Le mystère de Notre-Dame

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Maria WINOWSKA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Personne ne guérit du faux merveilleux comme le fait la Sainte Vierge.

En Elle, tout est simple et tout est surnaturel.

Or, le surnaturel est au-dessus et au-delà du « merveilleux » : d’un tout autre ordre.

 

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Le surnaturel, c’est la grâce, c’est la participation à la vie de Dieu, c’est la communion à la divine simplicité.

Dieu est, cela lui suffit. Ses attributs se fondent pour ainsi dire dans son être. Il ne les a pas, il les Est. Il est simplicité, il est amour.

La créature par-dessus toutes les autres déifiée participe à la divine pauvreté. Elle n’a rien. Elle se doit de ne rien avoir. Les biens de ce monde lui seraient ombre et écran. Il lui suffit d’être : l’Immaculée Conception.

Lorsque Bernadette Soubirous se présenta, la mort dans l’âme, devant le terrible curé Peyramale, lorsqu’elle lui répéta en tremblant les mots incompréhensibles que lui avait dits la Belle Dame, ces mots qu’elle répétait en cours de route pour ne pas les oublier, le curé plus ému qu’il ne le laissait voir, crut l’écraser d’un argument théologique : « Ta Belle Dame aurait dû dire “Je suis l’Immaculée” et non pas “Je suis l’Immaculée Conception”...

L’Église a donné raison à Bernadette Soubirous : Que ne profitons-nous pas de la leçon ! Combien parmi nous se perdent en conjectures de ce qu’Elle dirait ou même devrait dire au lieu de l’écouter tout simplement, au lieu d’écouter son silence.

 

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Voltaire a lancé un jour une boutade : « Si Dieu a fait l’homme à son image et à sa ressemblance, l’homme le lui rend bien. » Qu’il nous soit permis d’abonder pour une fois dans le sens du grand sceptique amer. Plus que jamais nous sommes envahis par différentes formes d’anthropomorphisme, parfois pieusement camouflées, qui taillent Dieu à notre courte mesure.

La Sainte Vierge n’échappe pas à ces opérations sacrilèges ! Au lieu de la voir dans la lumière de la foi, telle qu’elle est, nous la voyons trop souvent telle que nous sommes. Jamais encore le naturalisme n’a fait autant de ravages dans la dévotion mariale, jamais la fringale du merveilleux n’a, à tel point, étouffé le mystère de Notre Dame.

Or, le mystère relève de la foi. Le merveilleux se limite à ce qui dépasse les lois de la nature, mais qui est encore nature, porte ouverte, mais rien que porte...

 

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Les manifestations de la Sainte Vierge, à La Salette, à Lourdes, à Fatima, n’ajoutent rien à ses titres de gloire. Elles sont pour nous, source de grâces, mais à condition qu’un esprit surnaturel très pur les rattache à Celle qui a daigné paraître. « Numque dividitur Maria » ? Notre Dame de l’Évangile diffère-t-elle de celle de Lourdes, de La Salette ou de Fatima ? Bien au contraire, dit l’Église, la crédibilité des apparitions dépend de l’exactitude avec laquelle elles s’ajustent aux données de l’Écriture et de la Tradition. Tel est le critère infaillible. Tel est l’argument de notre foi. Ce qui est en dehors ne relève pas de Dieu, mais du Mauvais.

Si Elle lui écrase la tête, c’est qu’il rôde sous ses pieds ! Sa rage impuissante s’épuise en contrefaçons gestes de l’Immaculée. Certes, il ne lui est pas difficile de fabriquer de fausses apparitions, de fausses révélations ! « Prince de ce monde », il dispose des forces de la nature. Pourtant il y a pour lui une zone interdite : celle de la grâce qui est le climat de la Sainte Vierge.

 

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Mais alors, me dira-t-on, comment discerner le vrai du faux ? Comment ne pas se laisser prendre par ce qu’on croit voir, entendre, toucher ? Nous sommes loin de penser que certains « voyants » soient de mauvaise foi.

Le critère est simple : c’est l’obéissance. L’esprit de Marie, l’esprit du « Fiat » triomphant du « vieil homme ». Docilité humble et totale envers l’Église.

Il ne suffit pas de « voir » la Sainte Vierge pour devenir des saints ! Ses petits mandataires ont dû lutter, travailler comme les autres, plus que les autres, car les élections mariales engagent. Bernadette n’est pas sur les autels parce qu’elle a vu l’Immaculée, mais parce qu’elle a correspondu héroïquement à sa grâce. Et la marque souveraine des apparitions mariales, c’est qu’elles plongent les âmes dans le flot divin, c’est qu’elles les arrachent aux pauvres limites humaines pour les jeter, proies bienheureuses, en Dieu. Marie agit en Mère du Christ, ou elle n’agit pas.

