Robert Vallery-Radot

(1886-1970)

 

Notice biographique extraite de :

Gérard WALCH, Poètes nouveaux, Delagrave, 1924.

 

 

 

 

Arrière-petit-neveu d’Eugène Sue et d’Ernest Legouvé, Robert Vallery-Radot, né le 31 juillet 1886 aux Alleux, par Avallon (Yonne), propriété de sa famille, descend, du côté paternel, d’une famille de notaires et de juges originaire du Morvan. Sa mère appartenait à une famille, parisienne depuis six générations, d’avoués et d’architectes, qui fut de tout temps très pieuse. Son arrière-grand’mère était née de Bonnevie de Poizat. Par elle, il avait une petite goutte du sang des croisés. Un grand-oncle de sa grand’mère maternelle, Alphonse Royer, fut directeur de l’Opéra sous le second Empire; il fut aussi vaudevilliste médiocre. L’arrière-grand-père de sa grand’mère, l’architecte Bertault, bâtit le Palais-Royal. Le grand-père paternel de Vallery-Radot fut un littérateur estimé; il publia, durant qu’il était bibliothécaire du Louvre, Les Chefs-d’OEuvre des classiques français, en collaboration avec A. de Courzon. Il fut chef de cabinet du ministre de l’intérieur Alfred Leroux.

Robert Vallery-Radot a vécu, par goût, une adolescence très solitaire; passionné de lectures, il recherchait le silence. Les Alleux furent le parc somptueux où s’éveillèrent tous ses rêves. C’est parmi les rocs farouches du Morvan, les pins, les chênes gigantesques, dans ce site superbe que fêtaient des soirs d’une gloire inouïe, des nuits d’un silence et d’une splendeur indicibles, qu’il a commencé de balbutier son amour de Dieu et de la Nature, ses premiers émerveillements devant la Vie. Armé de fortes études classiques par la méthode antique des Jésuites, il a pu vagabonder dans les littératures les plus désordonnées sans rien perdre de son goût d’ordre et de discipline. Éperdument classique, amoureux fou de la langue latine, qu’il lisait à peu près couramment, il aimait les littératures modernes, non pour elles-mêmes, mais parce qu’elles forçaient son instinct à les discipliner. Après avoir poursuivi quelque temps ses études de droit et de lettres, que des raisons de santé le forcèrent d’interrompre, Robert Vallery-Radot débuta dans les lettres à dix-sept ans, à l’occasion d’un concours de poésie organisé par La Plume, en 1903. Il collabora à diverses revues de jeunes et publia, en décembre 1906, un volume de vers, Les Grains de Myrrhe, où il chanta – mélodieusement, malgré quelques licences de rythme et de rime – l’amour et la volupté, Dieu, la vie et la mort. La volupté surtout, et partout; l’ivresse du coeur, des sens et de l’âme.

Et d’abord dans l’amour :

L’adieu rose du soir s’éternise aux ramées :
Je pense à vous, je pense à vous, ma bien-aimée...
Secrète volupté de vous sentir ici !
Car c’est vous que je vois dans les lys que voici,
C’est vous ce chant d’oiseau, c’est vous, ma bien-aimée !
Dans la source j’entends votre rire joyeux,
Et je crois vivre en vous quand je ferme les yeux;
Vous êtes mon parfum, ma lumière et ma vie,
La coupe où s’enivra ma jeunesse ravie...

Autrefois.

Voici des vers qui rappellent les strophes enflammées du Cantique des Cantiques :

Je l’aime, je le vois sans cesse dans mes rêves !
Son regard me pénètre ainsi qu’un javelot;
Son sourire sur moi est jeune comme l’eau
Comme le matin qui se lève.

L’azur et l’Océan me font penser à lui,
Car ils ont le reflet profond de ses prunelles,
Et l’on croit posséder l’infini même en elles
Quand leur force tendre reluit.

Tous les soirs au verger revient sa forme douce;
Il semble une île d’ombre en la lourde chaleur;
Et tout autour de toi comme autour d’une fleur
Bourdonnent les abeilles rousses.

Pâle de volupté, je m’assieds près de lui,
Je me tais, n’osant rien lui dire : il me devine,
Et sa voix chante en moi plus ardemment divine
Que le rossignol dans la nuit.

Mon être à ce qu’il dit se déchire et s’élance;
Je ne reconnais plus mon âme de mon sang !
Sa parole où le feu des étoiles descend
Est comme le cri du silence.

Mais je préfère encor ses baisers à ses mots,
Et je pense mourir lorsque sa main me touche,
Quand ma bouche se pend et s’attache à sa bouche
Comme la grenade au rameau...

Les Chants de Chryséis.

