Jean-Baptiste

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

SÉDIR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plusieurs ayant entrepris d’écrire le récit des évènements dont la vérité a été connue parmi nous avec une entière certitude, selon que nous les ont transmis ceux qui les ont vus eux-mêmes, dès le commencement, et qui sont devenus les ministres de la Parole, j’ai cru bon, moi aussi, très excellent Théophile, de te les écrire par ordre, après m’en être exactement informé dès leur origine ; afin que tu reconnaisses la solidité des enseignements que tu as reçus.

Au temps d’Hérode, roi de Judée, il y avait un sacrificateur nommé Zacharie, de la classe d’Abia ; sa femme, qui descendait d’Aaron, s’appelait Élisabeth. Ils étaient tous deux justes devant Dieu ; ils observaient tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur, d’une manière irréprochable. Ils n’avaient pas d’enfants, parce qu’Élisabeth était stérile, et qu’ils étaient tous deux avancés en âge. Or, il arriva que Zacharie, faisant les fonctions de sacrificateur devant Dieu, dans le rang de sa famille, il lui échut par sort, selon la coutume établie parmi les sacrificateurs, d’entrer dans le temple du Seigneur pour y offrir les parfums. Et toute la multitude du peuple était dehors en prière, à l’heure qu’on offrait les parfums. Alors un ange du Seigneur lui apparut, se tenant debout au côté droit de l’autel des parfums Et Zacharie, le voyant, en fut troublé, et la frayeur le saisit. Mais l’ange lui dit : « Zacharie, ne crains point, car ta prière est exaucée et Élisabeth, ta femme, t’enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jean. Il sera ta joie et ton ravissement et plusieurs se réjouiront de sa naissance ; car il sera grand devant le Seigneur ; il ne boira ni vin ni cervoise, et il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. Il ramènera plusieurs des enfants d’Israël au Seigneur, leur Dieu ; et il marchera devant le Seigneur dans l’esprit et dans la vertu d’Élie, pour faire revivre dans les enfants le cœur des aïeux, et ramener les rebelles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple bien disposé. » Et Zacharie dit à l’ange : « À quoi connaîtrai-je cela ? car je suis vieux et ma femme est avancée en âge. » Et l’ange lui répondit : « Je suis Gabriel qui se tient devant Dieu et j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. Et voici, tu vas devenir muet, et tu ne pourras parler jusqu’au jour que ces choses arriveront, parce que tu n’as pas cru à mes paroles qui s’accompliront en leur temps. » Cependant le peuple attendait Zacharie, et s’étonnait de ce qu’il tardait si longtemps dans le temple. Et quand il fut sorti, il ne pouvait leur parler ; et ils connurent qu’il avait eu quelque vision dans le temple, parce qu’il le leur faisait entendre par des signes ; et il demeura sourd-muet. Et lorsque les jours de son ministère furent achevés, il s’en alla en sa maison. Quelque temps après Élisabeth, sa femme, conçut ; et elle se cacha durant cinq mois, et elle disait : « Voilà ce que le Seigneur a fait en ma faveur lorsqu’il a jeté les yeux sur moi pour ôter l’opprobre où j’étais parmi les hommes. »

(LUC, ch. I, v. 1 à 25.)

 

Cependant le terme d’Élisabeth étant venu, elle mit au monde un fils. Et ses voisins et ses parents, ayant appris que le Seigneur avait fait éclater sa miséricorde en sa faveur, s’en réjouissaient avec elle. Et, étant venus le huitième jour pour circoncire le petit enfant, ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père. Mais la mère prit la parole et dit : « Non, mais il sera nommé Jean. » Ils lui dirent : « 11 n’y a personne dans ta famille qui soit appelé de ce nom. » Alors ils firent signe à son père de marquer comment il voulait qu’il fût nommé. Et Zacharie, ayant demandé des tablettes, écrivit : « Jean est son nom », et ils en furent tous esprits. À l’instant sa bouche s’ouvrit, sa langue fut déliée et il parlait en bénissant Dieu. Et tous leurs voisins furent remplis de crainte ; et toutes ces choses se divulguèrent par tout le pays des montagnes de Judée. Et tous ceux qui les entendirent les conservèrent dans leur cœur, et ils disaient : « Que sera-ce de ce petit enfant ? » car la main du Seigneur était avec lui.

