’elle existe, nous devons nous remplir d’une ardeur sans borne pour obtenir d’en être pénétrés à tous les moments, et d’en pénétrer à notre tour tous les ouvrages de nos mains, et tous les objets de nos œuvres.

Oui, Dieu de ma vie, tu m’appelleras, et je te répondrai en t’immolant des sacrifices effectifs dont les fruits et la récompense seront de vivre avec ton esprit, par ton esprit, et dans ton esprit. Tu veux bien ne pas dédaigner mon âme quelque misérable et quelqu’infirme qu’elle soit ; après lui avoir fait prendre le médicament d’amertume, tu lui feras connaître aussi le médicament de la joie, et de l’adoucissement ; et cet adoucissement, ce sera de t’emparer d’elle, de la presser par l’impulsion de ta main dans tous les mouvements qu’elle a à faire, et de ne pas la laisser un instant sans toi.

Venez, humilité sainte, venez vivre dans la prédication intérieure que mon âme entend chaque jour au dedans d’elle-même, et unissez votre activité à la parole intérieure qui me poursuit, afin que je sois sans interruption un être effectif, et que par votre moyen le Divin et universel défenseur repose sur moi, et ne préserve de la colère du Seigneur.

L’homme est tranquille au milieu des abîmes qui l’environnent ; il oublie que ses ennemis sont si redoutables qu’il ne peut pas abattre le moindre degré de leur puissance, qu’autant que la force Divine elle-même se met en mouvement, et sans qu’il n’en coûte à Dieu une opération et un acte réel de sa force et de son action entière. L’ennemi ne l’ignore pas, cette vérité ; aussi il ne remue pas tant que nous ne mettons en jeu que nos puissances inférieures et particulières à l’homme ténébreux ; et un de ses grands secrets, c’est d’abuser les mortels par d’apparents succès fondés sur des prières faibles et illusoires, qui les font dormir dans le sommeil de la mort ; c’est par-là qu’il dévore journellement toute la terre.

Mais quand nous avons le bonheur de ne pas nous reposer sur nos propres forces, quand enfin c’est cet être puissant, lui-même, qui agit et qui opère, l’ennemi tremble et fuit dans ses antres obscurs, ne pouvant pas résister à la force invincible du lion de la tribu de Juda, à qui l’éternel a juré, par son nom redoutable, que tout empire lui serait donné ; c’est cette promesse irréfragable qui assure le triomphe à la seule présence de cet agent sacré, et qui fait sentir à l’ennemi la différence de la parole de vérité à une parole variable ou fausse.

Cet ennemi de toute vérité a des puissances à ses ordres qu’il envoie devant lui comme des espions dès qu’on le poursuit et qu’on l’attaque dans son pays ; il a à ses ordres des chiens, des loups qui observent s’ils ne pourront pas dévorer le cavalier et sa monture, et ensuite faire main basse à leur aise sur toute la bergerie. Mais sitôt qu’ils aperçoivent ou seulement qu’ils sentent le lion de la tribu de Juda, ils fuient à toutes jambes, tant ce lion de la tribu de Juda a des armes tranchantes et à l’épreuve de tout. Ses armes n’ont pas même besoin de se mouvoir ; il approche et tout tremble devant lui.

Ne cherchons pas un autre chef. N’est-ce pas lui qui a appelé l’âme de l’homme et qui lui a dit : Sur cette pierre je bâtirai mon Église ? Mais notre âme embrasse et pénètre tout notre être, comme l’esprit du Seigneur embrasse et pénètre tout l’univers ; ainsi chaque portion de nous, chacune de nos facultés, chacune de nos pensées, chacun de nos mouvements peuvent donc se transformer en autant d’Églises où le nom du Seigneur soit perpétuellement honoré ; c’est pour cela que le nom du Seigneur sera loué de l’orient jusqu’à l’occident, du nord au midi, et dans toute l’étendue de la terre. C’est-là ce que seront les fonctions de ce nouveau-né à qui l’esprit vient de donner le jour ; car, son ministère circulera dans le quaternaire ; ainsi l’homme aura à vaquer aux fonctions Divines à l’angle d’orient, aux fonctions spirituelles dans l’angle du nord, aux fonctions de l’ordre mixte dans l’angle d’ouest, et aux fonctions de la justice, du combat, et du jugement dans l’angle du midi. De-là il retourna sur ses pas, pour purifier et sanctifier de nouveau les régions et leur faire part de ses triomphes, et venir ensuite en rendre hommage à l’universel triomphateur, sans lequel il n’y aurait aucun conquérant.

Mais, répétons-le, c’est dans les plus creuses profondeurs de l’âme humaine que l’architecte doit venir poser le fondement de l’Église ; et il faut qu’il les y cimente avec la chair, le sang et la vie de notre verbe, et de tout notre être. Voilà le travail le plus pénible de la régénération ; c’est celui qui porte sur cette intime substance de nous-même. Au milieu des supplices que notre corps peut subir, nous pouvons dans notre âme en subir un plus grand encore.

C’est ce qui est arrivé au Réparateur qui ne songeait point à la mort de son corps lorsqu’il demandait que ce calice s’éloignât de lui ; enfin c’est ce combat de l’esprit, c’est cette douleur à laquelle aucune douleur ne se compare, et qui par sa grandeur même nous met dans le cas de supporter toutes les autres avec une sorte d’indifférence.

Car, si nous voulions courageusement faire pénétrer notre esprit vivant dans toutes les subdivisions et régions de notre être, pour y porter la vie et la renaissance, nous ne compterions pour rien les maux ordinaires auxquels notre nature et notre vie temporelle nous exposent ; et il n’y aurait plus de douleur qui pût se mettre en parallèle avec notre douleur ; mais aussi où seraient les joies qui finalement pourraient se mettre en parallèle avec nos joies ?

Nous apprendrions là, en peu de temps, toute notre histoire. Nous y apprendrions que nous naissons dans le Divin, que nous prenons forme dans l’esprit, que nous rectifions l’apparence, et que nous séparons l’iniquité, et que ces quatre grandes opérations se font par l’impression de la force, de l’amour et de la sainteté, sur notre corps, notre cœur et notre front ; le tout sous l’aspect du grand nom central qui plane au-dessus de nous, pour nous vivifier, comme il vivifie tous les êtres dont il est à jamais le centre unique et universel.

 

 

13.

 

Lorsque le Réparateur alla à Béthanie pour y ressusciter le frère de Marthe et de Marie qui était mort depuis quatre jours, et qui sentait mauvais ; lorsqu’étant près du tombeau, il dit d’une voix haute : Lazare, levez-vous ; c’est à toi, âme humaine, qu’il adressait la parole, encore plus qu’à ce cadavre qui n’était que le symbole de la véritable renaissance ; et c’est encore là où tu trouves un nouveau trait de ce tableau général dont tu es l’objet, et qui embrasse l’ensemble des choses.

Si tu as aperçu précédemment que l’annonciation de l’ange peut se répéter pour toi, ainsi que la conception et la naissance du fils de la promesse, tu ne seras pas surprise que la résurrection de Lazare puisse se répéter pour toi également ; mais aussi, par la même raison, tu sens que cette opération préliminaire te devient indispensable, puisque tu es morte depuis quatre jours ; c’est-à-dire, dans tes quatre grandes institutions primitives que tu ne saurais plus remplir, et puisque tu répands partout l’infection. La voix du Réparateur s’approche de ta tombe et te crie : Lazare, levez-vous ; ne fais pas comme les juifs dans le désert ; n’endurcis pas ton cœur à cette voix, et jette-toi promptement hors de ton cercueil ; il ne manquera pas de gens serviables pour délier tes bandelettes. Souviens-toi en suite qu’il ne t’a été dit : Lazare, levez-vous ; qu’afin que tu répètes à ton tour librement à toutes tes facultés endormies : Lazare, levez-vous ; et qu’afin que cette parole circule continuellement dans toutes les parties de ton être. C’est alors que tu pourras espérer d’être à table avec le Seigneur.

Âme humaine, souviens-toi qu’une terre s’engraisse par les fruits qu’elle porte ; parce que les semences qu’elle reçoit dans son sein lui rendent de nombreux débris pour les sucs qu’elles en retirent, et elles font descendre sur elle les rosées du ciel. Âme humaine, plus féconde que la terre corruptible où tu es emprisonnée pour un temps, tu peux, plus qu’elle, recevoir de vives semences, tu peux, plus qu’elle, produire de nombreuses récoltes, tu peux, plus qu’elle, fixer et faire couler sur toi les riches et fécondes rosées ; et ce sont tous ces trésors qui doivent t’engraisser à jamais ; car, si tu le dis bien sincèrement : Lazare, levez-vous, tu peux alors espérer que le conseil céleste vienne délibérer jusques dans ton propre sein, et envoie ensuite sa parole sacrée dans tout ton être, pour y faire exécuter ses décrets, et faire couler abondamment dans toutes tes substances élémentaires, spirituelles et Divines les sanctifications éternelles qui ne tendent qu’à effacer le temps, ou cette tache, jetée sur le tableau de la vie, et qui voudraient que cette image qu’on appelle aujourd’hui, étant disparue, tout ce qui existe reprît le nom universel de l’Ancien des jours.

Car c’est ce nom que toutes choses ont porté avant la corporisation matérielle ; et c’est ce même nom qu’elles tendent à porter de nouveau lorsque l’œuvre sera accomplie, afin que l’unité soit toute en tous, non plus par des lois subdivises, comme celles qui constituent, gouvernent, engendrent, et détruisent la nature ; mais par une plénitude d’action qui se développe sans cesse, et sans l’affligeant accident des contractions et des résistances.

Si le conseil céleste doit délibérer jusque dans notre propre sein, il en résulte pour nous une loi puissante, et qui porte avec elle l’empreinte d’une terreur salutaire ; c’est que nous ne devrions pas nous permettre un acte ni un mouvement qui ne fût la suite d’une délibération de ce conseil céleste que Dieu même ne craint point de tenir dans notre âme ; ainsi toutes nos œuvres ne devraient être que l’accomplissement vif et effectif d’un décret Divin prononcé en nous, comme notre existence spirituelle est l’accomplissement continu du nom sacré qui nous a produits, et qui nous produit continuellement.

Homme, si cette perspective te paraît intéressante, s’il te paraît doux d’entrevoir l’homme sous un pareil jour, mets-toi à l’œuvre, et que cette attente consolante anime tes efforts pour faire naître en toi une si belle aurore ; elle est d’une telle magnificence que nul tableau ne pourrait t’en offrir l’idée, et en même temps elle est si riche, que tu auras beau te dépouiller constamment de tout, pour lui offrir ton être dans toute sa soumission, et dans toute sa plénitude originelle, tu ne croiras encore lui avoir rien offert en raison de ce qu’elle te peut donner.

Ressouviens-toi aussi que tous les décrets de ce conseil céleste ne peuvent avoir pour but que la paix, la gloire, le bonheur, et l’extension du règne de la vie ; ainsi, dès que dans toi le conseil céleste veut bien prononcer de pareils décrets, chacun de tes pas et de tes mouvements doit être une victoire, une exécution de quelque jugement Divin, une délivrance de quelque esclave, et un accroissement du règne de la lumière ; et toutes ces œuvres sont autant d’hymnes à la gloire de Celui qui est venu en délibérer en toi, et les décréter, et qui veut bien t’en confier l’opération pour te transmettre, par ce moyen, des étincelles de cette joie Divine et immortelle qui est l’élément primitif de ton existence. Prends courage, l’entreprise demande des soins et de l’attention, mais en peu de temps tu te sentiras dédommagé de tes peines, et tu te diras : comment Dieu ne serait-il pas un être incompréhensible, puisque je sens que l’homme a aussi ce privilège et que pour qu’il pût être connu de ses semblables quand il est rentré dans sa loi, il faudrait que les cieux et la terre fussent renouvelés pour eux, sans quoi il n’est à leurs yeux qu’une masse muette et sans valeur ?

Mais si tu veux te mieux instruire encore de ta loi, réfléchis quelle est la première délibération de ce grand conseil céleste qui se passe en toi. Lumière, et pour ainsi dire, la continuelle délibération qui s’y passe, est que le Dieu qui t’a formé se rende pour toi le Dieu souffrant ; oui, perpétuellement Dieu y dit : Oublions ma gloire pour sauver l’homme, humilions-nous pour le relever, et portons les fardeaux qu’il ne peut plus porter lui-même.

Cette idée t’apprendra que ce décret doit te regarder d’une manière encore plus directe ; ainsi tu dois sentir que la délibération de ce grand conseil est que tu sois également dans la souffrance et dans le combat, si tu veux remporter la victoire. Or, ce décret, pris en grand, se subdivise ensuite, et s’étend à tous les détails de ta vie et de ton existence. Ainsi, songes-y, il n’y a pas un instant où dans ce grand conseil Divin il ne soit délibéré que tu dois être entièrement dévoué à la loi suprême dont tu dépends, que tu dois être pur, que tu dois être humble, que tu dois être aimant ton frère, que tu dois être ambitieux de te remplir de toutes les vertus de l’esprit et de la vérité, et d’en semer au moins les désirs dans les âmes de ceux qui sont dans l’indigence. Ainsi, pour peu que tu te négliges un instant sur la pratique de ces obligations, tu es réfractaire à la loi, tu es un prévaricateur.

Songe, âme de l’homme, que c’est le Dieu même qui pleure en toi, pour que tu puisses, par ses propres douleurs, parvenir aux consolations. Songe qu’il pleura avant de dire à Lazare : Levez-vous. Songe qu’il pleure à tout instant dans tout ton être, et qu’il ne cherche qu’à établir son propre jeûne ou sa propre pénitence dans ton centre élémentaire, dans ton centre spirituel, et dans ton centre Divin. Si Dieu pleure en toi, comment te refuserais-tu à pleurer avec lui, comment t’opposerais-tu à laisser librement circuler en toi ces torrents enflammés de la pénitence sacrée, dans lesquels l’éternel amour t’engage à faire ta demeure avec lui-même, pour qu’ensuite tu fasses aussi ta demeure avec lui dans l’allégresse et dans la vie. Fais donc en sorte de n’être plus que douleur et que soupirs, que lamentations ; car ce n’est plus que de cette manière là que tu peux aujourd’hui être l’image et la ressemblance de ton Dieu.

Iras-tu comme ces habitants de Babylone qui, irrités par les prédications des deux témoins du Seigneur, les tueront et se feront ensuite des présents pour se féliciter de s’être délivrés de ces hommes importuns ? Ne sais-tu pas que ces deux témoins ressusciteront après trois jours et demi, et qu’ils exerceront les plus effroyables vengeances contre ceux qui les auront dédaignés et si maltraités ? Ne traite pas ainsi les témoins qui te prophétisent tout le jour ; car, tu aurais beau les éloigner de toi par tes dédains, ce ne serait que pour un moment, et ils ne tarderaient pas de revenir avec toute leur puissance, et de te punir avec toute la rigueur de la justice, dont leur maître et le tien leur a confié l’administration. Écoute attentivement ces témoins sacrés, fais en sorte de n’entendre jamais d’autre voix que la leur ; car leur voix est celle de ce conseil céleste et Divin même, qui veut bien descendre du séjour de sa gloire pour venir délibérer en toi, et te rendre, si tu le voulais, une opération vive et continuelle de ses ineffables délibérations.

 

 

14.

 

 

Quelle est cette âme qui paraît si joyeuse et si remplie d’allégresse ? C’est une âme que Dieu vient de visiter, et à qui il a laissé en présent des gages précieux de son amour et de sa richesse. Vois-tu comme elle regorge de délices et d’abondance ? C’est qu’Il a été envers elle exact et fidèle à la promesse qu’Il a faite de se rendre auprès de ceux qui l’invoqueraient. Aussi, depuis qu’elle a reçu ces riches présents, elle va rétablir l’ordre et la mesure sur la terre ; elle va s’affilier à toutes les sociétés spirituelles qui la reconnaîtront pour un de leurs membres ; elle va habiter à demeure dans l’Est Divin, sa première patrie, parce que le Seigneur a prononcé sur elle le mot créateur qui a développé à la fois toutes les propriétés, tous les dons, tous les attributs dont elle est l’assemblage et l’agent. Il a promené sur elle son œil vivificateur, et elle s’est trouvée régénérée dans tout son être, comme toute la nature se régénère aux regards vivifiants du soleil.

Voilà ce que l’homme peut espérer quand il persévère avec constance dans sa prière, et qu’il ne s’arrête pas aux illusoires obstacles que l’ennemi lui présente sans cesse comme étant des obstacles insurmontables. Une femme confiance dans le feu sacré qui nous anime ; une plus ferme confiance encore dans la source d’où ce feu dérive, et qui ne peut cesser de diriger ses regards, sa chaleur et sa lumière sur lui, font bientôt disparaître ces faibles attaques de notre ennemi, qui n’ont de forces que dans notre pusillanimité et notre défaut de résolution.

Bientôt aussi le Dieu de la vie vient visiter notre âme, et nous pouvons dire alors avec jubilation : Dieu vit en moi, Dieu va vive dans ma pénitence ; il vivra dans mon humilité, il vivra dans mon courage, il vivra dans ma charité, il vivra dans mon intelligence, il vivra dans mon amour, il vivra dans toutes mes vertus ; parce qu’Il a promis qu’Il serait un avec nous toutes les fois que nous nous réclamerions à lui au nom de Celui qu’Il nous a envoyé pour nous servir de signe et de témoignage entre lui et nous. Ce signe ou ce témoignage est éternel comme Celui qui nous l’a envoyé ; assimilons-nous à ce signe et à ce témoignage, et nous participerons à sa Divine et sainte sécurité, et nous serons comme lui tellement pleins de la vie que la seconde et la première mort demeureront loin de nous, et nous seront tout-à-fait étrangères.

Il y a une certitude que l’ennemi cherche souvent à te suggérer, moins pour t’enrichir par la sagesse apparente dont il la colore que pour t’arrêter dans ta marche, puisqu’elle doit lui être si contraire ; c’est de savoir si tu dois oser invoquer le nom du Seigneur, et le Signe qu’il t’a envoyé, avant d’avoir dissipé entièrement tous les obstacles qui t’environnent, ou si tu dois te servir, pour combattre ces mêmes obstacles, du nom du Seigneur et de toutes les puissances qui y sont attachées. L’ennemi, qui craint l’effet de ces armes efficaces. t’insinue continuellement que tu n’es pas assez pur pour les employer ; il se met même en avant, quelquefois, sous des couleurs imposantes, afin d’effrayer ton courage et d’arrêter tes résolutions ; d’autres fois, te sachant mal préparé, il te suggère d’invoquer le nom du Seigneur, pour te convaincre, par le peu de succès qui en résultera, que tu ne dois pas encore te livrer à une si sublime et si sainte entreprise, et que tu feras bien d’attendre à un autre temps.

Tiens-toi sur tes gardes au milieu de toutes ces insinuations ; il y aurait là plus de paresse que de vertu, plus de défiance que de véritable courage, plus de ténèbres que de lumière ; remplis-toi d’abord de la profonde persuasion que la vérité l’emporte sur le mensonge, comme la vie l’emporte sur la mort ; remplis-toi de la profonde persuasion que, par ta simple conduite régulière et attentive, l’ennemi n’aura plus sur toi qu’une frêle influence en ce qu’elle ne trouverait plus de base pour s’y fixer et s’y attacher ; remplis-toi de la profonde persuasion que tu es né dans la vie, que tu n’existes que dans la vie et par la vie, et que tu dois retourner à la vie ; enfin remplis-toi de la profonde persuasion que la vie universelle et sacrée ne cherche sans cesse qu’à réchauffer tout ton être, et à le maintenir dans l’harmonie active et efficace de toutes les facultés qui le constituent.

Lance-toi ensuite courageusement dans la voie de la prière et de la supplication, sans songer seulement aux obstacles qui t’auraient arrêté faute de cette précaution, sans seulement descendre à t’en apercevoir ; porte-toi avec ardeur vers les différents lieux de tes sacrifices. Implore le Père, invoque le Père, conjure le Père, unis-toi au Père lorsque tu voudras offrir le sacrifice sur l’autel éternel d’où découle la source de la vie et de l’existence dans tous les êtres ; sers-toi avec confiance de son nom ; lui-même sera de moitié avec toi, puisque tu auras le dessein d’étendre son propre règne, et l’ennemi ne pourra s’opposer à ton œuvre, il en sera à une trop grande distance ; il sera, pour cette œuvre et pour ton sacrifice, comme un être nul et absolument étranger.

Lorsque tu voudras offrir ton sacrifice sur l’autel de la régénération spirituelle pour sanctifier ton être, le purifier et le remplir des trésors de l’amour, implore le nom du Fils, invoque le nom du Fils, conjure le nom du Fils, unis-toi au nom du Fils, et ton cœur sera changé en une victime de consolations, de façon qu’il ne croira plus même aux pouvoirs affligeants de ton ennemi, et que tu sentiras ton vaisseau porté légèrement sur les vagues par les vents les plus favorables, sans la moindre apparence de dangers ni d’écueils.

Enfin, veux-tu offrir ton sacrifice sur l’autel des puissantes vertus de l’esprit dans le temps ? Implore le nom de l’esprit, invoque le nom de l’esprit, conjure le nom de l’esprit, unis-toi au nom de l’esprit, et la nature reprendra pour toi sa mesure, son ordre et son équilibre, et tu ne connaîtras ainsi autour de toi, dans toi et au-dessus de toi qu’harmonie, bonheur et perfection.

Si l’ennemi se réveille dans la jalousie de tes succès, tu auras acquis par-là des forces pour le combattre avec plus d’avantage que si tu fusses resté dans cette dangereuse timidité qu’il te suggérait à dessein, et tu pourras alors employer avec plus de fruits ces mêmes noms qui doivent sûrement autant te détendre qu’ils peuvent t’éclairer et te sanctifier ; car il a été dit que celui-là sera sauvé qui invoquera le nom du Seigneur.

Repose-toi sur cette loi qui est infaillible, et contre laquelle les illusoires prudences de l’ennemi ne doivent jamais obtenir ton acquiescement. Car la seule vertu que Dieu demande de nous, c’est la confiance ; ainsi le seul tort que nous puissions avoir envers lui, c’est la timidité, c’est la lâcheté. Mais aussi dès que tu a pris cette sainte résolution, et dès que tu as mis en usage les armes sacrées, regarde-toi comme engagé dans la milice Divine et spirituelle, et songe que la moindre négligence peut te rendre indigne de porter le nom de soldat de la vérité ; songe que la moindre négligence peut t’exposer à prendre le nom de Dieu en vain ; songe enfin que ce sera pour toi un crime désormais que de manquer une seule occasion d’exercer tes fonctions saintes, et de faire un seul pas sans que tu n’emploies le nom du Seigneur, parce qu’il est dit : Heureux celui qui persévérera jusqu’à la fin.

Il ne faut point te dissimuler l’énorme différence que tu dois rencontrer dans ces diverses invocations. Nulle comparaison du travail de préservation qu’il nous faut faire, et de celui par lequel la sagesse se sert de nous pour rétablir l’ordre et l’harmonie dans la classe élémentaire ; nulle comparaison de ce travail-là à celui que nous avons à faire pour nous unir aux fonctions de l’esprit ; nulle comparaison de ce travail-là à celui que nous avons à faire pour aller puiser dans la source Divine elle-même. Plus nous nous élevons, plus ces divers travaux nous paraissent doux, simples et naturels, ce qui est une des plus vives démonstrations que nous sommes nés pour la paix et pour le bonheur, et que les horribles révolutions par lesquelles nous passons dans les diverses régions de ce monde sont absolument l’opposé de ce dont nous serions occupés si nous étions dans notre loi et dans la jouissance des privilèges de notre destination primitive.

Âme humaine, ta seule expérience t’instruira plus sur cela que toutes les doctrines. Essaye de t’élever dans la région pure, simple, et Divine ; tâche d’y rester assez longtemps pour t’y pénétrer de l’éternelle et douce influence qui la remplit, tu goûteras alors des joies si pénétrantes, mais en même temps si calmes et si paisibles, que l’univers entier, malgré la beauté de ses lois et les puissances spirituelles qui le gouvernent, te paraîtra une sorte de superposition étrangère à la nature Divine ; tu sentiras que tu n’a pas besoin de la présence de l’esprit pour être heureux, quand tu es en présence de Dieu et que, par conséquent, c’est Dieu et non l’esprit qui est ta source.

Lors donc que de cette région suprême tu redescendras à cette région de l’esprit, tu sentiras déjà une manière d’être dont ta vraie nature pourrait se passer, et qu’elle ne peut même se rendre douce qu’en regardant cette situation comme une suite des décrets supérieurs qui t’appliquent à une œuvre secondaire, et qui ont droit de t’employer comme il leur plaît. Lorsque tu redescendras à la région élémentaire, ta situation te paraîtra encore plus étrangère ; enfin juge ce que ce sera quand tu descendras à la région ténébreuse.

Porte néanmoins dans toutes ces diverses œuvres la soumission la plus entière aux volontés de celui qui te les envoie ; tâche, ou plutôt, n’oublie pas que tu les dois faire toute en son nom ; et si tu veux apprendre ici un profond secret, ne sors jamais en pensée et en esprit de cette région suprême ; joins continuellement les trois noms éternels, et ceux qui ne sortent jamais de leur Divise enceinte, avec les trois noms temporels Divins qui dirigent les trois opérations temporelles, ce sera le moyen d’être à la fois comme Dieu dans l’éternité et dans le temps. Ce que je te propose est d’autant moins impossible que tu peux en faire en toi même la plus certaine expérience, en observant la similitude des facultés internes et externes de ton esprit, sujet qui, à lui seul, demanderait un ouvrage à part, et que, pour cette raison, nous ne traiterons point dans cet écrit.

 

 

15.

 

Si l’homme est mort dans toutes ses facultés, il n’y a pas un seul mouvement de son être qui puisse se faire sans que l’on prononce en lui cette parole rapportée plus haut : Lazare, levez-vous. Et si l’homme veut ensuite étendre son intelligence, il verra que non-seulement c’est sur lui que le Réparateur profère continuellement cette parole, mais aussi sur tout l’univers, et sur toutes les parties de l’univers, puis qu’il n’y en a point qui ne soit aujourd’hui ensevelie dans les ténèbres de la mort, et qui ne soit en souffrance, suivant le passage de S. Paul aux Romains, 8, 19-23.

Cette vérité que l’âme sent, quand elle se dépouille et se concentre, lui démontre quelles sont les énormes suites de la prévarication, et lui fait connaître, par l’expérience de tous les moments, que nous habitons la terre de la mort et de la douleur ; mais elle sent en même temps qu’il n’y a pas un instant pour elle où cette parole salutaire ne puisse être suivie d’une résurrection.

Jacob dressa un autel à Béthel après son combat avec l’ange ; Moïse dressa un monument de pierres après le passage de la mer rouge ; Josué en dressa un semblable après le passage du Jourdain ; David déposa l’arche sainte sur la montagne de Sion après la défaite des Philistins qui s’en étaient emparés, et c’est-là ce qui a rendu cette montagne si célèbre ; la terre promise est presque remplie toute entière des témoignages sacrés qui attestent les progrès du peuple choisi, et les faveurs qui y ont accompagné tous ses pas.

Homme choisi avant Israël, porte ce coup d’œil sur toi-même, porte-le sur l’universalité des biens qui te sont prodigués, et sur ceux que tu peux espérer de plus en plus si tu persévères, tu sentiras qu’il ne devrait pas s’opérer un mouvement dans la moindre de tes facultés qui ne se terminât par y voir ériger un autel au Seigneur, et que tout ton être est cette terre promise qui devrait être remplie des monuments de sa gloire, de son amour, de sa puissance, et des conquêtes qu’il voudrait sans cesse te faire remporter sur les iniques habitants de cette terre sainte dont ils n’auraient jamais dû approcher.

Oui, chaque acte de la parole sacrée voudrait élever autant d’autels dans ta pensée, dans tes désirs, dans ton amour, dans ton humilité, dans ta foi, dans ta courageuse activité, dans ta charité, dans ton intelligence, afin qu’il n’y eût rien en toi qui ne fût occupé à offrir des sacrifices de louanges au Seigneur, et afin que le Seigneur rayonnant par tous les points de ton existence ainsi purifiée et sanctifiée, toutes les nations te trouvassent toujours occupé comme les lévites à entretenir le feu sacré, et toujours prêt à recevoir leurs offrandes et à faire parvenir leurs prières jusqu’au trône de l’Éternel.

Voilà comment la parole Divine voudrait se faire entendre à toutes les régions de l’univers, en leur répétant sans cesse par ta voix : Lazare, levez-vous, car si c’est la voix de l’homme qui a versé le crime et le poison sur l’univers, c’est la voix de l’homme qui doit y reporter la lumière, la sagesse, la mesure et l’harmonie. C’est-là ce nouvel homme après lequel languissent les soupirs de la Divinité ; c’est-là ce nouvel homme qu’il faut rappeler de toute langue, de toute nation, de toute tribu afin qu’il vienne adorer dans Jérusalem ; c’est-là ce peuple saint, cette nation choisie dont les enfants doivent avoir, selon les prophètes, des reines mêmes pour nourrices, et qui doit voir les rois baiser la poussière de ses pieds : Isaïe, 49, 23.

Hommes peu réfléchis, vous enseignez que les hommes ennemis de la vérité viendront persécuter les peuples chrétiens, comme autrefois des nations païennes sont venues persécuter et tourmenter le peuple juif ; mais où sont-ils les peuples chrétiens pour qu’on puisse les attaquer en corps ? Est-ce sur des circonscriptions locales que vous pouvez établir un pareil nom ? Et vous même qui portez le nom de chrétien, quelles sont les portions de votre être qui méritent véritablement ce nom, et ne sentez vous pas que ce peuple choisi est disséminé dans toutes les subdivisions de votre existence corrompue et ténébreuse, comme le peuple juif est subdivisé sous vos yeux parmi les gentils et parmi toutes les nations barbares, et impies qui composent le globe ? Eh bien, il en est de même du peuple chrétien, il est disséminé dans toutes les régions, dans tous les climats, dans toutes les nations, dans tous les peuples ; sa force est trop subdivisée pour réveiller même la jalousie de ses ennemis ; et ils ne troublent point sa paix, tant qu’il ne leur fournit pas le sujet et l’occasion de le poursuivre et de l’attaquer.

Faites-en l’expérience sur vous-même. Tant que vous laissez votre nom de chrétien languir et ramper dans la servitude et l’ignominie chez les différents peuples qui vous assujettissent, ils vous laissent tranquille, ils ne vous demandent rien, parce qu’ils vous ont dépouillé d’avance et qu’ils n’ont plus rien à rechercher en vous ; mais essayez de rassembler un instant vos forces dispersées ; rappelez ce peuple de toute nation, de toute tribu, et vous verrez bientôt l’ennemi s’opposer à ce rassemblement, et essayer par l’effort de toutes ses puissances d’opérer en vous une nouvelle dispersion, puisque c’est là seulement où son règne peut s’établir, et où il peut espérer des triomphes.

Sachez donc qu’il en est de même du peuple chrétien pris en grand, et considéré comme la famille divine ; tant qu’il sera dispersé comme il l’est parmi toutes les nations, il éprouvera des servitudes et de honteux assujettissements ; mais il n’éprouvera point les attaques des ennemis en personne, puisqu’il ne forme point encore un corps de peuple. Tout ne doit-il pas être esprit et vie dans cette divine famille ? Or tout est-il esprit et vie dans les circonscriptions locales des peuples qui portent si hautement sur la terre le nom de chrétiens ? Des ennemis visibles et humains pourraient donc attaquer ces circonscriptions nominales et apparentes sans attaquer la famille divine des chrétiens qui est esprit et vie ; et, par la même raison, il faudrait plus que des ennemis visibles et humains pour attaquer cette famille divine qui est esprit et vie, si elle était rassemblée.

Attendez donc que les mesures soient comblées, attendez que le moment soit venu de rappeler de toute langue, de toute nation, et de toute tribu cette famille divine dispersée aujourd’hui chez tous les peuples. Quand ce rassemblement commencera, c’est alors que l’ennemi rassemblera ses forces à son tour pour venir en empêcher l’effet ; c’est alors qu’il réveillera ses puissances et qu’il ne manquera pas d’organes et d’instruments qui se rendront les ministres de ses projets pervers ; c’est alors que la famille divine des chrétiens sera réellement en souffrance parce qu’elle aura à soutenir de violents combats dans lesquels elle paraîtra quelquefois vaincue, et dans lesquels la gloire de l’ennemi s’enflera au point qu’il croira avoir remporté complètement la victoire.

Mais la même voix qui aura rassemblé cette famille divine de toute langue, de toute tribu, de toute nation, ne laissera point périr son ouvrage, parce que son ouvrage sera esprit et vie, comme notre être intérieur en qualité de famille divine, particulière, serait aussi esprit et vie sensiblement pour nous, si nous avions plus de confiance dans les forces et dans les moyens efficaces que la sagesse et la miséricorde divine ne cessent de nous prodiguer.

Cette voix suprême qui aura rassemblé la famille divine de toute langue, de toute tribu, de toute nation se mettra elle-même à la tête de cette milice sainte, et ne permettra pas qu’elle soit renversée ; elle lui communiquera de sa propre force, et elle brisera par-là tous les pièges que l’ennemi lui aura tendus ; elle renverra toutes ces nations barbares dans leurs régions, où elles retourneront couvertes de honte et de confusion pour avoir cru qu’elles l’emporteraient sur l’unité. En retournant ainsi dans leurs régions, elles n’y trouveront plus les différents membres de cette famille divine qu’elles avaient tenus sous le joug si longtemps ; et elles tourneront alors contre elles-mêmes la fureur et la rage qu’elles auraient voulu exercer sur leurs victimes et sur leur proie.

Indépendamment des expériences particulières que tu peux faire sur toi-même, ô âme humaine, de toutes ces vérités, les voies s’ouvrent temporellement devant toi pour servir de préparation et d’acheminement à ces grandes secousses ; mais elles ne sont pas encore dans leur activité ; tout ce qui se passe et s’est passé sous tes yeux depuis quelques siècles, ne te présente que de puériles images de ce qui est réservé aux derniers temps ; l’ennemi n’y agit encore que par des ruses, des dissimulations, des subterfuges, parce que la famille divine des chrétiens n’est encore rassemblée que figurativement.

Lorsqu’elle sera rassemblée réellement, l’ennemi agira à force ouverte, et tout sera actif dans l’attaque comme dans la défense. Prépare-toi toujours à l’évènement comme s’il devait arriver dans l’instant, car tu ne sais pas l’heure, et d’ailleurs cette heure peut arriver pour chacun en particulier dès l’instant qu’il a formé la sincère résolution de rassembler sa propre famille. Or le meilleur moyen de te procurer la plus salutaire préparation, c’est de commencer par être toi-même ton plus cher prosélyte, et de ne te point quitter que, par tes instances, tes efforts et tes exhortations continuelles, tu ne sois parvenu à te faire rentrer dans le sein de l’Église et de la vérité.

 

 

16.

 

Semons encore un germe que nous laisserons croître ensuite, comme nous avons fait de tous les germes divers que nous avons déjà semés dans cet écrit ; puis nous en ramasserons les fruits et les récoltes à mesure qu’ils se présenteront. Ce germe, c’est l’arche d’alliance. Voyez quels travaux le peuple juif a supportés pour transporter l’arche d’alliance au travers des déserts, pour lui faire traverser les eaux du Jourdain, pour l’arracher des mains des peuples impies qui s’en étaient emparés et qui l’avaient voulu faire habiter avec leurs idoles. Mais voyez en même temps avec quels témoignages de joie et de jubilation David conduit cette arche sur la montagne sainte, en attendant que le temple de l’Éternel soit bâti.

Eh bien ! il faut que cette œuvre sainte s’opère en nous, pour que nous puissions dire que nous sommes admis au rang des sacrificateurs de l’éternel. L’arche sainte est en captivité en nous. Des impies qui ne savent pas distinguer la lumière d’avec les ténèbres retiennent cette arche sainte dans leurs demeures d’iniquité ; ils lui font mille outrages ; ils ne se contentent pas de la mettre en parallèle avec leurs fausses divinités, ils veulent qu’elle soit pour ces fausses divinités un objet de dérision ; ils veulent qu’elle soit leur esclave ; ils veulent qu’elle soit comme rien devant des divinités qui ne sont elles-mêmes que le néant.

Il faut que nous arrachions cette arche sainte de ces mains criminelles qu’ils outragent ; il faut que nous lui fassions traverser les déserts au milieu des peuples armés pour nous attaquer et la maintenir en leur possession. Il faut que nous la sentions sortir péniblement de dessous les décombres qui l’engloutissent, et traverser le vieil homme, en le faisant crier de douleur, jusqu’à ce qu’elle l’ait dépassé et qu’elle se soit remise à flot au-dessus de lui.

Vois-tu à quel prix cet air actif que la physique emploie se peut obtenir des corps qui le tenaient renfermé ? Ce n’est qu’en les violentant par des caustiques, ou qu’en les livrant à la putréfaction. Il en est de même du vieil homme qui doit être ainsi violemment dissous par le même feu sacré qu’il tient enseveli dans lui-même, et il faut qu’à chaque degré que ce feu va parcourir pour recouvrer sa liberté et sa splendeur, il dissolve, corrode et putréfie toutes les substances hétérogènes qui composent aujourd’hui en toi l’homme de ténèbres et l’homme de la mort : il faut que ces mêmes substances soient brisées et renversées par l’approche de ce feu sacré, comme l’idole de Dagon le fut par la présence de l’arche sainte ; il faut que les habitants de Bethsamès soient frappés de mort pour oser regarder cette arche sainte lorsqu’elle est ainsi conduite par le Seigneur, et que dans leur terreur ils la renvoient bien vite dans la ville de Cariathiarim ; il faut que lorsque David la ramènera de chez Obédédom jusqu’à Sion, tu aies toujours près de toi sept chœurs de musique, et qu’à chaque fois que ceux qui porteront l’arche auront fait six pas, tu immoles des victimes.

Il faut que tu la fasses entrer ainsi dans la villa sainte au milieu des cris de joie et au son des trompettes, et que quand tu l’auras placée au lieu qui lui est destiné, tu offres des holocaustes d’action de grâces, et que tu bénisses le peuple au nom du Seigneur des armées ; ne t’arrête pas même aux dédains de Michol. Michol partage les sentiments de Saül son père, et elle sera frappée de stérilité comme Saül sera privé du trône.

Rappelle-toi maintenant que ta parole, étant l’image de la parole éternelle, ne doit pas plus manquer son effet que cette parole divine elle-même dont tu es l’image. Rappelle-toi que lorsque tu as prononcé un décret contre l’ennemi avec toute la sécurité et toute la confiance de tes droits sur lui, il ne peut manquer de se voir chassé et renvoyé dans ses abymes, si tu sais accompagner ta résolution de toute l’opiniâtreté de la constance. Songe donc ici combien tes privilèges vont s’étendre et s’augmenter. Cette même sécurité, cette même assurance, cette même opiniâtreté de constance, qui n’est autre chose que le vif sentiment de la grandeur de ton être nourri et éclairé par la vraie lumière, te doit suivre dans les autres détails de ton œuvre et dans les autres régions de ta circonférence.

Présente-toi donc avec la même assurance aux régions élémentaires ; tu devras espérer que la vertu attachée à l’arche sainte fera diviser les eaux devant toi, pour pouvoir les passer sans péril, qu’elle fera convertir la rosée en manne salutaire pour te nourrir dans tes besoins, qu’elle fera couler l’eau des rochers pour te désaltérer, et qu’elle fera tomber le feu du ciel sur tes ennemis.

Présente-toi avec la même assurance à la région de l’esprit, et la vertu attachée à l’arche sainte établira des rapports entre toi et les ministres du Seigneur qui te dirigeront dans tes combats contre tes adversaires, qui te donneront connaissance de la terre promise, qui t’instruiront des lois sacrées qu’il faudra que tu y mettes en pratique, si tu veux en conserver la possession, et qui, le jour comme la nuit, marcheront en ta présence pour que tu ne t’écartes point des voies du Seigneur.

Cette vertu attachée à l’arche sainte te fera entrer dans les associations des patriarches et des prophètes pour que tu élèves ta pensée jusqu’aux régions divines, supérieures à ces régions figuratives que tu es obligé de parcourir si laborieusement ; ils t’apprendront par leur exemple que la vie divine a pour objet d’animer ton âme, et que c’est la demeure la plus chère, qu’elle puisse avoir ; tu en jugeras par tes affections particulières, mais aussi par la douce paix et la céleste sécurité que tu verras régner sur toute leur personne, et tu comprendras alors que cette vie divine est notre véritable élément naturel, que c’est là seulement où nous recevons sans trouble, sans agitation, comme sans fatigue, la manne réelle qui crée en nous la vie dans sa plénitude, parce qu’elle n’a aucun départ à subir.

Présente-toi avec la même assurance à la région divine, et la vertu attachée à l’arche sainte te fera ouvrir les portes éternelles, et fera descendre sur toi quelques écoulements de ces influences vivifiantes dont se remplissent à jamais les demeures de la lumière. Cette arche sainte en deviendra elle-même le premier réceptacle, et elle te fera jouir des promesses destinées à ceux qui auront fait un usage courageux du médicament d’amertume, d’où dépend notre universel renouvellement. Elle deviendra l’organe des oracles sacrés, et il suffira que tu te mettes en sa présence pour les entendre ; car la voix de notre Dieu est une voix vive qui ne s’interrompt plus dès l’instant qu’elle a commencé ; et les sons de cette voix ne tendent qu’à remplir toute l’universalité de leur douceur enchanteresse et si incomparable que nous ne pouvons la concevoir tant que tout notre être n’a pas acquis entièrement une nouvelle substance et n’est pas transformé dans toutes ses parties en une espèce d’écho Divin.

Cette même arche sainte engagera le grand prêtre de l’ordre de Melchisédech à te revêtir lui-même de tes habits sacerdotaux qu’il aura bénis auparavant, il te donnera de sa propre main les ordinations sanctifiantes par le moyen desquelles tu pourras, en son nom, verser les consolations dans les âmes, en leur faisant sentir par ton approche, par ton verbe purificateur, et par la sainteté de tes lumières, que nous passons dans l’esclavage, dans les ténèbres, et dans la mort tous les moments où nous ne sommes point directement dans l’atmosphère de notre Dieu ; et tu seras dans sa main comme les soldats dans la main de ce centenier qui dit à l’un : allez là, et il y va ; venez ici et il y vient.

 

 

17.

 

Cet enfant annoncé en toi par l’ange, cet enfant conçu en toi par l’obombration et l’opération de l’esprit, cet enfant né de toi sous les auspices de l’éternel, cet enfant, dis-je, approche de sa douzième année. Il laisse ses parents terrestres suivre le chemin de ceux qui s’en retournent après être venus, selon l’usage, célébrer la fête à Jérusalem. Pour lui, il s’arrête dans le temple ; il s’assoit au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant, et tous ceux qui l’écoutent sont ravis en admiration de sa sagesse et de ses réponses.

Si tu cultives soigneusement l’éducation de ce fils nouveau-né qui t’est accordé, tu le verras de même en peu d’années étonner les docteurs qui l’écouteront dans toi en silence ; et ces docteurs, ce seront les doutes que la matière et les ténèbres des faux éducateurs avaient élevés dans ton sein ; ce sont ces continuelles insinuations que l’esprit de mensonge t’avait suggérées tous les jours de ta vie, tant que ce nouveau-né n’avait pas vu le jour ; mais à peine aura-t-il fait les premiers pas dans la sagesse, qu’il renversera en toi, par sa doctrine et ses réponses, toutes les incertitudes et toutes les inquiétudes dont tu t’étais laissé remplir, et qui, malheureusement, ne s’étaient converties que trop souvent pour toi en persuasions, en démonstrations, en convictions.

Il transportera l’unité jusques devant tes yeux, jusques dans ton cœur, jusques dans ton esprit, jusques dans les plus subdivises de tes facultés ; il te la fera voir et toucher sensiblement dans tout ce qui peut être l’objet de tes spéculations, et même il te fera avouer que tu ne connais de mesure et de perfection qu’autant que cette unité règne dans les œuvres que tu contemples, et que toi-même n’étais dans le trouble et dans les extralignements que parce que cette unité n’était pas encore née pour toi et dans toi.

Alors tous ces docteurs qui t’avaient séduit et égaré seront eux-mêmes dans l’étonnement en apercevant l’empire de la parole de ton fils, et combien la lumière qu’il répand a d’analogie avec notre clarté naturelle. Chaque jour ils feront eux-mêmes de nouvelles découvertes à la lueur de ce flambeau qui brillera devant eux, et tu auras le plaisir de voir bientôt en toi mille peuples se convertir par ses discours et ses instructions, et devenir de sincères adorateurs de la vérité, de façon que tu ne tarderas pas d’être à toi seul une grande famille de fidèles qui ne cesseront d’élever jour et nuit des temples à la gloire du suprême auteur, dominateur, et régulateur de tout ce qui existe.

Tu ne seras pas surpris que ce fils chéri manifeste de si grands privilèges, quand tu réfléchiras que depuis sa naissance il n’aura cessé de manger du verbe, et que par conséquent il pourra en faire manger à son tour à tous ceux qui ouvriront l’oreille à ses paroles ; tu ne seras pas surpris qu’il t’en fasse manger en abondance, puisque ce fils chéri sera toi-même, et qu’il n’aura d’autre œuvre que de convertir en toi tout ce qui avait cessé d’être toi.

Rappelle-toi cette loi des hébreux, Lévitique 27, 28. Tout ce qui est consacré une fois au Seigneur sera pour lui comme étant une chose très sainte. Ce fils chéri pouvait-il n’être pas consacré au Seigneur, puisque sa conception avait été annoncée par l’ordre du Seigneur, puisqu’il avait été conçu par l’obombration et l’opération de l’esprit du Seigneur, puisqu’enfin il était né sous les auspices et par la puissance du Seigneur ? Ce fils n’était-il pas naturellement consacré au Seigneur, comme un fils est naturellement consacré à son père ? Car le Réparateur ne fut offert au temple et consacré au Seigneur que comme fils de l’homme, et comme revêtu de l’habit de l’esclave qui venait réclamer sa délivrance. Ton fils au contraire est le fils de la femme libre ; il est l’homme régénéré ; il est l’enfant spirituel né dans la région de l’esprit et de la vie ; comme tel il est présenté au temple et consacré au Seigneur par le droit même de sa naissance, comme le Verbe éternel est consacré à l’Ancien des jours avant la formation des siècles, puisque c’est ce Verbe qui a formé les siècles.

Ainsi ce fils chéri qui t’est accordé n’est point présenté aux temples qui ne sont bâtis que de la main des hommes, il n’est point consacré sur les autels figuratifs et sous les yeux des prêtres qui ne reçoivent leur caractère que dans le temps ; mais étant consacré à son père Divin et sous les yeux du Prêtre éternel qui, en opérant sa conception même, lui a imposé les mains de l’esprit, il n’est pas étonnant qu’il n’ait eu d’autre nourriture que l’esprit et le verbe ; il n’est pas étonnant qu’il croisse en sagesse, en âge, et en grâce devant Dieu et devant les hommes ; il n’est pas étonnant que tous ceux qui l’entendent soient ravis en admiration de sa sagesse et de ses réponses.

Toi qui n’es que sa mère, tu es affligée qu’il t’ait laissée aller seule pendant qu’il est resté dans le temple, et tu te plains à lui de ce que tu l’as cherché ainsi toute affligée ; mais fais comme Marie, écoute ce qu’il te répond : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je sois occupé à ce qui regarde le service de mon père ?

Tu ne comprends pas plus que Marie ces paroles ; mais fais comme elle, conserve toutes ces choses dans ton cœur. Elles t’apprendront que ce qu’il y a encore de matériel en toi ne peut rien comprendre aux choses de l’esprit, et qu’il doit naître de ton propre sein une lumière à laquelle les ténèbres qui t’enveloppent et qui te constituent sont extraordinairement étrangères, tant que ton œuvre n’est pas parvenue au complément de sa maturité. Tu aperçois bien une immense différence entre ton existence ténébreuse et ce fils chéri qui t’est né, comme Marie ne put méconnaître les grâces divines et les prodiges qui accompagnaient la naissance de son fils ; mais tu ne peux pas plus qu’elle concevoir la marche cachée de ce fils de l’esprit, et il est pour toi un continuel mystère, jusqu’à ce qu’il ait rempli le cours de toutes les manifestations auxquelles il est destiné.

Sais-tu pourquoi ? C’est que tu ne le connaîtras jamais parfaitement que lorsqu’il pourra dire à pleine voix : Saint, saint, saint. Et ici nous allons entrevoir un nouveau rayon sur la nature de l’homme, c’est-à-dire, sur la nature de l’esprit.

L’homme ou l’esprit est l’extrait actif de toutes les puissances divines, puisque Dieu est vivant ; et cet extrait actif des puissances de Dieu, comme nous l’avons vu ci-dessus, est une parole, puisque Dieu est la parole éternelle. Mais Dieu est saint ; Dieu est l’éternelle sainteté toujours se prononçant elle-même ; il faut donc que l’homme, l’esprit, ou la parole extraite de cette parole éternelle, représente activement son principe, et que son existence soit réellement la sainteté prononcée, de façon que Dieu ne produise pas un seul être hors de son sein sans faire entendre hors de soi, par ce seul acte, le mot saint qui se prononce éternellement dans son centre divin.

Ainsi l’homme, en recevant la naissance divine, manifesta cette céleste parole qui produisit au dehors la sainteté de Dieu ; ainsi lorsque depuis le crime la bonté souveraine veut bien régénérer l’homme, elle le met dans le cas de pouvoir répéter de nouveau, par sa propre existence, ce témoignage expressif de la source d’où il descend ; mais de même que l’homme ne put dans l’origine manifester ce témoignage actif que parce qu’il était l’extrait universel des puissances et de la sainteté Divine, de même aujourd’hui il ne peut recouvrer ce sublime privilège et faire vraiment entendre dans sa plénitude le nom de saint que quand il a recouvré cette plénitude de rapports spirituels et Divins qui lui rendent sa première nature.

Voilà pourquoi ce fils chéri que l’esprit a conçu en toi et qui t’est né ne sera vraiment connu de toi et de tous les tiens que quand il aura atteint de nouveau ce complément primitif.

Veux-tu savoir pourquoi l’homme n’est autre chose, par son origine, que ce mot saint prononcé par l’opération de Dieu ? Il faut pour cela que tu concoures avec moi, sans quoi cette preuve sera nulle pour toi. Essaye donc de te dépouiller de toutes ces entraves qui te retiennent dans les ténèbres, ramène-toi par des efforts et des prières constantes à ton unité spirituelle et à ta simplicité originelle, tu entendras prononcer au-dedans de toi ce mot : Saint, saint, saint, et tu auras par-là un témoignage de la vérité de ce que je t’expose. Ne sois pas étonné qu’il te faille suivre cette marche pour retourner à ta nature primitive ; comme il n’y a que ton crime qui t’en a séparé, il n’y a que ta vertu, c’est-à-dire, que ta fidélité aux grâces Divines qui puisse t’y ramener ; mais aussi dès qu’en t’y ramenant tu trouves au-dedans de toi ce mot saint, c’est une puissance démonstration que ce mot prononcé était autrefois tout ton être.

Je ne veux pas défigurer ce témoignage par un témoignage plus faible puisé dans les cris naturels de l’homme vers son Dieu quand il souffre et qu’il est malheureux ; tu ne serais pas à portée de faire ton expérience sur des êtres dans leur nature, tu n’en vois autour de toi que d’altérés et de manipulés par l’exemple et l’éducation ; d’ailleurs les maux dont ils se plaignent ne sont pas ceux qui les obstruent le plus, et ils ne songent pas seulement à se délivrer de leurs vrais maux, qui seuls les empêchent de connaître leur vrai Dieu et de s’y réclamer. Néanmoins ne néglige pas ce que ton intelligence peut te faire apercevoir dans la conduite de l’homme le plus extraligné ; tu peux toujours y rencontrer quelque étincelle de vérité. D’ailleurs si tu ne trouves sur ce point que des témoignages faibles dans l’homme qui souffre, tu en trouveras de plus frappants et de plus instructifs dans l’âme qui jouit et qui admire, et je te laisse le soin de les recueillir.

 

 

18.

 

Je ne m’arrête point à remarquer le nombre de douze ans auquel le Réparateur se montra dans le temple, ni les rapports que ce nombre présente avec le nombre de la nature, avec celui de l’élection des tribus, confirmée par l’élection des douze apôtres et accomplie en avenir dans les prédictions de l’Apocalypse.

Ici nous considérons cette apparition au temple comme le premier degré de l’œuvre de l’esprit en nous, après qu’il y a conçu et opéré la naissance de notre fils ou du nouvel homme.

Les temps viendront où l’œuvre trine s’accomplira sur ce nouvel homme, où l’action et le nom de l’esprit, l’action et le nom du fils, l’action et le nom du père se communiqueront et se réuniront dans ce nouvel homme, de manière à n’offrir à la fois, dans toutes les dimensions de son être, qu’une seule action, qu’un seul nom, qu’une seule opération, qu’une seule multiplication qui placera l’homme continuellement au milieu de l’atmosphère de la vie, et qui le rendra si redoutable à ses ennemis qu’ils fuiront devant lui comme les ténèbres fuient devant l’astre du jour, et vont toujours se cachant, comme étant frappés par la terreur de sa puissance et éblouis par la splendeur de sa lumière.

Dieu de force, Dieu de vie, Dieu de longanimité, aide-moi à accélérer ces temps si propices et si salutaires ! Aide-moi au moins à ne pas les retarder par ma défiance et ma lâcheté, aide-moi à préparer par la constante activité de ma pénitence l’empreinte sacrée de ton triple sceau sur toute ma personne, de ce triple sceau dont l’unité est un feu dévorant qui consume tout ce qui n’est pas né de l’esprit, de ce triple sceau qui n’abandonne plus l’âme humaine dès qu’il a imprimé profondément sur elle ses vivifiants caractères, de ce triple sceau qui transporte aussitôt l’homme hors de cette sphère de langueur et de dégoût où nous ne nous nourrissons que de la mort au lieu de goûter les délices inexprimables du lieu de paix où nous avons puisé la naissance, et toi, sagesse sainte, qui devrais être notre aliment de toutes les heures et de tous les moments, viens poser tes mains bienfaisantes sur ces signes sacrés que la bonté suprême a daigné attacher sur l’homme ; que tes mains soient comme autant de bandelettes qui contiennent et fixent le baume vivifiant qui a été appliqué sur mes plaies, et qu’elles en fassent pénétrer les sucs et les esprits régénérateurs jusque dans mes substances les plus corrompues, afin que le peu de vie qui y reste reprenne ses forces et que mes membres reprennent leur agilité.

Sagesse, sagesse, l’homme ne connaît point assez tes essentielles propriétés. Sans toi les vertus Divines lui deviennent inutiles et n’empêchent pas qu’il ne s’altère et ne se détruise, comme sans l’air qui pèse sur les corps toutes les vertus de la nature se sépareraient, et les formes seraient bientôt conduites à leur dissolution. Homme, je te le répète, dirige tes vues, tes désirs, tous tes efforts vers la réunion de ce triple sceau sur toi, et vers l’application de la sagesse sur ce triple sceau ; il n’y aura rien pour toi que cette clef ne puisse ouvrir et personne ne fermera ; et rien que tu ne puisses fermer et personne n’ouvrira, parce que cette sagesse fera de toi une image de l’éternité, en t’enveloppant de toutes parts, et te rendant comme une sorte de sphère divine qui par sa forme sera inaccessible et inaltérable à tous les pouvoirs de l’illusion.

En effet, par où tes ennemis pourraient-ils t’atteindre si la sanctification et la vie ont détruit en toi toutes les substances fausses sur lesquelles ils auraient osé exercer leurs droits ? Par où tes ennemis pourraient-ils t’atteindre si tu sens en toi se mouvoir la quadruple force de l’être ordonnateur, sanctificateur, dominateur et conservateur ?

Car le privilège du grand nom qui t’est donné est d’embrasser ainsi toute ta circonférence, attendu qu’il embrasse d’abord ton premier cœur, puis ta tête, puis ton second cœur, puis toute ta personne, dont il fait ainsi un quaternaire actif dont il est toujours le centre, et qui est le type du quaternaire universel ; et comme il ne désire que de tenir tout ton être dans une entière activité, il te met dans le cas, à tous les moments de ta vie, de faire sortir de toutes tes diverses facultés autant de paroles d’ordre et de régularité qui tiennent l’ennemi dans un perpétuel tremblement en ta présence.

Mais n’oublie pas à quel prix tu peux espérer de parvenir à de semblables privilèges ; et pour te rappeler journellement ta loi sur ce point, retrace-toi ce que la loi ordonnait aux hébreux au sujet des choses soumises à la consécration de l’anathème ; car tu n’ignores plus maintenant que la Bible entière n’ait l’homme pour objet, et qu’ainsi, dans le vrai, la meilleure traduction qui puisse jamais exister de la Bible, c’est l’homme.

Souviens-toi donc que tout ce qui était consacré par l’anathème devait être soumis à une entière destruction. (Lévitique 27.) Souviens-toi de l’exemple funeste que le peuple hébreu offrit de la justice divine pour avoir désobéi à la loi lors de la prise de Jéricho. (Josué 7.) Souviens-toi que parce qu’Achan voulut, malgré la défense de Josué, réserver quelques effets condamnés à l’anathème, le peuple fui vaincu par les habitants de Haï, et ne put remporter la victoire qu’après que le prévaricateur eut subi son supplice.

Sache donc que depuis le crime, toutes les nations païennes qui composent ton existence d’aujourd’hui ont été condamnées à l’anathème ; non-seulement elles, mais leurs habitations, leurs possessions, leurs troupeaux, leurs vêtements, leurs récoltes, leurs idoles, et généralement tout ce qui leur appartient. Le Seigneur, en t’envoyant par sa pure grâce à la conquête de ces pays et de ces peuples, ne t’a pas laissé ignorer cette loi de l’anathème, puisque la terre fut maudite après le péché. Toute ta forme corporelle représente cette terre de malédiction et toutes les substances ténébreuses, mensongères et illusoires qui agissent dans cette forme corporelle représentent toutes tes nations impies qui remplissaient la terre de Chanaan.

C’est à toi de marcher à la conquête qui t’est offerte, avec la ferme intention de t’y conduire conformément à la loi qui doit assurer tes succès : car si tu réserves la moindre partie de l’anathème, si tu ne livres pas au feu et à la destruction toutes les possessions des habitants, bien plus, si tu ne passes pas au fil de l’épée tous les habitants eux-mêmes, sans distinction d’âge ni de sexe, tu peux compter que non-seulement tu ne parviendras pas au but de tes saintes entreprises, mais que même ceux que tu aurais dû soumettre deviendront tes vainqueurs et tes maîtres, et que tu seras continuellement exposé à être battu par l’ennemi, emmené en esclavage, et même exterminé, jusqu’à ce que tu aies confessé ton crime, jusqu’à ce que tu aies déclaré toi-même quelles sont les portions de l’anathème que tu as réservées, et jusqu’à ce que la justice ait tiré la plus éclatante vengeance de ta prévarication.

La loi du sort est infaillible quand elle vient visiter les prévaricateurs contre les ordonnances sacrées du Seigneur, et contre celles que l’homme de Dieu peut prononcer au nom de son souverain maître ; et si les hommes aveugles ont introduit cet usage dans leurs ténébreux jugements sur les simples prévarications inférieures, ils nous ont au moins montré qu’ils avaient conservé l’idée de ce redoutable pouvoir du sort, quoiqu’ils ne pussent plus en faire qu’un usage faux et abusif dès qu’ils n’en possédaient plus l’esprit.

Songe donc que cette loi du sort, administrée par l’homme de Dieu, met par là l’esprit dans sa voie directe, au moyen de quoi elle ne peut manquer de conduire cet esprit à son but, comme un puissant remède que le savant médecin sait appliquer à propos, de manière que ce remède ne manque point d’aller chercher le mal dans ses plus profondes retraites, de le rencontrer, et de le frapper, quelque mélangé et quelque combiné que ce mal soit avec des parties saines. Cette loi du sort de l’esprit est toujours en activité sur toi, et elle ne manquera point de découvrir d’abord quelle est celle de tes tribus qui se sera laissée aller à violer l’ordonnance de l’anathème, ensuite quelle est la famille de cette tribu qui renferme le prévaricateur, et enfin quel est l’individu de cette famille qui sera lui-même le coupable ; cette recherche ne cessera jamais ni pour toi, ni pour aucun homme, et c’est dans la grande vallée d’Achor qu’un jour à venir seront conduits les prévaricateurs, avec tout ce qu’ils auront réservé de l’anathème, et là ils seront lapidés par tout le peuple.

 

 

19.

 

Faites place à l’esprit. Ne voyez-vous pas comme il se presse de fendre la foule ; c’est qu’il a à faire une œuvre si importante, et il a tant de zèle qu’il craint de perdre un instant. Il a d’ailleurs un si grand espace à parcourir, qu’il craint de ne pas arriver jusqu’au terme, avant que le temps qui lui est donné pour cet objet ne soit expiré. Il faut qu’il se rende du lieu de sa demeure jusques dans les dernières profondeurs de l’homme ; faites place à l’esprit, et laissez-le arriver jusques dans les profondeurs de l’homme. Il n’y vient que pour y placer la parole de la sainteté, d’où l’homme verra croître en lui à la fois les sept vertus, qui seront les sept colonnes de cet édifice fondé sur le roc vif, et qui doit être l’éternelle Église de notre Dieu.

Comment cette Église serait-elle renversée ? Ses sept colonnes reposent sur la sainteté, et elles s’élèvent jusque dans la demeure du très-haut ; là elles puisent continuellement la sève divine et la rapportent jusqu’aux saints fondements du temple. Comment cette Église serait-elle renversée ? Ses sept colonnes sont intimement liées à sa base et à son sommet tout à la fois. La base, les colonnes, le sommet de l’édifice tout n’est qu’un ; il est impossible qu’il ne se meuve pas tout ensemble, et qu’aucune force en puisse jamais séparer la moindre partie.

Base de l’édifice, contemple-toi donc avec transport et avec délices ; occupe-toi sans relâche à te pénétrer de l’huile de joie que les sept colonnes ne cessent de faire parvenir jusqu’à toi ; tous les fruits que tu produiras répandront la vie, la force, la sainteté. Il faut que lu produises tous ces fruits-là sans relâche, puisque les sept colonnes t’apportent sans relâche la sève de reproduction, et que sans relâche le suprême auteur des êtres distribue cette sève toujours nouvelle, à ces sept colonnes chargées de te la transmettre. Ce n’est pas même ici comme pour la culture terrestre où le cercle des temps doit tourner un grand nombre de fois sur les semences de la terre avant qu’elle puisse récompenser les soins du laboureur ; il faut que ce cercle des temps devienne pour toi comme imperceptible, et qu’à tous les moments tu montres ta fertilité, parce qu’à tout moment ta région est menacée de la disette.

Faites place à l’esprit ; il vient apporter à la base du temple tous les moyens d’élever à demeure son édifice, et de le faire subsister intact malgré la jalousie des Samaritains, et il fera que ce temple s’attirera le respect et l’admiration de tous les peuples. Comment cette admiration pourrait-elle avoir lieu, comment cet édifice pourrait-il être si majestueux, si l’éternel architecte n’en avait lui-même fourni les plans, et tracé les diverses distributions, et s’il ne l’engendrait continuellement de sa propre source ? C’est pour cela que son esprit vient apporter, jusqu’à notre centre le plus intérieur, les paroles vivantes qui se réactionnent mutuellement par leurs diverses puissances et propriétés, et font sortir d’elles-mêmes cette lumière, et cette vie qui assure une éternelle durée à ce temple qu’elles ont bâti de leurs propres mains.

Oui, le cœur de l’homme est un foyer où toutes les paroles divines se pressent et s’accumulent, et où elles sont en une continuelle fermentation. C’est cette fermentation des paroles divines dans l’homme qui, par leur mutuelle réaction, produit le mouvement spirituel de notre âme, et la préserve de l’état de mort et de stagnation ; quiconque n’a pas senti physiquement cette fermentation intérieure ne peut point encore avoir la moindre idée de l’origine de l’homme, ni par conséquent de sa renaissance ou du nouvel homme. Car cette fermentation est le principe exclusif et nécessaire pour nous faire reprendre la forme que nous avons perdue, et si nous n’avons pas le sentiment vif et physique de ce principe, comment aurons-nous le sentiment des effets qui en doivent résulter, et des œuvres que nous aurons à produire, c’est-à-dire, comment pourrons-nous remplir notre destination ?

Ouvrons donc notre âme à cette accumulation des paroles divines en nous, n’apportons aucun obstacle à leur fermentation mutuelle en les empêchant de s’approcher et de se réactionner physiquement en nous, si nous voulons que nos paroles acquièrent à leur tour quelques propriétés physiques. Recueillons précieusement les moindres résultats de cette fermentation des paroles divines en nous, puisque c’est ainsi qu’elles ont formé le monde, puisque c’est ainsi qu’elles l’entretiennent, et opèrent continuellement l’existence de l’œuvre qu’elles ont produite, et puisque c’est ainsi qu’elles ont formé notre âme, et qu’elles veulent de nouveau la former aujourd’hui, car les voies de la sagesse ne sont d’une constance et d’une uniformité si sublime que pour que l’homme ait plus de facilité à les retrouver lorsqu’il s’en est écarté, et pour que, du sein de ses ténèbres même, il puisse recouvrer des aperçus certains et positifs sur des lois qu’il n’aurait jamais dû oublier.

Nous avons vu ci-dessus avec quelle lenteur les différents sédiments se rassemblaient dans la terre pour y former le roc vif et les masses de pierres ; mais nous voyons aussi de quelle immense utilité sont pour nous ces substances solides que nous extrayons du sein des rochers. Laissons, laissons donc aussi accumuler en nous avec un respectueux et prudent désir les influences vivantes et les sédiments spirituels que la vérité dépose journellement dans notre sein. Non-seulement nous pourrons un jour en extraire des pierres vives pour servir de base à nos édifices de tout genre, non-seulement nous en ferons des remparts pour nos forteresses, non-seulement nous pourrons en former des palais et des temples, mais nous pourrons en former aussi de longs aqueducs qui amèneront l’eau des endroits les plus éloignés dans les places et les lieux stériles, afin d’y rétablir la vie et la végétation ; enfin nous pourrons en former de solides et vastes ponts qui nous aideront à traverser en sûreté les fleuves et les torrents ; car le Dieu des êtres ne cherche autre chose que de réaliser dans nous toutes les lois vives dont la nature et le temps ne cessent de nous présenter des images passagères et matérielles.

Le Réparateur lui-même ne laissait-il pas accumuler en lui dans sa patience et dans sa paix toutes ces substances pures et salutaires que l’éternelle sagesse faisait successivement déposer dans son sein, et par lesquelles il devait un jour trouver en lui, lorsque les mesures seraient remplies, tout ce qui serait nécessaire pour l’avantage de la postérité humaine, pour la défendre de ses ennemis, pour fermer le puits de l’abîme, pour former la clef de la voûte du temple, pour nous élever à tous une forteresse impénétrable et un temple que les temps n’altéreront plus ? Et ce sont les jours de l’obscurité du Réparateur qui furent employés à ces utiles préparations, dont les résultats devaient se propager au-delà des siècles.

Ce sont ces temps silencieux et gouvernés par la prudence et la retraite qui disposent l’homme à remplir un jour sa mission avec succès, pour la gloire de son maître, pour l’avantage de ses propres frères, et pour l’avancement du règne du Seigneur, en se remplissant ainsi chaque jour des forces nécessaires pour aller attaquer les ennemis de la vérité et les plonger dans leurs ténébreux précipices. Aussi S. Luc nous apprend-il que le Réparateur, en attendant l’heure de la consommation, passait ses jours dans la prière et dans les déserts ; aussi Moïse, que l’on doit regarder comme un des précurseurs de ce Divin Réparateur, passait-il ses jours dans les déserts de Madian, jusqu’au moment où il reçut ordre du Seigneur d’aller délivrer ses frères et de commander à Pharaon de laisser aller le peuple de Dieu en liberté, afin qu’il pût offrir ses sacrifices à l’éternel.

 

 

20.

 

Si toutes les puissances divines se transformaient en autant de verbes brûlants, et en autant d’instruments aigus et pénétrants qui, tous à la fois, rompissent les divers liens qui retiennent notre être pensant, et le rendissent à sa liberté et à toute sa sensibilité Divine, quelle langue pourrait alors exprimer notre situation ravissante ? Voilà cependant ce que nous pouvons attendre de notre renaissance, si nous sommes assez persévérants pour la poursuivre avec une constante activité, car au moment où nous nous y attendrons le moins, notre heure spirituelle arrivera et nous fera connaître, comme à l’improviste, ce délicieux état du nouvel homme.

C’est dans cette classe que sont choisis ceux qui sont destinés à administrer les sanctifications du Seigneur. C’est d’en haut que descendent physiquement sur eux les influences purifiantes et fortifiantes qui deviennent dans leur main comme un ferme bâton, plus puissant que la massue des héros de la fable, plus élevé que le plus haut cèdre du Liban, et avec lequel ils peuvent franchir sans danger toute l’immensité des mers.

Les influences de la région inférieure sont bien loin d’avoir une semblable propriété ; ce n’est que l’influence corrompue qui s’élève ainsi de là région inférieure ; elle s’en élève par notre défaut de surveillance, encore plus que par un ordre d’en haut, qui quelquefois cependant l’envoie pour épreuve ; elle ne s’offre à nous que sous des formes irrégulières et sous des couleurs hideuses ; les formes même qu’elle prend ne se soutiennent pas et ne font que se déformer continuellement, parce qu’elle n’a pas le principe des formes régulières ; elle se montre comme à l’improviste et comme ayant profité de quelque issue que nous aurons laissée ouverte ; elle se montre plus dans la prière que dans d’autres circonstances, parce que là nous ouvrons plus de portes qu’à l’ordinaire, et que cependant nous n’avons pas souvent là plus qu’à l’ordinaire l’attention et la force de poser des sentinelles à toutes les portes que nous ouvrons.

