Élie

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

SÉDIR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REGARDONS maintenant se dresser devant nous la figure d’Élie.

Plus grand que les plus grands sages, plus libre que les plus puissants, initié non par les hommes, non par les invisibles, mais par l’Esprit, ce voyageur solitaire peuple de miracles tout Israël, depuis le Liban jusqu’à l’Idumée.

Qui est-il ? Il se tait sur lui-même ; et le silence le grandit jusqu’au-dessus des plus hauts parmi les surhumains. J’ai essayé de vous dire l’une des conceptions que l’on pouvait avoir de sa personnalité la mieux connue, celle de Jean le Baptiste. Tâchons, par un examen rapide de sa première existence, d’en découvrir les racines profondes.

Il vient une première fois semer dans les airs, sur les cimes, parmi les sables, et dans le cœur des dieux, les germes dévastateurs de la crainte. Il revient une seconde fois pour que tous les mondes, tous les abîmes, tous les firmaments aperçoivent, non pas encore la Lumière, mais le reflet de son éclat, pour que les chefs s’arrêtent de tyranniser les faibles, pour que les forts reconnaissent quelque chose de plus fort. Et il reviendra une troisième fois pour la terrible moisson dernière.

Rappelez-vous les circonstances extraordinaires de la mission du Thesbite. Il surgit tout à coup dans la chronique du livre des Rois sans que rien l’annonce, ni même le motive. Il attaque les idolâtries ; il commande les éléments ; il vainc la mort. La résurrection du fils de la veuve de Sarephta est le premier triomphe de l’homme sur la Faucheuse. Cet Élie est simple et incompréhensible ; il est un et montre des contrastes déconcertants. Ainsi, ce solitaire nu, ce vagabond sordide, qui exerce les pouvoirs des plus hauts adeptes, sans efforts et sans préparations, qui abat les rois, et fulgure d’une parole leurs séides ; ce maître des airs, ce maître de la maladie, ce maître des dieux ; cet homme dont la vie est un miracle continu ; Jézabel le menace, et le voilà qui tremble ; il s’enfuit ; il ne sait où se cacher ; il gémit de terreur. Que ce spectacle étonnant soit la leçon perpétuelle de notre orgueil. La Puissance a ôté Sa main de dessus cet homme, et il s’écroule.

Comment comprendre ? « Élie était un homme aussi faible que nous », dira plus tard l’apôtre Jacques. Parole initiatrice ! Force de la faiblesse, puissance de l’humilité, mystère des décrets éternels !

Voici une nouvelle occasion de toucher du doigt le mode des rapports que Dieu entretient avec nous.

Regardez cet Élie. Il est unique vraiment. Il surpasse les plus extraordinaires ; il nous effare ; nous croyons à peine ce qu’on nous dit de lui. Or toute cette prestigieuse puissance, ce n’est qu’une addition à son moi ; elle ne lui appartient pas, puisque Jézabel l’annule. Ne voyez-vous pas comme le Père a regardé Israël, et jugé que ce peuple avait besoin des verges ; comme Il a choisi un homme doué d’une certaine sorte de vigueur, comme Il lui a mis les verges dans la main, comme Il lui a dit : Fouaille-les.

Mais les verges – les pouvoirs du thaumaturge – ne lui appartiennent pas. La force même de son bras, malgré qu’elle semble bien à lui, n’est pas permanente ; un choc imprévu peut l’endormir ; et, pourtant, combien n’a-t-il pas fallu de fatigues à l’âme de cet homme pour pouvoir supporter l’ardeur de la torche qu’on lui ordonne de brandir sur Israël ? Concluons. Nous sommes des serviteurs inutiles. Il faut travailler, il faut nous épuiser, il faut nous consumer ; et, en même temps, il faut comprendre que toutes ces douleurs ne nous obtiendraient rien, selon la Justice, si l’Amour n’intervenait. Connaissez cela, et vous connaîtrez le formidable solitaire du Carmel.

Après cette crise effroyable, qui dut dévaster l’âme d’Élie, comme sa famine avait dévasté la terre judaïque, il redevient l’homme de son nom : le maître, le puissant.

Un ange le nourrit et l’envoie au mont Horeb, éloigné de quarante jours de marche du désert où il s’était enfui.