(LUC, ch, I, v. 57 à 66.)

 

 

REGARDONS maintenant l’ambassade de l’Invisible. Elle se dirige vers la Judée, royaume d’Hérode. Physiquement, Hérode, c’est le foyer des ardeurs infernales. Mystiquement, c’est la cime où passe le souffle du mystère. Il gouverne la Judée, pays des principes ontologiques. Là vit, dans l’incognito, un couple dont la grandeur vient de son silence et de sa soumission. L’époux, c’est Zacharie ; il porte le nom de son office : le sacrificateur, le mâle ; il est du rang d’Abia, le « père du Seigneur », et de la race de David, le bien-aimé. L’épouse, Élisabeth, est de la race, également sacerdotale, d’Aaron. Aaron, c’est « l’habitant des sommets ». Élisabeth signifie : la reine de septenaire, ou : la maison d’Élie, ou bien encore : le serment du Très-Haut ; tandis que, par la même clef, le nom de son mari se déchiffre : la mémoire du Créateur. Admirons ici avec étonnement comme la venue espérée depuis le commencement du monde se trouve prédite par les promesses mêmes de Dieu que ces deux vieux époux incarnent enfin, juste avant leur réalisation.

Ceci n’est pas du symbolisme ; c’est l’épanouissement des paroles divines.

Le Père conçoit, pense, imagine, décrète (les mots sont incapables d’exprimer le mode d’activité du Seigneur) et Ses volitions décrivent leur trajectoire en fécondant, si j’ose dire, dans chaque monde différent qu’elles traversent, la substance organique de ces mondes, en s’y corporisant par des formes vivantes. Qui pourra supputer combien l’amour du Père, voulant sauver cette planète, a usé de siècles pour en émouvoir l’âme de granit, et en extraire les cellules de bonne volonté avec lesquelles devaient se construire les corps des parents du Précurseur ? En un mot, cette promesse primitive que fit le Père aux hommes de Se réconcilier un jour avec eux, fut jetée dans la masse cosmique comme un de ces ferments actifs qui, au sein d’un liquide organique, s’agitent, travaillent, se multiplient et finissent par transformer complètement le caractère de ce milieu. La promesse du Père parcourt ainsi les armées des créatures en tous sens ; elle va et vient, se dépensant, cherchant sans relâche les êtres dont elle peut tirer parti ; et elle parvient enfin à se construire à soi-même une expression parfaite dans chacun des milieux dont l’ensemble compose l’univers.

Zacharie et Élisabeth furent pour cette planète la réalisation de la promesse du pardon divin ; le premier incarnant l’ange du repentir ; la seconde incarnant la voix de la conscience. Souvenons-nous en effet que les paroles de Dieu créent aussi bien dans le moi que dans le non-moi ; et qu’elles créent en fomentant dans le milieu où elles passent leurs contraires analogiques.

Ainsi la promesse en question évoque dans l’esprit humain la notion de sa faute ; et l’enregistrement de cette promesse sur le Livre de Vie engendre en nous le désir du mieux.

Zacharie et son épouse font l’office de précurseurs ; et je les retrouve non seulement dans l’histoire, non seulement au bout du chemin solitaire où surgit le Baptiste, mais aussi dans le cœur de chaque homme. Dans ce rouge soleil, j’aperçois une trinité pathétique : Jean-Baptiste, le pénitent qui laboure et bouleverse, fils d’Élisabeth, du repentir si longtemps stérile, et du thuriféraire Zacharie, qui fait monter vers les voûtes du Temple ses désirs des choses divines. Ces deux derniers sont des vieillards, parce qu’il faut de nombreuses incarnations avant que le moi se tourne vers la Lumière. Et, derrière ce groupe d’espoirs et d’attentes, j’en découvre un autre de certitude et de victoire ; l’étincelle endormie du Verbe, le Jésus régénérateur ; Marie, source intarissable de grâces, la toute pure, l’élue ; Joseph, le moi tout vieilli par les fatigues, les luttes et les renoncements. Le récit évangélique, nous le verrons bien souvent encore, déroule de la sorte son épopée par le triple développement parallèle du salut cosmique, du salut collectif et du salut individuel.

On peut découvrir dans la conjonction de ces deux groupes ternaires la méthode spirituelle la plus certaine et une clef pour toutes les portes des châteaux intérieurs.