Mais au moment où elle se montre ainsi à l’improviste, elle est un moment immobile, et semble étonnée comme un voleur qui est entré dans une maison qu’il a trouvée ouverte, et qui d’abord est troublé et inquiet si personne ne l’observe, qui cherche à démêler quelle est la distribution de la maison, et est comme ébloui des divers objets qu’il y aperçoit et qui tentent d’autant plus sa cupidité qu’il n’est pas accoutumé à se trouver en de semblables lieux ni à jouir de semblables richesses. Si l’on n’a pas soin de repousser cette influence vivement dès qu’on l’aperçoit, elle poursuit ses desseins criminels, et peut parvenir enfin jusqu’à s’emparer de la maison et à en chasser le propriétaire.

Mais si l’on se met aussitôt en devoir de la déconcerter dans ses projets, elle fuit sur-le-champ dans ses abymes, ou bien sa forme s’altère, varie, et se décompose, le tout plus ou moins promptement, et avec plus ou moins de différences, selon que nous mettons plus ou moins de forces, de promptitude, et de vivacité à nous opposer à ses entreprises.

L’influence qui vient d’en haut est au contraire le plus souvent sans forme ; elle précipite en bas tout ce qui est irrégulier et ténébreux ; elle presse tous nos principes d’activité, et les fait passer de force au travers de nos substances composées et corrompues pour les dissoudre et faire paraître la lumière là où il n’y avait que ténèbres ; voilà pourquoi cette influence supérieure nous donne tant de divers moyens de monter au-dessus de notre état ordinaire ; pourquoi elle développe en nous tant de facultés dont notre matière ne peut avoir ni la jouissance ni la connaissance, et pourquoi ces diverses propriétés dont nous sommes susceptibles se manifestent par des rayons aigus et acérés, comme ceux de la lumière et du feu.

C’est aussi pour cela que l’Écriture compare continuellement la parole à des flèches acérées et à une épée à deux tranchants ; non pas seulement parce que cette parole a sans cesse des ennemis à combattre et à renverser, mais encore parce qu’elle prend sans cesse la naissance au milieu des entraves qui la resserrent, qui la forcent à s’affiler et à s’aiguiser en quelque sorte pour se faire jour au travers de toutes ces substances étrangères dont elle est encombrée.

Telle est donc la pénible destinée de cette parole chérie que la sagesse fait naître dans le nouvel homme, et qui ne s’y peut engendrer qu’en rompant toutes les barrières qui la retiennent dans l’esclavage et dans la contrainte ; c’est la pression de l’influence supérieure qui force cette parole à traverser ainsi péniblement ses entraves et à se manifester sous des traits aigus dont notre langue corporelle est l’image, et dont nous trouverions des figures encore plus frappantes dans la manifestation qui arriva aux apôtres à Jérusalem, si notre plan ne nous défendait pas d’anticiper sur l’ordre des objets que nous aurons à exposer dans cet écrit.

Cela n’empêche pas qu’en attendant nous ne voyions, dans l’exemple de la naissance de la parole en nous, comment tout est révélation, puisque tout est parole, et puisque toutes les paroles sont comme ensevelies dans des abîmes, dont on ne peut les tirer qu’avec violence ; et cependant les hommes ne veulent pas croire à une révélation, tant on s’y est mal pris pour les en convaincre, tandis qu’en les ramenant à eux-mêmes on leur eût prouvé tellement la révélation universelle et de tous les moments, qu’ils auraient été naturellement disposés par-là à ne voir et à ne reconnaître l’œuvre du Réparateur que comme une plus grande révélation que celle qui se passait en eux ; et comme elle est du même genre, quoiqu’elle embrasse un plan plus vaste, elle pourrait leur paraître plus admirable, comme étant plus sublime, mais non pas plus extraordinaire. Ils auraient même appris, par l’examen des diverses époques du genre humain, à reconnaître les immenses services que cette révélation du Réparateur leur avait rendus, en observant ces diverses époques sur l’homme particulier.

Car si l’homme a le bonheur de voir naître en lui le fils de l’esprit ou le nouvel homme, il aperçoit bientôt la différence de ce nouvel état pour lui à son état antérieur ; et cette différence consiste en ce que, dans ce nouvel état, il est sûr, par ses efforts et la persévérance dans sa prière, d’obtenir les fruits de ses désirs purs, soit des lumières et des développements, soit des consolations, soit des dons de l’esprit pour la manifestation de la gloire de son Maître, toutes choses que nous pouvons maintenant regarder comme autant de révélations. Mais dans son état antérieur, il n’avait pas la même certitude, et malgré toutes ses entreprises les plus courageuses, il ne pouvait se flatter du même succès, et les espèces de révélations dont il était susceptible alors lui parvenaient d’une manière plus voilée, plus figurative, et qui le laissait souvent comme dans l’attente des biens qu’on ne faisait que lui montrer.

L’homme ne devrait donc plus s’étonner de voir ce qui est dit dans la révélation du Réparateur. Math, 11 : 12. 13. Or, depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux se prend par violence, et les violons l’emportent. Car jusqu’à Jean tous les prophètes aussi bien que la loi ont prophétisé. Il sentirait en même temps tout le prix de cette révélation du Réparateur, c’est-à-dire, de l’œuvre qu’Il est venu opérer pour la délivrance de notre parole, puisque ce n’est que par cette révélation du Réparateur et par les vertus de son œuvre que nous pouvons espérer chacun de parvenir à notre révélation particulière, ou à la naissance de notre nouvel homme, lequel, seul, peut nous mettre à même de prendre désormais le ciel par violence, au lieu qu’auparavant nous devions attendre qu’il se donnât, à moins que nous ne fussions de la classe des êtres privilégiés.

En effet, de même que, sous la révélation du Réparateur, il est des êtres au devant de qui le royaume du ciel est venu, sans attendre qu’ils le prissent par violence, de même nous avons vu sous la loi et sous les prophètes plusieurs élus à qui la gloire de cette révélation du Réparateur a été montrée d’avance, ce qui les a remplis de joie, tandis que les autres hommes de leur temps restaient ensevelis sous le voile de la loi et sous les diverses figures des prophéties.

C’était donc par cette étude de l’homme, par des encouragements réitérés à faire naître en lui un nouvel homme, et par la comparaison de ses divers états que l’on aurait dû travailler à ouvrir les yeux des hommes de désir sur la nature des révélations en général, sur la nature de nos révélations particulières, et sur la nature de la seule révélation, d’où puissent ressortir toutes les autres révélations quelconques, parce que cette révélation unique, ayant produit dans l’origine tout ce qui a été englouti par le crime, était aussi la seule qui pût arracher au tombeau et aux ténèbres tout ce que le crime y tenait renfermé, et voilà pourquoi cette révélation du Réparateur a été, est, et sera à jamais la révélation universelle.

 

 

21.

 

Comme images de l’unité universelle, nous devons établir universellement des unités en nous, si nous voulons faire des progrès dans l’éducation du nouvel homme. Car dans notre œuvre générale comme dans toutes nos œuvres particulières, nous n’obtiendrons rien de permanent, nous ne produirons rien de parfait, nous ne jouirons d’aucune paix, ni d’aucune lumière réelle, si tout ce que nous obtenons, tout ce que nous produisons, tout ce dont nous jouissons, n’est pas le fruit et le résultat d’une unité. C’est peut être ici l’avis le plus salutaire que nous puissions recevoir dans ce bas monde.

La principale unité que nous devions chercher à établir en nous, c’est l’unité de désir, par laquelle l’ardeur de notre régénération devienne pour nous une passion si dominante qu’elle absorbe toutes nos affections et nous entraîne comme malgré nous, de manière que toutes nos pensées, tous nos actes, tous nos mouvements soient constamment subordonnés à cette dominante passion ; de cette unité fondamentale nous verrons découler une multitude d’autres unités qui doivent nous gouverner avec le même empire, chacune selon sa classe ; ou pour mieux dire, toutes ces diverses unités sont tellement liées les unes aux autres qu’elles se succèdent et se soutiennent mutuellement sans qu’elles soient jamais étrangères entr’elles.

Ainsi, unité dans l’amour, unité dans l’œuvre de la pénitence, unité dans l’humilité, unité dans le courage, unité dans la charité, unité dans le dépouillement de l’esprit de la terre, unité dans la résignation, unité dans la patience, unité dans la soumission à la volonté suprême, unité dans le soin de nous revêtir de l’esprit de vérité, unité dans l’espérance de recouvrer les biens que nous avons perdus, unité dans la foi que notre volonté purifiée et unie à celle de Dieu doit avoir son accomplissement dès ce monde, unité dans la détermination à dissiper les ténèbres de l’ignorance dont notre séjour nous enveloppe, unité dans la vigilance, unité dans la constance à la prière, unité dans la continuelle culture des Écritures saintes ; enfin unité dans tout ce que nous sentons être propre à nous purifier, à nous alléger de ce bas monde, et à nous avancer dans notre royaume qui est le royaume de l’esprit et le royaume de Dieu ; voilà la loi que nous devons nous imposer.

Quoique ces différentes unités soient intimement liées ensemble et appartiennent à la même racine, ce n’est point à dire pour cela qu’elles doivent toutes agir à la fois ; il n’y a que Dieu dans qui toutes les unités paisibles et douces soient dans une perpétuelle et commune activité, parce qu’il n’y a que lui qui soit la vraie et radicale unité.

Mais nous devons nous attacher avec une activité entière à celle de nos unités qui se présente à nous pour le moment, si nous voulons en retirer les avantages qu’elle désire de nous procurer ; nous ne devons point lâcher prise que nous ne sentions que cette unité a réellement pris en nous son essentiel caractère, et qu’elle a transformé en une unité effective celle de nos facultés sur laquelle elle est venue frapper.

Nous ne pouvons guère nous tromper là-dessus ni nous en imposer à nous-mêmes, parce que soit dans les œuvres, soit dans l’acquisition des lumières et la pratique des vertus, nous avons une unité intérieure à laquelle toutes nos unités diverses doivent correspondre, et qui, comme un juge intègre, nous donne l’assentiment de nos bons ou mauvais succès. Ajoutons par anticipation que cette unité intérieure qui est en nous nous donne l’assentiment de nos bons ou mauvais succès dans la marche de nos unités diverses, par la raison qu’elle est liée elle-même à l’unité suprême et universelle. C’est donc notre unité intérieure qui devient l’arbitre de nos unités partielles, et qui nous fait sentir si elles ont atteint leur complément.

Nous verrons ailleurs comment en effet ces unités partielles doivent opérer de semblables résultats en nous pour remplir l’objet de leur existence et de leur loi, puisqu’il n’y a pas un être dans la nature qui ne doive produire également une unité selon sa classe, et même une unité qui présente sensiblement le tableau de tout ce qui existe. Ainsi, à plus forte raison, notre être pensant doit-il jouir d’un semblable privilège, puisqu’il est chargé spécialement de représenter l’être saint, éternel et divin, au lieu que les substances de la nature ne manifestent que les puissances de cet auteur universel des anges, des esprits, et de tout l’univers.

Quel est maintenant le sublime avantage que nom devons espérer d’obtenir si nous établissons en nous-même, par des soins soutenus, ces diverses unités particulières, virtuelles, et vertueuses, dont notre unité intérieure est la base et le foyer ?

Cet avantage est de multiplier tellement nos rapports avec l’unité suprême que quand nous avons atteint le nombre nécessaire des ces rapports pour que notre ressemblance avec elle soit au moins ébauchée, cette unité suprême, elle-même, ne craint point de se rendre à l’attrait divin qu’elle éprouve éternellement pour sa créature et pour son image, elle ne craint point de substituer son action, paisible, et vivifiante, à nos actions pénibles et laborieuses, de s’emparer tellement soit de nos unités partielles, soit de notre unité intérieure, que notre marche spirituelle nous devienne aussi naturelle que si nous n’avions pas quitté le séjour de la sainteté ; enfin de faire en sorte que nous n’ayons plus de répugnance à éprouver dans nos œuvres, plus d’obscurité dans nos connaissances, plus de fatigue dans l’exercice de nos vertus. Délicieuse perspective dont nous sommes malheureusement ici-bas si éloignés qu’il faut être déjà avancé dans la carrière pour qu’elle ne nous paraisse pas absolument illusoire et chimérique.

Dieu suprême, comment nous flatter en effet que, dans l’état d’opprobre et d’iniquité où nous languissons, nous puissions habiter en toi et que tu daignes habiter en nous ! Comment ton unité universelle s’unirait-elle à des unités aussi incomplètes que celles qui se manifestent journellement dans l’homme ? Bien plus, comment s’unirait-elle à des nombres dont l’irrégularité est si manifeste ?

Ne craignons point de le dire ; c’est une faveur de cette sagesse infinie qu’elle suspende ainsi sa jonction avec nous, et qu’elle diffère de lever le voile du temple jusqu’à ce que nous soyons plus forts pour soutenir l’éclat de sa lumière ; car non-seulement elle nous éblouirait, mais cela pourrait aller jusqu’à nous faire perdre la vue.

Lorsque nous avons peint antérieurement quels seraient les délices que nous éprouverions, si toutes les puissances divines se transformaient pour nous en autant de verbes brûlants, nous avons supposé que l’esprit de l’homme aurait déjà fait tous ces travaux préliminaires, toutes ces collections d’unités partielles dont son unité intérieure lui donne la règle et la mesure, et le met en rapport et en correspondance avec l’unité suprême et universelle ; sans cela, malheur à lui si cette unité suprême faisait un mouvement si marqué et si important ! malheur à lui si elle lui découvrait toute sa gloire !

Car, ne trouvant point en lui de justes analogies avec son unité qui doit toujours triompher (et cela par sa puissance et sa force, quand elle ne trouve pas à triompher par son amour et par ses bienfaits), elle le ferait périr de honte par son énorme disproportion, et en lui faisant connaître combien il est défiguré ; elle dissoudrait toutes les puissances fausses qui seraient en activité en lui ; elle le laisserait dans le néant spirituel absolu, où il ne pourrait éprouver que le désespoir d’atteindre à un terme si éloigné ; et au lieu de l’animer de l’unité de la vie qu’elle porte en elle-même, elle le réduirait à une unité de mort par l’impossibilité de former aucun rapport de vérité ni aucune correspondance spirituelle divine avec lui.

Nous pouvons en donner une raison bien simple, c’est que les unités partielles que nous devons sans cesse établir en nous sont les intermèdes indispensables pour que l’action divine se tempère avant de pénétrer jusqu’à notre centre ; et de même que la divinité ne se communique que par ses manifestations et par ses puissances, de même aussi nous ne pouvons lui ressembler que par les manifestations de nos facultés et de nos vertus, qui sont les organes et les puissances de notre âme.

 

 

22.

 

Si nous pénétrions davantage dans l’industrieuse sagesse de notre Dieu, nous suspendrions bientôt nos murmures contre les obstacles que nous rencontrons dans notre région terrestre. Tous ces obstacles, toutes ces difficultés nous sont envoyées pour différer cette explosion divine, dont nous sommes si peu dignes que, je le répète, nous chercherions à nous cacher dans les cavernes de la terre si l’on nous en laisse connaître le moindre aperçu avant notre terme. En même temps ils servent à développer en nous toutes ces unités partielles dont nous avons parlé précédemment, et qui doivent nous aider à rétablir nos relations avec notre principe et à nous rendre de nouveau son image. Car ce serait en vain que nous croirions nous être rendus de nouveau son image si nous n’avons pas porté toutes nos unités jusqu’à la mesure où elles peuvent atteindre, puisque c’est le complément et la juste mesure de ces unités qui peut seule nous rendre les traits de notre ancienne ressemblance avec notre principe.

Regardons-nous donc ici-bas comme dans un lieu de préparation où l’on demande de nous que nous rendions à nos facultés les dispositions qui leur sont absolument nécessaires pour pouvoir être employées à l’œuvre. Travaillons sans cesse à ce que l’unité de notre foi devienne propre à transporter les montagnes, à ce que l’unité de notre dépouillement devienne insensible aux privations, à ce que l’unité de notre charité nous mette en état de brûler et de donner notre vie pour nos frères, à ce que l’unité de notre courage nous donne les moyens de subjuguer tout ce qui est matière ; combat dans lequel nous avons si beau jeu, puisque la matière est indifférente et prend toutes les formes que nous voulons lui donner. Enfin, exerçons continuellement toutes les unités de nos vertus et de nos dons spirituels, et ne doutons pas que lorsqu’elles auront atteint une mesure approuvée par la sagesse, elles ne reçoivent de sa main le complément dont elles seront capables.

Mais gardons-nous de vouloir agir avant cette heureuse époque, et par les mouvements de notre impatience. Avant de croire aux fruits de la loi, il faut commencer par croire à la loi ; car, selon l’évangile, comment croire au Réparateur si l’on ne croit d’abord à Moïse et à la loi qui ont parlé de ce Réparateur ? Or la loi de l’homme de l’esprit est de ne pas faire un mouvement dans la carrière supérieure sans que ce mouvement ne soit ordonné et précédé par une parole qui devient pour lui ce que Moïse et les prophètes étaient pour les appelés et les élus à la loi de grâce. Et si l’homme ne croit pas que telle doit être sa marche respectueuse et soumise, il ne croirait pas davantage aux merveilles que désirerait son impatience, parce que c’est de ces merveilles-là que la parole doit prophétiser.

Loin donc de nous lamenter sur les obstacles et sur les lenteurs auxquelles nous sommes heureusement condamnés, remercions la providence qui nous fournit par là l’occasion de recevoir avec avantage tous les fruits de la loi, lorsque les temps de cette loi seront accomplis : remercions-la de ce qu’elle nous fournit par là l’occasion de nous procurer une situation ou une manière d’être assez utilement préparée pour que, lorsque l’heure de la naissance du nouvel homme est arrivée, on ne puisse pas nous appliquer directement à nous-mêmes ce que Siméon dit à la naissance du Réparateur : savoir que cet enfant était né pour la ruine de plusieurs.

Car si ce nouvel homme naissait jamais pour notre ruine au lieu de naître pour notre salut, comment pourrions-nous jamais entrevoir et connaître le royaume qui ne peut se montrer réellement qu’à ce nouvel homme et à cet enfant chéri conçu en nous par l’esprit du Seigneur ?

Telle est cette unité intérieure à laquelle correspondent toutes nos unités particulières, et sur laquelle l’unité universelle attend, avec encore plus d’impatience que nous, qu’elle puisse se reposer en paix. Telle est cette mine inépuisable dans laquelle il n’y a point de richesses que nous ne puissions trouver ; mais qui est devenue comme étrangère à celui même qui en est le propriétaire, parce que les hommes avides des sciences externes ont porté à l’extérieur toutes les facultés de leur esprit, au lieu de les porter sur cet intérieur qui leur eût tout appris et leur eût prodigué tous les trésors.

Par cette marche imprudente, ils ont laissé fermer cette mine par les décombres qui y tombent journellement, et elle est devenue tellement couverte qu’ils n’ont plus cru à son existence, et ont fait ensuite tous leurs efforts pour nous empêcher d’y croire à notre tour et de chercher à la travailler.

Les plus sages d’entre eux ont cru qu’en bâtissant des temples au Seigneur avec des pierres taillées par des instruments de métal, et façonnés par eux, ils avaient rempli les plans divins au sujet du culte et des hommages que la divinité attend des mortels ; ils n’ont pas vu que c’était de ce temple impérissable qu’elle attendait le triomphe de sa gloire ; de ce temple où les instruments matériels sont tout à fait inutiles soit pour tailler les pierres, soit pour les tirer des carrières, soit pour les transporter, soit enfin pour les poser à demeure dans la place qu’elles doivent occuper dans l’édifice.

C’est donc à extraire les pierres des carrières, à les tailler, à les transporter, à les poser à demeure dans la place qu’elles doivent occuper dans l’édifice, que la sagesse et l’esprit du Seigneur s’occupent journellement à notre égard ; et les instruments qu’ils emploient pour cela, ce sont les mêmes obstacles et les mêmes contrariétés spirituelles que nous rencontrons dans notre carrière, et dont l’homme novice aux secrets de Dieu ne connaît pas assez le prix pour sentir qu’il n’y a pas une de ces épreuves, soutenues avec foi et courage, qui ne doive se terminer pour lui par la naissance et le développement d’une unité ; et que c’est par ces accumulations d’unités acquises par autant d’épreuves et de victoires qu’il doit voir s’élever en lui le nouvel homme ou l’édifice des élus.

Il ne soupçonne pas que cet édifice des élus nous transforme en un véritable ciel où habitent à la fois tous les esprits du Seigneur, toutes les puissances du Seigneur, tous les dons du Seigneur, toutes les vertus du Seigneur, de manière que nous devenons une espèce de citadelle et de forteresse, toujours armée, toujours en défense ; toujours prête à veiller à la sûreté des habitants et à leur procurer tous les secours et tous les avantages que notre état de guerre nous permet d’espérer dans ce bas monde.

Sans ces épreuves ou ces moyens d’acquérir nos unités, nous serions rejetés hors de la place comme autant de bouches inutiles, et nous serions remis à la discrétion des assaillants, c’est-à-dire, à leur rage et à leur fureur.

Armons-nous donc de courage et de confiance quand l’esprit juge à propos d’employer ses instruments sur notre être spirituel, et ne nous scandalisons point, ne nous rebutons point, quelle que soit la forme sous laquelle ces instruments se présentent et s’approchent de nous. Ayons devant les yeux continuellement le psaume 68 : 7. 8. etc. : Que ceux qui attendent après toi, ô Seigneur, ne rougissent point à cause de moi, que ceux qui te cherchent ne soient point confondus à mon sujet, ô Dieu d’Israël ! parce que c’est à cause de toi que j’ai supporté les reproches, et que la honte a couvert ma face.

S’il est donc vrai que l’esprit, que le Réparateur lui-même se soient cachés et se cachent tous les jours sous la forme de ces instruments salutaires, ne les repoussons pas à cause de l’âpreté ou de la bassesse des couleurs qu’ils empruntent ; ne nous laissons point gagner par la confusion malgré leur abjection ; parce que c’est à cause de Dieu que la honte couvre ainsi leur face, et que si nous manquons l’occasion qu’ils nous offrent de partager un jour la gloire qu’ils ont de vivre dans la grande unité, en partageant avec eux, ici-bas, les fatigues et les reproches qu’ils essuient pour nous élever jusqu’à eux, nous ne jouirons ni de la même communion qu’eux avec la grande unité, ni du développement merveilleux de notre unité intérieure, ni de celui de nos unités particulières ; c’est-à-dire, que nous ne formerons point ce temple éternel dont l’homme trouve en soi tous les matériaux.

 

 

23.

 

Quand les hommes considèrent les objets soit naturels, soit artificiels qui se présentent à eux pour la première fois, leur premier mouvement n’est-il pas de se demander quel peut être l’emploi de ces objets, et pour quelle fin ils ont l’existence ? C’est par-là qu’ils parviennent bientôt à connaître quel est le but ou l’esprit de toutes les choses utiles, nécessaires, ou agréables qui les environnent. Pourquoi donc ne se demandent-ils pas avec le même soin quel doit être l’emploi de l’homme ? ou plutôt pourquoi leur répond-on si mal lorsqu’ils font cette question ? C’est qu’ils sont encore faibles et comme dans l’enfance, lorsqu’ils auraient envie de s’interroger eux-mêmes, et que ceux à qui ils s’adressent ensuite sont tombés même au dessous de cet état d’enfance par rapport à cette grande question.

Nous ne craignons point que l’âme de l’homme désavoue les sublimes réponses dont nous avons montré jusqu’à présent qu’elle portait la source dans son propre sein. Plus elle percera dans sa propre immensité, plus elle y trouvera de nombreuses confirmations des titres précieux et de la sainte destination dont nous l’avons annoncée comme dépositaire ; et il n’y aura que l’homme léger, timide, aveugle, et paresseux qui méconnaîtra l’emploi pour lequel nous avons reçu l’existence.

Celui au contraire qui aura eu le courage de contempler avec soin sa véritable essence, qui aura distingué soigneusement sa pensée d’avec l’être ténébreux dont nous sommes accompagnés pour un temps, qui, enfin, se sera conduit avec cet être inférieur et subordonné comme avec ce serviteur de l’Évangile qui, en arrivant des champs, est obligé de se ceindre, de préparer à manger à son maître, et d’attendre que ce maître ait fini son repas pour prendre le sien, c’est-à-dire, qui n’accordera jamais rien aux besoins de sa matière avant que son esprit ne soit satisfait, comme étant le maître et devant être le premier servi, celui-là, dis-je, trouvera de lui-même, non-seulement quelle est la destination de l’homme, mais aussi quelle est la voie qui doit le conduire à en obtenir l’accomplissement.

Or, cette voie sera pour lui, n’en doutez pas, celle que nous avons indiquée jusqu’ici, presque à tous les pas, et que nous nous faisons un plaisir de retracer, parce que c’est de la voie que nous avons besoin, puisque nous avons un voyage à faire.

Ainsi donc, en descendant en lui-même, il trouvera un grand temple où il entendra parler un zélé pasteur qui, sans qu’il le voie, lui criera de toutes ses forces : lamentation, exclamation, purification, sanctification, supplication, consécration, administration ; voilà à la fois ta tâche et les moyens de la remplir. C’est par-là que s’accompliront les saintes promesses que l’Éternel a faites par serment à tes pères ; c’est par-là que tu deviendras l’héritage du Seigneur après qu’il t’aura délivré de la fournaise de fer où l’on adorait les astres, qu’il t’aura pris pour son peuple au milieu des autres nations, qu’il aura voulu être lui-même ton Dieu au milieu de tous ces dieux passagers qu’honorent tous les autres peuples et qu’il t’aura mis en possession de ce pays où tu seras assez plein de lui pour pouvoir jurer par son nom. (Deutéronome, chap. 4, et chap. 6.)

Car c’est dans la manifestation du nom du Seigneur que se trouve la plénitude de sa gloire, et cette manifestation ne peut avoir lieu parmi les nations que par l’organe du peuple qu’il a choisi à ce dessein ; c’est-à-dire, par l’organe de l’homme ; voilà pourquoi il ne cesse de solliciter cet homme réfractaire de s’occuper de sa destination sacrée.

Il l’en sollicite par le besoin qu’il en a mis dans son âme, il l’en sollicite par tous les emblèmes que l’univers lui présente continuellement, mais qui, étant impuissants pour opérer une si grande œuvre, sont bornés au rang d’emblèmes et laissent à l’homme le soin d’en exprimer la réalité ; il l’en sollicite par toutes les lois représentatives et figuratives, civiles, politiques, historiques, naturelles et surnaturelles ; enfin il est venu l’en solliciter lui-même pour le déterminer à se livrer à cette sainte entreprise, et il a commencé par faire renaître en lui ce nouvel homme qui seul sera digne de s’en acquitter dignement lorsqu’il aura acquis son âge compétent, et qu’il aura atteint les mesures tracées par les lois éternelles de la sagesse qui peuvent bien, ici-bas, subir quelque extension, et comme une sorte de subdivision qui les réduit, mais qui ne change point leur caractère.

Pourquoi Dieu sollicite-t il ainsi l’homme par tant de moyens si variés, si répétés, si soutenus, et si continuels ? C’est pour qu’il soit en tout point l’image et la ressemblance de cette éternelle divinité ; car ce n’est point assez pour cette ressemblance que l’homme puisse lire dans les merveilles de la sagesse, ce n’est point assez qu’il puisse les peindre et les exprimer par ses œuvres, ce n’est point assez que sa parole puisse répéter autour de lui les œuvres de cette divinité suprême, il faut que, comme elle, il puisse exercer de pareils droits volontairement, et par le privilège sacré de son saint caractère, afin que, partageant les puissances de son éternel principe, il en partage aussi la gloire, et soit ainsi la réelle image de ce principe, au lieu de n’en être, comme la nature, que l’image figurative ; et voilà pourquoi la sagesse divine le sollicite avec tant d’amour et tant d’industrie, et évite avec tant de soin de le forcer, parce qu’elle considère et respecte, pour ainsi dire en lui, ce privilège honorable dont elle-même l’a rendu dépositaire.

Lors donc, homme, que tu seras parvenu à cette terre que Dieu a promise par serment à tes pères ; aie grand soin d’y observer fidèlement les lois et les ordonnances du Seigneur, si tu veux te maintenir longtemps dans tes possessions, et si tu ne veux pas que les nations que tu dois vaincre te rendent elles-mêmes leur esclave. Car si le Seigneur considère et respecte, pour ainsi dire, le privilège honorable dont il t’a rendu dépositaire, ce ne sera jamais que lorsque tu concourras avec lui à l’accomplissement de ses desseins et à la manifestation de son nom ; et il ne prend pas moins le soin de sa justice que celui de sa gloire ; autant il cherche à ne te pas forcer dans tes œuvres pures et glorieuses, autant il a de puissance pour t’arrêter dans tes œuvres fausses et pour résister aux efforts de ta volonté criminelle.

Ainsi ce n’est point assez que tu abjures ces efforts impuissants d’une volonté criminelle, il faut encore que tu te surveilles pour ne suivre que les efforts d’une volonté prudente et dirigée par les lumières de ta simple sagesse naturelle, si tu veux qu’une sagesse supérieure à la tienne vienne s’établir en toi et y fasse éternellement son séjour.

Lors donc qu’il te sera permis de prendre possession de la portion de la terre promise qui te sera accordée, souviens-toi que c’est le Seigneur même qui t’aura donné les moyens d’y entrer, et que tu n’as d’autre mérite que d’avoir mis ces moyens en usage. Souviens-toi que c’est lui-même qui a produit cette terre où tu trouveras tant de richesses et tant d’abondance. Souviens-toi que s’il ne t’y protégeait pas continuellement lui-même, tu ne pourrais pas y rester en sûreté un seul instant. Et voici à quoi peut se réduire le sens de ces tableaux spirituels.

Avant de dire : au nom du Seigneur, attends toujours que le nom du Seigneur soit descendu en toi. Ce n’est point de mémoire que tu dois prononcer ce nom puissant. C’est par sentiment, c’est par impulsion, et comme étant pressé par le pouvoir de son charme irrésistible. Voudrais-tu être comme ceux qui le prononcent journellement d’eux-mêmes, et dans qui l’idée qu’ils en prennent, et le respect qu’ils devraient lui porter se confond avec les mouvements les plus insensibles de leur âme, et n’y laisse pas de plus profondes traces ? Il en est qui sont bien plus coupables encore, aussi ne le prononcent-ils que pour leur condamnation ; mais ce tableau serait trop affligeant et trop dangereux pour l’œil du nouvel homme, il vaut mieux lui en laisser ignorer l’existence, et lui montrer pourquoi il doit attendre que le nom du Seigneur soit descendu en lui, avant d’oser dire : au nom du Seigneur.

Qu’étais-tu homme, lorsque l’Éternel te donnait la naissance ? Tu procédais de lui, tu étais l’acte vif de sa pensée, tu étais un Dieu pensé, un Dieu voulu, un Dieu parlé, tu n’étais rien tant qu’Il ne laissait pas sortir de lui sa pensée, sa volonté, et sa parole. Il n’a pas changé de loi, il ne peut y avoir que lui qui t’engendre, et ce n’est que par lui que tu peux engendrer des œuvres régulières. S’il n’engendre donc pas son nom en toi avant que tu dises : au nom du Seigneur, tu n’agis plus que de mémoire quand tu prononces ce nom, et voilà pourquoi tant d’hommes le prononcent en vain sur la terre et nous prouvent d’une manière si affligeante que malheureusement l’homme n’est, ne vit, et n’agit que dans la vanité et le néant.

 

 

24.

 

Si le nouvel homme veut que la parole soit vivante en lui, il ne pourra obtenir cette faveur qu’en mourant dans cette même parole ; et s’il lui est donné de pouvoir mettre à profit les incommensurables longanimités du temps, c’est afin qu’il puisse parvenir à ce glorieux terme par des progressions douces et insensibles qui le préparent à recevoir la jonction de la grande unité sans être ébloui par son éclat ou consumé par sa chaleur brûlante ; c’est en même temps pour que les combats qui lui sont offerts dans ces diverses progressions soient toujours en mesure avec son courage et avec ses forces.

Car même dans l’ordre de la simple morale ordinaire, si nous mourions un peu tous les jours, nous éviterions par là de mourir tout à la fois, comme cela arrive à presque tous les hommes, qui par cette raison trouvent la mort si dure ; et la mort physique finale de notre corps ne nous paraîtrait pas plus fâcheuse que celle momentanée par laquelle nous passons à chaque instant. Bien plus nous vivrions aussi un peu tous les jours, en raison des portions de mort que nous aurions détruites. Faute de cette précaution, et à force de s’enfoncer dans la vie fausse, l’homme vulgaire perd journellement les facultés qui lui avaient été accordées par la nature et par la vérité pour se soutenir pendant son voyage terrestre. Aussi les hommes livrés au torrent sont-ils toujours au-dessous de la mesure. Leur cœur n’a plus de goût peur la vertu ; leur oreille n’a plus de tact pour la vraie musique ; il n’est pas jusqu’à leurs facultés animales et digestives qui ne deviennent nulles par leur intempérance.

Le nouvel homme, dont la destinée est si élevée au-dessus de la sagesse commune, doit, comme nous l’avons dit, mourir continuellement dans la parole, s’il veut que la parole vive en lui ; et il y doit mourir progressivement afin qu’elle puisse y vivre un jour dans toute sa force et dans toute sa plénitude. Il faut qu’il voyage silencieusement sur les bords du fleuve, qu’il combatte à tous les pas les animaux qui se rencontrent, et qu’il surmonte les obstacles de chaque jour. Par-là il reçoit insensiblement une triple création qui purifie son corps, son âme et son esprit, qui les remplit du feu de la vie, parce que le feu le couvre et le pénètre de la parole du témoignage.

Voyons donc ainsi croître en paix ce nouvel homme ; voyons-le sacrifier à tout moment tout ce qui n’est pas du ressort de la parole, et faire en sorte, par ce moyen, que la parole prenne en lui la place de tout ce qui la gênait et l’empêchait de venir démontrer à cet homme qu’il est une pensée du Dieu des êtres, une parole du Dieu des êtres, une opération du Dieu des êtres. Voyons-le, par ces sacrifices journaliers et continuels, mourir par degrés dans la parole, et s’ensevelir tellement dans la confiance en cette parole qu’elle puisse elle-même ressusciter en lui dans les mêmes mesures, et qu’elle finisse par y manifester complètement et universellement son action de vie, lorsqu’il aura fini de son côté par manifester en elle complètement et universellement son action de mort.

Alors ce nouvel homme sera réellement sorti de l’état d’enfance où est encore ce fils chéri de l’esprit que nous avons déjà vu naître, et même paraître au milieu des docteurs à son âge de douze ans, mais qui n’est point encore parvenu à cet état de virilité que nous peignons par anticipation, et qu’il ne faut point confondre avec l’état heureux qui nous attend après notre mort corporelle, si nous avons suivi les lois de la sagesse.

Car cette résurrection de la parole en nous, cette virilité enfin, dont nous offrons d’avance quelques traits, nous peut être accordée dans ce bas monde, si nous en nourrissons l’espérance et que nous nous conduisions conformément à l’instinct qu’elle nous suggère ; et si nous n’avions pas d’autres explications à donner du bonheur de l’homme que celles qui nous sont offertes dans les instructions vulgaires, nous ne croirions pas avoir assez fait pour nos semblables.

Voyons donc, comme dans un lointain, ce nouvel homme, jouissant abondamment des droits de son être et des faveurs innombrables du principe régénérateur qui a bien voulu pénétrer en lui ; voyons-le comme les digues d’un grand fleuve, qui le resserrent et le contiennent dans leurs bords de manière qu’il n’en sorte plus et qu’il transporte paisiblement ses eaux fertilisantes dans toutes les contrées qu’il parcourt ; mais voyons encore plus comment il se prépare à cette magnifique destination.

C’est en disant à la prière : sois toujours à côté de moi, sois toujours avec moi, et en moi : sois toi-même l’ouvrier qui creuse le lit du fleuve, et ne permets pas qu’un seul moment se passe sans que je n’en aie enlevé quelques pierres, arraché quelques racines, ou ôté quelques immondices, afin que, de jour en jour, le cours de ce fleuve devienne plus libre, et qu’enfin tout mon être en soit abreuvé.

Loin de redouter ces épreuves spirituelles qu’il doit rencontrer sur sa route, et dont nous avons peint ci-dessus les avantages, il dira, avec Jérémie, 48 : 11 : Moab dès sa jeunesse a été dans l’abondance, il s’est reposé sur sa lie ; on ne l’a point fait passer d’un vaisseau dans un autre, et il n’a point été emmené captif. C’est pourquoi son goût lui est toujours demeuré, et son odeur ne s’est point changée.

Le nouvel homme qui considérera ces paroles instructives, apprendra combien il est utile pour nous qu’il y ait plusieurs régions, afin que nous puissions être éprouvés de nouveau, et payer double dans les régions suivantes, si nous n’avons rien payé dans les régions antérieures ; il apprendra combien il est avantageux pour nous que nous subissions différentes servitudes dans ces diverses régions, puisque toutes ces servitudes, quand elles nous sont envoyées par la main du Seigneur, ne peuvent avoir pour but que notre amélioration. Car, même dans l’ordre de la nature, combien d’arbres n’ont-ils pas besoin d’être transplantés ? Et, en effet, si nous n’avions pas besoin de passer par ces diverses purifications, il n’y aurait qu’une seule région ; et si nous n’avions pas besoin de ces diverses contemplations, il n’y aurait qu’un seul climat. Quelle superbe économie que celle de la sagesse de notre Dieu ! Il laisse régner au dehors, sur son administration à notre égard, les couleurs rigoureuses de la justice, pour imprimer partout la terreur et la crainte de sa puissance ; mais il dirige secrètement toutes les voies de cette administration vers notre utilité réelle et vers notre véritable avancement, afin que, si nous avons dû commencer par le craindre, nous ne puissions nous empêcher de finir par l’aimer.

C’est même pour cela que les prophètes nous sont si chers, parce que ce sont eux qui ont commencé les premiers à nous dévoiler ces secrets divins de l’amour de notre principe qui, embrassant à la fois et d’un seul coup d’œil tous les siècles, voit toujours le terme consolant de ses œuvres, tandis que nous, misérables mortels, nous n’en apercevons ici-bas que les pénibles commencements.

Jacob, prévoyais-tu les consolations dont serait comblée un jour ta postérité, lorsque tu descendais dans l’Égypte et que tu pleurais sur la dureté de l’ordre du roi qui y avait fait descendre avant toi tes enfants ? Ta douleur même t’avait fait oublier les promesses que l’Éternel avait faites à Abraham, et que tu ne pouvais pas ignorer. Tu ne t’occupais que de la rigueur de ton sort, et tu ne songeais pas que d’après le serment de l’Éternel, ta postérité serait mise un jour en possession de la terre de Chanaan, au milieu des prodiges et des merveilles qui manifesteraient les desseins glorieux que ce Dieu souverain avait sur son peuple, en le préparant par la servitude de l’Égypte.

Et toi, Israël, lorsque tu fus envoyé à Babylone, espérais-tu voir la réédification de ton temple ? Et ne pris-tu pas même pour une dérision et un mensonge le conseil que Dieu te faisait donner par ses prophètes de te livrer avec soumission entre les mains du roi d’Assyrie, tant tu étais loin de te persuader que ce Dieu eût sur toi des desseins bienfaisants et salutaires ? Enfin, peuple choisi, toi qui languis pour la troisième fois dans la servitude, ne te rappelles-tu pas les paroles de ton législateur : Oh ! s’ils savaient par où toutes ces choses finiront ! Deutéronome 32 : 29, et ne sens-tu pas que sans cette triple épreuve, tu n’aurais pas été assez pur pour soutenir la majesté de ton Dieu ?

Car c’est à toi particulièrement qu’il est réservé de le voir dans sa gloire ; non pas dans une gloire terrestre et humaine, comme l’ignorance et la cupidité ne cessent de t’en flatter, mais dans la gloire de l’esprit, de la parole, et de la puissance, puisque c’est par ces divins caractères que tu l’as connu le premier parmi tous les peuples de la terre, et que c’est une loi irréfragable que les choses finissent par où elles ont commencé.

D’ailleurs ce triomphateur que tu attends dans son règne terrestre, n’a-t-il pas déjà paru au milieu de toi dans ta gloire humaine ? et n’était-ce pas toi qui chantais hozanna, hozanna, hozanna lorsqu’il entrait dans Jérusalem ? N’est-ce pas toi qui jetais tes vêtements sous ses pieds ? Et enfin ne t’a-t-il pas déclaré que son royaume n’était pas de ce monde ?

 Nouvel homme, nouvel homme, instruis-toi à ces grands exemples. Soumets-toi humblement à toutes les servitudes qu’il plaira au Seigneur de t’envoyer. Ne te livre point de toi-même au mouvement ; tu serais comme Moab, tu emporterais ta lie avec toi, et le mouvement ne te servirait de rien ; laisse agir sur toi cette main vigilante, elle ne te fera jamais faire de mouvements qui te soient nuisibles, et elle ne te fera réellement entrer dans les grandes épreuves de l’esprit, que quand elle t’aura donné le temps de déposer ta lie, parce qu’alors tu te sépareras de cette lie sans retour, et que tu porteras la vie, la santé, et la bonne odeur dans les vaisseaux où elle te versera.

 

 

25.

 

« Quelles étaient les menaces que Dieu faisait au peuple d’Israël en cas qu’il s’éloignât des préceptes et des ordonnances que le Seigneur lui avait donnés par ses envoyés ? C’est qu’il serait déçu dans toutes ses espérances ; c’est qu’il bâtirait des maisons et qu’il ne les habiterait point, c’est qu’il épouserait des femmes et que des étrangers les déshonoreraient, c’est qu’il aurait des fils et des filles et qu’il ne les élèverait point, c’est qu’il planterait des vignes et sèmerait des champs et qu’il n’en recueillerait point les récoltes.

Mais quelles sont au contraire les promesses que Dieu a faites à ce même peuple s’il a soin de demeurer fidèle à sa loi ? Les voici : (Deutéronome, 6 : 10.) Le Seigneur votre Dieu vous fera entrer dans la terre qu’il a promise avec serment à vos pères Abraham, Isaac, et Jacob, et il vous donnera de grandes, et de très bonnes villes que vous n’aurez point fait pleines de toutes sortes de biens, que vous n’aurez point fait faire, des citernes que vous n’aurez point creusées, des vignes, et des plans d’oliviers que vous n’aurez point plantés.

Pourquoi de si grandes promesses sont-elles attachées à la fidélité des Juifs à observer sa loi ? C’est que sa loi est le fruit et l’esprit de son nom, et c’est que son nom est le fruit et l’esprit de son essence ; or que pouvons-nous connaître qui attire plus son action suprême sur nous que ne le fait sa propre essence ? Il nous donne donc la clef de son amour quand il nous dit partout dans les Écritures qu’Il se souviendra des tribus d’Israël à cause de son nom, qu’Il ne perdra point de vue Jérusalem parce que son nom a été invoqué sur elle ; enfin qu’Il ne permettra point que son nom soit méprisé par les nations, et qu’Il déploiera toute sa puissance pour le venger des insultes qu’Il aura reçues.

Mais, parmi toutes les nations, en est-il une qui porte en elle plus éminemment que l’homme le nom de ce Dieu suprême ? Et parmi les hommes en est-il d’autre que le nouvel homme qui puisse être susceptible de manifester la gloire et les avantages attachés à ce puissant privilège ? C’est donc en lui que nous devons apprendre à en admirer le merveilleux caractère. En effet, nous ne craindrons point de nous égarer en lisant, dans ce nouvel homme, la marche que le peuple hébreu a suivie lui-même sous les yeux de la suprême sagesse qui l’a arraché des mains de ses ennemis par des prodiges et des signes si extraordinaires.

Bien plus, regardons ce nouvel homme comme l’organe de la parole Divine, par lequel elle veut se communiquer aux nations ; regardons-le comme cet ange qui transmettait à Moïse sur la montagne de Sinaï les lois du Seigneur, afin que le peuple fût instruit des ordonnances Divines, et qu’il apprît, en les observant, à diriger ses pas vers la sagesse, et à rentrer dans les voies de sa primitive origine.

Oui, nouvel homme, nous pouvons voir en toi la montagne de Sinaï toute entière, avec toutes les merveilles qui s’y sont passées. Nous pouvons voir, à ta naissance miraculeuse, ce lieu sacré se couvrir de nuages célestes d’où sortent des feux et des éclairs ; nous pouvons voir les animaux trembler à cet aspect, et le peuple lui-même n’oser en contempler l’éclat, et te prier, comme les Hébreux prièrent Moïse, de voiler ta face pour ne pas les éblouir ; nous pouvons te voir demeurer seul pendant quarante jours sur cette montagne pour y recevoir tous les degrés de ton ordination dans la loi temporelle ; nous pouvons te voir recevant de Dieu les préceptes du Décalogue, et nous les exprimer par ton essence même encore plus que par ta parole ; nous pouvons t’entendre nous dire au nom de ce Dieu, dont tu as seul approché :

« Je suis le Seigneur votre Dieu qui vous ai tirés de l’Égypte, de la maison de servitude.

« Vous n’aurez point des Dieux étrangers devant moi.

« Vous ne vous ferez point d’images taillées, ni aucune figure de ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux sous la terre.

« Vous ne les adorerez point et vous ne leur rendrez point le souverain culte. Car je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération dans tous ceux qui me haïssent.

« Et qui fais miséricorde dans la suite de mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes préceptes.

« Vous ne prendrez point en vain le nom du Seigneur votre Dieu, car le Seigneur ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur son Dieu.

« Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat.

« Vous travaillerez durant six jours, et vous y ferez tout ce que vous aurez à faire.

« Mais le septième jour est le jour du repos consacré au Seigneur votre Dieu. Vous ne ferez en ce jour aucun ouvrage, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni vos bêtes de service, ni l’étranger qui sera dans l’enceinte de vos villes.

« Car le Seigneur a fait en six jours le ciel, la terre, et la mer, et tout ce qui y est renfermé, et il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat, et l’a sanctifié.

« Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que le Seigneur votre Dieu vous donnera.

« Vous ne tuerez point.

« Vous ne commettrez point de fornication.

« Vous ne déroberez point.

« Vous ne porterez point faux témoignage contre votre prochain.

« Vous ne désirerez point la maison de votre prochain. Vous ne désirerez point sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni aucune de toutes les choses qui lui appartiennent ».

Telles sont en effet les lois et les commandements que le nouvel homme trouve en lui-même au moment de sa naissance ; et il les prononce avec tant de force et tant d’éclat à toutes les substances de son être, qu’il devient, pour lui-même, l’effroi de tout ce qui n’est pas conforme à la justice, et le premier organe de la gloire qui est due au Seigneur, comme étant le principal ministre et le plus zélé défenseur de son culte.

Dès ce moment ce nouvel homme devient chargé de la conduite de son propre peuple qui est lui-même ; il va être chargé d’ordonner les lévites et les prêtres qui auront l’emploi d’immoler les victimes et de couvrir l’autel des sacrifices.

Il va être chargé de bâtir l’arche d’alliance conformément au plan qui lui en a été montré sur la montagne ; c’est-à-dire, conformément à ces bases radicales et fondamentales, qu’il a reçues de la main de l’esprit Divin, en même temps qu’il a puisé en lui son existence.

Il va être chargé de la direction de toute l’armée d’Israël, pour la faire tantôt camper autour de l’arche d’alliance, et tantôt marcher contre les ennemis du Seigneur.

Il va être chargé de veiller à la subsistance du peuple aussi bien qu’à sa sûreté et à sa défense ; et quand il verra son peuple se livrer à l’incrédulité, il invoquera l’Éternel, et fera, en ce nom puissant, couler l’eau du rocher devant les yeux des incrédules.

Il va être chargé de livrer une guerre sanglante à tous les peuples qui s’opposent dans lui à son avancement et à ses progrès.

Il va être chargé d’exterminer l’armée des Amalécites et des Amorréens, non point avec des armes fabriquées de la main des hommes, mais avec les armes sacrées qu’il porte dans son essence, et en élevant les mains de son âme vers l’Éternel.

Il va être chargé de punir le peuple qui aura écouté la voix de Balaam et des faux prophètes ; il pourra précipiter dans l’abîme ceux du peuple qui auront été assez impies pour oser offrir un encens étranger.

Il va être chargé de recevoir, de dessus le propitiatoire, les oracles du Seigneur, pour l’administration de son culte et pour les jugements du peuple.

Il va être chargé de faire parcourir la terre promise par des envoyés qu’il prendra parmi le peuple et de lui raconter, par l’organe de ces envoyés, toutes les merveilles qu’elle renferme.

Il va être chargé de renouveler l’alliance que l’Éternel a faite autrefois avec le peuple et de lui rappeler les malédictions qui le menacent s’il n’est pas fidèle à la loi du Seigneur, de même que les bénédictions qui l’attendent s’il prend confiance dans les préceptes de l’Éternel.

Mais il ne sera point chargé d’introduire le peuple dans la terre promise ; l’ordination qu’il a reçue ne lui permet que de l’accompagner dans les déserts et pendant ses quarante-deux campements ; son œuvre particulière se terminera donc en deçà du fleuve où se trouve en figure la borne de notre loi temporelle ; et là, il rentre dans l’ordre du peuple pour être introduit avec ce même peuple, par une autre main, dans le règne figuratif de la loi spirituelle, qu’il va trouver également en lui, en attendant qu’il y découvre le règne figuratif de sa loi Divine.

 

 

26.

 

Homme de paix, homme de désir, combien de fois ne t’es-tu pas oublié dans des occupations frivoles et illusoires qui prenaient à tes yeux tellement l’apparence de la réalité qu’elles effaçaient pour toi jusqu’à la passivité du temps ! Pourquoi ne pourrais-tu espérer la même jouissance et la même victoire sur le temps en t’abandonnant à la culture d’un objet réel et dont les traces peuvent survivre à la puissance corrosive de tous les siècles ? La différence que tu y trouverais, c’est que ces objets illusoires te laissaient encore dans un plus grand vide et dans des plus grandes ténèbres après que leur charme était passé ; au lieu que les objets réels prolongent leurs douces influences, longtemps après que leur action s’est approchée de toi.

En voici la raison. Tu es toi-même un être réel, et qui tient, sans aucun doute, le rang le plus distingué parmi les réalités émanées ; lors donc que tu uses des droits de ton être, et que tu essaies d’en développer les privilèges, tu te lies par-là à d’autres réalités supérieures à toi pour un temps, plus libres que toi parce qu’elles n’ont point été coupables et ne subissent point d’expiation, enfin plus élevées que toi au-dessus de ce temps qui fait ton supplice et qui te sert de prison. En te liant à elles, tu te lies en même temps à leur liberté selon tes forces, selon tes degrés de régénération, et selon les mesures de miséricorde qui te sont accordées. Ainsi donc en te liant à elles, elles te saisissent et te font planer avec elles dans ces cercles spacieux où tu trouves les voies si douces, puisqu’il ne s’y rencontre aucun obstacle et que tout y est plein de lumière.

C’est ainsi qu’Ézéchiel, uni à une de ces réalités, se transporte de Babylone à Jérusalem pour y voir les abominations que les prêtres commettaient dans le temple, et les effrayer ensuite par les terribles menaces de la justice du Seigneur ; c’est ainsi qu’Habacuc, uni à l’une de ces réalités, se transporte à Babylone pour porter de la nourriture au prophète Daniel ; c’est ainsi que Philippe, uni à l’une de ces réalités, est transporté sur le chemin de l’eunuque de la reine d’Éthiopie, pour lui dessiller les yeux sur l’esprit des Écritures saintes. C’est ainsi que S. Paul, uni à l’une de ces réalités, est transporté au troisième ciel où il entend des choses ineffables ; enfin c’est ainsi que Job, David, et tous les prophètes du Seigneur, unis à ces réalités, passaient leurs jours et leurs nuits dans les contemplations des merveilles de Dieu, dans la jubilation du sentiment de la grandeur de l’homme, et même dans les nourrissantes douleurs de la charité, qui, quoiqu’elles soient mille fois plus aiguës que les douleurs qu’enfante le monde, font cependant l’ambition de l’homme de Dieu, parce qu’il sait qu’il y doit trouver la consolation et la vie.

C’est donc par ton union à de semblables réalités que tu établis insensiblement en toi ce règne spirituel qui suspend pour toi le poids du règne temporel, et te met à couvert de l’air corrompu et épaissi qu’on y respire.

Tu n’as pas oublié que ta parole, en imitation de la parole de l’Éternel, ne doit point rétrograder devant tes ennemis, et que, quand tu leur as une fois prononcé la ferme résolution où tu es de les subjuguer, tu ne dois plus leur permettre de résistance, jusqu’à ce que ton arrêt sur eux soit accompli. Eh bien, porte la même résolution dans le dessein d’unir ton être à l’une de ces unités supérieures qui ne s’aperçoivent pas du temps ; oublie-toi dans la recherche de ce trésor inestimable, ces unités feront que tu ne t’apercevras pas du temps plus qu’elles, et elles te feront jouir, par anticipation de cette paix sainte qui habite avec elles dans leur céleste atmosphère, mais qui, ici-bas, n’est connue que pour y servir de victime continuelle au temps.

Mais ne te livre point à l’impatience, comme les Hébreux dans le désert, si tes succès ne sont pas aussi rapides que tes désirs seront ardents ; souviens-toi « de tout le chemin par où le Seigneur, leur Dieu, les a conduits pendant quarante ans pour les punir et pour les éprouver, afin que ce qui était caché dans leur cœur fût découvert et que l’on connût s’ils seraient fidèles ou infidèles à observer ses commandements ; souviens-toi qu’il les a affligés de la faim et qu’il leur a donné pour nourriture la manne qui était inconnue à leurs pères, pour leur faire voir que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ; souviens-toi enfin que le Seigneur, leur Dieu, s’est appliqué à les instruire et à les régler comme un homme s’applique à instruire et à corriger son fils. »

D’ailleurs, homme mon frère et mon ami, par cette douce vertu, ne retraçons-nous pas une vive image de notre principe ? Que fait-il autre chose du haut de son trône que de manifester une inaltérable longanimité par laquelle il se montre patient envers tous les obstacles et envers toutes les résistances ? Formons-nous donc, comme lui, une sainte retraite au milieu des atmosphères corrompues dont nous sommes environnés. Soyons-y comme le passereau solitaire sur le toit, et que nos lamentations même soient perpétuellement tempérées par l’espérance et par une sécurité inébranlable. Si nous sommes les enfants de notre Dieu, il ne nous perd pas de vue. Les suspensions et les langueurs doivent entrer aussi bien que les jouissances dans les plans qu’il a formés sur nous, et nous devons être sûrs qu’il s’occupe assez soigneusement de nous pour que nous le regardions toujours comme notre père, lors même que nous nous trouvons loin de lui.

Oui, nous pouvons, comme lui, par la patience, montrer notre unité, notre supériorité sur le temps, c’est-à-dire, notre spiritualité, notre Divinité. Lors donc que nous avons ainsi vaincu le temps par la patience, voici ce que la main bienfaisante de ce principe souverain nous prépare :

La matière se précipite au-dessous de l’esprit, l’esprit s’élève au-dessus de notre corps ténébreux ; il se fait en nous un partage du pur et de l’impur, et une unité supérieure nous découvre un vaste champ. Sans son divin secours, l’homme rampe comme dans la fange. À peine, du fond de son antique demeure, peut-il découvrir au loin quelques rayons de la céleste clarté, et son oreille épaisse et dure ne soupçonne pas même l’harmonieux concert que les enfants de la lumière forment devant le trône de l’Éternel. Mais, dès que cette vie suprême a laissé tomber sur l’homme sa rosée vivifiante, quelles paroles peindraient les douceurs et les consolations qui l’attendent ? Quelles paroles pourraient faire comprendre l’état de la pensée du nouvel homme lorsqu’il se trouve livré à la contemplation des œuvres de la sagesse et à la jouissance des ineffables ravissements qui saisissent son âme, pour peu qu’elle approche de l’atmosphère de l’éternité !

Sois bénie, source immortelle à tout ce qui est ! en toi seule es l’être et la vie ; en toi seule est le sentiment de toute existence ; en toi seule est l’expansion de la joie et du bonheur de toute créature. Hors de toi, rien ne peut être, car où tu ne serais pas, il n’y aurait plus de sentiment d’existence, il n’y aurait plus de bénédiction, et ce sont là les éléments éternels de la vie.

Nouvel homme, ô toi enfant chéri de l’esprit, lorsqu’il t’arrivera « de mettre le pied dans cette terre promise, après que Dieu t’aura rendu maître de ce peuple d’une taille haute et surprenante, de ces enfants d’Énac que tu auras vus toi-même, que tu auras entendus, et à qui nul homme ne peut résister ; tu sauras que c’est le Seigneur lui-même qui passera devant toi comme un feu dévorant et consumant, qui les réduira en poudre, qui les perdra, qui les exterminera en peu de temps de devant ta face, selon qu’il te l’a promis. Après que le Seigneur ton Dieu les aura détruits devant tes yeux, ne dis pas dans ton cœur : c’est à cause de ma justice que le Seigneur m’a fait entrer dans cette terre, et qu’il m’en a mis en possession, puisque ces nations ont été détruites à cause de leurs impiétés, car ce n’est ni ta justice ni la droiture de ton cœur qui sera cause que tu entreras dans leur pays pour le posséder, mais elles seront détruites à ton entrée, parce qu’elles ont agi d’une manière impie et que le Seigneur voulait accomplir ce qu’il a promis, avec serment, à tes pères Abraham, Isaac et Jacob. »

Oui, nouvel homme, ce sera par cette justice et cet hommage rendu au souverain principe que tu te maintiendras dans ce séjour du repos et de la lumière. Ce sera par là que tes forces s’accroîtront et se soutiendront, ce sera par là que quoiqu’au milieu du temps, tu t’oublieras au-dessus du temps dans les saintes contemplations des merveilles qui se découvriront à ton être, et qui te surprendraient autant que ta propre naissance, si tu n’étais pas préparé à ces prodiges par le sentiment de ton existence divine.

Enfin, c’est par cette justice et cet hommage rendu au souverain principe que tu pourras développer, de plus en plus, tes rapports avec ces unités supérieures qui seules peuvent effacer pour toi toutes les traces du temps, en te faisant continuellement parcourir avec elles les régions que le temps ne saurait embrasser dans son cercle, puisqu’il est mixte et qu’elles sont simples, puisqu’il ne leur offre qu’une fragile barrière que leur action simple pénètre toujours, tandis que son action combinée et obtuse ne saurait jamais les pénétrer.

 

 

27.

 

Nouvel homme, « lorsque tu seras entré dans la terre promise, souviens-toi de n’y sacrifier à ton Dieu que dans le lieu qu’il aura choisi pour que tu lui rendes le culte qui lui est dû. Non-seulement tu n’imiteras point ces nations impies qui ont dressé des autels sur tous les hauts lieux, sous des arbres touffus, et qui là offrent leurs sacrifices au soleil, à la lune et à toute la milice du ciel, mais tu renverseras tous ces hauts lieux, tous ces autels et toutes ces idoles qui y sont honorées ; tu ne laisseras pas subsister la moindre trace de ce culte impie, selon que le Seigneur ton Dieu te l’a ordonné, et tu viendras dans le lieu que le Seigneur t’aura indiqué pour lui immoler tes victimes. »

Ce lieu, tu l’as déjà connu, tu l’as déjà vu, dès que tu as reçu la naissance ; car ce lieu est ce même fils chéri, conçu de l’esprit, en similitude de celui qui est le Fils unique du Seigneur par la vertu de son éternelle génération.

Tu éviteras donc, avec grand soin, d’aller sacrifier au Seigneur dans d’autres lieux de ton être que dans ce Saint des Saints qui est le seul asile sacré qu’il ait pu se réserver dans les débris du temple de l’homme.

Tu éviteras, avec grand soin, d’aller dresser un autel à tes pensées, ni aux tableaux si variables des spéculations de ton esprit.

Tu éviteras, avec grand soin, d’aller dresser un autel aux faibles conjectures et aux ténébreux aperçus de ton intelligence.

Tu éviteras, avec grand soin, d’aller dresser un autel à tous les mouvements faux du cœur de l’homme, qui ne tendent qu’à établir en lui un culte sacrilège, puisqu’il se rend lui-même par-là l’idole du temple et qu’il en chasse la véritable divinité.

Tu éviteras, avec grand soin, de dresser un autel à toute la région des astres, « si tu ne veux pas qu’un jour à venir tes os restent exposés, sur la terre, à toutes les étoiles du firmament, comme le furent les os du roi Jéroboam ».

Mais, c’est dans ce fils chéri et conçu de l’esprit, c’est sur cette pierre fondamentale que tu dresseras ton autel au seul vrai Dieu, parce que c’est là seulement où il puisse être honoré, puisque ce n’est que là où il peut trouver un être qui soit réellement son image et sa ressemblance, et qui ait les facultés nécessaires pour entendre sa langue divine et comprendre les oracles de sa sagesse éternelle ; aussi ce n’est que là où tu pourras entendre sa voix sacrée recevoir des réponses qui remplissent ton intelligence et satisfassent à tous les désirs de ton cœur et à tous les besoins de ton esprit.

Compare les doctrines des autres dieux avec celle que tu pourras apprendre du Dieu unique, dans le sanctuaire unique, qu’il s’est choisi dans le cœur de l’homme. Ces autres dieux t’enseigneront des merveilles sujettes au temps, des merveilles qui, si elles s’accomplissent quelquefois, seront encore plus souvent le jouet des vicissitudes de la région mixte à laquelle ces dieux sont servilement attachés, des merveilles qui malgré leur accomplissement même s’effaceront de ta mémoire après que l’évènement sera passé, et ne te laisseront pas plus de traces que les faits qui t’ont occupé dans ton enfance.

Ils te donneront aveuglément ce qui leur est donné, sans qu’ils en puissent prévoir les conséquences, et sans qu’ils sachent si ce sera pour ton avantage ou pour ta ruine ; parce qu’ils sont aveugles eux-mêmes, qu’ils ne devraient être que les organes de la lumière, et que si tu ne prends pas les plus grandes précautions pour préserver ces organes mêmes de tous les mélanges qui les menacent, ils pourront se transformer en principes à tes yeux et prendre devant toi le titre et les caractères du maître, tandis qu’ils n’ont été envoyés que pour être les serviteurs ; heureux encore si ce ne sont pas leurs ennemis mêmes qui viennent siéger sur leur trône, et t’entraîner ainsi de la méprise à la superstition, de la superstition à l’idolâtrie, de l’idolâtrie à l’iniquité et à l’abomination !

Avec le Dieu unique qui a choisi son sanctuaire unique dans le cœur de l’homme, et dans ce fils chéri de l’esprit que nous devons tous faire naître en nous, tu n’as point les mêmes dangers à craindre, et tu n’auras que des fruits salutaires à recueillir, parce qu’il est l’être simple, l’être vrai, le seul être qui soit impassible à toute influence qui ne serait pas celle de la vérité ; aussi s’est-il réservé à lui seul le pouvoir de la faire connaître et de la manifester dans toute sa pureté !

C’est-là ce qu’il faisait enseigner au peuple hébreu sous des figures par son serviteur Moïse. La terre dont vous allez entrer en possession n’est pas comme la terre d’Égypte d’où vous êtes sortis, où après qu’on a jeté la semence, on fait venir l’eau par des canaux pour l’arroser, comme on fait dans les jardins (image de ces soins pénibles que demande le culte des Dieux artificiels, et dont les faveurs dépendent des lois physiques de la nature qui peuvent suspendre le cours du Nil, et plonger la terre dans la stérilité et la disette) ; mais c’est une terre de montagnes et de plaines, qui attend les pluies du ciel, que le Seigneur votre Dieu a toujours visitée, et sur laquelle il jette des regards favorables depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin. Si donc vous obéissez aux commandements que je vous fais aujourd’hui d’aimer le Seigneur votre Dieu et de le servir de tout votre cœur et de toute votre âme, il donnera à votre terre les premières et les dernières pluies afin que vous recueilliez de vos champs le froment, le vin et l’huile.

Oui, nouvel homme, voilà ce vrai temple où seulement tu pourras adorer le vrai Dieu de la manière dont il veut l’être, puisque tous les temples représentatifs et figuratifs qu’il a permis à sa sagesse de t’accorder pendant ton passage dans les régions visibles ne sont que les avenues de ce temple invisible auquel il désirerait voir arriver en foule toutes les nations de l’univers. Le cœur de l’homme est le seul port où le vaisseau lancé par le grand souverain sur la mer de ce monde, pour transporter les voyageurs dans leur patrie, peut trouver un asile sûr contre l’agitation des flots et un ancrage solide contre l’impétuosité des vents.

Ne lui en interdisons pas l’entrée, si nous ne voulons pas mériter de sa part les reproches de l’ingratitude et de l’inhumanité ; au contraire ayons un soin continuel de tenir ce port en bon état, et d’ôter sans cesse les sables qui peuvent s’accumuler devant lui, et que la mer y apporte à tous les moments ; ayons grand soin d’en ôter les vases et les sédiments qui s’y déposent journellement, et qui, couvrant le fond solide, empêcheraient que l’ancre du vaisseau ne pût y mordre et s’y attacher ; ayons surtout grand soin de préparer tous les secours qui seront en notre pouvoir pour soulager les malheureux navigateurs que la mer aura fatigués, et faisons en sorte qu’ils y trouvent toutes les consolations qu’ils pourront désirer, afin que ce port soit chaque jour plus fréquenté, et devienne ainsi utile et cher à toutes les nations de l’univers ; par là nous rétablirons, entre nous et nos frères de tous les pays, une liaison salutaire qui nous fera jouir d’avance des bienfaits de cette communion universelle pour laquelle nous avons reçu l’existence, et qui est le premier objet de l’ambition du nouvel homme.

Il est inutile de lui dire, à ce nouvel homme, que ce vaisseau lancé par le grand souverain des êtres est le nom du Seigneur, puisque c’est par ce nom puissant que ce nouvel homme a reçu la naissance. Il est inutile de lui dire que ce nom puissant doit s’ancrer en lui pour pouvoir laisser passer la tempête et continuer ensuite sa route jusqu’à ce qu’il ait pu rendre à leur destination les voyageurs dont il est chargé. Ce nouvel homme connaît toutes ces grandes vérités, puisqu’il sait qu’il n’est né, qu’il n’existe et ne doit exister que pour la conservation de la loi du Seigneur, et pour coopérer de tout son pouvoir aux desseins bienfaisants que la sagesse Divine enfante sans cesse pour le bonheur de la postérité humaine.

Mais nous ne pouvons nous dispenser de retracer encore ici quels sont les merveilleux effets que ce nom puissant opère dans nous, quand il daigne descendre jusqu’à notre misère et distribuer ses influences bienfaisantes sur tous nos membres et sur toutes nos facultés. Ils m’entendront, ceux qui seront instruits, quand je leur dirai que ce nom fait arriver en nous comme à l’improviste une affection, pour ne pas dire une sensation si neuve, si douce et si consolante qu’il semble que notre première existence soit abolie et effacée, et qu’on lui en substitue une d’un genre que nous n’aurions pu concevoir, par aucun récit qu’on aurait essayé de nous en faire, si ce nom lui-même ne nous apportait pas son influence.

Homme, qui que tu sois, si par ta persévérance et par ta prière tu peux obtenir que la main bienfaisante qui veille sur nous te fasse jamais sentir ainsi ta double existence, enferme précieusement ces joies dans ton cœur et prosterne-toi. Peut-être, après ces douces faveurs, seras-tu livré de nouveau à des langueurs et à des suspensions. Mais ces orages se passeront comme au-dessus de ta tête ; le grain sera semé, il sera enfermé dans la terre ; là il continuera dans sa paisible obscurité son heureuse croissance, malgré les vents, les neiges, les glaces et les frimas dont la surface de la terre pourra être couverte ; et il ne manquera pas de montrer ses fruits et sa fertile abondance lorsque les temps de la production et de la récolte seront arrivés.

 

 

28.

 

Pourquoi craindrais-je de revenir trop souvent à la charge pour avertir ce nouvel homme des lois qu’il doit suivre, s’il veut arriver à son terme, et des joies et des consolations qui l’attendent dès le moment qu’il sera sous la main du Seigneur ? N’est-ce pas par des coups réitérés que le manœuvre parvient à briser le rocher et à en détacher la pierre qui doit entrer dans l’édifice ? N’est-ce pas par un travail soutenu qu’il parvient à lui donner la forme et le poli qu’elle doit avoir avant d’être mise en place ?

Souviens-toi donc, nouvel homme, à quel prix tu devras te maintenir dans le poste que le Seigneur donne. Moïse disait aux hébreux : « Si votre frère, fils de votre mère, ou votre fils, ou votre femme qui vous est chère, ou votre ami que vous aimez comme votre âme, vous veut persuader et vous vient dire en secret : allons et servons les dieux étrangers qui nous sont inconnus, comme ils l’ont été à vos pères, les dieux de toutes les nations, dont nous sommes environnés, soit de près ou de loin, depuis un bout de la terre jusqu’à l’autre, ne vous rendez point à ses persuasions, et ne l’écoutez point, et ne soyez touché d’aucune compassion sur son sujet, ne l’épargnez point, et ne tenez point secret ce qu’il aura dit ; mais tuez-le aussitôt. Que votre main lui donne le premier coup, et que tout le peuple le frappe ensuite. »

Nouvel homme, c’est dans toi-même que se peuvent trouver tous ces parents infidèles, auxquels il t’est défendu de pardonner. N’en ménage aucun. Quand ce serait le plus cher d’entre eux qui tâcherait de s’insinuer dans ton esprit et de t’attirer à un culte trompeur pour quelqu’autre portion de toi-même que celle où la voix de ton Dieu s’est fait entendre lorsqu’il a allumé lui-même sa lampe vivante dans le sanctuaire de ton propre temple, rejette-le loin de toi, frappe-le sans pitié, livre-le à toute la justice du peuple, et qu’il expire sous le glaive de ta fureur. Plus tu exerceras de sévérité envers ces parents séducteurs, plus tu assureras le règne et la gloire de ton maître, parce que plus tu conserveras par là l’unité, la simplicité et la sainteté de ce fils chéri qui doit le représenter sur la terre.