 

Et encore :

Toute la nuit, avec fureur, dans nos artères
La volupté farouche, écumante, a rugi !
Ô silences de pourpre infernale rougis !
Grinçante extase, âpres délices, dents serrées !
Gouffre atroce où se tord la mort démesurée !
Baisers brûlants, baisers fougueux et blêmissants,
Au goût de fleur, au goût de flamme, au goût de sang.

L’Inapaisement.

 

Puis aussi dans l’âpre cruauté, témoin ce rêve néronien :

Alors au bruit des tambourins, mes lupanars
Rougeoient sous les vapeurs de bétel et de nard,
Car avec ses hoquets écumants, la Luxure
Donne sa fête occulte, âcre, stridente et sûre;
J’écoute la folie auguste des ferments
Chavirer au milieu d’affreux embrassements.
L’ombre s’anime au lent travail des tarentules;
De lugubres clameurs montent des ergastules...
Et comme mon ennui se plaint aux fins de jour
Que mon âme est déserte et que mon coeur est lourd,
Mes yeux lassés de tout, mes mains inoccupées,
On m’apporte un bassin plein de têtes coupées;
Fiévreusement joyeux je plonge en frémissant
Dans ce bain tiède, rouge et velouté de sang;
Volupté de la bouche et des doigts qui se jouent
Dans cette pourriture ardente et cette boue...

Mes Royaumes.

 

Dans la tristesse, la douleur; la souffrance :

Tu m’es chère quand je te vois
Pâlir de langueur épuisée,
Quand je sens des cordes brisées
Dans la musique de ta voix.

La tristesse seule me touche,
Ô ma très douce, et j’aime mieux
Boire une larme de tes yeux
Que mille baisers de ta bouche...

Prédilections.

 

– Rien se pourra t’apaiser;
Tu connaîtras l’agonie
De ne trouver au baiser
Qu’une amertume infinie.

– Je sais, mais j’aime ma nuit,
Mon mal, ma désespérance;
Ô ma mère, je ne puis
Vivre que dans ma souffrance.

Romance.

La sève des forêts circule dans mes veines
Et mon coeur tourmenté qu’emplit un désir fou
Aime à se déchirer aux feuillages des houx
Et s’épuise à sentir l’arôme des verveines !

Ô nature ! viens donc entre mes bras fiévreux,
Viens te suspendre toute à ma lèvre affamée,
Et que puissent enfin nos étreintes pâmées
Tourner dans un vertige immense et douloureux !

Frénésie.

 

Et dans la Mort :

Lorsque la Mort me viendra prendre un jour d’été,
Recevez-la, ma mère, avec sérénité;
Imitez le jardin qui la verra sans crainte
Venir les yeux ouverts pour la suprême étreinte;
           . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ne pleurez pas : la Mort sera douce pour nous;
Priez, car il est bon de courber les genoux
Au passage sacré de la funèbre Amante.

Mort bienheureuse.

 

Les voluptés terrestres ne suffisent point au poète. Il lui faut l’ivresse divine de l’âme. Il la trouvera dans l’Amour surhumain, immatériel, immortel, dans l’adoration des splendeurs de l’univers.

Ô mon amour aimé, si tu pouvais comprendre
Que je cherche l’amour et non la volupté,
Que c’est ton âme enfin que j’aime en ta beauté !
Ô mon amour aimé, si tu pouvais comprendre !...

Le silence m’écoute, et je voudrais mourir...
Calme religieux des bois et des vallées,
Chaste adoration des voûtes étoilées,
Me direz-vous pourquoi l’aimer fait tant souffrir ?

Stances.

Ô mon amour, se sais-tu point
Que j’étouffe dans la vallée ?
Qu’il me faut l’extase étoilée
Et les vents qui soufflent de loin ?...

Non satiatus.

Mon Dieu, voici tous mes désirs agenouillés,
Voici mes rêves morts dans leurs linceuls de toile...
Ah ! Seigneur, allumez dans l’ombre vos étoiles !
Que je puisse, enivré d’éblouissants réveils,
Boire les baisers d’or qui tombent des soleils.

Morbosa.

 

L’Amour est au-dessus des fièvres du sang, et le poète se spiritualise de plus en plus. Nous reconnaissons là l’influence de sa mère et d’une longue hérédité. « Je suis, dit-il, ce que ma mère m’a fait. Je suis un fils dans toute la force du terme, né de son âme aussi bien que de sa chair. » Toute l’erreur de l’esprit contemporain vient de ce qu’on a ramené l’Amour au seul sentiment, au seul instinct, tandis qu’il est, en dernière analyse, volonté libre de se donner. L’Amour n’est point la sommaire passion, c’est la bonté. « Je sens, je vois l’amour intensément. » Il sent Dieu en lui :

Je me suis enivré du bonheur surhumain
D’entendre Dieu descendre en mon âme élargie...