Tout père de famille devrait, comme Zacharie, être pontife dans sa maison. Une famille est un être collectif. Le mari en est le chef visible ; à Lui l’autorité ; à la femme le pouvoir. Les époux sont responsables de tout ce qui leur est confié par la Nature ; ils sont même responsables de l’enfant qui naît chez eux et dont la qualité spirituelle dépend en grande partie de leur moralité. Car l’atavisme, l’hérédité ne sont pas des causes, mais des effets. L’enfant rachitique ne naît pas ainsi parce que ses parents sont dégénérés, mais il vient chez eux parce qu’il a mérité tel stigmate pathologique.

Les observances des anciens sages relatives au mariage étaient logiques. Actuellement, il est impossible de les mettre en vigueur parce que les conditions du milieu spirituel ont été bouleversées de fond en comble. Tout au moins on peut demander de l’assistance pour n’importe quel acte de la vie : et observer cette précaution nous éviterait déjà bien des mécomptes.

Or, personne n’est seul dans l’univers. Quand une âme vient ici-bas, elle est conduite, et des signes annoncent aux parents, s’ils ont des yeux et des oreilles, la bénédiction qui s’approche. Ces signes sont donnés par un être qui ne se manifeste que dans des circonstances remarquables, et, à ce moment, une multitude d’esprits, inférieurs à l’homme, venant de la nature physique et d’ailleurs encore, prient aussi ; la naissance d’un homme est pour eux un bonheur ; nous sommes leur soleil et leur guide.

Ainsi tout est grave dans la vie, et les plus petits évènements ont de lointaines répercussions. Ils représentent de la joie pour les uns, du malheur pour les autres, mais pour tous ils devraient être des leçons.

Un jour donc, Zacharie vient à l’autel des parfums pour y remplir son ministère. C’était, dit saint Jean Chrysostome, au jeûne du mois de septembre. Et Gabriel lui apparaît, l’ange de la Force, le géant de Dieu, le gouverneur du Septentrion ; et il lui annonce la naissance d’un fils, à lui, vieillard, et à sa femme stérile. Et ce fils est prédestiné.

La prédestination, que ce mot offusque l’orgueil des hommes ! Cependant tout le monde est prédestiné. À chacun de nous la Providence ouvre une route au bout de laquelle se déploie un paradis, un état d’être où s’épanouiront toutes nos puissances, dans la béatitude. Selon cette acception, l’homme est prédestiné.

Notre travail actuel est d’obéir ; moyennant cette obéissance, nous marchons à la conquête de notre liberté. Et, considérant l’humanité en général, on s’aperçoit que le Père donne à un peuple minuscule, le peuple juif, une surabondance de vérités. Ce peuple, le plus dur et le plus indocile, les rejette, les prostitue, les déforme ; et ces lumières qu’il refuse sont acceptées par d’autres moins favorisés des faveurs célestes. Ceux-là s’amendent et, par leur amendement, provoquent enfin l’amélioration de la race impénitente.

De même, dans l’esprit de l’homme, les facultés les plus vigoureuses, celles du cœur, reçoivent à foison les lumières ; elles les rejettent, et d’autres facultés secondaires les reçoivent. Lorsque l’assimilation est en bonne voie, celles-ci réactionnent celles-là ; ainsi l’homme se sauve après de lentes transformations.

Vous voyez qu’il faut prendre dans un sens provisoire les termes d’élus et de rejetés. La prédestination est une déesse qui exerce sur nous un empire décroissant ; et l’on échappe à sa tyrannie selon la mesure où on s’y soumet de bon gré.

Personne n’est prédestiné au malheur. Le malheur ne nous fait souffrir que parce que nous refusons notre destin providentiel. Aussi cet enfant inattendu, tout de lui est fixé d’avance, à commencer par son nom. Il s’appellera Jean, c’est-à-dire le favori du Créateur, la perfection de la grâce.

Le fils de Zacharie donne de la joie à son père et à plusieurs, vivants et morts, parce qu’il est l’accomplissement des promesses divines et des tenaces espérances où ces justes consumèrent leur vie. Ainsi, en chacun de nous, des êtres, des cellules, des forces soupirent vers l’aube éternelle, jusqu’à l’agonie ; et, dès que notre cœur se tourne vers Dieu, Le conçoit, L’imagine et cherche à se L’assimiler, ces habitants inconnus de notre esprit s’élancent pour nous aider, de toutes leurs forces ressuscitées, de toute l’ardeur renaissante de leurs anciennes consomptions.