Quarante, nombre de pénitence et d’expiation. Horeb, mot qui signifie, selon qu’on l’accentue ; vision, occident, enfer et corbeau. Transportons-nous en pensée sur cette cime majestueuse ; voyez les grandes roches nues qui dressent leurs têtes au-dessus des forêts bruissantes, des vergers luxuriants, de cette mer si bleue. Regardez, tout là-haut, la silhouette minuscule de l’ascète à demi-nu, qui se tient debout et attend un signe de Dieu. Sous la flamme dont brûle cet homme, la terre se prend à tressaillir. La montagne tremble ; la tempête déracine les cèdres et les grandes pierres ; les ravins se changent en cascades ; la foudre tombe ; mais, dans ce fracas des éléments, le cœur du solitaire ne reconnaît rien d’autre qu’un trouble des dieux ; ces convulsions ne l’émeuvent pas. Quels étaient donc ses pensers ?

Pour le deviner, il faut rejoindre, une vingtaine de siècles plus tard, un de ses fils directs, un moine prosterné dans la cellule lépreuse d’un misérable couvent espagnol ; un carme loqueteux, épuisé, malade, mais flamboyant de l’ardeur la plus intense ; le plus hardi des contemplatifs catholiques, je veux dire Jean de la Croix. Il faut relire ces pages de La Montée du Carmel, entendre ces cris, les plus effrayants que la soif de l’Absolu ait jamais fait jaillir d’une poitrine humaine. Il faut escalader les pentes abruptes du dénuement intérieur ; laisser derrière soi les étoiles de vertu les plus scintillantes et les plus belles ; monter encore, toujours plus haut ; jusqu’à ce que notre tête en feu touche enfin les ténèbres terribles où circule seul le souffle surnaturel de l’Esprit.

Là-haut seulement nous goûterons la saveur du récit biblique ; là nous revivrons cette tempête de l’Horeb, ce calme soudain de l’ouragan, et ce souffle léger qui traverse le silence infini tout à coup survenu.

Le prophète ne s’y trompe point. Ce souffle lui annonce la Présence éternelle ; et, seulement alors, il se prosterne et s’abîme dans l’adoration.

Que je regrette de ne pouvoir vous dire qu’avec des mots si faibles la force de cette scène, et l’inexprimable qui s’en dégage à grandes ondes !

Ce souffle si frais, goûtez-en toute la douceur, toute la grâce et toute la tendresse. C’est bien l’intersigne de l’Évangile, du Christ accueillant, de l’Ami qui prendra notre fardeau sur Ses puissantes épaules. Ainsi, quand l’ardeur sacrée de la prière vous ravit à ce monde, souvenez-vous que les éblouissements, les transports, et les tonnerres, ce n’est pas le Ciel. Le Ciel, c’est un frémissement, une haleine, une touche imperceptible au fond de votre cœur. Et vous voilà émus, baignés dans une fraîcheur surnaturelle, remplis de certitude, débordants de bonté, prêts à tout subir et à tout entreprendre. Tel est le mode de la vie éternelle.

Mais revenons à Élie. Il continue ensuite sa marche de thaumaturge. Il sacre les rois, il enlève Élisée à sa charrue, il venge Naboth, il manie la foudre. Enfin, son épopée se termine sur le fait le plus extraordinaire, et qui ne s’était produit encore que deux fois. Quand Dieu rappelle à Lui Son serviteur, la mort n’ose pas s’en approcher ; les entrailles de la terre n’osent pas réclamer ce corps. Élie monte aux cieux dans une fulguration, comme autrefois Hénoch et Moïse furent assumés ; tandis que le disciple suppliant recueille, avec le manteau du maître, son esprit et sa vertu. Une telle assomption indique une âme en train de quitter définitivement cet univers. Élie avait dépassé les plus hauts adeptes ; la terre n’avait plus de droits sur lui. Et il est bien naturel qu’à son retour comme Précurseur, le Christ le salue comme le plus grand des fils de la femme.

L’intuition certaine des peuples orientaux affirme sa survivance et son retour. En effet, ce qui caractérise une réincarnation, ce n’est pas la reprise des mêmes cellules matérielles, mais l’identité de l’« esprit », de cet organisme complexe dont le centre est le moi, – et la perpétuation de la « vertu », c’est-à-dire de la puissance, toujours proportionnelle aux efforts et aux travaux accomplis. Car, si les plus avancés d’entre nous connaissent bien la réincarnation, ils n’en imaginent qu’un seul mode, tandis qu’il y en a plusieurs. Mais laissons ces recherches prématurées.