Et ce Dieu n’est pas un Dieu vague et panthéiste, mais un Dieu personnel qui divinise nos puissances et les rend invincibles, un Dieu vivant, et le poète communie avec Lui dans l’extase, ainsi qu’il l’a exprimé dans cette superbe « action de grâces » :

Seigneur, merci de mes ivresses coutumières
Et de m’avoir donné cette âme de lumière
En qui tout vibre, en qui tout chante et resplendit !
Merci de me sentir triomphant, alourdi
De richesse féconde et de pesante joie.
           . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Merci d’avoir en moi ces fontaines qui pleurent,
Ces douleurs qui s’en vont, ces bonheurs qui demeurent !
Merci des éblouissements prodigieux !
De ces larmes qui sont la tête de mes yeux;
Merci d’être le roi des musiques ardentes,
Des mots impétueux aux clameurs débordantes !
Oh ! merci de l’Amour de tempête et de feu !
Merci de vous aimer, merci de tout, mon Dieu !

Mais son extase n’est pas stérile. La Béatitude n’est pas l’extase stérile, immobile. C’est l’Acte. La parole de saint Thomas le transporte : Beatitudo est in Actu. Dieu ne se trouve pas dans l’hérésie quiétiste, il se trouve à travers ses créatures. Vallery-Radot n’est ni idéaliste ni naturaliste, il est catholique. Il voit dans le catholicisme la merveilleuse, l’unique synthèse de l’esprit et de la matière. « Il faudrait, nous écrit-il, un volume pour développer ces idées, mais je compte les exposer un jour; notamment l’ascension de la matière vers Dieu par l’entremise de l’homme. Le sang nourri par la terre, et qui porte la flamme à la pensée, toute cette mystérieuse transmutation, qui est admirable... Pour moi, la parole éternelle, la Révélation, c’est Verbum caro, le Verbe s’est fait chair, l’Homme-Dieu. Il n’y a ici aucune interprétation imaginative, c’est de la pure orthodoxie. Je tiens à ce que l’on sache que je ne prétends apporter rien de neuf, que simplement je suis fils de l’Église catholique, apostolique et romaine. La Somme, saint Paul et la Bible sont mes confidents quotidiens, les sources divines où je puise ma certitude et l’ineffable joie de voir Dieu, de lui parler, de l’entendre... De là découle toute mon esthétique : j’aime l’Art sain, puissant, mâle, un art spirituel et charnel à la fois, très pur et selon le plan de Dieu. » Et il ajoute : « Je suis Latin; j’ai l’amour extrême de la forme la plus précise, la plus colorée, mais je veux qu’elle soit lourde de sens, et que le sens aussi soit clair. J’aime l’Art simple, SINCÈRE, celui qui dit : « Voilà » et se montre sans artifice, nu comme Adam sorti des mains du Créateur. Un geste suffit pour élargir en nous le silence créateur, car le Geste c’est l’Acte, c’est la figure de Dieu le Père. C’est pourquoi, avant tout, avant la couleur, avant même la musique, j’aime le Geste. Je suis sculpteur plus que peintre. Que le Geste soit tranquille, noble et selon un beau rythme; j’ai la passion intense de l’ordre. Rien n’est beau comme une force qui se contient. La Nuit de Michel-Ange, la Résurrection de Lazare de Rembrandt, la Sonate Appassionata de Beethoven, la Genèse, voilà pour moi les sommets de l’Art. » (1er septembre 1907.)

Dans les poèmes réunis dans la plaquette In Memoriam, composée en l’honneur de sa mère et qu’il publia en décembre 1907, Vallery-Radot exprime le sens de son spiritualisme, sa foi ardente, sa joie de croire. Il veut faire connaître sa certitude, le bonheur atteint, l’intensité de vie puisée au coeur de Dieu : Non nobis, Domine, sed pro tua gloria ! – Ces poèmes se trouvent reproduits au début du recueil L’Eau du Puits (1909), qui contient d’autres pièces de grande beauté (Les Soifs), et des vers exquis dédiés à la « fiancée ».

Pendant la Semaine sociale (juillet-août) 1913, Robert Vallery-Radot a entretenu les semainiers de leurs responsabilités en face de la littérature française. Après une période de littérature païenne, nous assistons à une sorte de réveil religieux dans tous les domaines de l’activité humaine; mais, dit Vallery-Radot, « surveillons les manifestations littéraires de cette renaissance, si nous ne voulons pas qu’elle aboutisse au plus équivoque des mysticismes ».

Robert Vallery-Radot a collaboré à La Plume, aux Essais, à L’Ermitage, à La Revue des Poètes, à La Quinzaine, à L’Occident, à La Grande Revue, à La Revue Hebdomadaire, etc.

 

 

 

 

 

 

 

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