 

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C’est la foi vécue, nourrie d’oraisons, qui nous équipe pour les discernements indispensables. Une âme unie à Dieu ne s’y trompe pas ! L’Esprit-Saint la dote de ses fines antennes qui captent le courant divin. Elle n’admettra jamais que là où est la Sainte Vierge, puisse ergoter la désobéissance. Défendre Marie contre l’Église : quelle injure ! Croyons-nous qu’elle ait besoin de notre aide pour s’imposer à la foi de son Christ, « répandu et continué » ? Nous sommes à Elle dans la mesure exacte où nous sommes à Dieu, donc à son Église.

Pour discerner les manifestations extérieures de Marie, il faut tout d’abord « vivre de son intérieur » comme disait Bérulle, qui est tout obéissance, tout simplicité, tout amour. Les âmes consacrées à Marie, c’est-à-dire devenues totalement disponibles à son action sanctifiante et déiforme, ne s’y trompent pas ! Un jugement très sûr les met en garde contre toute fausse apparition. Très humblement, elles obéissent : la Reine de l’univers est assez puissante pour faire éclater, à travers et malgré d’innombrables contradictions, le fait de La Salette, le fait de Lourdes. Les lettres de créance de ses ambassadeurs ? mais c’est leur fidélité au Message qu’ils sont chargés de transmettre et leur héroïque obéissance. Toute manifestation de la Sainte Vierge est un appel au « Fiat ». Or, si nous ne l’avons pas vue, qui de nous, grand ou petit, est dispensé de vivre de sa grâce ? Les rares privilégiés ne sont là que pour nous rappeler notre commun et magnifique privilège. Elle est notre Mère, nous sommes ses enfants ; Elle nous donne la vie, la refuserons-nous ? Certes, Elle est bien plus disposée à donner que nous à prendre !

 

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Commençons donc par Vivre d’Elle, par Elle, en Elle. Laissons-nous « mouler » par ses mains. Doucement, imperceptiblement Elle nous fera entrer dans son intérieur, magnifique palais où réside le Roi. C’est à la lumière de cette conduite, fidèlement acceptée, que nous comprendrons le sens de ses interventions directes dans l’histoire, la portée de ses messages, la cause de ses manifestations.

Le Mauvais a beau faire : les tristes caricatures qu’il suscite pour ternir les vraies apparitions de Notre Dame ne sauraient compromettre des faits comme Lourdes, La Salette, Fatima. Le bruit de sa perfide réclame n’étouffe pas les brèves paroles de la grande Silencieuse. Mais il nous met en garde ! Le drame de l’enfer, n’est-ce point qu’il serve malgré lui ? Pour circuler librement et sûrement dans ce pullulement de faux merveilleux avec lequel l’homme moderne trompe sa faim, la faim de Dieu, il faut que nous vivions en plein surnaturel et que nous nous laissions nourrir par Elle, Notre Mère, de cette grâce dont Elle est la trésorière et le réceptacle, de son Christ qui ne nous vient que par Elle.

 

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Ses manifestations authentiques n’ont pas d’autre fin ; Elle se fait voir, Elle nous parle pour réveiller nos âmes et pour les lancer dans la plus belle des aventures : montée à pic, à sens unique, vers les sommets de la sainteté.

L’erreur trempe la vérité : les faux voyants, les faux prophètes engagent à une vigilance redoublée, à un essor plus généreux nos fidélités quelque peu assoupies. Jamais encore il n’y a eu dans le monde autant d’âmes mariales, livrées à sa grâce, qui la reflètent et la continuent ! Comme des enfants bien nés, les saints formés par Marie en disent long sur leur Mère. Pourquoi ne pas les contempler : mieux encore les suivre, au lieu de devancer, dans une excitation fébrile, les sages verdicts de l’Église ? Si Elle a apparu ici ou là, ce n’est pas à nous de le trancher ! Cependant, en état de grâce, nous avons mieux encore, nous l’avons Elle-même avec son Christ inséparable dont Elle est le vivant ostensoir.

 

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La voir pour en vivre. En vivre pour la voir...

La beauté indicible qui a ébloui les yeux mortels d’une Mélanie, d’un Maximin, d’une Bernadette, ou d’une Lucie, n’est-elle pas comme une anticipation et une promesse de la vision dans la gloire : non plus charisme, mais don perdurable ? Le ciel nous est promis à tous : pourvu que nous consentions à sa semence en nous (« inchoatio vitae aeternae »), le Christ dans nos âmes vivant par Celle qui est notre Mère parce que Mère de Dieu en nous.

 

 

Marie WINOWSKA.

 

Paru dans la revue Marie en juillet-août 1952.

 

 

 

 

 

 

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