Au pays de la Terreur rouge

 

LES ATROCITÉS QUI MARQUENT

LA LUTTE FRATRICIDE EN ESPAGNE

 

D’APRÈS UNE ENQUÊTE RÉALISÉE SUR PLACE

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

André ZWINGELSTEIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRÉFACE.

 

 

Un coup d’œil dans les coulisses du Communisme.

 

 

 

Qui faut-il chercher à l’origine de l’actuelle tragédie espagnole ?

 

MOSCOU.

 

Qui faudra-t-il chercher demain, à l’origine d’une tragédie française identique ?

 

MOSCOU.

 

Le Communisme soviétique – système social enfanté par Karl Marx et Lénine – tend au bouleversement total d’une Civilisation qui comporte certes des faiblesses et appelle des progrès, mais n’en demeure pas moins le reflet de longs siècles de vie humaine, éclairés par la radieuse lumière du Christianisme.

Le Communisme soviétique entend bâtir la Cité future sur deux bases essentielles : l’ATHÉISME et le MATÉRIALISME.

Ce qui revient à dire qu’il ne reconnaît aucun créateur, aucun ordonnateur, aucun juge en dehors de l’homme lui-même, et qu’il se réserve de mener – pour l’amélioration du sort humain – une lutte constante et farouche où les jouissances terrestres constitueront l’enjeu suprême.

L’individu, la famille, la patrie disparaissent inexorablement dans ce tourbillon « émancipateur ». Seule continue d’émerger une « Collectivité » anonyme, à laquelle sont sacrifiés les intérêts, aspirations et libertés de l’individu.

Le Communisme soviétique symbolise donc essentiellement l’ACTION BRUTALE, où :

 

la lutte antireligieuse,

les heurts sociaux,

la guerre étrangère,

 

s’étalent au premier plan.

Appuyons ce que nous avançons là de quelques citations, aveux ou professions de foi puisés à bonne source.

 

 

LUTTE ANTIRELIGIEUSE

 

« Toutes les preuves de l’existence de Dieu sont des preuves de son inexistence, des réfutations de toutes les conceptions qu’on s’est forgées de Dieu. »

(MARX : Œuvres philosophiques. – Tome I. Pages 80-82.)

 

« Être radical, c’est prendre les choses par la racine. Or, pour l’homme, la racine est lui-même. .....La critique de la religion aboutit à cette doctrine que l’homme est pour l’homme l’Être suprême. »

(MARX : Œuvres philosophiques. – Tome I. Pages 96-97.)

 

« L’abolition de la religion, en tant que bonheur illusoire du peuple : telle est l’exigence de son véritable bonheur. »

(MARX : Œuvres philosophiques. – Tome I. Pages 83-84-85.)

 

« Le Marxisme n’est pas un matérialisme qui s’en tient à l’a b c. Il faut savoir lutter contre la religion, et, pour cela, il faut expliquer, dans le sens matérialiste, la source de la foi et de la religion des masses. On ne doit pas confiner la lutte contre la religion dans une prédication idéologique abstraite..... IL FAUT LIER CETTE LUTTE À LA PRATIQUE CONCRÈTE DU MOUVEMENT DE CLASSE. »

(LÉNINE : De l’attitude du Parti ouvrier à l’égard de la religion. 1905. Page 15.)

 

« Aujourd’hui, avec notre conception évolutionniste du Monde, il n’y a absolument plus de place pour un créateur ou un ordonnateur. Et, parler d’un être supérieur mis à la porte de tout l’univers existant, implique une contradiction dans les termes et me semble une injure grave faite aux sentiments des gens religieux. »

(ENGELS : Introduction à l’édition anglaise du Socialisme utopique. 1892.)

 

« La religion est un aspect de l’oppression spirituelle qui pèse toujours et partout sur les masses populaires accablées par le travail perpétuel au profit d’autrui, par la misère et la solitude. »

(LÉNINE, De la religion. Pages 3-4.)

 

« Toute idée religieuse EST UNE ABOMINATION. »

(LÉNINE.)

 

 

HEURTS SOCIAUX

 

« .....Les mesures suivantes pourraient être assez généralement appliquées : 1° expropriation de la propriété foncière et confiscation au profit de l’État ; 2° abolition de l’héritage. »

(MARX et ENGELS : Manifeste du Parti communiste. Page 32.)

 

« Le prolétariat ne peut se redresser sans faire sauter toutes les couches superposées qui constituent la société officielle. Le prolétariat doit en finir avant tout avec la propre bourgeoisie. »

(MARX et ENGELS : Manifeste du Parti communiste.)

 

« La question nous a été posée maintes fois. Au surplus, les militants doivent se la poser à eux-mêmes : Quel sera le régime de la propriété agricole au lendemain de la Révolution ? La plupart des partis politiques et des groupements ouvriers d’extrême-gauche, ou bien ne répondent rien, ou bien déclarent : “Après expropriation sans indemnité des gros agrariens, remise gratuite de la terre à ceux qui la travaillent.”

« Au lendemain même de la Révolution, on va donc multiplier la petite propriété, subdiviser en parcelles les vastes étendues de terre possédées par les gros agrariens ?

« Disons-le tout net : nous ne partageons aucunement ce point de vue foncièrement rétrograde et absurde. LA PETITE PROPRIÉTÉ EST UNE MONSTRUOSITÉ TECHNIQUE LA PETITE PROPRIÉTÉ EST UNE MONSTRUOSITÉ SOCIALE. »

(G. SERRET, rapporteur communiste au Congrès d’Angers. Le problème agraire et paysan devant le Corps enseignant. Pages 33 et 34.)

 

« La révolte armée doit être conçue comme une action commune de l’ensemble de la classe ouvrière. Nous ne pouvons l’organiser autrement qu’à travers un Gouvernement de Front populaire. Pour atteindre l’unité d’action, la classe ouvrière passera par une série de mouvements de grèves. Celles-ci doivent être dirigées par les noyaux révolutionnaires dans les syndicats ouvriers. Il faudra : organiser des grèves démonstratives, qui attireront les masses ouvrières par des buts immédiats, comme par exemple l’amélioration des conditions du travail ; employer des méthodes nouvelles qui détruisent le fétichisme de la propriété capitaliste ; constituer des comités d’usines et d’entreprises, qui préparent la grève insurrectionnelle – première partie de la révolte armée. LE BUT EST LE RENVERSEMENT DU RÉGIME BOURGEOIS, ET L’INSTALLATION DU POUVOIR SOVIÉTIQUE. »

(Déclaration du camarade PIECK, délégué allemand au septième Congrès de la IIIe Internationale, en Juillet 1935.)

 

« Sous le régime socialiste, le commerçant disparaîtra : son rôle sera terminé. »

(SIXTE-QUENIN : un des théoriciens du Front populaire français.)

 

 

GUERRE ÉTRANGÈRE

 

« Il vous faudra, ouvriers, quinze, vingt, cinquante années de guerres internationales, pour vous rendre aptes à la domination politique. »

(MARX.)

 

« L’Europe entière vivra une époque de révolutions socialistes et de guerres socialistes. »

(TROTSKY : A. B. C. du Communisme.)

 

« Notre devoir est de clouer au pilori tous les écrivains qui qualifient de rêve la menace d’une nouvelle guerre, et qui endorment les travailleurs avec des mensonges pacifistes. »

(STALINE : Remarques sur des thèmes actuels.)

 

« NOUS NE SOMMES PAS DES PACIFISTES. Nous n’avons jamais cessé de déclarer qu’il serait absurde, de la part du prolétariat révolutionnaire, de renoncer à toute guerre qui pourrait être utile aux intérêts révolutionnaires. »

(LÉNINE : Lettre aux ouvriers suisses, 8 Avril 1917.)

 

« Les guerres entre les États prolétariens et bourgeois surgiront nécessairement et inévitablement. C’est pourquoi le devoir élémentaire du prolétariat est de faire toutes les nécessaires préparations politiques, économiques et militaires en vue de ces guerres ; de renforcer son armée rouge, cette arme puissante du prolétariat, et d’exercer les masses de ceux qui travaillent durement, à l’art de la guerre. Dans les États impérialistes, il y a une contradiction criarde entre leur politique de formidables armements et leurs doux accents de paix. Cette contradiction n’existe pas du côté du pouvoir soviétique, qui est en train de préparer sa défense, QUI SE PRÉPARE À LA GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE. »

(Thèses de la IIIe Internationale. « Correspondance Internationale. » Numéro spécial du 11 Décembre 1928. Par. 7. Page 1712.)

 

« Réactionnaires sont ceux qui, par des plans utopiques, par des phrases vides de sens, par des traités et des pactes, prétendent réussir à supprimer la guerre. »

(Idem. Par. 18. Page. 1711.)

 

« Le prolétariat des pays impérialistes ne devrait pas seulement combattre, dans une guerre, pour la défaite de son propre pays, mais devrait activement s’employer à la victoire de la puissance soviétique..... L’ARMÉE ROUGE N’EST PAS UNE ARMÉE ENNEMIE : ELLE EST L’ARMÉE DU PROLÉTARIAT INTERNATIONAL. »

(Idem. Par. 14. Page 1714.)

 

 

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Oui, je connais les objections que ne manquent pas d’opposer les Moscoutaires aux citations de ce genre.

Les écrits, d’après eux, ne valent que par l’esprit dont on les anime.

Il importe aussi de maintenir une frontière entre la théorie et la pratique. Et l’on serait mal venu de juger à la lumière des temps présents un programme de réformes qui réclame d’abord la fuite lénitive des années.

Et puis, n’existe-t-il pas d’accommodements ? Tout est évolution, en ce monde. Les évènements vont vite. Telle vérité d’hier, se transformera – demain – en grossière hérésie. Pourquoi refuser au Communisme le crédit dont a besoin tout ce qui est neuf, hardi, généreux ?

Cette défense soviétique ne comporte même pas le mérite de la franchise. Elle est un impudent trompe-l’œil. Car le Communisme ment, quand il cherche à nous persuader des possibilités de modération renfermées dans ses projets.

Oui, Karl Marx et Lénine restent les dieux de Moscou. Leur évangile reste l’héritage sacré auquel on ne s’avisera jamais de changer un iota.

