L’origine chaldéenne de l’astrologie

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

le Docteur A. E. THIERENS 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DEPUIS PLUS DE TRENTE ANS j’ai fait des études suivies sur la philosophie et la théosophie de l’astrologie 2, et durant toute cette période j’ai entendu des allusions constantes sur la culture Chaldéenne (Assyro-Babylonienne) comme étant la période par excellence de l’Astrologie. Mais les références étaient toujours très vagues, et je cherchais vainement de l’information définitive dans les œuvres de tous les auteurs astrologiques de langues modernes et anciennes.

Ayant compris que les astrologues modernes n’avaient jamais fait une étude sérieuse sur cette période dite « Chaldéenne », il me semblait que la nécessité de combler cette lacune était devenue impérative. J’eus la bonne fortune de trouver un appui dans le Docteur F. M. Th. Böhl, titulaire de la chaire d’Assyriologie de l’Université de Leiden ; sous sa direction et dans sa bibliothèque spéciale, j’ai travaillé ce sujet durant trois ans, ou, plus exactement, j’ai cherché les éléments astrologiques dans la vaste littérature du sujet et – avec l’aide du Professeur Böhl – dans les textes en écriture cunéiforme, inscrits, pour la plupart, sur des cylindres d’argile cuite.

Il n’est pas nécessaire de raviver la controverse concernant le « Pan-Babylonisme », surtout cette partie de la doctrine qui dit que le symbolisme merveilleux de Babylone fut la base et l’origine de tous les caractères et de toutes les légendes Bibliques. Delitzsch, Winckler et Jérémias furent les protagonistes de cette doctrine, et le Père F. X. Kugler S. J. en fut l’antagoniste le plus éminent. Néanmoins, cette doctrine (sans considérer son application à la Bible, ce qui est une toute autre affaire) est si importante pour une compréhension du rôle que joua la cosmologie dans les civilisations anciennes, qu’il est impossible pour un étudiant d’astrologie – et surtout de l’astrologie ésotérique – de ne pas s’en rendre compte.

Le Pan-Babylonisme, écrit Jérémias 3, présente la thèse d’une harmonie préexistante entre les évènements célestes et terrestres. De cette harmonie sont dérivées les vérités essentielles de toutes les croyances, par exemple, la Doctrine d’un Sauveur et Rédempteur, laquelle a fait le tour du monde pendant des âges. Nous donnons à ces doctrines le titre d’origine « Babylonienne » seulement parce qu’elles nécessitent un pays d’origine où l’astrologie était la base de la culture et de la civilisation. Ceci fut le cas en Babylone, le siège de la « Sagesse Chaldéenne ». Même si on trouvait dans un autre pays la même succession d’idées, le même symbolisme, la même cosmologie, le principe resterait pareil, quoique le mot « Pan-Babylonisme » serait déplacé.

D’autres pays du monde, tels que la Chine et le Pérou, nous ont donné l’évidence de bases cosmiques dans leur théologie et leur culture, mais pas au même degré. En ce qui concerne Babylone et la culture Chaldéenne, la question reste entière : Sommes-nous justifié d’accepter les légendes et les mythes comme un enseignement moral et spirituel à cause de leurs significations symboliques, ou est-ce pousser trop loin la puissance de la légende ?

Il me semble possible de justifier la thèse. En Babylone, nous voyons que toute la vie et toute la culture des peuples Assyro-Babyloniens étaient vivifiées par cette doctrine. Il ne faut pas nous arrêter à l’histoire et à la philologie ; car, derrière elles, on sent l’âme et l’esprit d’un peuple. La théologie et la cosmologie s’y trouvent, mais la racine est encore plus profonde, c’est la Vie Cosmique elle-même qui pénètre la vie de ces peuples et de ces cultures, et qui se manifeste dans leurs mythes, leurs légendes et leurs Écritures sacrées.

Il est difficile – pour ne pas dire impossible – de dire exactement quelle était la race qui la première posséda la vision cosmique et astrologique de la vie. Dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate il y avait, dans la nuit des temps, une population indigène, rude et sans culture. À une période très reculée, arriva dans ces vallées (peut-être du Nord) l’invasion d’un peuple appelé « Sumérien », qu’on regarde comme la première race cultivée en Mésopotamie (bien que les Churrites, dans l’Ouest, furent probablement antérieurs aux Sumériens). Presque aussi anciens sont les Akkadiens, et, beaucoup plus tard, les Amorites et les Arameans. Les Élamites et les Kassites venaient du Nord-Est et l’Est.