Accoutume-toi aussi d’avance à embrasser par un grand coup d’œil le cercle que tu dois parcourir, et qui, non-seulement comprend l’éternité et le temps, avec toutes les causes de tout genre qui le font mouvoir, mais encore toutes les lois que cette sagesse éternelle a envoyées à l’homme dès l’instant de sa chute, qu’elle déroule successivement devant lui, à mesure que tourne la roue des siècles, et dans lesquelles il peut toujours reconnaître le même esprit, le même amour, la même justice, la même bienfaisance, soit qu’il observe ces lois dans leur premier âge, soit qu’il les observe dans leurs divers états de développement ; car c’est l’unité qui les a dictées, c’est aussi l’unité qui les dirige, qui les fait croître, et qui leur fait manifester leur lumière, lorsque le temps en est arrivé.

La seule différence, c’est que ces lois t’ont paru pénibles et fatigantes tant que tu n’as été admis qu’à la première enceinte de ce sanctuaire, parce que cette enceinte est limitrophe des nations étrangères contre lesquelles il te fallait continuellement être en garde, au lieu que quand tu pénétreras dans les enceintes intérieures, ces lois te paraîtront douces et calmes comme l’atmosphère de l’éternité, parce que ce seront elles qui agiront pour toi et dans toi, et qui te feront goûter le repos.

C’est-là ce sabbat que le Réparateur dont tu es devenu l’image et le frère a apporté sur la terre, et a désiré qu’il pénétrât dans le cœur de tous les hommes, parce qu’il était lui-même ce lieu de repos, et qu’il savait combien son œuvre paraîtrait calme et délicieuse en comparaison de l’œuvre compliquée de tous les agents inférieurs ; car lorsqu’il dit que l’homme était maître du sabbat même, il n’entendait parler que de cette œuvre laborieuse et pleine de tourments qui avait occupé ci-devant la postérité humaine, et ce Divin Réparateur venait l’abolir pour y substituer l’œuvre de la paix et le sabbat de l’amour.

Aussi, que nous dit la sagesse quand nous voulons contempler nos voies et les sentiers pénibles de notre retour vers la lumière ? Elle nous dit : dissipez vos ténèbres matérielles, et vous trouverez l’homme ; dissipez vos ténèbres spirituelles, et vous trouverez Dieu. Quand le chaos de la nature se débrouilla, l’homme parut comme étant l’organe de la vérité pour l’administration de l’univers. Quand le chaos spirituel où l’homme coupable s’était plongé fut dissipé, le Réparateur se montra comme étant la vie de l’esprit et le suprême agent de notre délivrance et de notre régénération. C’est alors que la source du fleuve put dire aux eaux qui s’écoulaient : Vous êtes ma génération. C’est alors que se prononcèrent réellement ces passages prophétiques et figuratifs, répétés si souvent dans les écritures : Vous connaîtrez que je suis le Seigneur ; je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple.

Si nous n’avons donc pas dissipé nos ténèbres matérielles pour trouver l’homme, et nos ténèbres spirituelles pour trouver Dieu, comment pouvons-nous sentir en effet s’accomplir cette vérité en nous, comment pouvons-nous de nouveau sentir Dieu engendrer notre âme, comment pouvons-nous connaître ce sabbat qui ne se trouve que dans Dieu, comment pourrons-nous voir paraître en nous le nouvel homme, comment pouvons-nous voir s’élever en nous cet édifice et ce temple impérissable où le feu sacré doit brûler éternellement, et où les victimes ne doivent pas cesser d’être immolées pour la manifestation de la gloire et de la puissance du Dieu qui ne peut être connu et honoré que par l’organe de ceux qui sont saints ?

Cependant ne nous abusons point. Nous n’arrivions ici-bas à cet heureux terme que pour en jouir pour quelques moments passagers et par intervalle, vu la privation à laquelle nous sommes condamnés ; et nous ne pouvons entendre d’une manière constante et non interrompue la parole continue qui crée toujours. Mais n’est-elle pas assez grande, cette vérité que nous pouvons apprendre dès ce monde, savoir : que le cœur de l’homme est la région que la Divinité a choisie peur son lieu de repos, et qu’elle ne demande qu’à venir l’habiter ? N’est-ce pas une assez grande vérité pour nous que de savoir que Dieu n’a choisi un semblable lieu de repos que parce que le cœur de l’homme est amour, tendresse, et charité, et que, par conséquent, ce secret nous découvre la véritable nature de notre Dieu, qui est d’être éternellement amour, tendresse, et charité, sans quoi il ne chercherait pas à habiter chez nous, s’il n’y devait pas trouver ces indispensables rapports ?

Âme de l’homme, songe donc à te soigner, et à te nettoyer avec vigilance, puisque tu es destinée à recevoir un pareil hôte ; songe que tu dois être le miroir de l’éternel, oui le miroir et le reflet actif de son amour. Quoique tu ne passes, pour ainsi dire, qu’un jour sur la terre, tu y demeures assez longtemps pour observer et pour connaître non-seulement que tel est le terme de ton existence, mais encore quelle est la voie qui t’est tracée pour te maintenir dans le poste, quel qu’il soit, qu’il plaît à la sagesse suprême de te confier pendant ce séjour passager.

Nous voyons que chaque jour le soleil parcourt un arc de son grand cercle ; nous voyons que chaque jour cet arc est le seul qu’il parcoure pour nous, et nous voyons qu’il en suit tous les points avec une régularité parfaite. Prenons là l’exemple et la leçon que nous devons suivre. Regardons-nous tous comme des astres qui ont chacun un arc à parcourir dans la grande sphère de l’œuvre de notre Dieu. Depuis le pôle jusqu’à la ligne, quelle que soit notre latitude, parcourons notre arc avec fidélité, et sans laisser échapper le moindre murmure, sans le moindre mouvement de jalousie, ni de désir d’avoir à paraître sur un climat plus fortuné que celui auquel nous sommes attachés. Parcourons notre arc comme fait continuellement le soleil, sans examiner si nous brillons sur l’Arabie heureuse, ou sur les sables de l’Afrique et sur les déserts de la Tartarie ; parcourons notre arc, comme lui, en purifiant les régions qui se trouvent sous nos pas, et en ne laissant jamais ternir notre éclat par les souillures et les influences infectes qui s’élèvent de ces régions.

N’ambitionnons pas d’embrasser dans notre cours un champ plus vaste que celui qui nous est prescrit ; si un seul homme avait suffi pour veiller aux besoins de toutes les régions de l’univers, l’éternelle sagesse n’aurait pas créé ce nombre innombrable d’individus qui composent la famille humaine.

Soleil Divin, toi dans qui tous les esprits et toutes les âmes ont puisé leur existence, toi qui domines sur le centre de notre monde spirituel, comme le soleil élémentaire domine sur le centre de notre globe, à toi seul appartient le pouvoir d’éclairer à la fois, comme lui, tous les points de notre atmosphère, et de balancer le poids des ténèbres par l’abondance et la vivacité du jour que tu répands sur toutes les parties de la région Divine que nous habitons ; à toi seul appartient le pou voir de nous communiquer même cette portion de lumière que tu charges notre âme de verser ensuite sur les divers climats spirituels où tu nous attaches.

 

 

29.

 

Nous ne sommes encore parvenus dans cet écrit que jusqu’au second âge du nouvel homme, et nous n’avons point encore ouvert l’entrée du règne Divin, parce que le nouvel homme est encore dans sa croissance et n’a point atteint l’âge de sa virilité ; pendant qu’il croît, faisons ici sur le règne prophétique une observation essentielle, c’est que les esprits de Python n’ont point agi sur les patriarches et sur les prophètes comme ils l’ont fait dans tous les temps sur le genre humain. Abraham, Jacob, Noé, Moïse, David, Ézéchiel, Jérémie, Daniel, ont suivi la voie naturelle dans mille circonstances de leur vie où la lumière supérieure se reposait pour eux. On leur montrait les évènements prophétiques les plus éloignés, on les leur montrait souvent même en songe, et puis on les livrait à la loi du temps et aux ténèbres naturelles qui enveloppent toute la famille humaine.

Quant à ceux qui furent dépositaires de la loi sacerdotale, ils avaient le droit de consulter le Seigneur et d’appliquer l’Éphod, et le Seigneur seul leur répondait. Mais ces privilèges s’étant affaiblis par les iniquités des prêtres et le règne prophétique n’ayant eu qu’un temps, les nations de la terre se sont laissé engloutir à la fois et dans les ténèbres et dans les abominations pythoniques. Ne doutons pas même qu’à la fin des temps ces abominations ne deviennent comme universelles, et que les nations ne descendent presque toutes sous la direction d’esprits particuliers et inférieurs, qui, n’étant point liés à la grande source de la lumière, égareront les hommes chacun de leur côté. Il naîtra une multitude de sciences, de sectes, de prodiges, et de faits merveilleux qui se combattront les uns et les autres. C’est-là le sens de l’Évangile : On verra s’élever peuple contre peuple, royaume contre royaume.

Car toutes ces routes seront autant de divergences et de subdivisions ; mais la masse corrompue de ces sciences verra toutes ces parcelles se séparer et se dissoudre à mesure qu’elles s’élèveront ; et c’est cet état de fermentation réciproque et de division universelle entre ces fausses sciences et entre ces faux savants qui les fera disparaître et les dissipera, pour ne laisser régner que la vérité qui sauvera les restes du monde.

On peut à certains de ces signes reconnaître que ces temps sont déjà ouverts sur la terre, par la multitude de visions, d’inspirations, d’associations spirituelles qui s’élèvent de toutes parts, et qui, se dévorant les unes et les autres, se précipitent mutuellement vers la destruction. On peut le reconnaître aussi à ce que la plupart de ces prodiges éloignent d’autant plus l’esprit de l’homme de la seule route simple et intérieure qui puisse le sauver. Aussi nous est-il dit dans l’Évangile que malgré toutes ces merveilles prédites pour la fin des temps, il n’y aura cependant point de foi sur la terre.

Seigneur, l’iniquité des hommes serait trop grande pour ne pas lasser ta patience et pour ne pas enflammer ta justice ; sûrement il y a des hommes de paix et des élus déjà parvenus à ta demeure sainte, qui par leurs vertus et leur encens te consolent des abominations accumulées des autres hommes ; c’est par leurs prières qu’ils te consolent et retiennent ton bras, en attendant que les mesures étant comblées, tu fasses éclater ta fureur, qui ne pourra manquer de se développer lorsqu’il n’y aura plus de foi sur la terre, puisque lorsque tu ne trouveras plus d’asile dans le cœur de l’homme, tu briseras l’homme dans ta sagesse et dans ta justice, comme un vieil édifice qui n’est ni sain ni sûr, et où tu ne pourrais plus habiter.

Mortels, ensevelis dans le sommeil, relevez-vous et voyez combien cette fureur sera terrible, puisqu’elle doit balancer et emporter le poids des iniquités qui se seront accumulées pendant toute la durée des siècles, et apprenez d’avance que c’est vous qui déterminez vous-même la mesure des fléaux et des vengeances que vous devez taire un jour tomber sur vous ; apprenez, dis-je, à ne plus blasphémer votre Dieu, parce que si vous devez vous attendre à trouver en lui une justice et une puissance supérieures à toutes vos abominations, pourquoi ne croiriez-vous pas également y rencontrer une douceur et des bienfaits supérieurs à vos vertus et à vos mouvements les plus purs et les plus animés du feu de l’esprit ? Si vous déterminez vous-même la mesure de vos maux et de vos tourments, vous avez également le droit de déterminer la mesure de vos joies et de vos récompenses, et ne doutez pas que le cœur de votre Dieu n’aimât mieux mille fois vous récompenser que de vous punir.

Mais vous avez préféré de vous livrer à des routes illusoires et séductrices, vous avez préféré les images de la vérité à la vérité elle-même ; bien plus, vous n’avez pas pris le soin d’examiner de quelle main vous venaient ces images, et sur le brillant de leurs couleurs vous avez cru devoir en orner vos habitations, vous avez cru devoir vous en décorer vous-même, sans songer que vous vous engagiez par-là à observer les lois, les ordonnances, et les volontés de celui qui vous envoyait ces décorations.

Voilà comment les iniquités se sont glissées sur la terre, voilà comment se combleront les mesures de l’abomination, parce que chaque souverain, ou plutôt chaque usurpateur ne manquera pas de répandre abondamment ces trompeuses, mais attrayantes décorations pour augmenter son règne, et s’attirer la foi et les hommages de ceux qu’il aura subjugués par de semblables prestiges.

C’est par ces voies fausses et erronées qu’il amène les hommes à n’avoir de facultés que pour des connaissances de l’ordre inférieur qui ne sont elles-mêmes que des apparences mortes et mensongères, c’est par là qu’il fait que ces sortes de lumières troubles et incertaines deviennent les seuls éléments de l’homme et la seule mesure de son esprit. Aussi, quel effet peuvent opérer alors sur les hommes les tableaux vifs et les allégories spirituelles envoyées par la vérité ? Cet effet est nul ou faux à leurs yeux, ils rapportent le tout à des sciences inférieures, ou à l’invention de l’historien, ou bien ils n’y voient rien.

Or, pourquoi ces figures prophétiques si éloquentes et ces formes si pittoresques que l’esprit prend sans cesse ont-elles si peu d’empire sur l’esprit des hommes, si ce n’est parce qu’ils ont entièrement perdu de vue les modèles et les grandes vérités, et qu’ils se sont ensevelis dans les images, qui ne demandaient de leur part aucun effort de leur intelligence ni de leurs autres facultés morales et Divines ?

Le nouvel homme a déjà vu briller trop clairement en lui la propre lumière de son essence pour ne pas échapper à de pareils pièges. Il dira avec David, ps. 15 : 7, etc. : « Je bénirai le Seigneur de m’avoir donné l’intelligence, et de ce que jusques dans la nuit même mes reins m’ont repris et instruit. Je regardais le Seigneur et l’avais toujours devant mes yeux, parce qu’il est à mon côté droit pour empêcher que je ne sois ébranlé. C’est pour cela que mon cœur s’est réjoui et que ma langue a chanté des cantiques de joie, et que de plus ma chair même se reposera dans l’espérance, parce que vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer et ne souffrirez point que votre saint soit sujet à la corruption. Vous m’avez donné la connaissance des voies de la vie, vous me comblerez de joie en me montrant votre visage ; des délices ineffaçables sont éternellement à votre droite. »

En effet, le nouvel homme est celui qui gardera soigneusement en lui la parole du Seigneur, de peur qu’il ne la transporte ailleurs. Il travaillera jour et nuit pour conserver dans son cœur la chaleur de l’esprit et pour en conserver la lumière dans les trésors de son intelligence. Il regardera le corps de l’homme comme un vase d’un puissant métal, qui soutient l’action du feu sans se briser et sans se fondre. Il se dira : avant que j’eusse reçu sensiblement pour moi cette naissance spirituelle qui m’éclaire si puissamment sur ma vraie nature, le Seigneur me comblait cependant de ses biens. Comment m’abandonnerait-il après m’avoir donné l’existence ? Il m’a enseigné à distinguer la joie que nous goûtons en lui ; comment ne nous vendrions-nous pas tout entiers pour la posséder ? Comment nous contenterions-nous de la joie qui ne serait attachée qu’aux images, quand nous pouvons goûter la joie attachée aux réalités, et surtout quand les images nous sont offertes comme au milieu d’un abyme et au sein des plus profondes ténèbres ?

Quelle grâce ne nous faut-il pas d’en haut et quels efforts ne nous faut-il pas faire pour nous tenir fermes sur les bords du précipice où nous marchons !

 Le nouvel homme le connaît, le besoin de ces secours indispensables, et c’est parce qu’il les a reçus qu’il se remplit d’indulgence et de pitié pour ses malheureux concitoyens qui sont encore dans l’attente. Il sait que nous ne connaissons Dieu ici-bas que par les objets sensibles ; qu’à notre mort nous commençons à le connaître pas les centres spirituels, mais que ce n’est qu’à notre entière réintégration que nous le connaîtrons par lui-même. Il voit que c’est cette attente qui décourage les mortels et qui les mène dans le désert par les sentiers de l’impatience. Il frissonne de douleur de savoir que la voie du retour n’est pas à beaucoup près si large que la font les hommes, avec toutes leurs doctrines qui semblent n’être que des recettes d’empiriques et de charlatans.

Alors il dit au Seigneur : ne laissez pas les hommes dans des voies qui nuisent à votre œuvre même, que j’ai si grand désir de voir s’accomplir. Venez au secours de leur faiblesse, puisque vous seul pouvez les préserver de la mort et leur donner les forces et tous les appuis qui leur manquent. Puis, se tournant vers l’ennemi, il lui dit : faut-il que le sang de mon esprit coule pour assouvir ta soif et te faire lâcher ta proie ? Le voici : laisse aller mes frères en liberté. Ce n’est pas seulement en mon nom que je te parle, c’est au nom de celui qui vient de me rendre la vie ; mais si tu ne veux pas croire en mon nom ni au nom de celui qui m’a envoyé, crois au moins à l’œuvre qu’il a faite dans mon être et dont tu ne peux nier la réalité, puisqu’elle t’est prouvée, par mon existence que ton œil ne peut méconnaître et que tu ne peux t’empêcher de sentir.

 

 

30.

 

Un des plus merveilleux prodiges que l’homme puisse apercevoir, c’est celui qu’il sent se passer en lui-même lorsqu’il fait quelque pas dans la carrière de sa régénération. Ce qu’il éprouve est comme si toutes les grâces qu’il a reçues se rassemblaient en une forte union, pour combattre et les obstacles que ses anciennes souillures ont pu élever en lui, et tous ceux que l’ennemi a élevés lui-même, et élève tous les jours sur ces bases qui sont ses propres œuvres et les fondements de son temple d’iniquité. L’homme sent que non-seulement on le bénit dans toutes ses substances, mais encore que toutes ses substances deviennent bénissantes à leur tour, et qu’il peut, par le secours de ces grâces Divines qui descendent en lui, devenir un baume bienfaisant et répandant partout la plus agréable odeur.

Aussi, son désir et son zèle s’accroissent à ces douces expériences ; sa prière se transforme, pour ainsi dire, en une sainte fureur, et il veut prendre le ciel par violence. Dieu de ma vie, viens donc vivre dans ma vie, afin que je puisse approcher la mort sans mourir, mais au contraire afin que je puisse à mon tour faire revivre la mort, comme tu m’as fais revivre moi-même lorsque j’étais mort.

Hélas ! les hommes ne se touchent que par la mort au lieu de se toucher par la vie ! Quels étaient les desseins de la justice lorsqu’après leur crime elle les a précipités dans l’abîme terrestre où nous vivons, et qu’elle les a placés les uns auprès des autres ? C’était pour qu’ils se servissent mutuellement de témoignages de leur égarement, et de signes de leur misère. C’était pour qu’ils eussent continuellement devant les yeux le triste tableau de l’horreur où le péché les avait réduits. C’était pour que chacun d’eux, voyant son frère dans les ténèbres, dans l’inquiétude, dans les tribulations, dans les souffrances et dans les puissances de la mort physique et morale, il s’attendrît, il fît un retour sur lui-même, et qu’en reconnaissant humblement les droits de la justice qu’il verrait exercer avec tant de constance et de sévérité, il tachât, par ses larmes et sa pénitence, d’en calmer le courroux et d’en tempérer la rigueur.

Par ce moyen, les hommes, après s’être servis réciproquement de témoignages de leur égarement et de signes de leur état d’expiation, auraient pu se servir ensuite les uns aux autres de signes d’amendement, de résignation, d’encouragement à la prière pour fléchir la colère Divine, et sans doute ils seraient arrivés bientôt après à se servir mutuellement de signes de grâces célestes, de pardons, de consolations, et de jouissances qui eussent changé pour eux le règne de la mort et les eussent placés, en quelque sorte, dans le royaume de la vie, avant même qu’ils eussent quitté cette région terrestre et mixte, à laquelle l’unité paraît devoir être si étrangère. N’en doutons pas, telles étaient les vues de la sagesse sur la postérité de l’homme, puisque cette sagesse ne cherche qu’à remplir toute la terre.

Mais les hommes ne sont les uns pour les autres ni des signes de consolation ni des signes d’amendement, ils font même tous leurs efforts pour effacer d’entre eux ces témoignages de leurs égarements et ces signes de leur misère qu’ils devaient s’offrir réciproquement, et ils ne sont devenus les uns pour les autres que des réalités actives d’imprudence, d’orgueil impie, d’iniquité et de corruption pestilentielle.

Nous voyons bien, à la vérité, dans la nature, le même air, la même source de vie se communiquer à toutes les plantes, et cependant les unes nous le rendent rempli de baumes et de parfums, tandis que d’autres ne le rendent que corrompu et plein d’infection ; mais ce n’est point cette image pénible qui fait la véritable affliction du nouvel homme, c’est de voir que le malheureux homme offre à nos yeux le même tableau, et avec des couleurs cent fois plus choquantes et propres à jeter la désolation dans toutes les substances de l’esprit.

La vie divine pénètre les âmes comme l’air pénètre tous les corps. Elle pénètre les âmes pour qu’elles puissent germer et produire des fleurs sans nombre et dignes de parer le jardin d’Éden. Mais ces mêmes âmes, au lieu de remplir l’atmosphère de la douce odeur des aromates bienfaisants, ne répandent dans la région de l’homme que les poisons les plus pénétrants et les plus fétides.

Pleurons de honte et d’humiliation de nous trouver si loin de notre patrie ; de nous trouver continuellement serrés et déchirés par le cilice de l’iniquité. Le sang ruisselle de tous nos pores, et de peur que la douleur ne soit pas assez vive, nous tournons le glaive mutuellement dans nos plaies, et nous nous servons tous de bourreaux les uns aux autres. Amis, amis, bornons-nous à nous servir réciproquement de sacrificateurs, et efforçons-nous chacun de faire sortir de l’âme de nos frères des victimes pures qui puissent être présentées sur l’autel des holocaustes.

Voyez ce nouvel homme ; il a laissé passer jusques dans lui, par l’organe de ses prières, l’antidote puissant qui seul peut détruire ces animaux malfaisants dont le cœur de l’homme est le repaire. Il a raclé, chaque jour, comme Job, la sanie de ses ulcères, avec le morceau de pot de terre qui lui restait ; aussi, l’esprit du Seigneur est venu renouveler son sang et lui rendre la santé. Aussi son âme deviendra un jour le trône du Seigneur. Du haut de ce siège superbe, il étonnera les nations dans sa gloire, il lancera la foudre contre ses ennemis, il tracera lois de sa puissance aux peuples innombrables qui habiteront dans ses domaines ; il publiera des lois de grâce pour ceux qui voudront rentrer dans les voies de la vérité ; il distribuera des prix et des récompenses à ceux qui se seront dévoués au service de son maître et qui n’auront respiré que pour la gloire de la maison du Seigneur.

Veille donc sans cesse, ô homme de paix, ô homme de désir, pour que le trône soit ferme et inébranlable, puisque si ce trône n’est pas en état, tu peux par ta négligence retarder l’œuvre et la manifestation des merveilles et des grâces du Seigneur. Que serait-ce donc si ce trône n’était pas érigé au nom de la vérité ? Dieu vous dirait, comme dans Amos : (5 : 20, etc.) : « Je haïs vos fêtes et je les abhorre ; je ne puis souffrir vos assemblées ; en vain vous m’offrirez des holocaustes et des présents, je ne les recevrai point, et quand vous me sacrifieriez les hosties les plus grasses pour vous acquitter de vos vœux, je ne daignerai pas les regarder. Ôtez-moi le bruit tumultueux de vos cantiques ; je n’écouterai point les airs que vous chantez sur la lyre ; mes jugements fondront sur vous comme une eau qui se déborde, et ma justice comme un torrent impétueux. Maison d’Israël, m’avez-vous offert des hosties et des sacrifices dans le désert, pendant quarante ans ? Vous y avez porté le tabernacle de Moloch, l’image de vos idoles, et l’étoile de votre Dieu qui n’étaient que des ouvrages de vos mains. C’est pour cela que je vous ferai transporter au-delà de Damas, dit le Seigneur qui a pour nom le Dieu des armées. »

Le nouvel homme ne veut pas d’un Dieu qui soit ainsi l’ouvrage de ses mains ; voilà pourquoi il n’a d’autre soin, d’autre désir que de laisser agir sur lui la main du Seigneur. Il la sent pénétrer jusques dans l’intérieur de son être. Elle commence par réveiller en lui la sensibilité spirituelle par son approche ; elle lui communique une nourriture douce et vivifiante qui flatte son goût et qui répand des parfums délicieux pour son odorat : ce sont là les premiers sens spirituels qui prennent la naissance dans l’homme, par la main de l’esprit.

Cette main bienfaisante lui ouvre ensuite les yeux pour le rendre témoin des merveilles de sa sagesse et de sa puissance ; elle a soin de proportionner pour lui les tableaux à la jeunesse de sa vue et à la faiblesse de ses organes ; mais, dès qu’il a une fois les yeux ouverts sur les richesses de la main divine qui lui communique tous ces trésors, il ne peut plus en détacher ses regards, et il parvient, par l’usage et le temps, à en discerner encore mieux la valeur et la richesse.

Cette main divine lui ouvre alors le sens de l’ouïe pour le convaincre que tous les trésors ne sont pas muets et silencieux comme les trésors de la terre, et son oreille est charmée par l’harmonie des concerts qu’elle entend, de même que par l’éloquence vive, lumineuse et persuasive de toutes les langues dont il est environné.

Enfin, cette main divine délie la langue même de ce nouvel homme, afin qu’il puisse prouver à ceux qui lui parlent qu’il a le bonheur de les entendre et qu’il n’a point laissé tomber leurs paroles. Dès lors, la vie entière de ce nouvel homme va être un accroissement continuel et un développement de tous ses sens et de toutes ses facultés spirituelles, par lesquels il témoignera que l’esprit est venu en lui et qu’il l’a rendu son organe ; il tâchera de persuader à ses semblables que cette main de l’esprit est exclusivement la seule qui puisse faire toutes ces diverses opérations dans notre âme, comme nous voyons que la nature est la seule qui les opère dans les sens physiques de notre corps, et que nous ne pouvons que nuire à notre conformation et à notre régularité si nous gênons, en la moindre chose, cette opération de la main divine ; il leur apprendra aussi que le don de la parole est le dernier de nos sens spirituels que la main divine délie dans notre âme, comme nous voyons que la parole matérielle est le dernier développement que reçoivent les enfants.

 

 

31.

 

Il est temps que le nouvel homme commence sa mission. Son âge terrestre est rempli ; son âge céleste va commencer. La première loi qu’il va subir en entrant dans cet âge céleste, c’est le baptême corporel, et ce baptême, il faut qu’il le reçoive de la main de son guide, afin de pouvoir ensuite recevoir le baptême Divin de la main du Créateur. C’est notre compagnon fidèle qui est chargé d’opérer sur nous ce baptême corporel, parce que sa fonction est de nous défendre, de nous préserver, de nous purifier de tout ce qu’il y a d’hétérogène autour de nous, enfin de rompre la barrière qui nous sépare de notre seul et universel principe de réaction qui est la Divinité.

Cependant ce baptême que nous nommons ici corporel ne tombe point sur la forme extérieure du corps, parce que cette forme a des actions de son ordre pour la soigner et pour la baptiser selon leurs mesures ; et même si cette forme n’était pas pure dans ses éléments extérieurs, le baptême dont nous parlons ne pourrait pas avoir lieu, parce qu’il tombe sur les principes de la forme, et qu’il ne pourrait parvenir jusqu’à ces principes si la forme extérieure lui offrait quelques obstacles par ses souillures. En même temps ce baptême s’opère par le moyen de l’eau principe, dont notre compagnon fidèle peut user pour agir sur nos principes ; et cette propriété de l’eau principe est indiquée physiquement par l’eau élémentaire que tout le monde sait être le principe de toute corporisation matérielle.

C’est sans doute une honte et une humiliation pour nous d’avoir à recevoir ce baptême corporel régénérateur par la main d’une créature spirituelle dont nous sommes destinés à être un jour les maîtres et les juges, puisque nous devons juger les anges, et la justice même (1ère cor. 6 : 3) ; mais telle est la suite de l’immense transposition qui s’est faite au moment du péché, et c’est encore une grâce infiniment grande que nous fait ici la miséricorde Divine, de permettre que la main de la créature spirituelle puisse rompre nos chaînes, pour nous mettre dans le cas de recevoir la vie supérieure et créatrice dont nous sommes si prodigieusement éloignés.

Cet ange fidèle, et rempli d’amour pour nous, désire sûrement avec beaucoup d’ardeur d’opérer sur nous cette œuvre salutaire, mais il le désire aussi pour son propre compte, parce que, selon ce qui a été dit précédemment, il ne peut jouir de la vie Divine que par notre organe. Néanmoins, comme tout son être est humilité, il attend, dans sa douce patience, que les moments soient arrivés, que les mesures soient à leur point, et surtout que l’ordre lui soit donné de remplir son œuvre ; car il s’est dévoué à l’obéissance, nous offrant par-là, le premier, l’exemple de la manière dont nous devons nous conduire envers Dieu.

Ce sont tous ces mouvements-là qui se sont passés dans S. Jean-Baptiste, lorsque le Réparateur vint le trouver près du Jourdain pour être baptisé par lui ; il savait que celui qui serait envoyé devait baptiser dans l’esprit et dans le feu ; il savait qu’il n’était pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ; il n’osait, par humilité, baptiser le Seigneur ; ce ne fut que quand il en eut reçu l’ordre de sa part qu’il s’y détermina ; et ce St. Jean nous est donné dans l’évangile comme marchant dans l’esprit et la vertu d’Élie, ou comme étant Élie lui-même, c’est-à-dire, l’esprit du Seigneur : aussi était-il le précurseur.

Lorsque ce baptême corporel est opéré sur nous par l’eau de l’esprit, alors le nouvel homme sort des eaux où il avait été plongé, et c’est quand il a mis le pied sur la terre qu’une voix du ciel se fait entendre et dit : C’est mon fils bien aimé dans lequel j’ai mis toute mon affection ; jusque-là ce nouvel homme était bien le fils de Dieu, puisqu’il avait été conçu par l’esprit, et que par ce même esprit il avait reçu la naissance ; mais son nom et sa famille Divine n’avaient point été promulgués, et tant que cette barrière qui devait céder à l’eau de l’esprit n’aurait point été rompue, le nouvel homme n’aurait pu recevoir de la part de son père cet aveu authentique par lequel il le reconnaît pour son fils, et lui assure par-là, non-seulement son existence parmi les nations, mais aussi les droits les plus constants à son légitime héritage.

Ce n’est donc qu’alors que la Divinité commence à faire réellement son entrée en nous, et que nous avons l’espoir de voir descendre en nous les trois principes Divins qui viendront s’y établir pour y opérer, par leur suprême indissolubilité, une union intime des trois principes qui nous constituent personnellement, union qui, de ces trois principes, ne doit faire en nous qu’un seul principe, et les manifester toujours dans cette unité forte et harmonique, dans quelque lieu, dans quelques circonstances, dans quelque œuvre, et dans quelque portion de nous-mêmes que nous en ayons besoin.

Cette entrée de Dieu en nous est le principal désir et l’objet essentiel de la Divinité ; aussi nous n’avons qu’une idée bien faible des efforts qu’elle fait pour remplir ce but ; et s’il y a quelque chose de lamentable dans notre existence, c’est de sentir et d’éprouver que nous fermons nous-même l’accès à cette Divinité, c’est de sentir physiquement qu’elle circule continuellement autour de nous pour trouver un sentier par où elle puisse s’introduire jusques dans notre cœur, et que nous, au contraire, nous nous efforcions tellement de lui rendre la voie étroite qu’elle soit obligée de se froisser et de se mettre en sang pour pénétrer en nous et nous apporter la vie ; c’est de sentir que l’amour qu’elle a pour nous lui rend supportables toutes ces douleurs, et qu’elle ne murmure point, qu’elle ne se rebute point de verser des larmes, pourvu que le feu de sa charité perce les obstacles et triomphe dans la sainte gloire de son amour, tandis que nous, dans nos abominables ténèbres et dans nos voies pleines d’iniquité, nous fermons l’oreille à ses sollicitations, et nous restons insensibles à sa tendresse.

Cependant quelles sont les vues qu’elle a sur nous ? C’est de nous appeler et de nous faire relever du milieu des morts, c’est de nous délivrer de la fange et de l’infection dans laquelle nous sommes étendus, c’est de nous rendre assez lumineux par le feu de son esprit pour que nous puissions, les uns et les autres, nous servir de guides et de points de ralliement dans nos abîmes, et nous arracher ensemble par sa Divine puissance à ce séjour sépulcral dans lequel nous ne sommes autre chose que de vrais cadavres.

Or, le moindre rayon de sa parole suffit pour opérer en nous ce prodige, pour nous remplir tous entiers de force, d’amour, et de lumière, et substituer en nous des vertus et des facultés caractérisées, à la place de cet état ténébreux et insignifiant qui est le propre de la région que nous habitons ; et c’est le rayon de cette parole que nous nous efforçons soigneusement de repousser de nous, comme s’il devait nous donner la mort.

Le nouvel homme n’a point voulu suivre ces voies erronées. Il a été conçu dans Nazareth, il a vécu parmi les Nazaréens, et selon les usages et les lois des Nazaréens ; et quand son âge a été arrivé, il s’est porté vers le Jourdain, qui est la frontière de la terre promise ; là, il s’est soumis humblement à la main de son guide et de son précurseur qui s’est baissé pour prendre des eaux du fleuve, et les a répandues sur la tête et sur toute la personne intérieure de ce nazaréen.

Ce baptême invisible, dont le baptême visible du Réparateur nous donne l’intelligence, opère un double effet sur le nouvel homme. Non-seulement ce nouvel homme entend, comme le Réparateur, ces paroles consolantes : C’est mon fils bien aimé dans lequel j’ai mis toute mon affection ; mais il aperçoit, comme lui, dans la profondeur de son être, des trésors cachés dont il n’ignorait pas toute la valeur, mais qui ne lui étaient pas encore découverts, et qui ne pouvaient l’être que par l’organe de ce baptême invisible qui ne peut lui être administré que par son guide. Dès l’instant que ce baptême invisible lui est administré, la voix divine peut entrer en lui comme dans sa propre forme, et le pénétrer dans toutes les facultés qui le constituent ; et c’est à mesure qu’elle le pénètre ainsi dans toutes ses facultés qu’il découvre en lui-même les richesses dont il est doué par sa nature Divine, et l’emploi qu’il doit faire de ces richesses pour la gloire de celui dont il les a reçues.

Ces richesses consistent principalement en sept canaux spirituels qui attendaient tous l’ordination sacramentelle pour pouvoir commencer à reprendre leur activité, et pour redevenir les organes de la source suprême, dont ils doivent transmettre les eaux fertilisantes dans toutes les régions frappées de stérilité ; ces sept canaux se trouvent avoir entre eux la correspondance la plus parfaite, et quoiqu’ils aient chacun un caractère et une propriété différente, l’un ne peut agir sans le concours des autres, ou sans que ses rapports avec les autres canaux ne soient déterminés. C’est ainsi que, par la manifestation que la vérité universelle nous offre dans l’harmonie musicale, aucun son ne peut exister sans que ses relations ne soient établies sur-le-champ avec tous les autres sons.

Tel est l’instrument Divin que la source supérieure a confié au nouvel homme, ou plutôt, a bien voulu régénérer en lui pour le remettre à portée de célébrer de nouveau, par des chants réguliers, la gloire de son auteur, de son maître, et de son père ; œuvre que l’homme ne peut accomplir que par la secours de cet instrument spirituel et lié dans toutes ses harmonies, parce que comme c’est l’unité qu’il doit célébrer, il ne pourrait s’en acquitter avec justesse s’il n’avait pas dans la main le représentatif de cette unité ; œuvre qui n’aurait jamais du s’interrompre si l’homme avait suivi les plans de sa destination originelle, mais qui, malgré l’interruption qu’elle a subie par le cruel pouvoir qu’a eu le crime d’obstruer en nous ces précieux canaux, est toujours prête à revivre et à développer toutes les merveilles dont elle est susceptible, dès que l’homme veut former une résolution sincère de se mettre en état, par ses efforts constants et son intime humilité, de recevoir le baptême invisible de son guide qui seul peut l’amener aux portes de la région de la vie.

 

 

32.

 

Plus le nouvel homme est frappé d’admiration en découvrant en lui de si grandes merveilles et un instrument spirituel si précieux, plus il sent la nécessité de se livrer avec ardeur au soin de nettoyer de plus en plus tous ces canaux, et d’en étudier avec une vigilance infatigable tous les sons, pour que le concert qu’ils doivent former ne produise jamais que l’harmonie la plus parfaite, et pour que les plans de la source suprême ne soient pas dérangés une seconde fois.

C’est pour cela qu’il va se jeter dans le désert ; non pas seulement dans le désert matériel des circonscriptions locales et terrestres, mais dans le désert de l’esprit et dans le désert de Dieu ; c’est-à-dire que, sentant combien il est peu digne de s’approcher encore de cet esprit et de ce Dieu dont il a été rejeté si loin par le crime, il va se replier dans lui-même pour rassembler ses forces et ses lumières dispersées, afin que quand il aura eu le bonheur de leur faire reprendre leur unité, il puisse s’offrir dans de plus justes mesures à celui qui est la mesure même.

D’ailleurs il est conduit à ce courageux isolement par un sentiment de justice et d’équité. C’est par nous, dit-il, que le crime a été conçu et opéré, c’est par nous que la subdivision de notre être a eu lieu, c’est par notre propre volonté que nous avons mérité d’être séparés de notre principe, c’est donc par nous et par notre propre volonté que nous devons mériter d’être ramenés et réunis à ce principe. Heureux encore, et cent fois heureux, non-seulement qu’on nous ait avertis que ce rapprochement nous était possible, mais encore qu’on nous en ait montré à la fois le terme et les moyens par le jour que le baptême invisible de notre fidèle compagnon vient de répandre dans l’âme de l’homme.

C’est donc par cet esprit d’humilité, de justice, et de courage que le nouvel homme va être poussé dans le désert ; là, avec la lumière qu’il vient de recevoir, il va parcourir les plus profondes retraites de son être, et il ne se reposera ni jour ni nuit qu’il n’en ait éloigné toutes les immondices, tous les malfaiteurs, et tous les animaux nuisibles.

De profondes doctrines nous ont déjà appris que dans ce désert il sera tenté en réalité de la manière dont le premier homme le fut dans le domaine primitif qui lui fut confié ; elles nous ont appris qu’il le sera dans son corps, dans son âme, et dans son esprit en raison des trois principes qui nous constituent ; elles nous ont appris qu’il ne pourra jamais mieux se défendre qu’en opposant à son ennemi la parole qui sort de la bouche de Dieu, comme le Réparateur nous en a donné l’exemple, en ne répondant au tentateur que par des passages de l’Écriture ; elles nous ont appris que cet homme en épreuve doit passer quarante jours et quarante nuits dans le désert pour accomplir la rectification de ce quaternaire qui caractérise l’âme humaine et qui a été défiguré par le péché ; ainsi nous n’appuierons point sur ces grands objets.

D’ailleurs c’est dans lui, c’est dans son âme que ce nouvel homme fera la découverte de tous ces principes ; et il ne serait pas un nouvel homme s’il n’apprenait ces hautes vérités que par tradition, et s’il n’en acquérait pas la connaissance intime par expérience et par sentiment. Tâchons donc seulement de ne point perdre de vue le chemin qu’il va suivre dans ce désert.

Le premier pas qu’il y va faire est de sentir que son être physique n’est que le rempart de la citadelle qu’il doit défendre ; que ce rempart doit non-seulement opposer une résistance invincible aux ennemis, mais que c’est même de ce rempart qu’il doit lancer sur eux les foudres et les éclairs peur les empêcher d’approcher et les effrayer par la terreur de sa puissance. Mais comme il a clairement reconnu que sans le baptême invisible qu’il vient de recevoir, il n’aurait jamais eu la force d’entreprendre des œuvres aussi pénibles que celles qui s’offrent à lui, il fera en sorte que ce même baptême s’étende successivement sur toutes les portions de son être.

Ainsi il invoquera le nom du Seigneur pour que ses éléments soient maintenus dans la mesure et la justesse qui leur conviennent, afin que le rempart conserve son assiette ; il invoquera le nom du Seigneur pour que les éléments supérieurs réactionnent et fortifient continuellement ce rempart, et qu’il soit préservé par-là de toute dégradation, afin de pouvoir mieux résister à ses ennemis ; il invoquera le nom du Seigneur pour que le principe de sa vie corporelle concoure sans cesse avec l’action de ses éléments constitutifs et la réaction des éléments supérieurs, de manière que leur harmonie les rende comme inséparables et forme un triangle puissant et irrésistible sur qui le désordre ne puisse avoir aucun empire ; il nourrira ainsi son être élémentaire de la force, de la patience, de la ferme constance, du courage, de l’élévation au dessus des maux et des dangers, tant il sent que cet être élémentaire n’est en effet que le rempart de la forteresse et qu’il lui faut songer, avec non moins de soin, à mettre en état de défense et de sûreté le corps de la place.

Voyez donc ce nouvel homme, au milieu de sa solitude, tantôt errer dans les sentiers écartés, tantôt s’asseoir accablé d’amertume et verser des torrents de larmes, tantôt s’absorber dans la profondeur de ses pensées, toujours gémir, toujours désirer, toujours attendre les moments de consolation et de triomphe qui lui sont annoncés, toujours prier pour que son espérance ne défaille point malgré l’austérité de son désert, malgré l’âpreté de sa nourriture, et malgré les rudes épreuves qu’il doit subir à chaque instant ; voyez-le en même temps se défendre toujours par des moyens simples et toujours puisés dans l’amour et le respect qu’il a pour son Dieu.

En effet, toutes les fois qu’un objet quelconque se présente à sa pensée et cherche à lui faire naître des désirs, quelques légitimes qu’ils soient en apparence, avant de s’arrêter à cet objet il se retourne toujours vers Dieu et dit :

J’ai senti que mon Dieu était le principe de toutes choses, qu’il n’y avait rien qui ne tînt de lui sa force, ses propriétés, ses vertus, et tout son prix ; je ne dois donc jamais me déterminer à livrer ma pensée et mon cœur à aucun objet avant d’avoir cherché si mon Dieu n’a pas en lui de quoi me tenir lieu de cet objet ; car s’il a en lui de quoi me tenir lieu de cet objet, je serais insensé de ne pas me dévouer exclusivement à lui, de former d’autres alliances qu’avec lui, puisque tout autre objet que lui n’est que secondaire, et ne peut m’offrir qu’une joie passagère et bornée, comme l’est l’essence particulière de cet objet, au lieu qu’en faisant une alliance exclusive avec mon Dieu, je trouverai en lui tous les objets secondaires qui existent hors de lui quoique par lui, et je les y trouverai dans une existence durable, permanente et universelle, puisqu’ils seront liés là à la source éternelle et impérissable qui les créera et les engendrera continuellement, et sans qu’ils puissent jamais cesser d’être et de me combler de joies et de délices.

Par cette réponse simple et prise dans l’esprit de la vraie foi, il éloigne insensiblement de lui tous les enchanteurs, qui ne peuvent résister à une pareille marche, et qui peut-être sont plus aisément dispersés par-là que par une résistance ouverte et par des combats déclarés. C’est à mesure que ce nouvel homme fortifie le rempart de la citadelle qu’il acquiert de ces vastes et simples développements instructifs pour l’administration de l’intérieur.

Il en peut apercevoir de solides raisons. D’abord, plus ce rempart est fidèlement gardé et maintenu dans ses justes mesures, moins il peut y avoir de communications et d’intelligences entre les ennemis qui sont au-dehors et ceux des habitants malintentionnés qui pourraient être dans l’intérieur de la place ; peut-être même que faute de pouvoir communiquer avec l’ennemi, et frappés par l’exemple de ceux de leurs concitoyens qui restent fidèles, ils se rangeront d’eux-mêmes du côté de la bonne cause, et qu’ainsi toutes les forces se réunissant pour le salut commun de la forteresse, la prudence, la sagesse, les lumières, le courage se multiplieront parmi les habitants, et chaque jour ils découvriront de nouvelles clartés et de nouveaux expédients pour décourager les assiégeants et leur faire lâcher prise, et peut-être aussi pour les exterminer lorsque l’occasion se présentera de les combattre corps à corps.

Secondement, comme toutes ces forces et ces lumières ne peuvent se trouver dans le nouvel homme qu’autant qu’elles y descendent de la voie supérieure par les diverses progressions de la sagesse, et par l’usage sacré que l’homme a le bonheur d’en faire, c’est encore le bon état du rempart de la place qui peut favoriser et seconder l’approche de ce secours ; car nous avons vu que notre Dieu était un être actif et effectif ; nous avons vu qu’il cherchait à faire pénétrer partout son activité et son effectivité ; mais, par la loi des analogies dont il est à la fois le modèle et la source, il ne peut s’unir qu’à de l’activité et qu’à de l’effectivité. Ainsi, ce n’est qu’autant que nous tâchons d’accumuler l’activité spirituelle et effective dans nos éléments par l’invocation du nom du Seigneur que l’activité divine peut se communiquer à notre intérieur et s’y développer d’une manière utile et réelle.

Il faut, avant que cette activité divine puisse descendre en nous et s’y établir d’une manière profitable, qu’elle puisse y trouver des organes actifs et assez remplis de force pour pouvoir correspondre à tous ses mouvements, et réaliser dans leur mesure les plans qu’elle tracera en grand dans la sienne. Enfin, on ne saurait trop le répéter, il faut que le nouvel homme se soit sacrifié, régénéré, spiritualisé, et même divinisé, pour que l’action divine puisse descendre avec joie en lui, comme étant sûre d’y trouver une demeure qui lui convienne, et où sa gloire, ses puissances, et tous ses trésors ne soient pas exposés à rester sans fruits ou à être dérobés par l’ennemi.

 

 

33.

 

Ce soin et cette vigilance sur notre être extérieur paraîtront si indispensables au nouvel homme qu’il n’aura pas de peine à les regarder comme les principaux, et peut-être même comme les seuls qui devraient occuper l’homme ici-bas. En effet, c’est cet être extérieur qui est sur la frontière, c’est par-là que doivent se manifester la sagesse, la force et la magnificence des habitants du royaume ; c’est là que viennent affluer et aboutir tous les résultats des sages délibérations qui ne doivent cesser de se tenir dans l’intérieur de l’empire ; nous ne devrions avoir d’autres fonctions que de veiller et de concourir à l’exacte exécution de ces sages délibérations, parce que nous ne sommes que les agents de l’état et nous n’en sommes point les législateurs ; nous pourrions nous acquitter fidèlement de notre emploi, sans la moindre inquiétude sur les lumières et la sagesse qui ne manqueront pas dans le conseil, tant que nous n’en interromprons pas la marche et l’exécution par notre négligence à tenir notre poste en bon état.

La raison pour laquelle nous pouvons rester sans inquiétude sur les lumières et la sagesse du conseil, c’est que ce conseil se tient ou doit se tenir dans notre antérieur ; c’est que ce conseil repose ou doit reposer sur notre intérieur, et que par conséquent notre intérieur, étant par sa nature voisin de ce conseil, ne peut manquer d’en découvrir les lumières et d’en recevoir continuellement en lui les décrets et les délibérations, comme un fleuve qui coule naturellement dans son lit.

Si nous laissions ainsi la voie de notre intérieur ouverte à cette sagesse et à ces lumières, elles couleraient aussi infailliblement dans nous que ce fleuve coule dans ce lit qui lui est toujours ouvert, et nous n’aurions pas plus à craindre que lui que la source pût jamais se tarir. Notre croissance spirituelle extérieure se ferait comme la croissance corporelle des plantes qui transforment constamment en écorce, en branches, en feuilles, en fleurs, en fruits, les sucs qui leur sont envoyés par le principe de leur vie végétale, sans qu’elles aient besoin de s’occuper comment cette sève radicale et créatrice pourra leur faire parvenir de nouveaux sucs, pour les nouveaux résultats qu’elles sont toujours prêtes à réaliser, et nous n’aurions pas plus d’inquiétude sur l’écoulement de la source divine dans notre intérieur qu’elles n’en ont sur l’écoulement de la source vivante de la nature, dans leurs divers canaux qui sont propres à remplir les plans de cette nature ; parce que nous serions sûrs que la source divine a des plans mille fois plus vastes et plus durables, et une abondance incomparablement plus inépuisable.

Source divine, ô source divine, qu’est-ce qui rend ainsi tes plans si vastes et ton abondance si inépuisable ? C’est cette sainte analogie que tu as daigné établir entre l’homme et toi. C’est parce que tu nous a placés immédiatement au-dessous de toi que le fleuve de ta vie s’écoule en nous comme s’il était entraîné par le poids de ses eaux dans la pente naturelle que tu leur as données toi-même en nous accordant l’existence ; c’est parce que tu as donné à notre cœur la capacité de s’accroître à mesure que les eaux divines s’accumulent en lui que tu aimes à faire descendre en nous ce fleuve sacré qui est aussi éternel que toi-même ; et tu cherches à diriger vers nous le cours de ces eaux, parce que tu sais que le cœur de l’homme est le seul qui puisse les recevoir dans toute leur mesure, les conserver dans toute leur virtuelle efficacité, et les employer à cette fertilisation et à cette végétation universelle qui, dès avant les siècles, était le désir de ton être et l’objet de ton existence.

Âme de l’homme, ce n’est point à l’homme à peindre les délices dont tu peux être embrasée lorsqu’après avoir établi, par la grâce supérieure, une mesure juste, forte, durable et à toute épreuve dans ton être extérieur, qui est comme la frontière de l’état, tu sens descendre en toi ces eaux divines, ces douceurs divines, ces lumières divines, ces vertus divines qui te donnent à la fois, et la vie, et le sentiment de la vie qu’elles t’apportent, et la sainte confiance que tu participes à leur immortalité ; mais l’homme peut t’avertir que le moment n’est point encore venu de te livrer à ces sublimes joies.

Songe qu’ici-bas tu n’es encore que dans le désert. Songe que tu es encore au milieu des lions dévorants ; songe que tu es suspendue, comme par un fil, au-dessus de l’abîme ; songe que tu es ici pour gémir, pour agir, et non pas pour jouir : ainsi, tiens-toi en garde même contre les délices de ces jonctions divines qui, étant trop anticipées, pourraient t’abuser sur ton œuvre si tu les écoutais trop longtemps et avec trop de complaisance. Tempère-les plutôt par le sentiment de ton infirmité ; tiens-toi toujours prête à en faire le sacrifice, afin de te mieux préparer à les recevoir un jour d’une manière qui ne soit nullement dangereuse pour toi et qui te soit entièrement profitable ; enfin, reçois-les avec une joie mêlée de crainte et de tremblement que tu aies le malheur de ne les pas faire échapper, en entier, aux dangers dont sont menacés tous les trésors sacrés qui descendent dans ce bas monde ; ne t’occupe que de les faire arriver à leur terme sans accident et sans avarie, et ne consume pas à la jouissance de tes propres satisfactions le temps que tu dois employer à l’avancement de l’œuvre de ton maître, et à veiller contre les déprédateurs de ses richesses.

N’oublie pas qu’il y a deux portes dans le cœur de l’homme ; l’une inférieure et par laquelle il peut donner à l’ennemi l’accès de la lumière élémentaire, dont il ne peut jouir que par cette voie ; l’autre, supérieure et par laquelle il peut donner à l’esprit renfermé avec lui l’accès à la lumière Divine, qui ne peut ici-bas lui être communiquée que par ce canal. Si au lieu d’ouvrir la porte supérieure pour la consolation de l’ami qui est renfermé avec toi dans ta prison, tu ouvres la porte inférieure et que tu donnes accès en toi à ton adversaire, tu deviens un champ de bataille où ton ami fidèle, déjà en privation par sa charité pour toi, est encore exposé tantôt à un combat cruel, tantôt à des attaques déchirantes, quand il voit que tu te déclares aussi contre lui, et toujours à une situation lamentable par l’horrible voisinage que tu lui as procuré, et par la malheureuse nécessité où il est par ta négligence ou par tes crimes de demeurer auprès de son ennemi et du tien, de se trouver renfermé dans la même enceinte, de le voir journellement te corrompre par son infection et d’être obligé de respirer ces influences pestilentielles.

Juge donc ce que ce serait si, après avoir laissé introduire en toi cet ennemi de toute vérité, tu ouvrais ensuite la porte supérieure de ton être, et que la vérité elle-même fût dans le cas d’y descendre en raison de sa pente naturelle ! Détournons les yeux de ce tableau, ou du moins ne le contemplons qu’autant qu’il nous sera utile et nécessaire pour appeler en nous une plus grande force que celle qui nous reste, après les torts si considérables que nous aurions déjà eus envers notre fidèle ami ; appelons cette force supérieure pour qu’elle vienne se joindre à celle de cet ami fidèle et à la nôtre, afin que cette triple puissance tombe comme un foudre sur le déprédateur et le funeste ennemi que nous avons laissé entrer en nous, afin qu’elle le fasse rentrer dans ses abymes et qu’elle referme ensuite sur lui d’une manière sûre cette porte inférieure que nous n’aurions jamais dû lui ouvrir.

Voilà en effet quelle est l’œuvre du nouvel homme pendant son séjour dans le désert, c’est d’obtenir d’en haut une clef puissante pour lier l’ennemi dans ses cavernes ténébreuses, c’est de séparer le pur de l’impur, comme il avait été recommandé aux hébreux, c’est de rendre la respiration de l’air céleste et Divin à cet ami fidèle, à qui le premier homme fait continuellement respirer un air infect depuis le crime ; enfin c’est d’arracher des mains de l’ennemi les portions des trésors Divins, et les étincelles de la vérité même que nous lui avons laissé quelquefois dérober, en ouvrant si imprudemment notre porte supérieure sans avoir pris la précaution de chasser l’ennemi dans ses abymes et de fermer soigneusement sur lui la porte inférieure.

Car, c’est là la tâche qui nous reste à remplir depuis que la faiblesse de l’homme primitif a laissé pénétrer l’iniquité dans nos domaines ; lorsqu’il mangea de l’arbre de la science du bien et du mal, il rassembla, près l’un de l’autre, son être qui habitait dans la lumière et son adversaire qui habitait dans les ténèbres ; c’était cette réunion monstrueuse que la sagesse Divine voulait empêcher, en le prévenant de ne point manger de cet arbre de la science du bien et du mal qui devait lui donner la mort ; c’est donc la rupture d’une pareille association que nous devons opérer aujourd’hui si nous voulons nous mettre en état de manger des fruits de l’arbre de vie sans commettre la plus abominable des profanations.

Je le répète, ce dernier tableau serait trop affligeant et trop désespérant pour ceux qui n’auraient pas acquis les yeux, l’âge, et la force du nouvel homme ; et ils ne pourraient considérer, sans danger, les horribles prostitutions auxquelles les fruits de l’arbre de vie ont été exposés par l’iniquité des mortels ; mais c’est à l’expiation et à l’abolition de ces prostitutions que le nouvel homme est particulièrement occupé ; voilà pourquoi il ne peut plus jouir d’un seul moment de repos, puisque l’ennemi, non-seulement se défend sans cesse et craint de rentrer dans ses abymes, mais cherche au contraire à faire ouvrir, quand il le peut, la porte supérieure du cœur de l’homme, afin de multiplier de plus en plus les abominations qui doivent finir par inonder la terre, comme elles l’ont inondée avant le déluge.

 

 

34.

 

Ces occupations et ces soins du nouvel homme sont si urgents et si importants qu’il va rester encore un temps dans le désert pour assurer les fondements de l’œuvre. S’il a reçu la naissance spirituelle, s’il a été nourri du verbe jusqu’à l’âge de sa mission, c’était pour son propre avantage et pour sa délivrance personnelle ; actuellement il lui faut songer à l’œuvre de son maître. Il lui faut tellement fermer la porte inférieure du cœur de l’homme, après en avoir chassé l’ennemi, que la porte supérieure et Divine puisse s’ouvrir sans inconvénients et sans craindre ces horribles prostitutions que cet ennemi ne cesse de projeter et de machiner selon tous les moyens qui sont en lui.

Tel était l’esprit des trois tentations par lesquelles il attaqua le Réparateur ; il ne cherchait, sous l’apparence de la piété et de la foi, qu’à faire descendre les vertus Divines dans sa région et à les faire employer à un usage faux, afin que les fruits en fussent tous à l’avantage de ses vues cupides et criminelles. Tel était, dis-je, l’esprit de ces trois tentations, parce que ce prince des ténèbres, ne marchant point dans la lumière, ne peut connaître que la même route erronée qu’il à suivie dès le commencement, et il attaquait le Réparateur comme il avait attaqué le premier homme, et comme il attaque journellement tous les mortels.

Mais le Réparateur, au contraire, se conduit envers lui comme l’homme aurait dû le faire dans le temps primitif, comme le nouvel homme se conduira désormais, et comme tous les mortels devraient se conduire. C’est-à-dire que, se regardant seulement comme le ministre et le serviteur de Dieu, il ne peut prendre sur lui de se déterminer à céder à aucune proposition quelconque sans l’autorisation de son maître, et il se contente de rapporter la loi et les volontés de ce maître à celui qui veut le séduire ; il lui fait entendre par là qu’il ne peut se rendre légitimement à ce qui lui est suggéré et que, la volonté de son maître étant sa première loi, il doit la consulter avant d’agir, et la suivre dès qu’elle lui est connue.

Peut-être même des yeux intelligents trouveront-ils dans la douceur de cette réponse et dans la citation des volontés supérieures, un indice de la manière dont l’homme aurait dû se diriger dans son état de gloire, et de la fonction qu’il aurait eu à remplir envers l’être égaré ; car cette citation de la loi et de la volonté supérieure eût été une sorte d’instruction que l’homme eût donnée au prévaricateur, et qui peut-être l’eût engagé à faire un retour sur lui-même et à rentrer dans la vérité.

Mais il aurait dû faire cette citation non pas comme la fit Ève en disant au serpent, en chancelant et déjà troublée : Dieu nous a commandé de ne point manger du fruit de l’arbre qui est au milieu du paradis, et de n’y point toucher, de peur que nous ne fussions en danger de mourir ; mais avec la ferme résolution de rester fidèle au précepte et de s’opposer, par une suite de cette fidélité, à toutes les tentatives du prévaricateur. Voilà donc encore un des fruits que le nouvel homme peut communiquer à ses frères, en attendant les nombreuses récoltes qui sortiront de lui lorsqu’il aura terminé le cours de ses épreuves et de ses combats dans le désert.

Ce fruit est la manière dont nous pouvons nous délivrer de l’ennemi lorsqu’il nous tente par quelque proposition insidieuse, par des images illusoires et par ses insinuations accoutumées. Disons-lui, comme le nouvel homme : Je ne suis pas mon maître, je ne suis que le serviteur de Dieu, c’est à lui que je te renvoie pour faire juger tes plans et tes propositions. L’ennemi ne tiendra pas contre ce langage ; ou, s’il a intention de poursuivre ses entreprises et ses tentatives, il viendra frapper contre la loi même qui le brisera et le couvrira de honte et de confusion.

Combien il faudra d’efforts et de soins à ce nouvel homme avant qu’il ait fermé ainsi à l’ennemi toutes les issues ! Car il ne faut pas qu’il y ait un seul point de son être où cet ennemi puisse accomplir le moindre de ses projets séducteurs et établir ces fausses joies avec lesquelles il enchaîne journellement les mortels. Ce sont là ces assemblées de jeux et de divertissements où Jérémie disait qu’il ne se trouvait point.

Aussi ce nouvel homme vous dira comme Jérémie, 15 : 15 : « Seigneur, vous qui connaissez le fond de mon cœur, souvenez-vous de moi, venez en moi et défendez-moi contre ceux qui me persécutent... Votre parole est devenue la joie et les délices de mon cœur, parce que j’ai porté le nom de votre prophète : ô Seigneur, Dieu des armées... je ne me suis point trouvé dans les assemblées de jeux et de divertissements.... je me suis tenu retiré et solitaire... pourquoi ma douleur est-elle devenue continuelle !... C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur : si vous savez distinguer ce qui est précieux de ce qui est vil, vous serez alors comme la bouche de Dieu. Je vous rendrai à l’égard de ce peuple comme un mur d’airain et inébranlable. Ils vous feront la guerre et ils n’auront sur vous aucun avantage, parce que je suis avec vous pour vous sauver et pour vous délivrer... je vous dégagerai des mains des méchants, et je vous préserverai de la puissance des forts. »

Rappelons-nous qu’il n’y a pas un seul point de l’être de l’homme sur lequel ces sublimes paroles ne doivent se prononcer, et que Dieu ne demande autre chose sinon que le nouvel homme soit en état de les entendre continuellement. Nous avons jeté déjà trop loin pour être étonnés de cette merveilleuse miséricorde. La grandeur de l’homme est un témoignage évident de la grandeur de l’œuvre de Dieu en vers la malheureuse famille humaine ; et réciproquement la grandeur de l’œuvre de Dieu est une démonstration de la grandeur de l’homme. Cette œuvre est telle qu’il suffirait de la contempler et de l’apercevoir pour renaître, et pour nous rétablir dans les régions saintes de l’amour et de la sagesse, de manière que non-seulement le monde des ténèbres et des illusions disparût pour nous, mais que même tous les mondes de lumière semblassent se trouver dans notre âme comme ils se trouvent dans la pensée de Dieu.

Ô nouvel homme, combien tu deviens respectable à tes propres yeux quand tu sens ce qu’opère pour toi l’auteur des choses ! Il est le Dieu unique, tu es son fils ; peut-il y avoir quelque chose qui ne soit pas divin dans l’œuvre qui s’opère entre toi et lui ! peut-il y avoir quelque chose qui ne soit pas l’acte même de ton Dieu ! Aussi tu ne vivrais pas et tu serais déjà mort si tu ne croyais pas à celui qu’il a envoyé en toi.

En même temps c’est par cette vive confiance, c’est par cette fidélité aux volontés de son maître, que le nouvel homme va rendre à son être l’activité qui lui est propre ; il sent qu’il nage dans le sang du Réparateur comme dans une mer abondante qui enveloppe tout l’Univers ; il sent que les germes engendrés par ce sang ne sont point périssables comme les germes terrestres et produits par les simples puissances secondaires ; il sent que les fruits qui en proviennent ne sont point nuls et sujets à la loi du temps, et il est dans l’admiration de les retrouver en lui dans leur vive activité, lors même qu’il semblait avoir perdu de vue leur existence ; il sent que leur activité se communique à son propre germe et le dispose à réaliser toutes leurs vertus, à l’image et à la ressemblance de celui qui a bien voulu le choisir pour son frère.

Aussi il n’a nul doute que ce sang dans lequel il nage ne rétablisse, dans tous les points de son être, la vie qui leur manque et la force et la sécurité dont ils ont besoin pour conserver intact l’intérieur de la place, et échapper à la fureur de ceux qui l’attaquent et le poursuivent ; car si son être est l’abrégé universel de tout ce qu’il y a dans les deux mondes, il faut qu’il recouvre toutes les mesures qui lui appartiennent sous ce rapport, et qu’ainsi les deux mondes qui sont en lui rentrent dans leurs relations, dans leur justesse et dans leurs propriétés originelles.

C’est-là le sens de sa véritable réconciliation et régénération ; ainsi il faut qu’il soit réconcilié en lui avec ses principes et actions élémentaires ; avec toutes les régions temporelles, avec les deux régions spirituelles, célestes et terrestres, avec toutes les régions surcélestes ; s’avec toutes les régions saintes et avec toutes les régions divines ; puisque toutes ces régions-là sont en lui, et qu’elles n’ont pas été placées en lui pour y demeurer dans l’inertie et dans la mort.

Le premier homme avait laissé dévaster ces sept domaines par le crime et nous a exposés tous à la nécessité de travailler, comme lui, à les réhabiliter dans nous avant de travailler à les réhabiliter amour de nous. L’agent suprême prêta son secours au premier homme, dès l’instant du crime, pour l’aider à entreprendre avec succès le grand œuvre de sa réhabilitation. Ce même agent suprême ne cesse de prêter son secours au nouvel homme pour l’aider à se régénérer dans ses lois et dans ses mesures particulières ; c’est pour cela qu’il a vu renaître en lui les sept canaux qui devaient primitivement le rendre l’instrument actif de la Divinité ; c’est pour cela qu’il s’est retiré dans le désert, afin de se séparer totalement de ce qui n’avait point de rapport avec ses éléments primitifs. Enfin, c’est pour cela que, rempli de confiance en celui qui ne l’a point perdu de vue, et dans tous les germes de régularité, de force, de justesse, de lumières, de sagesse, de puissances, et de vérités que cette main suprême a semés en lui, il va abandonner son désert et répandre au-dehors les fruits que, grâce à la toute puissance, il a su leur faire produire par sa culture soigneuse et vigilante.

 

 

35.

 

Comment ce nouvel homme paraît-il avoir des rapports si parfaits et des droits si actifs sur la nature, au point de pouvoir changer les substances qui la composent et de leur donner des propriétés si puissantes en comparaison de celles qu’elles annonçaient avant qu’il eût paru ? C’est qu’il a déjà fait les noces de Cana. C’est qu’il a déjà changé en lui l’eau en vin ; c’est qu’il a déjà revivifié en lui les six urnes, c’est-à-dire, les six actions élémentaires qui composent la circonférence visible de tout ce qui est matière, et que, par cette revivification, il a donné accès en lui à leur principe central et septénaire qui leur donne le mouvement et la vie, et qui peut la transmettre par leur moyen à tout ce qui ne l’a pas reçue et est encore dans le séjour de la mort et de l’inaction ; c’est qu’en donnant accès en lui à ce principe central et septénaire, il a rendu à sa forme corporelle la propriété originelle qui lui appartient par sa nature, d’être supérieure à toutes les formes de l’univers et de leur prouver sa supériorité ; c’est qu’en rendant à sa forme corporelle sa propriété originelle, il peut prouver, à toutes les autres formes, que sa destination primitive fut en effet de produire de pareils résultats et de semblables régénérations sur toutes les formes de la nature qui auraient été soumises à son empire.

Voilà pourquoi rien n’est comparable à l’imprudence de celui qui essaye de faire des entreprises quelconques dans cet ordre de choses supérieures sans avoir commencé par rendre à sa forme les propriétés essentielles dont elle devrait être la dépositaire et l’organe ; mais aussi s’il parvient à rendre à sa forme ses propriétés originelles, il n’y a point de résultats qu’il n’en puisse attendre, puisqu’elle est au-dessus de toutes les formes de la nature.

Que serait-ce donc si le nouvel homme était régénéré dans tout son être ? Il ferait de plus grandes choses que le Réparateur même, parce que le Réparateur n’a fait que semer les germes de l’œuvre, et que le nouvel homme peut entrer en moisson, puisque chaque jour la récolte se mûrit. Le Réparateur a ressuscité des morts individuels ; le nouvel homme pourra ressusciter des tribus entières. Le Réparateur a calmé les flots d’un lac, le nouvel homme pourra calmer les flots de l’océan. Le Réparateur a rendu la vue à quelques aveugles, le nouvel homme pourra ouvrir les yeux à tout ce qui l’entoure. Le Réparateur a délivré des hommes détenus corporellement par les liens de l’ennemi, le nouvel homme pourra rompre, à la fois, toutes les chaînes de tous les hommes de désir.

En opérant toutes ces merveilles, il dira : Seigneur, c’est à votre nom que toute la gloire en est due, parce que vous vous êtes humilié pour élever l’homme, vous n’avez fait que voler légèrement devant lui, comme l’aigle vole devant ses petits pour leur enseigner à voler à leur tour et à exercer leurs forces, et vous avez voulu qu’il devînt, par vos leçons, aussi grand qu’il aurait dû l’être s’il n’avait point abandonné l’ancien poste que vous lui aviez confié. Vous n’ayez voulu opérer devant l’homme que dans votre état d’abaissement et d’humiliation, afin que, par sa fidélité à suivre votre exemple et vos ordonnances, il pût parvenir à opérer dans votre gloire, et c’est pour cela que vous lui avez promis qu’il ferait de plus grandes choses que vous. Mais quelques grandes que soient les œuvres qu’il pourra faire, il ne pourra cesser de célébrer d’autant plus vos louanges, parce que c’est vous qui l’avez régénéré et que c’est par vous seul qu’il a acquis le pouvoir d’opérer en vous.

Tel fut l’esprit de sagesse et d’humilité qui dicta la réponse du Réparateur à sa mère lorsqu’elle lui dit : Ils n’ont point de vin. Car lorsque le Réparateur lui répondit : Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue ; il contempla sa grande puissance par laquelle il devait un jour ouvrir la source des eaux vives dans le ciel et boire le fruit nouveau de la vigne dans le royaume de son père ; mais les hommes n’étant point encore préparés à partager divinement ces avantages, puisqu’ils sont encore sous le joug de l’apparence, il déclare que son heure n’est point encore venue, et il se borne à laisser opérer son action, devant eux, sur des substances élémentaires ; opération assez frappante pour les remplir d’étonnement et de respect pour celui qui en est l’auteur ; tandis que la sublime opération Divine dont elle est l’image eût échappé à leurs regards et fût devenue entièrement inutile pour eux.

Cette opération devenait en même temps un type instructif pour ceux dont l’intelligence avait acquis quelques développements : non-seulement elle annonçait le renouvellement de la nature ; mais elle fit naître au maître d’hôtel une observation significative quand il dit à l’époux : Tout homme sert d’abord le bon vin, et après qu’en a beaucoup bu, il en sert alors de moindre, mais pour vous, vous avez réservé jusqu’à cette heure le bon vin.

Le sens de cette réponse peut en effet annoncer la différence du règne de la matière et du règne de l’esprit, parce que le règne de la matière ne va jamais qu’en dégénérant, puisque son principe, ses moyens, son terme, tout est borné en elle et finit par le néant ; au lieu que le règne de l’esprit ne peut aller qu’en s’accroissant continuellement, et promet toujours à l’homme de nouvelles jouissances ; or cette différence était clairement indiquée, puisque c’est le Réparateur même qui avait agi directement et spirituellement sur l’eau dont il avait fait remplir les urnes. En outre, le sens de l’observation du maître d’hôtel annonçait avec encore plus de clarté le caractère et le terme de la loi ancienne, et l’esprit de la loi nouvelle que l’amour Divin venait apporter sur la terre.