Les grands explorateurs des déserts mystiques, les Pères de la Thébaïde, les colonnes du catholicisme, comme Loyola, les laïques isolés, comme Boehme, enseignent d’un commun accord que notre vouloir, c’est-à-dire notre amour, doit sculpter en nous, par la vie purgative, l’ascétisme et la pénitence, l’image du Verbe la plus haute que nous puissions concevoir. Seulement, au terme de ce lent labeur, dans les cryptes de la solitude et du silence, quand nos forces expirent, quand la nuit est complète, quand la désolation dissocie nos éléments constitutifs, ce calice très pur que nous sommes devenus, ce vase insigne et inaltérable, le Verbe le remplit de l’eau éternelle qui nous embrase, nous illumine et nous régénère.

Voilà une des raisons qui feront dire plus tard au Précurseur : Il faut qu’Il croisse et que je diminue. Car c’est à l’anéantissement du moi, voulu par le moi, que se mesure la grandeur réelle de l’homme. C’est ainsi que le Baptiste est grand aux yeux de Dieu. C’est ainsi que, unique dans l’humanité, il a reçu l’honneur rare de n’être loué que par un ange et par Jésus. Sonderons-nous la profondeur de ces panégyriques ? L’Église a compris que cet homme est le premier de tous les hommes. Il fut obscur cependant : quelques milliers d’auditeurs à peine l’entendirent ; il demeura toute sa vie dans la même région étroite. C’est que, comme la Vierge, la seule, avec lui, dont on célèbre la naissance, sa grandeur fut tout interne. Les partisans de la théorie du mythe solaire ont souligné, en faveur de leur système, l’opposition de la Saint-Jean, au 24 juin, et de la Noël au 24 décembre. Il y a là un autre enseignement, plus mystérieux, que les ordonnateurs du calendrier ignorèrent peut-être.

Cet enfant ne savait pas encore se tenir debout qu’il était déjà en rapports quotidiens avec l’Invisible ; que son cœur, que son intelligence bouillonnaient déjà de désirs, de pensées, d’ardeurs, sans que la faiblesse de ses organes physiques lui permît de les exprimer. Quelque incroyable que soit une telle enfance, elle est possible ; d’autres exemples en sont connus ; j’ai été témoin d’un cas semblable. L’envoyé direct du Père, en effet, commence son travail dès sa naissance terrestre. Il ne peut pas encore parler que déjà la flamme qui brûle en lui accomplit des miracles et des guérisons. Mais souvenez-vous-en bien, ceci n’a lieu que dans le cas d’une filiation immédiate avec le Père, dans le cas d’un « redescendu du Ciel ».

L’évangéliste appelle notre attention sur ce caractère. Il spécifie bien que Jean « ne boira ni vin, ni cervoise ». Le vin, ce sont les régimes psychiques des anciennes initiations, les essences subtiles de la vie zodiacale, que les adeptes savaient s’assimiler. Tous les mystagogues dignes de ce nom, ceux de gauche et ceux de droite, usaient de ces procédés. Car il y a différentes classes de missionnés. Les uns ne reçoivent que de l’inspiration ; les dieux leur parlent et les guident. Les autres reçoivent les dieux mêmes, ils les incarnent ; sur leur personnalité se greffe une entité supra-terrestre et, à cause de cela, leurs fidèles les élèvent à leur tour au rang de dieux. Mais le missionné véritable, c’est celui dont la mission apparaît totale et demeure permanente ; c’est le missionné du Père. Celui-là, sa liberté reste entière ; Dieu ne touche pas à son individualité, Il lui donne seulement une force neuve, un secret inédit ; et ce secret sera l’origine de toutes les œuvres thaumaturgiques de ce redescendu.

La cervoise, ce sont les effluves troubles de l’esprit de ce monde, des étoiles, des astres et des éléments, que tous les hommes recherchent, et dont l’ivresse les précipite si souvent dans la fange. Jean, lui, a l’Esprit comme Père nourricier. L’Esprit, ce mot ne vous représente rien. Nous vivons inconscients et somnolents ; nous ne comprenons même pas pourquoi Jésus nous recommande de veiller ; nous sommes des jachères où foisonnent les rongeurs ; et si, par intervalles, nous plantons quelque maigre haie, c’est juste à l’endroit où pourrait entrer la charrue du divin Laboureur.