Il suffit, pour s’en persuader, de suivre l’âpreté avec laquelle se battent – autour des tables de la loi officielles – certains frères ennemis. On leur devine un unique souci : prouver aux autres que le texte vénéré n’a pas été interprété dans toute la rigueur désirable. Et les Communistes, qui se gaussent de l’orthodoxie, la pratiquent – sur les cendres de leurs grands hommes – avec un minutieux acharnement.

La réalité est autre. Quand le Communisme glisse dans l’opportunisme, et sourit à ceux qu’il hait, voyez dans cette attitude l’unique exercice d’une tactique savante.

Moscou pratique deux actions : la directe (quand la Révolution opère sur un terrain solide) ; et l’indirecte (lorsqu’il surgit des obstacles imprévus). Souvent même les deux méthodes s’utilisent à la fois : ce qui est le triomphe de l’art et de la perfidie.

Considérez les évènements de ces derniers mois.

N’a-t-on pas vu les Soviets s’ériger en défenseurs des peuples et des minorités opprimés, à Genève – au moment précis où les communistes obtenaient au Mexique des mesures législatives précipitant ce malheureux pays, et ses catholiques persécutés, vers une bolchevisation brutale ?

Le Communisme moscoutaire n’a-t-il pas chargé Litvinoff de jouer un grave rôle d’arbitre, dans le conflit italo-éthiopien ? Et, pendant que ce diplomate retors emplissait les couloirs de la SDN de ses objurgations, et accusait l’Italie de mettre la Paix en péril, Moscou organisait contre Mussolini une campagne de presse et une offensive de meetings des plus actives. Je ne citerai que l’appel suivant, paru dans la revue communiste « Rundschau » :

 

Peuples d’Afrique et peuples d’Arabie ! Organisez des volontaires armés pour venir en aide à vos frères ! Ouvriers des colonies africaines d’Italie, organisez des sections d’assaut pour mettre la main au collet des fascistes italiens ! Aidez le peuple abyssin à remporter la victoire, parce que son triomphe facilitera la lutte pour votre libération.

 

Aujourd’hui même, n’assistons-nous pas à l’invraisemblable comédie de la « non-intervention » en Espagne ? D’une part, les Soviets mènent grand bruit autour de la nécessité absolue de garder une stricte neutralité. De l’autre, ils organisent une collecte de près de 40 millions de francs en faveur des Madrilènes ; envoient des miliciens en Espagne ; encouragent les gouvernementaux par TSF ; et possèdent à Barcelone des agents avisés qui veillent jalousement sur l’incendie allumé par leurs propres mains.

La France, enfin, n’est-elle pas soumise au même jeu ? Officiellement, les Moscoutaires chantent les mérites de l’Alliance franco-russe, qui représente, estiment-ils, un des piliers de la paix mondiale. Et dans les coulisses ils travaillent fébrilement à la bolchevisation de nos masses ouvrières et paysannes, pour amener rapidement chez nous la Révolution : prélude inévitable d’une guerre avec l’Allemagne.

Des voix autorisées, contre lesquelles ne se dressèrent pas les démentis attendus, jetèrent récemment l’alarme dans la Presse indépendante. Leurs révélations – relatives à un véritable complot fomenté par les Communistes moscoutaires contre la sécurité française – furent confirmées par M. Doriot, le député connu, qui appartint longtemps au Parti communiste.

Rappelons en quels termes cet homme bien informé établit publiquement – dans son journal « L’Émancipation » – l’intolérable collusion entre les excitateurs de « L’Humanité » et les dirigeants soviétiques :

 

D’où vient l’argent du Parti communiste ? DE MOSCOU ! Nous sommes prêts, Barbé et moi-même, à apporter la preuve de ce que nous avançons. Nous sommes prêts à prouver que – de 1920 à 1934 – des dizaines de millions ont été versés au Parti communiste par le Gouvernement soviétique.

Nous sommes prêts à prouver que chaque année Maurice Thorez faisait le voyage à Moscou pour établir, avec Piatnisky, le budget du Parti communiste français, et que c’était au cours de cet entretien qu’était fixé le montant de la subvention.

Nous sommes prêts à prouver que « L’Humanité », le parti, la section coloniale, la section militaire, et nombre d’organisations auxiliaires ont été subventionnés par le Gouvernement soviétique.

 

« L’HUMANITÉ » N’A PAS RELEVÉ LE DÉFI.

Et l’on comprend les raisons de son éloquent silence.....

 

 

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Il reste un dernier argument aux Moscoutaires :

 

Les Soviets constituent un État. Le Communisme est une doctrine politique. Le Gouvernement soviétique est une chose, et l’Internationale communiste une autre.

 

Le citoyen Staline, chef du Gouvernement russe et de la IIIe Internationale, aurait donc une précieuse faculté de « dédoublement » qui lui permettrait d’isoler à volonté le partisan de l’homme d’État ? Explication qu’il convient d’accueillir par un haussement d’épaules amusé.

 

 

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Je me suis livré à ces considérations préliminaires sur le Communisme et ses méthodes, parce qu’elles me paraissaient avoir leur place en tête d’un livre traitant des choses d’Espagne.

Le Bolchevisme est une marchandise d’exportation.

Je l’ai trouvé – au cours du voyage que je fis en Mai et Juin à travers la Péninsule – dans les sévères montagnes basques comme dans les plaines fertiles d’Andalousie ; sous les palmiers heureux d’Alicante et de Murcie, comme au cœur de l’Estrémadure solitaire. Il se débitait – à l’époque – dans les boutiques du « Frente Popular », sous l’étiquette alléchante d’« Émancipation sociale », et devait servir de vin et de froment à tout un peuple enthousiaste.

Quand je revins en Espagne – quelques semaines plus tard – le Bolchevisme achevait de jeter le masque.

Et je le vis penchant son inquiétant rictus asiatique sur un malheureux pays qui payait de son sang, de son angoisse et de sa ruine quelques heures d’oubli et de confiance généreuse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

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À LA VEILLE DE LA TRAGÉDIE.

 

 

I. – En Route !

 

 

22 MAI 1936.

 

Avant de boucler la valise du départ, faisons un court retour en arrière, dans le domaine de la Politique espagnole. Les évènements se précipitent, de l’autre côté des Pyrénées. Et nos sympathiques voisins – qui s’étaient longtemps complus dans un « piétinement » débonnaire, exempt d’histoire et de soucis, viennent de brûler brusquement les étapes, en une succession d’expériences parlementaires mouvementées.

Cette cohue d’évènements nécessite quelques lignes de classement rapide.

Comme on s’en souvient, les élections espagnoles de 1933 marquèrent le triomphe de l’« Action populaire catholique », inspirée par Gil Robles. Catholiques, Modérés et Monarchistes (ces derniers commandés par un « Jeune » plein de fougue : Calvo Sotelo) groupèrent – aux Cortès – une phalange compacte de 234 députés. En face d’eux : 205 représentants de la gauche et de l’extrême-gauche, que dirigeaient respectivement le radical Lerroux et le révolutionnaire Largo Caballero.

Tout laissait donc prévoir que les forces de Droite joueraient un rôle prépondérant dans la nouvelle Assemblée, et que l’ère de désordre – ouverte par la proclamation de la République – allait se terminer dans l’exercice d’un pouvoir sage, conciliant et constructeur.

Mais il n’en fut pas ainsi. Le Président de la République – M. Alca Zamora – qui avait été élevé à la magistrature suprême par une coalition des Gauches, et tenait à effacer de sa vie politique les souvenirs d’un attachement admiratif au roi Alphonse XIII et au dictateur Primo de Rivera, se mit en travers de la victoire des Catholiques.

De tous les ministères qui se bâtirent hâtivement au cours de la Législature 1933-1936, un seul revint à Gil Robles, chef de la majorité parlementaire. Les autres furent régulièrement confiés à des radicaux ou à des députés du centre gauche, c’est-à-dire à des membres de la minorité, incapables de cristalliser autour d’eux une équipe homogène – et agissante – de gouvernement.

L’attitude d’Alcala Zamora condamnait la Chambre aux crises ministérielles répétées, et à l’impuissance.

Quand eut été tenté un dernier essai (aussi vain que les autres), avec le radical indépendant Portela Valladares, le Président de la République décida d’user de son droit de dissolution. Il espérait qu’il permettrait – ce faisant – l’avènement de Cortès situées plus à gauche et définitivement libérées de la menace « cléricale » de Gil Robles et de son « Action populaire ».

L’on sait comment furent comblés les vœux d’Alcala Zamora, aux élections du 16 Février dernier. Radicaux, socialistes et communistes entrèrent en triomphateurs à la Chambre, où ils disposent de la majorité.

Et le premier soin de ces Messieurs consista dans la destitution du Président de la République..... Alcala Zamora est donc victime de sa propre initiative.

Le fait paraîtrait volontiers étrange. Au fond, il ne l’est pas. Car si Alcala Zamora craignait les droites – et l’influence grandissante de Gil Robles – il inspirait, à son tour, de sérieux sujets de méfiance aux lutteurs de gauche. Ceux-ci, soudés dans les cadres d’un « Front Populaire » décidé, qui leur permit une brillante victoire, ne se souciaient nullement de laisser à des mains étrangères le levier de la Présidence. Ils entendaient, au contraire, mettre à la tête de la République un des « leurs » : un homme de confiance, que le respect timoré de la Constitution, joint au manque d’initiative, transformeraient en prisonnier commode des forces révolutionnaires.

Là réside le secret de l’élection de M. Azana – l’ancien Président du Conseil. La faiblesse dont fit preuve cet homme d’État, au lendemain de la victoire « rouge », et l’incontestable prestige qu’il possédait sur la fraction des républicains de gauche, le désignaient au choix du « Front Populaire ».

Comme homme d’État, il est dès à présent entre les mains de la majorité extrémiste. Comme ancien chef de parti, il entraîne dans son sillage politique les républicains de gauche, et les incite – volontairement ou non – à une attitude plus favorable envers les menées révolutionnaires.

En élisant M. Azana, le « Front Populaire » a donc fait « coup double ».

Le nouveau Président de la République répondra-t-il aux espoirs mis en lui par les extrémistes, en jouant le rôle d’un président-soliveau ?.... Ou bien élèvera-t-il sa vaste culture, son indéniable sens politique et son amour de l’Espagne au-dessus des haines partisanes ? Un prochain avenir nous le dira.