Dans la fertile vallée des deux rivières, connue de nos jours par le nom de la Mésopotamie, nous pouvons compter trois périodes d’antiquité nettement séparées l’une de l’autre : 1°) l’arrivée des Sumériens, à peu près 3.600 avant J.-C. (contemporains des premières dynasties d’Égypte) ; 2°) la Grande Période Assyro-Babylonienne, à peu près 1.400 avant J.-C. (contemporaine de la période « El Amarna », en Égypte, pendant la 18e et la 19e dynasties) ; et, 3°), la période Hellénique, autour de 625 avant J.-C., quand l’invasion de la culture Grecque, influencée par Babylone (ou la Chaldée) s’étala vers l’Est et l’Ouest.

Remarquons, en passant, que l’influence astronomique et astrologique Babylonienne n’a pas passé vers l’Inde avant l’invasion des Kassites, 1850 avant J.-C., mais après la fin de cette ère. L’Inde reçut la culture Babylonienne pendant la Grande Période, autour de 1350 avant J.-C. Ceci est contemporain avec la première formation de la langue Sanscrite en forme littéraire.

Dans la grande bibliothèque du Roi Ashurbanipal, le roi ayant ordonné qu’on lui fasse une copie de toute inscription de son royaume ; dans leurs fouilles, les Assyriologistes ont trouvé des cylindres d’argile ayant des calculs astronomiques qui suggèrent une date de 4550 avant J.-C. (ou des calculs rétroactifs qui atteignent cette date). Sur une base définitivement historique, il y a des inscriptions de Sargon d’Agade, 2.850 avant J.-C., et, depuis cette date, la continuité des records astronomiques ne fut pas brisée. Les astronomes et les astrologues Babyloniens étaient donc en position de fournir un enseignement scientifique, clair et précis, aux philosophes Grecs et aux théosophes de l’Inde. Les derniers fruits de la culture Mésopotamienne furent portés par les « Chaldéens » aux pays autour de la Méditerranée sous le nom de « la sagesse chaldéenne », pour sombrer, apparemment, dans les flots du matérialisme qui suivit la fin du Moyen Âge.

Il nous reste à expliquer ce mot : « Chaldéen ». Ce mot s’applique aux deux dernières dynasties Mésopotamiennes ; Nabopolassar, père de Nabuchodonosor le Grand, étant le fondateur de la deuxième dynastie. La période Hellénique était contemporaine de ces deux dynasties Chaldéennes. Il s’en suivit que la culture Assyro-Babylonienne (en contraste de la culture Perse qui suivit) s’imprégnait sur les cultures grecques et gréco-romaines sous le nom de « Chaldéen », car les Grecs et les Romains ne connaissaient que les dynasties Chaldéennes et n’avaient aucune vraie connaissance de l’histoire des millénaires précédents.

L’astrologie, dans le sens Babylonien ou Chaldéen, n’était pas réservée aux augures basés sur la position du ciel au moment d’une naissance. Elle était une vision de la Vie Humaine et une Religion en Babylone depuis le commencement de cette civilisation jusqu’aux temps des Grecs, une période de 4.000 ans. La continuité et la constance des éléments culturaux sont frappantes et nous montrent la force et la vitalité des principes célestes qui forment les fondations de la doctrine. Comme nous le fait voir Winckler, la configuration des corps célestes ne doit pas être prise comme un exemple, ni comme une analogie ; elle est une construction de forces naturelles, opérantes, qui donne naissance aux cycles et aux évènements que produisent ces causes cycliques, ayant une répercussion sur la Terre qui crée les évènements terrestres semblables.

À première vue, on pourrait penser que j’ai appliqué le terme « astrologique » aux calculs qui ne sont qu’astronomiques. La justification se trouve dans le but de ces mesurements astronomiques et dans leur application. Je n’ai rien trouvé chez les Babyloniens qui puisse être appelé un « horoscope concret ». Il est certain qu’à la naissance d’un enfant les constellations étaient observées par les astrologues pour déterminer leur analogie avec la naissance et le destin de l’enfant. Mais ceci n’est pas un horoscope formel, et l’étymologie du mot « horoscope » nous indique son origine pendant la période hellénique, alors que la mentalité philosophique grecque s’inspirait de la mentalité cosmologique Babylonienne.

Il est vrai que nous pouvons trouver quelques textes ayant affaire avec l’astrologie judiciaire, tel que le suivant : « Quand Ishtar (Vénus) se lève dans l’Est (sur l’Ascendant) à la naissance d’un enfant, la vie sera calme et aisée ; partout où passe cette personne, elle sera aimée, et elle aura longue vie. » Malgré un certain nombre de textes de ce caractère, il n’est pas douteux – comme nous dit Jérémias – que les indications astrologiques avaient plutôt le caractère d’un livre de symboles ; la transformation de ces symboles illustratifs en symboles à chiffrer n’était pas encore faite dans la Babylonie Ancienne. Le calcul exact des positions des planètes, du Soleil et de la Lune dans un thème horoscopique ne se trouve pas en Babylone avant la Période Chaldéenne ou Hellénique.