Nous considérons les réalités divines comme des abstractions. Se nourrir de l’Esprit ? Nous, personnes positives, comment croire que l’intelligence, la vérité, la prière, la sagesse, la science, la force, l’amour, ces dons du Consolateur, sont vraiment des substances vives et des êtres éternels ? Quelques pauvres de Dieu le savent cependant, puisque, à leur voix, la catastrophe s’arrête, la maladie s’en va, et le courage se lève parmi les misérables.

Mais bien rares les hommes qui sont « remplis du Saint-Esprit ». À peine le mystique en comptera-t-il, pour toute la terre, un par siècle. Leur personnalité a subi les cémentations les plus sévères. Si les plus sages d’entre nous recevaient de cet Esprit un seul souffle imperceptible, tout s’effondrerait en eux ; leur pensée partirait d’un côté, leur volonté d’un autre, leur vie s’évanouirait comme une fumée et de leur corps ne resterait qu’une poignée de poussière.

Être plein de l’Esprit, cela veut dire en vérité l’omniscience constante, l’omnipotence immédiate ; c’est être libre, puisque « l’Esprit souffle où il veut », c’est demander à Satan comme au caillou leur mystère, d’une voix telle que ni l’archange immense, ni le silex inerte ne puissent se dérober. C’est parler avec le Père, c’est commander à la comète, au continent, à la mort ; c’est avoir si longtemps souffert, obéi, aimé, que Dieu accorde à l’avance toutes les demandes et ratifie toutes les décisions de Son enfant.

Voilà donc quelques-unes des qualifications nécessaires au travail de « ramener » les égarés. Si Jésus est le bon Pasteur, oserai-je dire que Jean-Baptiste est Son chien fidèle, et vigilant, et infatigable ? Veuillez ne pas voir ici une comparaison inconvenante. Il y a un mystère dans l’animal domestique ; mais, dans le chien, il y a plusieurs mystères. Avez-vous jamais regardé les yeux des chiens de berger ? Avez-vous remarqué tout ce qu’il y a dans leurs prunelles si touchantes ? Il y a du dévouement, la joie de servir, et l’inquiétude et l’angoisse, et l’humble résignation et aussi l’humble extase de l’adoration.

Mais revenons à notre sujet.

Seul un tel homme marche « droit devant soi » ou « droit devant le Seigneur ». La création est à lui. Nous autres, nous marchons aussi, puisque nous existons ; mais notre marche est lente, irrégulière, hésitante ; on se trompe, on revient sur ses pas, on se traîne, parce qu’on ne voit pas son devoir, ou que, le voyant, on ne veut pas l’accomplir. Jean et ses frères spirituels, seuls, savent marcher droit sans faiblesse, sans erreurs, inconnus s’il leur plaît, car Dieu, avec qui leur unification est parfaite, est le plus inconnu des êtres ; triomphants, s’ils le jugent utile. Leur existence est, en elle-même, un défi à toutes les lois de la Nature, et un mystère pour les sages, qui passent souvent à côté d’eux sans les apercevoir. L’Esprit, dont ils sont saturés, transsude autour d’eux une auréole archi-mystérieuse. Les hommes ordinaires, les buveurs de la cervoise symbolique ne voient rien en eux que de quelconque ; et parfois même ils se scandalisent de leurs actes, dont les mobiles restent indéchiffrables.

Mais si quelqu’un qui souffre pour la Lumière rencontre un de ces élus, il pressent soudain les trésors cachés sous l’apparence d’un homme, semblable aux autres cependant, mais dont la voix est riche de tous les échos du mystère, mais dont les insondables prunelles projettent des clartés surhumaines. Ici commence un drame intérieur que nos langages ne peuvent redire, parce que nous les avons trop prostitués ; les écrivains mystiques passent sous silence les dialogues définitifs que l’âme échange avec son Ami.

 

 

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Le fils d’Élisabeth « marchera dans l’esprit et dans la vertu d’Élie ».

Il est des formes de langage qui nous révéleraient bien des mystères, si nous les comprenions avec ingénuité.