Pour l’instant – ainsi qu’on le sait – M. Azana semble chercher à se soustraire à certaines pressions trop indiscrètes. Il vient de résoudre sa première crise ministérielle, en confiant le gouvernement à M. Casares Quiroga, membre du ministère précédent.

Il s’agit d’un Cabinet de concentration radicale, d’où les éléments extrémistes sont exclus. Les socialistes – consultés – refusèrent en effet de participer au pouvoir. Ils attendent sans doute leur heure.

 

 

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*     *

 

Un mot, à présent, sur la situation des partis de gauche – aux Cortès – et sur la façon dont ils remportèrent leur victoire, aux récentes élections. Il y a de fort curieux parallèles à tirer, dans ce domaine, entre nos voisins transpyrénéens et nous-mêmes.

Ordre des groupements politiques. À l’extrême-gauche : Largo Caballero et ses socialistes révolutionnaires, qui sont ouvertement aux ordres de Moscou. À leurs côtés, les socialistes modérés, sous la houlette de M. Prieto. Ensuite : les radicaux, de la nuance Martinez Banjo ; et, plus au centre : les républicains de gauche de M. Azana.

Tous ces députés – au nombre de 273 (contre 200 de l’opposition de Droite) – ont été élus sur un programme commun de « Front Populaire ». Ils pratiquèrent le mot d’ordre commun : « Sus au fascisme ! », comme le firent, quelques semaines plus tard, nos candidats du « Front Populaire » français.

Car les républicains de gauche de M. Azana s’appellent, chez nous : radicaux modérés de M. Herriot. Les radicaux de M. Martinez Barrio ne sont autres que les radicaux-socialistes à la Daladier. Les socialistes réformistes de M. Prieto correspondent aux partisans de Léon Blum. Et les extrémistes du citoyen Largo Caballero ressemblent – comme des frères – aux séides du « camarade » Thorez.

Chose touchante : la candeur des bourgeois radicaux d’Espagne n’a d’égale que leur peur maladive du cléricalisme. Ils souffrent d’un microbe bien connu dans nos Cafés du Commerce radicaux-socialistes. Et – les mêmes causes produisent les mêmes effets de chaque côté des Pyrénées – ces excellents guerriers tombèrent dans un traquenard semblable, dressé par les soins des internationalistes.

« Eh quoi !.... – clamaient les bons apôtres de Moscou – vous iriez, vous, Républicains, grossir les rangs des ennemis du peuple ? N’apercevez-vous donc pas le visage grimaçant du Fascisme, qui guette vos libertés si chèrement acquises ?... Il est nécessaire de nous unir, autour de la Démocratie en péril. Nous vous proposons un programme de revendications minima. Voyez combien il est modéré. Vous n’y lirez pas le mot de Révolution. La Religion elle-même ne sera pas inquiétée : nous vous proposons simplement de l’expurger – pour son plus grand bien – de quelques menus excès. Allons..... venez avec nous. Nous sauverons la Patrie en danger !.... »

Et les bons bourgeois anticléricaux – de France et d’Espagne – touchés jusqu’aux entrailles, suivirent l’invite révolutionnaire. Ils la suivirent si fidèlement, qu’ils permirent aux extrémistes de remporter un nombre considérable de sièges... au détriment de leurs propres candidats... Mais qu’importait ce détail ! Le « Front Populaire » n’était-il pas une « unité » – fraternelle et confiante – où tout se mettait en commun ?

Hélas !... Les radicaux espagnols ne tardèrent pas à déchanter..... – À peine les résultats des élections étaient-ils connus, que s’écroulaient les premières églises, flambaient les premières banques, résonnaient les premiers coups de fusil de l’émeute...

Tragique résultat d’une confiance aveugle.

Les républicains de gauche s’étaient imaginés que les partis extrémistes leur offraient une alliance électorale dans le but louable de sauver le Régime et d’inaugurer ensuite un système de gouvernement radical – et intégralement laïque – où les Rouges se contenteraient de jouer un rôle de « soutien ». Le programme élaboré et défendu en commun leur apparaissait telle une liste de revendications MAXIMA, alors qu’elle représentait – en réalité – un programme extrémiste MINIMUM, simplement fait pour rassurer les bourgeois et piper leurs voix naïves.

À côté de la charte réformatrice acceptée par le « Front Populaire » – et qu’Azana demeure prêt à faire triompher – se dresse cette charte autrement précise, nette et dangereuse : le credo soviétique.

La farce terminée, les acteurs ont jeté leurs oripeaux. L’Espagne s’aperçoit – avec terreur – qu’en votant pour les réformes mielleuses du « Front Populaire », elle a ouvert toutes larges ses portes au Bolchevisme.

Nous avons vu tout à l’heure que le nouveau Ministère espagnol ne comptait pas de socialistes. C’est là le seul caractère important qui différencie ce Cabinet du Cabinet dont nous allons être dotés, en France.

Chez nous, Léon Blum et ses comparses – soutenus par les radicaux – prendront directement le pouvoir, et en supporteront les responsabilités.

En Espagne, les radicaux sont au gouvernement, et les socialistes jouent le rôle de soutiens.

Cependant, de même que les communistes français – certains de l’impuissance où pataugeront bientôt les ministères de coalition radicalo-socialiste – préparent dans l’ombre l’entrée en action de leurs Comités révolutionnaires, de même les extrémistes espagnols s’apprêtent à instaurer le régime soviétique sur les ruines du régime radical-socialiste.

Chez nous, l’on en est encore aux travaux d’approche. De l’autre côté des Pyrénées, le bolchevisme s’étale déjà au grand jour, prend d’assaut les usines, gagne les masses rurales, et déferle jusqu’au seuil des bâtiments officiels... où se sont tus les chants de victoire du 16 février dernier...

Cette implacable offensive – que dirigent les émissaires et l’or de Moscou – atteindra-t-elle son but ? Comment procède-t-elle ? Où se développe-t-elle avec le plus de violence ? Quelles résistances rencontre-t-elle sur sa route ? Dans quels évènements, au fond de quelles forces cachées, ou dans quels sursauts généreux faut-il rechercher les motifs d’espoir que nous nourrissons à l’adresse de nos amis de la catholique Espagne ?

Et puis : sommes-nous impartialement renseignés ? Ne nous abuse-t-on pas sur le caractère même du « Front Populaire » espagnol ? N’exagère-t-on pas les incendies, les vols, les attentats, les excès de toute sorte... pour les besoins d’une cause « fasciste » ?

L’« Ogre espagnol » ne serait-il, en fin de compte, qu’un épouvantail pratique, dont les « réactionnaires » français – selon l’affirmation de nos journaux de gauche – entendaient utiliser le bienfaisant effet au cours des récentes élections ?

Autant de questions auxquelles je vais essayer de trouver un brin de réponse satisfaisant, pendant mon enquête à travers l’Espagne.

Et maintenant : en route !

– Vous n’irez pas loin... – m’affirme un vieux Monsieur, qui prétend connaître le pays comme « sa poche »... – Ne savez-vous pas qu’on expulse tous les jours des journalistes, coupables d’en avoir trop écrit ?... Il y en a même à qui la police espagnole refuse tout simplement l’accès du territoire. Et puis, vous savez, une balle est bien vite attrapée, dans un coin... À votre place... »

« Direction Bayonne : en voiture !... »

Je laisse là le vieux Monsieur sympathique, sa canne, son lorgnon et son « Figaro », pour prendre place dans un compartiment démocratique où quatre bérets basques – penchés au-dessus d’une tranche de jambon appétissante – mènent grand bruit de mâchoires.

Dans une couple d’heures, je serai à la frontière.

 

 

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II. – En Pays basque : Antichambre de la Révolution.

 

 

Irun : Le type de toutes les gares-frontières.

Des gendarmes ; des douaniers ; un bureau de change ; des pancartes et des barrières pour diriger la file des voyageurs vers la traditionnelle visite des bagages ; et la marchande de journaux à l’éventaire cosmopolite, où des romans anglais voisinent avec des revues françaises, des magazines allemands et le « New-York Herald ». Là-dessus : cette espèce d’atmosphère internationale – grise et triste – qui pèse curieusement aux épaules.

Le douanier espagnol a retourné le contenu de ma valise d’une main administrative : c’est-à-dire sans particulière célérité. Rien ne l’a choqué. Une seule hésitation à la vue de ma machine à écrire.

Mais déjà s’avançait un contrôleur, qui jeta un regard expert sur l’engin subversif, et rassura son sous-ordre. Un coup de craie sur les flancs de la valise : me voilà libéré de la première épreuve.

Second arrêt – quelques instants plus tard – devant un fonctionnaire armé d’un œil interrogatif et d’un tampon humide qu’il balance d’un air digne entre ses doigts boudinés :

– Votre passeport, s’il vous plaît ?.... Merci.... Pourquoi venez-vous en Espagne ?

– Pour m’y reposer une quinzaine de jours, en.... touriste.

L’homme me regarde, comme s’il cherchait à peser mon degré de franchise au moyen d’un invisible instrument ; porte son attention au passeport ; m’examine à nouveau ; puis se décide à abattre le fatidique tampon d’un mouvement plein de noblesse.

Enfin, me voici entre les mains d’un troisième cerbère – plus jeune, et d’une verbeuse amabilité – qui sollicite une confession générale, quant aux ressources financières dont je suis possesseur. J’ouvre portefeuille et porte-monnaie. Le fonctionnaire avance le nez ; constate et inscrit sur mon passeport les résultats de cette constatation. Une signature.... ; je suis quitte.

Une courte halte au bureau de change – où l’on m’apprend que 100 francs français donnent légalement droit à 48 pesetas –, et il ne me reste plus qu’à arpenter les quais jusqu’au départ du train électrique assurant le service entre Irun et Saint-Sébastien

 

 

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Il file merveilleusement vite, ce convoi aux wagons proprets, peints en blanc.

Il suit la côte basque, où la mer bleue, les villas roses, les pins verts, les murailles grises des villages se succèdent et mêlent harmonieusement leurs couleurs ravivées par le soleil couchant.

