Noël, signe de l’unité française

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Maurice VLOBERG

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NOËL a marqué de son rayonnement le destin religieux et national de la France.

La vocation de la France se décide au jour de la fête de la Nativité de l’an 496, en ce baptistère de Reims où Clovis fut acquis au Christ avec ses antrustions et guerriers, néophytes comme lui. Il n’y avait pas qu’un symbolique parallélisme entre l’objet du grand anniversaire chrétien et la naissance à la foi des rudes Sicambres : dans cette rencontre un pacte était signé, qui engageait la France à soutenir le règne d’idéal inauguré par l’Enfant de Bethléem. Ainsi les plus illustres contemporains comprirent l’évènement. Ainsi devait l’interpréter la Loi Salique, en des acclamations triomphales dignes de cette première et la plus noble de toutes nos chartes :

 

Vive le Christ qui aime les Francs ! Qu’il garde leur royaume, qu’il remplisse leurs chefs de la lumière de sa grâce, qu’il protège leur armée, qu’il leur accorde l’énergie de la foi, qu’il leur concède par sa clémence, Lui, le Seigneur des seigneurs, les joies de la paix et des jours pleins de félicité.

 

Souhaits jamais mieux réalisés, programme jamais accompli plus souverainement que par Charlemagne, comme le signifiera encore l’Étoile de Noël illuminant le sacre de l’an 800 à Rome. De tous les rois venus à la Crèche, nul plus que le conquérant à barbe fleurie ne pouvait abaisser tant de gloire devant la Petitesse divine. Et rien ne prouve mieux que son exemple la vertu du mystère de Bethléem, l’immense bienfait de sa douceur dans les siècles de fer. Grâce à Noël, c’est dès lors tradition française de conjoindre vaillance et charité, de mettre l’épée au service de la faiblesse. Tradition française encore d’unir joie et héroïsme, comme en offre le symbole de la légendaire épée, jamais dégainée que contre les félons et les infidèles : elle s’appelait Joyeuse, nom où éclate, écrit Joseph Bédier, « toute la joie que respirent les chevaliers, la joie hautaine d’avoir librement accepté leur tâche et d’aimer la gloire, celle que l’on conquiert au service d’une juste cause et dont on jouit sur terre, puis au Paradis en fleurs, parmi les Innocents ».

Au premier rang de ces preux furent les Croisés, dont le nom suggère, avant tout, le culte de la Croix. Ils professèrent non moins d’amour pour le Christ enfant et son berceau. Avec Godefroy de Bouillon ils veillèrent jalousement sur la « Crèche où le Sauveur du monde parut entre les bêtes ». C’est à Bethléem que les rois francs d’outre-mer eurent coutume d’offrir les prémices de leur règne.

Toujours dans cette idée que la chevalerie doit secourir les petits, les humbles, les opprimés, Jean le Bon voulut mettre sous le signe de Noël la Compagnie militaire créée par lui en 1352, l’Ordre de l’Étoile ou de Notre-Dame de la Noble Maison, – ordre éphémère, car les guerres incessantes du XIVe siècle eurent vite fait de le décimer, en raison même du vœu des chevaliers qui juraient de ne jamais fuir en champ.

Des documents d’un autre genre, des merveilles d’art nous rendent plus sensible ce culte de Noël chez nos monarques. Nombre d’entre eux et une foule de princes et princesses demandèrent aux miniaturistes de leurs somptueux Livres d’Heures de les représenter à la Crèche. Charles VII et Charles VIII entre autres y prirent la figure et le rôle de Mages. Avant eux, Charles V joua le même personnage en un tableau vivant, le jour de l’Épiphanie de l’an 1378, célébrée à la Sainte-Chapelle du Palais : avec deux hôtes de marque, l’empereur Charles IV et Venceslas, roi des Romains, il composa le groupe des trois majestés d’Orient, qui se rendirent à l’autel portant dans des coupes les présents symboliques, or, encens et myrrhe. Cette offrande commémorative paraît avoir été longtemps en usage dans la maison Capétienne. Ainsi, durant tout son règne, Henri III présenta en la fête des Mages trois boules de cire, l’une couverte de feuilles d’or, l’autre de feuilles d’argent, la troisième d’encens.

En paraissant ainsi lier leur destin au culte de l’Enfant-Dieu, nos rois donnaient un exemple dont ils furent les premiers à tirer bénéfice. Car leurs sujets avaient compris à merveille la leçon du Noël de Reims : ce jour-là, Dieu avait créé le plus beau royaume après celui du ciel et fait du roi son premier lieutenant, « fleur de chevalerie et exemplaire de tous biens ». Avec un sens très sûr, le peuple souligna cette élection dans le cri de son loyalisme : Noël ! Noël ! Ce fut le cri national des jours de triomphe comme des jours de détresse. Il jaillit surtout avec fréquence pendant les XIVe et XVe siècles qui ébranlèrent violemment la monarchie. Noël ! Noël ! sonne alors le ralliement des fidèles de l’unité française et s’oppose aux cris des ennemis coalisés contre elle, aux Vive Bourgogne, aux San Capdet des Gascons, aux Saint-Georges-Guyenne des Anglais.