Quelques mois avant son Maître, Jean revient donc ici-bas avec l’« esprit » et la « vertu » qu’il possédait autrefois. Simultanément descendent toutes les sollicitudes, toutes les exhortations silencieuses, tous les ardents espoirs des anciens justes d’Israël. Celui dont il parlera plus tard, celui qui crie dans le désert, c’est le groupe vénérable qui, du fond des siècles et des extrémités du monde, appelle le Sauveur, tous ces justes que ni les idoles physiques ni les idoles mentales ne séduisirent jamais et qui se tinrent inébranlables dans la confiance et dans l’unité. À cause d’eux le Christ Se donne le titre plein d’amour de Fils de l’homme. Le terrible Élie sous la forme du Précurseur est l’individualisation, la corporisation de cette grande clameur obstinée, cette « voix qui crie dans le désert ». Il amène avec lui l’arome tonique des solitudes invisibles et des sommets spirituels ; il a l’apparence d’un indépendant, d’un révolté ; c’est pourquoi il peut grouper toutes les insubordinations ; et il les attire en effet, parce qu’il porte en lui l’eau très douce de la Miséricorde, qui transmuera les anarchies innombrables de la matière, de la société, de l’intelligence et des désirs.

« Faire revivre le cœur des pères dans les enfants, ramener les rebelles à la sagesse des justes, préparer au Seigneur un peuple bien disposé » : cette triple entreprise forme le travail de Jean-Baptiste. Elle est terriblement ardue.

Il y a d’abord à réorganiser les roues des générations, que les adultères et les idolâtries déforment, arrêtent et enchevêtrent ; il y a à rechercher, parmi les âmes en instance d’incarnation, toutes celles qui furent autrefois espérantes du Messie. Il faut courir après toutes les brebis égarées ; qu’elles reviennent comme d’elles-mêmes au bercail ; fouiller tous les coins obscurs de l’invisible, redresser les intelligences, transmuer les vouloirs. Il faut sonder les cadres de l’organisme social, passer en revue ses puissances ontologiques, chercher les occasions favorables aux descentes collectives des âmes. Il faut surtout payer de sa personne, se donner, donner ses forces, son courage moral, sa vie, sans lassitude, sans tristesse, et sans auxiliaires. Terrible travail. Entrevoyez-vous combien le Précurseur est le plus fort parmi les fils de la femme ?

Comprenez-vous ses nuits sans sommeil, ses jours sans nourriture, son cœur sans amis, son intelligence sans livres, sa volonté sans point d’appui ici-bas ? Imaginez-vous les contentions de ce cerveau, ses combinaisons longuement poursuivies, ses décisions soudaines, ce mutisme, ces fatigues psychiques, les bonds énormes de ce cœur enflammé, et ses chutes douloureuses ? Voyez tout ce que souffre la simple femme qui s’attache à un autre être, enfant ou mari. Que ne souffrirait-elle pas si, par impossible, elle chérissait avec la même ferveur des milliers d’enfants et des milliers de maris ? Tel fut le martyre intérieur de Jean-Baptiste ; telle est la fonction véritable du prophète.

 

 

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Vous discernerez peut-être maintenant de quelle façon Jean-Baptiste opère « dans l’esprit et dans la vertu d’Élie ». Qu’est-ce que l’Esprit ? Qu’est-ce que la vertu ? Sont-ce des synonymes ? Non.

L’esprit, est-ce l’atmosphère psychique d’Élie ? Peut-être ; mais alors que sera la vertu ? Esprit et âme s’emploient trop souvent l’un pour l’autre. En général, on oppose esprit à matière, et l’on se base sur cette antinomie pour donner au principe éternel de l’homme le nom d’esprit. Le spiritus latin, le pneuma grec, le rouach hébraïque, ce ne sont pas des principes principiants, ce sont des corrélateurs, des atmosphères, des milieux. L’Esprit, disent les théologiens, procède du Père et du Fils ; c’est le double courant d’Amour qui relie les deux personnes divines ; c’est le souffle le plus subtil, le plus ineffable ; c’est le grand inconnu. « L’Esprit souffle où il veut, et personne ne sait d’où il vient, ni où il va », dit l’Évangile. Protée, Mystère, Ubiquité, Vie absolue, Mouvement perpétuel, Intelligence totale, tel est l’Esprit dans le Non-Moi. Peut-il être autre chose en nous ? Non.