Dans mon wagon – où la disposition des banquettes rappelle celle des trains suisses, et me permet un coup d’œil d’ensemble sur les voyageurs – se pressent des gens paisibles, uniquement occupés à sacrifier aux besoins de la loquacité méridionale. Les femmes : en cheveux, ou coiffées de la seyante « mantilla » de dentelle légère. Les hommes : arborant le béret basque.

Je remarque que les jeunes gens – des deux sexes – ne méprisent pas l’élégance. Ils s’y essayent peut-être avec une audace qui n’est pas toujours heureuse.

Et je dirais volontiers aux deux demoiselles qui me font face (si j’appartenais – ce qu’à Dieu ne plaise – au jury des prix de beauté) : « Mesdemoiselles, vous êtes tout à fait charmantes. Mais votre visage n’a plus rien d’humain : je n’y vois qu’un champ de bataille où d’innombrables pots de couleur ont vidé une effroyable querelle.... »

Dans un coin, quatre petites Sœurs – à la cornette drôlement plissée – égrènent leur chapelet.

« Alors c’est cela – remarquerez-vous – la fameuse révolution espagnole ? »

Patience.

J’ai fait une réflexion identique. Mais la réponse ne tarda pas. Vous allez l’entendre à votre tour.

 

 

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Saint-Sébastien est une ville imposante, de près de 80 000 habitants.

Capitale de la province de Guipuzcoa, elle s’élève à l’embouchure de la rivière Uruméa, parmi les acacias et les tamaris. Sa plage de sable fin ; ses hivers tempérés ; le pittoresque de ses vieux quartiers ; la distinction de la « ville moderne » et l’auréole qui lui conférèrent les fréquentes visites de l’ancienne Cour royale : tout cela contribua au lancement et au développement progressifs de la ville.

Pendant la guerre, Saint-Sébastien rassembla – sur sa plage – les riches de ce Monde qui désertaient la Riviera française, trop « belliqueuse » encore, à leur gré.... Le quartier général de l’espionnage allemand ouvrait, de son côté, sur cette ville neutre – si proche de nos frontières – l’écluse de ses millions généreux.....

Après la Paix, vinrent d’autres années de prospérité ; celles du rush vers la joie, le divertissement et l’oubli. La pluie dorée continuait de tomber sur cette cité prestigieuse.

Aujourd’hui, je trouve un Saint-Sébastien nouveau. Un Saint-Sébastien où les hôtels sont vides ; les magasins ouverts vers neuf heures du matin et fermés à six heures du soir ; les rues encombrées de flâneurs minables et de chômeurs. Un Saint-Sébastien qui a voté « rouge » aux récentes élections, et dont la paix apparente cache d’impatientes colères et de douloureuses inquiétudes.

La crise économique et le « Front populaire » ont passé par là....

 

 

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L’hôtelier me reçoit avec l’air de félicité étonnée que réserve le naufragé à une planche providentielle. II parle un français correct. Je dois l’accompagner aux deux étages de sa maison, pour en admirer l’ordonnance et choisir la chambre digne de ma précieuse présence.

Dans l’ascenseur, il me confie qu’il me réservera des conditions exceptionnelles : 5 pesetas (10 fr.) pour la chambre, et autant pour les repas de midi et du soir. Si je demeurais plusieurs jours chez lui, il m’accorderait la pension complète à raison de 13 pesetas (26 francs) par 24 heures. Et, dans le cas où je trouverais ces conditions encore trop élevées.... il y aurait matière à arrangement.

Mon installation à l’hôtel terminée, je sors en ville, car des amis d’Alsace m’ont recommandé à une famille de Saint-Sébastien, où m’attendent des renseignements précis sur la situation religieuse et politique dans la région : et je tiens à prendre au plus tôt cet intéressant contact.

 

 

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20... 21... 22... 23... Ah ! Voilà le numéro 24 cherché..... Pas de concierge. Je grimpe quatre étages et rencontre une porte sans indications, mais où s’étale une image pieuse. Je suis certainement à bon port. Allons-y d’un coup de doigt discret.....

Un pas qui s’approche hésitant. Un guichet de forme ronde, qui s’entrouvre dans l’huis, laissant deviner un œil inquisiteur. Je salue civilement cet œil.

– Est-ce bien à Madame X que j’ai l’honneur.....?

– No entiendo..... No entiendo..... (Je ne comprends pas.)

Et à peine ai-je eu le temps de percevoir cette formule – jetée d’une voix hargneuse – que déjà le guichet s’est refermé, d’un coup sec.

Mais le hasard – bon génie des journalistes – veillait. Au moment où j’interrogeais mon carnet de route – pour m’assurer que je ne commettais pas une erreur d’immeuble – passe une locataire, qui s’enquiert fort serviablement de mon cas, écoute mes explications, et m’indique en souriant l’étage inférieur. J’étais monté trop haut.

Incident que je ne relaterais pas – chers Lecteurs – s’il ne devait vous apprendre la raison pour laquelle les vieilles dames manipulent un guichet circonspect, en cette bonne ville de Saint-Sébastien.

Sachez donc qu’il existe – ici – une association d’honnêtes gens cultivant la spécialité de forcer les portes, dès qu’on a eu le malheur de les entrouvrir trop généreusement, puis de vous soulager – sous menaces diverses – de votre avoir. Ceci : pour le jour. Pendant la nuit, nos gens opèrent plus radicalement. À l’aide d’instruments habiles, ils découpent les panneaux de porte, se glissent dans les appartements, et y font les ravages que vous devinez.

 

 

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L’accueil que me réserva la Famille intéressée à mon voyage fut des plus délicats. L’on me mit immédiatement à l’aise.

Il fallut – chose bien naturelle – donner d’abord des nouvelles du « pays ». L’éloignement n’éteint pas l’amour de la Patrie. Il l’intensifie au contraire, tout en le rendant plus grave, plus réfléchi – et plus clairvoyant.

Car, à l’ETRANGER, on JUGE la France. Et ceux de nos compatriotes qui s’y trouvent, acquièrent un sens des critiques, des louanges et des nuances, dont ils font profit.

C’est ainsi que nos bons amis me signalèrent aussitôt leur étonnement peiné devant les gestes théâtraux accomplis par Léon Blum : grand vainqueur du 3 Mai, et futur Président du Conseil. De telles attitudes font baver d’enthousiasme les extrémistes espagnols : d’accord. Mais elles écœurent les personnes demeurées raisonnables.

Et nombreux sont les Espagnols qui disent : « Regardez le toupet de ce Blum. Il n’est pas encore Ministre, et le voici qui mobilise la TSF, parle et régente en maître. Et les Français acceptent ça ?.... Vous voyez bien que leur situation n’est pas meilleure que la nôtre..... »

Puis l’on en vint aux évènements d’Espagne.

« La Révolution du 16 Février dernier – m’expliquèrent mes hôtes – s’étendit naturellement à tout le pays. Les troubles furent généraux. Cependant, ils varièrent fortement de gravité selon les régions d’Espagne où ils se déroulèrent. Le Sud, par exemple, fut plus durement touché que le Nord... »

– Pourquoi ?

– Parce que le Sud comporte des provinces, comme l’Andalousie, où la grande propriété terrienne était particulièrement puissante et provoqua – de la part des ouvriers agricoles et des cultivateurs pauvres – une rébellion d’autant plus vive. Dans nos régions basques, en Navarre (les extrémistes appellent volontiers la Navarre : la Vendée espagnole), se trouvaient moins de grosses fortunes terriennes ; et la foi catholique, l’amour des traditions et de l’ordre établi, y possèdent, par ailleurs, des racines plus profondes. Nous ne fûmes pas exempts, néanmoins, de bien des soucis.

– Meurtres ? Incendies d’églises ? Vols ?... comme l’annoncèrent, à l’époque, les journaux étrangers ?

– À Saint-Sébastien, et dans la région immédiate, l’on ne compta qu’un nombre restreint de tués. L’on ne brûla pas davantage les édifices religieux. Les travailleurs se contentèrent de faire la grève générale et de s’essayer à des pillages de magasins auxquels mit fin l’arrivée des troupes de Pampelune.

Quand parurent ces militaires, la ville était dans un état de saleté telle (le service de voirie ne fonctionnant plus) qu’ils durent d’abord nettoyer les rues empuanties. Pour se dédommager de leur peine, les troupes obligèrent les restaurateurs à ouvrir les cafés (les commerçants avaient uniformément baissé leur rideau), et – sous la conduite des officiers – dévalisèrent comptoirs et caves...

Bien entendu, les religieux et religieuses durent quitter les couvents et se réfugier chez leurs parents ou amis. La foule cimenta les portes des monastères, pour en interdire l’entrée. Seul l’accès des chapelles demeura libre. L’on suspendit, d’autre part, les processions ; défendit le port de l’habit aux congrégations enseignantes ; et supprima l’enseignement du catéchisme dans toutes les écoles de l’État. Le maire a fait enlever le crucifix de tous les bâtiments publics. Et il envisage de laïciser l’hôpital. Cette vague d’anticléricalisme monte chaque jour davantage...

– Pourriez-vous me parler des inévitables incidents qu’elle entraîne ?

– Volontiers. Je vais vous citer deux cas typiques. Au cours de la Semaine Sainte, le cinéma « Trueba », rue de Miracruz, avait mis au programme un film de caractère religieux. Dès que parurent les premières images de la projection, une tempête de protestations s’éleva parmi l’assistance – composée presque exclusivement d’ouvriers. Et deux jeunes énergumènes d’une vingtaine d’années, s’étant rendus à la cabine de l’opérateur, obligèrent ce dernier, sous la menace du revolver, à suspendre immédiatement la projection.

Autre fait, non moins édifiant, qui se produisit le vendredi de la semaine écoulée. Un jeune ouvrier était décédé, dans un quartier populeux. Catholique, il avait demandé le prêtre et accompli ses devoirs de chrétien avant de fermer les yeux.

Or, le jour de l’enterrement – au moment où le convoi funèbre se rendait au cimetière – une horde de mégères et de chômeurs se présenta soudain, bouscula le cortège, arracha la croix qui se trouvait sur le cercueil, et la remplaça par un drapeau rouge.

Quant au prêtre, qui marchait en tête du convoi, il n’eut que le temps de se réfugier dans une maison voisine, pour échapper au lynchage.

– Ces tristes incidents sont certainement le fait de la lie de la population ?