L’astrologie de Babylone était donc sur une base plus majestueuse, Weidner nous donne une conception très juste de la puissance de cette croyance :

« L’Astronomie et l’Astrologie étaient des idées inséparables dans la Babylonie Ancienne. Une si grandiose conception d’un Cosmos Unique ne se trouve nulle autre part dans l’histoire de l’humanité. Les principes célestes et les principes terrestres ne formaient qu’un, les cieux et la terre étaient semblables – aucun système ancien ne donnait un postulat plus clair ni plus universel. Le prêtre qui offrait ses prières aux dieux planétaires et aux dieux stellaires était forcé d’acquérir une connaissance très détaillée et très exacte du ciel ; il devait connaître les mouvements des corps célestes et leurs positions à n’importe quel moment, à cause du symbolisme religieux.

« Remarquons un texte de Nippur, dont la date doit être approximativement 2000 avant J.-C. Ce texte indique un mesurement entre deux étoiles fixes avec une précision si exacte que cela nous semble incroyable. En passant, il faut remarquer que les astronomes Babyloniens avaient parfaitement maîtrisé un système de coordinés, basé sur l’Équateur Céleste, pour déterminer les positions des étoiles dans le firmament.

« Nous voyons ainsi comment la science de l’Astronomie naquit, mais, en même temps, à cause de l’élément religieux et symbolique qu’elle contenait, l’Astrologie prenait une signification gigantesque. Agissant pour servir la religion, l’Astronomie et l’Astrologie (cosmique et ésotérique) se développaient merveilleusement en Babylone ; de là, ces sciences se répandirent sur tous les peuples de l’antiquité, même – combien de siècles après ! – jusqu’au Pérou. Les connaissances astronomiques des Babyloniens restèrent suprêmes pendant tous les Âges classiques et quand un disciple des astronomes de Babylone recevait le droit de s’appeler « un Chaldéen », sa science lui donnait une haute estime à Rome. Jusqu’au Moyen Âge, l’astrologie Babylonienne maintenait sa suprématie. Même de nos jours, elle existe encore. »

L’Astrologie est inévitablement associée avec le monothéisme, pas avec le polythéisme. Le Professeur Baentsch 4 nous dit :

« Après leurs devoirs du culte, les prêtres, dans leurs collèges, devaient apprendre la nature des dieux et leurs fonctions dans le ciel, ils avaient à accommoder une doctrine théologique au cadre d’un système scientifique. Ces doctrines systématisées, ayant une base scientifique, s’unissaient dans un monothéisme remarquable. Pour comprendre ce monothéisme, il faut toujours se rappeler que la religion babylonienne ancienne (qui commença dans la période Sumérienne) était une religion stellaire. Elle voyait les pouvoirs divins agissant directement dans les étoiles et par les étoiles ; pour elle, les planètes sont les modes de transmission de la Puissance Divine, les interprètes d’une volonté Divine. Ce n’est qu’au moyen des études astronomiques qu’il était possible de comprendre la volonté des Dieux. La science théologique des Babyloniens anciens était fondamentalement une astrologie. Pour les Babyloniens de l’Antiquité, que l’image de ce monde était une représentation précise du monde céleste était un axiome, bien qu’ils fissent une distinction entre l’univers terrestre et l’univers céleste, dont le premier n’était qu’une réflexion du dernier. »

En acceptant cette interprétation de la pensée Babylonienne, il est nécessaire pour nous d’accepter la supposition que l’image du ciel doit être regardée comme plus abstraite, plus spirituelle que l’image terrestre. Ainsi, cette conception des Babyloniens est presque analogue à celle de la pensée Chrétienne de nos jours sur la Divinité ; car « Dieu », selon la compréhension des Chrétiens, est non seulement l’Absolu et l’Omnipotent, abstrait et inconnaissable, mais Il est aussi le Créateur de ce monde et Notre Père.

 

 

Dr A. E. THIERENS.

 

Paru dans L’Astrosophie en septembre 1936.

 

 

 

 



1  Cet article est composé de citations traduites d’une œuvre astrologique de première importance : « Astrology in Mesopotamian Culture », par le Docteur A. E. Thierens. Éditeur : E. J. Brill, Leiden, Hollande. Prix : 25 francs franco. Texte en anglais.

2  Auteur : « Natural Philosophy », « Elements of Esoteric Astrology », « A General Book of the Tarot », etc.

3  « Zur Frage des Pan-Babylonismus », par le Docteur Alfred Jérémias. Éditeurs : Theol. Lit. Zeitung ; Leipzig 1911.

4  « Altorientalischer und israelitischer Monotheismus », par Prof. B. Baentsch, Tübingen, 1906.

 

 

 

 

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