Car cette loi ancienne étant circonscrite dans les mesures du temps, et proportionnée à l’état terrestre de la famille humaine, devait subir un terme et ne pouvait manquer d’occasionner la satiété quand les besoins spirituels de l’homme auraient été plus développés, au lieu que la loi nouvelle, replaçant l’homme dans la ligne de vie, devait lui procurer des jouissances toujours croissantes comme l’infini et des trésors toujours plus doux et plus abondants. Or il n’y avait que le Réparateur qui pût ainsi apporter le bon vin à la fin du repas ; et cette œuvre fut l’occasion d’une grande joie dans la région supérieure et Divine, car le grand monde ne peut manquer d’éprouver un ravissement lorsque le petit monde entre dans ses mesures particulières, vu le rétablissement des similitudes qui est le principal désir de ce grand monde.

Lisons ici une seconde raison pour laquelle le nouvel homme a acquis tant de droits et de propriétés si puissantes et si merveilleuses. C’est que pendant le séjour qu’il a fait dans le désert, il a appris à connaître le nom de l’ennemi qui était attaché à sa poursuite ; il a connu sa région, ses facultés, sa puissance, les causes éloignées ou prochaines qui l’ont placé près de lui, le nom et l’autorité des chefs sous lesquels il agit, ses rapports, ses correspondances, les plans généraux et particuliers qui lui sont tracés, et les moyens qu’il emploie chaque jour pour tâcher de parvenir à ses fins désastreuses ; plus le nouvel homme a fait de profondes découvertes sur le mobile et la marche de ce malfaiteur, plus il a été en état de déranger ses plans et de faire manquer tous ses pièges, parce que comme l’esprit de l’homme ne peut rester dans le néant et dans le vide d’action, il ne peut non plus éloigner de lui l’influence fausse sans que l’influence vraie ne le remplisse.

Le nouvel homme a donc reçu aussi dans le désert la connaissance du nom de celui qui le protège et l’accompagne dans sa carrière d’épreuve et de combats ; il a connu non-seulement le nom de celui qui le protège, mais le rang qu’il occupe dans la hiérarchie céleste, ses rapports, ses correspondances, les vastes desseins que la sagesse lui a confiés pour la direction de son élève, et les motifs sacrés pour lesquels cette sagesse l’a envoyé près de lui.

Le fruit que le nouvel homme a retiré de toutes ces découvertes, c’est d’avoir laissé pénétrer en lui une sorte d’impétuosité spirituelle qui s’est emparée de son courage, de son amour, de sa parole, de sa pensée, et qui n’est que la correspondance de cette impétuosité Divine avec laquelle l’action supérieure cherche à se précipiter en nous pour y prendre la place des ténèbres et de la mort.

Mais il n’a recueilli un pareil fruit qu’après avoir éprouvé une sensation à la fois bien lamentable et bien consolante. Car comment contempler avec indifférence le tableau des malheurs de l’homme et des ressources qui lui sont offertes contre ces malheurs ! Aussi le nouvel homme, frappé alternativement par ces deux forces opposées, est parvenu, par leur comparaison, à sentir sa dignité et sa noblesse. Après avoir frissonné sur les misères de l’homme, il a frissonné sur sa grandeur, qui ne l’aurait pas rendu si malheureux s’il n’avait pas eu de si immenses moyens de devenir coupable ; et réciproquement après avoir frissonné sur la grandeur de l’homme, il a frissonné sur ses misères ; et c’est par le choc de toutes les violentes sensations que l’âme du nouvel homme s’est mise à découvert, que le principe supérieur a pu opérer sur elle un contact puissant qui l’a revivifiée et qui l’a pénétrée de cette active et sainte impétuosité qui est le vrai caractère de la vie.

 

 

36.

 

Le Seigneur a choisi l’âme de l’homme pour y faire sa demeure : il voudrait s’y promener à loisir dans les sentiers spacieux qu’il s’y est préparés. Il y déploie toute sa majesté, et pour qu’elle puisse être mieux aperçue, il y fait briller des astres éclatants dont la lumière répand une splendeur ineffable jusque dans les retraites les plus cachées de cet asile sacré. Il s’y est formé un temple où ses lévites sont employés journellement au culte de leur Dieu et à la pratique des cérémonies saintes. Chaque jour il y consacre l’huile de vie qui doit servir à renouveler perpétuellement les sources sacramentelles de tous les dons de son esprit. Il a placé dans le lieu le plus éminent de ce temple une chaire de vérité ; il y fait asseoir son envoyé pour annoncer aux nations la parole de joie qu’il puise dans la langue éternelle.

Moïse, ceux qui étaient assis sur ta chaire, le Seigneur nous ordonna de les écouter et de pratiquer ce qu’il recommandait d’après la loi. Saint Réparateur, tu nous ordonnas d’écouter tes apôtres que tu envoyais dans le monde pour annoncer ta parole, puisque tu ne priais que pour eux et pour ceux qui croiraient à leur prédication. Comment ne croirions-nous donc pas aux apôtres qui habitent dans le temple de l’homme, puisque nous avons dû croire aux prophètes qui ont déjà prophétisé en lui ? Comment, dis-je, ne croirions-nous pas aux apôtres qui habitent dans le temple de l’homme, dans ce temple plus ancien que les temples temporels des deux alliances, dans ce temple où celui qui prêche la parole est non-seulement assis sur la chaire de Moïse et sur la chaire de la seconde loi, mais encore sur la chaire de la loi primaire, de cette loi assez ancienne pour être assise, elle-même, sur la chaire de l’unité ?

C’est-là cette montagne sur laquelle le nouvel homme va monter pour parler à tout le peuple qui l’environne, et après qu’il se sera assis et que toutes ses pensées se seront rassemblées autour de lui comme étant ses disciples, il ouvrira la bouche et leur dira :

« Bienheureux ceux qui sont assez pauvres d’esprit pour se laisser dérober par leur ennemi secret leur gloire et leurs avantages temporels, et laisser leur propre monde briller au-dessus d’eux et les plonger dans l’obscurité, parce qu’étant exclusivement occupés de la recherche de leur principe et de leur rapprochement de la vérité, ils se rendront assez semblables à elle pour qu’elle vienne les visiter, et les rendre par là possesseurs du royaume des cieux, dans le temps même que leur propre monde ou l’homme de péché qui est lié à eux les croira dans l’indigence et l’ignominie ! »

« Bienheureux ceux qui ne s’offenseront point des efforts et des tentatives que cet homme de péché fera pour leur nuire ; mais qui seront tellement occupés à la culture de leur terre qu’ils ne se laisseront pas même distraire par les reproches qu’il leur fera intérieurement d’être sans lumières, sans éclat, sans honneur, sans richesses, sans estime à ses propres yeux qui ne font qu’un avec les yeux du monde ! C’est avec justice que la terre leur sera donnée, qu’elle leur appartiendra, et qu’ils la posséderont, puisqu’ils en auront gagné la possession par une culture si exclusive et par des soins aussi assidus. »

« Bienheureux ceux dont l’homme intérieur est dans les larmes et dont le cœur est tourmenté par l’abondance de l’amertume ! C’est une preuve que la parole du Seigneur est descendue en eux et qu’elle y comprime toutes les substances de mensonge ; c’est une preuve que la parole s’est imprégnée elle-même de leurs douleurs jusqu’à en être gonflée ; c’est une preuve qu’ils ont senti les pleurs de la parole de vie qui s’est répandue dans l’âme des prophètes de tous les temps, qui n’a cessé de parler par eux des pleurs des prêtres, des pleurs de la terre d’Israël, des pleurs des voies de Sion, des pleurs du rempart et de la muraille, des pleurs de la récolte de la vigne, des pleurs des habitations des pasteurs, qui s’est transformée en larmes de sang, dans l’œuvre du Réparateur, qui s’est empressée de recommander à l’homme de laisser librement pleurer la parole en lui, et de pleurer abondamment avec elle, puisque ce n’est qu’ainsi que le péché sortira de lui pour y être remplacé par la joie pure, par le sentiment actif de la liberté de sa nouvelle existence, et par les plus douces et les plus ineffables consolations de la vie. »

« Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, qui auront aimé leur être jusqu’à se déterminer à goûter la mort pour lui fournir les moyens de goûter la vie, et pour se mettre en état de prononcer le jugement qui est remis à tous les enfants des hommes ! Car le vieil homme est toujours en litige avec l’homme nouveau, et si l’homme intérieur prononce avec force le jugement et l’arrêt contre le vieil homme, l’homme nouveau n’est-il pas sur-le-champ remis dans tous ses droits, comme cela arrive dans les contestations des hommes par le seul effet de la sentence des juges de ce monde ? L’effet n’en doit-il pas être plus grand dans les choses qui tiennent à un ordre vif ? Et n’est-ce pas là le vrai moyen qui est offert à l’homme d’être rassasié de la justice ? »

« Bienheureux ceux qui sentent que nul autre qu’eux-mêmes ne peut leur faire une réelle offense, puisque nul autre qu’eux-mêmes ne peut percer jusqu’à leur essence ? Ils seront uniquement occupés à leur propre surveillance, et à ne pas souffrir qu’ils se fassent eux-mêmes le moindre tort et le moindre outrage ; et cette sévérité sans borne les absorbera tellement, comme étant la seule nécessaire et la seule utile pour eux, qu’ils seront naturellement disposés à être miséricordieux envers les autres, puisque les autres ne peuvent pas les offenser. Par cette véritable et vivifiante indulgence envers les autres, le nouvel homme peut leur faire naître le désir de se surveiller eux-mêmes à leur tour, et les ramener par là à la vie de leur être qui consisterait à ne se faire à eux-mêmes aucune offense ; et voilà de quelle manière il obtiendra que Dieu soit miséricordieux à son égard, s’il était assez malheureux que de s’oublier au point de l’offenser. »

« Bienheureux ceux qui auront assez purifié leur cœur pour qu’il puisse servir de miroir à la divinité, parce que la divinité sera elle-même un miroir pour eux ! Le nouvel homme ne doute pas que par ce moyen il ne parvienne intérieurement à voir Dieu, parce qu’il sait que telle était l’objet de l’existence de l’homme primitif ; en conséquence il posera des sentinelles à toutes les avenues de son être pour empêcher qu’aucune influence altérée ne pénètre jusqu’à lui et ne ternisse l’éclat de ce miroir divin qu’il porte en lui. Ces sentinelles seront fidèles à garder leur poste, parce que c’est avec autorité que l’homme peut les placer, et qu’elles ne peuvent manquer de remplir avec soin leurs fonctions lorsqu’il se détermine à leur en prononcer les ordres. »

« Bienheureux ceux qui soupirent après la paix de l’esprit et qui y marchent par le sentier des œuvres pacifiques, en ne se livrant à aucun des partis opposés et furieux qui se battent journellement dans l’homme ! En se délivrant ainsi de la tourbe tumultueuse de leur propre monde, ils prendront pour leur père le souverain auteur de la tranquillité suprême et de l’éternelle paix, et deviendront par là les légitimes enfants de Dieu, puisqu’ils manifesteront le caractère distinctif de cette source où ils ont puisé la naissance, et qui ne peut manquer d’être calme, puisqu’elle est perpétuellement remplie du sentiment inaltérable de son infinité, de son éternité, de son universalité. Ainsi ils pourront dire à leurs ennemis : Tremblez, fuyez, vous ne pouvez rien contre moi, parce que je porte en moi un nom qui signifie le fils de votre Dieu. »

« Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! Ils ressemblent à ceux qui sont pauvres d’esprit, et c’est la même récompense qui leur est réservée ; car il n’y a que le nouvel homme qui souffre persécution pour la justice, attendu qu’il n’y a que lui qui soit affamé de la justice, et que l’ennemi laisse tranquille tous les autres, puisque les autres ne le troublent point, ne le révoltent point, et ne le gênent point dans ses mesures fausses et injustes ; mais quand la lampe est mise sur le boisseau, elle décèle les malfaiteurs qui s’étaient cachés dans la maison, et elle les oblige ou à fuir, ou à entrer en combat avec le maître du logis pour empêcher qu’il ne les dénonce et qu’il ne les livre à la justice. Quelles persécutions et quels combats le nouvel homme n’aura-t-il donc pas à éprouver, puisqu’il allume des lampes dans tous les lieux de sa maison et qu’il anime contre lui à la fois tous les malfaiteurs qui s’y étaient introduits et qui la menaçaient d’une grande ruine ? Mais aussi quelles réjouissances et quelles consolations ne doit-il pas se promettre pour avoir si bien surveillé la maison qui lui a été confiée, puisque cette maison est la maison du Seigneur ? Le ciel même sera sa récompense, puisque le ciel n’attendait que le moment où cette maison serait ainsi nettoyée et purgée des malfaiteurs pour venir y faire son habitation. »

 

 

37.

 

« Vous savez qu’il est écrit (Ézéchiel 33, 8) : Si lorsque je dirai à l’impie : impie, vous mourrez très-certainement, vous ne parlez point à l’impie afin qu’il se retire de sa mauvaise voie, et qu’il meure ensuite dans son iniquité, je vous redemanderai son sang à vous-même. Et moi je vous dis que ce n’est pas seulement le sang des autres que la justice vous redemandera, mais qu’elle vous redemandera le vôtre même, si vous avez négligé de l’employer à la défense de votre propre règne, que vous vous soyez contenté d’en chasser l’iniquité, et que vous n’en ayez pas chassé jusqu’à la moindre faiblesse.

« Vous êtes l’or, vous êtes le talent distribué par le maître à ses serviteurs ; souvenez-vous qu’il ne le distribue que pour en retirer des fruits abondants, et pour qu’il soit continuellement dans la main des banquiers. Si vous ne l’avez pas fait valoir, la justice vous redemandera non-seulement le fonds, mais encore les intérêts que ce fonds aurait dû lui rapporter, et elle vous ôtera même ce fonds avec lequel vous auriez pu obtenir de ces intérêts à l’avenir. Comment parviendrez-vous donc à vous acquitter avec elle ? Vous êtes le sel de votre terre, s’il devient fade, avec quoi le salera-t-on ? Et votre terre ne deviendra-t-elle pas fade elle-même ? »

« Votre leçon entière est dans ces paroles : Les serviteurs que mon père aime sont ceux qui le servent en esprit et en vérité. Ainsi ne vous en tenez pas à une simple croyance au principe divin dont votre âme immortelle a reçu la vie. Ne vous en tenez pas même à cette foi vive que par votre union avec lui vous pouvez tout opérer pour votre bien, et celui de vos frères qui demeurent avec vous dans votre temple particulier, mais faites en sorte de ne vous donner aucun repos jusqu’à ce que cette vive foi se soit convertie en actes positifs et en faits réels. Les serviteurs que le père aime, ce sont ceux qui prouvent leur foi en la divinité de leur nature par la divinité des fruits qu’ils produisent, et par le soin qu’ils prennent que dans eux les triples nombres s’accomplissent ; sans quoi le cercle reste ouvert, l’œuvre n’est pas achevée et reste incomplète, et vous ne pourrez pas dire que vous serviez Dieu en vérité, puisque vous ne le servez pas œuvres effectives ».

« Vous pouvez honorer Dieu par vos prières, mais vous pouvez l’honorer encore plus par les services que vous vous rendrez à vous-même en son nom, et dans l’esprit de sa gloire et de la manifestation de sa lumière, car ces sortes de services seront pour lui, au lieu que vos prières sont principalement pour vous, et comme des préservatifs contre les dangers qui vous menacent et des appuis contre les faiblesses qui vous rongent. »

« Ceux qui ne servent leur Dieu qu’en intelligence ne connaissent pas la vie réelle, puisqu’ils ne vivent que dans les images, aussi ne sont-ils récompensés que par des images. Il faut que votre cœur et toutes les propriétés de votre être deviennent autant d’agents et d’organes actifs, sans aucune interruption, si vous voulez vivre dans les réalités et servir votre maître en esprit et en vérité. »

« On vous a dit que le cœur de l’homme était la terre où Dieu voulait continuellement semer le grain. Vous avez donc la propriété de le faire fermenter et produire en y joignant les sucs nourriciers et végétatifs dont vous êtes l’organe et le foyer. La vérité sème moins en vous qu’elle n’espère en recueillir, afin de vous laisser la gloire et le mérite d’avoir concouru à l’œuvre et le droit de demander votre rétribution lors de la récolte. Voyez combien la terre périssable que vous habitez rend de richesses et de fruits innombrables, pour quelques grains d’un blé corruptible que le laboureur sème dans son sein. Lors donc que le grain de l’éternelle vérité se sème dans la terre vive, jugez quelle immense moisson il en doit résulter, surtout si vous ne cessez de sentir que c’est de Dieu que viennent à la fois la terre vivante, le grain, et le laboureur. »

« Lorsque le Seigneur sème quelque grain en vous, commencez donc par le recouvrir précieusement de toutes les terres déjà remuées auparavant, c’est-à-dire de la confiance, de la vigilance, et de la constance à veiller à la conservation de ce dépôt précieux. Que jamais les séduisantes amorces de la contemplation ne laissent à votre esprit le temps d’interrompre votre cœur dans son œuvre ; sans quoi vous mettrez le grain à découvert au lieu de le laisser fermenter dans la terre ; il se desséchera, ne pourra porter aucun fruit, ou bien il sera dévoré par les oiseaux. »

« Souvenez-vous que si l’âme de l’homme est destinée à servir de temple à l’éternel auteur de ce qui est, il faut qu’elle ait en elle, à la fois, toutes les formes capables de contenir toutes les propriétés de cet être infini, selon toutes leurs vertus, actions, et subdivisions, sans quoi ce suprême et majestueux créateur de tout ce qui existe ne pourrait pas entièrement et librement habiter en elle. Souvenez-vous alors que si l’âme de l’homme est destinée à servir de temple à l’Éternel, vous n’avez plus un seul mouvement qui doive demeurer en votre possession, puisque le souverain auteur qui a produit ces formes pour lui servir de demeure, et qui vient les habiter, doit être le seul à qui en appartienne la disposition ; c’est pourquoi le Réparateur nous a défendu de jurer par notre tête, puisque nous n’en pouvons rendre un seul cheveu blanc ou noir ; car pour jurer par quelque chose, il faut posséder quelque chose ; or nous ne possédons rien, pas même notre être puisqu’il n’est que la forme et le domaine de Dieu. »

« Vous avez appris du Réparateur à dire : notre père ; et vous ne pouviez l’apprendre que de lui, puisque, jusqu’à lui, vous étiez sans Dieu en ce monde (Éphésiens, 2 : 12), vu que vous n’étiez venus en ce monde que pour vous être séparés de Dieu ; et s’il ne s’était pas rendu fils de Dieu pour vous enseigner, par ces paroles consolantes et par sa personne, que l’homme est le fils de Dieu, vous auriez oublié à jamais que Dieu est votre père. Vous n’auriez pu prononcer ce nom qu’il fallait reconnaître pour ouvrir la porte à votre réconciliation, et vous auriez été assimilés à celui qui ne se souvient plus qu’il a porté autrefois le glorieux titre de fils de Dieu. »

« Ce Réparateur vous a enseigné à demander à votre père votre pain quotidien et à être préservés du mal ; si votre âge l’eût permis, il vous eût découvert de plus grandes merveilles encore dans les miséricordes de votre Dieu ; il vous eût découvert que ce Dieu ne cesse de vous offrir ce pain quotidien en ne cessant de vous communiquer sa sainte et exclusive action qui devrait nous animer tous ; ainsi toute notre sagesse devrait se porter à ne pas refuser les secours qu’il nous offre journellement, et notre seule prière pourrait se réduire à lui demander la grâce de ne pas repousser, comme nous le faisons, les dons et les faveurs dont il nous accable. Car le nouvel homme n’a de différence d’avec les imprudents qu’en ce qu’il accepte ce pain quotidien et qu’il s’en nourrit, tandis que les autres le rejettent, le dédaignent, et nient ensuite son existence. »

« Vous savez ce que le Réparateur déclara à ceux qui espéraient être reconnus comme enfants de Dieu pour avoir guéri des maladies et chassé des démons en son nom ; il leur dit : le Seigneur répondra : Allez-vous-en, je ne vous ai jamais connus. En effet le nouvel homme vous apprendra que ces œuvres sont au nombre des droits de votre être et qu’elles ne sont pas, à beaucoup près, l’objet principal de votre renaissance. Les juifs n’avaient-ils pas des exorcistes, et cependant n’ont-ils pas été traités avec colère ? Oui, ces œuvres sont tellement au nombre des droits de votre être qu’il vous est recommandé de vous purifier de vos péchés. Or, cette purification ne peut se faire qu’en chassant de chez vous l’ennemi, qui est le prince de l’iniquité et de la souillure ; et quand vous serez parvenus à le chasser entièrement de chez vous, ne sera-ce pas une propriété naturelle de votre essence pure de le chasser de chez les autres ? »

« Songez-donc que l’objet véritable de l’œuvre du nouvel homme est de se régénérer dans la vie Divine, qui est l’amour et la lumière ; songez que vous ne pouvez obtenir ce degré de jouissance sans que Dieu vous connaisse et sans qu’il soit intimement uni avec vous, comme il le fut avec Moïse lorsqu’il l’appela et qu’il le connut par son nom. Songez que vous ne pouvez être ressuscités (romains 8 : 9) et être sauvés sans confesser que le Réparateur est ressuscité, parce que vous ne pouvez le confesser sans le savoir, sans le sentir, et dès lors, sans être ressuscités avec lui. Souvenez-vous ensuite que le Réparateur n’était pas encore ressuscité lorsqu’il dit aux juifs ces paroles que vous venez d’entendre sur le pouvoir de chasser les démons, et que c’est une preuve de plus que ce pouvoir n’est que secondaire dans l’ordre de votre régénération. »

« Il vous a été dit que quelque chose que vous demandassiez au père, au nom du Réparateur, vous l’obtiendriez ; mais comment demanderez-vous au nom du Réparateur si ce nom ne vous est pas connu, c’est-à-dire, s’il n’a pas pénétré jusque dans l’intelligence de votre cœur, par la douceur de sa vivante activité ? Voici donc comment vous pouvez espérer que ce nom se fasse connaître à vous et comment vous pouvez vous en servir utilement. »

« Toutes les fois que votre esprit se sentira dans l’indigence et dans le besoin, présentez au Réparateur le dénombrement des grâces antérieures qu’il vous a faites. Dites-lui : “Je suis celui à qui vous avez remis telle et telle dette, je suis celui que vous avez fortifié dans telle occasion, je suis celui en qui vous avez développé telle lumière, je suis celui que vous avez préservé dans telles circonstances, je suis celui que vous avez étonné tant de fois par la douceur si inattendue de vos voies toujours nouvelles ; enfin je suis celui pour qui vous avez fait et pour qui vous faites encore de continuels miracles de miséricorde et d’allégement dans nos peines, dans nos dangers, et dans nos ténèbres.” Il reconnaîtra ses propres œuvres dans ce dénombrement que vous lui présenterez, et il s’approchera encore davantage de vous, afin que vous puissiez parvenir un jour à demander en son nom, à son père, tous vos besoins. »

 

 

38.

 

« Vous savez qu’il est écrit que vous ne devez point jeter vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds et qu’ils ne se tournent contre vous. Ce précepte regarde en particulier l’homme qui soupire après sa régénération ; il prend une telle idée de la grandeur des trésors qui lui sont promis, et une idée si horrible de la souillure de son être, qu’il craint toujours de laisser en lui quelque substance corrompue qui, comme les pourceaux, aille fouler aux pieds les perles qu’on lui présenterait, et qui ne se tourne contre celui qui lui aurait offert tous ces trésors. Lorsque vous deviendrez des hommes nouveaux, ne parlez point de la vérité à ce qui, dans vous, ne sera pas encore régénéré dans l’innocence et dans la foi de l’esprit ; contemplez-vous pour savoir s’il n’y a pas encore en vous quelque chose qui soit à un tel point de faiblesse et de ravalement qu’on doive lui laisser ignorer même qu’il y a un remède universel ; savoir, celui de l’amertume. »

« Ce n’est qu’aux facultés déjà dans le sentier de la vie que vous devez communiquer l’utile mystère des douleurs de la pénitence de l’esprit, qui seule nous découvre si clairement les deux êtres qui sont en nous, et qui seule offre à l’homme comme autant d’échelons pour lui aider à monter sur l’autel du sacrifice, jusqu’à ce que le feu de l’esprit descende sur lui, comme au temps de la loi des holocaustes, et l’enlève ensuite avec lui dans la région de la vie.

« Ainsi vous reconnaîtrez que vos péchés sont couverts quand vous sentirez que la sagesse laisse descendre en vous quelque base nouvelle et féconde sur laquelle puisse s’élever l’universel édifice ; car cette sagesse ne vous enverrait pas un tel présent si elle n’avait auparavant emporté tous les décombres et toutes les ruines que vos égarements avaient produits. Ayez donc constamment le soin de rompre la chaîne de vos crimes et de la laisser à demeure sous vos pieds, afin que rien en vous ne repousse les trésors qui vous seront prodigués par la sagesse qui veille sur vous ; car elle vous en enverra de plus considérables encore que ceux que l’ennemi vous avait fait perdre, parce qu’elle est mille fois plus riche et plus bienfaisante qu’il ne peut être méchant et pervers. Elle enverra des anges pour enlever les pierres de vos sépulcres, et après vous avoir fait sortir vivants de vos tombeaux, ils s’assoiront sur ces pierres comme un signe éternel que la mort ne reprendra plus ses droits sur vous. »

« Le terme final et la destination du nouvel homme ne doivent-ils pas l’emporter sur les degrés obscurs et pénibles de sa réconciliation, et n’est-il pas attendu dans un temple plus brillant et plus vaste que ne peut le lui faire concevoir aujourd’hui toute l’étendue de ses pensées ? Ne faut-il pas que tout soit précipité pour que la grande clarté lui soit rendue ? Sanctifiez-vous, disait Josué au peuple, car le Seigneur fera demain parmi vous des choses merveilleuses. »

« Quelles sont ces merveilles ? C’est de faire planer le nouvel homme au-dessus des mondes, d’être pour lui un signe perpétuel de gloire et de triomphe, et de le faire asseoir sous les portiques sacrés, pour y chanter éternellement les Cantiques du Seigneur. Car, si vous êtes assez fidèles aux lois et aux ordonnances du Seigneur pour que son nom vous remplisse et se mette en possession de tout votre être, c’est ce même nom qui engendrera en vous toutes vos substances vives ou toutes les formes des vertus Divines ; vos facultés seront les agents et les organes de ces formes, la sagesse les conservera dans leurs justes mesures et dans leurs proportions pour que tout ce qui est en vous manifeste l’harmonie du Père céleste qui vous a donné la vie ; ainsi votre Dieu tout entier passera en vous ; et voilà comment vous deviendrez la ressemblance de votre principe et l’image active du grand monde et de l’éternité. »

« Ne vous attachez qu’aux désirs que la sagesse vous envoie ; vous les connaîtrez au calme qu’ils feront naître dans votre cœur et à la lumière qui les accompagnera, puisqu’ils seront les fils de la lumière et que la sagesse n’envoie jamais des désirs au cœur de l’homme sans lui envoyer, en même temps, tous les moyens de les satisfaire, parce qu’elle est l’unité, parce qu’elle n’opère et n’engendre que l’unité, et qu’elle ne peut agir que dans ses propres lois qui sont toutes liées dans cette unité. Défiez-vous donc des désirs qui ne viendront que de votre propre sagesse. Vous les reconnaîtrez aux mouvements impétueux et inquiets qu’ils exciteront en vous, de même qu’aux innombrables difficultés dont leur accomplissement se trouvera hérissé, et qui ne pourra jamais avoir lieu sans retarder, au moins pour un temps, votre avancement dans la carrière simple et libre de la vérité. »

« Pressez-vous de faire votre œuvre, fût-ce même avant son temps, s’il était possible ; non-seulement vous acquerrez par là les moyens d’obtenir de plus grandes richesses dans les possessions de la lumière et de l’esprit, mais vous pourrez encore jouir paisiblement du repos pendant la chaleur du jour, tandis que ceux qui auront été moins actifs, ainsi que ceux qui se seront abandonnés à l’insouciance et à la négligence seront obligés de supporter tant de fatigues que peut-être ils n’y résisteront pas et finiront par être réduits à la disette et à une effroyable misère. »

« Ne vous arrêtez donc pas aux obstacles que les infidèles qui demeurent dans votre sein voudront opposer à votre œuvre. Dites-leur : vous aurez beau rejeter ma parole, j’en étourdirai vos oreilles et je vous poursuivrai jusqu’à ce que les ordres de mon maître soient exécutés et que vous rendiez hommage à sa gloire. Est-ce à moi de mesurer et de juger les voies du Seigneur ? J’ai accepté dans l’humilité de mon âme le nom de son prophète et de son envoyé ; et plein du désir de faire honorer son nom et sa puissance, je ne veux pas qu’il ait à me reprocher de n’avoir pas averti ceux qui s’égarent. C’est sur vous qui habitez en moi et qui êtes les plus proches de mes semblables que je dois manifester son empire, et à qui je dois annoncer son nom. C’est sur vous que je dois faire tomber toutes les plaies d’Égypte, jusqu’à ce que vous ayez rendu la liberté au peuple choisi. »

« Je ne dirai pas même, en allant vers vous, comme disait Moïse : À quels signes me reconnaîtront-ils ? Vous me reconnaîtrez à la puissance du Seigneur qui est descendue dans l’âme de l’homme et qui a fait que nul prophète égal à l’homme ne s’est élevé dans Israël. Vous me reconnaîtrez à ce que tout homme est né pour être triomphant dans son propre royaume, quoiqu’il doive s’attendre à la vérification de cette parole : nul prophète n’est bien reçu dans son pays terrestre. »

« Donnez-donc un libre cours aux paroles du salut et de la régénération qui ont été accordées au nouvel homme. Aidez-le à exterminer les agents de l’iniquité, à précipiter dans la mer les animaux impurs qui auront servi d’asile aux esprits de ténèbres, et à faire ouvrir à demeure les sept canaux de la sainteté ; la vie qui en descendra vous communiquera un nom dont vous ne pouvez concevoir les merveilleuses puissances et les richesses ineffables ; faites-vous seconder du feu du ciel pour que tout ce qui est en vous tremble devant le Seigneur, et pour que vous marchiez sur les traces du fils du grand Azarias, en qui la parole sainte et Divine consumait toutes les substances qui sont étrangères à l’esprit. »

« De même que l’action continuelle de Dieu est de chasser loin de lui l’erreur et les ténèbres, et d’étendre perpétuellement le royaume de la vie malgré tous les ennemis dont ce royaume est environné et menacé, de même lorsque ce Dieu s’unit à vous, il vous est possible d’opérer les mêmes œuvres dans votre royaume particulier, puisque l’action de Dieu, en changeant de lieu, ne change ni de force ni de pouvoir, et qu’elle ne fait alors en vous que ce qu’elle fait sans interruption hors de vous. »

« Il vous a été dit de ne point vous mettre en peine pour le lendemain et qu’à chaque jour suffisait son mal. Cela vous a été dit alors de la nourriture et du vêtement, et de toutes ces choses dont les païens se mettent en peine, comme si Dieu ne savait pas qu’ils en ont besoin, et qu’il ne sût pas les donner par surcroît à ceux qui cherchaient premièrement le royaume de Dieu et la justice ; mais vous pouvez également appliquer ces paroles à la nourriture et au vêtement de vos âmes, qui vous seront donnés en abondance, si vous cherchez réellement le royaume de Dieu et sa justice ; car s’il est vrai qu’à chaque jour suffit son mal, à chaque jour aussi suffit sa consolation, puisqu’il est dit que votre père qui est dans le ciel fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qu’il fait pleuvoir sur le champ des justes et des injustes. Ainsi il n’y a pas de jour que le soleil Divin ne se lève pour vous sur la terre de vos âmes, de vos esprits, et de vos cœurs. »

« Il est écrit que si votre main droite vous est un sujet de scandale et de chute, vous la devez couper et la jeter loin de vous, parce qu’il vaut mieux qu’une partie de votre corps périsse que non pas que tout votre corps soit jeté dans l’enfer. Ces paroles ne tombaient alors que sur les crimes où les désordres de votre matière pouvaient vous entraîner ; mais elles frappaient secrètement aussi sur les cupidités de l’esprit et sur ces faux prophètes qui vous portent perpétuellement à rompre l’alliance que vous avez faite avec votre Dieu, et à en contracter avec des dieux qui ne sont point des dieux, qui se présentent à vous vêtus comme des brebis et qui au-dedans sont des loups ravissants. Car la porte de la vie est étroite, et il y en a peu qui la trouvent et qui y entrent, tandis que la porte de la perdition est large, et le chemin qui y mène est spacieux, et il y en a beaucoup qui y passent. »

C’est ainsi que le nouvel homme, assis sur la montagne, versera dans lui-même la lumière d’en haut, et qu’il s’enseignera avec une doctrine intérieure et vivante, et non pas avec une doctrine extérieure, morte et superficielle, comme font les docteurs et les Pharisiens.

 

 

39.

 

Le nouvel homme entrera dans son temple aux jours septénaires ou aux jours du sabbat de l’esprit, parce qu’il sera fidèle à la loi ; quand il sera entré et qu’il se lèvera pour lire, on lui présentera le livre du prophète Isaïe ; et il l’ouvrira, 61 : 1, où sont écrites ces paroles : L’esprit du Seigneur s’est reposé sur moi. C’est pourquoi il m’a consacré par son onction. Il m’a envoyé pour prêcher l’évangile aux pauvres, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer aux captifs qu’ils vont être délivrés, et aux aveugles qu’ils vont recouvrer la vue, pour renvoyer libres ceux qui sont accablés sous leurs fers ; pour publier l’année des miséricordes et des grâces du Seigneur, et le jour auquel Dieu rendra à chacun selon ses œuvres.

Il fermera le livre et dira : C’est de moi que ces paroles ont été écrites. J’ai attiré sur moi l’esprit du Seigneur par les désirs et les larmes de mon esprit ; j’ai attiré sur moi les vertus du Seigneur par ma soif de sa justice et mon ardeur pour sa sagesse ; j’ai attiré sur moi la mission du Seigneur en faveur des affligés, par mon zèle pour sa gloire et pour le soulagement de mes frères ; j’ai attiré sur moi la parole du Seigneur par la constance et l’importunité de ma parole, parce que nous ne pouvons rien obtenir du Seigneur qu’en lui présentant des similitudes sur lesquelles il puisse faire descendre et reposer son action.

Mais cette action ne peut descendre et se reposer sur nous sans ajouter à la purification que nous avons commencée par nos efforts, et qui n’est jamais complète si la main du Seigneur ne vient elle-même consommer l’œuvre.

C’est pourquoi cette action du Seigneur ne vient jamais sur l’homme sans exciter en lui de saints frémissements qui, en le purgeant de ses souillures, lui font sentir physiquement combien est effroyable la faiblesse à laquelle il est réduit tant que l’alliance n’est pas renouvelée, et en même temps, combien est grande la puissance de l’être infini qui embrasse tout, qui meut tout, qui pénètre tout, et qui a donné à l’âme humaine le droit de le contempler et de sentir sa vivante activité.

Malheur à l’âme humaine qui, après avoir ainsi renouvelé son alliance avec l’esprit et la parole du Seigneur, ne tremble pas de respect pour la mission dont elle est chargée et ne remplit pas avec une sainte frayeur toutes les fonctions de son ministère ! Malheur à elle si, ayant obtenu de nouveaux pouvoirs et des dons plus vastes pour faire descendre plus abondamment sur elle et dans sa région les grâces et les faveurs de la parole et de l’esprit du Seigneur, elle use de ces dons avec des désirs qui ne soient pas ceux de l’esprit même, avec une foi qui ne soit pas celle de l’amour et de la lumière, et avec des facultés qui ne soient pas entièrement et exclusivement dévouées à l’œuvre qu’elle doit accomplir sur la terre ! Elle se rendra coupable du corps et du sang du Seigneur (1ère corinth. 11 : 27) ; elle mangera et boira sa propre condamnation, elle deviendra faible et malade, et tombera dans le sommeil.

Mais si elle n’écoute en elle que les désirs de l’es prit de vérité, quelques dures que ses paroles puissent paraître à tous ceux de la synagogue, elle ne doit point craindre leur colère ni les vengeances dont ils la menacent. Elle prospérera malgré eux, parce qu’elle sera soutenue par la main du Seigneur, ils auront beau la chasser de leur ville et la mener jusque sur la pointe de la montagne où leur ville est bâtie, afin de la précipiter, elle passera au milieu d’eux et se retirera.

Quand elle se sera ainsi unie à la main vigilante du Seigneur, celles de ses facultés qui seront possédées des démons impurs ne pourront approcher d’elle sans que ces esprits de ténèbres ne jettent de grands cris et ne lui disent : Laissez-nous, qu’y a-t-il entre vous et nous, âme nazaréenne ? Je sais qui vous êtes, vous êtes le saint de Dieu ; êtes-vous venue pour nous tourmenter avant le temps ? Mais elle leur répondra avec menaces : Taisez-vous et sortez de moi, et ils en sortiront sans leur avoir fait aucun mal.

Ce nouvel homme, voyant en lui tant de ces hommes tourmentés par des esprits, impurs, tant de malades, et d’infirmes qu’on lui apportera de tous côtés pour qu’il les guérisse, sentira ses entrailles émues de compassion de les voir ainsi languissants et dispersés comme des brebis qui n’ont point de pasteurs ; et il dira à ses bons intellects : la moisson est grande, mais il y a bien peu d’ouvriers ; priez-donc le maître de la moisson pour qu’il envoie des ouvriers en sa moisson. Il ne cessera de les encourager par son exemple à devenir eux-mêmes des ouvriers qui puissent l’aider dans son œuvre. Il ne cessera de les prévenir combien cette œuvre rencontrera d’invisibles contradicteurs qui ne pourront pas en avoir l’intelligence, parce qu’ils ne demeurent que dans les ténèbres.

Aussi ces contradicteurs diront-ils que c’est par le grince des démons que tous ces ouvriers chassent les démons, aimant mieux se couvrir eux-mêmes de confusion par cette réponse insensée que d’avouer leur défaite et la supériorité de celui qui vient manifester leur ignorance. Car ils verront des hommes muets possédés du démon ; ils verront que c’est par la parole du nouvel homme que ces hommes muets recouvreront l’usage de leur langue, après qu’il les aura délivrés de leur démon ; et cependant ils ne craindront pas de confondre celui qui guérit avec celui qui occasionne la maladie ; celui qui ôte la parole avec celui qui la rend. Bien plus, ils ne craindront point de tomber en contradiction devant ces démons même qu’il veulent regarder comme les princes de ces œuvres puissantes et merveilleuses, puisque ces démons reconnaîtront eux-mêmes la force et le nom de celui qui les chasse et lui diront : vous êtes le nouvel homme, vous êtes le Christ, vous êtes le fils de Dieu (Luc, 4 : 41).

Ils se scandaliseront de le voir enseigner d’une manière qui remplira tout le monde d’étonnement, parce que sa parole sera accompagnée de puissance et d’autorité ; et il sera en butte aux contradictions des Pharisiens, des docteurs de la loi qui viendront de tous les villages de la Galilée, du pays de Judée, et de la ville de Jérusalem, et qui, étant assis près de lui, verront sa vertu agir par des prodiges et la guérison des malades.

Car le nouvel homme voyant en lui-même un paralytique, et la foi de ceux qui l’apportent à ses pieds, lui dira : Mon ami, vos péchés vous sont remis.

Alors les Pharisiens et les docteurs de la loi l’accuseront de blasphèmes, prétendant qu’il n’y a que Dieu qui puisse remettre les péchés, tandis que par leur loi même, dont ils sont les docteurs et les princes, il y avait des sacrifices pour l’expiation et pour le péché, et que ces sacrifices étaient offerts par la main d’un homme qui, dans cette circonstance, était l’intermède, l’organe, et l’agent de la Divinité.

Mais le nouvel homme, connaissant d’avance leurs pensées, aura commencé par la guérison intérieure du malade, afin d’avoir l’occasion de leur donner une instruction salutaire et lumineuse, en leur représentant qu’il n’est pas plus difficile de dire : levez-vous et marchez, que de dire : vos péchés vous sont remis ; parce qu’aux yeux du fils de l’homme, toutes les puissances émanent de la même source, et que, sûrement, le premier service qu’il puisse se rendre à lui-même, c’est d’employer celles qui tombent sur la guérison de ses facultés intérieures, et de ne s’occuper de la guérison de son corps que quand son inférieur est rétabli, sans quoi, loin d’avancer son perfectionnement et sa régénération, il ne ferait que rendre ses facultés plus coupables en les dispensant de la coulpe de leurs péchés, tandis qu’il leur laisserait la substance de leurs péchés.

Mais ayant commencé à user des droits originels de l’âme humaine (qui étaient de remettre les péchés) par remettre les péchés au paralytique, en récompense de la foi qui l’animait, il voudra encore frapper les yeux matériels des docteurs de la loi par un prodige corporel et par la guérison matérielle du malade ; et sachant combien les puissances sur l’esprit s’élèvent au-dessus des puissances qui ne tombent que sur le corps, il prouvera la guérison intérieure, ou le pouvoir qu’il a eu de remettre les péchés par la guérison extérieure, puisqu’une puissance moindre est nécessairement comprise dans une puissance supérieure, ce qui nous enseigne combien nos maux physiques sont liés à nos désordres moraux, et que si notre intérieur était mieux réglé, nous aurions infiniment moins d’infirmités corporelles. Pénétré de ces principes, le nouvel homme, ayant délié dans le paralytique les chaînes du péché qui suspendaient l’action de tous ses organes, dira avec assurance à ces organes délivrés de leurs entraves : Levez-vous, je vous le commande, emportez votre lit et vous en allez en votre maison. Le paralytique se lèvera, emportera son lit, et s’en ira en sa maison au grand étonnement de ceux qui seront les témoins de ce glorieux évènement.

Le nouvel homme sera si constamment occupé de son œuvre qu’il pourra ramener ainsi tout son être à ses éléments primitifs, en travaillant sans relâche à réaliser ce qui est dit dans les prophètes : Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. C’est-à-dire, en faisant en sorte que chaque portion de son être exprime activement la sainteté de Dieu et dise : saint, saint, saint, comme nous avons vu précédemment que telle était la vraie propriété que nous découvrait l’analyse divine de notre être ; c’est-à-dire, enfin, que tous les points de cet être qui est en nous devraient être mus par les consciences vives et progressives des diverses régions de l’esprit par où nous pouvons et devons passer, jusqu’à ce que nous soyons universellement pleins de la conscience Divine. Or, si l’être intérieur du nouvel homme arrivait à cet heureux terme, quels maux physiques pourraient, dans son corps, résister à sa puissance ? Et ne pourrait-il pas dire avec assurance à tout ce qui sera paralytique en lui : Levez-vous, je vous le commande, emportez votre lit, et allez-vous en dans votre maison ?

 

 

40.

 

Voici le moment où le nouvel homme, à l’instar des disciples du Réparateur, va aller prêcher dans les villes et dans les villages d’Israël qui est l’homme ; voici le moment où, au nom de l’esprit, il pourra retracer l’élection de douze disciples, en développant en lui les dons qui brillèrent dans les douze envoyés par le Réparateur. Il offrira, en lui-même, un reflet de cette élection, en raison du pouvoir secret et de l’opération continue quoiqu’invisible d’une ancienne loi qui a établi primitivement douze canaux pour la communication de la lumière, de l’ordre, et de la mesure parmi les nations ; loi à laquelle tous les dispensateurs des lois divines ont été fidèles, et qui a été observée dans tous les temps, même de la part des simples sectateurs des sciences élémentaires qui ont universellement consacré douze signes dans les régions du firmament matériel.

Il n’ira point porter les fruits de cette élection aux gentils, ni dans les villes des samaritains, parce que ces nations sont les représentants figuratifs des peuples réservés pour le jugement ; mais il ira plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël ; vers les régions qui autour de lui ont été troublées et égarées par les influences du crime, mais qui n’ont point encore fermé leur cœur à la pénitence ; et il dira à ces nations, pour les encourager, que le royaume du ciel est proche ; il rendra au milieu d’elles, par ses larmes, par ses prières, et par ses efforts, la santé aux malades, la vie aux morts, la liberté à ceux qui seront dans les chaînes du démon ; il n’épargnera rien pour remplir toute sa terre de l’abondance de ses œuvres.

Lorsqu’il entrera dans quelque ville ou dans quelque village de la terre de l’homme, il y cherchera quelqu’un qui soit digne de le loger, et il demeurera chez lui jusqu’à ce qu’il soit dans le cas de s’en aller. En entrant dans une maison, il la saluera en disant : que la paix soit dans cette maison. Si cette maison en est digne, la paix viendra sur elle, et si elle n’en est pas digne, la paix retournera à lui ; parce que la paix ne peut se confondre avec les nations qui n’en sont pas dignes.

Mais lorsque le nouvel homme trouvera en soi quelque maison ou quelque ville qui ne veuille point le recevoir ni écouter ses paroles, il secouera en sortant de cette ville ou de cette maison la poussière de ses souliers ; et cette ville et cette maison deviendront plus coupables que Sodome et Gomorrhe, parce que Sodome et Gomorrhe n’ont entendu qu’une doctrine extérieure qui ne tombait que sur leurs sens corruptibles et qui, ayant été méprisée de leur part, a fait tomber la colère du Seigneur sur leurs corps et sur leurs demeures terrestres, au lieu que le disciple dont nous parlons portera à cette ville et à cette maison la doctrine du nouvel homme qui frappera sur les fondements même les plus intérieurs de leur être, et qui, si elle vient à en être dédaignée, doit leur attirer les fléaux les plus effrayants et les punitions les plus cuisantes.

L’esprit qui envoie ainsi le nouvel homme dans sa propre terre le préviendra qu’il l’envoie comme une brebis au milieu des loups, en lui recommandant d’être prudent comme le serpent et simple comme la colombe. Il le préviendra de toutes les résistances qu’il éprouvera de la part des hommes, c’est-à-dire des nations impies et incrédules qui habitent dans le royaume de ce nouvel homme. Il lui dira : Ces nations vous feront comparaître dans leurs assemblées, ils vous feront fouetter dans leurs synagogues, et vous serez présentés à cause de moi aux gouverneurs et aux rois pour me rendre témoignage devant eux et devant les gentils. Lors donc que l’on vous mettra entre leurs mains, ne vous mettez point en peine comment vous leur parlerez ni de ce que vous leur direz ; ce que vous leur devez dire vous sera donné à l’heure même ; car ce n’est pas vous qui parlez, mais c’est l’esprit de votre père qui parle en vous... Vous serez haïs de tous à cause de mon nom...

Tel sera le sort du nouvel homme lorsqu’il parcourra les diverses régions de son être, parce qu’il trouvera partout en lui des hommes d’iniquité qui le repousseront, qui chercheront à le faire tomber en confusion ; mais l’esprit du Seigneur sera avec le nouvel homme ; et il sentira naître en lui les réponses qu’il aura à faire pour le triomphe de celui qui l’aura envoyé, car le nouvel homme ne viendra de la part de l’esprit que pour en combattre les ennemis.

Tous les hommes peuvent faire cette observation sur eux-mêmes, étant bien sûrs qu’avec du soin et de l’attention ils entendraient toutes les réponses qu’ils auraient à faire dans toutes les circonstances, s’ils étaient plus dans l’habitude de scruter et de profiter des lumières du nouvel homme ; et à l’imitation des disciples du Réparateur, ils pourraient compter que si, étant persécutés dans une ville, ils se retiraient dans une autre, ils n’auraient pas achevé de parcourir toutes les villes d’Israël que le fils de l’homme ne fût venu, c’est-à-dire qu’ils n’auraient pas parcouru ainsi toutes les maisons de l’homme que le nouvel homme ne se fît connaître en eux, et ne les récompensât par sa venue de toutes les humiliations qu’ils auraient souffertes.

Car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu ; espoir le plus consolant que l’homme puisse attendre ici-bas, puisqu’avec les notions qu’il peut avoir déjà acquises par tout ce qui a précédé, il connaît les immenses trésors renfermés en lui, et doit être tout ému d’admiration en présumant ce qu’il sera un jour, lorsque se seront faites toutes les révélations de toutes les merveilles qui sont encore scellées dans son sein et qui le rendront resplendissant comme la lumière, actif comme le feu, et pur comme la vérité.

Cependant ces merveilles qui seront un jour découvertes dans l’homme ne sont encore que les images et les représentations de celles qui paraîtront à ses yeux lorsque le souverain être dont il est la ressemblance aura découvert tout ce qui est caché de lui pour nous, soit dans les diverses enveloppes du temps, soit au-delà de cette borne universelle qui met un voile si épais entre nos yeux spirituels et le royaume de la lumière.

C’est donc ici où nous pouvons nous remplir d’une espérance qui devrait nous faire tressaillir de joie, en lisant ces douces paroles qu’il n’y a rien de caché dans l’univers, dans l’homme et dans Dieu, qui ne doive être découvert, rien de secret dans l’universalité entière qui ne doive nous être connu ; homme de paix, homme de désir, nouvel homme, si vous ne trouvez pas là de puissants encouragements et comme autant d’immenses véhicules pour vous soutenir et vous faire avancer dans la carrière, vous n’êtes pas dignes d’y avoir mis le pied.

Faites donc ce qui fut recommandé aux disciples du Réparateur. « Dites-vous donc à vous-même dans la lumière ce qui vous a été dit dans l’obscurité, prêchez en vous sur le haut des maisons ce qui vous aura été dit à l’oreille. Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme, mais craignez plutôt celui qui peut perdre dans l’enfer et le corps et l’âme ; il ne tombe pas un passereau sur la terre sans la volonté de votre père. Les cheveux même de votre tête sont tous comptés. »

Que votre passion la plus active soit d’avancer ainsi le royaume de la lumière dans tout votre être, afin que ce qui est encore caché en vous soit découvert, et que par vous ensuite se découvre et se manifeste ce qui est caché dans Dieu et dans l’univers ; parce qu’il est écrit : Quiconque me confessera et me reconnaîtra devant les hommes, (à commencer par tout ce qui est dans votre intérieur), je le reconnaîtrai aussi devant mon père qui est dans le ciel ; et quiconque me renoncera devant les hommes, je le renoncerai aussi devant mon père qui est dans le ciel. Songez que ce père et ce ciel sont en vous et que chaque jour de votre vie ces paroles peuvent avoir pour vous leur accomplissement. Prenez donc garde de faiblir dans votre œuvre, par la lâcheté, par des considérations inférieures, ou par le défaut de confiance en celui que vous devez reconnaître dans tous les points des facultés qui vous constituent. Il est dit : Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi, celui qui conserve sa vie la perdra, et celui qui perd sa vie pour l’amour de moi la conservera ; parce que les peines, les travaux, et les afflictions sont cette violente compression par laquelle seule se peut exprimer de toutes parts la substance divine qui est en vous et qui n’en peut sortir et se faire connaître que par une salutaire contraction.

C’est par là aussi que s’expriment de vous les substances fausses qui voilent et resserrent cette même substance divine depuis le péché, et voilà comment se prépare le jugement que vous prononcerez un jour parmi votre peuple sur les justes et sur les injustes, sur les bons et sur les méchants. Car vous savez qu’il est écrit : « Celui qui vous reçoit me reçoit ; et celui qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Celui qui reçoit le prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète, et celui qui reçoit le juste en qualité de juste, recevra la récompense du juste : et quiconque donnera seulement à boire un verre d’eau froide à l’un de ces plus petits comme étant de mes disciples, je vous dis en vérité qu’il ne sera point privé de sa récompense. »

Voilà les instructions que vous devez répandre avec abondance parmi votre peuple, afin que le nouvel homme soit honoré comme il doit l’être, et qu’il puisse communiquer la vie qu’il a reçue à tous ceux à qui il est envoyé pour les délivrer des ténèbres et de l’esclavage de la mort, car si quelqu’un rougit de lui et de ses paroles, le nouvel homme rougira aussi de lui, lorsqu’il viendra dans sa gloire, dans celle de son père et des saints anges.

 

 

41.

 

Il se trouvera peut-être en vous quelques êtres de désir qui, comme St. Jean, ayant appris dans sa prison les œuvres que vous faites, enverra vous demander si vous êtes celui qui doit venir en vous, ou si l’on doit en attendre un autre ; vous leur répondrez donc comme le Réparateur répondit à St. Jean : « Allez dire à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, l’évangile est annoncé aux pauvres, et heureux celui qui ne prendra point de moi un sujet de scandale et de chute ! » Mais vous direz à votre tour en parlant à cet être de désir qui aura envoyé vers vous : « Qu’êtes-vous allé voir dans le désert ? un roseau agité par le vent ? un homme vêtu avec luxe et avec mollesse ? un prophète ? Oui, certes, je vous le dis, et plus qu’un prophète, car c’est de lui qu’il a été écrit : j’envoie devant vous mon ange qui vous préparera la voie ; je vous dis en vérité qu’entre tous ceux qui sont nés des femmes, il n’y en a point de plus grand que Jean-Baptiste, mais celui qui est le plus petit dans le royaume du ciel  est plus grand que lui.

Oui, vous pourrez dire : voilà cet ami fidèle qui ne m’a point quitté dans ma détresse et dans ma douleur, et qui a été mis en prison à cause de moi ; voilà celui dont le baptême spirituel et physique m’a rendu un nouvel homme, voilà le précurseur qui a crié dans le désert à tout mon peuple : rendez droites les voies du Seigneur. Il est plus qu’un prophète, puisque les prophètes n’ont annoncé la lumière que sous des voiles et des images qui n’en étaient que comme des ombres, au lieu qu’il a montré et indiqué lui-même cette lumière, et l’a fait toucher au doigt, comme St. Jean découvrit au monde le Réparateur, lorsqu’il dit en le voyant venir : Voici l’agneau de Dieu. Voici celui qui ôte les péchés du monde. Il est plus qu’un prophète en ce que, comme St. Jean, c’est par sa bouche qu’a passé l’annonce et le signalement du salut des nations.

Voilà pourquoi entre tous ceux qui sont nés des femmes ou de la douleur, de la justice, et de la condamnation aux privations, il n’y en a point de plus grand que lui, puisqu’il est venu pour servir de précurseur au règne de la lumière, et pour vous introduire dans les sentiers de la vie ; mais l’homme nouveau, c’est-à-dire, celui qui est le plus petit dans le royaume du ciel est plus grand que lui, attendu que set homme nouveau, au lieu d’être né de la douleur, de la justice et de la condamnation, est né de la consolation, de l’amour, de la miséricorde, et de la grâce, et qu’au lieu de n’être que le précurseur de la vie et de la lumière, il vous apporte lui-même cette vie et cette lumière qu’il a reçues de son père et dont il a été établi l’organe et le dispensateur.

Mais que dire de ces nations impies au milieu desquelles cet homme nouveau et son précurseur sont envoyés ? « Elles sont semblables à ces enfants qui sont assis dans la place, et qui crient à leurs compagnons et leurs disent : nous avons joué de la flûte pour vous réjouir, et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté des airs lugubres pour vous exciter à pleurer, et vous n’avez point témoigné de deuil. Car le précurseur de l’homme nouveau, ou notre fidèle compagnon, est venu dans la douleur et dans les larmes comme étant né des femmes, et les nations impies ont dit : Il est possédé du démon. L’homme nouveau est venu dans la joie et dans la consolation comme étant né de l’esprit et de l’amour, et elles ont dit : C’est un homme de bonne chère et qui aime à boire ; c’est un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. Elles ont traité le nouvel homme et le fidèle compagnon qui a été son précurseur comme elles ont traité le Réparateur et celui qui marchait devant lui dans la vertu et l’esprit d’Élie, pour préparer les voies à la miséricorde.

C’est ainsi qu’elles ont traité les deux lois et les deux alliances. La première de ces alliances était la voie des travaux, des afflictions, et des cérémonies pénibles et laborieuses, parce qu’elle était la figure des précurseurs, et comme eux était née des femmes, puisque ses ministres étaient descendus de la race charnelle du péché répandu, par la première femme, sur toute la postérité humaine. La seconde était l’alliance de la paix et du repos, puisque celui qui venait l’apporter sur la terre était né de son propre amour, de sa propre volonté, de sa propre charité, et venait développer devant nous sa génération éternelle, afin d’élever notre esprit jusqu’à cette sublime et pure région où cessent toutes les fatigues et toute la tristesse de l’esprit.

Mais les nations impies qui se sont rendues ennemies de ces deux alliances ont combattu la première ou l’ont négligée, parce qu’elle imposait des fardeaux trop pesants ; et elles n’ont pas profité de la seconde, parce que ceux qu’elle leur imposait étaient si peu matériels qu’elles les ont trouvés sans consistance, faute d’en vouloir considérer le prix et d’en essayer toute la valeur ; c’est ainsi que les premiers prévaricateurs n’ont point profité de la voie laborieuse de réconciliation qu’ils auraient trouvée dans le premier homme avant sa chute, et qu’ils ont bien moins encore profité des secours qui lui ont été accordés après son crime. Car, ordinairement, une prévarication en engendre presque toujours une plus grande ; et la punition que la justice inflige aux coupables est de les laisser devenir encore plus coupables, quand ils ne redoublent pas d’efforts pour rentrer dans les voies de la vérité, par les voies du repentir et de la pénitence, à la vue des secours qui leur sont envoyés.

Aussi, « malheur à toi, Corozaïn, malheur à toi, Bethsaïde, parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a déjà longtemps qu’elles auraient fait pénitence dans le sac et dans la cendre. C’est pourquoi je vous déclare qu’au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées moins rigoureusement que vous. Et toi, Capharnaüm, t’élèveras-tu toujours jusqu’au ciel ? Tu seras abaissée jusqu’au fond des enfers, parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de toi avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait peut-être encore aujourd’hui ; c’est pourquoi je vous déclare qu’au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement que vous. »

Homme, mon frère et mon ami, considère donc les miracles qui ont été faits au milieu de toi, et tâche d’éviter le jugement qui menace en toi Corozaïn, Bethsaïde, et Capharnaüm. L’effet de la première prévarication du père des humains avait été de plonger toute sa postérité dans la région du destin ; ce malheureux homme avait abandonné sa demeure spacieuse et libre où nulle borne ne contraignait ses voies et ne pouvait lui donner d’inquiétude sur son sort. Il l’avait changée pour une demeure gênante, incommode, assujettie à des lois rigoureuses et sévères, enfin pour une demeure si périlleuse qu’il ne peut jamais savoir qu’elle sera pour lui l’issue du destin qui la dirige et qui y commande avec un effroyable empire. Il s’était livré à une région où l’apparence le promène sans cesse d’illusions en illusions, et où des armées de fantômes se succèdent continuellement devant lui pour lui dérober la vue de la réalité. Par-là il s’était imposé une loi terrible, celle de travailler à rentrer, à quelque prix que ce fût, dans la région de sa liberté, s’il ne voulait pas courir les risques de rester dans la région de son esclavage, sans autre espoir que les ténèbres et sans autre appui que le pouvoir aveugle d’un maître féroce et dur qui, ne connaissant pas le repos, ne peut en laisser à aucun de ceux qui viennent s’établir dans ses domaines et se ranger sous ses dominations.

Il faut donc aujourd’hui que le malheureux homme ne cesse de verser des sueurs de sang pour transmuer cette effroyable demeure en une demeure de liberté et de joie, où son sort n’ait plus les même alarmes à lui causer, ni la même inquiétude à lui présenter ; mais au contraire où il marche comme autrefois dans de sentiers sans borne, et qui lui offrent à tous les pas les perspectives les plus consolantes. Il faut qu’il transmue son corps de mort en un corps d’activité, de puissance, et de domination sur toutes les lois inférieures par lesquelles ce bas monde est constitué et maîtrisé ; il faut qu’il transmue toutes les illusions qui poursuivent ici-bas son cœur et sa pensée en autant de signes certains et invariables, qui soient au moins comme les indices de ces vérités éternelles dans lesquelles il avait puisé la naissance et qu’il n’aurait jamais dû abandonner. En un mot, si c’est lui-même qui est venu se former un destin et se coucher sous son joug, il faut que ce soit lui-même qui retire sa vie Divine de dessous le joug de ce destin, et qui la lui arrache douloureusement pour la rétablir dans son aisance primitive.

C’est là où la vie suprême, touchée de sa misère, n’a pu s’empêcher de venir partager ses maux et ses privations, pour le mettre à même de partager ensuite avec elle cette liberté qu’il avait perdue ; notre fidèle compagnon est descendu avec nous dans notre abîme, comme le Réparateur est descendu dans l’abîme universel ; il verse des sueurs de sang avec nous pour nous aider à opérer cette transmutation qui eût été si visiblement au-dessus de nos forces ; cet ami fidèle, en travaillant avec tant de constance à notre régénération, a développé en nous le nouvel homme qui nous a appris combien nous pouvions devenir terribles pour nos ennemis, puisque nous étions la parole et le nom de Dieu, et qu’il n’y a rien de si terrible que la parole et le nom du Seigneur. (Ps. 110 : 9.)

Il nous a appris que notre essence, qui est le nom et la parole du Seigneur, pouvait communiquer à nos facultés le droit d’être aussi le nom et la parole du Seigneur, comme l’Éternel communique son nom, sa parole, et ses puissances à tous les êtres émanés de lui et employés comme les ministres de ses volontés et les dispensateurs de ses bienfaits ; et par-là, cet ami fidèle nous apprend que les portes de la vie sont encore ouvertes pour nous, puisque les portes de la vie sont en nous. « Je vous rends gloire, mon père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux savants, et que vous les avez révélées aux simples et aux petits. Oui, mon père, cela est ainsi, parce que vous l’avez voulu. Mon père m’a mis toutes choses entre les mains, et nul ne connaît le fils que le père, comme nul ne connaît le père que le fils, et celui à qui le fils aura voulu le révéler. Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau est léger. »

 

 

42.

 

Si le nouvel homme est dépositaire d’aussi grands privilèges, quel flambeau suivra-t-il pour en communiquer les fruits et pour en donner les témoignages et les signes à ceux qui les lui demanderont ? Ce sera le flambeau de l’analogie et de la similitude auquel il s’attachera fidèlement ; et comme il aura le sentiment intime et invincible de la nature spirituelle de son être et de la divinité de la source d’où il a reçu tout ce qu’il est et tout ce qu’il possède, il commencera par observer les interrogateurs qui naîtront en lui.

Si par l’examen qu’il en fera, il les trouve non-seulement chancelants sur ces bases fondamentales, mais encore disposés à en nier l’existence, et ne s’approchant de lui que par l’esprit du doute et comme pour l’éloigner lui-même des sentiers de sa foi et le faire tomber en confusion, il ne leur répondra rien ; ou il leur dira, comme le Réparateur disait aux juifs qui lui demandaient des prodiges et des miracles : Ils n’en auront point d’autres que celui du prophète Jonas ; parce que ce miracle est visible dans l’âme de l’homme qui est ici-bas emprisonné pendant trois jours élémentaires, pour n’avoir pas voulu remplir sa mission auprès des anciens ninivites, et que, par conséquent, l’homme a en lui-même un miracle suffisant pour être inexcusable de n’avoir pas de foi.

Mais si ces interrogateurs qui naîtront en lui lui paraissent pleins de la même persuasion que lui ; s’ils viennent à lui avec une conformité de confiance et de désir qui tende à leur avancement spirituel et à la gloire de leur commun maître, il n’hésitera pas à leur ouvrir tous ses trésors, parce qu’il y sera entraîné par le rapport et la similitude qui se trouveront entre eux et lui ; et, en outre, il aura le vif espoir que ces êtres de désir s’unissant à lui, ils obtiendront plus aisément, par leur réunion, les grâces et le secours dont ils ont et auront toujours besoin, comme n’étant que les serviteurs de Dieu ; il aura, dis-je, le vif espoir que cette réunion obtiendra plus facilement la manifestation des puissances Divines et que, par là, s’accroîtra le nombre des adorateurs du vrai Dieu.

L’homme nouveau ne fera en cela que marcher sur les traces du Réparateur dans toute la conduite qu’il a tenue envers ceux qui l’ont fréquenté et sollicité pendant son séjour sur la terre. Car il ne commençait point par se rendre aux désirs de ceux qui lui demandaient des miracles, mais il leur demandait : Croyez-vous que je puisse opérer ce que vous désirez ? Et quand il s’était assuré de leur foi, il déployait sa puissance en leur faveur et ils étaient guéris ; il en est à qui il n’avait pas besoin de faire de semblables questions, parce que leur foi se découvrait visiblement par leur ardeur à s’approcher de lui.

Il en est aussi qui n’avaient pas même besoin de lui donner de semblables démonstrations pour que leur foi lui fût connue, parce que, comme étant le suprême modèle du nouvel homme, il lisait plus clairement que lui encore dans leur intérieur, puisque le premier caractère et le premier droit de l’esprit est de lire dans l’esprit, de communiquer, et de pénétrer dans tout ce qui est esprit. Mais il attendait toujours, pour développer les trésors de sa sagesse et de ses pouvoirs, qu’il se fût assuré de la foi de ceux qui en étaient l’objet, soit par ses questions, soit par leurs témoignages visibles, soit par sa vue intime et pénétrante, trois modes d’éclaircissements qui doivent également être à la disposition du nouvel homme, selon ses proportions et ses mesures, et qui sont tracés d’après la triple enceinte qui nous environne, puisque nous sommes plus ou moins élevés dans notre foi selon que nous sommes liés à l’une ou l’autre de ces trois enceintes. Mais quand le Réparateur ne trouvait dans ceux qui l’approchaient aucune espèce de foi, ni dans leurs réponses à ses questions, ni dans les démonstrations de leur zèle, ni dans leur intérieur, il les renvoyait sans les satisfaire, et il fermait soigneusement ses trésors pour ne pas les exposer à l’insulte et à la profanation.

Ainsi, à l’imitation du Réparateur, le nouvel homme ne s’offensera point des réponses de Nathanaël, parce qu’au milieu de sa franchise et de sa sincérité, il découvrira la droiture de son cœur et la pureté de la foi de cet Israélite.

Il sera touché des pleurs de Magdeleine et des soins qu’elle prendra d’oindre ses pieds et de les essuyer avec ses cheveux, et il lui remettra ses péchés.

Il sera dans l’admiration de la foi du centenier lorsqu’il lui entendra dire : « Je ne suis pas digne que vous entriez en ma maison, dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri, car quoique je ne sois qu’un homme soumis à d’autres, ayant néanmoins des soldats sous moi, je dis à l’un : allez là, et il y va, et à l’autre : venez ici, et il vient, et à mon serviteur : faites ceci, et il le fait. »

Il ne fermera pas son cœur ni ses puissances à ses disciples lorsqu’étant sur la mer au milieu d’une tempête, ils le réveilleront dans leur frayeur et lui diront : Maître, sauvez-nous. Il se contentera de les accuser de timidité et de peu de foi en eux-mêmes, mais il verra par leur demande même combien ils se reposent sur lui de leur salut, et il commandera alors aux éléments de se calmer.

Bien moins encore se refusera-t-il à ceux qui viendront à lui avec une confiante humilité et qui attendront de sa seule approche l’accomplissement de leurs désirs ; « et quand cette femme, qui depuis douze ans a une perte de sang, s’approchera de lui par derrière et touchera le bord de son vêtement en disant en elle-même : si je puis seulement toucher son vêtement je serai guérie ; il se retournera et, la voyant, il lui dira : ma fille, ayez confiance, votre foi vous a guérie, et cette femme sera guérie à la même heure. »

À plus forte raison exaucera-t-il les demandes de ceux qui lui en adresseront, comme ce lépreux qui viendra à lui en disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. Le nouvel homme étendra la main, le touchera, et lui dira : Je le veux, soyez guéri, et sa lèpre sera guérie au même instant.

Mais ce nouvel homme, donnant lui-même l’exemple de l’humilité, rendra même hommage à la loi temporelle et aux canaux visibles qui lui auront transmis ses droits et sa puissance ; puisqu’il est écrit que le salut vient des juifs. Aussi au milieu de tous ces prodiges il dira à ceux qu’il aura guéris : « Gardez-vous bien de parler de ceci à personne, mais allez vous montrer au prêtre, et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage » ; c’est-à-dire, rendez hommage avec moi à la loi et aux voies de celui de qui nous tenons tout. Comme le nouvel homme sait que c’est par la foi que s’entretient et se conserve l’humilité, il sait aussi que c’est par l’humilité que la foi se conserve et s’entretient, et que sans ces deux vertus tous les dons de l’esprit se retirent. C’est pour cette raison sainte et de première nécessité qu’à l’image du Réparateur il ne se laissera toucher que par les désirs qu’il saura être nés de la foi et de l’humilité, puisqu’il en donnera lui-même le premier exemple, n’ayant obtenu sa renaissance qu’au prix de cette foi et de cette humilité qu’il manifeste dans ses œuvres les plus glorieuses. Car c’est aussi pour cette raison que le Réparateur n’a cessé de recommander la foi et l’humilité dans toutes les instructions qu’il a répandues.

Or, quelle est cette foi tant recommandée par le Réparateur ? C’est celle qui s’est développée dans le nouvel homme, c’est celte qui repose sur le sentiment de la sainteté et de la force de son être, quand par sa fidélité aux mouvements secrets que nous recevons tous, il aura obtenu que la main bienfaisante de la sagesse vienne le délivrer de ses ténèbres et rompre ses chaînes, pour lui faire connaître les régions de la vie et de la lumière qui sont en lui et qui étaient seulement enveloppées de nuages. Mais de même qu’un seul rayon du soleil qui perce au travers des nuages suffit pour dissiper l’obscurité, de même le moindre rayon de notre être qui peut sortir de ses gouffres et de ses abymes est suffisant pour nous éclairer sur l’étendue de nos possessions, pour découvrir à nos yeux tous les plans des ennemis qui sont sans cesse occupés à ravager notre terre, et pour nous donner la force de renverser tous leurs projets. Voilà pour quoi le Réparateur disait à ses disciples que s’ils avaient de la foi gros comme un grain de sénevé, ils diraient à une montagne de se jeter dans la mer, et elle s’y jetterait ; ce serait le combat de la vie contre la mort ; il ne serait donc pas étonnant que la mort eût tous les désavantages et que la vie eût tous les triomphes.