– Oui. Mais la veulerie des catholiques, et la passivité des masses demeurées saines encouragent les extrémistes, et leur amènent chaque jour des partisans nouveaux. Vous connaissez la loi : on se porte toujours du côté du plus fort – ou du plus audacieux. Déjà l’habitude se répand de ne plus baptiser les enfants. On les fait inscrire sur les registres civils sous des prénoms russes..... Nos vieux noms de Saints sont boycottés.

Autre détail, tout aussi symptomatique – : Autrefois, l’on employait le terme d’« Adios » (À Dieu), pour prendre congé. À présent, l’on dit couramment « Salud ». C’est moins « clérical » – le nom de Dieu étant évité. J’ajoute que le cri de « Vive l’Espagne » ne s’admet plus, de son côté. C’est là une manifestation de fascisme. Il faut dire « Vive la Liberté ! » ; ou bien – mieux encore : « Vivent les Soviets ! »

– Vous parlez de fascisme. Ce mouvement existe donc réellement ?

– Les fascistes constituent une très petite phalange, groupée autour du fils de Primo de Rivera, l’ancien dictateur. Politiquement, leur action est nulle. Du moins dans nos régions. Mais les révolutionnaires décorent de l’épithète de fasciste toute personne, homme ou femme, ne pensant pas comme eux. Ils trouvent ainsi des prétextes faciles pour justifier leurs excès et expliquer leurs représailles.

 

 

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La conversation porta, ensuite, sur le terrain purement social.

Je fis remarquer à mes hôtes que j’avais recueilli de divers côtés – en France. comme pendant les premières heures de mon voyage en Espagne – des précisions de caractère assez sombre sur le sort de l’ouvrier espagnol. On me décrivait le travailleur manuel sous la figure d’une sorte de déclassé, ignorant et misérable, que la Monarchie – et le Gouvernement de Gil Robles, ces années dernières – avaient maintenu sous une tutelle draconienne. Des salaires de famine ; pas de travail assuré ; aucune œuvre sociale sérieuse ; nulle velléité dans le sens des libertés syndicales.

Si ces renseignements répondaient à la vérité, il ne fallait pas s’étonner outre mesure de la violence de la réaction actuelle. Un abus en entraîne obligatoirement un autre. Et – depuis que le Monde est Monde – la réaction engendre l’anarchie.

– Personne ne peut nier – repartirent mes hôtes – que la Royauté se soit désintéressée du sort de l’Ouvrier et du Paysan. Et l’explication de sa chute réside précisément dans cette inertie coupable.

La crise économique devait frapper l’Espagne comme les autres nations. Mais, chez nous, l’absence d’organisation sociale la rendit plus dure qu’ailleurs. Gil Robles se proposait des réformes. Il n’eut pas le temps de passer aux réalisations. Il était déjà trop tard. La révolte grondait. Aujourd’hui, elle est devenue révolution.

Nos ouvriers – entraînés par les excitateurs – perdent à leur tour toute mesure. Ils ne se contentent plus de réformes raisonnables, proportionnées aux possibilités économiques et financières de la Nation. Ils deviennent intraitables. « Tout ou rien ! » telle est leur devise.

Un exemple entre cent : les maçons, charpentiers et menuisiers de Saint-Sébastien font grève depuis trois semaines. L’on s’efforce d’arranger les choses. Et aucun accord ne se fait, entre employeurs et travailleurs, parce que ceux-ci imposent des conditions trop lourdes, en ces temps de marasme aigu. Ils exigent – entre autres – le versement, dans le cas de maladie, de trois mois de salaire plein, et de trois mois de demi-salaire. Comment les patrons pourraient-ils accepter une telle charge, aux lieu et place de l’État qui – lui – ne décaisse pas un sou d’allocations ?

– Mais le sans-travail reçoit bien des secours ?

– Erreur. Pas un sou.

– Alors... que deviennent vos innombrables chômeurs ?

– Ils mendient – ou volent. Pas de semaine ne s’écoule sans que l’on ait à enregistrer des incidents, chez les commerçants de la ville. Il y a peu de jours, un marchand de manteaux imperméables recevait la visite de deux clients qui – une fois leur choix fait – endossèrent le vêtement désiré et sortirent... sans payer. Le boutiquier se précipita à leur suite. Sur le trottoir, il se heurta à une centaine de chômeurs qui l’immobilisèrent, le molestèrent, puis pénétrèrent à leur tour dans le magasin. Quelques instants plus tard, cent autres imperméables « gratuits » prenaient la clef des champs, en compagnie des deux premiers. Je pourrais multiplier les exemples de ce genre.

– Il existe néanmoins, chez vous, des syndicats. Que devient leur action, dans toutes ces lamentables histoires ?

– Les syndicats catholiques sont mort-nés. Tout ouvrier non inscrit à un syndicat révolutionnaire se condamne lui-même. Il n’aura d’embauche nulle part. Les extrémistes l’acculeront à la pire misère. Et s’il se trouve un patron pour l’employer, c’est la grève générale immédiate, avec toutes ses conséquences. Vous le voyez : le « Front Populaire » sait manœuvrer. Et il incarne véritablement – aussi bien sur le terrain religieux que dans le domaine social et politique – LA LIBERTÉ...

– Et que faites-vous donc du Gouvernement ? Il me semble qu’il a bien son mot à dire. Le chef : c’est lui.

Un sourire désabusé accueillit ma remarque. Et – au bout d’un silence – l’un de mes amis prononça ces simples mots :

– Le Gouvernement ? Il est entre les mains de Largo Caballero : le Lénine espagnol...

 

 

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En rentrant à mon hôtel, j’avise – sur un mur – une petite affiche rouge sang de bœuf, fraîchement collée. Je m’approche. Le papier m’apprend que Largo Caballero parlera demain, à Tolosa, dans un meeting du « Front Populaire ».

J’irai demain à Tolosa, pour connaître le « Lénine espagnol ».

 

 

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III. – La mobilisation rouge de Tolosa.

 

 

J’ai raté le « Lénine espagnol » – pour l’excellente raison que le chef des extrémistes a fait savoir en dernière heure, à ses amis régionaux, qu’il était retenu à Cadix. Le meeting de Tolosa perd, du coup, une partie de son importance.

Mais je m’y rendrai quand même. Car il s’agit – en définitive – d’une véritable mobilisation des « Jeunesses communistes » et des « Milices antifascistes » du pays basque.

Et, à défaut de Largo Caballero, nous aurons un député socialiste, un député communiste et le secrétaire des syndicats révolutionnaires : tous orateurs dont on me vante le verbe fougueux et persuasif.

Tolosa est une petite ville d’environ 12 000 habitants, ancienne capitale de province, et qui déroule ses ruelles étroites, sales et pittoresques, le long d’une rivière capricieuse, à une trentaine de kilomètres de Saint-Sébastien. L’on y accède vite, grâce à un service d’autocars bien organisé.

Le meeting était fixé à onze heures du matin. (N’oublions pas qu’en Espagne on ne déjeune pas à midi, mais vers deux heures seulement.)

Quand le car m’arrêta à Tolosa – après un parcours rapide à travers une campagne ensoleillée – je ne fus pas long à saisir l’ambiance... Elle se présenta à moi sous la forme d’une impétueuse jeune fille – au corsage plus rouge que les lèvres (et cela n’est pas peu dire !). La « militante » portait une corbeille de fleurs en celluloïd. Elle piqua péremptoirement une rose sang-de-bœuf à ma boutonnière ; me salua d’un « Vive la Révolution ! » énergique ; et... me tendit largement la main.

Les plus magnifiques choses finissent souvent ainsi, dans la vie : même chez les réformateurs soviétiques. Car cette main – vous l’avez de suite compris – entendait soulager dans la plus ample mesure possible mon porte-monnaie « conscient et organisé ».

J’y allai donc de l’obligatoire obole, puis me mis à muser par les rues de la ville, en attendant le meeting.

 

 

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Tout est rouge, à Tolosa, en cette radieuse matinée de Mai.

Il y a, d’abord, le riche pavoisement de la « Maison du Peuple », où drapeaux et bannières – rehaussés de lettres d’or – flottent jusque sous le toit. Il y a les autobus et les voitures particulières, qui déversent – de minute en minute – un flot incessant de manifestants et de curieux. Chacun des véhicules possède ses pancartes, ses transparents, ses oriflammes écarlates. Il y a encore les chemises rouges des « Jeunesses communistes » ; les cravates rouges – sur chemise bleue – des « Milices antifascistes socialistes » ; les drapeaux, roulés ou déployés, que des groupes de nouveaux arrivants promènent de par les ruelles sonores...

Et ajoutez à cela la fleur, l’insigne, ou le ruban qui décorent chaque chevelure de femme, et chaque poitrine d’homme.

Seuls quelques paysans – reconnaissables à la blouse rayée qui emprisonne leur torse maigre – n’arborent pas la couleur du jour. Ils se tiennent à l’écart, sous une voûte, dans l’angle d’une ruelle déserte ; observent de loin – sans un geste, sans un signe révélateur sur leur visage fermé. Tout à l’heure, je les verrai – sous les ricanements d’une bande de jeunes gamins – traverser la place d’un pas lent, et gravir les marches de l’église Santa-Maria, dont quelques coups de cloche timides annoncent l’Office divin.

Mais le bruit et l’animation grandissent. Des cars, bondés de « Jeunesses », arrivent en trombe. Leurs occupants poussent des vivats, en saluant, le poing levé. La foule répond par des applaudissements, des cris de bienvenue. « Vivent les Asturies ! », « Vive la Révolution ! » hurlent ceux des cars. « Vive la Liberté ! », « Vive la Russie ! » s’égosillent ceux de la rue...

À dix heures, les manifestants se dirigent vers une place de la ville située un peu à l’écart, mais dont la respectable superficie permet une concentration commode, et l’organisation d’un cortège. C’est un vaste quadrilatère, entouré de platanes, et où règne une fraîcheur bienfaisante. Des marchands de fruits, de pâtisseries, de journaux, de boissons variées, en ont déjà pris possession, et l’on y mange et boit ferme, dans ce brouhaha aigu et ce pittoresque désordre qui caractérisent les rassemblements populaires des populations espagnoles. La « Claridad » – l’organe officiel de Largo Caballero – est dans toutes les mains. Les autres feuilles se vendent moins. Bien entendu : absence complète de toute gazette modérée, ou simplement neutre.