Pourquoi l’existence d’un homme, ses actions, les évènements qu’il provoque ou qu’il subit, les états d’âme qu’il élabore, pourquoi l’Écriture appelle-t-elle cela une marche ? Car, souvenons-nous-en, le symbole, en soi, n’existe pas : un symbole est toujours une réalité.

Les créatures, en effet, parcourent le monde ; tous les centres vitaux du cosmos, toutes les planètes, visibles et invisibles, objectives et subjectives, sont reliés les uns avec les autres par des chemins. Les routes sont partout. Vous êtes-vous demandé pourquoi, au bord de la sente, le figuier enchevêtre ses branches grises comme un nid de serpents ? Pourquoi l’olivier tord les siennes comme des membres noueux d’athlète ? Pourquoi le peuplier monte tout droit, et le châtaignier s’étale en une masse sphérique ? C’est que chaque branche, chaque brindille, chaque rameau, chaque feuille cherche dans l’atmosphère son chemin particulier. L’arbre se construit cellule à cellule, mais non pas au moyen de la seule nourriture extraite du sol ; chaque atome de force qui perle à l’extrémité d’une brindille doit chercher dans l’atmosphère le point où passe la molécule des courants magnéto-telluriques assimilable pour lui. Et, quand la jonction de ces deux infinitésimaux s’accomplit, une cellule matérielle s’ajoute à la brindille.

Les directions suivant lesquelles les minerais croissent et les filons grandissent dans les entrailles de la terre obéissent aux mêmes nécessités ; et la forme corporelle des animaux également. L’eau, le sang, la chlorophylle suivent des chemins visibles ; les idées et les peuples aussi ; les esprits, matériels ou hominaux, ont des routes invisibles ; les planètes, les évènements, les forces cosmiques, toutes les créatures cheminent. Et, sur ce lacis de sentiers, d’une infinie complication, l’Esprit rouvre, par intervalles, une voie de traverse, oubliée depuis des siècles.

Les hommes vont par groupes, d’un monde à l’autre. Parfois ces groupes sont des multitudes ; alors ils prennent les larges routes, planes, faciles et lentes. Parfois ces groupes ne comportent qu’une centaine de voyageurs, ou une dizaine ; le chemin est alors plus difficile, mais plus court. Il y a enfin, dans les savanes invisibles, des sentes presque effacées, qui franchissent les abîmes, escaladent les pics, traversent droit les marécages et les forêts, on n’y rencontre personne ; elles sont effrayantes ; il s’y trouve des repaires ; mais ces pistes sont les plus rapides, et elles nous font traverser les paysages les plus émouvants et les plus beaux. À longs intervalles, un voyageur hardi s’y engage ; comme le Précurseur, il marche droit devant soi ; il s’épuise, la faim et la soif le tenaillent ; la terreur aussi parfois ; il avance quand même, il sait que ses souffrances sont utiles ; quelques siècles ensuite cette trace périlleuse deviendra une grande route, remplie de voyageurs paisibles, apportant dans les anciennes solitudes la vie, la richesse et la civilisation. Tel fut le chemin de Jean-Baptiste.

Soyez certains que son voyage n’est pas fini. Et, si vos âmes, affranchies, persévérantes, inlassables, pouvaient sortir des portes de la terre, vous rencontreriez sans doute, sur le sentier qui monte au soleil, ce même marcheur à demi-nu, dont la voix fit retentir pendant des siècles les déserts invisibles, puis pendant trente ans les déserts de Judée, et que les hommes entendront encore une fois avec terreur, aux jours des épreuves dernières.

Mais, demanderez-vous, si le Christ est le Maître, Il n’a besoin de personne pour préparer Sa venue ? C’est vrai ; Lui-même, dès le premier instant de la création, la prévit, et commença de s’y préparer. Mais l’humanité, malade à l’agonie, ne pouvait prendre qu’un remède proportionné à sa faiblesse, très lent dans son action. Il fallut d’abord lui donner le désir de guérir, sans lequel il n’y a pas de salut possible. Ce fut la tâche des prophètes. Or leur lumière était seulement une ombre de la lumière. Pour préparer le monde à recevoir le remède divin, un ami devint nécessaire, qui ait longuement appris à parler avec le malade, et qui connaisse la vertu surnaturelle du médicament.

 

 

SÉDIR, L’enfance du Christ,

Bibliothèque des Amitiés Spirituelles.

 

 

 

 

 

 

 

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