C’est en même temps cette persuasion des pouvoirs de l’homme qui était affligeante pour le Réparateur, quand il voyait ses disciples hésiter dans leurs œuvres et dans leur confiance. Que devait-il donc éprouver, quand il trouvait des hommes ensevelis dans leurs ténèbres au point d’être les premiers adversaires et les premiers destructeurs de cette persuasion, et surtout quand ces hommes étaient placés dans la chaire de l’instruction ? Aussi comment a-t-il traité les Scribes et les Pharisiens et les docteurs de la loi !

Si la foi est réellement le nouvel homme, l’humilité en est réellement la nourriture. Aussi n’est-ce que dans l’humilité et dans une sainte frayeur que l’on sent Dieu, que l’on apprend ses secrets et que l’on peut apprendre à en faire un utile usage ; or, que pouvons-nous faire tant que nous ne sentons pas Dieu physiquement en nous ? Voilà pourquoi le Réparateur ne cessait de dire aux juifs « qu’il ne pouvait rien faire de lui-même, qu’il ne jugeait que selon ce qu’il entendait, mais que son jugement était juste, parce qu’il ne recherchait pas sa volonté propre, mais la volonté de son père qui l’a envoyé ». Voilà pourquoi aussi il ne cessait de leur donner les raisons de leur peu de foi, en leur reprochant qu’ils ne s’appuyaient point sur les véritables témoignages et qu’ils tiraient toute leur gloire des hommes : Comment pourriez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? (Jean 5 : 44.)

 

 

43.

 

Le propre de l’esprit de ténèbres est de tenir l’homme dans la défiance de ses propres droits ; ou s’il ne peut empêcher qu’il en acquière quelquefois la connaissance, il a soin de les envelopper de couleurs illusoires qui retiennent ce malheureux homme toujours au-dessous de sa vraie mesure, et qui lui font continuellement immoler la réalité aux images et aux apparences. C’est par là qu’il est parvenu presque par toute la terre à faire substituer les traditions à la loi, la lettre à l’esprit, et les ténébreuses passions humaines aux lumières de vérité qui ont éclairé les prophètes. L’homme, depuis le crime, s’est trouvé entraîné dans la pente de cette région terrestre et morte qui ne tend qu’à s’affaisser, et qui ne peut qu’affaisser l’homme avec elle quand il cesse de se rappeler son illustre origine ; l’ennemi de l’homme ajoute encore journellement à ce poids déjà si terrible qui faisait dire à Salomon : Cette demeure terrestre abat l’esprit dans la multiplicité de ses soins. (Sagesse, 9 : 15.)

Ce n’est donc que par la plus ardente vigilance que le nouvel homme saura résister à tant d’obstacles. Car il va trouver en soi-même, et la tradition qu’a reçue sa mémoire, et la loi qu’a reçue son esprit ; et s’il se livre aux œuvres de sa loi ou aux œuvres de l’esprit, la voix de la tradition s’élèvera contre lui et cherchera à le troubler et à lui faire paraître criminelles les œuvres de la loi et de l’esprit.

Il sait que sa nature spirituelle et divine l’appelle à opérer des œuvres de paix et à travailler au rétablissement de l’ordre universel ; il sait que cette même nature divine et spirituelle qui l’anime est au-dessus du temps, et est faite pour ne point connaître de temps ; ainsi toutes les fois que l’occasion se présentera de remplir son œuvre, il la saisira, fût-ce même le jour du sabbat terrestre. Mais alors cette voix du sabbat s’élèvera contre lui, et voudra transformer son bienfait en une véritable prévarication ; c’est probablement pour nous retracer ce symbole de l’homme, et de cet affligeant assemblage qui se trouve en lui, que le Réparateur guérit un jour de sabbat, au milieu de la synagogue, cet homme qui avait une main sèche ; car en effet cette synagogue représenta parfaitement alors la réunion de la lumière et des ténèbres, où d’un côté agissait la vertu active de celui qui venait rendre aux hommes de l’esprit l’usage de leur main desséchée ; et de l’autre l’opposition d’un peuple matériel et grossier qui s’appuyait sur la lettre même de sa loi pour combattre l’esprit de la véritable destination de notre être.

Mais ce n’était pas seulement pour nous retracer le symbole de cet affligeant assemblage que le Réparateur en agit ainsi, c’était encore plus pour communiquer aux hommes aveugles l’instruction dont cette œuvre de guérison n’était que l’occasion et le sujet. Aussi quand elle eut excité le murmure des juifs il leur dit : « Qui est celui d’entre vous qui, ayant une brebis qui vienne à tomber dans une fosse le jour du sabbat, ne la prenne et ne l’en retire ? Or, combien un homme est-il plus excellent qu’une brebis ? Il est donc permis de faire du bien le jour du sabbat. »

Il leur parla plus fortement encore au sujet des épis que ses disciples, passant le long des blés un jour de sabbat, avaient rompus et mangés : « N’avez-vous point lu dans la loi que les prêtres, au jour de sabbat, violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ? Et cependant je vous dis que celui qui est ici est plus grand que le temple. Que si vous saviez bien ce que veut dire cette parole : J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice, vous n’auriez pas condamné des innocents, car le fils de l’homme est maître du sabbat même. »

Le nouvel homme, éclairé de la même lumière, expliquera sans cesse la tradition par la loi, la lettre par l’esprit, et l’esprit par la volonté du suprême auteur des choses. Ce nouvel homme n’oubliera donc pas que ce n’est point au temple à prescrire la loi et les formes des sacrifices qui doivent s’opérer dans son sein, que c’est au temple à recevoir cette loi et ces sacrifices, tel qu’il convient au prince des prêtres selon l’ordre de Melchisédech de les lui prescrire ; que ce temple n’a d’autre obligation que de se maintenir toujours dans l’ordre convenable, et d’être prêt à toutes les heures où il plaira à ce prince des prêtres d’y venir offrir son encens.

Aussi il aura la sage précaution de ne jamais oser commencer lui-même à s’approcher des cérémonies saintes, sans qu’il sente que le temple est prêt, que toutes les lampes y sont allumées, que le feu de l’esprit a pénétré ses murs, ses fondements, ses colonnes, et a décoré toutes les parties de ce temple d’une manière digne du sacrificateur qui doit s’y rendre et des saints mystères qui s’y doivent opérer.

Il sentira par ce moyen que non-seulement le fils de l’homme est au-dessus du sabbat temporel, mais que le temple même a aussi ce magnifique privilège, puisque ce temple n’est autre chose que le nouvel homme, et que le nouvel homme participe à tous les droits et à toutes les propriétés de l’esprit du Seigneur ; il reconnaîtra alors que de même que l’esprit du Seigneur est le chef et le maître du nouvel homme, de même le nouvel homme devient par lui le chef et le maître de la loi ; que si c’est au nouvel homme à attendre et à recevoir de l’esprit du Seigneur les lumières, la sainteté et la vie, c’est au temple bâti par la main des hommes à attendre et à recevoir du nouvel homme l’administration de toutes ces choses, et qu’ainsi l’esprit du Seigneur se trouve à la fois, par là, le maître du nouvel homme, le maître du temple, le maître du sabbat, le maître de la loi, puisqu’il comprend tout, puisqu’il dirige tout, puisqu’il pénètre tout, et que ce n’est que dans lui que les propriétés des choses, leurs vertus, leurs figures, et leur esprit peuvent trouver leur explication et leur véritable accomplissement.

Il se trouvera peut-être dans le nouvel homme des Juifs, qui lui demanderont, comme autrefois les docteurs de la loi et les Pharisiens demandaient au Réparateur : Pourquoi vos disciples violent-ils la tradition des anciens ? Car ils ne lavent point leurs mains lorsqu’ils prennent leur repas. Lorsqu’ils ne seront pas susceptibles de s’élever à ces sublimes régions de l’esprit qui expliquent tout, il les fera tomber en confusion, en leur objectant leur propre conduite sur des points d’une plus grande importance ; et il leur dira : « Pourquoi vous-même violez-vous le commandement de Dieu pour suivre votre tradition ? Car Dieu a fait ce commandement : honorez votre père et votre mère ; et cet autre : que celui qui outrage de paroles son père ou sa mère soit puni de mort. Cependant vous dites : quiconque dira à son père ou à sa mère : tout don que je fais à Dieu vous est utile, satisfait à la loi, encore qu’après cela il n’honore et n’assiste point son père ou sa mère, et ainsi vous avez rendu inutile le commandement de Dieu par votre tradition. Hypocrites que vous êtes, Isaïe a bien prophétisé de vous quand il a dit : ce peuple est proche de moi en paroles, et il m’honore des lèvres, mais son cœur est bien éloigné de moi... toute plante qui n’aura point été plantée par mon père qui est dans le ciel sera arrachée. »

Il n’y a point de vérité au-dessus de ces dernières paroles, et qui mérite plus l’attention du nouvel homme, parce que ces paroles embrassent à la fois toutes les lois, tous les temps, et tout le jugement ; voilà pourquoi ce nouvel homme s’en fera comme une armure avec laquelle il brisera sans cesse les traits de l’ennemi ; voilà pourquoi il commencera par lier le fort, afin de pouvoir entrer dans sa maison et piller ses armes ; ayant sans cesse devant les yeux que s’il ne s’associe pas continuellement avec l’esprit, s’il ne l’efforce pas de naître continuellement de l’esprit, s’il ne met pas tous ses soins à être planté par l’esprit, enfin s’il n’est pas avec l’esprit, il sera contre l’esprit ; et s’il n’amasse point avec l’esprit, il dissipera.

Il sait que « tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes, mais que le blasphème contre l’esprit ne leur sera point remis. Il sait que si quelqu’un parle contre le fils de l’homme, il lui sera remis, mais que s’il parle contre l’esprit, il ne lui sera remis ni en ce monde-ci, ni en l’autre. » Or il croirait blasphémer contre l’esprit que de ne pas amasser continuellement avec l’esprit, puisque ce serait comme s’il croyait à une autre puissance qu’à celle de l’esprit. Il croirait parler contre l’esprit que de ne pas se lier perpétuellement avec l’esprit, parce que ce serait comme s’il croyait pouvoir vivre d’une autre vie que de la vie de l’esprit.

Ainsi non-seulement il s’abstiendra de tous les blasphèmes contre le fils de l’homme, qui pourront être susceptibles de pardon, en ce qu’ils ne tombent que sur l’homme temporel, ou sur l’enveloppe de l’esprit ; mais ce nouvel homme ne laissera pas même subsister en lui les moindres traces d’offenses encore plus secondaires, et plus susceptibles de rémission, tant il sera occupé à se prémunir contre les blasphèmes irrémissibles, ou à se remplir si bien de l’activité de l’esprit qu’un jour à venir on ne puisse pas lui reprocher de n’avoir pas été dévoué exclusivement à l’esprit, et qu’on ne lui fasse pas payer jusqu’à la dernière obole, c’est-à-dire, tous les moments qu’il n’aurait pas passés dans cette confiance entière et absolue que l’homme doit avoir à l’esprit, et c’est ici que se vérifie cette terrible parole : beaucoup d’appelés et peu d’élus ; car tous les hommes étaient nés pour accomplir cette importante loi.

Or qui ne frissonnera pas sur le petit nombre qui puisse être traité comme lui ayant été fidèle, et sur la multitude que l’ennemi en a éloignés depuis l’origine, et qu’il en éloignera jusqu’à la fin par ses illusions de tout genre, et surtout en leur faisant sacrifier la loi à la tradition, l’esprit à la lettre, et la réalité à l’apparence ? Qui ne frissonnera pas, dis-je, de voir à quel petit nombre seront réduits ceux qui feront, avec assez de fidélité, la volonté de l’esprit, pour qu’un jour on dise de chacun d’eux : Celui-là est le frère, la sœur, et la mère de l’esprit.

 

 

44.

 

Le vieil homme est tombé sous le joug d’une triple mort, que l’on désigne sous le nom de la mort du corps, la mort de l’âme, et la mort de l’esprit ; mais qui, ayant eu primitivement pour cause et pour principe la mort ou l’abolition de ses titres de pensée, parole, et opération de l’Éternel, doit se considérer sous le nom de la mort de son être Divin, qui, en effet, est aujourd’hui comme enseveli dans un sépulcre, en comparant sa déplorable situation avec l’état glorieux dont il a joui ; il faut donc que le nouvel homme ait pour tâche de se procurer une triple résurrection, c’est-à-dire, qu’il arrache sa pensée, sa parole, et son action aux ténébreuses régions où elles sont en esclavage, qu’il retienne sa pensée, sa parole, et son action sur le bord du précipice, dans lequel l’ennemi cherche journellement à les entraîner, et qu’il prévienne pour l’avenir la mort de sa pensée, de sa parole, et de son action dans toutes les circonstances où l’ennemi pourra les menacer.

Voilà une des faces sous lesquelles nous pouvons considérer la triple résurrection du nouvel homme et ce point de vue est d’autant plus réel qu’il n’est que la trop ressemblante image de la périlleuse destinée de toute la postérité humaine ; d’ailleurs, il est l’extrait et le tableau réduit de l’œuvre universelle qui s’opère en grand sur toute cette postérité de l’homme.

Car, cette grande œuvre, embrassant tous les temps, toutes les régions, et toutes les générations de la famille humaine, a dû agir dès l’origine pour arracher la proie à l’ennemi, qui l’avait déjà emportée dans la maison de servitude, ou dans le tombeau ; elle a dû agir depuis pour reprendre des mains de cet ennemi les victimes qu’il saisissait journellement, et qu’il emmenait également dans ses sombres demeures ; enfin elle agira encore dans l’avenir, pour empêcher que cet ennemi ne puisse s’emparer si aisément de nouvelles victimes, ou qu’au moins il ne puisse venir les saisir jusque dans le bercail ; et ne doutons pas que ne se trouve là l’esprit des trois époques des lois de restauration parmi les hommes, l’esprit de la triple manifestation de la sagesse éternelle dans le temps, et le trinaire qui caractérise essentiellement toutes les opérations qui ont été ou accomplies, ou simplement annoncées et figurées par les divers élus que cette sagesse éternelle a envoyés, en différentes fois, sur la terre, pour la délivrance des mortels, pour leur soulagement, et pour leur instruction.

Car pourquoi verrions-nous, dans ces sources de restauration qui ont été ouvertes, une voie sacerdotale et lévitique, une voie spirituelle et prophétique, et une voie de liberté et de lumière qui ne peut être regardée que comme une voie Divine ? Pourquoi verrions-nous, dans cet ordre sacerdotal, des lévites, des prêtres, et un seul grand prêtre ? Pourquoi verrions-nous, dans le peuple Hébreu qui nous représente toute la famille humaine, un état d’esclavage, un état de combat, et un état de victoires et de triomphes, si tous ces tableaux n’avaient pas pour but de nous donner une instruction qui étendît notre esprit et qui nous fût applicable à nous-même ?

Oui, le nouvel homme peut y lire à découvert cette triple résurrection si nécessaire à notre être pour qu’il jouisse de quelque repos, et si conforme à cette triple mort, ou à cette triple concentration que nous éprouvons si douloureusement quand nous voulons jeter un instant nos regards sur nous-mêmes, et qui nous convainc d’une manière si triste et si démonstrative de cette triple mort, ou de cette triple concentration dans laquelle le premier homme a plongé ses facultés spirituelles, et a entraîné les facultés spirituelles de toute sa malheureuse postérité.

La première et la plus pénible de ces trois résurrections que le nouvel homme aura à opérer en lui, est d’arracher de toutes les substances fausses dont il est environné, celles de ses pensées, de ses volontés, et de ses actions qui s’y sont englouties, et pour ainsi dire amalgamées, et qui y sont comme dans un vrai tombeau, où non-seulement elles ne jouissent point du jour et de la lumière, mais où elles tendent continuellement vers une effroyable putréfaction ; et effet, il est impossible de concevoir une opération plus douloureuse que celle de séparer ainsi les différents métaux que nous avons laissé souder ensemble, puisqu’il n’y a qu’une fusion entière qui puisse nous y faire parvenir ; mais ce qui paraît au-dessus des forces ordinaires n’est point au-dessus des forces du nouvel homme, puisqu’il est le fils de l’esprit et qu’il a bu le médicament salutaire, ou ce puissant dissolvant que Jérémie compare à un marteau qui brise les pierres. (23 : 29.)

La seconde résurrection sera de retenir sur les bords du précipice celles de ses pensées, de ses volontés, et de ses actions qui seraient prêtes à y tomber, s’il n’employait toute sa vigilance à les arracher des mains qui les portaient déjà dans le sépulcre ; mais le même pouvoir dont il se sera servi dans la première résurrection lui sera également utile dans la seconde, et ce seront encore de nouvelles victimes qu’il retirera des bras de la mort.

La troisième résurrection sera celle qu’il opérera d’avance sur celles de ses pensées, de ses volontés, et de ses actions qui, à l’avenir, pourraient être exposées aux attaques de l’ennemi, et qu’il voudrait essayer de corrompre afin de les engloutir avec lui dans ses abîmes, parce qu’il ne suffira pas au nouvel homme de n’embrasser que les époques passées et présentes dans la manifestation de sa puissance et de sa sagesse ; il lui faudra embrasser même les époques qui ne sont pas encore, puisque tel est le plus grand privilège de l’esprit ; aussi travaillera-t-il sans relâche pour obtenir que la main suprême l’environne, le soutienne, et le protège de manière à ce que l’ennemi ne puisse plus désormais avoir sur lui aucun empire, et il y parviendra lorsqu’il aura subjugué tout ce qui est en lui, et qu’il pourra dire de lui ce que le Réparateur disait de la corruption extérieure : J’ai vaincu le monde.

Mais pour avoir encore de cette triple résurrection une idée plus simple, plus rapprochée, et par conséquent plus facile à saisir, considérons-la dans une époque où la mort ait déjà produit ses ravages dans toutes les facultés spirituelles de l’homme ; ce tableau, étant à la portée du plus grand nombre, ne pourra en être que plus utile.

En effet, nous pouvons mourir dans nos œuvres si nous portons nos pensées fausses et nos volontés criminelles jusqu’à la consommation ; nous pouvons mourir dans nos volontés corrompues si elles se lient aux plans désordonnés que nos pensées peuvent adopter, quand même nous n’irions pas jusqu’à les réaliser dans nos œuvres ; enfin nous pouvons mourir dans nos pensées si nous les laissons remplir de tableaux contraires à la vérité et à la gloire de l’esprit, quand même nous ne les adopterions pas dans nos volontés, et quand même nous ne les laisserions point se transformer en actes.

Voilà donc la triple résurrection que chaque homme doit opérer sur soi-même s’il veut parvenir à 1a dignité du nouvel homme ; et jamais nous ne pourrons avoir la moindre idée de nos droits primitifs et de notre véritable renaissance si nous ne rétablissons pas à demeure en nous une source d’actions régulières, une source de mouvements vrais, et une source de pensées saines, parce que ces trois sources découlent ensemble de la source unique et éternelle de l’esprit.

Le nouvel homme, après s’être convaincu de ces vérités, non-seulement par sa persuasion intime, mais encore par sa propre expérience, verra avec une douce surprise que le Réparateur n’a pas eu d’autre dessein que de faire ouvrir les yeux aux hommes sur ces devoirs indispensables et si salutaires, lorsqu’il a employé sa puissance à ressusciter trois morts au milieu du peuple d’Israël. Car c’est une chose frappante, et qu’on ne saurait trop remarquer, que la différence des lieux où chacun de ces morts a été rappelé à la vie. Lazare fut ressuscité dans le tombeau où il était depuis quatre jours, et où il sentait déjà mauvais. Le fils unique de la veuve de Naïm fut ressuscité dans le chemin, et pendant qu’on le portait dans le sépulcre ; la fille de Jaïre, chef de la synagogue, étant âgée de douze ans, fut ressuscitée dans la maison de son père. Comment n’apercevrions-nous pas, dans ces trois résurrections, opérées par le Réparateur, cette triple résurrection que nous devons faire tous en nous-même, et qui est à la fois, et l’œuvre principale, et la récompense du nouvel homme ?

En effet, ce Lazare ressuscité dans le tombeau, et déjà livré à la putréfaction, est le type de nos actes dépravés et des prévarications que nous avons portées jusqu’à l’œuvre et à la consommation, c’est-à-dire jusques dans la demeure de la mort et de la corruption, qui nous est figurée ici-bas par les sépulcres matériels. Le fils unique de la veuve de Naïm, ressuscité dans le chemin du tombeau, est le type de nos volontés criminelles qui ont adhéré aux plans faux de notre pensée, mais qui ont été arrêtées dans la voie du tombeau, c’est-à-dire avant d’arriver à leur consommation et aux actes iniques qui en auraient complété la corruption, et leur auraient fait connaître la putréfaction sépulcrale.  Enfin la fille du chef de la synagogue, ressuscitée dans la maison, est le type de cette mort que nous pouvons éprouver dans notre pensée, quand nous la laissons infecter de plans coupables et injurieux à l’esprit de vérité, qui ne veut pas que nous adoptions d’autres plans que les siens, qui a daigné choisir la pensée de l’homme pour être le chef de la synagogue universelle, et qui désire sans cesse que cette pensée de l’homme, et tous les enfants qui peuvent émaner d’elle, répandent partout la vie qui les anime.

 

 

45.

 

Sans doute ce ne sera qu’après avoir ainsi purifié tout son être et opéré en soi cette triple résurrection que le nouvel homme fera en lui-même l’élection dont nous avons parlé d’avance, ou l’élection des douze vertus qui doivent le manifester dans toute l’étendue de ses propres régions ; avant cette époque il était si incapable de faire une pareille élection, qu’il n’aurait même jamais pu en concevoir l’idée, et encore moins l’exécuter, si l’esprit de vérité n’était venu prendre en lui la place de toutes ses substances de mensonge. Aussi il sent plus que jamais combien nous nous exposons quand nous osons marcher par nous-même dans la carrière spirituelle ; et c’est dans l’esprit qui le dirige, c’est dans le prince des justes, c’est dans le Réparateur qu’il apprend de nouveau à s’attacher à cette sainte réserve, puisque ce Réparateur lui-même, ou le prince des justes, ne veut pas faire par soi l’élection de ses douze apôtres, mais qu’il passe toute une nuit en prières avant de les choisir. (Luc 6 : 12.)

Ce ne sera pas seulement cette ordonnance intérieure de lui-même qu’il soumettra au mouvement de l’esprit ; mais dans toutes les circonstances de sa vie, il aura sans cesse à la bouche ces paroles du ps. 101 : 3 : En quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi. Il ne voudra pas même d’une vertu qui ne vienne que de lui, parce qu’il sait combien elle serait fragile ; mais il ouvrira en lui toutes les substances de ses vertus, afin que l’esprit vienne s’en emparer, les vivifier, et les gouverner dans toutes les circonstances.

Ainsi il priera sans cesse l’esprit de venir demeurer dans sa pénitence, dans son humilité, dans son courage, dans sa résignation, dans sa prière, dans sa foi, dans son amour, dans ses lumières, dans son espérance, dans sa charité, dans toutes les affections pures de son âme, et dans tous les mouvements de son essence spirituelle et divine, afin qu’il ne puisse plus être vaincu dans les combats qu’il aura à soutenir.

Il verra avec quel art les hommes évitent les dangers naturels qui les menacent, avec quelle sagesse ils préviennent les maux que leur expérience leur a appris à prévoir, avec quelle intelligence ils savent mettre les éléments en combat et les opposer les uns aux autres pour se préserver des ravages que ces éléments pourraient leur occasionner s’ils les laissaient livrés à la force cachée et impétueuse qui les pousse sans cesse aux désordres. Car il voit l’homme avoir la disposition de ces éléments et pouvoir, à son gré, tempérer le feu par l’eau, le froid par la chaleur, le sec par l’humide, et varier les propriétés dans lesquelles il demeure, par l’application des substances diverses que la nature a placées sous sa main avec une prodigue abondance.

Le nouvel homme ne mettra pas en doute que l’esprit n’ait les mêmes pouvoirs dans les régions où sa pure essence et sa suprématie l’appellent à régner en maître et en souverain ; il ne doutera pas que cet esprit ne possède, selon sa classe, incomparablement plus de dons, de prévoyance, et de sagesse, que n’en peut jamais posséder l’homme qui est réduit à la région élémentaire, quelle que soit l’industrie que cet homme ait pu y déployer. Il ne doutera pas que cet esprit n’ait à sa disposition des nombres innombrables de propriétés et de substances de sa propre nature, en comparaison de ce peu de substances élémentaires que nous pouvons employer ici-bas à la conservation de notre matière et à la production comme à l’entretien des œuvres de nos mains.

Plein de cette salutaire persuasion, le nouvel homme, quand il sera faible et fatigué, dira à l’esprit : apposez une de vos forces sur ma faiblesse, et elle la fortifiera. Quand il sera lâche et froid, il dira à l’esprit : apposez une de vos substances ardentes sur ma froideur, et elle la réchauffera. Quand il sera emporté par son ardeur impétueuse, il dira à l’esprit : apposez une de vos substances calmes sur mon impétuosité, et elle la tempérera. Quand il sera dans les ténèbres, il dira à l’esprit : apposez une de vos substances lumineuses sur mon obscurité, et elle l’éclairera. Quand il sera ébloui par la lumière, il dira à l’esprit : apposez sur mes yeux une de vos substances intermédiaires, et je ne craindrai plus de perdre la vue ; quand il sera environné de ses ennemis, il dira à l’esprit : mettez entre eux et moi un de vos boucliers, et je serai à l’abri de toutes leurs attaques. Quand il se sentira comme suspendu par un fil au-dessus des abîmes, il dira à l’esprit : étendez jusqu’à moi une de vos mains, et je marcherai sur ces abîmes, comme sur le plus ferme terrain.

Voilà de quelle manière le nouvel homme se liera à l’industrie de l’esprit pour se guérir de tous ses maux, pour se préserver de tous ses dangers, et pour subvenir à tous ses besoins ; car nous ne devons point craindre de répéter une vérité si essentielle et si consolante ; savoir, que l’esprit se prête mille fois plus aisément encore à ce soulagement de nos besoins spirituels, que la nature ne se prête à celui de nos besoins matériels, parce qu’il nous aime, et que la nature ne peut nous aimer, mais qu’elle ne peut que nous abandonner aveuglément toutes les substances qu’elle engendre, pour que nous nous occupions ensuite à les employer à notre avantage, selon notre sagesse et selon nos lumières. C’est donc ainsi que se conduira le nouvel homme envers l’esprit ; il tâchera de tellement captiver sa bienveillance qu’il puisse, avec une entière confiance, lui dire : En quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi.

La meilleure manière de pouvoir arriver à cet heureux terme, et de pouvoir réellement dire avec confiance à l’esprit : En quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi, c’est de mettre bien soigneusement à profit les substances salutaires qu’il veut bien nous remettre pour le soulagement de nos infirmités. Plus nous en retirerons d’utilité, plus il nous en distribuera d’autres avec abondance, de façon que notre prière pourrait à la fin se transformer en une invocation active et perpétuelle, et qu’au lieu de dire cette prière, nous pourrions la réaliser et l’opérer à tout moment, par une continuelle préservation et guérison de nous-même.

Considérons donc ce nouvel homme environné de toutes les substances de l’esprit, et les appliquant par sa foi effective, ou par sa prière en actes, à tous les besoins qu’il peut éprouver dans son œuvre ; voyons-le, à tous les pas qu’il fait dans sa carrière, se procurer de nouvelles grâces, de nouveaux appuis, de nouveaux bienfaits et, par cette fidélité et ce vif dévouement, s’identifier tellement avec l’esprit que ces mêmes grâces, ces mêmes appuis, ces mêmes bienfaits descendent sur lui comme gratuitement, mais d’une manière qui lui soit comme naturelle, qu’il les reçoive à tout instant, sans qu’il les cherche, et sans qu’il soit surpris cependant de les voir ainsi prévenir même tous ses besoins.

Par cette douce perspective, jugeons ce que devait être pour nous cet état glorieux où nous ne sommes plus, mais dont le nouvel homme nous autorise à croire que nous pouvons encore apercevoir les traces ici-bas. Car ce nouvel homme ne doit être autre chose pour nous que le développement et la manifestation de ce qu’était l’homme primitif, avant que les suites du crime l’eussent englouti dans sa ténébreuse prison.

Voyons-le donc développer les trésors cachés en lui, et dont le Réparateur nous a montré tant de fruits semés dans le champ évangélique ; voyons-le au milieu d’un peuple qui est au nombre d’environ cinq mille, n’ayant que cinq pains et deux poissons pour les nourrir. Il les fera asseoir par troupes, cinquante à cinquante. Il prendra les cinq pains et les deux poissons, il lèvera les yeux au ciel, les bénira, les rompra, les donnera à ses disciples, afin qu’ils les présentent au peuple ; ils en mangeront tous, ils seront rassasiés, et on emportera douze paniers pleins des morceaux qui seront restés. Une autre fois il prendra sept pains et quelques poissons pour quatre mille hommes ; ils en mangeront tous et seront rassasiés, et on emportera sept paniers pleins des morceaux qui seront restés. Une autre fois, voyons-le, comme Élisée, multiplier vingt pains pour mille personnes, et il s’en trouvera aussi de reste.

 Tous ces faits ne sont que des témoignages et des fruits des dons que l’esprit a fait germer dans le nouvel homme ; ils ne font qu’annoncer cette nourriture spirituelle, active, et physique que ce nouvel homme peut sans cesse multiplier en lui en faveur des divers peuples qui habitent les diverses régions de son être ; car s’il est uni à la source de la vie, il n’y a plus rien en lui où il ne puisse faire parvenir des ruisseaux de cette source vivante, et où ces ruisseaux ne puissent tellement accumuler leurs eaux fécondes que la fertilité s’y établisse et fournisse abondamment la subsistance à tout ce qu’il y aura, dans ses domaines légitimes, d’indigent et d’affamé.

Si l’intelligence veut s’élever encore au-dessus de ce nouvel homme, et se porter jusqu’aux lois et aux voies que la sagesse Divine emploie pour faire descendre ses grâces et ses faveurs sur les malheureux mortels, elle verra dans les faits rapportés ci-dessus, premièrement, la puissance suprême apaisant notre faim, et guérissant notre misère par le nombre de notre misère même ; secondement, elle y verra cette même puissance suprême nous réserver, en outre, le nombre nécessaire de sources abondantes pour nous seconder dans notre régénération. Enfin elle y verra cette même puissance suprême, agissant ensuite par un nombre pur, sur l’homme régénéré, et nous rendre de nouveau, par là, possesseurs de ce même nombre pur qui fut jadis notre caractère distinctif.

 

 

46.

 

La raison pour laquelle le nouvel homme, en s’unissant à la source de vie, se trouve dépositaire de si grands trésors, et pouvant manifester dans lui-même de si grandes et de si salutaires multiplications, c’est que cette source de vie lui fait découvrir, au fond de son être, sept sources actives qui, unissant mutuellement leurs forces diverses, développent les unes par les autres leurs propriétés particulières, et cela d’une manière qui ne peut plus s’interrompre et qui rend ces sources intarissables, puisque c’est la source de la vie qui les anime et qui les entretient.

Ce sont-là comme autant de bases sacramentelles que nous portons tous en nous-même, et sur lesquelles doit s’élever tout l’édifice sacerdotal auquel l’homme fut destiné par sa nature première et selon les plans de son origine. Ce sont là les sept colonnes produites par cette pierre innée en nous, et sur laquelle le Réparateur a dit qu’il voulait bâtir son Église.

Cette pierre est carrée et taillée par le ciseau de l’esprit, et elle doit servir de base à ce temple Divin destiné à remplacer dans le nouvel homme les tentes qui, jusqu’alors, ont été le seul asile de l’arche sainte, ou de la vérité. C’est là cette porte du temple qui était carrée, selon le prophète Ézéchiel, 41 : 21, et à laquelle répondait la face du sanctuaire, étant en regard l’une devant l’autre. C’est par cette porte que les oracles du sanctuaire doivent se promulguer au peuple, selon Isaïe (9 : 8). Le Seigneur a envoyé sa parole à Jacob, et elle a été vérifiée dans Israël, tout le peuple le saura, Éphraïm, et les habitants de Samarie. C’est par cette même porte que doivent entrer les nations pour venir adorer dans le temple de Jérusalem, et ce sont les sept colonnes élevées dans le temple qui font que ce temple est parfaitement solide, et que les nations peuvent y habiter en sûreté, puisque Salomon nous dit, proverbes 9 : 1, que la sagesse elle-même s’est bâtie une maison et qu’elle a taillé sept colonnes.

Nouvel homme, contemple-toi donc avec respect. Tu as, en face de toi, le sanctuaire ou l’unité éternelle et Divine ; tu as, au fond de ton être, la base fondamentale du temple, et tu trouves en activité dans ce temple les sept sources sacramentelles qui, étant vivifiées par la source de vie, doivent à jamais fertiliser toutes les régions qui te composent. C’est à toi de veiller sans cesse pour que les eaux de cette source de vie ne se détournent point de leur cours naturel et qu’elles viennent journellement se rendre dans tes sept canaux spirituels. Jamais elles ne se détourneront d’elles-mêmes, parce que, par leur propre pente, elles tendent à venir chercher leur repos en toi ; mais si tu n’as pas un soin continuel de leur préparer les voies, en faisant tailler et polir par l’esprit la pierre fondamentale de ton temple, et en la maintenant exactement dans son aplomb, ces eaux Divines se répandront, au lieu d’entrer dans tes sept canaux spirituels, et elles ne te procureront aucun avantage ; parce que c’est cette pierre fondamentale de ton temple qu’elles ont choisie comme étant la seule mer assez immense pour leur servir de réservoir.

Cette pierre fondamentale est réellement la racine de ces sept sources sacramentelles que le nouvel homme découvre en lui lorsqu’il a subi les épreuves préparatoires et indispensables, comme c’est-là où il a découvert ce divin instituteur dont nous avons parlé précédemment, et qui, étant assis sur la chaire antérieure à toutes les chaires temporelles, a prononcé devant lui, sur la vraie montagne, les discours et les instructions qui doivent servir de guide et de règle au peuple d’Israël, s’il veut se maintenir dans les privilèges de son élection.

La racine de ces sources sacramentelles se trouvant donc dans la pierre fondamentale de notre temple, nous portons en nous-même le témoignage et le caractère vivant qui doit nous faire respecter des nations ; et le nouvel homme peut dire à l’imitation du Réparateur : « Comme le père a la vie en lui-même, il a donné aussi au fils d’avoir la vie en lui-même, et il lui a donné la puissance d’exercer le jugement parce qu’il est fils de l’homme... » Aussi il peut dire comme le Réparateur : « Je ne reçois point le témoignage d’un homme... j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean... et mon père qui m’a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi. »

Le nouvel homme peut, dis-je, tenir ce langage, parce quand il a découvert en lui la pierre fondamentale du temple, il a reconnu également qu’elle n’était que le fruit, l’extrait, le produit, et le témoin de l’unité même, et que si cette pierre fondamentale était le témoin de l’unité, l’unité à son tour était le témoin de cette pierre fondamentale, puisque le fils est le témoin du père, comme le père est le témoin du fils.

C’est ce double témoignage qui assure à jamais la dignité de ce nouvel homme et qui fait la base de sa confiance et de sa sécurité ; c’est, en même temps, ce qui donne tout leur prix et toute leur vertu à ces sept sources sacramentelles qui dérivent de cette pierre fondamentale sur laquelle doit se bâtir l’Église, comme cette pierre fondamentale dérive de l’unité. Aussi l’harmonie se fait connaître dans ces sources, puisqu’elles sont l’expression de l’harmonie qui doit régner dans la pierre fondamentale à l’imitation de celle qui règne dans l’unité ; elles sont toutes intimement liées, quoiqu’ayant des caractères distincts, et elles se prêtent un secours mutuel, non point pour s’éclipser les unes et les autres, mais pour faciliter leurs diverses manifestations.

Or, leurs manifestations, quoique diverses, tendent cependant à un but commun et unique qui est la propagation et la communication de la chose sacrée ; car un sacrement porte ce nom, parce qu’il est la voie par laquelle les choses saintes et divines se transmettent là où elles manquaient, et où elles étaient nécessaires pour que la mort et le néant disparussent ; et sous ce rapport nous voyons encore s’agrandir devant nos yeux la dignité de l’homme qui est choisi pour être la pierre fondamentale du temple, et en outre pour posséder les sept sources spirituelles par où la vie divine veut bien se communiquer dans les lieux arides et stériles. Or nous ne pouvons plus ignorer aujourd’hui ce qui développe en lui ces sept sources sacramentelles, puisque nous avons, à tant de reprises, présenté l’homme comme étant la pensée, la parole, et l’opération de l’Éternel, et comme ayant eu un besoin indispensable du secours de la parole pour que la parole lui fût rendue, et pour qu’il pût par venir à la dignité de nouvel homme.

Disons donc que le nouvel homme ne possède en lui ces sept sources sacramentelles ou ces sept sacrements que parce qu’il a reçu réellement en lui le sacrement de la parole, et que c’est ce sacrement de la parole qui a fait jaillir en lui ces sept sources qui auparavant étaient dans la stagnation et dans la mort ; mais comme ce sacrement de la parole n’a pu atteindre jusqu’à ces sept sources sacramentelles du nouvel homme sans avoir opéré auparavant sur la pierre fondamentale du temple, il s’ensuit que cette pierre fondamentale du temple doit d’abord être pénétrée et revêtue de ce sacrement de la parole pour que les sept sources qui en vont provenir soient toujours dans l’abondance, et que les fleuves divins puissent les remplir sans interruption et dans toute leur pureté.

Recueillons-nous ici devant Dieu, devant cet éternel principe de toute vie et de toute existence, à qui seul puissent être offerts des hommages mérités et qui n’appartiennent à aucun autre être. Recueillons-nous devant lui, dans notre respect, et dans notre admiration de ce qu’il a permis que l’âme de l’homme puisse partager ainsi la douceur de son existence divine et l’administration de ses trésors sanctifiants ; recueillons-nous, dis-je, dans un saint tremblement, afin que notre essence immortelle rassemble ainsi toutes ses puissances pour ne pas recevoir en vain ce sacrement de la parole, et pour qu’elle puisse contenir les eaux de ce fleuve immense que ce sacrement fera couler en elle.

Ayons sans cesse devant les yeux le sort si glorieux du nouvel homme que le sacrement de la parole vient de régénérer. Il a été sacré par cette parole et, pour ainsi dire, comme sacramentisé dans son essence ; dès l’instant tout est devenu sacrement en lui, et tout a été sacramentisé dans son être, puisque les sept sources sacramentelles qui ont jailli de sa pierre fondamentale embrassent sa région terrestre et corporelle, sa région céleste et spirituelle, et sa région divine.

Après avoir été ainsi sacramentisé dans tout son être, il a sacramentisé à son tour tous les objets qui l’environnent et tous les êtres qui attendaient que ces sources sacramentelles fussent ouvertes pour recevoir les eaux du fleuve de la vie ; et tel est le sort dont l’homme eût joui s’il eût conservé sa dignité première ; tel est celui dont il peut ici-bas recouvrer de vives traces en s’humiliant devant le sacrement de la parole et en administrant avec sagesse et une sainte frayeur les dons qui sortiront de ses sept sources sacramentelles ; tel est enfin le sort qui doit encore s’embellir pour lui un jour à venir, s’il sait s’unir à demeure à ce sacrement de la parole dont il est fait pour être éternellement sacramentisé.

 

 

47.

 

Ce sacrement de la parole donne trois noms au nouvel homme, conformément aux trois facultés qui nous distinguent. Ainsi dans son action il s’appellera célérité de l’œuvre ; dans son amour il s’appellera unité des reflets de l’affection divine ; dans sa pensée il s’appellera le matin perpétuel du plus beau jour, et tout son être en se développant ainsi fera sentir tellement ses forces à l’ennemi qu’il tremblera de frayeur en apprenant que le lion se réveille et le menace de ne pas lui laisser un moment de repos, mais de le poursuivre jusqu’à ce qu’il ait lâché sa proie, et qu’il soit brûlé par le feu de la parole du nouvel homme.

Comment la parole a-t-elle traité Éphraïm et Juda, ces peuples qui ont rompu, comme Adam, l’alliance qu’ils avaient faite avec elle, et qui dans leur culte avaient violé les ordres du Seigneur ? (Osée 6 : 7.) Je les ai traités durement par mes prophètes, je les ai tués par la parole de ma bouche (dit le Seigneur, id. 5.) et je rendrai claire comme le jour l’équité des jugements que j’exercerai sur eux. Si c’est ainsi qu’ont été traités des peuples prévaricateurs qui étaient cependant le peuple choisi, la justice ne traitera-t-elle pas plus sévèrement encore le prince de l’iniquité et le père de toutes les abominations de la terre ? Et c’est au nouvel homme qu’est remise l’exécution de ces terribles jugements dans tout son être, avant de les exercer sur les nations qui sont hors de lui.

Aussi il s’assoira jour et nuit sur son trône, il ne quittera point la salle du conseil que les décrets qui en émanent n’aient été portés par des messagers fidèles jusqu’aux extrémités de ses possessions et de son empire particulier ; que ces décrets n’aient été reçus avec tremblement de la part des peuples coupables, et qu’il n’ait le témoignage authentique que ces décrets ont produit leur effet et qu’ils ont eu leur exécution. Le sceptre s’affaiblirait si l’œuvre ne s’accomplissait pas. L’homme doit veiller et ne respirer que pour le triomphe de la loi ; et s’il veut que l’autorité ne perde pas le respect qui lui est dû, il faut qu’elle n’ordonne rien en vain.

C’est afin qu’elle n’ordonne rien en vain que le nouvel homme s’unira sans cesse aux hommes de Dieu, pour qu’ils oignent ses membres de l’huile sainte, et qu’ils les préservent d’être meurtris par l’ennemi ou desséchés par la langueur ; il priera le grand prêtre de venir renouveler en lui les diverses alliances que Dieu veut toujours faire avec l’homme, et que l’homme s’efforce toujours d’annuler ; il le priera de venir à toutes les heures et à tous les moments administrer dans le sein de son âme le sacrement de la renaissance et de la revivification. Car sans cela, comment pourrait-il rassembler les portions éparses du nom du Seigneur ? Or, voici comment la sagesse a distribué les organes du nouvel homme, afin qu’il puisse remplir sa destinée sainte et rassembler les portions éparses du nom du Seigneur.

Le cœur est assis à la droite de l’âme, c’est lui qui doit l’aider à mettre tous ses ennemis sous ses pieds. L’esprit est à sa gauche pour l’avertir de l’approche de l’ennemi. Quand il a le bonheur de faire triompher la loi et de mettre ses ennemis sous ses pieds, alors l’esprit rentre dans la droite, et la droite rentre dans la ligne de l’unité. Le Réparateur, qui est le modèle divin du nouvel homme, n’est-il pas annoncé partout comme étant la droite de Dieu ? L’esprit es est la gauche ; il est chargé de veiller contre l’ennemi et de promulguer les jugements de l’intelligence éternelle ; expressions qui n’ont lieu que pour le temps, et sur lesquelles l’homme éclairé ne peut pas faire de méprises ; parce qu’il sait qu’au-dessus du temps tous les noms ne font qu’un seul nom, comme ils n’expriment qu’un seul acte. Mais dans le tableau de cette disposition temporelle des œuvres divines, le nouvel homme voit pourquoi on nous a dit que notre vie était cachée dans le Réparateur ; c’est que le Réparateur est la vie, et que nous ne vivons que par le cœur, et voilà une raison de plus pourquoi l’homme est à la droite du Seigneur.

Oui, le cœur est le ciel de l’homme ; et son âme en est le Dieu. Le Dieu ne peut pas mourir, mais ses cieux peuvent s’obscurcir, ils peuvent se rouler comme un livre. Le seul moyen par lequel le nouvel homme empêchera ses cieux de l’obscurcir et de se rouler comme un livre, c’est qu’il s’est fait un cœur à l’image de Dieu, c’est qu’il s’est identifié avec celui qui est la droite de Dieu venu semblable à la vie. Hommes de paix, voulons-nous que notre ciel ne s’obscurcisse pas non plus et ne se roule pas comme un livre ? Faisons-nous un cœur qui ressemble à la droite de Dieu, qui combatte, comme elle, universellement les désordres ; qui comme elle, par son propre poids, précipite l’iniquité ; qui, comme elle, laisse continuellement sortir de lui-même des rameaux de toutes les vertus, et briller jour et nuit le chandelier à sept branches ; qui comme elle puisse suffire à notre propre sûreté et aux besoins spirituels des indigents ; enfin qui, comme elle, soit toujours prêt à faire l’œuvre de Dieu dans tous les genres et dans toutes les occasions.

Car le nouvel homme peut d’avance déclarer qu’à l’image du Réparateur il doit être livré entre les mains des hommes, qu’il faut qu’il souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les sénateurs, par les princes des prêtres, et par les docteurs de la loi, et qu’enfin il soit mis à mort et qu’il ressuscite le troisième jour. Mais ce nouvel homme dévoué au service de son maître ne voit que les consolations qui l’attendent, et n’est point arrêté par les maux qu’il doit souffrir, parce qu’il a bu le médicament d’amertume, que par ce moyen son cœur lui a engendré l’intelligence, et que l’intelligence lui a engendré la parole avec laquelle il a une vive confiance qu’il renversera à la fin ses ennemis. En conséquence, voici de quelle manière il emploie les différents secours qui lui sont accordés par l’esprit, et qu’il trouve en lui par les divers développements de son être.

Il place la constance à l’orient, il place la purification à l’occident, il place la confiance au nord, il place la sainte audace au midi, et ainsi il marche à son œuvre, toujours au milieu des vertus ; il ne se laisse pas même affaiblir par la tendresse de ses frères qui veulent le retenir et l’empêcher d’aller à Jérusalem où il doit souffrir et être mis à mort ; il ne connaît que les choses du ciel, et se plaint vivement à ses frères de ce qu’ils ne renoncent pas à eux-mêmes pour le suivre, et de ce qu’ils n’ont de goût que pour les choses de la terre. « Et que servirait à un homme de gagner tout le monde et de se perdre soi-même ? Par quel échange se pourrait-il racheter lorsque le fils de l’homme viendra dans la gloire de son père, avec ses anges, pour rendre à chacun selon ses œuvres ? »

Telle est aussi la différence des voies par où les mouvements et les ordres nous arrivent. Quand nous recevons d’en haut des ordres ou des conseils, le quaternaire procède par l’intelligence, l’adhésion, le zèle, et l’œuvre ; quand c’est notre âme qui se meut elle-même, elle procède par l’affection, le jugement, la volonté, et l’expression, parce que, comme nous sommes dans les ténèbres, il faut nécessairement que nous allions soumettre nos mouvements au grand juge qui siège dans la région supérieure et qui doit les sanctionner. Mais tant que nous n’avons pas mis tout en ordre dans notre être, il se peut que des intrus s’assoient sur le tribunal, qu’ils sanctionnent, soit par ignorance, soit par dépravation, les plans les plus pervers, et qu’ils nous mettent, par les œuvres qui en résultent, dans le cas de ne pouvoir plus recevoir d’en haut ni ordres ni conseils. Car si un aveugle conduit un autre aveugle, que peuvent-ils devenir l’un et l’autre, et n’est-il pas à craindre qu’ils ne tombent tous les deux dans le fossé ?

C’est pour cela que mon cœur a été frappé d’une plaie que rien ne peut plus guérir sur la terre, parce que cette plaie est semblable à celle qui a frappé le royaume de la vérité. Aussi je ne chercherai point sur la terre le remède à la plaie de mon cœur. Je le chercherai ce remède dans le royaume de la vérité, puisqu’il n’y a qu’elle qui ait pu résister à l’ennemi et qui puisse guérir toutes les plaies. Le royaume des cieux lui-même pleure et est rempli de tristesse depuis que le mal a versé son venin et que le prince des ténèbres s’est assis sur le tribunal ; comment le cœur de l’homme ne serait-il pas dans le deuil et dans les larmes, puisque le royaume des cieux et le cœur de l’homme sont unis par une alliance qui les rend comme inséparables ? C’est dans cette alliance qu’il les rend comme inséparables que se trouve aussi la seule consolation qui soit faite pour l’homme ; car les pleurs du royaume de Dieu, en pénétrant mon être, lui rendront l’intelligence, comme les pleurs de la vigne rendent la clarté à nos yeux corporels.

Pleurez donc, vigne sacrée, pleurez avec abondance, nous recueillerons soigneusement les pleurs que vous répandrez ; faites pleurer notre être avec vous, puisque si notre être doit être uni à vous dans les consolations, il doit l’être aussi dans votre tristesse. Ce sont vos pleurs qui seules peuvent guérir la plaie universelle, mais ce sont les pleurs de l’homme qui doivent guérir ses plaies particulières. Plus il pleurera, plus il devra espérer d’être près de sa guérison, puisqu’il ne peut l’obtenir que par ses pleurs et ses gémissements ; il ne fait en cela que répéter l’image de votre œuvre restauratrice ; plus vous pleurez, plus vous annoncez, comme la vigne, une grande récolte, et plus vous manifestez les vertus salutaires du printemps.

 

 

48.

 

L’homme de Dieu est obligé de se diminuer sans cesse et de se proportionner, comme Élie, à la petitesse du fils de la veuve de Sarepta pour le ressusciter. C’est-là ce qui rend son ministère si laborieux : il faut que cet homme de Dieu soit toujours en contraction pour approprier les vertus Divines à notre demeure impure et souillée. Car l’homme de Dieu est établi pour être perpétuellement l’organe de ces vertus, soit dans la prière, soit dans l’instruction, soit dans les œuvres.

Que le nouvel homme ne s’effraye pas de ces fatigues, le temps du repos les lui fera toutes oublier. Le nouvel homme est un homme de vérité, et l’homme de vérité ne connaît aucun obstacle. Au milieu même de ses travaux et de ses épreuves, il a toujours devant les yeux ce passage de David : Que toute la terre se réjouisse en Dieu. Servez le Seigneur avec joie, entrez et présentez-vous devant lui dans de saints ravissements. Sachez que le Seigneur est le vrai Dieu, que c’est lui qui nous a faits, et que nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes. Aussi toute la terre du nouvel homme est dans la sécurité et dans la joie, parce qu’il sent que ses os deviennent semblables aux os de la vie, et que la vertu de la chair céleste et du sang spirituel pénètre et nourrit sa chair et son sang.

Hommes du torrent, vous voudriez connaître les volontés de Dieu dans les différentes situations où vous vous trouvez, comme si vous étiez unis à lui, tandis que rien ne se peut faire pour vous sans cette union ; vous voudriez être unis à Dieu, comme si vous étiez purifiés, tandis que cette union ne peut se faire qu’après votre purification ; vous voudriez être purifiés comme si vous aviez fait tous vos efforts pour cela, tandis que votre purification ne peut avoir lieu qu’après de longs et de pénibles sacrifices. Vous voudriez que ces longs et pénibles sacrifices fussent faits comme si les objets de ces sacrifices étaient déjà disparus de devant vous, tandis que ces mêmes objets composent aujourd’hui toutes les substances de votre être.

Commencez par mettre un voile entre vous et les objets informes qui vous ont déformé la vue et l’intelligence ; ce premier pas vous conduira aux sacrifices, les sacrifices vous mèneront à la purification, la purification vous mènera à l’union avec le principe actif de votre être, et ce principe actif vous dévoilera, à tous les instants, les volontés de votre Dieu ; car votre Dieu est toujours rempli de ses plans et de ses desseins sur les hommes ; et lorsqu’il s’unit réellement à nous, ce doit être d’une manière vive et agissante, qui développe activement tous nos rapports et toutes nos lois.

On nous a dit que Dieu était tout ; mais ce n’est point dans le langage d’une morale vague et stérile que nous pouvons comprendre cette vérité, ce n’est que de lui, par lui, et dans lui qu’elle nous peut être intelligible. Hélas, que font les hommes du torrent au milieu de richesses si abondantes ! Au lieu de s’unir à cette action une, ils se laissent journellement attirer et séduire par toutes sortes d’actions diverses et multipliées qui les détruisent et les décomposent à force de les abuser.

Mais toi, ô sagesse sainte, toi qui ne perds jamais de vue tes enfants, si tu leur laisses faire des fautes de négligence et d’erreur, ne peuvent-ils pas ensuite acquérir des vertus doubles quand ils rentrent dans la voie droite ? Car tu peux leur rendre, à la fois, et les fruits du temps qu’ils ont employé, et les fruits du temps qu’ils ont perdu, puisque tu peux, si tu le veux, abolir et effacer pour eux la différence des heures. Mais que ces malheureux n’oublient jamais à quelles conditions cette différence des heures sera abolie pour eux. Ce ne sera que quand chaque portion de leur être sera devenue un organe de douleur et de pénitence ; car sans cette cuisante transpiration, la corruption, restera en eux et les rongera jusqu’à la moelle.

Savants du siècle, qui prétendez que la nature de l’homme ne peut parvenir à notre connaissance, vous n’essayez jamais du vrai secret qui pourrait vous la donner, cette connaissance ; comment la voulez-vous donc obtenir ? La matière, elle-même, ne sort-elle pas continuellement des enveloppes qui la resserrent, pour venir vous offrir ses secrets ? Il faudrait donc commencer par suivre la leçon qu’elle vous donne, et sortir de vos propres entraves, comme elle sort journellement des siennes ; vous pourriez ensuite comparer ses fruits avec ceux de votre être intérieur, et cette comparaison suffirait pour diriger vos jugements d’une manière qui serait plus sûre.

En effet, vous trouveriez une preuve positive que cette matière est trompeuse et nulle ; c’est que quand vous parcourez ses voies obscures, et que vous enchaînez votre esprit sous ses lois, il vous semble que vous êtes dans le vide, et comme dans un dénuement universel. Vous trouveriez au contraire une preuve que l’esprit est tout ; c’est que quand vous le cultivez et que vous vous attachez à ses intelligences, il vous semble que vous êtes dans la plénitude et qu’il ne vous manque rien.

Aussi la loi, elle-même, prise dans son sens intégral et essentiel, n’est-elle que la voie qui nous ramène à l’unité, et qui a l’unité pour terme, c’est-à-dire, la jouissance de la réalité. Car lorsque nous sommes dans l’unité, nous avons le sentiment de la jouissance, et nous n’avons plus l’idée de la loi ; mais dès que nous sortons de l’unité, la loi nous saisit, et voici qu’elles en sont les ramifications si nous ne veillons pas pour prévenir les termes inférieurs dans lesquels elle peut nous faire descendre.

Le devoir est à côté de la loi, la fatigue à côté du devoir, le découragement à côté de la fatigue et la misère à côté du découragement : dans l’ordre même des jouissances légitimes de ce bas monde, et dans tout ce que nous pouvons appeler ici-bas les douceurs et le bonheur de l’esprit, nous ne sommes guères plus en sûreté, tant que ce n’est pas l’unité elle-même qui nous dirige, qui nous domine, et qui nous maîtrise ; car le plaisir est à côté du bonheur, l’erreur à côté du plaisir, le crime à côté de l’erreur, et la mort à côté du crime.

Oh ! homme, retourne, retourne vers l’unité, elle seule te tiendra au-dessus de tous les dangers, parce qu’elle te tiendra au-dessus de toutes les lois, par l’abondance de sa sagesse et l’immensité de sa lumière. N’imite pas cet aveugle tyran qui tient les nations le col courbé sous son joug. Tu vois que le monde est content, parce que l’esprit se tait en lui et ne lui demande rien, attendu que le corps y trouve tout ce qu’il demande. N’oublie pas que dans l’ordre vrai, ce serait à l’esprit à avoir tout ce qu’il demanderait, et qu’au contraire ce serait au corps à ne pas oser élever sa voix et à ne rien demander, mais à attendre, comme un vil esclave, qu’on voulût bien lui donner son nécessaire. Sans cela l’esprit se dégrade en se rendant, lui-même, le serviteur de cet esclave. Ne sommes-nous pas déjà assez dégradés par les soins forcés que nous devons journellement à cette forme matérielle qui nous environne, et par l’obligation où nous sommes réduits de panser honteusement cette bête de somme ? Sang de l’homme, prophétise contre son injustice et contre son crime ; prophétise que tu es le fardeau de son iniquité. Il paye avec usure ses premiers écarts, depuis que le sang est devenu son vêtement. Ce sang lui avait été donné pour qu’il y noyât tous les sujets de Pharaon, après y avoir passé lui-même à pied sec, comme Israël dans la mer rouge ; mais au lieu de se séparer journellement de ce vêtement qui le déshonore, il ne cesse d’y attacher encore de nouvelles marques d’infamies qui puissent achever de rendre l’homme un objet d’opprobre.

Oui, le sang est l’enfer terrestre ; loin de calmer la tempête, il ne cherche qu’à la rendre si affreuse que l’homme ne puisse éviter d’être englouti au fond de la mer. Il ordonne aux quatre vents du ciel de venir sans cesse agiter les flots de cette mer orageuse, et ces flots, en s’agitant, s’élèvent assez pour révéler les fondements de l’autel de Baal. Ô sang, ô sang, chacune de tes paroles est une révélation de l’impiété de l’homme, et une prophétie du prince du mensonge ; voilà pourquoi tous nos jours se passent dans l’illusion et dans le néant. Voilà pourquoi nous vivons au milieu des épaisses ténèbres de l’Égypte.

Mais si la parole du Seigneur doit un jour révéler les fondements du monde, ps. 17 : 16, ne peut-elle pas aussi révéler les fondements de l’âme de l’homme ? Et sans cela le nouvel homme pourrait-il encore avoir de l’espoir ? Il dira donc : « Seigneur, ressouvenez-vous de la sagesse de vos desseins lorsque vous avez donné l’existence à l’homme. Ce grand objet de votre antique alliance avec lui, pourriez-vous jamais l’oublier ? Si le sage se ralentit devant vous, c’est en vain qu’il a ouvert les yeux sur les restes de l’œuvre ; il devient l’objet des larmes des prophètes qui le comparent aux lâches serviteurs ; car il ne peut plus chanter les cantiques de la paix et du bonheur, ces cantiques que l’oreille de la sagesse aime à entendre. »

Le nouvel homme l’entend au fond de lui-même ce cantique qui charme l’oreille de la sagesse : « C’est d’en haut que viendra ma force, c’est d’en haut que j’attendrai la lumière ; le poids de la puissance du Seigneur précipite tous les ennemis dans l’abîme, parce que sa puissance contraint l’âme humaine de développer la sienne à son tour, et que la puissance de l’âme humaine est comme un retranchement autour de l’armée du Seigneur. »

Âme humaine, remplis-toi de confiance, et considère quels seraient tes avantages si tu daignais les mettre à profit. L’ennemi n’a qu’une seule issue par où il puisse t’approcher, et cette issue, il t’est encore possible de la lui fermer à ta volonté. Mais pour toi, tes puissances peuvent se développer dans tous les sens, puisque tu es centre et que tu tiens au centre universel. Car c’est de toi que parlait le Réparateur lorsqu’il disait : Comme mon père qui est vivant m’a envoyé, et que je vis par mon père, de même celui qui me mange vivra aussi par moi. Or, manger le Réparateur, c’est transmuer toutes tes substances dans les œuvres et l’activité de son esprit, et faire en sorte que cet esprit éternel et Divin pénètre dans toutes tes facultés, comme les sucs de tes grossiers aliments pénètrent dans toutes les fibres de ton corps.

 

 

49.

 

Ce n’est point par la répétition des paroles dans sa prière que le nouvel homme est arrivé à cette union avec l’esprit, c’est par le feu intérieur de son être qui s’est enflammé et qui a répandu autour de lui une lumière semblable à celle où il a pris son origine. La loi de l’affinité a opéré le reste ; et même ce feu de son être intérieur ne s’est allumé que par le souffle doux de la sagesse, qui ne cherche qu’à rendre à chaque chose leurs propriétés.

Quiconque n’a pas senti ce souffle doux de la sagesse descendre sur lui, précipiter en terre toutes les matières étrangères qui encombraient ce feu et l’empêchaient de se montrer dans toute la splendeur et la régularité de sa forme, quiconque, dis-je, n’a pas fait cette utile expérience, ne connaît pas encore la véritable voie.

En effet, c’est à cette voie que se font connaître les récompenses promises à l’homme de désir qui s’est consumé dans la vigilance et dans le zèle à garder la citadelle qui lui est confiée ; à cet homme de désir qui s’est promis de ne jamais se livrer à une spéculation de l’esprit et de l’intelligence sans avoir auparavant consacré des efforts et un temps à quelque œuvre active de l’esprit ; tant il est persuadé que l’homme doit toujours craindre de ne pas assez agir, et ne jamais craindre de ne pas assez savoir ; et cette sage crainte de ne pas assez agir établit en lui une vertu tout aussi salutaire, celle d’être toujours prêt à suivre les ordres de son maître, toujours plein de résignation à tous les évènements où ses services le peuvent entraîner, enfin toujours heureux dès qu’il peut se rendre intérieurement le consolant témoignage qu’il a été zélé pour la gloire de ce maître, et qu’il n’a point été en faute ni en retard dans son service.

C’est donc le souffle doux de cette sagesse qui développera dans le nouvel homme sa véritable prière qui est l’action naturelle de son être ; car cette prière ne doit avoir d’autre but que de maintenir, dans l’homme, l’ordre, la sûreté, la mesure ; elle doit faire que l’ennemi soit toujours tenu hors de la place, que le cœur de l’homme soit toujours abreuvé des sources des eaux vives, et que sa pensée soit comme un foyer où les lumières Divines se réunissent pour se réfléchir ensuite avec plus d’éclat. Comme ce sont là les facultés primitives de l’homme, si elles parviennent à atteindre le but de leur destination, l’homme est réellement dans sa prière ou, pour mieux dire, l’homme est alors réellement la prière, et le sacrifice de la plus agréable odeur que le Seigneur puisse recevoir. Mais où est-il celui qui s’est réellement converti en une prière et en un sacrifice de la plus agréable odeur pour le Seigneur ?

Dieu avait dit : « L’homme sera un centre où réfléchiront tous les rayons de ma gloire. Il a reçu de moi, dans son corps, la base de toutes les impressions et de toutes les qualités des êtres sensibles, comme il a reçu de moi, dans son esprit, la base de toutes les impressions et de toutes les propriétés supérieures. C’est pour moi que j’ai disposé et placé l’homme dans ce haut rang. J’ai eu pour but ma propre joie, ma propre gloire, et l’avancement de mes desseins. Et cependant l’homme a dédaigné mes présents. Il a dédaigné de travailler à ma gloire et à l’avancement de mes desseins. Comment traiterai-je ce serviteur infidèle ? Je le traiterai comme les nations qui auront pris les idoles pour leurs dieux. Mille univers entassés les uns sur les autres ne déroberaient pas à mes yeux ces coupables ; leur crime osa frapper mon trône, et la secousse qu’il éprouva, ma justice s’en souvient encore. Hommes négligents, hommes insensibles à ma gloire et à l’avancement de mes desseins, remplissez-vous du zèle de ma maison jusqu’à ce que les murs de Jérusalem soient relevés, jusqu’à ce que vous soyez réellement convertis en une prière active et en un sacrifice d’agréable odeur pour celui qui vous a créés. »

Quant au nouvel homme, il s’est réellement converti en une prière active, et voici comment ses facultés ont recouvré les droits de leur destination originelle. Il a dit : « J’invoquerai Dieu au nom du Réparateur, j’invoquerai le Réparateur au nom de l’accomplissement de la loi, j’invoquerai l’accomplissement de la loi au nom de la foi, j’invoquerai la foi au nom de mes œuvres et de la constance de mes saintes résolutions. »Voilà les quatre fleuves que ce nouvel homme a trouvés en lui ; il a trouvé aussi en lui le jardin d’Éden ; dès-lors il s’est rempli de confiance et de zèle, et les moissons sont devenues abondantes. Autrefois ces quatre fleuves ne faisaient qu’un, lorsque ce jardin d’Éden était encore dans sa fertilité primitive. Mais les catastrophes de la nature, en multipliant les montagnes et les vallées, ont divisé les sources des fleuves et en ont multiplié les courants.

Cette multiplicité peut et doit ralentir l’œuvre, mais elle ne doit pas l’empêcher de s’accomplir. Toutes les voies de la sagesse sont douces ; elle ne resserre la mesure de nos jouissances que parce que nous avons resserré la mesure de nos facultés, et que, vu notre actuelle disproportion avec la lumière qui nous était destinée autrefois, nous ne pourrions aujourd’hui, sans périr, la contempler dans tout son éclat. Mais cette lumière se trouve encore assez vive et assez abondante non-seulement pour suffire à nos besoins, mais encore pour combler de délices celui qui met en elle toute son affection.

C’est pourquoi le nouvel homme a dit avec jubilation et dans la plénitude de son espérance : « Quand le feu du Seigneur aura enflammé mon cœur et brûlé mes reins, quand les hommes de Dieu auront préparé tous les sens de mon âme, quand l’huile sainte aura accompli ma consécration extérieure et intérieure, alors le Seigneur entrera en moi, il se promènera dans moi, comme autrefois il se promena dans le jardin d’Éden. J’entendrai mon Dieu, je verrai mon Dieu, je concevrai mon Dieu, je sentirai mon Dieu ; il aplanira lui-même les voies par où il voudra faire marcher sa sagesse, il disposera mon cœur pour y pouvoir habiter comme dans un lieu de repos, et quand je voudrai me nourrir des douceurs de la vertu, de l’empire des forces et des puissances, et de la délicieuse contemplation de la lumière, je considérerai le céleste habitant qui demeurera en moi, et il me procurera à la fois tous ces biens. »

« Quand le céleste habitant qui demeure en moi m’aura procuré tous ces biens, je sèmerai dans le champ de la vie les germes de ces arbres puissants ; ils croîtront sur les rives de ces fleuves de mensonge qui inondent le périlleux séjour de l’homme. Ils entremêleront leurs racines pour soutenir les terres que ces fleuves baignent de leurs eaux, et ils empêcheront qu’elles ne s’éboulent et qu’elles ne soient entraînées dans les courants. Ils pousseront de longs rameaux qui ombrageront les bords des fleuves et préserveront de l’ardeur du jour le patient pêcheur qui viendra chercher sa nourriture, la ligne à la main. Ces rameaux rendront un autre service au navigateur, qui pourra y attacher sa nacelle et prendre un moment de repos après un voyage fatigant. Avec plus d’ardeur encore saisira-t-il ces rameaux secourables dans les fréquents naufrages dont sa dangereuse navigation est marquée journellement ; il les saisira dans sa frayeur et il les bénira de l’avoir aidé à s’arracher au gouffre qui allait l’engloutir. »

« Tels sont les fruits que je dois attendre des vertus de ma pensée et de mon cœur, si je suis zélé pour la gloire et le service du céleste habitant qui demeure en moi. Ce sont comme des aimants que j’aurai placés hors de moi, qui soulèveront au-dessus de la terre ma masse informe, qui m’attireront vers la véritable mine, et me serviront de boussole dans les divers sentiers de ma carrière. Ce seront mes trésors dans ce bas monde, et mon cœur sera avec eux, puisqu’on nous a dit que là où est notre trésor, là est notre cœur. »

Nous ne saurions trop l’affirmer, ce n’est point par la répétition des paroles dans sa prière que le nouvel homme est parvenu à pouvoir se remplir de ces douces espérances, et à faire sortir de lui de ces paisibles intelligences qui répandent autour d’elles le calme et le repos ; c’est en rassemblant avec soin tout le feu de son être intérieur qu’il en voit enfin s’élever une flamme pure, vive, et légère qui purifie l’air et qui l’agite doucement, en en faisant exhaler un vent rafraîchissant ; voilà comment il est parvenu à découvrir en lui les quatre fleuves du jardin d’Éden, subdivisés dans ces sept sources sacramentelles qui sont les puissances de son âme, et qui n’auraient jamais pu recouvrer leur activité naturelle si l’âme de ce nouvel homme n’avait été elle-même régénérée et ordonnée de nouveau par le sacrement de la parole.

 

 

50.

 

C’est une vérité, déjà souvent exposée, que quoique l’homme soit né pour l’esprit, il ne peut cependant jouir des douceurs et des lumières de l’esprit qu’autant qu’il a commencé par se faire esprit. Voilà pourquoi la sagesse active et invisible fait descendre continuellement son poids sur l’homme, afin qu’il rassemble ses forces et ses principes de vie spirituelle. D’ailleurs cette sagesse active et invisible ne fait point ainsi descendre son poids sur l’homme sans verser dans son cœur quelques-unes de ces influences vives dont elle est l’organe et le ministre, et parmi lesquelles elle fait éternellement sa demeure.

Quand elle a ainsi préparé l’homme et que l’homme ne l’a point contrariée dans ses desseins, alors elle transporte l’esprit de l’homme dans le séjour de cette lumière où il a pris son origine ; et là, l’homme s’abreuve à longs traits des douceurs qui appartiennent à son existence ; il s’en abreuve sans trouble et sans inquiétude, comme la sagesse elle-même, parce que, par les soins qu’elle lui a rendus, son cœur est devenu pur comme elle et indépendant des mouvements si incertains de la fragile roue du temps ; le supérieur et l’inférieur, se trouvant pour lui dans une parfaite analogie, il sent que la paix qu’il découvre dans ces régions invisibles se trouve également en lui-même ; il ne sait si son intérieur est dans cet extérieur divin, ou si cet extérieur divin est dans son intérieur ; ce qu’il sent, c’est que tout cela semble n’être qu’un pour lui, c’est que toutes ces choses et lui ont l’air de n’être qu’une seule et même chose.

Voilà pourquoi il ne craint point de revenir dans son intérieur quand il a joui de ces consolations supérieures si ravissantes, parce qu’il sent qu’il va en trouver de semblables en lui-même ; voilà pourquoi aussi il ne craint point de s’élever de son intérieur jusqu’à ces régions si sublimes, parce qu’il sait d’avance quelles sont les consolations qui l’y attendent.

Mais il ne peut parcourir toutes ces régions soit intérieures, soit extérieures, sans éprouver un désir qu’il partage avec la sagesse même puisqu’elle l’a éprouvé la première à son égard : c’est celui de voir goûter le même bonheur à ses semblables ; et c’est dans ce désir secret, puisé dans notre propre source, purgée de ses souillures et de ses ténèbres, que nous découvrons la véritable destination du nouvel homme, et par conséquent celle de l’homme primitif.