Je viens de faire allusion à la cohue désordonnée envahissant la place. Entendons-nous : cette définition s’applique à la foule des sympathisants, des militants de tout poil n’appartenant pas officiellement aux « Jeunesses » – les héros du jour.

Mais je m’empresse d’ajouter que « Jeunesses » communistes et socialistes offraient un tout autre spectacle. Ici : discipline et ordre parfaits. Et c’est précisément cette force organisée qui me frappa le plus au cours des quelques heures que je passai à Tolosa.

Sur la place aux platanes – comme cela se produisit, ultérieurement, pendant le défilé et le meeting – les deux mille jeunes gens mobilisés par les extrémistes affirmèrent des qualités de soldats.

Ils étaient commandés – au moyen d’ordres brefs et précis – par des chefs sans signe distinctif aucun, mais à l’allure desquels ont devinait aussitôt des conducteurs d’hommes. Groupés par rangs de quatre, soigneusement placés selon leur taille, constitués en phalanges où voisinent indistinctement jeunes hommes et jeunes filles, nos apprentis guerriers et... guerrières marchaient, s’arrêtaient, repartaient, exécutaient des manœuvres diverses, frappaient du talon ou marquaient le pas : le tout avec un parfait ensemble.

J’ai même trouvé que certains chefs abusaient singulièrement de leurs prérogatives et s’adressaient à leurs troupes sur un ton que n’eût pas renié un sous-officier poméranien.

Mais il faut croire que le militarisme et les relents de caserne plaisent fort aux révolutionnaires antimilitaristes espagnols : car nos jeunes gaillards acceptaient les ordres et les remarques les moins bienveillantes avec un sourire suave.

La chose n’est pas nouvelle.

Voyez ce que les antimilitaristes russes ont fait de la Russie : un superbe camp retranché, qui ne le cède en rien aux douceurs passées du Régime militariste des Tsars. Et considérez ce qui se passe chez nous. Depuis que nous sommes les Alliés des Soviets, les plus rouges de nos extrémistes ont soudain découvert – au fond de leur cœur – une tendresse émouvante pour l’Armée, les claironnantes fanfares et la chanson des mitrailleuses...

Oui, ces Messieurs sont vraiment des INTERNATIONALISTES. Ils ont trouvé le moyen de duper la classe des travailleurs de TOUTES LES NATIONS.

 

 

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Que vous dirai-je du défilé qui précéda le meeting ? Il fut impressionnant.

En tête marchaient des formations de garçonnets et de fillettes, vêtus de bleu et de rouge, et chantant des hymnes révolutionnaires. Puis passèrent de petits groupes de militants porteurs de larges calicots ou s’étalaient les revendications révolutionnaires. – Deux grands gaillards brandissaient – entre autres – une toile représentant faucille et marteau, avec ces mots : « Notre régime de demain ! » Je souligne qu’ils remportèrent un succès tout particulier.

Venaient ensuite les drapeaux, les fanions, les bannières, brandis par des poignes décidées. J’ai remarqué notamment une femme d’une trentaine d’années qui arborait le corsage rouge des « Jeunesses communistes » et possédait une magnifique tête de « pétroleuse », digne de figurer au premier rang des brûleurs d’églises. Une morgue haineuse rayonnait sur la figure repoussante de cette femelle que l’on sentait prête à tout...

Après ce fut – dans un calme, un ordre et une dignité exemplaires – le défilé (au pas cadencé) des formations militaires des « Jeunesses ». Par moments retentissait un commandement bref : et le poing de la petite armée se levait – d’un seul mouvement – pour saluer la foule, qui répondait par des ovations et dressait le bras à son tour. Sur les deux milles jeunes hommes du cortège, un tiers seulement portait la chemise rouge des Soviets. Le reste appartenait au parti socialiste.

 

 

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Pour pénétrer dans les arènes – ordinairement réservées aux courses de taureaux et où se déroule aujourd’hui le meeting rouge – il fallait débourser 40 centimes.

Nanti de mon billet d’entrée, j’accède au lieu « saint ».

Je croyais encore trouver un peu de place sur l’un des vingt gradins qui grimpent vers la galerie supérieure où se tiennent les notables du mouvement révolutionnaire, les orateurs, les porteurs de drapeaux, les photographes, les journalistes, et une cohorte jacassante d’enfants ; mais hélas... tout était complet.

Employons même une épithète plus juste : bondé.

Je me faufilai comme je pus, parmi les auditeurs condamnés à rester debout. Puis je me mis à estimer (un des effets de la déformation professionnelle) l’importance de la foule présente.

Les gradins et les arceaux supportant la galerie me permirent un calcul relativement aisé – et juste. J’arrivai au chiffre moyen de 12 000 personnes – les « Jeunesses communistes et socialistes » non comprises. Ces 2 000 jeunes gens se tenaient dans l’arène proprement dite, qu’ils emplissaient aux trois quarts.

Il y avait de tout, dans cette foule remuante, loquace et multicolore.

Des ouvriers, en bras de chemise, le pantalon retenu aux reins par une ceinture de fortune, béret basque sur l’œil ou dans la nuque. Des paysans : main appuyée sur un bâton, béret droit sur la tête rasée de près, regard mobile dans un visage impassible. De petits bourgeois endimanchés : lui, faux col et complet confection ; elle, blouse de soie artificielle tapageuse, boucles d’oreilles monumentales, bracelet de clinquant et fards maladroits. De jeunes employés de bureau, aux cheveux noirs fraîchement ondulés. Des dactylos, aux ongles de carmin. Des commerçants placides, arborant une chaîne de montre en simili sur un ventre à la courbe dangereusement antirévolutionnaire. Des femmes, des hommes, des enfants, sans type social défini ; vêtus à la diable ; coiffés de journaux, de fichus, de mouchoirs, d’écharpes trouées.

Près de moi, une énorme commère porte une sorte de turban de couleur rouge, qui lui donne des airs d’odalisque de café-concert.

Une autre – un nez en bec d’aigle dans un visage mince – s’est assise par terre et enlève ses chaussures, sans doute trop étroites.

Plus loin, j’aperçois un drôle de couple, certainement étranger à la ville. L’homme porte des lunettes volumineuses dans un visage glabre que couronne une chevelure incendiaire ; il agite un petit drapeau rouge, de l’air extasié d’un enfant montrant son premier hochet. Sa compagne a les cheveux coupés court, presque ras. Elle regarde autour d’elle d’un air mystique – comme pour se saouler du spectacle de l’arène en effervescence.

Jetez sur cette foule bigarrée le frissonnement des drapeaux écarlates, la vague des banderoles et des bannières, le soleil, l’air transparent, le ciel bleu, la joie et la sérénité d’une de ces magnifiques journées que l’on respire – en Mai fleuri – sur la belle terre espagnole...

Et mettez-vous à présent à la place d’un chômeur, d’un pauvre diable – cruellement marqué par la lutte pour la vie – et qui vient chercher, en un tel milieu et en un tel décor, la magie de la parole, l’aumône de l’illusion...

 

 

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Quatre orateurs.

Le premier, Santiago Carillo, député socialiste. Le second, Enrique de Francisco, député communiste. Le troisième et le quatrième : des personnages de la vie syndicale espagnole.

Les discours de ces hommes – transmis par deux hauts parleurs parfaits, et entendus jusqu’au dernier recoin des arènes – peuvent se résumer en deux mots identiques : fusion permanente des partis socialiste et communiste, maintien du « Frente popular » (Front populaire) qui permit la victoire des Gauches aux récentes élections.

C’est en vain que j’attendais l’élaboration d’un programme, l’explication de quelque chose de concret, de pratique, la promesse d’une réforme immédiate ; bref, le début d’une réalisation.

Rien ne vint.

Rien : sinon des appels ronflants et des phrases enfiévrées – certes très joliment enlevées – mais où tout était vide, démagogie et néant. Le communiste lui-même ne sortit pas (une fois sa tirade sur le Front populaire achevée) de l’enlisement verbeux où s’étaient déjà perdus les autres. Révolution, liberté, démocratie, réaction...

L’on se serait cru – à entendre ces vieilles histoires couler inlassablement à travers le cornet des hauts parleurs – à une réunion électorale organisée chez nous, dans quelque Grain-sur-Orge, par les membres du Parti radical-socialiste et des « Pêcheurs à la ligne républicains ».

C’était mesquin et ridicule.

Et cependant, ce fut applaudi avec enthousiasme par des milliers d’hommes et de femmes en délire, qui affirmaient bien, par là, l’inexistence de toute formation sérieuse. Ces braves Espagnols attestaient tous, par leurs cris et leurs bravos, qu’ils attendaient une amélioration à la situation critique du pays.

Comment, quand, par qui le salut leur viendrait-il ?... Mystère.

La masse est là, les chefs aussi. Mais la première s’enflamme pour une révolution dont elle ignore encore TOUT. Tandis que les seconds se taisent trop prudemment au sujet d’une révolution dont ils connaissent et préparent parfaitement TOUT.

Voilà l’impression que j’ai emportée de la journée socialo-communiste de Tolosa, de son déploiement de forces juvéniles, de son programme oratoire.

Il manquerait une touche originale au tableau, si je ne vous avouais que je faillis me faire bousculer par un voisin, au moment où les orateurs apparurent à la galerie supérieure, au début de la « séance ».

Un orchestre de violons et de guitares attaqua l’« Internationale ». Tous les poings se tendirent, tandis que l’on se découvrait respectueusement.

Je levai également le bras. Mais – jugeant cette manifestation suffisante – je m’abstins de me décoiffer. J’eus grand tort, car il me fallut réparer au plus vite ma négligence, sous le coup de coude étrangement significatif d’un militant...

Je vous l’ai déjà dit : on ne badine pas avec les principes « bourgeois », chez ces Messieurs les Rouges...

 

 

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Et maintenant : une remarque hors-programme, qui a peut-être sa place dans ce papier.

Une manifestation comme celle de Tolosa – qui était, j’insiste, une sorte de mobilisation des jeunes forces révolutionnaires basques – offrait de l’importance aux yeux des Autorités. On n’imagine certes pas en France (où nous n’en sommes pourtant pas au stade anarchique espagnol) un meeting de plus de 10 000 personnes sans police ?