Le même cri éclate, triomphal, au devant de la Libératrice, à Orléans, à Reims. Écoutant ces voix, Jeanne songeait que l’Étoile de Noël l’avait conduite tout au long de son épique chevauchée, jusqu’à l’apothéose dans le même temple d’où « France la douce » était sortie chrétienne. Certains racontent que Jeanne est née une nuit d’Épiphanie, et que tous les coqs du pays, contrairement à leurs habitudes régulières, se mirent à chanter et à battre des ailes pendant deux heures. Le Coq gaulois, qu’elle allait rendre à la joie et à la liberté, lui devait bien cette aubade à perdre haleine.

Quand le cri de Noël ! Noël ! n’a plus cours, la protestation de loyalisme s’affirme aussi vive dans d’autres accents de veine populaire, les chants de Noël. Le souvenir du désastre de Pavie inspire l’oraison du poète bressan du Noël de Vaux, qui dit à l’Enfant :

 

            Ne fais plus qu’en bataille

            On prenne notre roi !

 

Sous une forme ou une autre, les Noëls répètent cette invite : « Faisons réjouissance et prions Dieu, hiver, été, pour le roi de France », ou, comme chante Jean Daniel, organiste à Saint-Pierre d’Angers :

 

            Supplions Dieu, tous pauvres indigents,

            Que bonne paix veuille en France reduire,

            Qu’au noble roi François aucun ne puisse nuire...

 

La paix, la paix qui assure le pain et la concorde, voilà ce qu’on implore avec véhémence auprès du berceau du Dieu, en apparence de faiblesse, mais qui peut tout. Au temps où les Français s’entr’égorgeaient aux cris de : Vive ! ou À bas la messe ! un chrétien sans passion composait l’admirable Noël de la paix :

 

                  Ô divin Enfançon,

            Qui viens au monde naître

            Pour nulle autre raison

            Que pour la paix y mettre,

            La paix, ô Dieu mon espérance,

            La paix au doux pays de France

                      Donnez la paix !...

            

            ... Colombe qui portez

            Cette branche d’olive,

                      Vierge, sollicitez

            Que bientôt nous arrive

            La paix. Ô Dieu mon espérance,

            La paix au doux pays de France

                      Donnez la paix !

 

Ce Noël scandé de larmes, après trop de jours de malheur qui donnèrent occasion de le redire, semble encore écrit pour notre temps d’épreuve. Ne conviendrait-il pas qu’il prît la place de l’olympien Noël d’Adam et fût chanté en nos paroisses jusqu’à la bienheureuse minuit où les Anges rediront en vérité : Paix sur la terre ?

Au lendemain des guerres de religion, l’un de ces anges de la paix, sous les traits d’un mystérieux et ravissant enfant, annonça le règne heureux de la poule au pot. C’était le jour même où le bon roi Henri entrait dans la capitale, le 22 mars 1594. Tandis que le Béarnais priait dans la cathédrale, raconte Palma Cayet, on vit à son côté un garçon de six ans environ, « beau en perfection et proprement habillé ». Comme on voulait l’écarter, un des assistants s’écria : « Laissez cet enfant, c’est un bon ange qui conduit et assiste notre roi ! » Entendant ces mots, Henri se retourna, remarqua le petit connu, le serra contre lui et ne consentit qu’à regret à le laisser partir. L’enfant disparut alors, sans qu’on sût jamais ni qui il était, ni ce qu’il devint.

L’assistance donnée à la monarchie par Noël et ses anges dura sous les règnes suivants. C’est à lui que la France s’adressa pour que le lis royal eut le rejeton tant désiré. Anne d’Autriche porta ses vœux à Notre-Dame de la Crèche, au Val-de-Grâce, et promit d’élever en ce lieu un temple magnifique « À Jésus naissant et à la Vierge-Mère, Jesu nascenti Virginique Matri », s’ils lui accordaient un fils.

La Crèche a des assises plus stables que les trônes. À la Révolution, si le peuple abandonne la dynastie, il garde fidélité à Noël. Il trouva mauvais et illogique que les niveleurs voulussent anéantir l’Étable, que recommandait pourtant son caractère démocratique. Les Parisiens protestèrent en la Noël de 1792 : malgré les défenses de la Commune, on « messa effrontément » à l’heure de minuit dans divers quartiers. Cette fidélité s’affichait, trois mois après les boucheries de septembre et moins d’un mois avant l’exécution de Louis XVI.

C’est qu’il n’était pas facile de déraciner un culte implanté chez nous depuis les origines, une fête qui appartient en propre à la masse et qui s’épanouit dans l’allégresse de rites familiaux, de chansons et de coutumes régionales. Si coutumes et chants, se répétant à peu près semblables et avec la même vogue à travers nos provinces, ont contribué à maintenir l’unité de la foi, ils ont renforcé non moins le lien entre les terroirs, le sens de la communauté et de l’entente sociale. Noël a fait l’accord parfait de tous, des petits et des grands, dans leur gratitude envers Celui dont le règne est de fraternité et qui a béni si visiblement la race française. Même ceux qui pensèrent en avoir fini avec les « obscures croyances » ont senti se réveiller, aux carillons de minuit, sinon la foi, du moins la conscience de ce que notre civilisation doit à Noël. Ce fut sans doute sous l’effet de cet atavisme, pour ainsi dire noëlliste, que Pierre Loti écrivait :

 

Bethléem ! Bethléem !... Ce nom recommence à chanter au fond de nos âmes glacées... Et, dans la pénombre, les âges semblent remonter silencieusement leur cours en nous entraînant avec eux...

 

 

Maurice VLOBERG.

 

Paru dans le numéro de

novembre-décembre 1948

de la revue Marie.

 

 

 

 

 

 

 

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