Si les hommes avaient voulu ne pas fermer les yeux sur la simple loi des compensations, ils n’auraient pas eu besoin de s’élever si haut pour apercevoir cette destination primitive ; en effet, en nous en tenant aux seules notions naturelles de notre raison non égarée par le vice et la corruption, ne pouvons-nous pas démêler le but de notre être dans les dons et les moyens qui sont à la portée de tous les hommes ? Je puis donc dire à mon semblable : es-tu né fort ? n’est-ce pas pour protéger le faible ? es-tu né riche ? n’est-ce pas pour verser tes biens dans les mains de l’indigent ? es-tu né avec des lumières ? n’est-ce pas pour éclairer celui qui est enveloppé de ténèbres ? es-tu né vertueux ? n’est-ce pas pour soutenir, par ton exemple, l’homme sans force, ou effrayer et faire trembler l’homme méchant ? Remonte donc, par ces degrés, jusqu’à ta loi d’origine. Si tu as l’attention de comparer soigneusement tous les degrés de cette grande chaîne, tu arriveras à reconnaître que tu es né primitivement pour une grande compensation.

Mais quels efforts ne faut-il pas à l’homme pour ne pas laisser obscurcir sa vue sur des vérités aussi simples et aussi naturelles au milieu des nuages nombreux qui la couvrent ? Combien ces efforts de l’homme ne doivent-ils pas s’augmenter encore pour parvenir à remplir cette sublime destination, en supposant qu’il eût été assez heureux pour ne pas la perdre de vue ? Car nous ne pouvons plus nous dissimuler que nous sommes environnés de difficultés si nombreuses et d’obstacles si puissants que c’est comme si l’on avait creusé pour nous une prison profonde au milieu d’un vaste rocher, et que nous ne vissions autour de nous que des enceintes de roc vif, taillées à pic, et à perte de vue.

Non, il n’est pas difficile de voir que les hommes sont ici-bas comme autant de prisonniers que l’on a retranchés de toute communication avec les créatures vivantes, et que l’on a mis, pour ainsi dire, au secret. Nous n’y pouvons jouir des entretiens et de la consolation de personne ; un sévère et farouche geôlier nous jette rudement notre grossière nourriture, et se retire sans daigner même nous adresser le moindre mot de consolation.

Quelquefois, il est vrai, après de longs jours passés dans cette désolante situation, on nous permet le léger adoucissement de voir quelques-uns de nos proches et de nos amis, mais seulement pour un instant ; puis on nous replonge dans notre affreuse solitude. Enfin quelquefois après ces cruelles épreuves, on nous ouvre les portes de notre prison et on nous remet en liberté. Mais combien est petit le nombre de ceux pour qui brille enfin le jour de la délivrance ! Combien d’autres au contraire voient se multiplier leurs fers et sont condamnés à ne jamais connaître le moindre soulagement ! Combien en est-il qui doivent passer leurs jours dans les cachots, et pour qui il n’y aura point d’intervalle entre les horreurs de leur prison et les horreurs de leur tombeau !

Quel est donc ce triste état de la postérité humaine, où l’homme de désir lui-même est réduit à pleurer en vain et à voir ses frères ou liés de fortes chaînes dans de ténébreux cachots, ou transportés dans les sépulcres de la mort et de la putréfaction ! Et cela sans qu’il lui soit possible d’agir pour leur délivrance ni de rien opérer pour eux ! Il n’est que trop vrai, malheureux homme, que le temps et la mort sont les rois de ce monde. Tu as des désirs purs, tu as des désirs divins, tu as des désirs qui concourent avec ceux dont le cœur et la sagesse de Dieu même sont remplis, et cependant ces désirs ne s’accomplissent point ! Et cependant l’œuvre vraie se voit comme forcée de céder le pas à l’œuvre illusoire ! Et cependant notre Dieu lui-même enveloppe sa gloire et paraît comme contraint de différer jusqu’à un autre temps pour en manifester les triomphes !

Seigneur, Seigneur, est-il donc vrai que tu aies besoin de l’homme pour l’accomplissement de ton œuvre ici-bas ! Oui, tu en as besoin puisque cette œuvre n’est autre chose que la réunion de l’homme avec toi. Seigneur, Seigneur, il serait vrai que tu aurais besoin de l’homme ici-bas, et cependant ce malheureux se refuserait à tes désirs et à tes besoins ! Oh ! non, rien ne peut égaler l’horrible férocité et l’impie cruauté de l’homme ; rien n’est déchirant comme l’idée de son effroyable volonté. Frappe-le, Seigneur, avec la verge du temps, afin qu’il sache que le temps l’abuse journellement. Frappe-le avec la verge du temps, afin qu’il ne croie plus au temps. Alors le temps se frappera lui-même, alors le temps sera plein de remords et de honte d’avoir trouvé un terme à ses desseins. C’est au temps, c’est à la mort, c’est à ces rois de la terre que tu avais adressé tant de reproches par la bouche de ton prophète David (ps. 2).

Aussi il disait dans sa douleur : « Pourquoi les nations se sont-elles soulevées avec un grand bruit et les peuples ont-ils formé de vains desseins ? Les rois de la terre se sont opposés, et les princes se sont assemblés contre le Seigneur et contre son Christ. Rompons, disent-ils, leurs liens, et rejetons loin de nous leur joug. Celui qui demeure dans les cieux se rira d’eux, et le Seigneur s’en moquera. Il leur parlera dans sa colère et les remplira de troubles et de fureur. Mais pour moi, j’ai été établi roi par lui sur Sion, sa sainte montagne, afin que j’annonce ses préceptes. Le Seigneur m’a dit : Vous êtres mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j’étendrai vos possessions jusqu’aux extrémités de la terre. Vous les gouvernerez avec une verge de fer, et les briserez comme le vaisseau du potier. Er » vous maintenant, ô rois, ouvrez votre cœur à l’intelligence ; recevez les instructions, vous qui jugez la terre. Vous les gouvernerez avec une verge de fer et les briserez comme le vaisseau du potier. Et vous maintenant, ô rois, ouvrez votre cœur à l’intelligence ; recevez les instructions, vous qui jugez la terre. »

Nouvel homme, regarde-toi comme ce roi établi sur Sion, la sainte montagne du Seigneur, afin que tu annonces ses préceptes : demande à Dieu tes propres nations pour ton héritage, et il étendra tes possessions jusqu’aux extrémités de la terre, et jusque dans les âmes de tes semblables. Car sa sagesse active et invisible ne cherche qu’à faire pénétrer jusqu’à toi ses douces influences, et à te soutenir, du haut de son trône, dans tes combats, afin de te faire remporter des victoires ; elle transportera en suite auprès d’elle ton esprit triomphant, jusque dans ces paisibles régions où elle fait éternellement sa demeure, et où l’homme aurait dû demeurer aussi éternellement avec elle, s’il n’avait pas eu la faiblesse de les abandonner ; vérités qui pourraient être rebattues à toutes les pages de tous les livres, et qui ne devraient pas pour cela éprouver le reproche d’être trop répétées ; car comment accuserait-on les écrivains de trop dire une chose qui est la seule chose que l’on devrait dire ?

 

 

51.

 

Le Réparateur prit avec lui trois de ses disciples, il les mena sur une haute montagne, et il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la neige. En même temps ils virent paraître Moïse et Élie qui s’entretenaient avec lui.

Lorsque l’homme rassemble et concentre ses forces, il sent que la vie Divine elle-même ne dédaigne pas d’influer activement sur lui et de le réchauffer de son feu doux et vivificateur ; cette vie Divine qui l’a formé ne craint pas de le former de nouveau ; après l’avoir formé de nouveau, elle ne craint pas de venir s’établir en lui et de le soutenir par ses saintes influences, et après s’être établie en lui et l’avoir soutenu par ses saintes influences, elle ne craint pas de lui communiquer la joie dont elle est la source et dont elle se nourrit perpétuellement elle-même. Dans cette opération l’homme prend réellement un nouveau caractère, car il est tellement pénétré de la lumière Divine que son intérieur en est tout resplendissant, et qu’il se forme au dedans de lui comme un soleil vif et brillant que son corps matériel ne peut connaître, et c’est là un des sens du passage de saint Jean : La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise ; il est venu dans ses possessions, et les siens ne l’ont point reçu.

Si l’homme portait plus soigneusement sa vue sur son être intérieur, il parviendrait sûrement à découvrir en lui ce soleil radieux et à le voir physiquement des yeux de son esprit comme il peut voir dans une glace la beauté de sa face avec ses yeux matériels ; car il a toujours, devant son être intérieur, un miroir vivant qui lui en réfléchirait la splendeur en nature. Il s’y verrait accompagné de la droite et de la gauche de Dieu, qui ne cessent de le préserver et de le défendre, qui ont été opérantes temporellement dans les deux alliances ou initiations spirituelle et Divine, et qui ont été représentées corporellement aux trois disciples du Réparateur par les précurseurs de ces deux initiations : Moïse qui avait conduit le peuple jusqu’aux portes de la terre promise, et Élie qui était venu préparer les voies à l’alliance éternelle de la paix et de la sainteté. Car le Réparateur ne montrait encore, dans cette transfiguration, que les sentiers où l’homme devait passer pour retourner dans le royaume de la vie.

Mais l’homme intérieur, ainsi accompagné visiblement de la droite et de la gauche de Dieu, entend encore, au-dessus de lui, la voix Divine qui prononce ces paroles consolantes : C’est mon fils bien aimé, dans lequel j’ai mis toute mon affection. Écoutez-le ; de façon que, se trouvant placé entre le ternaire Divin et supérieur dont il émane, et dont il est le fils et le ternaire spirituel de ses propres facultés, ou de ses trois disciples, il découvre en lui-même le tableau universel de toutes les régions, des lois d’action et de réaction qui ont agi pour l’émanation de l’homme, et qui agissent journellement pour sa sanctification et pour sa glorification. Et voilà les trésors qui se dévoilent aux yeux du nouvel homme.

Il n’est pas étonnant que les trois disciples du nouvel homme, le voyant ainsi tout rayonnant de glaire, soient hors d’eux-mêmes, et que l’un d’eux lui dise : Seigneur, nous sommes bien ici, faisons-y, s’il vous plaît, trois tentes, une pour vous, une pour Moïse, et une pour Élie. Et quand la nue vient à couvrir à leurs yeux ce ternaire supérieur et que la voix sortant de cette nue se fait entendre, il n’est pas étonnant que les trois disciples soient saisis d’une grande crainte et qu’ils tombent le visage contre terre. Mais le nouvel homme s’approchera d’eux, les touchera, leur dira : levez-vous et ne craignez point, alors ils lèveront les yeux et ne verront plus que le nouvel homme seul, parce que le ternaire supérieur ne peut pas séjourner sur la terre.

Il leur fera le commandement de ne parler de cette vision à personne, jusqu’à ce qu’il soit ressuscité d’entre les morts ; car si leur vue avait eu tant de peine à en soutenir l’éclat, eux qui y avaient été préparés, comment des oreilles impures et grossières en auraient-elles soutenu le récit ? Il suffit, d’après cette transfiguration, que les disciples du nouvel homme le regardent comme étant le fils de la Divinité, et qu’ils s’attachent à son service avec autant de zèle que s’ils étaient en présence d’un Dieu. Instruction que le nouvel homme ne peut trop graver en eux pour les maintenir dans la vigilance, et pour que, travaillant de concert avec lui, ils emploient continuellement tous leurs efforts à conserver la mesure, l’ordre, l’activité, et l’amour dans toutes leurs œuvres et dans tous leurs mouvements, afin que lui avec eux et eux avec lui manifestent de plus en plus et dans une représentation toujours plus parfaite cette unité suprême, dont le nouvel homme et ses trois facultés sont l’image.

En effet sans cette transfiguration intérieure du nouvel homme, nous ne connaissons que par les images de l’intelligence la source où nous avons pris notre origine, les rapports que nous avions eus avec elle primitivement, ceux de ces rapports que nous avons conservés depuis la fatale chute, ceux qui se sont rétablis de nouveau par le canal des deux alliances, et par conséquent les ravissantes espérances dont nous pouvons encore nous remplir.

Mais dès que notre propre transfiguration nous a élevés au-dessus du nuage, le nuage peut ensuite recouvrir la montagne ; nous ne perdons point le souvenir de ce qui s’est opéré devant nous. Nous redescendons pleins de respect pour l’essence qui nous anime, pleins d’amour et d’adoration pour celui qui nous a faits ce que nous sommes ; nous gardons notre secret dans le plus profond de notre cœur, très persuadés que, dans cette solitude intérieure, nous pouvons mieux honorer le souverain être qu’en révélant ses richesses et ses trésors à des yeux qui n’en seraient pas dignes.

Nous nous disons que si nous étions seuls sur cette montagne lorsqu’il est venu nous y trouver et nous pénétrer assez de ses vivifiantes influences pour transfigurer tout notre être par leur divine activité, il peut nous venir trouver encore partout où nous serons, quand même nous y serions seuls, puisque notre existence n’étant que le fruit de ce ternaire éternel et créateur, dès que nous existons, c’est une preuve que ce ternaire est en action en nous, sur nous, autour de nous, lors même que nous n’en avons pas visiblement la connaissance ; et c’est alors que nous commençons à être inscrits dans le livre de vie, dans ce livre dont notre être intérieur doit lui-même former et produire les lettres, et les déposer sans cesse dans les mains de la sagesse, pour qu’elle les emploie selon ses plans et selon ses projets, et leur communique la vie, le sens, et l’intelligence dont elle juge qu’elles peuvent être susceptibles pour l’avancement de l’œuvre.

Aussi n’est-ce que depuis la transfiguration du Réparateur que le nouvel homme peut jouir de sa transfiguration personnelle, et de même que nous ne connaissons pas notre être d’une manière intuitive sans cette transfiguration personnelle, de même nous ne saurions rien de la possibilité de notre transfiguration personnelle si la transfiguration du Réparateur ne nous en avait donné la connaissance.

Oui, Divin et exclusif libérateur des hommes dans l’esclavage, il fallait que tu fusses transfiguré pour que les trésors Divins se déployassent à notre vue et la remplissent de leur éclat immortel. Sans toi nous n’aurions pas su ce que c’était que notre origine, ce que c’était que l’œuvre, ce que c’était que la charité, ce que c’était que la fontaine de vie. Sois béni à jamais, par toutes les générations, et dans tous les siècles ! Que toutes les voix célèbrent le Réparateur universel, l’agneau sans tache intérieure et extérieure, celui dont la nature est vivante de la vie même, celui qui a ouvert pour nous les canaux des deux alliances par lesquelles seules nous pouvions recouvrer l’explication de notre être.

L’enfant qui vient de naître, quand est-ce qu’il peut jouir de la vue ? C’est quand la lumière a su se faire jour en lui et insinuer dans ses yeux une portion d’elle-même, sur laquelle elle va réagir désormais ; jusque-là il est dans les ténèbres. Il en est de même de tous ses autres sens, relativement à la puissance qui doit les mouvoir. Il en est de même aussi de tous les sens de notre esprit et de notre cœur. Nous serions à jamais restés dans l’engourdissement de toutes les facultés de notre être spirituel si le Divin libérateur qui a été glorifié n’avait dissous toutes les vapeurs malfaisantes dont tous nos organes étaient obstrués. Point d’intelligence, point de tact, point de mouvement, point de vie en nous, si ce suprême agent n’avait lancé, dans chacun de nos organes intérieurs et cachés un de ses rayons vivificateurs, sur lesquels il veut ensuite darder continuellement son action pour nous maintenir avec lui dans cette Divine activité dont il est la source et qu’il nous a appelés à partager avec lui.

 

 

52.

 

Des vertus diverses et nombreuses nous environnent, et cherchent à pénétrer jusques dans nous. Chacune d’elles dirige son souffle salutaire sur l’un de nos organes, de même que par notre parole nous transmettons à ceux qui nous écoutent les différents mouvements dont nous sommes animés. L’une de ces vertus, qui est supérieure à toutes les autres, dirige son souffle divin sur le centre même de notre être et, par l’organe de la parole dont elle est le principe, elle transmet en nous sa propre vie, son propre amour, sa propre lumière : Philippe, celui qui me voit, voit mon père. (Jean 14 : 9.) Tel est le langage que le nouvel homme peut tenir à ses disciples, à l’instar du Réparateur ; parce qu’il cherche comme lui à transmettre sa propre vie par le souffle de sa bouche et par l’organe de sa parole à toutes les facultés de son être.

Mais ce nouvel homme doit multiplier et varier sans nombre son action et sa parole selon les différentes régénérations qu’il lui faut opérer en lui-même ; aussi tantôt il se montre environné de gloire et de puissance pour remplir les peuples d’admiration pour son nom et pour la grandeur de ses œuvres ; tantôt il se peint comme une victime dévouée au salut du peuple et comme un être de réprobation exposé à toutes les insultes et à tous les mépris de ses ennemis. Tantôt il se peint comme l’ami, le sage instituteur de ses frères à qui il distribue les divers préceptes qui leur conviennent pour se diriger dans la carrière. Tantôt il se peint comme l’homme de douleur, et même comme l’homme de péché, en employant sans cesse ses larmes et ses sanglots pour fléchir la miséricorde.

C’est-là ce qui rend si variés les caractères et les nuances qui doivent le manifester aux yeux des siens ; et voilà pourquoi il est si méconnaissable aux yeux de ceux qui ne sont vivants que dans l’extérieur. Il leur échappe ou il leur paraît contradictoire pour n’avoir pas la monotone uniformité des êtres de matière qui n’ont qu’une seule action à opérer, qui par conséquent ne reçoivent qu’une seule réaction et laissent passer en vain au-dessus d’eux et autour d’eux toutes les autres réactions qui ne sont point de leur classe inférieure, et dont ils ne s’aperçoivent même pas ; tandis que ce nouvel homme est en butte à la fois à toutes les réactions destructives dont il faut qu’il se défende, et à toutes les réactions régénératrices dont il faut qu’il se laisse pénétrer, auxquelles il faut qu’il corresponde, et dont il faut encore qu’il transmette les fruits et les vertus salutaires à tout le cercle particulier qui le compose.

C’est aussi cette même raison qui rend si variés et si imperceptibles les caractères de tous les écrits qui annoncent le Réparateur, et où tantôt il instruit, tantôt il se voile, tantôt il se lamente, tantôt il se félicite de ses triomphes, tantôt il s’offre comme victime, tantôt il se donne pour exemple à l’homme et aux nations.

L’homme de régénération semble avoir été conçu sous le règne patriarcal, il paraît être au berceau au temps de David, où on lui donne une nourriture proportionnée à son âge ; il paraît être dans l’adolescence sous les prophètes, où sa nourriture devient plus forte et ses mouvements plus déterminés, et il semble être à l’âge viril sous le Réparateur, qui l’affranchit et l’émancipe des entraves de la minorité ; c’est à la mort à le remettre au rang des anciens et des princes du peuple pour en obtenir la vénération et les respects qui sont dus aux sages vieillards.

C’est par cette marche toujours croissante que le Réparateur a développé le cours de ses manifestations sur la terre. La loi et les prophètes ont duré jusqu’à Jean ; depuis ce temps-là le royaume de Dieu est annoncé, et il souffre qu’on le prenne par violence. L’agneau sacré avait été figuré par les sacrifices de l’ancienne loi ; l’ecclésiastique et les prophéties nous l’avaient désigné comme devant rendre la paix à la terre. Jean est le premier qui (comme nous l’avons dit, no 41) ait fait connaître visiblement le Réparateur sous le caractère de l’agneau qui venait ôter les péchés du monde. C’est par sa bouche qu’a passé l’annonce et le signalement des nations.

Ce même Jean dans l’apocalypse nous montre cet agneau sous un rapport encore plus vaste. Il nous le montre immolé depuis le commencement du monde : il nous le montre ouvrant les sept sceaux, siégeant sur le trône de Dieu, célébrant les noces divines, et servant de lampe et de lumière au temple du Seigneur.

Hommes curieux et avides d’intelligence, suivez dans cette chaîne la progression de la miséricorde, et voyez par quelle abondance de paix et de félicités tout doit se terminer ; mais n’oubliez pas que ceux qui auront suivi le modèle dans ses sacrifices, dans ses humiliations, et dans sa pénitence, seront les seuls qui le pourront suivre un jour dans sa gloire. Je ne crains point de vous assurer que c’est dans les Écritures où vous trouverez le guide éclairé qui vous fera parcourir tous les sentiers de ces diverses progressions et toutes les merveilles que ces diverses époques renferment. Mariez donc continuellement vos principes immortels avec les vérités des Écritures saintes, et vous verrez croître dans vous et autour de vous de nombreuses générations.

Vous êtes cet époux muni de tous les avantages de la fortune, puisqu’il a l’oreille et les faveurs de son maître, et l’Écriture est une épouse toujours rayonnante des grâces de la beauté et de la jeunesse. Quelles délices peuvent se comparer à celles qui sont réservées à la tendresse de vos deux cœurs ?

Vous pourrez trouver dans les Écritures ce miroir interne dans lequel nous devrions nous regarder sans cesse ; vous pourrez y trouver le tableau fidèle de ces régions paisibles qui auraient dû être éternellement votre demeure ; vous y trouverez ces sources vives qui, s’accumulant continuellement contre les obstacles que l’iniquité leur oppose, ne peuvent manquer de les renverser et d’en triompher ; vous y trouverez le plus grand secret qui puisse être communiqué à l’homme dans ce bas monde, qui est d’apprendre à ouvrir vos propres facultés à ces vertus bienfaisantes qui vous environnent et vous recherchent à tous les instants, et par-là de parvenir à en être pénétrés plus profondément, plus universellement, de façon que cette union vous devenant habituelle, vous ne sortiez plus de leur sphère, et que vous vous formiez sur la terre une demeure céleste et durable.

Vous y apprendrez comment seront traités un jour vos ennemis, ou cette Babylone, qui selon Isaïe, 47, n’a point eu de miséricorde pour ses captifs, qui a aggravé son joug sur le vieillard, et qui a dit : je dominerai éternellement.... il n’y a personne qui me voie.... Je suis la seule, et après moi il n’y en a point d’autre. Vous y verrez que cette fille des Chaldéens ne sera plus appelée la reine du monde, que les deux maux dont elle se croyait à couvert, la viduité et la stérilité, lui viendront à la fois dans un même jour, qu’elle ne saura point d’où lui viendront tous ces maux. Et on lui dira : « Reste avec tes enchanteurs, avec la multitude de tes maléfices dans lesquels tu t’es exercée dès ta jeunesse, essaye s’ils te serviront à quelque chose et si tu en deviendras plus forte.... qu’ils demeurent et qu’ils te sauvent, ces augures du ciel qui contemplaient les astres, qui supputaient les mois, afin de pouvoir t’annoncer les choses qui devaient t’arriver. Ils sont devenus comme de l’étoupe, le feu les a dévorés, ils ne délivreront point ton esprit des flammes ; ainsi périront tous les arts dans lesquels tu as employé tant de travaux ; ceux qui étaient tes agents dès ta jeunesse ont erré chacun dans leurs voies ; il n’en est pas un qui puisse te sauver. »

Mais vous, hommes de désir, qui suivez les traces du nouvel homme, vous aurez le discernement de préférer aux enchanteurs la voie simple des Écritures qui lie naturellement l’homme à Dieu. Qui pourrait compter sur les faits produits par des opérations forcées ? Ils sont enfantés par la violence, ils doivent disparaître lorsque le règne de la paix vient à se montrer ; mais avant cette époque, il leur faudra un temps pour qu’ils s’effacent et que les opérants puissent rentrer dans la route des fruits naturels. Cette attente sera douloureuse en ce qu’elle tiendra l’homme dans la privation. Heureux encor si ces fruits ne sont que prématurés, et s’ils ne sont pas viciés dans leurs éléments ou piqués des insectes malfaisants !

 

 

53.

 

 Si tu demandes au nouvel homme quand est-ce que tu pourras comme lui goûter les consolations dont il ne cesse de te parler, il te répondra : C’est lorsque tu ouvriras ton oreille aux gémissements de ceux qui soupirent après les sentiers ; les voies de tous ces hommes de désir forment une longue chaîne de sons lugubres et douloureux qui est comme l’annonce des beaux jours d’Israël. Cette longue chaîne, le nouvel homme en a mesuré toute l’étendue ; et cette mesure se trouve dans l’intervalle du sabath, septénaire au sabath huiténaire ou dominical.

Le fils d’Isaïe était le type de ce sabath, non-seulement parce qu’il était le dernier des huit enfants de son père, mais encore parce qu’il prit cinq pierres avec sa fronde et qu’il attaqua et vainquit le géant. Il ne voulait point se servir des armes étrangères, elles embarrassaient sa marche et ses mouvements qui devaient être libres comme ceux de l’esprit et de la sainteté.

Hommes de désir, dites donc sans cesse avec le nouvel homme : Seigneur, quelle est la parole dont les sons s’élèvent jusqu’à toi ; c’est celle que tu réveilles dans l’homme en descendant jusqu’au fond de son être : tu frappes et tu t’insinues jusques dans les bases de son temple, et tu fais sortir de lui des cris de louange, des cris de jubilation ou des cris de douleur, selon les substances qu’il a laissé s’accumuler ou se développer en lui, et qui se présentent à ton action.

Hélas, il faut auparavant que ton feu dessèche le fleuve des paroles mortes et sans vie ! ce fleuve coule sur un lit pestilentiel, dont il dérobe le fond à nos yeux et qui n’en devient par là que plus funeste. Il coule sur le lit des paroles mortelles et dont les sons ne se propagent que dans une direction opposée à celle de la vérité.

Pourquoi les eaux du fleuve des paroles mortes n’absorbent-elles pas au moins les vapeurs des paroles mortelles ? C’est qu’il s’en laisse infecter lui-même, et il répand ensuite cette infection dans l’atmosphère ; et c’est dans ce triste et malheureux séjour d’horreur et de disette que l’homme est néanmoins tenu de payer les rétributions légitimes qui sont dues à son souverain.

Mais, remplissez vous de confiance, vous tous hommes de l’esprit, songez que celui qui a bien voulu régénérer le nouvel homme a payé lui-même cette rétribution au prince, et qu’il l’a payée pour tous ceux qui s’unissent à lui dans l’esprit de justice et d’équité dont il a donné l’exemple. N’a-t-il pas dit à ses disciples : Allez-vous-en à la mer et jetez votre ligne ; et le premier poisson qui s’y prendra, tirez-le et lui ouvrez la bouche, vous y trouverez une pièce d’argent de quatre drachmes, que vous prendrez et que vous leur donnerez pour vous et pour moi ?

Quelle était cette mer ? C’est cet abîme dans lequel le crime primitif nous a tous plongés. Quelle était cette ligne qui s’y devait jeter ? C’est ce rayon de miséricorde et d’amour que la main du pêcheur n’a pas craint, du haut de son siège éternel, de faire descendre jusques dans cette mer si distante de lui et si ténébreuse. Quel était ce premier poisson qui s’y devait prendre ? C’était ce vieil homme qui tenait renfermé dans ses entrailles le seul trésor avec lequel nous pouvons payer l’imposition. Quelle est cette pièce d’argent de quatre drachmes qui devait se trouver dans la bouche de ce poisson ? C’est cette parole éternelle dont le quaternaire de l’homme est l’image ; c’est cette parole qui seule pouvait régénérer la nôtre, et qui seule pouvait payer pour elle comme pour nous, à César, ce qui était dû à César.

Homme de paix, voilà sur quoi doit reposer votre confiance. La drachme est retrouvée, ne vous séparez point de celui qui la fait sortir du fond de la mer, et vous serez toujours prêts à vous acquitter, parce qu’il a rendu la valeur et la vie à ce qui était mort et sans vertu en vous. Le nouvel homme a aussi retrouvé cette drachme, il a saisi avidement la ligne qui se présentait, il est sorti du fond de l’abîme, il a satisfait aux droits de la justice, n’hésitez point à suivre son exemple.

Mais ne faites pas ensuite comme tant de malheureux qui ont laissé effacer les signes de cette drachme par les pouvoirs de la lime tranchante ; leur numéraire ne porte plus l’effigie du prince. Ce numéraire ne peut plus circuler, il laisse l’homme dans la disette la plus affreuse ; cherchez au moins s’il ne vous reste pas quelques moyens d’échapper à la mort. Écoutez.

L’effigie du prince est effacée, et votre numéraire est sans valeur ; mais le métal ne demeure-t-il pas encore ? Confiez-le à l’habile artisan chargé par le souverain de rendre à ce numéraire tout son prix. De nouveau il imprimera dessus l’effigie du prince, et vous pourrez en son nom vous procurer votre subsistance et acquitter les légitimes impositions de l’État.

Vous pouvez abréger cette œuvre pendant votre vie terrestre ; après qu’elle sera terminée, vous serez obligés d’attendre et de subir toute la longueur du décret pour que dans vous le mort ou le numéraire reprenne sa vie, son caractère, et sa valeur.

Il est une eau féconde qui peut vous aider à prévenir ces malheurs. Cette eau est cachée dans votre terre, il vous faut creuser profondément pour la découvrir ; mais elle vous dédommagera de vos peines. Cette eau n’est point corrosive comme celle du vaste océan ; elle n’est point fade et insipide comme les eaux des fleuves qui roulent sur votre globe ; elle est plus limpide que l’éther, plus douce que le miel, plus active que les eaux les plus spiritueuses, enfin elle est plus inflammable que le souffre et l’huile.

Par sa limpidité elle laisse passer en elle une immense quantité de rayons de lumière qui rapprochent de vous les objets les plus éloignés et vous éclairent sur la nature et la destination de tout ce qui vous environne. Par sa douceur, elle vous communique des affections si délicieuses que vous ne trouvez rien sur la terre qui puisse vous en procurer de semblables. Par son activité elle brise en vous les humeurs les plus épaisses et leur rend cette libre circulation sans laquelle vos jours ne peuvent vous promettre aucune durée ; enfin par sa propriété inflammable, elle peut, dans l’instant, porter le feu à la fois dans tout votre être, et mettre en jeu toutes vos facultés spirituelles et tous les organes de ces facultés.

Mais ce n’est point à votre enceinte particulière et individuelle que se bornent les propriétés de cette eau si féconde ; elle peut, par sa qualité inflammable, communiquer son feu à toutes les régions supérieures, parce que cette même eau s’y trouve avec encore plus d’abondance ; quand cette ineffable union s’opère, c’est alors que la clarté deviendrait trop éblouissante pour des yeux qui n’y seraient pas préparés, parce que cette clarté devient sept fois plus grande que quand elle ne se montrait que dans vous et autour de vous, selon cette prophétie d’Isaïe (30 : 26) : La lumière de la lune deviendra comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus grande, comme serait la lumière de sept jours ensemble, lorsque le Seigneur aura bandé la plaie de son peuple et qu’il aura guéri la blessure qu’il avait reçue.

Allez donc creuser soigneusement votre terre puisqu’elle renferme cette eau précieuse qui doit vous procurer de si grands avantages, car elle est aussi la drachme qui peut faire de chacun de vous un nouvel homme.

Mais si elle a le pouvoir de vous ouvrir les yeux sur les objets qui sont en vous, sur ceux qui sont autour de vous, sur ceux qui sont au-dessus de vous, elle a aussi le pouvoir de vous les ouvrir sur les objets qui sont au-dessous de vous ; et c’est-là où la douleur s’empare du cœur du nouvel homme.

Hommes de Dieu, consolez-moi, consolez-moi, mon cœur est gonflé d’affliction, consolez-moi, il est plein de douleurs comme le cœur des prophètes ; car il embrasse la vaste étendue du crime, et les abymes s’entrouvrent devant moi. J’y vois les victimes qui y sont immolées journellement sur l’autel de l’iniquité ; j’y vois ces infâmes sacrificateurs égorger eux-mêmes les victimes malheureuses qu’ils ont séduites sous l’appas des plus grands triomphes et des plus douces consolations. J’y vois les satellites de ces sacrificateurs parcourir tous les sentiers de la terre pour surprendre de nouvelles proies et les entraîner dans la caverne du lion féroce, et je ne vois personne qui les défende et qui les arrache à la mort. Hommes de Dieu, que ce soient vos pleurs qui coulent dans toutes mes veines en place de mon sang. Donnez-moi votre force, et j’irai prendre tous ces prophètes de mensonge qui s’emparent de l’esprit des rois d’Israël, et comme Élie sacrifia les faux prophètes de Baal et d’Astarté, je les précipiterai dans le torrent de Cison. Je foulerai aux pieds les habitants d’Édom, je les foulerai comme dans un pressoir, et leur sang rejaillira sur mes vêtements, et rougira les bords de ma robe. Isaïe 63.

Princes du mensonge, lorsque le prophète entre en fureur pour la gloire et le service de son maître, vous dites qu’il est insensé. Comment le prophète garderait-il son sang-froid, son calme, et sa raison quand son cœur est déchiré par des angoisses qui s’accumulent et se gonflent en lui comme un torrent ? Mais le délire du prophète déconcerte la sagesse des princes du mensonge ; ils ne peuvent s’attirer son hommage ; ils ne peuvent lui faire offrir l’encens à leurs projets ambitieux, et ils se retirent remplis de rage et de confusion.

 

 

54.

 

Le nouvel homme est semblable à un arbre sur lequel la colombe vient se reposer avec joie, après avoir volé jusqu’à épuiser ses forces pour aller chercher la nourriture à ses petits. Le nouvel homme est encore semblable à la trompette que l’on fait sonner dans les places et sur les tours élevées pour appeler le peuple à la prière ; parce que le nouvel homme est le lieu de repos de la vérité, et qu’il est chargé d’appeler journellement son propre peuple au sacrifice ; il est chargé de l’entretien de tous les canaux de la ville, et de veiller à ce que les eaux vives puissent y circuler librement ; et il est chargé d’avertir ses concitoyens que la ville qu’il habitent est une ville sainte, et dans laquelle on ne souffre aucun mendiant sans aveu, aucun lâche, aucun paresseux, parce qu’il n’est personne qui ne puisse s’y procurer légitimement et abondamment sa subsistance ; car si l’un de ces habitants ne se croit pas les forces nécessaires pour suffire seul à remplir sa tâche et à subvenir à ses besoins, il peut s’adresser à l’un de ses frères, il peut s’unir avec lui, et cette union ne lui laissera rien à désirer puisqu’il est écrit : Je vous dis encore que si deux d’entre vous s’unissent sur la terre, quelque chose qu’ils demandent, elle leur sera accordée par mon père qui est dans le ciel.

Or si l’homme n’a pas besoin de chercher plus loin que lui-même pour trouver la ville sainte avec ses habitants, à plus forte raison pourra-t-il trouver dans lui-même ce second, ce concitoyen avec lequel il peut s’unir au nom du Seigneur, pour lui demander tout ce dont son esprit peut éprouver la disette et le besoin. Souvent même cette seule réunion leur procurera des secours inattendus et dont ils seront tous surpris. Ainsi lorsque leur barque sera agitée par un grand vent, le Réparateur marchera près d’eux sur la mer, et dans leur frayeur il leur dira : c’est moi, ne craignez point ; qu’alors ils le prennent seulement dans leur barque, et la barque se trouvera tout de suite au lieu où ils désireront d’aller.

Ce n’est que l’homme menteur et lâche qui craint de se lancer sur la plage pour se rendre aux régions éloignées ; il se dit : la mer est si grosse ! les vents la tourmentent si fort ! elle est remplie de tant d’écueils ! Irai-je risquer de faire naufrage et de m’engloutir ? Irai-je risquer d’être battu par la tempête, au point d’être obligé de me réfugier dans quelque port ennemi ? Non, j’attendrai prudemment que les vents se calment ; je resterai à l’ancre jusqu’à ce que le temps me permette d’espérer une navigation favorable.

Cœur de l’homme, c’est toi qui es toi-même cette mer orageuse et couverte des débris de tous les naufrages que les navigateurs ont faits depuis le commencement. Combien de richesses n’as-tu pas englouties dans ton sein ! Combien d’hommes de désir n’ont-ils pas trouvé en toi leur sépulcre, au lieu d’y trouver un hospice et un lieu de consolation ! Combien d’animaux voraces ne se promènent-ils pas sans cesse dans tes parages pour attendre leur proie ? Oui, tant que tu n’offriras au vaisseau qu’un élément aussi perfide et qu’une destinée aussi funeste, il fera mieux de rester à l’ancre que de s’exposer à une perte certaine.

Cœur de l’homme, rends donc la mer plus calme et plus sûre ; détruis tous ces écueils dont elle est semée, et hâte-toi de lancer le vaisseau et de déployer toutes ses voiles, car les nations étrangères attendent impatiemment son arrivée pour avoir leur subsistance, et c’est toi qui les tiens dans la disette et dans la misère.

Mais l’homme ne s’est pas contenté de s’effrayer de l’entreprise ; il a négligé même de lever l’ancre lorsque les vents étaient les plus favorables, et il est resté dans l’insouciance sur l’indigence des autres peuples et sur celle dont il était menacé lui-même s’il ne remplissait pas sa mission.

Combien de fois, esclave malheureux et chargé de chaînes, combien de fois n’a-t-on pas mis à ta portée une lime éprouvée avec laquelle tu aurais pu rompre tes fers et rentrer dans les régions de la liberté pour y être utile à ta patrie ! Au lieu de profiter de ce secours, tu t’es uniquement occupé à mesurer toutes les dimensions de tes chaînes, à te faire de soigneuses et savantes descriptions des métaux qui les composaient, et à tellement te remplir de ces séduisantes analyses que tu as cessé de croire que tu eusses d’autre emploi, et peut-être même que tu as cessé de croire que tu fusses esclave.

Détourne-toi de ces occupations qui t’abusent. Prends la lime quand on te la présente, ne diffère pas un instant à t’en servir, quand tu ne limerais chaque jour qu’une ligne de tes chaînes, cela te serait plus profitable que de les décrire.

Qu’a fait le nouvel homme ? Il ne s’est pas levé un seul jour que ce ne fût avec le désir et la résolution d’élever un autel à une vertu, et de lui offrir assidûment des sacrifices, jusqu’à ce qu’il eût reçu d’elle les témoignages de son intérêt pour lui ; il ne s’en est pas tenu même à ces témoignages, il a persévéré dans ses assiduités jusqu’à ce que cette vertu fût, pour ainsi dire, identifiée avec lui, et que lui-même fût comme naturalisé et marié avec elle. C’est par là qu’il a fait germer en lui les fruits vivants de la vérité, de la miséricorde, et de la justice, et qu’il a établi dans le centre de son être la consommation de la sanctification et de la liberté.

Car il n’a point désespéré de voir couronner ses travaux, et dès qu’il s’apercevait qu’il lui manquait une vertu, il se mettait en œuvre pour s’en procurer la possession ; comme un homme qui s’aperçoit qu’il s’est fait une ouverture à sa maison n’a point de repos que cette brèche ne soit fermée ; c’est-à-dire, qu’il ne s’est occupé qu’à rebâtir cette ancienne maison que nous occupions autrefois, et dont l’enceinte était formée par les vertus de l’esprit et du nom du Seigneur, ce qui nous maintenait à couvert de toutes les entreprises de nos ennemis. C’est aussi parce que nous occupions autrefois cette enceinte formée par les vertus de l’esprit et du nom du Seigneur que nous étions assez spiritualisés pour être chacun un des signes du Seigneur ; parce que tous les rayons de l’esprit et du nom du Seigneur se réunissaient sur nous et nous faisaient réfléchir son image.

Telle est encore notre loi malgré notre chute, et telle serait encore notre espérance si, comme le nouvel homme, nous ne nous levions pas un seul jour sans que ce fût dans le désir et la résolution d’élever un autel à une vertu, et de ne point abandonner l’œuvre jusqu’à ce que cet autel fût consacré et que les cérémonies saintes y fussent en pleine activité.

Mais l’adversaire, par les conseils de qui nous sommes tombés de ce poste sublime, n’oublie rien de ce qui peut nous empêcher d’y remonter et de nous spiritualiser d’une manière assez caractéristique pour devenir un des signes du Seigneur. Aussi voyons-nous que la tâche la plus consolante de cet adversaire est de s’opposer à ce que les hommes deviennent des indices constants et significatifs de la vérité ; et il a soin que cette région illusoire sur laquelle il règne n’ait pour caractère dominant que le vague, l’incertitude, et le néant. Bien plus, il s’efforce encore davantage de transformer tous les hommes en autant de signes caractéristiques du mensonge, des ténèbres, et de l’iniquité.

Car combien de signes altérés, trompeurs, et abominables se sont emparés de l’homme ! Combien de puissances fausses pensent en lui, pensent pour lui, le font penser malgré lui ! Combien de puissances fausses parlent en lui, parlent pour lui, et le font parler malgré lui ! Combien de puissances fausses agissent en lui, agissent pour lui, et le font agir malgré lui ! Et voilà pourtant cet être dans qui la Divinité devait passer toute entière, et dont il devait être à la fois la pensée, la parole, et l’opération ; voilà cet être qui est la pierre fondamentale sur laquelle le Seigneur a dit qu’il voulait bâtir son église ; voilà cet être qui, à l’imitation du Réparateur dont il est le frère, pouvait dire comme lui : Je suis la lumière du monde. (Jean 8 : 12.)

Au lieu de remplir une aussi noble destination, son esprit, son cœur, son âme, toute sa personne est continuellement l’organe et l’esclave des signes étrangers qui dirigent tous ses mouvements. Il est comme ces rois dont toutes les facultés se sont concentrées et affaissées, et qui ne sont plus susceptibles que d’être le jouet perpétuel des opinions de leurs ministres passionnés.

Malheureux mortel, n’oublie donc plus que la Divinité doit passer en toi toute entière ; avant ton crime, elle n’y aurait passé qu’avec gloire, au lieu qu’aujourd’hui elle n’y peut passer qu’avec humiliation. Apprends à reconnaître au moins, par là, la grandeur de ton origine et de tes droits ; apprends à reconnaître ce que tu vaux, en considérant que le Dieu s’est rendu ton fils afin de devenir ton père une seconde fois. Apprends à reconnaître la dignité et la sainteté de tes alliances, et si tu n’es pas assez plein de respect pour toi-même, pour ne point t’égarer des sentiers de la justice, rentres-y promptement par honneur et par vénération pour ceux à qui tu appartiens.

Tâche de redevenir un des signes du Seigneur, ne fût-ce que de percer les murs de ta maison, comme Ézéchiel, et de te faire porter comme lui la face couverte, pour l’instruction du roi et de ton peuple prévaricateur. Peut-être ce signe sauverait-il quelques âmes. Et quand même il n’en sauverait aucune, tu recevrais toujours la récompense due au fidèle serviteur qui a cherché la gloire de son maître.

Au moins songe à ta propre sûreté. Persuade-toi qu’un vaste et subit incendie vient de prendre à ta demeure, songe que cet incendie doit durer jusqu’à ce qu’il ne reste plus le moindre vestige de ton habitation ; puisqu’elle a été bâtie par le même feu qui la brûle. Fais alors ce qui se pratique dans les incendies des édifices bâtis par la main des hommes ; ils jettent promptement leurs meubles dehors ; ils prennent leurs bijoux, leur or, leurs titres importants pour prévenir la misère qui les menace.

Jette donc ainsi dehors avec vigilance et célérité tes trésors les plus précieux, de peur qu’ils ne deviennent la proie des flammes. Ne perds pas un seul instant ; la maison va s’écrouler, elle peut t’écraser, ou le feu peut te fermer tellement les issues que tu n’aies plus aucun moyen d’échapper. C’est-là le moment de déployer ton intelligence et ton courage ; et ce moment doit durer pendant toute ta vie terrestre, puisque l’incendie ne doit cesser que lorsque le feu aura consumé jusqu’aux derniers matériaux de l’édifice.

 

 

55.

 

Objets mensongers, puissances illusoires, puissances destructives, en vain vous réunirez vos efforts contre le nouvel homme ; sa pensée croîtra malgré vous ; sa vertu ne sera point sujette à décliner et à le détruire, comme celle de tous les êtres composés ; elle suivra la ligne de l’infini. C’est quand notre pensée a descendu par le crime qu’elle a rencontré des bornes. C’est là où la ligne de l’infini s’est trouvée rompue. Heureuses bornes dans notre infortune ! heureuse rupture ! Amour, c’est par là que tu as abrégé notre séjour dans l’abîme. Toutes les régions de l’univers ne sont-elles pas contiguës ? L’arbre qui a le pied caché dans la terre participe, par ses rameaux, à toutes les actions de l’atmosphère. La pensée de l’homme ensevelie dans les ténèbres de son corps, pourquoi ne participerait-elle pas à toutes les actions de son atmosphère céleste ?

Tristes rejetions de la postérité humaine, vous êtes tous solidaires. Les douleurs de vos frères ne sauraient vous être étrangères. S’ils sont dans l’atmosphère corrompue, leurs influences doivent se communiquer jusqu’à votre demeure ; et vous avez alors la double tâche de vous défendre de la corruption et de poursuivre votre croissance.

Où sont-ils ceux qui, du sein même de leur prison, ont obtenu de pouvoir purifier l’atmosphère et rendre la santé à leurs frères ? Où sont ceux qui ont les yeux ouverts sur l’abîme, et que la prière y plonge pour en arracher les malheureux ?

Consolez-vous, hommes de paix, vous n’êtes pas non plus séparés de ceux de vos frères qui habitent une atmosphère pure ; la mort ne sépare que le méchant ; c’est à lui à attendre que l’on vienne lui apporter des secours ; parce qu’en lui ôtant son enveloppe de mensonge, on lui a ôté ce qui était tout pour lui. Souvenez-vous de la parabole du mauvais riche ; il aurait désiré que Lazare eût pu seulement tremper son doigt dans ses abîmes, pour en tempérer l’ardeur dévorante, et cette consolation lui est refusée. Mais l’homme juste n’est jamais un instant sans que le doigt de Dieu ne se trempe dans son atmosphère ; aussi, tel que l’épi au milieu du champ, il voit sans sourciller la faux du moissonneur tout renverser autour de lui, et s’approcher pour le renverser à son tour ; il sait qu’en quittant cette terre il entre dans l’atmosphère de la pureté, et que là, des yeux plus perçants encore que ceux de l’impie le visiteront avec vigilance pour le préserver et l’aider à son insu.

L’enfant au berceau ne connaît pas la main qui le soigne et le sein qui l’allaite. Malgré sa faiblesse et son ignorance, il n’est point abandonné, il ne manque de rien. Pourrions-nous être plus abandonnés que lui ? Il ne repousse point la main qui le soigne ni le sein qui l’allaite ; nous n’avons pas besoin d’une autre science que la sienne. Voilà pourquoi il est écrit : « Si vous ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux ; quiconque s’humiliera et se rendra petit comme cet enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux, et quiconque reçoit en mon nom un enfant tel que je viens de dire, c’est moi-même qu’il reçoit. »

C’est pour cela que le nouvel homme, plongé sans cesse dans son humilité profonde, dira avec David, psaume 43 : 16 : « J’ai devant les yeux ma confusion tout le jour ; et la honte qui paraît sur mon visage me couvre entièrement.... Notre âme est humiliée jusqu’à la poussière, et notre ventre est comme collé à la terre. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous pour la gloire de votre nom. »

Il lui dira dans sa sainte confiance : « Seigneur, ne permettez pas que vos ennemis nous traitent comme ils ont traité autrefois la ville de Sion ; cette ville qu’ils appelaient la répudiée et dont ils disaient : est-ce là cette Sion qui n’a plus personne qui la recherche ? » (Jérémie 30 : 17.) Vous disiez au peuple choisi : « Mais un jour tous ceux qui vous dévorent seront dévorés ; tous vos ennemis seront emmenés captifs, ceux qui vous détruisent seront détruits ; et j’abandonnerai au pillage tous ceux qui vous pillent. » Si vous avez promis de traiter favorablement votre peuple et son temple qui n’étaient à vos yeux qu’un peuple temporel et qu’un temple figuratif ; si vous avez promis de faire revenir les captifs qui habitaient dans les tentes de Jacob, et d’avoir compassion de ses maisons ; si vous avez dit : la ville sera rebâtie sur sa montagne, et le temple sera fondé de nouveau comme il était auparavant, quel espoir ne doit donc point avoir l’âme de l’homme qui est votre véritable peuple et votre véritable temple ?... Aussi j’attendrai sans inquiétude et rempli de foi comme David (ps. 44 : 4) que vous qui êtes le très-puissant, vous ceigniez votre épée sur votre cuisse, que vous vous signaliez par votre gloire et votre majesté.

Il lui dira : je ne doute point que vous ne mettiez en consécration l’opération et les œuvres de mes mains, et que mes mains ne deviennent comme gonflées par l’abondance de la justice, et par le zèle de votre service ; je ne doute point que vous ne mettiez en consécration l’opération intérieure de mon désir et de mon amour, et qu’ils ne deviennent semblables à votre désir et à votre amour. Je ne doute point que vous ne mettiez en consécration mon intelligence et ma conception, et que vous ne les rendiez propres à recevoir dans leur pureté les vifs rayons de votre lumière et de votre vérité, parce que vous avez fait l’âme de l’homme pour être votre voie et votre organe ; et que, toute souillée et toute impure qu’elle peut être, vous ne dédaignez pas de vous plonger dans ses souillures pour la purifier, et afin qu’après avoir passé en elle dans votre humiliation et votre souffrance, vous y passiez dans votre joie et dans votre gloire.

Et vous, hommes aveugles, hommes égarés, s’il vous restait le moindre vestige de sentiment sur la nature de votre être et sur sa destination, ne verseriez-vous pas des larmes de sang sur vos insensibilités passées ? Ne seriez-vous pas tourmentés de la honte d’avoir accumulé dans la voie du Seigneur tant de décombres et tant de puissants obstacles, et ne seriez-vous pas pressés du désir d’épargner au Seigneur ces terribles et violentes épreuves auxquelles vous avez exposé son amour ?

Voilà ces puissances illusoires, ces puissances destructives dont le nouvel homme s’est séparé, et dont vous devez vous séparer comme lui, si vous voulez comme lui devenir les serviteurs et les amis du Seigneur, au lieu de devenir ses adversaires. Prêtez-vous à l’action divine ; elle ne vous demande que de ne pas vous opposer à elle, et pour ce simple abandon de votre part, elle va se livrer à vous toute entière et laisser en vous des témoignages vivants de son zèle. Elle va s’étendre dans tous les canaux de votre être et se mouvoir dans votre esprit, comme la nature se meut dans votre être passager et sensible.

C’est ce mouvement de l’action divine qui a préparé la naissance du nouvel homme, et c’est aussi ce mouvement de l’action divine qui l’a opérée ; puisqu’il n’y a rien dans l’ordre des choses de l’esprit où le mouvement de l’action divine ne doive présider. Cette naissance du nouvel homme a été pour lui, comme ce jour qu’Abraham désira voir avec ardeur, qu’il eut le bonheur de voir, et dont il se réjouit (Jean 8 : 56), et c’est-là aussi ce que signifiait cette parole du Réparateur à ses disciples (Luc 10 : 14) : Je vous déclare que beaucoup de prophètes et de rois ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l’ont point vu, d’entendre ce que vous entendez et ne l’ont point entendu. Car de même que nul ne connaît qui est le fils que le père, ni qui est le père que le fils ; de même, nul ne connaît qui est le nouvel homme que l’action divine, ni qui est l’action divine que le nouvel homme, ou celui à qui il a donné le pouvoir de le révéler.

En effet, cette action divine et le nouvel homme tout unis par les liens les plus indissolubles, il ne peut rien sans elle, puisqu’elle est la plénitude universelle, mais elle ne peut rien sans lui puisqu’il est son agent de prédilection ; c’est pourquoi il peut dire : Mon père ma remis toutes choses entre les mains. Mais s’il se réjouit de ce que son père lui a mis toutes choses entre les mains, c’est moins parce que tous les esprits lui sont soumis par là que parce que son nom est écrit dans le livre de vie. C’est parce que quiconque l’écoutera, écoutera son père ; c’est parce que telle est l’ardeur de son zèle pour la gloire de son père céleste, qu’il n’aperçoit aucune perspective plus consolante que celle de manifester les merveilles de ce père céleste qui l’a engendré et qui l’engendre continuellement. Aussi au seul éclat de la lumière dont brille ce nouvel homme, la mort et le néant s’enfuiront dans leurs ténèbres.

C’est alors qu’il expliquera le nom du Seigneur en en faisant éclater les merveilles. Car, ces merveilles se sont concentrées dans le nom du Seigneur depuis le moment fatal où s’est opérée la concentration universelle ; mais le nom du Seigneur ainsi concentré a été remis entre les mains du nouvel homme afin qu’il l’ouvrît, qu’il en répandît les parfums dans les régions préparées à les recevoir, et que par le développement de ce nom il détruisît les barrières du crime, pour y substituer l’ordre, la mesure, et la perfection.

Ce nouvel homme a aussi le pouvoir d’expliquer le nom du Réparateur puisqu’il ne peut expliquer le nom du père sans expliquer le nom du fils ; aussi en ouvrant ce nom il versera les consolations dans tout son être et dans sa propre terre, comme ce nom a versé les consolations dans la terre universelle.

Le nouvel homme expliquera aussi le nom de l’esprit, puisqu’il ne peut expliquer le nom du père et le nom du Réparateur sans expliquer le nom de celui qui est leur véritable et essentielle opération ; et c’est par l’explication de ce triple nom qu’il se rendra le fidèle serviteur du Seigneur, parce qu’il ne s’appliquera jamais à l’explication active de ce triple nom, sans être saisi d’une sainte frayeur que les canaux de son être ne soient pas assez purifiés pour que la vérité passe en lui sans y éprouver de la gêne et de la douleur.

 

 

56.

 

Voici le tableau des degrés par lesquels le nouvel homme peut monter sur le trône de la gloire ; son être corporel est maintenu en activité et en harmonie par les éléments, les éléments sont opérés par leurs puissances, leurs puissances sont dirigées par les esprits des régions, les esprits des régions sont excités à leur œuvre par l’âme sensible et désirante du nouvel homme, son âme sensible et désirante est activée par l’esprit saint. Là l’âme divine du nouvel homme reçoit une pétulante impulsion qui est l’aiguillon de feu et de vérité ; de là elle arrive au respect et à l’amour du fils, d’où elle s’élève à la sainte terreur du père qui la tient toute entière dans la sagesse, le zèle, et la vigilante opération, jusqu’à ce qu’elle soit réintégrée dans l’unité non-subdivise, où elle ne connaîtra que l’amour qui est le caractère essentiel et universel de celui qui est Dieu.

Le nouvel homme ne monte ces degrés que dans un tremblement continuel, parce qu’il sait que le feu de l’esprit peut enflammer jusqu’à nos mauvaises substances, et que par conséquent rien n’est comparable aux précautions que nous devons prendre pour ne pas faire entrer Dieu en nous sans avoir mis hors de nous toutes ces substances fausses et susceptibles de s’enflammer pour notre destruction, au lieu de s’enflammer pour notre véritable perfectionnement. D’ailleurs s’il n’en résulte pas toujours un si funeste embrasement, il en peut résulter au moins un terrible danger ; celui de ne pas recevoir l’action de l’esprit en nous dans son abondance et dans sa plénitude. Si vous voulez être parfait, disait le Réparateur au jeune homme de l’Évangile, allez, vendez ce que vous avez, et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et me suivez.

Ces mots tombent en effet sur toutes les substances étrangères à notre être que nous devons vendre si nous voulons être parfaits, c’est-à-dire, si nous voulons que l’esprit circule en nous dans sa plénitude et dans sa parfaite abondance ; et alors sans sortir même de ce monde, nous avons un trésor dans les cieux, ou plutôt les cieux apportent eux-mêmes leurs trésors en nous, et nous font part de leurs vivantes richesses, en nous faisant éprouver continuellement leur stimulante activité.

Heureux celui qui mangera du pain dans le royaume de Dieu !disait un de ceux qui se trouvaient un jour à table avec le Réparateur : Luc 14 : 15. Mais que lui dit le Réparateur pour lui montrer combien peu d’hommes savaient non-seulement chercher l’esprit dans sa plénitude, mais même le laisser entrer en eux quand il se présentait, et vendre ce qu’ils avaient pour lui faire place ? Il lui rapporte la parabole du festin et du grand souper auquel un homme avait invité plusieurs personnes ; il lui rapporte comment toutes ces personnes s’excusèrent sous divers prétextes, l’un pour une maison qu’il vient d’acheter, l’autre pour une femme qu’il vient d’épouser, etc. Il lui rapporte comment il dit à son serviteur de faire entrer alors les pauvres, les estropiés, les aveugles, et même tous ceux qu’il rencontrera dans les chemins et le long des haies, parce qu’il veut que sa maison soit pleine.

Il va même une autre fois jusqu’à louer l’industrie des enfants des hommes à la honte des enfants de lumière, qui ne savent pas, comme eux, mettre leurs richesses à profit et s’en faire des amis pour les temps de détresse. Car si cet économe était coupable par ses injustices, il était remarquable par son adresse et par son industrie ; et c’était-là tout ce que le Réparateur cherchait à réveiller dans l’esprit des hommes, afin qu’après avoir fait usage des dons qui étaient à leur disposition, il leur en fût confié de plus considérables.

Il nous donnait même par là une instruction lumineuse sur la conduite que l’ennemi tient généralement envers tous les hommes ; il s’est rendu l’économe de nos facultés, et au lieu de diriger son administration au profit et à l’utilité du maître, il ne songe qu’à la sienne propre. Lors donc qu’il prévoit que le maître va lui faire rendre ses comptes et le chasser de son poste, il cherche à se ménager des personnes qui le reçoivent chez elles. Il fait venir chacun des débiteurs qui sont en nous ; il dit au premier : « Combien devez-vous au maître ? Cent barils d’huile ? Reprenez votre obligation, asseyez-vous là, et faites-en vitement une de cinquante. » Il dit à un autre : « Combien devez-vous ? Cent mesures de froment ? Reprenez votre obligation, et faites en une de quatre-vingt. »

C’est ainsi que cet industrieux ennemi se conduit avec nous, cherchant à diminuer nos dettes à nos propres yeux, cherchant à diminuer notre confiance par des bienfaits injustes et par une criminelle indulgence, et à nous lier à lui par notre faiblesse et par l’art avec lequel il a soin d’atténuer nos obligations. Mais si la justice est imprescriptible, ni lui ni nous ne pourrons jamais frauder les droits du maître ; et d’après les paroles de ce maître, il est plus aisé que le ciel et la terre passent que non pas qu’une seule lettre de la loi manque d’avoir son effet. (Luc 16 : 17.)

Aussi on nous dira : Malheur à vous, pharisiens, qui ressemblez à des sépulcres qui ne paraissent point, et que les hommes qui marchent dessus ne connaissent point. Parce que si nous écoutons l’ennemi, il aura soin de nous faire tenir net le dehors de la coupe et du plat, tandis que le dedans de nos cœurs sera plein de rapine et d’iniquité. On nous dira : Malheur à vous, docteurs de la loi, qui chargez les hommes de fardeaux insupportables, et qui ne voudriez pas les avoir touchés du bout du doigt. Parce que plus mauvais que ce serviteur à qui le maître avait remis sa dette et qui, sortant de là, étrangle son débiteur pour s’en faire payer, nous aurons eu l’injustice de nous payer nous-même de ce qui ne nous était pas dû, et que nous n’aurons point payé ce que nous devions.

On nous dira : Malheur à vous qui bâtissez des tombeaux aux prophètes, et ce sont vos pères qui les ont tués ; ainsi vous témoignez assez que vous consentez à ce qu’ont fait vos pères, puisqu’ils ont tué les prophètes et que vous leur bâtissez des tombeaux. Parce que nous aurons servi nous-même de tombeaux à ces prophètes, étouffant la voix qu’ils ne cessent de nous faire entendre, et que même nous leur aurons servi d’assassins et de meurtriers.

On nous dira : Malheur à vous qui vous êtes saisi de la clef de la science, et qui n’y étant point entrés vous-même, l’avez encore fermée à ceux qui voulaient y entrer. Parce que semblables aux faux docteurs, nous aurons couru par mer et par terre pour chercher en nous des approbateurs, sous prétexte d’y chercher des prosélytes, et que quand nous les aurons trouvés, nous les rendrons cent fois plus coupables qu’auparavant ; et parce que non-seulement nous ne serons point entrés avec eux dans l’esprit de vérité, mais encore nous l’aurons empêché d’entrer en nous, malgré toutes les sollicitations que nous ne cessons d’en recevoir de sa part.

Nouvel homme, nouvel homme, viens dissiper ces sombres nuages ; nous t’avons vu tout à l’heure expliquer le nom du père, expliquer le nom du fils, expliquer le nom de l’esprit, c’est-à-dire développer activement toutes les merveilles renfermées dans ces riches trésors. Pour quelle raison nous as-tu expliqué ou développé tous ces trésors ? C’est que ces trésors se sont eux-mêmes expliqués ou développés sur toi ; c’est qu’ils ont fait briller sur ta tête le signe éclatant de leur lumière, et qu’ils ont embrasé de leur feu tout ton être ; c’est qu’ils ont expliqué et développé le germe sacré qui te constitue, et qu’ils ont rendu la voix à cette pierre fondamentale qui est en toi et sur laquelle l’éternel Dieu des êtres a promis de fonder son Église ; c’est qu’ils ont rendu la voix à tout ce qui te compose, afin que tout ce qui te compose pût célébrer la gloire du Seigneur, à l’image de la créature universelle qui dans chacun de ses mouvements, à chacun des actes de son existence, manifeste la puissance et la glorieuse domination de l’éternel souverain des êtres.

Qui est ce qui pourrait soutenir la vue de la majesté de l’homme s’il se montrait ainsi expliqué et développé par l’active influence des puissants trésors dont il est né pour être la fidèle expression et dont il est sans cesse environné ! Qui est-ce qui pourrait soutenir l’éclat de la majesté du Dieu qui serait en lui et qui le rendrait comme une parole universelle se promenant perpétuellement depuis l’orient jusqu’à l’occident, et depuis l’occident jusqu’à l’orient, afin que tout soit plein au nom du Seigneur, et que tous les sentiers de la vie et de la justice soient sans cesse éclairés de la lumière et de la vérité, dans la crainte que ceux qui s’y présenteraient pour y marcher ne fussent exposés aux pièges et aux embûches de l’ennemi qui ne tend qu’à retarder les pas de l’armée d’Israël vers la cité sainte ?

N’oublions plus que telle est la tâche de la postérité humaine, et que c’est pour cela que le nouvel homme s’appelle aussi le fils de Dieu. Car, il a fallu pour qu’il devînt un nouvel homme que les puissances suprêmes se rassemblassent, se concentrassent dans leur force et dans leur unité, et qu’elles se résolussent à prononcer hautement leur nom sur lui.

Oui, Seigneur, c’est en prononçant votre nom sur l’homme de désir que vous renouvelez tout son être, et c’est en prononçant votre nom sur lui que vous le rendez de nouveau votre image, votre ressemblance, et votre propriété, comme ces substances sur lesquelles nous apposons nos sceaux et nos signes pour faire reconnaître celui à qui elles appartiennent ; l’homme ne devient ainsi votre image et votre ressemblance que parce qu’en prononçant votre nom sur lui, vous rassemblez aussi son propre nom dans son essence et dans son unité, et qu’ainsi vous le rendez susceptible d’opérer dans son enceinte la manifestation des merveilles que vous opérez dans l’universalité de tous les règnes et de toutes les régions.

Aussi ne soyons pas étonnés que ce nouvel homme ne permette plus un seul mouvement à sa volonté, puisqu’il est la pensée du Seigneur et qu’il ne se croit pas le droit de disposer de la pensée du Seigneur.

Ne soyons pas étonnés que l’illusion et les ténèbres n’aient aucun accès près de lui, puisqu’il a toujours à leur répondre : je suis une pensée du Seigneur, je ne puis vous écouter, je ne puis me livrer à vous, puisque j’appartiens à celui dont je suis la pensée, et que si je disposais de moi, je ne serais plus sa pensée et que, par conséquent, je ne serais plus rien.

Ne soyons pas étonnés non plus que tout son être non-seulement devienne comme les astres du firmament, mais même qu’il soit tout plein d’yeux comme les roues d’Ézéchiel, puisqu’il doit surveiller tout ce qui l’approche avec de mauvais desseins, et éclairer tout ce qui vient près de lui avec la soif de la lumière.

Ne soyons point étonnés, dis-je, qu’il ait un œil sur chacun de ses yeux, sur chacune de ses oreilles, sur chacune de ses mains, sur chacun de ses pieds, sur son cœur, et sur sa langue ; car c’est le signe de son activité, de sa vigilance, et de sa pénétration ; c’est enfin là le sel qu’il doit, selon la loi de Moïse, répandre et mêler à tous ses sacrifices.

 

 

57.

 

Le moment s’avance où le salut des nations va faire son entrée dans Jérusalem. Déjà il est à Jéricho où le publicain Zachée va, pour remédier à sa petitesse, s’élever sur un sycomore afin de pouvoir contempler celui dont il attend tout ; déjà l’esprit du nouvel homme a pénétré tous les publicains qui sont en lui, ils ne se bornent point à une foi inactive et morte, mais ils descendent promptement de dessus leur arbre, et reçoivent avec joie ce nouvel homme qui leur demande à loger chez eux ; leur foi fait éclater en eux d’autres vertus, et ils disent au nouvel homme : Nous allons donner la moitié de notre bien aux pauvres, et si nous avons fait tort à quelqu’un en quoi que ce soit, nous lui en rendrons quatre fois autant. C’est ce qui leur mérite de la part du nouvel homme ces douces paroles : Cette maison a reçu aujourd’hui le salut, parce que celui-ci est aussi enfant d’Abraham ; car le fils de l’homme est venu pour chercher et pour sauver ce qui était perdu. Puis, s’entretenant avec eux, le nouvel homme leur rapporte la parabole des dix talents et leur en enseigne le vrai sens.

Il leur apprend que si l’âme de l’homme est dépositaire des sept puissances sacramentelles qui sont les canaux de la vie de l’esprit, elle l’est aussi des dix sources de cette même vie spirituelle, qui ne peut couler dans ces canaux de l’esprit qu’après être sortie de la fontaine éternelle à laquelle l’âme de l’homme est unie par une alliance indissoluble.

Il leur enseigne que ces dix sources avaient été fermées pour nous par le crime, et que nous ne pouvions être régénérés qu’autant que nous en avions recouvré la jouissance ; que les marcs d’argent que le maître avait distribués à ses serviteurs étaient pour les aider à faire r’ouvrir, pour eux, ces sources salutaires et indispensables à notre existence.

Il leur enseigne que chacun reçoit en raison du soin qu’il met à faire valoir ce talent, mais que celui-là seul a atteint le véritable but qui est parvenu à faire r’ouvrir pour lui ces dix sources, parce que ce n’est que par-là qu’il est redevenu l’image et la ressemblance parfaite de ce modèle parfait qui nous a formés pour le représenter.

Il leur montre que pour être coupable, il n’est pas besoin de laisser perdre ce talent, de le dissiper, ou de le prostituer ; mais que même celui qui le laisse enfouir offense l’esprit, puisqu’il semble croire que l’esprit n’est pas actif, fécond, et générateur ; aussi il ne se contente pas de faire retirer le talent au paresseux et de le donner à celui qui en avait gagné dix autres. Il condamne encore ce serviteur inutile à être jeté dans les ténèbres extérieures ; mais pour eux qui se déclarent ses ennemis et qui ne veulent pas le reconnaître pour roi, il les fait exterminer en sa présence : loi sévère que le nouvel homme exerce sur lui-même, avec toute rigueur, sans quoi son règne ne s’établirait point.

C’est en répandant de semblables instructions dans lui-même qu’insensiblement il voit Jérusalem s’approcher de lui. Il dit alors à deux des siens : « Allez à ce village qui est devant vous, et vous y trouverez en arrivant une ânesse liée et son ânon auprès d’elle, déliez-la, et me l’amenez. Que si quelqu’un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin, et aussitôt il la laissera emmener : afin que cette parole du prophète s’accomplisse, dites à la fille de Sion : voici votre roi qui vient à vous plein de douceur, monté sur une ânesse et sur l’ânon de celle qui est sous le joug. »

Cette ânesse sous le joug est, aux yeux de l’homme universel, l’ancienne alliance lévitique qui tenait l’homme dans les chaînes des lois et des formalités cérémonielles des sacrifices de sang et de l’immolation des victimes ; le poulain de cette ânesse, sur lequel personne n’a jamais monté, est, aux yeux de l’homme universel, l’alliance nouvelle qui ne pouvait être apportée et établie que par la seule médiation du Réparateur, et qui n’aurait jamais été connue sans lui, mais qui ne pouvait cependant être manifestée qu’au sein de cette même loi lévitique, puisqu’elle en était comme la fille, attendu qu’il est écrit que le salut vient de Juifs.

Aux yeux de l’homme particulier, l’ancienne alliance est l’image du vieil homme détenu sous le joug du temps et de ses impérieux ministres. La Seconde alliance est le nouvel homme, c’est cette âme Divine dans sa pureté, et la seule sur qui le Réparateur pût se reposer pour faire son entrée dans Jérusalem ; aussi quels transports dans toutes les régions du nouvel homme, lorsque le Réparateur et lui se retrouvèrent ensemble dans ces rapports mutuels que nous n’aurions jamais dû perdre de vue !

C’est alors que les habitants de cette ville sainte, qui attendaient ce Divin prophète, étendent leurs habits et jettent des branches d’arbre sous ses pieds, c’est alors que tous les disciples en foule commencent à louer Dieu à haute voix en disant : « Béni soit le roi qui vient au nom du Seigneur. Paix soit dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts ! » Les Pharisiens ont beau murmurer et prier le maître de faire taire ses disciples, il leur déclare que si ceux-ci se taisent, les pierres même parleront.