Or, je ne vis pas un seul représentant de l’ordre public aux arènes de Tolosa : extérieurement et intérieurement. Et le défilé à travers la ville se fit sous les yeux de la demi-douzaine de pauvres bougres constituant l’habituelle police locale.

Il n’y eut aucun incident, parce que les adversaires du « Front Populaire » restèrent sagement cloîtrés chez eux.

Mais représentez-vous, une seconde, le déchaînement de cet incident, à la suite d’un cri, d’un geste hostile ; d’un de ces mille riens qui mettent le feu aux poudres en des journées comme celles-là. Et mesurez l’étendue du désastre possible.

Quand on songe que deux poignées d’énergumènes suffisent pour mettre le feu à des dizaines d’églises et de couvents – en maintes provinces d’Espagne – l’on reste confondu devant l’inertie coupable des Autorités lors de la Journée de Tolosa.

Ajoutons que n’avaient pas été prévus les plus élémentaires secours en cas d’insolation, ou d’accident, et que le service de la Croix-Rouge fut assuré par les infirmières des « Jeunesses communistes », trousse en bandoulière et brassard au bras.

Après celle-là – comme a coutume de le dire le bon peuple de France – « on peut tirer l’échelle », n’est-ce pas ?

 

 

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*     *

 

À mon retour à l’hôtel, je commentai le spectacle dont je venais d’être le témoin. Nous étions assis dans le hall – l’hôtelier, un voyageur de commerce et moi.

Me trouvant en Espagne – non pour combattre ou approuver le « Front Populaire », mais pour en étudier le fonctionnement, et transmettre des renseignements et des impressions à mes Lecteurs français – je demeurai très circonspect dans ma relation. Et cela me valut une profession de foi révolutionnaire de la part du représentant, et des déclarations socialistes du côté de l’hôtelier... plus un odorant cigare.

Oh ! bienfaits de la Neutralité !

Voici, au reste, mes deux interlocuteurs. Pour plus de facilité, nous appellerons le premier M. Lopez, et le second, M. Diego.

Physiquement, ils se ressemblent assez étrangement : de taille moyenne, secs, rasés, jaunis comme des coings au soleil ibérique, l’œil vif et la silhouette sympathique. Unique différence : M. Lopez possède une chevelure fournie, tandis que celle de M. Diego a subi des ravages inquiétants.

La conversation roule sur les causes de la Révolution, son développement et son action future. Nous sommes les seuls occupants du hall de l’hôtel.

Car je ne compte pas deux Anglaises d’âge vénérable qui suçotent un thé derrière un paravent et s’évertuent à apprendre la prononciation d’un « Good Morning » décent à la serveuse. Celle-ci rabâche inlassablement les mots britanniques ; les vieilles dames la corrigent et la reprennent, non moins inlassablement. Jamais ne me sont plus clairement apparues les ressources de l’entêtement anglais chez les personnes mûrissantes – ou mûres.

Et quand on songe que le maintien des sanctions contre les Italiens est précisément réclamé par toutes les ladies d’âge ultra-canonique de Grande-Bretagne, on saisit mieux certaines subtilités de certaine politique.

M. Lopez est l’ennemi des curés : il le déclare en termes durement martelés et d’un air sombre.

Pour lui, l’Espagne sort d’une ère d’obscurantisme et d’esclavage moral dont les responsables appartiennent au Vatican lui-même. La Papauté, au lendemain de la grande guerre – qui marqua le triomphe de la démocratie – entreprit de former un barrage « fasciste » contre les progrès de l’esprit de liberté. L’Italie et l’Espagne devaient constituer les éléments essentiels dudit barrage. L’Italie mussolinienne répondit aux espoirs du Vatican. L’Espagne déjoua – grâce à la proclamation de la République et à la victoire du « Front populaire » – les intrigues de la Rome pontificale.

Et voici que la France affirme à son tour sa volonté d’écraser la réaction.

– Monsieur, proclama solennellement M. Lopez en levant très haut son cigare, veuillez bien dire à vos lecteurs que le « Front populaire » espagnol est prêt à marcher fidèlement aux côtés du « Front populaire » français : les deux mouvements sont frères et s’assignent des buts identiques. En politique intérieure : guerre à mort au cléricalisme et au capitalisme qui en découle. À l’extérieur : guerre à mort au bloc dictatorial qui se forme de l’Adriatique à la mer Baltique, sous l’impulsion de Hitler et de Mussolini.

– Ça fait bien des guerres, tout ça... hasardai-je d’un air innocent. La démocratie ne doit-elle pas se confondre avec le principe même de la paix ?

M. Lopez leva une épaule amusée :

– La lutte contre les jésuites n’est pas meurtrière : il suffit de mettre ces Messieurs à la porte du pays, en confisquant leurs biens. L’école laïque fera le reste – dans une couple d’années.

Quant à la guerre extérieure, je la prévois sur un terrain purement moral. Il ne s’agit pas de prendre un fusil et de courir sus aux chemises noires. Non, Monsieur. Il faut, au contraire, rendre l’emploi des armes fratricides impossible en imposant aux nations fascistes, par la plume, la parole et l’exemple, nos idées démocratiques.

Et le jour où les peuples auront reconnu l’inutilité des haines stériles et les bienfaits des régimes de liberté, ce jour-là ils refuseront de se sacrifier pour une vaine gloire sur les champs de bataille. C’est-à-dire que nous serons enfin arrivés à la réalisation d’un idéal unique : la Fédération des États Unis d’Europe.

M. Lopez me parla ensuite de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau, de Jaurès, de Léon Blum et de Cachin, qu’il enveloppe dans un respect et une gratitude tumultueusement identiques.

Et comme j’insinuai que cette salade russe politico-littéraire comportait bien des piments de nature différente, il rétorqua d’une voix grave :

– Ne perdez pas de vue, Monsieur, qu’entre le siècle des philosophes et le nôtre il y eut une parfaite continuité, grâce au véhicule d’un incessant anticléricalisme.

Bref, mon brave commis-voyageur raisonnait tel un fossile du vieux radicalisme français. À noter à sa décharge, toutefois, qu’il n’a pas fait la guerre, qu’il n’a pas connu la conduite des catholiques dans les tranchées, que le rôle social du clergé français lui échappe totalement, et qu’il est citoyen d’une nation habituée à affirmer sa neutralité, au moment des grands heurts internationaux.

Rêver d’une « Fédération des États Unis d’Europe », à base de matérialisme, sur les bords de l’Èbre : est une chose. Caresser les mêmes projets sur les bords du Rhin : en est une autre.

Une personnalité religieuse de Madrid, à qui je communiquai les réflexions de mon commis de San Sebastian, me répondit : « Vous ne m’étonnez pas outre mesure. Les représentants de commerce espagnols sont, en général, d’idées avancées. Si l’anticléricalisme aveugle compte des adeptes faciles dans cette catégorie de la société, imaginez la violence qu’il est susceptible d’atteindre chez la classe ouvrière, où l’on trouve encore tant d’illettrés ! »

Quant à mon hôtelier – lui – il trouva ce pivot d’argumentation très simple :

– Je suis partisan d’une expérience du « Front populaire » parce que la monarchie et les gouvernements républicains qui lui succédèrent firent preuve d’une égale incompétence. Si les socialistes nous tirent du pétrin, la solidité du régime de gauche est assurée. Dans le cas contraire, le peuple – déçu – se portera à nouveau vers la droite : et les réactionnaires reviendront au pouvoir.

J’imagine qu’il en est de même chez vous et qu’une faillite des tentatives réformatrices de Blum donnerait le signal d’un retour aux combinaisons « bourgeoises »... Personnellement, je souhaite grandement que le « Front populaire » – en France et en Espagne – complète sa victoire politique, par une aussi belle victoire économique...

Mais une question me brûlait la langue, depuis un moment :

– Ne dit-on pas, Monsieur, que votre « Front populaire » s’est livré à des excès regrettables dans certaines régions ? Les journaux...

– Excusez ma franchise, coupa le commis-voyageur en souriant le plus aimablement du monde, mais les journaux étrangers ont écrit mille sottises à propos des évènements d’Espagne. L’ordre n’a pas cessé de régner dans le pays. Et les incidents isolés qui ont éclaté sont à mettre au compte de messieurs les fascistes et des agents provocateurs.

– Ainsi : le crucifix que l’on a arraché d’un cercueil, dans cette ville, il y a quelques jours, constituait une machination réactionnaire ?

L’hôtelier et le commis-voyageur me jetèrent un regard surpris. Puis M. Lopez murmura, avec une candeur angélique :

– Que voulez-vous ?... Les parents du défunt furent bien imprudents. Des obsèques civiles étaient tout indiquées...

 

 

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À la gare, je cherche à dénicher le guichet où l’on me délivrera un billet pour Madrid. Un « equipajes » (porteur de bagages) s’avance, goguenard. Il a le nez rouge et plisse drôlement l’œil droit :

– Vous allez à Hendaye ?

– Non, à Madrid !

Le bonhomme éclate d’un gros rire et prend ses camarades à témoin de sa joie.

– Mais, mon pauvre monsieur, vous n’y êtes pas... La grève générale des hôtels, cafés et restaurants est décrétée pour ce soir...

– Je m’en f..., mon cher ami ; je me nourris de briques...

Et je laisse le nez rouge devenir vert.

 

 

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IV. – Sur la route de Madrid.

 

 

L’express Irun–Saint-Sébastien–Madrid abat ses 600 kilomètres en 10 heures.

Il ne compte que première et deuxième classe : ce qui m’obligea à délaisser – pour une fois – les démocratiques (et combien plus instructives) troisièmes.

Les trains espagnols se ressentent de la crise. Leurs wagons appartiennent au type démodé de notre ancien matériel de la Compagnie de l’Est. Ils ont des coussins de drap bleu râpé, des couloirs étroits, des fenêtres mal jointes et des lavabos où brille l’absence d’hygiène. Le W. C. desservant notre compartiment est doté d’un tuyau d’amenée d’eau qui possède un trou au-dessus de la porte : de sorte que le visiteur, à son entrée, est accueilli par une pluie fine pleine d’originalité.