L’esprit de l’homme, c’est donc le milieu où s’unissent d’un mutuel amour le centre vivant et le centre mort, la Lumière du Verbe, et la ténèbre de l’égo ; c’est l’ensemble de tous les organismes invisibles par lesquels nous vivons, nous agissons, nous comprenons, nous aimons ; c’est tout ce qui s’étend en nous entre l’âme éternelle et le corps mortel : tous les fluides, tous les astraux, tous les mentaux ; c’est le siège de l’individualité, de la liberté, de la responsabilité. Comprenez-vous maintenant que « marcher dans l’esprit d’Élie », c’est vivre comme Élie vivrait, c’est l’incarner à nouveau.

Les vertus, virtutes, dunameis ou Gebouroth, sont des forces actives, rayonnantes, opérantes. Gebouroth et Gabriel sont deux mots jaillis de la même racine (G br) qui suggère l’idée d’organisme créateur, un processus par lequel ce qui n’était qu’un germe se développe et devient un être. La vertu d’Élie, c’est la puissance d’Élie ; ce sont ses facultés de thaumaturge et de prophète ; tout ce que Dieu a ajouté en lui de surhumain, c’est-à-dire tout ce par quoi Élie est Élie.

Comme Élie, le Baptiste est inattendu ; comme Élie, il est solitaire ; comme lui, nu, ascétique et violent ; comme Élie, il ose les plus folles entreprises ; comme Élie, il est thaumaturge, sauf que sa thaumaturgie est plus haute, puisqu’il ne craint pas de délivrer un baptême, ou alors il n’est qu’un imposteur. Comme Élie, il apostrophe les rois ; et enfin, comme Élie, une princesse impure remporte sur lui le triomphe illusoire de la force temporelle.

Mais je vous parle là, penserez-vous, de choses bien lointaines ; où en est l’application ? Par quoi tout ceci peut-il pénétrer notre vie journalière et notre psychologie actuelle ?

Pour vous répondre, plutôt que de vous prendre dans les théories, je préfère vous offrir un exemple ; le premier venu : des remarques, si vous voulez bien, que je fis l’autre jour, durant une promenade.

J’étais au-dessus de la Turbie, au golfe du Mont-Agel. Un soleil magnifique versait sur la mer, sur les rocs, sur les montagnes, des nappes de clarté et des symphonies de couleurs. Vous savez de quel charme africain se parent les grands paysages de cette contrée ; comme tout y devient pathétique ; les olivaies en gradins, les chemins muletiers, les pierrailles, les nobles cyprès ; tout cela nous parle un langage si émouvant ! Le bleu fort et le calme de la mer, le fouillis vert et brun des collines niçoises, les franges éblouissantes des neiges, les lavis délicats des montagnes liguriennes et provençales, tout cet ensemble de beauté, de grandeur et de paix, n’est-ce pas le temple de Dieu, Sa maison sans toits, ni murailles, sans limites, et qu’Il remplit de Sa présence ineffable ?

Tu es donc là, Père très bon ; mais Tes enfants, les hommes, où se tiennent-ils ?

Les voici. Le calme auguste est troublé par des carabines. Autour d’un stand, la société la plus élégante tue des pigeons. Plaisir du meurtre inutile et de la vanité !

Eh bien ! vous tous qui avez découvert en vous des beautés, sœurs de celles que la Nature nous montre, votre devoir est d’ouvrir les yeux de vos frères sur ces formes d’harmonie.

Soyez des poètes d’action ; soyez des artistes en spiritualité ; soyez des magiciens d’éternité. Cultivez votre corps d’esprit comme les Grecs faisaient de leur corps de chair ; lavez-le, exercez-le, habituez-le aux nobles attitudes ; montez par-dedans vous-mêmes ; exaltez-vous. Affrontez les vertiges ; ne craignez pas de perdre pied ; laissez-vous défaillir sous les souffles de diamant accourus des neiges mystiques. Et, du milieu de ces transports, tournez-vous vers vos pauvres frères, à côté de vous, et cependant si loin de vous ; ils sont élégants et forts selon la sagesse de la terre ; mais ils tuent des colombes pour s’amuser !