 Félicite-toi donc en effet, ô nouvel homme, de ce que le Réparateur a voulu accomplir en toi la promesse qu’il a faite à Abraham de ne jamais abandonner son peuple ; mais pleure sur le vieil homme et sur tous ceux qu’il a subjugués, et dis-lui : « Ah ! si tu avais reconnu au moins, en ce jour qui t’est donné, ce qui te pouvait apporter la paix ! Maintenant tout ceci est caché à tes yeux ; car il viendra un temps malheureux pour toi que tes ennemis t’environneront de tranchées, qu’ils t’enfermeront et te serreront de toutes parts, qu’ils te raseront et te déchireront entièrement, toi, tes enfants qui sont dans tes murs, et qu’ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n’a pas connu le temps auquel Dieu t’a visité. »

À l’instar du Réparateur, le nouvel homme va entrer dans son propre temple, en chasser à coups de fouets les changeurs et les vendeurs de colombes, en leur reprochant que de la maison de son père qui était une maison de prière, ils ont fait une caverne de voleurs. Si les princes des prêtres, les docteurs de la loi, et les sénateurs lui demandent par quelle autorité il fait ces choses, il ne leur répondra point, parce qu’ils ne peuvent pas dire si le baptême de Jean était des hommes ou s’il était du ciel ; parce qu’ils ne connaissent point l’union de l’âme humaine avec l’esprit du Seigneur, qui fait que le baptême de Jean tenait à la fois à ces deux mondes, et par-là était l’image de l’autorité du Réparateur qui provenait aussi de la réunion des puissances de ces deux mondes.

Car les docteurs de la loi sont trop ténébreux pour apercevoir ce concours, et l’âme humaine n’est pour eux qu’un instrument passif, semblable en tout aux êtres inanimés, et sans une action qui leur soit propre, et qui puisse, par analogie, s’unir à l’action de la Divinité. Aussi ne manqueront-ils pas de chercher à se saisir du nouvel homme qui, par toutes ses réponses, les fera sans cesse tomber en confusion ; mais comme ils appréhendent le peuple, ils enverront vers ce nouvel homme des personnes qui contreferont les gens de bien, pour lui tendre des pièges et le surprendre dans ses paroles, afin de la livrer au magistrat et au pouvoir du gouverneur.

Ils lui demanderont donc s’il leur est permis ou non de payer le tribut à César. Mais le nouvel homme, voyant leur malice, leur dira : Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi un denier. De qui est l’image et l’inscription qu’il porte ? de César ? Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, réponse qui les rendra muets et honteux, sans qu’ils percent cependant dans toute la profondeur qu’elle renferme ; car de même qu’ils n’ont pas pu dire si le baptême de Jean était des hommes ou s’il était du ciel, attendu qu’ils ne connaissent point les rapports de l’âme humaine avec Dieu, de même ils ne verront pas pourquoi ils doivent rendre à Dieu le tribut qui appartient à Dieu, puisqu’ils ignorent que le tribut n’est dû à Dieu que parce que l’âme humaine porte l’image de ce suprême souverain, comme le denier portait l’image et l’inscription de César.

Ils ne s’en tiendront pas là. Ils enverront vers lui les Sadducéens qui nient la résurrection. Ils s’approcheront de lui et lui proposeront la question des sept maris. Mais comme les ténèbres des Saducéens ne viennent que de ce que leur esprit n’est rempli que d’idées mortes, il leur fera connaître comment il est possible que la résurrection ait lieu sans que la difficulté qu’ils opposent et qui les arrête puisse avoir la moindre valeur.

Il leur dira : « Les enfants de ce siècle-ci épousent des femmes et les femmes des maris. Mais pour ceux qui seront jugés dignes d’avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts, ni les hommes n’épouseront plus de femmes ni les femmes des maris ; car alors, ils ne pourront plus mourir, parce qu’ils deviendront égaux aux anges, et qu’étant enfants de la résurrection, ils seront enfants de Dieu ; et quant à ce que les morts doivent ressusciter un jour, Moïse le déclare assez lui-même, lorsqu’étant auprès du buisson il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ; or, Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants, parce que tous sont vivants devant lui. »

Voilà par quels moyens le nouvel homme repoussera sans cesse les insinuations et les ruses de ses adversaires, et traversera ainsi la mort avec la vie. Car il est écrit qu’il passa au milieu d’eux. Mais ce sera toujours par les lumières de la raison et de l’intelligence la plus saine et la plus pure qu’il saura s’en défendre et les combattre ; car le nouvel homme est un être qui doit, à tout moment, faire développer en lui et hors de lui les abondances de la justice, les abondances de la miséricorde, et les abondances de la lumière.

 

 

58.

 

Les réponses de ce nouvel homme n’auraient pas tant de force et tant de justesse si l’esprit de sagesse ne fût parvenu à lui communiquer la plénitude de son activité. Ce n’est qu’avec douleur que cette communication peut s’opérer, vu l’affaissement où sont tous les interstices de notre être, dans lesquels l’action de l’esprit doit se glisser avec violence ; mais cette violence n’est rien en comparaison de celle que la renaissance doit nous occasionner ; car après que cette action de l’esprit nous a ainsi pénétrés, il faut qu’elle nous emmène et nous fasse sortir avec elle hors de cette prison et de cette demeure ténébreuse où nous ne jouissions ni de la respiration ni d’aucun des autres avantages de la vie.

Or, c’est là où nous concevons le prix de l’amour qui avait bien voulu venir s’ensevelir avec nous dans nos abîmes, afin de nous saisir et de nous en arracher avec lui. Nous sentons, dis-je, alors l’immensité de cet amour par l’immensité des souffrances que nous éprouvons, et qu’il ne craint pas de partager avec nous ; souffrances que nous ne pouvons pas évaluer avant l’opération de notre renaissance, parce qu’avant ce moment nous ne savons comment l’action Divine est venue nous pénétrer, et si elle n’agit pas secrètement en nous par le pouvoir des droits éternels qu’elle a de pénétrer toutes les substances et de tout remplir, et cela cependant en concours avec cette vie immortelle, innée dans notre être, et qui s’y conserve dans l’ombre et le silence, jusqu’au moment où elle reçoit l’ordre et la puissance du maître.

Il n’en est pas moins vrai que ce n’est qu’au moment où cette puissance et cet ordre ont pris forme en nous que notre renaissance est commencée, et qu’elle peut nous être sensible ; comme il est vrai aussi que dès que cette puissance d’action et d’ordre spirituel a pris forme en nous, nous devons nous remplir d’espérance que l’œuvre arrivera à son terme ; vérités dont un œil attentif pourra même trouver de nombreux exemples dans la nature. C’est alors que nous nous sentons successivement sanctifier dans tout notre être, pourvu que nous ayons grand soin de recueillir précieusement ces actions pures, vives, et initiatives lorsqu’elles se font connaître en nous, et pourvu que nous ayons toujours présent devant les yeux que l’activité est leur principal caractère, qu’ainsi toutes les faveurs que nous pouvons recevoir ne doivent tourner qu’au profit de notre sainte et spirituelle activité, et que tant que nous ne portons pas toutes nos forces vers cette activité complète et constante dans laquelle seule l’œuvre de notre renaissance peut véritablement se manifester, loin de renaître, nous mourons de nouveau et nous faisons mourir l’esprit avec nous.

Quelles sont donc les conditions sans lesquelles nous ne pouvons espérer de découvrir où sont les prairies si abondantes et réchauffées par le vrai soleil ? C’est d’être animés du zèle de la maison du Seigneur, c’est-à-dire, du zèle de notre propre maison ; et quelle est la voie par laquelle nous pouvons espérer de voir naître en nous le zèle de notre propre maison ? C’est de nous défendre avec des efforts constants et perpétuels du zèle de la maison étrangère.

Si nous marchons avec cet humble et vivant désir d’être animés du zèle de notre propre maison, le Seigneur marchera vers nous par la voie rapide de son amour et de ses innombrables richesses, qui consistent dans une universelle activité ; et il ne tardera pas de nous associer à cette universelle activité, puisqu’il nous associera avec lui-même.

Malheur à ceux qui auront laissé semer en eux le germe de la froideur et de l’inaction ; il ne pourra manquer de produire un jour des fruits amers et couverts de ronces dont tous leurs membres seront transpercés, il ne pourra manquer de livrer tout leur être à des maladies inguérissables. Malheur à ceux qui ne saisiront pas, avec une ardente vigilance, ces éclairs passagers qui nous sont envoyés de temps en en temps dans nos ténèbres ! La vie spirituelle qui descend en nous est déjà si faible, en raison de ce corps mortel où nous sommes renfermés ! elle y vient si rarement ! elle s’en retire si vite, après avoir allumé en nous le flambeau de notre pensée, que sans la plus active attention nous devons craindre que le flambeau s’éteigne avant qu’elle revienne, si nous n’avons pas soin de le nourrir et de l’entretenir !

Car ce n’est que par ces longues et pénibles gradations que nous pouvons obtenir la renaissance de cet état Divin où nous serons, comme si nous nous sentions renaître continuellement et à la fois dans toutes les sources des innombrables et douces affections de notre pensée et de tous nos désirs spirituels. Seigneur, que le feu du ciel vienne en moi consumer les iniquités d’Israël et de Juda ! Que les secousses de ma fragile terre ébranlent les colonnes de Babylone jusques dans leurs fondements ! Qu’une guerre universelle embrase tout mon être ! Que les astres corruptibles qui l’éclairent perdent leur lumière ! Que les cieux et la terre périssables qui me composent, soient retournés comme un vêtement ! Qu’il se forme en moi de nouveaux cieux et une nouvelle terre ! Et que, du sein des débris de cet ancien univers, je voie élever dans les airs le signe de l’éternelle alliance et l’étendard du triomphateur dans sa gloire !

Comment l’homme peut-il s’abuser si longtemps sur la destination de son être ? C’est qu’il la cherche ailleurs que dans lui-même, tandis que c’est là où il apprendrait tous les secrets. Une voûte épaisse semble se former entre l’esprit de l’homme et sa région inférieure. Mais il devrait siéger sur cette voûte comme sur un trône, pour établir l’ordre dans toutes ses possessions et y manifester à la vue de toutes les puissances l’agent suprême dont il est l’image. Il pourrait être assis sur ce trône comme ayant déjà ses ennemis sous ses pieds ; et comme, ayant fermé le puits de l’abîme, après y avoir précipité tous les prévaricateurs. Voilà où le conduirait l’activité de l’esprit s’il y répondait avec fidélité ; elle lui ferait sentir physiquement ce but sublime pour lequel la nature et lui ont reçu l’existence, et là, il apprendrait à reconnaître comment il fut établi pour être le ministre et le roi de la nature.

Le malheureux ! il a vu miner son trône par les vapeurs du puits de l’abîme. L’ennemi s’est élevé sur ces vapeurs comme sur des nuages ; et à la faveur de ces nuages, il s’est fait porter jusqu’aux plus hautes régions de la pensée de l’homme. Du sommet de ces sublimes régions il dit à l’homme : prosterne-toi devant moi. C’est à moi à siéger sur le trône dont tu t’étais emparé, et désormais tu seras mon serviteur et mon esclave. Le malheureux ! et dans ce honteux esclavage, il diffère de travailler à rompre ses fers ! Que dis-je, il murmure des secousses qui lui sont envoyées pour coopérer à sa délivrance !

Quel est l’objet des agitations et des tourbillons des vents de l’atmosphère ? N’est-ce pas de faire tomber des arbres les bourgeons gourmands, fruits d’une sève trop abondante ? Ou d’en dessécher les eaux de pluies et les vapeurs des brouillards, qui auraient trop attendri leur écorce et auraient fait pourrir leurs feuilles et leurs fleurs ? Ou enfin n’est-ce pas d’en précipiter les insectes venimeux et malfaisants qui auraient corrodé leurs tendres branches ?

 Homme, ne te plains point des secousses de ta région. La main qui les dirige n’a sur toi que des plans de bienfaisance. Si la coupe d’amertume a été versée sur la terre, n’est-ce pas pour nettoyer les yeux de notre intelligence, comme la coupe médicinale rend nos organes corruptibles à leur pureté naturelle ? Plus cette coupe amère t’abîmera dans le feu de la douleur, et plus tu dois remercier celui qui te la présente ; parce qu’il n’en peut résulter pour toi qu’une grande purification, si tu es coupable, ou une grande gloire et une grande récompense, si tu es employé à l’œuvre sacrée.

Mais il n’y a que les agitations opérées par la main de Dieu qui soient salutaires ; car les esclaves de l’ennemi sont aussi dans l’agitation, sans qu’ils en retirent aucun profit. Cet ennemi, après avoir remporté presque universellement la victoire, agit en maître et en tyran sur ses sujets. Il les vexe par des vives douleurs pour leur faire sentir que la matière est son royaume. Il les punit d’avoir eu l’imprudence d’agir sans leur Dieu, en les tourmentant sur cette terre comme dans un lieu où Dieu n’agit point.

Seigneur, quelle est donc l’immensité du crime qui a pu si fort irriter ta justice ? Toute la postérité humaine est dans les souffrances. Tu la vois ; elle est à tes pieds, et tu ne peux pas te permettre de la délivrer. Est-ce la voix de l’impie qui t’arrête ? Ils disent qu’il n’y a point de mal ; ils n’osent pas t’attribuer celui qui existe, ils aiment mieux le nier que d’en chercher la source dans la dépravation volontaire d’une créature libre. Comment voudrais-tu les guérir, puisqu’ils ne se croient pas malades et qu’ils ne t’appellent point ? Au moins si leur ignorante impiété n’influait pas sur la famille entière ! Mais si c’est cette famille entière qui t’a offensé, ne faut-il pas que tous ses membres se réunissent pour t’implorer et pour te fléchir ! Et une seule voix discordante ne peut-elle pas rompre le concert de nos supplications ?

Malheureux, quand cesserez-vous vos blasphèmes ? Vous n’en pouvez proférer un qui ne coûte la vie ou la santé à vos frères. Mais le Dieu de paix et d’amour sera plus grand que leurs blasphèmes. Il inclinera ses yeux sur notre triste postérité et sur notre propre maison, et malgré les malédictions des insensés, il laissera descendre jusqu’à nous la frange de son vêtement. Pour peu que nous venions seulement à la toucher, nous serons guéris de notre perte de sang.

Justifie-toi donc, homme de désir, ou plutôt ne te laisse point ébranler sur ta base. Ta vie procède de la vie. Que ta seule existence démontre que tu es le fils de Dieu. La vie ne procède-t-elle pas toujours ? Qui pourrait nuire à ta stabilité si tu ne perdais jamais de vue que tu es le fils de Dieu, et que tu es sa pensée, sa parole, et son opération, et si par ta constance et par la force de ta foi tu parvenais à en donner la preuve à l’ignorance ? Quand tu te sentiras affaibli, tourne les yeux vers celui qui vient te consacrer jusque dans ton intérieur pour être prêtre selon l’ordre de Melchisédech, et tu te verras alors élever jusqu’aux cieux.

 

 

59.

 

Comment le nouvel homme est-il devenu si actif et si clairvoyant ? C’est en ne cessant point de se remplir du zèle de sa propre maison. C’est en ne redoutant point la démolition du temple antique, ou du vieil homme dont il est dit qu’il ne doit pas rester pierre sur pierre ; parce qu’il sait qu’il sera rebâti dans trois jours, ou que ce triple caractère Divin qui le constitue image et ressemblance de son éternel principe doit être par là rétabli dans sa splendeur et dans la libre manifestation de ses titres les plus sacrés.

Mais plus il a acquis de lumières, plus il se croit obligé d’éclairer toutes les régions de son être sur tous les dangers qui peuvent accompagner leur régénération. Il leur dira donc comme le Réparateur aux apôtres :

« Prenez garde que personne ne vous séduise, parce que plusieurs viendront, sous prétexte de vous instruire et de vous soulager ; mais comme ils seront eux-mêmes remplis de ténèbres, ils ne feront que vous égarer davantage ; et le signe auquel vous les reconnaîtrez, c’est lorsqu’ils vous proposeront d’autres maîtres que Dieu, son esprit et vous, et qu’ils voudront vous épargner le travail pénible de puiser constamment et sans relâche dans Celui qui vous a donné l’existence et qui a mis en vous une universelle représentation de lui-même et de toutes ses œuvres. »

« Vous entendrez aussi parler de guerres et de bruits de guerres, vous verrez en vous-mêmes se soulever, peuple contre peuple, royaume contre royaume, vous y verrez des pestes, des famines, des tremblements de terre ; mais que cela ne vous trouble point, car tout cela ne sera que le commencement des douleurs. Alors on vous livrera, dans vous-mêmes, à mille ennemis pour être tourmentés et pour vous faire mourir, et vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom. Prenez-garde que cela ne vous devienne des occasions de scandale et de chute ; car il s’élèvera en vous des faux prophètes, et parce que l’iniquité sera accrue, la charité de plusieurs pourrait se refroidir, mais celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu’à la fin. Et cet évangile du royaume sera prêché dans tout votre être pour y servir de témoignage à toutes les nations qui l’habitent. »

« Quand vous verrez que l’abomination de la désolation qui a été prédite par le prophète Daniel sera dans le lieu saint et que l’ennemi sera dans ses jours de triomphe, par la puissance qui lui sera donnée d’en haut sur vous, à cause de la justice, et pour lui laisser combler la mesure de ses iniquités, fuyez alors sur les montagnes de la Judée. Si vous êtes sur le toit, n’en descendez point pour emporter quelque chose de la maison, et si vous êtes dans le champ, ne retournez point pour prendre vos vêtements. Mais faites comme Élie, cachez-vous dans la caverne jusqu’à ce que le temps de la colère soit passé ; car ces jours ou ces épreuves sont telles que si elles n’avaient été abrégées, nul homme n’aurait été sauvé, mais elles sont abrégées en faveur des élus. »

« Ne prenez pas même pour les signes infaillibles de votre régénération les choses étonnantes et les grands prodiges que vous pourrez opérer ; car il peut s’élever en vous de faux christs et de faux prophètes qui en opèrent de semblables, jusqu’à séduire, s’il était possible, les élus même. Ne vous rendez donc point à toutes les voix qui vous diront intérieurement : Je suis le Christ ; car comme un éclair qui sort de l’orient paraît jusqu’à l’occident, ainsi sera dans votre être l’avènement du fils de l’homme. Chassez seulement de vous avec le plus grand soin tous les corps morts, car partout où le corps mort se trouvera, les aigles s’y assembleront. »

« Quand est-ce que le signe du fils de l’homme paraîtra dans votre ciel particulier ? Quand viendra-t-il en vous avec une grande puissance et une grande majesté ? Quand enverra-t-il ses anges faire entendre la voix éclatante de leur trompette dans toutes vos régions et rassembler ses élus des quatre coins de votre propre monde, depuis une extrémité de votre ciel jusqu’à l’autre ? C’est quand votre soleil d’apparence sera rentré dans son obscurité, c’est quand votre lune ne donnera plus sa lumière, c’est quand les étoiles de votre faible firmament tomberont, c’est quand les vertus de vos cieux individuels seront ébranlées ; et que tous les peuples de votre terre de douleur déploreront leur misère, qu’ils s’enfonceront dans les fentes des montagnes, et qu’ils diront à l’univers : couvrez-nous et dérobez-nous à la colère et à la vengeance du Seigneur. »

« Il n’y a personne qui puisse vous apprendre quand est-ce que ce jour et cette heure arriveront ; car il est écrit que nul autre que notre Père ne sait et jour et cette heure, et que les anges même du ciel ne les savent point. Mais il vous est donné d’en connaître les signes et de savoir que le fils de l’homme sera près de vous et qu’il sera à votre porte lorsque ces signes se seront manifestés en vous ; comme vous jugez que l’été est proche quand les branches du figuier sont déjà tendres et qu’il pousse ses feuilles. »

« Vous ne connaîtrez point ce temps par aucune des révolutions de votre être naturel et physique, puisque c’est lui qui doit être immolé aux ténèbres et leur servir de victime ; aussi comme il ne connaît rien aux choses de l’esprit, il suivra aveuglément sa voie obscure jusqu’au jour de son sacrifice, comme au temps de Noé : un peu avant le déluge les hommes suivaient toutes les lois de la matière, sans penser seulement à ce qui allait arriver. Mais lorsque votre heure sera arrivée, des deux hommes qui vous composent l’un sera pris et l’autre laissé. Des deux femmes qui sont occupées à moudre en vous, l’une sera prise et l’autre laissée, parce que dans vous l’une de ces deux femmes ou l’un de ces deux hommes est le partage de l’esprit et de la lumière, et l’autre le partage de la matière et des ténèbres. Veillez donc, parce que vous ne savez à quelle heure votre Seigneur doit venir, car sachez que si le père de famille était averti de l’heure à laquelle le voleur doit venir, il est sans doute qu’il veillerait et qu’il ne laisserait pas percer sa maison. »

« Soyez comme un serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur tous ses serviteurs pour leur distribuer dans le temps la nourriture dont ils ont besoin. Si votre maître à son arrivée vous trouve agissant de la sorte, il vous établira sur tous ses biens, mais si vous dîtes dans votre cœur : mon maître n’est pas près de venir ; si vous vous mettez à battre vos compagnons au lieu de les nourrir, et que vous mangiez et buviez avec des ivrognes, le maître viendra au jour que vous ne vous y attendez point et, à l’heure que vous ne savez point, il vous séparera, il vous donnera pour partage d’être puni avec les hypocrites, et c’est-là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents. »

« Il y a aussi en vous cinq vierges folles et cinq vierges sages, parce que telle a été la division qui s’est faite dans les puissances lors de la chute du premier prévaricateur, et qui s’est répétée lors de la prévarication de l’homme ; les unes non-seulement ont consumé leur huile, mais elles cherchent encore à consumer celle que les vierges sages ont conservées, et à les entraîner avec elles dans leurs ténèbres et dans leur funestes imprudences, comme a fait votre ennemi envers l’homme lorsqu’il l’engagea à lui livrer sa force, sa puissance et sa parole ; et si vous ne veillez avec le plus grand soin, cet ennemi peut répéter chaque jour envers vous cette ancienne et criminelle entreprise, et vous séduire comme il a séduit le premier homme, jusqu’à vous faire dissiper en vain toute votre huile et vous faire éteindre votre lampe. Alors vous serez confondus avec les vierges folles elles-mêmes, et lorsque vous vous présenterez pour entrer aux noces avec l’époux, la porte sera fermée, et l’époux vous dira qu’il ne vous connaît point. »

« Tâchez au contraire de surpasser encore s’il est possible les vierges sages de l’Évangile, et de procurer par vos travaux et vos efforts une suffisante provision d’huile aux vierges folles pour qu’elles soient admises aux noces de l’époux avec vous ; car c’est là le dernier terme de la charité, puisque c’est celle que l’esprit même exerce à votre égard, n’ayant pas craint de pénétrer dans tous les abîmes de votre existence pour venir partager son huile avec vous et rétablir par là la perfection de ce nombre de dix talents que vous aviez altérés dans l’origine, et que la sagesse suprême désire si ardemment de revoir briller dans sa justesse et dans toute sa vertu. »

« Aussi que fera le fils de l’homme lorsqu’il viendra dans sa majesté accompagné de tous ses saints anges, qu’il s’assoira sur la trône de sa gloire, et que toutes les nations de la terre seront, assemblées devant lui ? Il séparera les uns d’avec les autres, comme un berger sépare les brebis d’avec les boucs. Il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche, et il dira à ceux qui seront à sa droite : venez, vous qui êtes bénis par mon père, possédez comme votre héritage le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’ai eu besoin de logement et vous m’avez logé, j’ai été sans habit et vous m’avez revêtu, j’ai été malade et vous m’avez visité ; j’ai été en prison et vous m’êtes venu voir. Alors les justes lui diront : quand est-ce que nous vous avons fait toutes ces choses ? Et le roi leur répondra : je vous dis, en vérité, qu’autant de fois que vous avez rendu ces devoirs de charité aux moindres de mes frères, c’est à moi-même que vous les avez rendus. Parce que ces petits enfants ne font qu’un avec moi par leurs souffrances. »

« De même aussi lorsque les cinq vierges sages qui sont en vous parviennent par leurs travaux et leur vive charité à procurer une suffisante provision d’huile à vos cinq vierges folles pour que leurs imprudences soient effacées, et que le nombre des dix talents que ces dix vierges représentent se trouve réintégré en vous dans sa perfection, c’est coopérer à la gloire et à la satisfaction de la sagesse elle-même, puisque c’est concourir au rétablissement de son image. »

« Le roi dira ensuite à ceux qui sont à gauche : retirez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel qui est préparé pour le diable et pour ses anges. Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu besoin de logement et vous ne m’avez pas logé, j’ai été sans habit et vous ne m’avez pas revêtu, j’ai été malade et en prison et vous ne m’êtes pas venu voir. Et les méchants lui diront : Seigneur, quand est-ce que nous vous avons refusé toutes ces choses ? Et il leur répondra : je vous dis en vérité qu’autant de fois que vous avez manqué à rendre ces assistances aux moindres de ces petits, vous avez manqué à me les rendre à moi-même, parce que ces petits, ne faisant qu’un avec moi dans leurs souffrances, n’auraient aussi fait qu’un avec moi dans leurs joies, et parce que si vos vierges sages ne concourent pas au rétablissement du nombre représentatif en corrigeant les imprudences de vos vierges folles et en subvenant à leurs nécessités, vous contrariez directement le désir, la faim et la soif de la sagesse éternelle. »

 

 

60.

 

La fête des pains sans levain approche ; cette fête annonce au nouvel homme une nourriture qui n’est point sujette à la fermentation et à la corruption de la matière. Or, comme cette fête se nomme le passage ; et comme c’est au passage de la renaissance spirituelle que se trouvent les plus grands dangers pour l’âme humaine, c’est aussi le moment de ce passage que choisissent les princes des prêtres et les docteurs de la loi, pour se saisir de la personne du nouvel homme, et où son ennemi s’offre à eux pour le leur livrer moyennant le prix dont ils conviennent ensemble, ce qui remplit de joie ces princes des prêtres et les capitaines, parce qu’ils craignent le peuple et ne peuvent employer que des ruses et des trahisons.

Le nouvel homme n’ignore pas cette trahison qui se trame contre lui, puisqu’il a dit d’avance aux siens : Vous savez que la pâque se fait dans deux jours et que le fils de l’homme sera livré pour être crucifié. Mais comme il sait aussi que le complément de sa régénération est attaché à ce sacrifice, comme il sait en outre que ce sacrifice doit rendre la vie aux habitants de son propre royaume, il dit à quelques-uns des siens : « Allez nous apprêter ce qu’il faut pour la pâque.... Lorsque vous entrerez dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau, suivez-le dans la maison où il entrera, et dites au maître de cette maison : Le maître vous envoie dire : Où est le lieu où je mangerai la pâque avec mes disciples ? et il vous montrera une grande chambre, haute, toute meublée, préparez-nous y ce qu’il faut. »

Qu’est-ce que c’est que cet homme portant une cruche d’eau ? C’est le précurseur de la sainte alliance, qui ne peut se contracter qu’après la purification parfaite. Qu’est-ce que c’est que cette chambre haute où la pâque doit se célébrer ? C’est la pensée de l’homme qui est revêtue du privilège de se montrer parmi les nations comme la région la plus sublime du temple immortel que l’esprit saint s’est proposé d’habiter. Qu’est-ce que c’est que ce maître qui envoie demander où est le lieu où il mangera la pâque avec ses disciples ? C’est l’esprit du nouvel homme lui-même, qui vient visiter l’âme humaine pour lui rendre la vie et la lumière, mais qui, sachant que cette âme humaine est un être libre, ne veut habiter chez elle que de son propre consentement, malgré tous les biens et toutes les richesses dont il vient la favoriser.

Il attend l’heure favorable pour venir opérer dans l’âme ce salutaire sacrifice, parce que son amour pour nous l’a engagé même à s’assujettir à la loi des heures ; mais quand cette heure est arrivée, il se met à table avec nous et il nous dit : « J’ai souhaité avec ardeur de manger cette pâque avec vous avant que de souffrir ; car je vous déclare que je n’en mangerai plus désormais jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. » Parce qu’après la consommation du grand sacrifice du Réparateur, il fallait encore un temps pour la ratification, et pour que les fruits de ce sacrifice parvinssent à leur terme.

« Alors l’esprit qui est à table avec nous prend le pain, et ayant rendu grâce il le rompt, en disant : Ceci est mon corps qui est donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi. Parce que de même que la rupture du pain annonce la rupture de son corps, de même la rupture de son corps annoncera la rupture et les douleurs de son esprit qui daigne abandonner le lieu de sa gloire pour venir habiter dans le séjour de notre misère.

Il prend le calice, et ayant rendu grâce, il nous dit : « Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang, lequel sera répandu pour vous. Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu’à ce jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon père ; toutes les fois que vous mangerez de ce pain et que vous boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Parce que le sang de cette coupe, annonce l’effusion du sang matériel du Réparateur, que l’effusion de son sang matériel annonce l’effusion de son sang spirituel, et qu’en même temps cette coupe annonce l’effusion du sang corporel de l’homme pour l’abolition du péché, et l’effusion de son sang spirituel pour sa régénération particulière.

C’est pourquoi le nouvel homme n’aurait pas été régénéré si le Réparateur ne s’était pas fait homme, parce que sans cela les voies de notre sang n’auraient jamais été ouvertes, et ce sang n’aurait jamais pu couler, malgré la mort corporelle que nous subissons tous les jours, et malgré tous les massacres de la terre. C’est aussi par ce moyen qu’il a fait de l’âme des hommes un agneau pascal semblable à lui ; et que cet agneau doit être immolé dans chacun d’eux, pour en faire autant de nouveaux hommes, comme il a dû être immolé lui-même pour le renouvellement et la régénération de toute l’espèce humaine.

Car la plus belle fonction de ce prophète éternel et divin, qui est venu verser le sang de son corps et de son esprit pour nous mettre à portée de rentrer par lui dans notre état naturel et primitif, a été de rendre notre sang efficace et de nous donner par-là une seconde vie après celle que nous avions perdue ; or, cette seconde vie qu’il nous donnait par-là était la vie de la douleur, et devait infiniment plus lui coûter que la vie de l’amour, qui est celle qu’il nous avait donnée la première fois.

En effet, la prophétie doit-elle se borner à prédire et à annoncer des évènements ? Ne peut-elle pas les prévenir par la prière de la douleur, s’ils sont funestes, et les avancer s’ils s’ont salutaires ; et ne serait-ce pas là un de ses caractères les plus importants ? Larmes du prophète, désobstruez les voies de la cité sainte, opérez vous-mêmes les manifestations de cette nouvelle Jérusalem que les prédictions ne font qu’annoncer.

Le Réparateur a-t-il prédit beaucoup d’évènements ? Non, il n’a presque prédit que ceux qui devaient se réaliser incessamment, et ouvrir les yeux aux nations sur son œuvre. Je vous dis ceci dès maintenant avant qu’il arrive, afin que, lorsqu’il arrivera, vous reconnaissiez qui je suis. (Jean, 23 : 19 ; 14 : 29 ; 16 : 4.) Mais il a employé sa vie entière à aplanir, par ses sacrifices et par son amour, les voies de notre retour vers notre patrie.

Aussi, à son imitation, l’esprit qui vient s’immoler en nous pour nous régénérer ne craint point de mettre la main au plat avec celui même qui le trahit et qui doit le livrer au prince des prêtres ; parce que cet esprit qui vient s’immoler en nous s’en va selon ce qui a été écrit de lui.... « Mais malheur à celui par qui ce fils de l’homme est trahi ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût jamais venu au monde.... Mais pour vous, je vous prépare le royaume comme mon père me l’a préparé. »

Quelle affliction, pour cet esprit qui vient s’immoler dans nous, de savoir qu’il est trahi non-seulement par celui qui doit concourir à lui faire consommer son sacrifice, mais encore par celui pour qui même il vient s’immoler, c’est-à dire, par ce Simon qui est en nous, par cette pierre fondamentale sur laquelle se doit bâtir l’église ! Car l’esprit lui dit en nous : « Simon, Simon, Satan vous a demandé pour vous cribler comme on crible le froment, mais j’ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point. Lors donc que vous aurez été converti, ayez soin d’affermir vos frères. »

Dans l’ardeur de notre zèle et dans l’ignorance ou nous sommes de toute l’étendue de l’épreuve, nous lui disons : Seigneur, je suis tout prêt d’aller avec vous, et en prison, et à la mort même. Mais l’esprit, qui nous connaît bien mieux que nous ne pouvons nous connaître, nous répond : « Pierre, je vous déclare que d’aujourd’hui le coq ne chantera que vous n’ayez nié par trois fois que vous me connaissiez, parce que l’esprit voit à découvert tous les plans des mouvements des êtres, parce que cet esprit voit notre faiblesse, et le penchant que nous avons à lui être infidèles, et que comme le péché primitif a eu un triple caractère et qu’il a opéré en nous une triple mort, nous répétons ce triple péché ou cette triple infidélité dans nos épreuves particulières, jusqu’à ce que le coq, ayant chanté trois fois, comme pour annoncer ce malheureux triomphe de la matière sur nous, nous rentrions en nous-même et que, comme fit Pierre, nous versions des larmes sur notre péché et sur notre lâcheté.

Mais l’esprit ne s’éloigne pas de nous, quoiqu’il voie ainsi en nous tous les plans de notre infidélité. Il continue son œuvre ; il continue même de nous y associer, et nous dit : « Lorsque je vous ai envoyé sans sac, sans bourse, sans soulier, avez-vous manqué de quelque chose ? Non, mais maintenant, que celui qui a un sac ou une bourse le prenne, et que celui qui n’en a point vende sa robe pour acheter une épée, car je vous assure qu’il faut encore qu’on voie accompli ce qui est écrit de moi : il a été mis au rang des scélérats ; parce que ce qui a été prophétisé de moi est prêt d’arriver. »

C’est donc en effet le moment de réunir nos forces pour aider à notre maître à consommer son sacrifice. C’est le moment de transformer toutes nos facultés en courage pour résister à l’ennemi qui le doit attaquer, et pour obtenir que les forces d’en haut l’accompagnent et le soutiennent dans le pénible combat qui va se livrer entre sa nature éternelle et sa nature passagère et apparente ; de même que dans la terrible épreuve que va subir sa charité, quand il va être livré tout entier pour la délivrance de ses frères et qu’il lui faudra faire couler, goutte à goutte, tout le sang de son être et de son amour pour faire parvenir jusqu’à nous le fleuve de la vie.

Aussi l’esprit nous dit : « Mes petits enfants, je n’ai plus que peu de temps à être avec vous, vous me chercherez, et comme j’ai dit aux Juifs qu’ils ne pouvaient venir où je vais, je vous le dis aussi maintenant », parce que l’esprit est le maître, que nous ne sommes que les disciples, que nous ne pouvons recevoir que ce qui vient de lui, tandis que la source dans laquelle il demeure nous est toujours impénétrable ; et parce que cet esprit va opérer l’œuvre de la délivrance des captifs, que nous pouvons ensuite répéter sur nous-mêmes et sur nos frères en son nom, mais que nous n’aurions jamais pu opérer sans lui et s’il n’avait commencé par l’opérer en nous. C’est pour cela qu’il avait dit aux siens précédemment : Vous pourrez boire le calice que je boirai. C’est pour cela aussi qu’il venait de les admettre à la participation du calice et à la manducation de son corps dans le passage, pour les préparer à participer ensuite à toute l’activité de son œuvre, parce que toutes ses paroles sont esprit et vie.

Aussi l’œuvre étant déjà commencée pour lui, puisque le trahisseur ayant reçu son morceau était déjà sorti, il annonce que maintenant le fils de l’homme est glorifié et que Dieu est glorifié en lui ; et c’est alors qu’il leur donne les principales instructions relatives à l’œuvre qu’il va consommer et qu’ils doivent partager avec lui : « Je vous donne un commandement nouveau, de vous aimer les uns et les autres, afin que vous vous entraimiez comme je vous ai aimés. C’est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Afin qu’ils comprissent que l’œuvre de ce maître était l’œuvre de l’amour, et qu’ils ne pouvaient jamais être image et ressemblance de leur principe qu’autant qu’ils se rendraient, par leurs œuvres et par leur sacrifice, l’image et la ressemblance de cet amour.

 

 

61.

 

« Que votre cœur ne se trouble point. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit, car je m’en vais vous préparer le lieu. Et après que je m’en serai allé et que je vous aurai préparé le lieu, je reviendrai et vous retirerai à moi, afin que vous soyez où je serai. » Cette demeure qu’il devait préparer était celle que la puissance perverse avait usurpée dans l’univers et dans l’homme, à qui l’esprit venait la rendre pour l’accomplissement des décrets de l’amour et de la justice du souverain être. Ces différentes demeures qui sont dans la maison de son père sont les différents dons et les différentes récompenses qui sont promises à ceux qui les auront fait valoir.

Vous savez bien où je vais, et vous en savez la voie. Je suis la voie, la vérité, et la vie. Nul ne vient au père que par moi. Parce que nous avons vu que s’il ne naissait pas un fils en nous, jamais notre être ne serait ni connu ni manifeste ; et tous les êtres de désir qui s’élèvent en nous n’atteindraient jamais jusqu’à notre être fondamental et constitutif sans l’intermède de ce fils qui doit naître en nous, si nous voulons que l’harmonie universelle s’y rétablisse.

« Ne croyez-vous pas que je suis dans mon père, et que mon père est en moi ? Ce que je vous dis, je ne vous le dis pas de moi-même, mais mon père qui demeure en moi fait lui même les œuvres que je fais. Ne croyez-vous pas que je suis dans mon père et que mon père est dans moi ? Croyez-le au moins à cause des œuvres que je fais. » Comment ne croirions-nous pas à notre être essentiel et fondamental si nous lui voyons naître un fils en nous ? En même temps ce fils peut-il offrir de réels témoignages de son père s’il n’est pas continuellement dans ce père, et si son père n’est pas continuellement en lui ? Observation qui aurait pu agir sur ceux qui doutent de la Divinité du Réparateur, et qui dans le vrai ne doutent tant de la Divinité de ce Réparateur que parce qu’ils ne doutent pas assez de la divinité de la matière, et parce qu’ils n’ont pas eu soin de travailler à faire naître un fils en eux, puisque si l’homme ne renaît de nouveau, il ne peut entrer dans le royaume des cieux.

Mais s’ils avaient travaillé à faire naître un fils en eux, c’est à eux que s’adresserait cette parole : « Quoi que vous demandiez à mon père en mon nom, je le ferai afin que mon père soit glorifié ; en vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais, et en fera encore de plus grandes, parce que je m’en vais à mon père », et que, par ce moyen (comme il a été indiqué dans l’homme de désir), l’action que ce Réparateur enverra sera plus abondante et plus puissante dès qu’elle proviendra à la fois de l’action du père et de l’action du fils réunies, puisque sur la terre il n’a agi que comme homme, dans la puissance de l’esprit, au lieu que par sa réunion avec son père, il agira comme Dieu, et par la puissance de l’unité même, image parfaite de deux lois que nous avons déjà souvent observées, et dont la dernière est celle qui peut seule compléter notre réconciliation en nous réunissant à notre vraie source, comme le Réparateur, après son œuvre temporelle, s’est réuni avec son père.

« Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et je prierai mon père, et il vous donnera un autre consolateur afin qu’il demeure éternellement avec vous, l’esprit de vérité que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et qu’il ne le connaît point ; mais pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera avec vous et qu’il sera dans vous » ; c’est ce même fils spirituel, né de nous et en nous par l’opération divine, qui devient notre consolateur comme il est devenu notre libérateur, et cela en imitation et en conformité du consolateur universel et du libérateur éternel qui veut que nous répétions tous en nous-même l’œuvre qu’il a opérée dans tout notre cercle ; ce consolateur doit en effet demeurer éternellement avec nous dès qu’il est né de l’esprit de Dieu, au lieu que les autres enfants que nous laissons naître journellement dans nous-mêmes ne voient point subsister leur race, parce qu’ils sont des enfants du monde. Voilà pourquoi ce consolateur particulier ne peut être reçu du monde, parce qu’il est étranger au monde comme la lumière est étrangère aux ténèbres, et parce que le monde ne le voit point et ne le connaît point.

« Je ne vous laisserai point orphelins, je viendrai à vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais pour vous, vous me verrez parce que je vis et que vous vivrez aussi. En ce jour là, vous connaîtrez que je suis en mon père, et vous en moi, et moi en vous. » L’âme de l’homme nourrit son propre fils. Car comme le père a la vie en lui-même, il a donné aussi au fils d’avoir la vie en lui-même. Aussi ce consolateur ne doit laisser en nous aucuns orphelins, parce qu’il a la vie en lui et qu’il peut la communiquer à tous les siens ; aussi tout ce qui est en nous peut voir ce consolateur puisqu’il vit et qu’il donne à tout ce qui est en nous le pouvoir de vivre comme lui. C’est alors que tout ce qui est en nous reconnaît que le consolateur est dans son père, que tout ce qui est en nous est dans ce consolateur, et que ce consolateur est dans tout ce qui est en nous.

Celui qui a reçu mes commandements et qui les garde est celui qui m’aime. Celui qui m’aime sera aimé de mon père ; et je l’aimerai aussi, et je me découvrirai à lui.Tout ce qui en nous est fidèle à la voix de notre consolateur particulier, et observe ses commandements, aime ce consolateur et sera aimé du père de ce consolateur, et ce consolateur l’aimera et se découvrira à lui. Mais comme ce consolateur, ou le fils qui doit naître en nous, possède tout ce qui est dans son père, quelles merveilles ne doit-il pas communiquer à ceux à qui il veut bien se découvrir en nous, c’est-à-dire, à tous ceux qui l’aiment et qui observent ses commandements ?

Le mot de conscience a sans doute de grands droits à nos hommages, et c’est le plus grand mot que la sagesse vulgaire puisse employer ; mais il est infiniment inférieur au nom de ce fils et de ce consolateur spirituel qui peut naître en nous et nous éclairer.

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m’aime point ne garde point mes paroles, et la parole que vous avez entendue n’est point ma parole, mais celle de mon père qui m’a envoyé. » Non-seulement ce consolateur ou ce fils spirituel qui doit naître en nous se découvre à tout ce qui l’aime en nous, non-seulement il communique à ce qui l’aime en nous, et qui observe ses commandements, tout ce qu’il reçoit de son père ; mais il fait que le père aime lui-même en nous tout ce qui aime ce consolateur, et qu’ils viennent ensemble en nous, et qu’ils y font leur demeure. Car la parole de ce consolateur ou de ce fils qui doit naître en nous n’étant point sa parole, mais la parole de son père, il ne peut se montrer en nous que son père ne s’y montre et n’y naisse avec lui.

« Je vous ai dit ceci demeurant encore avec vous. Mais le consolateur, qui est le Saint-Esprit que mon père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. » Ce nouveau consolateur qui nous est annoncé est le même que celui qui est déjà né dans le nouvel homme ; mais la différence qu’il y entre l’un et l’autre, c’est que le premier est né en nous dans l’amertume et dans la douleur, et que le second y doit naître dans la jubilation, ce qui ne peut arriver qu’autant qu’il réalise et effectue en nous physiquement toutes ces consolations, tous ces développements, toutes ces vertus, toutes ces Lumières qu’il n’avait fait que nous annoncer pendant le travail pénible de son œuvre et pendant le séjour qu’il a bien voulu faire dans nos ténèbres et dans nos abîmes ; et c’est alors qu’il nous fait ressouvenir lui-même de tout ce qu’ils nous a dit d’avance.

« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, je ne vous la donne pas comme le monde la donne.... Que votre cœur ne se trouble et ne s’épouvante point.... Vous avez ouï que je vous ai dit : je m’en vais et je reviens à vous. » Il nous laisse la paix de l’espérance, et cette paix est réelle, puisque c’est la sienne elle-même. Il ne nous la donne point comme le monde la donne, puisque la paix du monde n’est qu’une obscurité qui nous conduit toujours par des routes ténébreuses pour ne nous faire arriver qu’à des déceptions ; au lieu que la paix du consolateur ou de l’esprit qui naît en nous est une paix vive, une paix de feu qui devient chaque jour plus claire, et qui ne doit se terminer que par la splendeur de la lumière.

Aussi ne redoutons point la suspension où cet esprit nous laisse pour quelques moments. Nourrissons-nous de la paix et de l’espérance qu’il nous a données, et soyons sûrs qu’il ne retourne à son père que pour revenir vers nous chargé de plus nombreuses richesses et de plus grands trésors. Notre ennemi ne va-t-il pas lui même chercher sept autres esprits pour s’emparer de la maison qu’il a laissée ? Comment le consolateur et le prince de la paix et de la puissance n’aurait-il pas les mêmes pouvoirs dans l’ordre de la vérité ?

« Si vous m’aimiez vous vous réjouiriez de ce que je vous ai dit, que je m’en vais à mon père, parce que mon père est plus grand que moi. » Désirons que notre consolateur particulier ou l’esprit qui doit naître en nous retourne promptement vers son père, puisque son père est plus grand que lui, et puisque par là nous devons obtenir de nouvelles forces, de nouvelles faveurs et de nouvelles consolations. Si nous l’aimons, nous devons désirer ce retour vers son père, puisque non-seulement il doit par là faire notre bonheur, mais qu’il doit aussi faire le sien propre par son union avec sa source.

Désormais je ne vous parlerai plus guères, car le prince du monde va venir, et il ne rien en moi qui lui appartienne. La voix de la vérité ou de notre consolateur se tait lorsque la voix du mensonge s’approche pour nous faire subir notre épreuve ; elle se tait pour nous faire développer nos forces ; elle se retire parce que ce n’est point avec elle que l’ennemi a affaire, c’est avec nous.

Mais je m’en vais afin que le monde connaisse que j’aime mon père et que je fais ce que mon père m’a ordonné. Si nous aimons notre consolateur ou l’esprit qui doit naître en nous, nous ne cesserons de retourner vers lui, afin que tout ce qui est en nous connaisse que nous l’aimons et que nous sommes fidèles au commandement qu’il nous a fait de le regarder comme la source de nos joies et le salutaire agent de notre délivrance. Nous ne cesserons de lui rendre des actions de grâce pour tous ses bienfaits, et c’est en nous approchant de lui le plus qu’il nous sera possible que nous lui donnerons de véritables témoignages de notre reconnaissance et de notre amour.

 

 

62.

 

Je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron. Il retranchera toutes les branches qui ne portent point de fruit en moi, et il taillera toutes celles qui portent du fruit, afin qu’elles en portent davantage. Ce que le Réparateur opère sur toute la famille humaine, l’esprit l’opère sur notre fils spirituel pour lui procurer une saine et robuste constitution, et pour lui faire produire des fruits nombreux ; et à son tour ce fils spirituel le doit opérer en nous sur tout notre être. Car ce fils spirituel est notre vraie vigne dont nos facultés sont les branches, comme tout notre être est une branche de la vigne universelle ou de l’éternel Réparateur.

Vous êtes déjà purs à cause de la parole que je vous ai dite : demeurez en moi, et moi en vous. De la part de la vérité, cette simple invitation a un effet actif, parce qu’elle ne peut avoir lieu que par la manifestation de la parole, et que la parole de la vérité ne se prononce point sans répandre autour d’elle la pureté dont elle est le principe ; aussi c’est être déjà pur que d’avoir entendu la parole ; voilà pourquoi celui qui l’a entendue et qui ne la pratique pas sera sans excuse, puisqu’il n’aura été ni sans lumière ni sans moyens. L’esprit nous fait aussi entendre journellement cette parole :

« Comme la branche de la vigne ne peut point porter de fruit par elle-même, mais qu’il faut qu’elle demeure attachée au cep ; ainsi vous n’en pouvez point porter si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep de la vigne, et vous en êtes les branches. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits, car vous ne pouvez rien faire sans moi. » C’est une chose douce et consolante de sentir véritablement que c’est de notre adhérence à l’esprit et à la parole que dépend notre fructification ; de sentir qu’il doit se former en nous un mariage réel de la parole avec notre être divin, et que c’est de là que résulte ce fils spirituel et ce nouvel homme qui nous fait revoir les belles campagnes de la terre promise.

Mais toujours fidèles à la nature, ne comptons sur la solidité de cette alliance et sur les longs jours de celui qui doit en recevoir en nous la naissance qu’autant que la vie divine vient s’établir en nous comme à notre insu, et qu’il s’y forme comme dans le secret une source vivante et intarissable dont tous les ruisseaux vont à leur tour former des alliances particulières avec toutes les formes et toutes les propriétés de notre être.

Nous ne pouvons sentir cette délicieuse et active vérité sans reconnaître la certitude de ces paroles : « Vous ne pouvez rien faire sans moi.... celui qui ne demeure pas en moi sera jeté dehors comme un sarment inutile. Il séchera, il sera ramassé et jeté au feu, et il brûlera. » Voulez-vous éviter cet effroyable danger ? Évitez que tout votre être ne passe ses jours dans la stérilité et dans la sécheresse. Voulez-vous, dis-je, éviter ce danger ? Placez devant vous le nom du Seigneur ; que cet autel soit toujours dressé et toujours prêt à recevoir vos offrandes. Ne prenez pas une résolution, n’accordez pas un mouvement à votre être sans venir auparavant le présenter au temple, comme la loi des hébreux l’ordonnait pour les prémices de toutes les productions de la terre ; ayez sans cesse l’encensoir à la main pour honorer celui de qui vous tenez ce fils de l’homme, ce premier né en vous qui devient votre guide pendant vos pénibles voyages, et qui doit vous apprendre à célébrer ce nom du Seigneur dans vos triomphes, dans vos besoins, dans vos consolations, dans vos détresses, puisque sans lui toutes les branches de votre arbre spirituel demeureraient dans la sécheresse et seraient condamnées au feu, et que sans lui vous seriez sans activité, sans pénitence, sans courage, sans humilité, sans amour, sans confiance ; puisqu’enfin sans lui tout en vous serait sans parole.

Au contraire. « Si nous demeurons en lui et si ses paroles demeurent en nous, nous demanderons tout ce que nous voudrons, et il nous sera accordé, parce que la gloire de son père est que nous rapportions beaucoup de fruits et que nous devenions ses vrais disciples.

« Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ; comme j’ai gardé aussi les commandements de mon père et que je demeure dans son amour. » Telle est en effet la véritable demeure du nouvel homme, parce qu’il ne peut habiter qu’avec son père, puisque c’est de lui qu’il reçoit continuellement la vie, et c’est une semblable demeure que le nouvel homme ou notre fils spirituel nous promet si nous demeurons dans son amour comme il demeure dans l’amour de son père. Or demeurer dans l’amour du Seigneur, c’est n’en pas sortir, c’est ne pas aller ailleurs, c’est ne pas même bouger de la place ; et si cet amour du Seigneur pouvait demeurer en nous avec la même constance, notre félicité ne serait-elle pas dès lors imperturbable ? Oh ! combien sont grands et puissants ceux qui sont calmes, fixes et paisibles comme l’est la vie de l’unité et dans l’unité ?

Je vous ai dit ceci afin que ma joie demeure en vous et que votre joie soit pleine et parfaite. Si le nouvel homme nous communique la joie dont il est rempli, et qu’il puise sans interruption dans la joie de son père, notre joie sera pleine et parfaite, parce qu’elle sera le fruit divin de la vie éternelle, lequel fruit ne peut manifester sa maturité et toute la douceur de ses sucs si salutaires que quand il est parvenu jusques dans l’âme de l’homme, et qu’il en a tellement vivifié et pénétré toutes les facultés qu’elles soient devenues à leur tour des arbres superbes et fertiles, à l’imitation de cet arbre incréé dont elles doivent être les représentants sur la terre.

« Nul ne peut avoir un plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous serez mes amis si vous faites tout ce que je vous commande. » Qu’est-ce que l’esprit nous commande ? C’est de le laisser passer en nous et se manifester par nous afin qu’il soit connu des nations et que tout soit rempli de sa lumière et de sa plénitude. La manière dont nous devenons ses amis est qu’il ne peut passer en nous sans y laisser des rayons de la vie dont il est la source, et sans se prononcer lui-même en nous selon notre propre mode, et selon toutes les formes de notre être.

« Je ne vous appellerai plus maintenant serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que fait son maître, mais je vous appellerai mes amis parce que je vous ai fait savoir tout ce que j’ai appris de mon père. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis, et je vous ai établis afin que vous portiez beaucoup de fruits. » Voilà le véritable but de l’esprit sur nous, et tel est aussi celui du nouvel homme, et c’est pour cela que l’amour se propage et que quand tout est ami en nous, nous devenons les amis du Seigneur.

« Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui. Mais parce que vous n’êtes point du monde, je vous ai choisis et séparés du monde. » Nouveau tableau de la destination primitive de l’homme par laquelle il devait planer au-dessus de ce monde, et puiser continuellement sa mission divine dans la source supérieure et éternelle.

« Le serviteur n’est pas plus grand que le maître ; s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront. Mais ils vous feront tous ces mauvais traitements à cause de mon nom ; parce qu’ils ne connaissent point celui qui m’a envoyé. » L’ennemi qui s’est emparé du royaume de ce monde comprend dans sa haine tous ceux qui se rangent du parti de celui dont il s’est rendu l’adversaire ; et si nous considérons comment il en a traité les ouvrages, nous ne serons plus étonnés de la manière dont il en traite les ouvriers. Mais que pourrons-nous craindre si nous savons nous rallier à cette vérité ? L’ennemi dans ses projets n’a agi que contre lui-même, et n’a jamais rien pu contre elle, il ne pourra donc rien contre nous si nous nous unissons à elle, et qu’à son exemple nous planions au-dessus de la région destinées.

« Si je n’étais point venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point de péché, mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché. Celui qui me hait, hait aussi mon père. » Voir le fils et ne pas reconnaître le père, c’est manquer à la fois et d’intelligence et de volonté. C’est manquer d’intelligence, parce que qui voit le fils voit le père ; puisqu’il en est de cette manifestation comme de celle de notre parole, dans laquelle ceux à qui nous la manifestons peuvent voir notre pensée qui en est le père ; c’est manquer de volonté, puisque cette parole qui se présente sous la forme humaine nous annonce assez clairement quels sont nos droits et nos privilèges, et ce qu’ils pourraient nous faire obtenir pour peu que nous voulussions en user.

C’est pour cela que le Réparateur ajoute : « Si je n’avais point fait parmi eux des œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient point de péché ; mais maintenant ils les ont vues, et ils ont haï et moi et mon père. » Puisque si celui qui voit le fils voit le père, si celui qui aime le fils aime le père, il est impossible par la même raison de haïr le fils sans haïr le père, attendu que le père est dans le fils, comme le fils est dans le père.

« Mais quand le consolateur que je vous enverrai de la part de mon père sera venu, l’esprit de vérité qui procède du père, il rendra témoignage de moi. » Malheureusement, ceux qui n’auront pas vu le père dans le fils pourront n’y pas voir l’esprit davantage, et c’est alors que leur faute sera tellement constatée et confirmée qu’ils seront sans aucune excuse, et que pour eux la justice, au lieu de se convertir en miséricorde et en amour, se convertira en jugement. (PS. 93 : 15.)

Mais pour vous, vous en rendez aussi témoignage, parce que vous êtes dès le commencement avec moi. Comment ceux qui auront vu le fils et qui auront été avec lui dès le commencement ne lui rendraient-ils pas témoignage devant le consolateur, puisqu’ils peuvent même, ayant vu le fils, rendre également témoignage du père ? Et c’est un semblable témoignage que le nouvel homme attendra de tout ce qui est en lui, puisque sa pensée, sa parole, et son action, seront intimement liées, et que rendre témoignage à l’une, c’est nécessairement rendre témoignage aux deux autres.

 

 

63.

 

« Je vous ai dit ces choses pour vous préserver des scandales et des chutes. Ils vous chasseront de leurs synagogues, et le temps va venir que quiconque vous fera mourir croira faire un sacrifice à Dieu. Ils vous traiteront de la sorte parce qu’ils ne connaissent ni mon père ni moi. » Le scandale est la honte de l’intelligence, tant de la part de celui qui le donne que de la part de celui qui le reçoit, parce que celui qui a les yeux ouverts s’observe dans ses propres mesures, et discerne trop bien celles des autres pour ne leur pas rendre ce qui leur appartient, soit l’intérêt du dévouement lorsqu’elles sont justes, soit celui de la condescendance et de la pitié lorsqu’elles ne le sont pas.

« Je ne vous les ai pas dites dès le commencement parce que j’étais avec vous ; maintenant je m’en vais à celui qui m’a envoyé et nul de vous ne me demande où je vais ; mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur. » Ces scandales ne peuvent arriver quand l’esprit de vérité est à demeure dans l’homme, parce qu’il éclaire tout ; c’est pourquoi l’homme s’afflige quand il prévoit des suspensions où il aura de la peine à démêler en lui-même la lumière d’avec les ténèbres parce qu’il sera seul. Mais il ne prévoit pas que ces suspensions ne sont que pour lui préparer les voies à l’accomplissement de son œuvre, sans quoi il se remplirait de consolations.

« Il vous est utile que je m’en aille, car si je ne m’en vais point, la consolateur ne viendra point à vous, mais si je m’en vais, je vous l’enverrai. » Comment le consolateur ou l’œuvre effectif naîtrait-il en nous si la volonté, l’amour, et la parole ne nous l’envoyaient ? Et comment cette parole nous l’enverrait-elle si elle ne rentrait dans son père dont elle est née elle-même ?

« Et lorsqu’il sera venu, il convaincra le monde touchant le péché, touchant la justice, et touchant le jugement. Touchant le péché, parce qu’ils n’ont pas cru en moi », malgré qu’ils eussent en eux une parole qui leur prouvait l’existence de leur pensée, comme ma parole et mes œuvres leur prouvaient l’existence de mon père.

Touchant la justice, parce que je m’en vais vers mon père et que vous ne me verrez plus, attendu que je n’ai paru près de vous que pour vous délivrer de votre esclavage et de vos chaînes, et qu’il faut maintenant vous laisser développer vos forces pour que vous atteigniez le but, et que vous obteniez les récompenses qui sont promises à tous les fidèles serviteurs.

Touchant le jugement, parce que le prince du monde est déjà jugé, et que la présence du consolateur fera connaître à ce prince du monde qu’il n’a plus rien à espérer, que ses projets sont déconcertés, que ses forces sont détruites, que la honte, la confusion, et les plus horribles châtiments vont tomber sur lui et sur ses adhérents ; tandis que la lumière et les consolations vont remplir ceux qu’il a voulu rendre ses victimes. Vous ne pouvez douter de l’existence de ces trois témoignages de l’esprit, puisque le nouvel homme, qui est l’image de cet esprit, peut vous les faire trouver tous les trois en vous-même.

« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand l’esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. » Le nouvel homme découvre en lui chaque jour de nouvelles clartés dont les diverses intelligences  de son point encore susceptibles ; il est obligé de les renfermer en lui-même jusqu’à ce que ces intelligences aient acquis plus de forces et plus de consistance, c’est-à-dire, jusqu’à ce que les rayons de l’esprit aient transformé leur substance incomplète en une substance de réalité et de vérité ; mais aussi il se remplit chaque jour d’une nouvelle espérance que ces salutaires effets s’accompliront, parce qu’en combattant ardemment l’apparence dont il s’est environné lui-même, il parvient à sentir en lui comme le contact de la vie même, comme ce punctum saliens, dont il a tout lieu de croire qu’avec le temps il ne peut résulter que des fleuves abondant qui ne laisseront dans la stérilité aucune des régions de son être.

« C’est lui qui me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est en moi et il vous l’annoncera ; tout ce qu’a mon père est à moi, c’est pourquoi je vous ai dit qu’il prendra de ce qui est à moi et qu’il vous l’annoncera. » Lorsque l’esprit prendra de ce qui est au fils, il prendra de ce qui est au père, puisque tout ce qui est au père est au fils ; voilà pourquoi il glorifiera le fils, puisqu’il développera et manifestera comme appartenant au fils les merveilles dont le père est le dépositaire et la source. Voilà pourquoi la gloire du nouvel homme sera si grande quand toutes ses facultés auront été renouvelées par l’esprit, puisque cet esprit témoignera par-là que le nouvel homme est lui-même rempli des merveilles du père, et que cette Divinité suprême a réellement passé en lui toute entière.

Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps, et vous me verrez, parce que je m’en vais à mon père. La première apparition du nouvel homme en vous est une apparition voilée et couverte des nuages de la région figurative et passagère, aussi elle ne peut avoir qu’un temps, et quand ce temps est accompli, elle doit cesser ; mais elle ne cesse que pour revenir avec plus de splendeur, puisque le nouvel homme, se rapprochant de la source d’où il est émané, y prend une nouvelle vie et une existence toute spirituelle, paroles que les apôtres ne pouvaient comprendre.

En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez, vous autres, et le monde sera dans la joie ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie. Pourquoi le monde sera-t-il dans la joie quand le nouvel homme sera disparu ? C’est qu’il croira ce nouvel homme disparu pour jamais, et que ce nouvel homme est pour lui un être scandaleux, et qui, par sa seule présence, lui reproche son néant et son impiété. C’est que le monde fait alors envers ce nouvel homme ce qu’Hérode a fait envers le précurseur à Jérusalem.

« Lorsqu’une femme enfante, elle est dans la tristesse parce que son heure est venue, mais après qu’elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de ses maux dans la joie qu’elle a de ce qu’un homme est né dans le monde. » C’est cette joie que le nouvel homme seul peut connaître quand il sent qu’il est sorti de l’esclavage et du lieu de ténèbres, et que l’esprit lui a donné la naissance ; il la sentira cette joie bien plus vivement encore lorsque cette naissance sera confirmée en lui par la présence du consolateur.

« Vous êtes donc maintenant, vous autres, dans la m’tristesse, mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie. » Parce que l’homme que vous aurez mis au monde ne sera né ni de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l’homme, mais de la volonté de l’esprit, et qu’ainsi cet homme sera nommé le fils de Dieu.

En ce jour là, vous ne m’interrogerez plus de rien.Car comment pourriez-vous avoir besoin de m’interroger, puisque celui qui doit venir et vous enseigner toute vérité sera pour vous la continuelle expression du père et du fils, et qu’il développera sans cesse à votre cœur et à votre esprit tous les trésors de la sagesse et toutes les merveilles de l’unité ?

« Je vous ai dit ceci en paraboles. Le temps vient que je ne vous entretiendrai plus en paraboles, mais que je vous parlerai ouvertement de mon père. En ce temps-là vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis point que je prierai mon père pour vous, car mon père vous aime lui-même parce que vous m’avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. » Le temps des paraboles est celui où nous sommes encore sous les ombres de notre région ténébreuse qui, comme l’ancienne alliance, ne nous permet de voir que des éclairs de la vérité ; lorsque l’âge de la maturité de l’esprit est arrivé pour le nouvel homme, il est au-dessus des paraboles, puisque la parole ou la bouche du père est ouverte pour lui, et que le père cherche à le récompenser de l’avoir reconnu dans la parole et la bouche de son fils.

Je suis sorti de mon père, et je suis venu dans le monde ; maintenant je laisse le monde, et je m’en vais vers mon père. Comment le nouvel homme pourrait-il se montrer en nous aux ténèbres qui nous composent, s’il ne sortait de son père ? Comment la lumière supérieure et les ténèbres inférieurs pourraient-ils habiter ensemble ? Mais aussi puisque la lumière supérieure et les ténèbres inférieurs ne peuvent demeurer ensemble, comment le nouvel homme, après être sorti de son père pour venir dans nous, ou dans ce bas monde, ne quitterait-il pas ce bas monde pour s’en retourner vers son père ?

« Vous croyez maintenant, mais le temps va venir et il est déjà venu que vous serez dispersés, chacun de son côté, et que vous me laisserez seul ; mais je ne suis pas seul, parce que mon père est avec moi. » La présence du nouvel homme réjouit pour un temps nos facultés ténébreuses ; mais quand il se retire pour retourner vers son père, elles restent livrées à leurs ténèbres et ne se souviennent plus de lui, jusqu’à ce qu’il revienne pour les régénérer de nouveau. Mais elles ont beau le laisser seul ; il ne peut être seul, puisqu’il est un témoignage vivant de l’existence et de la présence de son père auprès de lui.

« Je vous ai dit ceci afin que vous trouviez la paix en moi ; vous aurez des afflictions dans le monde, mais ayez confiance, j’ai vaincu le monde. » Le nouvel homme ne vient au milieu de nous que pour rompre nos liens, et pour vaincre le monde qui est en nous ; ainsi les ténèbres qui nous environnent encore après son retour vers son père ne sont plus vivants comme ils l’étaient auparavant, et ils doivent finir par s’éclairer infailliblement, puisque la racine en est coupée et que le nouvel homme a vaincu le monde. C’est sous ce rapport que ce nouvel homme est si précieux pour nous, puisque sans lui toutes nos substances spirituelles auraient conservé à jamais et leurs ténèbres, et la racine de ces mêmes ténèbres.

 

 

64.

 

Rassemblons ici toutes nos puissances, précipitons-nous avec ardeur dans le torrent qui porte avec lui la conviction, parce que sans la conviction, il n’y a point de force et de courage, et que sans la force et le courage, il n’y a point de bonté ni dans notre cœur ni dans nos œuvres. Rassemblons, dis-je, toutes nos puissances, et disons avec le Réparateur :

Mon père, l’heure est venue, glorifiez votre fils, afin que votre fils vous glorifie, parce que la gloire et l’intérêt de la louange de notre père et de notre maître doivent nous animer plus que notre propre gloire, et malheur à celui qui dans sa pensée, dans son amour, ou dans ses œuvres, se compte lui-même un seul instant, puisque cet instant est perdu pour lui comme pour son maître ! Les temps antérieurs ont été sacrifiés à la consommation de notre vanité ; mais l’heure est venue où doivent se faire connaître à la fois la puissance du maître, la faiblesse de l’ennemi, la fidélité du serviteur.

« Vous lui avez donné puissance sur tous les hommes, afin qu’il donne la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés. Or, la vie éternelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul Dieu véritable, et le Réparateur que vous avez envoyé. » La puissance n’est donnée au nouvel homme sur toutes les régions de son être qu’afin qu’il leur communique la vie éternelle dont il est rempli ; et cette vie éternelle peut-elle être autre chose que de connaître le suprême auteur de la vie dans celui qu’il a envoyé pour le manifester, et de sentir en nous-même, comme cela est donné à tous, l’œuvre effectif de cette naissance spirituelle par la naissance du nouvel homme en nous ; merveille qui pourrait nous combler de joie, mais qui ne devrait pas nous surprendre, si nous avions présent à la pensée que nous devons être sous tous les rapports l’image et la ressemblance de Dieu.

« Je vous ai glorifié sur la terre.... maintenant, glorifiez-moi en vous-même, de cette gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût. » Le nouvel homme sent aisément qu’il y a deux gloires, celle qu’il a droit d’attendre de nous quand il nous manifeste la lumière éternelle de la vie, et celle que cette lumière éternelle doit recevoir lorsqu’elle agit elle-même directement en lui. L’une de ces gloires semble être plus réversible à lui-même qu’à la source dont il descend ; l’autre semble plus réversible à cette source elle-même, voilà pourquoi il désire tant d’être glorifié de cette gloire là, parce qu’il brûle uniquement du zèle de la maison de son maître.

« J’ai fait connaître votre nom aux hommes que vous m’avez donnés après les avoir séparés du monde ; ils étaient à vous, et vous me les avez donnés, et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils connaissent que tout ce que vous m’avez donné vient de vous, parce que je leur ai donné les paroles que vous m’avez données, et ils les ont reçues, ils ont reconnu véritablement que je suis sorti de vous, et ils ont cru que vous m’avez envoyé. » Cette gloire que le Réparateur a eue dans son père avant que le monde fût est si grande que le nouvel homme la demande comme une récompense de ses travaux, comme un lieu de repos pour avoir manifesté la parole ; cette gloire doit en effet être le véritable lieu de repos pour l’esprit de l’homme qui, selon la loi de tout ce qui existe, ne peut trouver de repos que dans la génération de sa propre source en lui-même.

« C’est pour eux que je prie ; je ne prie point pour le monde, mais pour ceux que vous m’avez donnés, parce qu’ils sont à vous. Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi, et je suis glorifié en eux. » Comment le nouvel homme prierait-il pour le monde, puisque le monde dont il s’agit ici n’est point composé d’hommes, mais du temps et de l’apparence qui ne peuvent ni enfanter la prière ni participer aux douceurs de ses fruits ?

« Je ne suis plus maintenant dans le monde, mais ils sont encore dans le monde, et je m’en vais à vous. Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils soient un comme nous. » Le nouvel homme, quoique sorti du monde en esprit, s’occupe des siens qui sont encore dans le monde, parce qu’il sait qu’ils y sont encore en danger, jusqu’à ce que l’œuvre soit entièrement accomplie sur eux ; et comme il sait ne pouvoir vivre que par son père, il emploie tout son amour auprès de ce même père qui les lui a donnés, et sans lequel il sait qu’ils ne peuvent pas plus vivre que lui-même.

« Lorsque j’étais avec eux dans le monde, je les conservais en votre nom. J’ai conservé ceux que vous m’avez donnés, et nul d’eux ne s’est perdu, mais celui-là seulement qui était enfant de perdition, afin que l’Écriture soit accomplie. » La présence du nouvel homme parmi les siens est suffisante pour les préserver ; aussi, si l’homme veillait dans la sainteté sur son cercle, il ne perdrait aucun de ceux qui sont en lui, excepté le fils de perdition qui est également en nous, qui doit même assister à notre régénération comme il a assisté à notre perte, mais qui ayant assisté avec triomphe à notre perte ne doit pouvoir assister qu’avec honte et confusion à notre délivrance, afin que la justice prononcée contre lui dès l’instant du crime, et promulguée par les Écritures, soit exécutée dans notre sanctification, comme cela est arrivé à Iscariote qui assista bien à la cène célébrée par le Réparateur, et qui triompha en le livrant aux princes de la synagogue, mais pour qui le sacrifice glorieux de ce Réparateur ne fut ensuite qu’une honte et qu’un fléau de plus.

« Maintenant je viens à vous, et je dis ceci étant encore dans le monde, afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie. Je leur ai donné votre parole, et le monde les a haïs.... Je ne vous dis point de les ôter du monde, mais de les garder du mal.... Sanctifiez-les dans votre vérité... Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’ils soient aussi sanctifiés dans la vérité. » Que serait la sanctification du nouvel homme si elle ne s’étendait à tout notre être ? Et que serait la sanctification de tout notre être si elle ne s’étendait qu’à notre propre cercle ?

« Je ne prie pas seulement pour eux, mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole. Afin qu’ils soient un, tous ensemble, comme vous, mon père, êtes en moi, et moi en vous, qu’ils soient de même un en nom, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. » Quel autre désir que celui de l’expansion de l’unité peut se faire connaître à celui qui est plein de la vie de l’unité ? Aussi les traits les plus vifs que le nouvel homme éprouve dès qu’il entre dans la voie de sa régénération, ce sont ceux du zèle et de l’ardeur pour cette expansion de l’unité ; c’est la douleur que lui occasionne la vue des campagnes d’Israël abandonnées et désertes, de même que le spectacle de tous ceux de ses frères qui sont emmenés en captivité et languissants dans l’esclavage, et c’est sur lui-même qu’il trouve à éprouver toutes ces diverses impressions, puisque nous ne devons plus oublier que l’homme est à lui seul un univers tout entier, et nous ne devons plus douter que si, à l’image du Réparateur universel, il se trouve en chacun de nous un libérateur particulier, ce n’est que parce qu’il s’y trouve aussi des rois d’Égypte et de Babylone qui ne manquent pas de trouver également en nous un peuple coupable qu’ils emmènent journellement en servitude.

« Je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux, et vous en moi, afin qu’ils soient consommés en l’unité et que le monde connaisse que vous m’avez envoyé, et que vous les aimez comme vous m’avez aimé. » C’est-là cette unité effective, et connue en effectivité de ceux qu’elle aime et qui la cherchent comme l’a fait le nouvel homme. C’est-là ce qui les met dans le cas de convaincre le monde que la gloire de cette unité est venue jusqu’à eux, et que par conséquent la voie qui la devait apporter est venue aussi et a été montrée aux nations.

« Mon père, je désire que là où je suis ceux que vous m’avez donnés y soient aussi avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire que vous m’avez donnée, parce que vous m’avez aimé avant la création du monde. » Nouvel homme, contemple ici la gloire que te prépare le Réparateur, afin que tu la prépares toi-même à ton tour à tous les tiens. Ce n’est rien moins que d’être là où est le Réparateur lui-même ; ce n’est rien moins que de contempler sa propre gloire, de percer par-là jusqu’à cette lumière qui est au-dessus des temps, de sentir en t’élevant jusqu’à lui ce que c’est que d’avoir été aimé de Dieu avant la création du monde ; et de reconnaître par ce moyen l’immensité du vaste champ que peut embrasser ton antique origine et ta sainte immortalité.

« Père juste, le monde ne vous a point connu, mais moi, je vous ai connu, et ceux-ci ont connu que vous m’avez envoyé. Je leur ai fait connaître votre nom, et le leur ferai connaître encore, afin que l’amour par lequel vous m’avez aimé soit en eux, et que je sois moi-même dans eux. » Nouvel homme, ne cesse point de faire remarquer à tous les tiens ces dernières paroles du Réparateur, avant qu’il soit livré pour aller consommer son sacrifice ; ne cesse point de leur dire que le terme de tous ses désirs est que l’amour par lequel son père l’a aimé soit dans ses disciples, et qu’il ne cherche qu’à être en eux pour leur faire parvenir cet amour dont il est aimé de son père, et dont il aime toute la famille humaine. Ne cesse point de leur faire observer qu’il ne leur montre ainsi son amour comme le terme final de toutes ses œuvres, et de toutes ses entreprises, que parce que cet amour en est le principe éternel et universel.

 

 

65.

 

Après avoir ainsi terminé ses instructions, le Réparateur se retire dans la vallée de Gethsémani, ou vallée de l’Huile, et il entre dans le jardin des Oliviers où il allait ordinairement avec ses disciples. Ce nom de vallée d’Huile est lui-même analogue à l’œuvre de paix que ce Réparateur venait opérer ; et c’est dans ce jardin de pacification où il va être trahi et livré, comme le fut autrefois le premier homme dans le jardin d’Éden ou de délices, afin que, par ces frappantes correspondances, l’homme intelligent aperçoive les rapports qui existent entre ces diverses époques, et qu’il ne puisse plus douter que le Réparateur n’ait voulu absolument marcher par les mêmes voies que l’homme coupable, mais dans un autre esprit et dans l’intention de rectifier ces voies et de rétablir ce que cet homme coupable avait détruit.

C’est ici, nouvel homme, que le poids de l’œuvre te va paraître accablant ; tu vas commencer à être saisi de tristesse, tu diras à ceux des tiens qui sont les plus près de toi : Mon âme est triste jusqu’à la mort, demeurez ici et veillez avec moi. Mais comme l’homme coupable pécha seul, tu les croiras encore trop près de toi, dans l’expiation que tu vas subir, et tu travailleras seul à cette terrible expiation. Tu concentreras toutes tes facultés en toi-même, en raison de la criminelle concentration où l’homme se réduisit par son crime. Cette expiation te paraîtra si redoutable que tu diras : Mon père, faites, s’il est possible, que ce calice passe et s’éloigne de moi ; mais la soumission l’emportant sur ta faiblesse, tu ajouteras : Néanmoins que votre volonté s’accomplisse, et non la mienne !

Tu reviendras jusqu’à trois fois vers les tiens, et les trouvant chaque fois endormis, comme s’endormirent jadis les trois facultés du premier coupable, tu leur diras : Voici l’heure qui est proche, et le Fils de l’homme va être livré entre les mains des pécheurs. Dès lors tu recevras le baiser de Judas ; baiser semblable à celui que le premier coupable reçut de l’ennemi dans les fausses promesses d’une grandeur illusoire dont il berça son espérance ; et tu tomberas, comme ce premier homme coupable, au pouvoir de celui qui te trahit. Mais le premier homme ne tomba ainsi au pouvoir de ses ennemis que parce qu’il suspendit ses puissances ; et toi, nouvel homme, c’est pour retomber au pouvoir de Dieu que tu vas suspendre les tiennes, afin que tous les ressorts de l’expiation puissent être mis en mouvement.

Tu n’ignorais pas la loi : Quiconque frappera de l’épée périra par l’épée, puisque tu la rappelles à celui qui veut te défendre et que tu ne veux pas même recourir au secours de ton père qui t’enverrait douze légions d’anges, parce que ton sacrifice doit être volontaire pour t’être utile, puisque le crime du premier homme ne lui a été funeste que parce qu’il avait été volontaire.

C’est même pour prouver à tes ennemis ton volontaire dévouement que tu les renverseras d’abord par cette seule parole : C’est moi, et qu’ensuite tu te livreras entre leurs mains pour leur montrer d’un côté ta redoutable puissance, et de l’autre l’énormité de leur crime, puisque, malgré ces témoignages évidents de ta puissance, ils ont la criminelle impiété de se saisir de toi et de continuer leurs atrocités contre toi : aussi c’est-là ce qui les rendra à jamais indignes de pardon, puisque l’ignorance ne pourra pas leur servir d’excuse. Mais tout cela se fait afin que les paroles des prophètes s’accomplissent. Et même alors les tiens t’abandonnant s’enfuiront tous, comme dans une énorme douleur ; et, dans des maux extrêmes, inévitables, et qui tombent déjà sur nous, toutes nos puissances se suspendent et semblent se retirer de nous.

Mais devant qui vas-tu paraître ? C’est devant le grand prêtre de la loi du temps, et où se trouvent assemblées toutes les ténèbres, c’est-à-dire, les docteurs de la loi et les sénateurs, qui, tourmentés par les rayons de vérité qui sont sortis de toi et qui les humilient, cherchent partout des faux témoignages contre toi pour te faire mourir.

Tant que le grand prêtre n’emploiera avec toi que la voix de ces faux témoignages, tu garderas le silence, non-seulement parce que tu t’es dévoué, mais encore parce que tu sais que l’homme ayant lui-même faussé le témoignage qu’il devait rendre autrefois à la Divinité Suprême, c’est une loi de la justice qu’il éprouve la peine du talion, et qu’il soit l’objet des faux témoignages. Mais quand le grand prêtre te commandera par le Dieu vivant de lui dire si tu es le Christ fils de Dieu, tu montreras ton respect pour ce nom ineffable, et tu lui répondras que tu es l’oint du Seigneur pour opérer ta régénération particulière, comme le Réparateur est l’oint du Seigneur pour la régénération universelle. Tu ajouteras même, pour lui faire connaître ta tranquillité au milieu de ses menaces et ton espérance au milieu de tes tribulations, qu’un jour il verra le fils de l’homme assis à la droite de la majesté de Dieu, qui viendra sur les nuées du ciel.

Ce grand prêtre de la loi du temps feindra d’être scandalisé de tes paroles ; dans son hypocrite ignorance, il déchira ses vêtements en disant : Il a blasphémé, qu’avons-nous plus besoin de témoins ? Vous venez vous-même de l’entendre blasphémer. Qu’en jugez-vous ? Et étant remplis de l’esprit de leur chef, ils répondront : Il a mérité la mort. Alors tous les adhérents de ce chef ambitieux et jaloux se réuniront contre toi ; ils t’accableront d’insultes et d’outrages ; ils multiplieront contre toi les accusations afin de te troubler dans ton œuvre, et surtout afin de t’empêcher de manifester les titres de la véritable royauté.

Les ennemis de la paix et de la lumière, en te traitant de la sorte, auront grand soin d’observer quelque points de la loi, afin de paraître fidèles à la justice tout en égorgeant l’innocence. C’est ainsi que les juifs, en conduisant le Réparateur chez Pilate pour le livrer à la mort, ne voulurent point entrer dans le palais de ce gouverneur qui n’était pas de leur religion, de peur qu’étant impurs ils ne pussent manger la pâque.

Il y aura bien en toi un homme naturel, dirigé par sa simple raison qui condamnera toutes les injustices que tes ennemis intérieurs dirigeront contre toi. Il essayera même, comme Pilate, de ne point se prêter à la fureur de tes adversaires, et de leur persuader que c’est injustement et sans sujet qu’ils t’accusent et qu’ils te condamnent : mais cet homme même, tu seras obligé de le réduire au silence, parce que c’est le moment où la puissance des ténèbres doit régner, afin que ton sacrifice puisse s’accomplir ; et c’est-là le moment où le pacifique dévouement du nouvel homme doit se manifester ; c’est là où il doit sentir ce qu’il en a coûté à la vérité suprême lorsqu’elle s’est vue outragée par l’homme prévaricateur, et où il reconnaîtra qu’il faut qu’il éprouve la même espèce d’injustice qui a été commise lors de la chute.

Néanmoins, cet homme naturel, qui est encore en toi et qui ne s’aveugle point sur les injustices qui se commettront intérieurement contre toi, se séparera de tes accusateurs, et dira comme Pilate lorsqu’il fit apporter de l’eau et qu’il se lava les mains devant le peuple : Je suis innocent du sang de ce juste ; ce serait en vain qu’il s’opposerait à ta condamnation, ce serait en vain que les rois de la terre, tout en te méprisant, comme Hérode méprisa le Réparateur, diraient cependant qu’ils ne trouvent rien en toi qui mérite la mort ; ce serait en vain qu’ils offriraient de te délivrer au moment de la pâque, selon l’usage où était le gouverneur de délivrer un criminel à cette époque. Tes ennemis intérieurs ne se contentent pas de te dénoncer comme criminel, ils veulent encore que tu sois crucifié comme tel, tandis qu’au contraire,ils veulent qu’on délivre Barabbas, c’est-à dire, qu’ils veulent que la grâce tombe sur le coupable, et toute la fureur de la vengeance qu’ils appellent justice sur l’innocent.

Nouvel homme, nouvel homme, admire ici cette sainte et profonde économie que la sagesse emploie pour accomplir les desseins qu’elle a formés en faveur de la postérité de l’homme. Porte des yeux intelligents sur tous ces faits que le Réparateur a présentés à ta pensée. Pour quel objet était venu ce Réparateur ? N’était-ce pas pour sauver le coupable ? N’était-ce pas pour délivrer l’esclave ? N’était-ce pas pour arracher ta parole aux abîmes qui la retenaient renfermée ? Eût-ce été pour se délivrer lui-même, puisqu’il n’était point sous la loi du péché ?

Mais la délivrance du coupable ne pouvait avoir lieu sans le sacrifice de l’innocent, puisqu’il falloir présenter un appas à l’ennemi sur lequel il pût décharger sa rage afin de le forcer par là à lâcher sa proie. Voilà pourquoi le Réparateur suspend toutes ses puissances spirituelles pour se livrer à la puissance temporelle des hommes. Il suspend toutes ses puissances spirituelles par son amour et par le désir qu’il a de rendre la vie à ses frères, comme le premier homme avait suspendu les siennes par un cupide orgueil et par une inique aveuglement ; il se livre à la puissance temporelle des hommes dans un temps marqué où leur loi, et leur coutume les autorise à délivrer un criminel ; et tandis qu’il a en lui tous les moyens pour s’arracher aux mains de ses ennemis, il se laisse condamner par eux et laisse délivrer le voleur. Image temporelle de la délivrance spirituelle qu’il allait opérer sur toute la postérité humaine par la consommation de son sacrifice.

C’est donc à toi, nouvel homme, de puiser ici les instructions salutaires que cette marche du Réparateur a présentées à ton intelligence ; suspends en toi-même toutes tes puissances spirituelles d’empire et d’autorité, pour ne mettre en œuvre que tes puissances de résignation ; immole sans cesse dans toi l’homme innocent pour la délivrance de l’homme coupable, ou du barabbas que tu portes dans ton sein. Enfin livre courageusement l’homme illusoire et passager aux mains de tes ennemis ; ils seront eux-mêmes les victimes des maux qu’ils lui feront souffrir ; son sang retombera sur eux et sur leurs enfants ; parce qu’en exerçant leur rage sur l’homme illusoire et passager, ils ouvriront la voie à l’homme réel et régénéré dans la vie, et c’est cet homme réel et régénéré dans la vie qui les couvrira de honte et les précipitera dans les abymes.

 

 

66.

 

Après que ce Réparateur a été couvert d’outrages, après qu’il a été revêtu de toutes les marques de la dérision, après que dans cet état d’humiliation Pilate l’a présenté au peuple et a dit : Voilà l’homme, comme pour nous retracer ce dépouillement ignominieux de toute notre puissance et de toute notre gloire où le crime primitif nous a entraînés, après, dis-je, que tous ces types préparatoires sont accomplis, le Réparateur est livré entre les mains de ses ennemis pour qu’ils le crucifient, et aussitôt ils le conduisent au supplice avec deux voleurs qui doivent être crucifiés en même temps.

Nouvel homme, pourquoi le Réparateur marche-t-il ainsi au supplice, au milieu de deux voleurs, si ce n’est pour montrer qu’il ne venait que pour briser l’iniquité ? Mais quelle est cette iniquité qu’il doit briser ? C’est toi-même, ô âme de l’homme, qui t’es transformée en mensonge et en abomination ; car c’est par toi qu’il doit passer aujourd’hui pour aller attaquer l’ennemi comme autrefois il aurait passé par toi pour lui porter des secours et des lumières ; la loi n’a pas changé quoique l’objet de la loi ne soit plus le même. Et toi, malheureux mortel, toi que le Réparateur ne craint pas de traverser quoique tu ne sois plus qu’iniquité, tu craindrais de traverser avec lui les iniquités qui t’environnent, ces iniquités que tu ne peux briser et dissoudre sans lui, ces iniquités qu’il vient lui-même dissoudre de concert avec toi, tandis qu’il ne te demande que de le laisser entrer en toi sous la figure d’un criminel et marcher au supplice avec toi !

Non, imitons le Cyrénéen qui lui aide à porter sa croix afin que le fardeau en soit moins pesant pour lui. Ouvrons-lui en nous une voie large et spacieuse, laissons le marcher à son gré au milieu de tous les voleurs qui sont en nous, et baisons dans une sainte et tremblante désolation tous les pas qu’il voudra bien faire en nous, jusqu’à notre Calvaire, afin que par lui et avec lui nous puissions briser et dissoudre toutes les iniquités qui nous environnent, et devenir ensuite des types de sa gloire et de sa lumière, après avoir été si honteusement les instruments de ses humiliations et de ses souffrances.

Nouvel homme, s’il y a en toi un peuple qui t’accuse et te condamne, il y en aura aussi en toi qui s’attendriront sur ton sort et qui pleureront de te voir traiter comme un scélérat ; mais tu te retourneras vers ce peuple et tu leur diras : « Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous-même et sur vos enfants, car le temps s’approche auquel on dira : heureuses les stériles et les entrailles qui n’ont point porté d’enfants, et les mamelles qui n’en ont point nourri. Ils commenceront alors à dire aux montagnes : tombez sur nous, et aux collines, couvrez-nous. Car si le bois vert est ainsi traité, que sera-ce du bois sec ? »

Marche donc sur les pas du Réparateur dans ta résignation et dans ta confiance jusque sur ton Calvaire : laisse-toi crucifier entre les voleurs qui sont dans toi. Si ton exemple et ta douceur ne les convertissent pas tous, peut-être au moins s’en peut-il trouver un qui soit touché de te voir si maltraité malgré ton innocence, et de te voir prier pour tes bourreaux. Peut-être fera-t-il alors un retour sur lui-même et méritera-t-il par sa résipiscence d’entrer dès aujourd’hui avec toi dans le paradis préparatoire.

Tu te rempliras donc de l’esprit de l’intelligence pour pénétrer dans l’œuvre et le sacrifice du Réparateur, et pour en faire ensuite l’application à ton sacrifice particulier. Tu verras pourquoi il y avait un jardin où ce Réparateur fut crucifié. (Jean 19 : 41.) Puisque tu as déjà compris pourquoi c’est dans un jardin qu’il fut arrêté, comme c’est dans un jardin que le premier homme est devenu coupable.

Tu verras pourquoi les soldats qui le crucifièrent prirent ses vêtements et les divisèrent en quatre parts, mais ne voulurent point diviser sa robe, parce que la robe du premier homme n’aurait jamais dû être divisée ; et qu’elle aurait pu répandre l’éclat de sa céleste lumière dans les quatre régions de l’univers.

Tu verras pourquoi les trois Maries se trouvent au pied de sa croix pendant son supplice comme représentant les trois premiers principes élémentaires dont l’esprit de l’homme qui se régénère est censé entièrement séparé pour entrer dans la région de l’esprit, la seule qui lui soit naturelle, puisque s’il ne l’avait pas abandonné autrefois il ne serait jamais né des femmes.

Tu verras pourquoi les princes des prêtres, les sénateurs, les soldats et tout le peuple qui passait par là l’accable de mépris, en lui disant que s’il était l’élu de Dieu envoyé pour sauver les autres, il se sauverait lui-même, et que s’il voulait qu’ils crussent en lui, il n’avait qu’à descendre de la croix ; parce qu’ils ignorent qu’il n’a que cette voie cruelle pour accomplir l’œuvre de notre délivrance, puisque nous avons laissé crucifier par le sang et par la matière ce qui était à lui et ce qui était sorti de lui, et parce que si le Réparateur descendait de la croix, l’œuvre spirituelle serait manquée, quand même les yeux corporels de la multitude se promettraient d’être convaincus par ce prodige.

Tu n’écouteras donc point cette voie mensongère qui voudrait t’arrêter dans ton œuvre et te faire descendre de ta croix, et tu t’animeras d’un zèle ardent qui ne connaîtra aucun obstacle et qui ne se donnera aucun repos que ton œuvre ne s’accomplisse et que tes yeux spirituels ne soient dessillés par des prodiges cent fois au-dessus de tous ceux que la matière pourrait t’offrir. Par là tu déconcerteras entièrement les projets de l’ennemi de toute vérité, lequel ne cherche qu’à arrêter le progrès des mesures vraies, pour faire procéder ses mesures fausses.

Comment pourrait-il avancer son œuvre quand il attaque le diamant vif, puisqu’en croyant agir pour son propre avantage, il agit presque toujours contre ? Il a poussé les juifs à faire mourir le Réparateur, et c’est cette mort qui devait le tuer. Il a poussé les juifs à demander que le sang de ce Réparateur retombât sur leur tête parce qu’il comptait les perdre par cette imprécation, et c’est ce sang qui devait les sauver. N’ayant pu réussir dans ces deux entreprises, il essaye de le faire tenter par eux en lui demandant de se délivrer lui-même pour les convaincre, et c’est au contraire ce sacrifice qu’il fait de lui-même qui doit les amener à la conviction.

Nouvel homme, tu étudieras toutes ces sagesses, et tu verras où est la source et le foyer de l’intelligence.

Tu sauras pourquoi l’inscription qui fut mise au-dessus de la tête du Réparateur portait : Jésus de Nazareth roi des Juifs, et pourquoi ces mêmes juifs demandaient que l’on mît seulement qu’il s’était dit roi des juifs, parce qu’ils eussent été choqués de l’apparence de leur crime si le nom positif était resté, tandis qu’ils ne l’étaient pas du crime même, pourvu que la victime eut l’apparence d’être criminelle.

Tu découvriras aussi des traits de lumière dans cette triple inscription en hébreu, en grec et en latin, parce que cet objet tient particulièrement à la marche que la vérité a voulu suivre sur la terre ; ce n’était point en vain que ces trois langues étaient connues et comme familières à Jérusalem ; et ce n’eût point été seulement pour être entendues des trois nations qui les parlaient que cette inscription eut été mise ainsi dans les trois langues si la sagesse n’avait eu des desseins secrets sur ces trois nations ; car il y avait encore à Jérusalem d’autres nations et d’autres langues ; et ces desseins secrets de la sagesse se sont expliqués en partie aux yeux des hommes les moins attentifs, puisqu’ils ont pu voir l’expulsion des juifs et la vocation des grecs et des romains ; nouvelle image de cette unité qui est continuellement sacrifiée pour la destruction de l’iniquité et pour la délivrance des malheureux qui font leur séjour dans les ténèbres. Mais abandonnant cette recherche particulière à l’histoire spirituelle des peuples dans laquelle doivent se trouver aussi d’immenses trésors d’intelligence et de vérité, tu poursuivras tes observations sur le sacrifice du Réparateur.

Tu verras pourquoi il dit : J’ai soif. Paroles qui avaient moins de rapport à la soif matérielle que son corps pouvoir éprouver qu’à la soif de la justice, de la force et de la lumière dont, comme homme, il sentait le besoin. Cette soif ne t’étonnera point, parce que te représentant sans cesse dans quelle détresse l’homme dut se trouver depuis qu’il eut abandonné la source éternelle de la vie, il n’est pas surprenant que cette même détresse se fasse sentir à celui qui venait prendre la place de l’homme pour opérer ce que l’homme n’aurait pu opérer seul.

C’est en ne t’écartant point de la contemplation de ces principes que tu comprendras pourquoi on lui donne du vinaigre à boire, car indépendamment de ce que les interprètes nous apprennent que c’était un usage de donner une potion amère aux criminels, tu verras que l’homme n’en pouvait trouver d’autre après s’être séparé de la source éternelle des eaux vives et pures ; et que le Réparateur, en subissant corporellement une loi si rigoureuse à sa matière, donnait en même temps une profonde instruction à la pensée, et traçait la route à l’esprit de ceux qui désirent de marcher dans les voies de la régénération.

C’est même là la dernière épreuve qui termine l’œuvre visible de ce Réparateur ; et il semble que c’est à goûter cette amertume spirituelle, comme on l’a vu au commencement de cet écrit, que consiste réellement le sacrifice et tout le prix de l’expiation, puisque le Réparateur, après avoir pris le vinaigre qui lui fut présenté dans une éponge au bout d’un bâton d’hysope, dit : Tout est accompli. Et, ayant baissé la tête, rendit l’esprit.

 

 

67.

 

Nouvel homme, applique promptement sur toi tous ces types que tu viens de parcourir. La mort corporelle du Réparateur devait être volontaire pour rendre à ton esprit la force de mourir volontairement à son tour ; et elle t’offre une œuvre plus grande que celle de ta mort corporelle même ; aussi avait-il dit : Vous ferez de plus grandes œuvres que les miennes.

Les premiers prévaricateurs firent mourir de mort le premier homme envoyé pour les régénérer ; ils le firent mourir de mort, parce que, n’étant pas matière, il ne pouvait pas mourir autrement. Les juifs ont fait mourir le Réparateur qui venait les sauver ; mais ils ne l’ont pas fait mourir de mort, parce qu’il était au-dessus du péché. Mais toi, nouvel homme, toi à qui le Réparateur vient de rendre la puissance sacerdotale pour immoler la victime, ne perds pas un instant pour exercer ton ministère. Tu vois que les premiers prévaricateurs ont fait mourir de mort le premier homme envoyé pour les régénérer. Il faut donc que tu meures de mort une seconde fois, si tu veux payer le tribut à la justice, et si tu veux rentrer dans la vie de ton esprit, et cela sans attendre même la mort de ton corps, laquelle doit, à la vérité, être toujours prête et résignée de ta part, mais qui ne doit point être volontaire, puisque celle du corps du Réparateur l’a été, et puisque ce n’est pas ton corps qui a péché.

C’est donc à l’holocauste et à la mort de ton esprit que doivent être consacrés tous tes efforts, et c’est à l’accomplissement de ce grand œuvre que doivent s’employer sans cesse toutes tes intelligences et toutes tes puissances ; car si tu ne meures de mort dans ton esprit avant la mort de ton corps, tu dois craindre qu’après la mort de ton corps ton esprit ne puisse plus vivre que de mort au lieu de vivre de la vie. Il faut donc qu’après avoir été le jouet du peuple ignorant qui est en toi, après avoir été conduit au supplice au milieu des voleurs et de l’iniquité dont tu t’es rapproché autrefois, enfin après avoir été appliqué sur la croix et après avoir pris le vinaigre qui t’est présenté, tu dises comme le Réparateur : Tout est accompli, et qu’ayant baissé la tête, tu rendes l’esprit comme lui.

Tes bourreaux ne rompront point tes os, comme ils n’ont point rompu ceux du Réparateur ; ils ne diviseront point non plus ta robe, parce que tu es toi-même le sens et l’esprit dont toutes ces choses étaient le type et la lettre ; mais ils perceront ton côté comme ils ont percé celui de son corps, afin que ton sang spirituel soit répandu et que tu rendes à Dieu ce que tu avais pris à Dieu, comme le Réparateur rendit à la terre le sang matériel qu’il avait reçu de la terre. Mais de même que le sang matériel du Réparateur, vu sa pureté, a rectifié toutes les puissances des éléments universels, de même ton sang spirituel en se répandant doit couler sur toute ta personne et sur toutes tes puissances, pour leur rendre leur première vertu et leur premier caractère.

Voilà cet agneau sans tache qui est immolé en toi dès le commencement de ton monde particulier, comme l’agneau divin a été immolé depuis le commencement du monde général pour la rédemption de l’universalité des humains ; voilà cet agneau qui est engendré en toi par l’esprit, comme le Réparateur était engendré par Dieu ; enfin voilà cet agneau dont la crucifixion t’est aussi nécessaire et aussi indispensable pour opérer ta renaissance particulière que la crucifixion corporelle du Réparateur pouvait l’être pour opérer la renaissance de toute la famille humaine.

Car sans cette crucifixion du Réparateur, la famille humaine n’eut jamais pu entrer dans les sentiers qui devaient la conduire à la vie, et sans ta crucifixion particulière, celle du Réparateur même devient inutile à ta guérison spirituelle, comme le serait à la guérison de tes plaies corporelles un baume qui te serait offert mais dont tu ne voudrais pas faire usage.

Dans l’ancienne loi il était permis de se retirer du combat pour vaquer à ses occupations, parce que ce n’était encore que le temps des dons partiels ; aussi les officiers devaient-ils crier à la tête de l’armée. (Deut. 20 : 5.) « Y a-t-il quelqu’un qui ait bâti une maison neuve et qui n’y ait pas encore logé ? Qu’il s’en aille et s’en retourne en sa maison, de peur qu’il ne meure dans le combat et qu’un autre ne loge le premier dans sa maison ; y a-t-il quelqu’un qui ait planté une vigne, laquelle ne soit pas encore en état que tout le monde ait la liberté d’en manger ? Qu’il s’en aille et qu’il retourne en sa maison, de peur qu’il ne meure dans le combat et qu’un autre ne fasse ce qu’il devait faire. Y a-t-il quelqu’un qui ait été fiancé à une fille et qui ne l’ait pas encore épousée ? Qu’il s’en aille et qu’il s’en retourne en sa maison, de peur qu’il ne meure dans le combat et qu’un autre ne l’épouse. Y a-t-il quelqu’un qui soit timide et dont le cœur soit frappé de frayeur ? Qu’il s’en aille et qu’il retourne en sa maison, de peur qu’il ne jette l’épouvante dans le cœur de ses frères, comme il est déjà lui-même tout effrayé et saisi de crainte. »

Dans la loi nouvelle nul homme n’est dispensé de se trouver à l’armée, parce que chacun y doit combattre pour son propre compte. Les victoires de l’un sont à part des victoires de l’autre, et si quelqu’un se retire du combat, soit par faiblesse, soit par un intérêt quelconque qui l’attire ailleurs, comme il n’aura point participé aux dangers ni aux fatigues, il ne participera point non plus aux récompenses ; car le don général que le Réparateur est venu apporter sur la terre devant appartenir à tous, nous sommes tous obligés à la même œuvre, puisque le temps des subdivisions est écoulé et que nous pouvons renaître, vivre et agir dans l’unité.

Aussi ceux qui n’auront pas consommé l’œuvre de leur crucifixion ne seront point admis au festin de l’agneau et ne goûteront point de ce nouveau jus de la vigne qui est préparé pour le Réparateur, et pour tous ceux qui auront fait mourir leur esprit en non nom, et qui l’auront fait ensevelir dans ce sépulcre nouveau où personne avant lui n’avait encore été mis, parce qu’il n’y avait que lui qui pût pénétrer ainsi le premier jusques dans les sombres demeures de la mort, afin qu’après en avoir dissipé les ténèbres et la corruption, ceux qui voudraient ensuite mourir en lui et s’ensevelir en lui n’y rencontrassent plus que la lumière, la pureté, et la vie.

Nouvel homme, si, à l’exemple de ce Réparateur, tu marches ainsi à ton sacrifice, et que tu aies le bonheur de l’accomplir, tu verras en toi s’opérer les mêmes prodiges qui parurent au moment où il subit la mort corporelle. Le soleil de ta matière s’obscurcira, parce que ce soleil n’opère en toi que la mort de la vie, et que cet esprit qui naît en toi doit opérer la mort de la mort.

Le voile de ton temple se déchirera en deux depuis le haut jusqu’en bas, parce que ce voile est l’image de l’iniquité qui sépare ton âme de la lumière où tu as pris ton origine ; et comme en se divisant en deux parts il laisse à tes yeux un accès libre à cette lumière qui t’était inaccessible auparavant, c’est assez clairement t’indiquer que c’était la réunion de ces deux parts qui avait formé ta prison et qui te retenait dans les ténèbres ; nouvelle image de cette iniquité que le Réparateur n’a pas craint de traverser en paraissant sur le Calvaire au milieu de deux voleurs, afin de te donner la force et les moyens de briser en toi à ton tour cette iniquité.

Ta terre tremblera, parce que le sang de l’agneau particulier qui est égorgé en toi depuis le commencement de ton monde individuel va pénétrer jusqu’aux racines et aux fondements de tout ton édifice spirituel ; et comme ce sang est pur, en tant qu’il est engendré de l’esprit, il ne pourra tomber sur ces fondements et sur ces racines qui sont impures sans leur occasionner une violente fermentation et un choc dont l’ébranlement se communiquera à tout ton être.

Les pierres se fendront, parce que le crime ayant tout épaissi, et comme coagulé en toi, le sang de l’esprit, qui est beaucoup plus puissant que le crime, dissoudra par son approche toutes ces substances pétrifiées et les rompra, afin qu’après avoir renversé en toi le temple de Baal, il puisse se procurer par tout ton être un libre cours.

Les sépulcres s’ouvriront, et plusieurs corps des saints qui sont dans le sommeil ressusciteront, et sortant de leurs tombeaux après leur résurrection, ils viendront dans la ville sainte et seront vus de plusieurs personnes. Tu sentiras tes substances spirituelles renaître en toi et sortir de leurs tombeaux où elles te paraissaient ensevelies dans le sommeil de la mort ; elles reprendront leur activité et viendront se réunir à l’action de ton esprit pour y puiser continuellement de nouvelles forces et une nouvelle vie. Elles viendront se promener dans les rues de cette Jérusalem sainte qui a été construite en toi dès l’origine, mais dont toutes les avenues avaient été fermées par l’iniquité, et qui ne pouvaient être rendues libres que par la puissance de celui qui vient d’expirer en toi et qui n’a pu y expirer sans y opérer une explosion universelle.

Toutes tes autres substances qui auront été témoins de ton sacrifice seront dans l’étonnement ; et à l’image de ce centenier et de ceux qui étaient avec lui pour garder le corps du Réparateur, elles diront : Cet homme était vraiment fils de Dieu. Car ayant vu le tremblement de terre, et tout ce qui se passera en toi, elles seront saisies d’une extrême crainte. Il n’y a pas une portion de toi-même qui ne doive éprouver cette extrême crainte à la vue des prodiges qui s’opéreront à ton supplice, et qui ne doive dire : Cet homme était vraiment le fils de Dieu, puisque lors de la prévarication, il n’y a pas eu une portion de toi-même qui n’ait été dans une orgueilleuse sécurité et qui n’ait refusé alors de reconnaître Dieu pour ton père.

 

 

68.

 

Pierre nous apprend (Épître Ière, ch. 3 : 19) « que le Réparateur, étant ressuscité par l’esprit, alla prêcher aux esprits qui étaient retenus en prison, qui autrefois avaient été incrédules, lorsqu’au temps de Noé ils s’attendaient à la patience et à la bonté de Dieu..... » Puisque le nouvel homme doit être pour lui-même un Réparateur particulier à l’imitation de celui qui est venu lui tracer la voie et qui a opéré pour l’universalité, il faut donc que ce nouvel homme, après avoir consommé son sacrifice, descende dans ses propres abîmes pour y opérer un jugement terrible sur tous les prévaricateurs qui en lui ont été incrédules et ne se sont pas maintenus fidèles à la vérité ; et ce jugement ne sera pas le moment le moins pénible de son œuvre. Car, quelle est l’éponge qu’il ne faille pas presser après qu’elle a été imbibée des eaux corrompues ? Et sans cela la nature serait-elle l’éponge du péché ? L’homme serait-il l’éponge de la nature ? Le Réparateur serait-il l’éponge de l’homme ?

Aussi ce nouvel homme qui, par les pouvoirs de la réparation universelle, est devenu son propre Réparateur, est censé avoir pris en lui et sur lui les iniquités de tout son être, et s’il descend au fond de lui-même, ce sera pour faire une entière séparation entre lui et celle de ses substances qui ne se seront par purifiées de leurs iniquités.

Voyons-le donc, ce juge terrible, descendre dans ses propres abîmes, voyons-le interroger successivement toutes les facultés qui le constituent, condamner à une exclusion absolue celles qui seront réfractaires à sa parole et qui ne voudront pas profiter des grâces qu’il leur apporte ; voyons-le imprimer sur ces facultés réfractaires l’impression de l’effroi et de la terreur, comme étant armé de tous les pouvoirs de la vengeance ; voyons-le condamner à des suspensions et à de nouvelles épreuves celles qui, sans être incrédules, auront été chancelantes et auront différé de se renouveler dans l’esprit ; voyons-le exécuter lui-même tous ses jugements, rassembler autour de lui toutes les iniquités et toutes les prévarications que le vieil homme a commises, et prononcer sur chacune d’elles un arrêt sévère et rigoureux, sans pouvoir se permettre d’user envers elles de la plus légère indulgence, sans quoi il ne remplirait pas sa mission et mériterait d’être traité lui-même comme un serviteur infidèle.

Car c’est-là le moment d’opérer dans toutes les régions de son essence le renouvellement qui s’est déjà opéré en lui-même, et qui devait commencer à partir de son cœur, ou de son propre centre, pour s’étendre ensuite aux extrémités les plus éloignées, comme la réparation universelle est partie du cœur de Dieu pour se répandre ensuite sur toutes les nations. Aussi pourquoi le Réparateur universel eût-il resté trois jours dans le tombeau si ce n’était pour purifier et scruter rigoureusement les trois régions qui composent tout l’univers visible et invisible ?

Le nouvel homme restera donc également ignoré des siens pendant un temps, et tandis qu’ils le croiront séparé d’eux pour jamais, il sera occupé à revivifier et scruter tout ce qu’il y aura encore d’impur et d’irrégulier dans les substances de son propre ternaire, et il ne cessera point de siéger parmi elles qu’il ne les ait fait passer toutes entières par la corruption du tombeau. Si lui-même a subi la mort pour opérer sa propre régénération, comment tout ce qui est en lui pourrait-il recouvrer la vie sans subir la même loi et sans passer par l’horreur de la mort et de la putréfaction qui en est la suite ? Si tout a été coupable en lui, comment tout n’y serait-t-il pas soumis au jugement et à la condamnation ?

Mais il se conduira à leur égard comme l’esprit s’est conduit au sien, et comme le Réparateur s’est conduit à l’égard de ces esprits retenus en prison auxquels il est allé prêcher. (Ière saint Pierre. 3 : 19.) Il les engagera, comme on l’a engagé lui-même, à s’immoler volontairement et à reconnaître à la fois et la justice et la nécessité de leur sacrifice ; de façon que tout son être entre librement dans la voie de son jugement et de sa régénération, puisque tout son être est entré librement autrefois dans la voie de l’injustice, de l’iniquité, et des ténèbres.

En les ranimant ainsi par la chaleur de son propre feu, il ne fera que répéter ce que le Réparateur universel a fait envers lui, et ce qu’il fait continuellement envers toute l’espèce humaine, à qui il ne cesse d’envoyer des rayons de son feu Divin pour les déterminer à leur sacrifice. Car non-seulement ce Réparateur est resté trois jours dans le tombeau, non-seulement il est resté quarante jours sur la terre après sa résurrection, mais il doit encore rester dans le monde jusqu’à la consommation des siècles.

Or, quel autre objet peuvent avoir ces différentes stations si ce n’est de ramener, s’il est possible, jusqu’aux derniers restes des tribus éparses d’Israël, en leur faisant naître le désir d’entrer librement dans la voie de leur délivrance, de se précipiter avec courage dans la mer Rouge, et de traverser douloureusement tous les déserts qui leur restent à parcourir, pour rentrer du lieu de leur esclavage et de leur servitude dans la terre promise et dans la Jérusalem sainte qu’ils ne pourront jamais occuper tant qu’ils ne se seront pas livrés avec ardeur et résignation à ces pénibles voyages et à ces périlleuses entreprises. Car si la nature est l’éponge du péché, si l’homme est l’éponge de la nature, si le Réparateur est l’éponge de l’homme, Dieu seul est le lieu de repos de tous les êtres, et c’est là cette Jérusalem à laquelle sont convoquées toutes les tribus d’Israël, tant dans l’ordre universel de l’espèce humaine que dans l’ordre particulier des individus.

Dans toutes les stations et dans tous les repos du Réparateur universel, soit pendant les trois jours qu’il est resté dans le tombeau, soit pendant les quarante jours qu’il est resté ensuite sur la terre, soit pendant le temps qui s’écoulera jusqu’à la consommation des siècles et qu’il a promis de passer dans le monde, il a marché par des mesures fixes et des nombres exacts, parce qu’il était lui-même l’archétype de toutes les régularités, qu’il n’a eu d’autre but que de rapporter le poids, le nombre, et la mesure dans toutes les classes où nous les avions altérés, et comme brisés.

Le nouvel homme, à son image, va chercher à rapporter aussi la justesse et les proportions dans toutes les régions de son être ; mais comme il n’est que l’image du Réparateur, comme d’ailleurs les mélanges si divers dont il était composé avant sa régénération doivent introduire mille variétés dans son œuvre, dans les fruits de son œuvre, et dans les temps de son œuvre, personne ne peut indiquer le nombre, le poids, et la mesure qui lui seront prescrits, soit pendant le séjour qu’il fera dans le tombeau, soit pendant celui qu’il fera sur la terre après sa résurrection, soit pendant celui qu’il fera jusqu’à la consommation des siècles, chaque individu qui se régénère ayant à remplir des proportions particulières.

Pour toi, homme vulgaire, toutes tes mesures sont encore plus incertaines, puisqu’elles sont toutes brisées et que tu les brises encore plus tous les jours.

Tu n’es occupé qu’à repousser sans cesse ce poids, ce nombre, et cette mesure qui te cherchent, et à devenir le jouet journalier des puissances irrégulières qui fuient comme toi la régularité et la voie du retour, et qui impriment continuellement sur toi le poids injuste, le nombre faux, et la mesure inexacte qui sont devenus leur seul élément. Aussi qui pourra jamais calculer ton retour vers la lumière et la durée des épreuves qu’il te faudrait subir si tu formais le désir de rentrer dans la régularité !

Et toi, nature, tu es encore moins à notre portée, tu as aujourd’hui plus que ton poids, puisque tu es l’éponge du péché, tu as moins que ta mesure, puisque tes puissances ont été altérées par le crime et que ta durée a été abrégée par la miséricorde ; comment pourrions-nous donc trouver ton nombre juste relativement à tes purifications futures, puisque ce nombre ne peut se découvrir qu’en passant par ta mesure et par ton poids ?

Nouvel homme, nouvel homme, voilà les douleurs que tu éprouveras dans le tombeau pendant le séjour plus ou moins long que tu y feras. Mais comme tu as mis le pied dans la voie, tu sauras à qui tu dois demander des secours pour t’y maintenir ; et celui qui t’a donné lui-même l’exemple et le moyen d’entrer dans le tombeau de l’esprit sera aussi celui dont tu attendras toutes tes consolations et tous tes développements. Oui, Divin Réparateur, tu es le seul qui aies conservé dans sa justesse tous ces éléments de la régularité et de la perfection, aussi ce n’est que dans toi seul et par toi seul que nous pouvons être instruits de la marche des êtres et de leurs différentes lois progressives pour retourner vers la lumière.

 

 

69.

 

Quand le nouvel homme aura ainsi prononcé le jugement au fond de ses propres abîmes, qu’il aura condamné à être exterminés devant lui tous ceux qui se seront rendus les ennemis de sa parole et de son nom, et qu’il aura rendu la liberté à ceux qui l’auront désirée, il rentrera dans la région de son être apparent, et là il se montrera à ceux des siens qui sont encore dans cette région, afin de les convaincre qu’il est vivant, et qu’il est ressuscité puisqu’il a été mort ; il les convaincra en même temps des avantages qu’il a acquis par cette mort et par cette résurrection.

Ô combien l’homme régénéré ou le nouvel homme est au-dessus de l’homme encore enseveli dans les illusions des éléments, puisque son corps aura acquis une agilité extraordinaire et supérieure à tout ce que la loi de ces éléments peut manifester ! Et, en effet, il est animé de la vie de l’esprit, et cette vie de l’esprit ne peut l’animer sans prolonger ses reflets et ses rayons jusque dans son être apparent, pour lui offrir au moins quelques indices de cette primitive activité dont nous aurions joui si le crime ne nous avait pas appesantis.

En même temps l’intelligence ne doit point être étonnée de voir le nouvel homme rentrer dans tous les droits de cet être apparent qui avaient semblé comme suspendus pendant le supplice, les épreuves, et la mort de ce nouvel homme ; l’intelligence, dis-je, ne doit point être étonnée de voir le nouvel homme passer de nouveau dans son être apparent, après en avoir comme disparu, parce que lorsqu’il a semblé comme séparé de cet être apparent, ce n’a été que pour descendre encore au-dessous de cette apparence, afin d’aller exercer le jugement dans les abîmes ; mais comme son séjour et sa demeure ne sont point dans ces abîmes, comme il est né d’en haut et qu’il lui faut retourner vers le royaume de son père, il ne peut se rendre à ce royaume de son père sans passer de nouveau par cet être apparent au-dessous duquel il était descendu pour un temps.

Mais en passant de nouveau par cet être apparent, il fera comme le Réparateur que Dieu avait ressuscité le troisième jour ; il se montrera vivant, non à tout le peuple (actes 10 : 41), mais aux témoins choisis avant le temps de sa mission particulière ; afin que les témoins puissent prêcher et attester ensuite devant tout le peuple que c’est ce nouvel homme qui a été établi de l’esprit pour être dans son royaume individuel le juge des vivants et des morts. Il ne se montrera point à tout le peuple qui est en lui, car tout le peuple qui est en lui n’est pas en état de contempler sa gloire et de mettre à profit ses trésors.

C’était là un des principaux sens de cette loi lévitique par laquelle les Juifs vivaient séparés des nations, et par laquelle il leur était défendu d’admettre les nations parmi eux, à moins qu’elles ne se soumissent à toutes les ordonnances cérémonielles de leur alliance. Mais comme ils ont violé eux-mêmes les lois et les ordonnances qui les avaient rendus la lumière des nations, comme ils se sont montrés imprudemment aux nations étrangères et qu’ils les ont admises à leur culte, au mépris de leur loi qui s’y opposait, ils ont été chassés de leur héritage, ils ont été réduits à solliciter à leur tour l’alliance des nations étrangères, ils ont été réduits à abjurer leur propre loi pour être supportés parmi les nations.

Or, si les juifs, si ce peuple de l’ancienne alliance et de la loi matériellement figurative devait vivre séparé des nations, combien l’homme de la nouvelle loi doit-il encore plus en vivre éloigné ? Est-ce que les nations peuvent le saisir et le comprendre ? Est-ce que les nations peuvent être admises à sa sublime alliance avant d’en avoir conçu les lois et les ordonnances, et avant de les avoir accomplies ? Oh monde, oh monde ! oui, il existe des vérités superbes, douces, consolantes, et capables de dissiper toutes tes ténèbres et tous tes ennuis, mais il n’est pas encore temps qu’elles soient vraies pour toi, et si un homme de la nouvelle loi se pressait de t’ouvrir les trésors de ton alliance, il tomberait bientôt dans la disette comme les juifs, et serait condamné comme eux à recourir à l’assistance et à la charité des nations.

Tu les sens cependant, ces vérités, quand elles s’approchent de toi, et si tu n’es pas coupable et qu’elles n’opèrent pas ta réprobation à cause de tes crimes, elles te réchauffent, mais à ton insu, à cause de ton ignorance et de tes ténèbres ; tu marches auprès d’elles et avec elles, comme les disciples d’Emmaüs marchaient et s’entretenaient avec le Réparateur sans le connaître, et sans savoir que c’était lui-même qu’ils cherchaient ; et ce n’est que quand ton heure est arrivée et que tes facultés ont été ouvertes par le pouvoir de l’esprit que tu t’aperçois de ton illusion et que tu te dis comme ces disciples d’Emmaüs : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous lorsqu’il nous parlait durant le chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ? Or, cette heure n’arrive jamais pour toi tant que tu t’établis à demeure dans tes ténèbres, puisqu’il faut que tu sortes de ta propre illusion pour que cette lumière elle-même ne te paraisse pas une illusion.

Ce n’est qu’à mesure que les âmes se séparent de leur propre région apparente qu’elles conçoivent complètement le règne du Seigneur et qu’elles entendent sa parole ; ce n’est qu’à chacune des brisures de notre être que nous atteignons quelques rayons du nom vivificateur et que nous pouvons acquérir des témoignages de sa gloire et de sa puissance, comme ce n’est qu’à la rupture du pain que le Réparateur fut reconnu de ces mêmes disciples avec qui il s’était entretenu dans le chemin.

Le nouvel homme, sachant donc que le monde ne le peut connaître, loin de se montrer au monde après sa résurrection, ne se montrera même d’abord que par les deux précurseurs qui l’ont assisté lors de sa glorification ; ils ne cesseront point de se joindre à son œuvre pendant et après sa résurrection, pour instruire l’âme simple et aimante qui sera dans la consternation, dans l’attente de sa venue, et qui, saisie de frayeur, tiendra les yeux baissés contre terre, « parce que ces deux précurseurs lui auront apparu tout d’un coup avec des robes brillantes ». Ces précurseurs diront donc à cet ami : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici, mais il est ressuscité ; souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée et qu’il disait : il faut que le fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’il soit crucifié, et qu’il ressuscite le troisième jour. »

Quand cette âme simple et aimante aura été ainsi préparée par l’influence et les discours des précurseurs, le nouvel homme se montrera lui-même à elle et, en l’appelant par son nom, il lui communiquera assez de sa propre lumière pour qu’elle le reconnaisse et lui dise : Rabboni, mon maître. C’est cette âme simple qui, avec ses compagnes, ira annoncer aux disciples la résurrection de ce nouvel homme, et les préparera, à leur tour, à soutenir l’aspect de sa gloire et les merveilles de sa puissance ; car depuis qu’il est ressuscité de l’esprit, son action s’est étendue et a acquis le pouvoir de ne se manifester que par des prodiges.

Mais ce nouvel homme, ce fils de l’esprit et de la sagesse éternelle, ce fils Divin que l’âme humaine a le pouvoir d’engendrer, et par la naissance duquel elle doit se sauver, comme ces femmes qui, selon Paul à Timothée, se sauveront par les enfants qu’elles mettront au monde, ce nouvel homme, dis-je, sera bien plus empressé de régner sur l’âme humaine par son amour que par des prodiges.

Aussi il lui dira avec attendrissement : M’aimez-vous ? Elle lui répondra : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Le nouvel homme lui dira : Paissez mes brebis. Il lui demandera de nouveau : M’aimez-vous ? Elle lui répondra : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Il lui dira : Paissez mes brebis. Il lui demandera pour la troisième fois : M’aimez-vous ? Elle sera touchée de ce qu’il lui demande pour la troisième fois m’aimez-vous, et lui dira : Seigneur, vous savez toutes choses, vous connaissez que je vous aime. Il lui dira : Paissez mes brebis.

Âme humaine, ne t’afflige point si le nouvel homme te presse ainsi de lui déclarer ton amour ; il n’a d’autre but que de t’unir à lui par cet amour, comme il est uni par ce même amour à l’esprit dont il est le fils ; il ne répète cette tendre et touchante question que parce que tu lui as donné lieu, avant son sacrifice, de suspecter ton amour pour lui ; et il la répète trois fois, parce que trois fois tu l’as renié, lorsque la l’as vu livré aux mains de ses adversaires et que tu as craint de partager avec lui les épreuves et les dangers.

Si donc tu as fait comme le premier homme qui, au lieu de s’unir invariablement à son chef suprême, s’est soumis au joug des trois actions élémentaires, si le pouvoir de ces trois actions inférieures s’est fait sentir sur toi dans les trois attaques qui t’ont été portées, n’est-il pas juste que tu manifestes trois fois ta fidélité à celui qui t’a toujours aimé et qui ne s’est immolé que pour te rendre la vie ?

N’oublie pas ensuite de remarquer quelle est la preuve qu’il te demande de ton amour pour lui ; c’est de paître ses brebis, c’est de maintenir, dans toutes les facultés et les régions qui sont dans ta dépendance particulière, l’ordre, la mesure, et l’harmonie qu’il va désormais puiser à la source vive pour les transmettre à toi et à tous les tiens ; c’est de les engager à suivre son exemple et à s’immoler à leur tour, comme il s’est immolé à l’exemple du Réparateur, s’ils veulent recouvrer la vie et voir renaître parmi eux l’universelle unité.

 

 

70.

 

Âme humaine, ton Réparateur particulier, ou le nouvel homme, t’a ouvert l’esprit pour entendre l’accomplissement de ce qui a été dit de lui dans la loi de Moïse, dans les prophètes, et dans les psaumes. Car lorsque le Réparateur universel disait : C’est de moi qu’ils ont tous prophétisé, il ne parlait pas seulement de lui-même, et il faisait entendre par ces paroles qu’ils avaient aussi prophétisé de toutes les âmes de désir, de tous ceux qui veulent devenir de nouveaux hommes, puisqu’il s’est nommé ton frère et le frère de tous les élus.

En t’ouvrant l’esprit sur ta destination, il t’apprend que tu dois prêcher journellement en toi-même en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem. C’est-à-dire, en commençant par cette pierre fondamentale qui est en toi et d’où doivent rejaillir des sources vives capables de désaltérer tous tes peuples.

Ce nouveau fils qui t’est né va poursuivre son cours. Il a descendu dans tes abîmes, il s’est remontré dans ton être apparent ; à présent le moment est venu où il va remonter vers son père pour envoyer sur toi le don qui t’a été promis, et au moyen duquel tu pourras instruire tous les peuples qui sont en toi et les baptiser au nom du père, et du fils, et du saint esprit, et leur apprendre à observer toutes les choses qui t’ont été commandées. C’est pourquoi, tu ne sortiras point de ta propre Jérusalem que tu ne sois revêtue de la force d’en haut, et que le consolateur ne soit venu te remplir de la force Divine, comme tu l’as pu être de la force spirituelle par toutes les opérations précédentes, afin que tu sois sûre que ce fils qui t’est né et qui s’est immolé pour toi sera toujours avec toi jusqu’à la consommation des siècles.

Tu ne peux douter en effet qu’il ne soit avec toi jusqu’à la consommation des siècles, puisque c’est sans sortir de toi qu’il accomplit toutes ses œuvres et qu’il en observe dans tout son cours les différentes époques, à l’imitation du Réparateur universel qui, malgré la diversité de ses opérations, n’a jamais été détaché de celui qui l’a engendré, qui l’engendre, et qui l’engendrera éternellement. Ainsi donc si ce nouvel homme trouve en toi sa mère, ses enfants, ses frères, et son père, c’est sans sortir de toi qu’il va remonter vers ce même père d’où doivent dériver toutes les consolations que l’éternelle source qui t’a engendrée ne cherche qu’à verser sur toi en le prenant pour son organe.

C’est sous ce rapport que tu dois te considérer comme une sorte d’universalité, ainsi qu’il te l’a été annoncé en plusieurs endroits de cet écrit, puisque tu trouves en toi le monde Divin, le monde spirituel, le monde naturel, et que par-là tu es l’image de celui qui a tout produit et qui est tout. Mais tu n’es ainsi l’image de celui qui a tout produit et qui est tout qu’autant que tu demeures en lui et qu’il donne lui-même la forme à toutes tes facultés et à toutes tes substances, car comment serais-tu une universalité partielle si tu n’étais pas continuellement connue, engendrée, et nourrie par la grande universalité ?

Ne balance pas à croire que tel soit l’objet de cette grande universalité à ton égard ; et que tous ses plans et toutes ses œuvres ne tendent à donner à toute ton existence le caractère de sa grandeur et de son immensité.

Juges-en par les comparaisons que tu peux faire entre ton être et toutes les vastes puissances qui t’environnent et qui dominent au-dessus de toi. Contemple l’immense étendue de l’univers relativement à ta débile forme. Contemple l’immensité de l’espace et du temps en comparaison de tous ces êtres partiels qui n’ont qu’une si petite fraction de sa durée, et reconnais que tous les efforts de la suprême puissance ne tendent qu’à agrandir ton être par la réflexion que ces rapports peuvent faire naître en toi, et à donner le cours le plus vaste à ta pensée, c’est-à-dire à lui donner l’empreinte de cette immense universalité.

Car quelques faibles et quelques méprisables que soient les mortels en apparence, ils ne peuvent nier que c’est pour eux que tous ces grands présents sont envoyés, puisqu’il n’y a qu’eux qui soient dans le cas de les contempler et d’en nourrir leur pensée, tandis que tous les autres êtres en reçoivent les secours, qu’ils les emploient et les opèrent même sans les comprendre.

Âme humaine, si par l’organe de ce nouvel homme qui est né en toi, tu peux élever tes yeux encore plus haut que ce monde passager et corruptible, tu découvriras dans ta région supérieure une immensité bien plus vaste et des dons infiniment plus abondants, et tu apprendras alors à t’agrandir de plus en plus avec les bienfaits de celui qui a tout produit et qui est tout.

Tu apprendras à évaluer cette semence précieuse dont il a formé l’âme humaine, et qui lui est si chère que, malgré ses ingratitudes, il ne peut détourner les yeux de dessus elle.

Tu verras cet Être infini verser continuellement sur nous, dans tous les genres, l’abondance de ses puissances, de sa majesté, et de son infinité ; car notre volonté pestilentielle a beau faire, l’Éternel ne cesse de nous en démontrer la borne et l’impuissance en nous faisant constamment nager dans son universelle immensité. Ne t’afflige donc point, âme humaine, si ton nouvel homme, après t’avoir bénie, s’est séparé de toi et a été enlevé au ciel. Imite l’exemple des disciples du Réparateur universel qui, après l’avoir « vu se séparer d’eux et monter au ciel, s’en retournèrent comblés de joie à Jérusalem, où ils se tinrent sans cesse dans le temple, louant et bénissant Dieu », parce qu’ils étaient pleins de confiance en ses promesses.

Ne sois point étonnée non plus de ce que le nouvel homme, après avoir retourné vers son père et y être demeuré le temps prescrit par tes nombres particuliers, va te donner de nouvelles marques de sa présence et de son intérêt pour toi. Car, « lorsque les jours de ta pentecôte seront accomplis, tous tes disciples étant ensemble dans un même lieu, tu entendras tout d’un coup un grand bruit comme d’un vent violent et impétueux qui viendra de ton ciel et qui remplira toute la maison où ils seront assis. En même temps, tu verras paraître comme des langues de feu qui se partageront et s’arrêteront sur chacun d’eux. Aussitôt ils seront tous remplis du Saint-Esprit, et ils commenceront à parler diverses langues selon que le Saint-Esprit leur mettra les paroles en la bouche. »

En effet tu connaîtras les langues de toutes les substances qui te constituent ; tu entendras leur langage et elles entendront le tien, afin que vous concouriez toutes ensemble à manifester chacune les dons particuliers qui vous sont propres, pour étendre de plus en plus le règne de votre Dieu ; il ne se passera pas un mouvement en toi dont tu n’aies l’intelligence, et auquel tu ne sentes en même temps le jugement que tu en dois porter et l’usage que tu dois en faire. Si ces mouvements sont faux, ils entendront ta langue aussi bien que les mouvements vrais, mais ils ne l’entendront que pour leur condamnation, car ta langue deviendra l’épée à deux tranchants.

Lors donc que ces mouvements faux se feront connaître en toi, tu n’auras qu’à dire un mot, et ils seront précipités dans leurs abîmes, et tu auras le droit de dire aux Saphires et aux Ananies qui seraient en toi et qui chercheraient à te tromper : « Comment satan a-t-il tenté votre cœur pour vous porter à mentir au saint esprit et à détourner une partie de votre fond de terre ? Ne demeurerait-il pas à vous si vous l’aviez voulu garder ?... Ce n’est pas aux hommes que vous avez menti, mais à Dieu ; voilà ceux qui viennent pour vous enterrer qui sont à la porte. » Et à ta parole, ces imposteurs rendront l’esprit et seront portés en terre.

Mais tu auras aussi le pouvoir de verser les consolations sur les affligés, sur les malades, lorsqu’ils auront dans le cœur une sainte espérance et une vive confiance dans les puissances du Seigneur, au point que ton ombre même les délivrera de leurs maladies.

Lors donc qu’en allant au temple, selon ta coutume, tu rencontreras de pauvres estropiés, tu les regarderas pour juger de leur foi, et quand par le mouvement intérieur de l’esprit tu croiras pouvoir employer tes richesses en leur faveur, tu leur diras : Je n’ai ni or, ni argent, mais ce que j’ai je vous le donne, soyez guéris au nom du Réparateur et marchez. Alors ils se lèveront, ils se tiendront fermes sur leurs pieds, et entreront avec toi dans le temple, en marchant, en sautant, et en louant Dieu.

Tu seras affranchie des entraves de la loi dès que tu seras admise au règne de l’esprit ; et si ta pieuse délicatesse te laisse encore des inquiétudes sur les ordonnances lévitiques, il te sera répondu par l’esprit comme à St. Pierre (Actes 10 : 15) : N’appelez pas impur ce que Dieu a purifié.

Lorsque les ennemis qui sont en toi chercheront à te saisir et qu’ils croiront t’avoir vaincu, après t’avoir emprisonné dans leurs ténèbres pour t’empêcher de répandre la parole de vérité dans le temple, l’ange du Seigneur ouvrira à leur insu la porte de ta prison et te dira : Allez dans le temple, et prêchez-y hardiment au peuple toutes les paroles de cette doctrine de vie. Et tes ennemis, frappés d’étonnement de ne point te trouver dans la prison, frémiront de rage de voir la parole se répandre malgré eux.

Tu ne devras point être surprise si, lorsque tu parleras avec foi et confiance aux peuples qui sont en toi et qui t’écouteront, l’esprit descend sur eux, comme il est descendu sur toi à la parole du nouvel homme, et s’ils deviennent par là susceptibles de recevoir le baptême de ta main, comme tu l’as reçu de la main de ton Réparateur particulier, en raison de ce que tu es dépositaire des sept sources sacramentelles qui doivent jaillir de ta pierre fondamentale ; car la promesse a été faite à toi et à tes enfants, et à tous ceux qui sont éloignés, autant que le Seigneur ton Dieu en appellera. (Actes 2 : 39.)

 

 

71.

 

Ce n’est point assez que le nouvel homme ait parcouru toutes les époques temporelles de la régénération, et qu’il ait passé par toutes les progressions particulières attachées à la restauration de la postérité humaine, il faut qu’il atteigne d’une manière temporelle spirituelle au complément particulier de cette restauration, si ce n’est à demeure, vu la défectuosité de notre région, au moins en aperçu, et comme par initiation à cette réintégration permanente dont il jouira, quand, après avoir représenté ici-bas son principe d’une manière limitée, il pourra le représenter dans les cieux d’une manière aussi vaste que durable.

Il faut donc qu’indépendamment de ce jugement particulier que nous lui avons vu prononcer lorsqu’il est descendu dans ses abîmes, il prononce encore, prophétiquement, le jugement final qui doit décider du sort des prévaricateurs, et faire la séparation de ceux qui, dans lui-même, ayant échappé par la pénitence à la première mort, seront préservés de la seconde mort, d’avec ceux qui seront les victimes de l’une et de l’autre de ces deux morts.

Voyons-le ainsi tracer d’avance en lui le tableau de ces derniers temps, où l’espérance sera abolie et où il ne restera que la consolation ou le désespoir, que la jouissance parfaite ou la privation absolue. Voyons-le prendre les sept trompettes pour appeler en lui au jugement dernier toutes les nations qui sont soumises à sa puissance, pour examiner celles « qui auront adoré le bête ou son image, qui en auront reçu la caractère sur leur front ou dans la main, afin qu’elles boivent du vin de la colère de Dieu, de ce vin tout pur, préparé dans le calice de sa colère, et qu’elles soient tourmentées dans le feu et dans le soufre devant les saints anges et en présence de l’agneau ».

Voyons-le d’un autre côté « debout sur la montagne de Sion, et avec lui les cent quarante quatre mille personnes qui auront le nom de l’agneau et le nom de son père écrits sur le front, et qui chanteront le cantique nouveau devant le trône, comme ayant été rachetés de la terre ; car leur voix sera semblable à un bruit des grandes eaux et au bruit d’un grand tonnerre, et ne formera que comme un seul son de plusieurs joueurs de harpe qui touchent leurs harpes. Et il ne s’est point trouvé de mensonge dans leur bouche, parce qu’ils sont purs et sans tache devant le trône de Dieu. »

Voyons-le volant par le milieu de son ciel, « portant l’Évangile éternel pour l’annoncer à ceux qui sont sur la terre, à toute nation, à toute tribu, à toute langue, et à tout peuple, et disant d’une voix forte : Craignez le Seigneur, et rendez-lui gloire, parce que l’heure de son jugement est venue, et adorez celui qui a fait le ciel et la terre, la mer et la source des eaux. »

Voyons-le ensuite prendre dans le temple du tabernacle du témoignage les sept coupes d’or pleines de la colère de Dieu qui vit dans les siècles des siècles.

Voyons-le verser les quatre premières coupes sur la terre, sur les fleuves, et sur le soleil pour opérer la dissolution de la région fantastique et illusoire qui le retient dans les ténèbres, et pour faire « que les hommes qui auront le caractère de la bête soient frappés d’une plaie maligne et dangereuse, que la mer devienne comme le sang d’un mort, que les fleuves et les sources des eaux soient changées en sang ; et les hommes, étant frappés d’une chaleur dévorante, blasphémeront le nom de Dieu, qui a ces plaies en son pouvoir, refusant de faire pénitence pour lui donner gloire. La cinquième coupe se répandra sur le trône de la bête, et son royaume deviendra ténébreux. La sixième coupe se versera sur le grand fleuve d’Euphrate, et son eau sera séchée pour ouvrir le chemin aux rois qui doivent venir de l’orient. La septième coupe se répandra dans l’air, et une forte voix se fera entendre du temple comme du trône, et qui dira : c’en est fait. »

Alors il se fera dans le nouvel homme « des éclairs, des bruits, des tonnerres, et un grand tremblement de terre, et si grand qu’il n’y en eut jamais un tel depuis que les hommes sont sur la terre. La grande ville sera divisée en trois parties, et les villes des nations tomberont, toutes les îles s’enfuiront, et les montagnes disparaîtront. »

Après tous ces effroyables prodiges, le nouvel homme « prendra la bête et avec elle le faux prophète, et les jettera tous vivants dans l’étang de feu et de souffre », et il sortira du trône une voix qui dira : « Louez notre Dieu, vous tous qui êtes ses serviteurs, et qui le craignez, petits et grands, parce que ses jugements sont véritables et justes, qu’il a condamné la grande prostituée qui a corrompu la terre par sa prostitution, et qu’il a vengé le sang de ses serviteurs que ses mains ont répandu. »

Âme humaine, quand ces redoutables jugements seront prononcés et exécutés en toi, c’est alors qu’il y aura pour toi un nouveau ciel et une nouvelle terre, car le premier ciel et la première terre auront disparu, et la mer ne sera plus ; alors tu verras « la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui venant de Dieu descendra du ciel en toi, étant parée comme une épouse qui se pare pour son époux ; et tu entendras une grande voix qui viendra du trône et qui dira : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il demeurera avec toi, et tu seras son peuple, et Dieu demeurant lui-même au milieu de toi sera ton Dieu. Dieu essuiera toutes les larmes de tes yeux, et la mort ne sera plus. » Âme humaine, veux-tu connaître les proportions de cette ville sainte, de cette Jérusalem qui descendra en toi, étant parée comme une épouse qui se pare pour son époux ? Transporte-toi sur la grande et haute montagne qui est en toi. Tu verras que cette ville sainte est illuminée de la clarté de Dieu, que la lumière qui l’éclaire est semblable à une pierre précieuse, à une pierre de jaspe transparente comme du cristal.

Tu verras qu’elle est bâtie en carré, qu’elle est égale dans sa longueur et dans sa largeur, et que la mesure de la muraille est de cent quarante-quatre coudées de mesure d’homme, pour te faire comprendre que c’est sur les propres dimensions à la fois ternaires, quaternaires, et septénaires de ton essence sacrée que doit s’élever cette ville éternelle de la paix et des consolations ; parce que tu es la seule avec qui l’éternelle source de toutes les mesures et de tous les nombres ait des rapports assez rapprochés pour avoir voulu faire de toi son représentant parmi les peuples et parmi toutes les régions de l’univers visible et invisible ; tu reconnaîtras que tu es toi-même le tabernacle de Dieu avec tous ceux qui habitent en toi, et que c’est pour cela qu’il veut demeurer en toi, afin que tu sois son peuple et que, demeurant lui-même en toi, il soit ton Dieu.

« Aussi tu ne verras point d’autre temple dans cette ville sainte et dans cette céleste Jérusalem, parce que le Seigneur Dieu tout puissant et l’agneau en est le temple ; et cette ville n’a point besoin d’être éclairée par le soleil ou par la lune, parce que c’est la lumière de Dieu qui l’éclaire, et que l’agneau qui est en toi en est la lampe. Les nations marcheront à la faveur de sa lumière, et les rois de la terre y porteront leur gloire et leur honneur. »

Âme humaine, tu vois les hommes, qui n’en sont encore qu’au règne terrestre et matériel, fermer les portes de leurs villes de guerre, après avoir eu soin d’en faire sortir les ennemis et les malfaiteurs. Les hommes dans le règne spirituel en font autant, sans quoi ils courent risque d’être les victimes de leur négligence ; car s’ils ont laissé des ennemis dans la place, après en avoir fermé les portes, combien de ces ennemis les dévoreront à leur insu pendant leur sommeil ? Combien l’aurore leur découvrira d’afflictions en ne leur ouvrant les yeux que pour leur laisser voir leur captivité ?

Mais dans ce règne divin que le nouvel homme établit en toi, « on ne fermera plus chaque jour les portes de la ville sainte, parce qu’il n’y aura point là de nuit, qu’il n’y aura rien de souillé ni aucun de ceux qui commettent l’abomination ou le mensonge, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie ».

Tu verras aussi dans la ville sainte un fleuve d’eau vive, claire comme du cristal, qui coulera du trône de Dieu et de l’agneau, car tu n’ignores plus que l’homme est lui-même un ruisseau émané de ce fleuve et devant par conséquent couler éternellement comme celui qui lui donne sans interruption la naissance.

« Tu trouveras également au milieu de la place de la ville, des deux côtés du fleuve, l’arbre de la vie qui porte douze fruits et donne son fruit chaque mois, et les feuilles de cet arbre sont pour guérir les nations. » Car cet arbre de vie, c’est cette lumière de l’esprit qui vient de s’allumer dans la pensée du nouvel homme, et qui ne pourra plus s’éteindre. Ce fruit qu’il donne chaque mois, c’est la parole de ce nouvel homme qui doit désormais remplir de toutes ses sagesses l’universalité du temps. Ces feuilles qui doivent guérir les nations, ce sont les œuvres de ce nouvel homme qui répandront sans cesse autour de toi et l’harmonie et le bonheur, comme tu aurais dû les répandre autrefois en vertu de ces trois dons sacrés qui te constituent à la fois l’image et le fils du Dieu des êtres.

Ne te donne donc point de relâche que cette ville sainte ne soit rebâtie en toi telle qu’elle aurait dû toujours y subsister si le crime ne l’avait renversée, et souviens-toi tous les jours de ta vie que le sanctuaire invisible où notre Dieu se plaît d’être honoré, que le culte, les illuminations, l’encens dont la nature et les temples extérieurs nous offrent des images instructives et salutaires, qu’enfin toutes les merveilles de la Jérusalem céleste peuvent se retrouver encore aujourd’hui dans le cœur du nouvel homme, puisqu’elles y ont existé dès l’origine.

 

 

F I N.

 

 

 

Louis-Claude de SAINT-MARTIN,

Le Nouvel Homme, 1796.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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