Pour s’amuser, cela veut dire pour échapper à eux-mêmes. Ils ne font le mal, ils ne sont cruels et imbéciles que parce qu’ils sont lâches ; or, c’est d’eux-mêmes qu’ils ont peur ; ils n’osent se regarder.

Allez donc vers eux, vous qui avez recueilli l’écho des voix divines, avec l’assurance invincible que donnent la douceur céleste et l’humaine compassion. Forcez-les de se voir. Ils vous jetteront souvent dehors. Revenez. Vos yeux, emplis à votre insu du jour que dispense dans l’Au-delà le soleil des esprits, vos yeux leur seront d’assez éloquentes exhortations, s’ils refusent d’entendre votre voix. Et vous aurez ainsi utilisé pour d’autres un peu de ce que le Père vous laisse apercevoir des ombres de Son œuvre.

Voici pour une face des travaux du Précurseur. Quant à l’autre, j’en trouverai l’illustration en redescendant la colline, dans le clair-obscur et les vapeurs légères du jour finissant. À ma gauche, le soleil teintait d’or pâle et de vieux rose ce mamelon pierreux que les Monégasques appellent la Justice. Les Romains avaient là un bourg, un fort et une prison ; et les potences y demeurèrent tout le long de notre Moyen Âge. C’est dans cette cité farouche qu’un soir le Christ, allant vers la Gaule, fut incarcéré et brutalisé, pour avoir pris la défense d’un gueux. Et la tradition affirme que, huit jours plus tard, un tremblement de terre détruisit la citadelle sinistre, et chassa ses durs garnisaires.

Fidèles à nos habitudes de crédulité, nous tiendrons cette légende pour véridique ; et elle nous découvrira la racine de tous ces crimes, de tous ces brigandages, de toutes ces pirateries où chrétiens et Sarrazins rivalisèrent, le long de ces côtes, pendant des siècles. Ce cortège de méchantes énergies aboutit aux palais de Monte-Carlo où se rencontrent tous les vices, toutes les corruptions, et les plus froides cruautés de la terre.

Ainsi, il en advient des contrées comme des individus ; la beauté physique est presque toujours un mensonge ; presque toujours des hommes méchants, ou une âme laide l’habitent. Voilà le second travail de Jean-Baptiste : établir l’accord de l’externe avec l’interne.

C’est par la sincérité que nous y parviendrons, « en marchant droit devant le Seigneur ». Soyons, nous aussi, des voix criant bien haut les paroles mystiquement entendues. En nous il y a un œil toujours ouvert, qui voit la vérité ; ne bâtissons pas devant lui des murailles d’hypocrisie. Dur travail que d’être constamment et totalement sincères ; commençons-le tout de suite.

Ouvrez les yeux de votre esprit. Ne faites pas comme les Romains d’autrefois ; sachez reconnaître l’Envoyé d’En Haut sous quelque costume qu’Il se présente ; n’a-t-Il pas dit d’ailleurs que chaque misérable, c’est Lui-même ? Quelle parole ! Comme elle agrandit notre existence, comme elle nous illumine ! Gardez cette parole ; faites-en votre glaive et votre bouclier ; et jetez-vous au plus fort de la bataille.

Ces mêmes choses que je vous dis si faiblement, le Baptiste, lui, les a criées de toute sa voix formidable dans toutes les profondeurs, sur toutes les hauteurs, dans tous les déserts, sur toutes les multitudes.

 

 

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Retournons au Temple de Jérusalem.

Or, Zacharie, debout à l’angle de l’autel des encensements, écoute et regarde le Messager dont la forme translucide vibre sur la pénombre des entrecolonnements. La voix singulière, lointaine et profonde, prononce une à une les paroles définitives, qui fixent les vieux rêves si chers en incroyables réalités. Cette voix est extraordinaire ; elle s’entend à peine et elle remplit le cœur du vieux pontife, comme le rugissement du lion remplit les cavernes avoisinantes. Zacharie sait que parfois des anges se montrèrent aux yeux des hommes, dans l’ancien temps. Mais ceci ?... Il le toucherait cependant, le lumineux fantôme, s’il étendait la main. Mais pour lui ? Mais en ce jour de fête, tandis que le peuple au-dehors s’impatiente ? Et ce sont tellement ses plus profonds désirs que formule la Présence ! Elle est réelle vraiment, car voici les larges dalles de marbre thébaïque qui se fendent sous les pieds diaphanes de l’Athlète de Dieu ; voici que son haleine immatérielle, épandue au hasard des phrases, embrase les plaques d’or dont les murailles sont revêtues et en corne les angles ; voici que les vapeurs sacrées des encens s’étalent selon les volutes révélatrices des visites des plus hauts Malachim.

Et, comme Zacharie délibère en lui-même, la voix un instant silencieuse, la voix immense et calme s’élève de nouveau pour prononcer la punition de son inquiétude. Il restera muet jusqu’à l’accomplissement de la promesse. Et le vieillard frémit de terreur à la pensée que son manque de foi aurait pu faire obstacle aux merveilles prédites.

Mais c’est la dernière rigueur de l’ancienne Alliance ; le règne de la Miséricorde arrive.

Le mutisme du père prépare d’ailleurs l’éloquence de l’enfant. Le Baptiste, en effet, sera surtout prédicateur. Le livre est pour instruire ; la parole est pour émouvoir. Et Jean avait à entraîner des foules.

Comme tous ceux qui enseignent et qui exhortent devraient préparer leur ministère dans la solitude, le jeûne et les larmes ! Souvenez-vous de ce que nous avons dit à propos de la prédestination. Toute fleur est le contraire analogique de sa racine ; qui veut commander doit apprendre à obéir ; qui veut guider les multitudes doit aimer l’isolement ; qui veut parler doit se plaire dans le silence. Qui veut devenir puissant selon le Ciel doit s’affaiblir selon la terre, et jeûner au moral encore plus qu’au physique. Qui veut répandre sur autrui les baumes guérisseurs de la joie divine doit se macérer longuement dans les larmes du repentir et dans les amertumes de l’épreuve.

Considérez encore que le don de la foi se trouve dans une relation inconnue avec le sens auditif. L’Apôtre le sait quand il affirme que « la foi vient de l’ouïe ».

Il y a en nous des facultés naturelles : la mémoire, la comparaison, le calcul, l’imagination. Tout le monde sait qu’elles signalent leur présence par des particularités de la forme du visage. Mais les facultés surnaturelles – la foi, l’amour vrai, la théophanie – possèdent tout de même, dans notre conscience, des points de tangence et, dans notre corps physique, des localisations. L’oreille sera un jour la localisation de la force spirituelle appelée : foi.

Mais, surtout, pour saisir cette relation ténue, considérons que la foi n’est pas autre chose en somme que la certitude a priori, sans preuves, de la présence divine intérieure. Cette présence s’appelle le Verbe. Le Verbe, c’est la Parole du Père.

La parole de l’homme est aussi un verbe. Qu’un orateur prononce un discours médiocre, l’auditoire sera tout de même sous le charme, pour une cause matérielle : beauté de la voix, du geste, etc. ; ou pour une cause psychique : attraction du magnétisme personnel.

Or, si un homme non orateur, mais qui n’a jamais prostitué sa parole, qui n’a jamais trahi, médit, insulté, dit quelque chose, sa parole est thaumaturgique. Elle porte sa force générique, la foi, qui la rend opérante. Un tel homme guérit, console, éclaire. Telle est une des actions du Verbe en nous.

Il est intéressant de remarquer qu’au baptême, après avoir fait entrer l’esprit de l’enfant dans l’Église du Christ, le prêtre lui ouvre les oreilles.

Ainsi, quand nous aurons développé la semence spirituelle de la foi, notre mentalité prendra un essor immense ; nous sentirons, nous penserons, nous méditerons par des procédés inconnus, suivant des modes nouveaux, pour le moment inimaginables. Et nous approcherons de la faculté capitale de l’Esprit : l’ubiquité.

Nous sommes loin d’avoir dit tout le nécessaire sur le Précurseur ; mais nous voulons suivre pas à pas les synoptiques. Le décousu apparent de leurs récits recèle des particularités fort instructives ; peut-être plus tard vous inviterai-je à chercher ensemble les motifs mystiques des interpolations, des interversions, des différences chronologiques, des divergences de détails, dont les modernistes tirent leurs arguments les plus forts contre la surnaturalité des Évangiles et du Christ. Ce n’est pas un travail difficile, que cet examen ; c’est un travail de patience. Je souhaite, pour ma part, que nous ayons quelque jour le loisir de l’entreprendre ensemble.

 

 

SÉDIR, L’enfance du Christ,

Bibliothèque des Amitiés Spirituelles.

 

 

 

 

 

 

 

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