Je suis assis en face d’une dame lisant « Excelsior » : une Française. À côté de moi : un monsieur aux gants beurre frais qu’il tient réunis comme un chandelier, dans la main droite, cultive des airs de capitaine de l’Armée du Salut méditant une homélie sur les inconvénients des vins capiteux. Le déploiement de la « Neue Zürcher Zeitung » me permettra de fixer, tout à l’heure, sa nationalité probable.

Les autres occupants du compartiment sont de bons bourgeois espagnols qui fument d’horribles cigarettes à l’épais papier jaune et jacassent avec une vitesse susceptible de donner le vertige.

L’un d’eux tient le record : c’est un jeune homme armé d’une paire de besicles imposante et qui conte les voyages qu’il prétend avoir faits dans les grandes capitales européennes.

Jusqu’à Vitoria, ville pittoresque où les maisons brillent toutes du haut en bas de balcons vitrés d’un effet curieux, le train traverse une région montagneuse que rehaussent de riches forêts. Peu de terres cultivées. Les champs sont caillouteux, porteurs de seigles maigres et pâles.

L’on aperçoit, de loin en loin, des paysans qui retournent le sol à la main, le long des talus incultes de la voie ferrée. Au passage du convoi, ils se redressent et regardent, les mains appuyées sur leur outil.

À quelque distance fume le toit de leur demeure : une maison basse, trapue, sans crépissage, qui n’a rien des fermes blanches, vivantes, gaies de nos régions françaises.

De Vitoria à Burgos, le paysage maintient son caractère accidenté.

La voie s’élève le long des montagnes colorées de la Sierra de Ona, descend dans les gorges sinueuses, remonte vers les sommets dénudés des monts d’Oca, atteint une altitude de 963 mètres, puis pique vers le plateau de Burgos.

Cette ville est non seulement célèbre par le souvenir du Cid, qui y naquit vers 1206, mais encore par la magnificence de sa cathédrale. On aperçoit du train le remarquable édifice – de pur style gothique. Et l’on regrette de ne pouvoir admirer de plus près ces flèches ajourées et cet imposant dôme à deux étages, dont les pinacles dressent vers le ciel une forêt de ciselures d’une noble élégance.

Puis c’est Palencia, l’antique cité romaine aux jardins délicats, et Valladolid, chef-lieu de province, ancienne capitale du royaume d’Espagne, dont nous goûtons – en un trop fugitif passage – les clochers et les longues traînées de toits bleus et verts coiffant des palais et d’aristocratiques demeures, aux portiques que l’on dit prestigieux.....

Enfin, la dernière partie de l’étape : Medina del Campo, Avila, Madrid, par une région d’abord nue, pierreuse, désertique et affreusement pauvre, ensuite couverte de profondes forêts de pins résineux.

 

 

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Le devoir d’un enquêteur (bien grand mot appliqué à ma modeste tâche) est de causer.

J’essayai donc d’entrer en contact avec le capitaine de l’Armée du Salut, mon voisin immédiat. Mais notre homme devait sans doute pousser activement l’édification de ses vastes pensées, car il opposa un laconisme..... éloquent à mes tentatives.

Je fus bientôt fixé sur la véritable nature de ses soucis. Notre homme s’éclipsa, en effet, dans la direction du wagon-restaurant, où il demeura installé jusqu’à la fin du voyage. Quand il revint, nous étions aux portes de Madrid et l’homme aux gants beurre frais n’avait plus le teint « frais » du tout.....

J’eus davantage de chances avec la voyageuse française, qui était dame de compagnie dans une famille de la haute aristocratie espagnole et remplaçait ses maîtres (réfugiés en France) dans une tournée d’inspection « immobilière » aux environs de la capitale.

La duchesse de X... a, en effet, laissé des biens importants dans sa patrie et elle en fait exécuter l’inventaire, de temps à autre, par une personne de confiance.

Les riches émigrés de ce genre sont nombreux. Et il faut le déplorer. Car ils sont en général catholiques pratiquants, et soutiennent de leurs deniers et de leur influence les œuvres chrétiennes. Leur rôle pouvait devenir important, à certains moment décisifs de la vie politique de leur pays.

Au lieu de demeurer à leur poste, ils ont préféré se mettre à l’abri à l’étranger.

Le geste se comprendrait de la part de gens sans idéal, faisant litière facile de leur devoir. Mais quand on appartient aux classes dites « dirigeantes » d’une nation et qu’on a bénéficié durant de longues années des bienfaits répandus par un régime trop généreux, l’on a de strictes obligations.

La dame de compagnie, à qui je faisais ces remarques, me concéda que ses maîtres commettaient une « faiblesse ».

J’appelle cette faiblesse une lâcheté et j’assimile les émigrés espagnols de 1936 aux émigrés français de la Révolution. Ces derniers vivaient paisiblement en Prusse et en Hollande pendant que d’humbles catholiques restaient à Paris, en pleine Terreur, où ils risquaient leur peau en compagnie des curés non assermentés. Plusieurs échos de l’étrange conduite de l’aristocratie espagnole me sont déjà venus à l’oreille, depuis le début de mon voyage. J’en ai recueilli d’autres depuis. Et de source hautement autorisée. Ils trouveront place, le moment venu, dans mon reportage 1.

 

 

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Recueillons, à présent, une anecdote tombée de la bouche de ma voisine de compartiment.

Un représentant de la vieille noblesse castillane – venu en France à la suite des élections de février dernier – avait décidé de récupérer par petits paquets la grosse fortune liquide laissée derrière lui, en Espagne. Il se rendait donc régulièrement en auto dans son ancienne patrie, et, à son retour en France, se munissait des 5 000 pesetas dont l’exportation était permise par la loi.

Le jeu lui paraissant trop long – et trop périlleux – il résolut d’agir autrement. Il convoqua un beau jour quatre de ses domestiques à Madrid, leur remit à chacun une enveloppe fermée et leur donna l’ordre de se rendre à Biarritz, par Irun, en cachant soigneusement ladite enveloppe, dont il leur laissa ignorer le contenu.

Les domestiques – ne se doutant pas de la redoutable mission que leur confiait leur maître – partirent.

Or, le hasard amena l’arrestation et la fouille – à la gare frontière – d’un des quatre émissaires. La fortune qu’il transportait à son insu était telle, que le malheureux risquait une peine de prison et une amende de la plus grande rigueur.

On arrêta le domestique. L’argent qu’il portait fut confisqué. Et, après une détention de deux jours – qui permit aux enquêteurs d’établir sa bonne foi – l’homme fut expulsé du territoire espagnol avec défense d’y remettre les pieds.

Cette histoire – si elle répond bien à la réalité – jetterait une lumière singulière sur la qualité de certaines mentalités dites « supérieures ».

Les paisibles bourgeois qui complétaient le compartiment aux côtés de la Française, du Suisse et de votre serviteur – évitèrent soigneusement de s’engager sur le terrain politique. Ils préférèrent réserver leur éloquence à des sujets plus badins.

C’est ainsi que le jeune homme aux monumentales lunettes s’en prit soudain à la réputation de la « Femme française ». Il le fit avec un cynisme qu’excusait, seul, son âge ingrat. De l’avis de cet hurluberlu, Paris était une Babylone d’une incroyable « pornographie », où l’honnêteté féminine constituait un phénomène rare.

Je me trouvais, à ce moment, dans le couloir et prêtais une oreille aux élucubrations du causeur, tout en regardant le paysage.

Or, voici qu’au sortir de Valladolid – dans les champs environnant la ville – j’aperçois soudain, à cinquante mètres de la voie ferrée, un groupe de six ouvriers agricoles, qui saluaient haineusement le train de leur poing levé, à la socialiste. Et le septième personnage saluait, de son côté, en une attitude d’une obscénité telle, que mon premier mouvement fut un geste de révolte.

Mais déjà arrivait le réflexe.

Je saute dans le compartiment, saisis par le bras le petit monsieur à lunettes, l’amène dans le couloir et lui mets le nez à la portière :

– Je vous présente, Monsieur, un spécimen inédit de la pornographie « française ».

Le tout n’avait demandé que l’espace de deux secondes.

Mais ces deux secondes nous valurent – jusqu’à Madrid – l’absence de toute considération nouvelle sur la laideur des mœurs parisiennes.

 

 

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Madrid.

Le brave « equipajes » de Saint-Sébastien avait simplement tenté (je m’en étais douté) de me « bourrer le crâne ». Aucune grève des hôteliers et restaurateurs n’affecte la ville.

Je me rends à l’hôtel qui m’était recommandé et comporte l’avantage de se trouver dans un quartier neuf, animé, assez proche de la gare et bien desservi par les tramways.

Réception aimable. Je payerai 13 pesetas par jour, pour la pension complète.

Mettant le nez à la fenêtre, je remarque, sur les tramways, des fanions rouges, triangulaires, avec un rond central porteur de lettres cabalistiques. « Voici donc la fameuse Compagnie de transports en commun madrilène – pensai-je – qui est exploitée par un soviet d’ouvriers : comme l’annonçait l’écrivain russe Ilya Ehrenbourg, dans son reportage publié par « VU » du 6 mai 1936.

Pour avoir confirmation de la chose, je me renseigne auprès du directeur de la maison, homme d’une parfaite amabilité et qui géra longtemps un hôtel parisien.

Un gentil sourire me répond. Puis je reçois l’explication suivante :

– Le fanion qui vous intrigue est simplement destiné à fêter l’Exposition du Livre espagnol, actuellement ouverte, paseo des Recoletos..... Jamais les tramways de Madrid ne furent entre les mains des soviets. Une seule ligne de la banlieue – celle des Quatro caminos (4 chemins) – fut saisie et exploitée par le personnel. Mais l’expérience dura exactement huit jours. Le neuvième, la société ouvrière..... faisait faillite et priait les anciens actionnaires de reprendre l’exploitation. Voilà la vérité.

Je ne peux résister au plaisir de rechercher en ville le numéro de « VU » précité. Je le trouve. Et voici ce que j’y copie textuellement (page 532, 1re colonne de gauche) : « Les tramways de Madrid sont exploités, à l’heure actuelle, par une coopérative ouvrière..... »

Compliments, Ilya Ehrenbourg !

Et c’est avec de pareils exemples de « soviétisation » fructueuse des affaires capitalistes, qu’on nous fait « marcher » en France.....

 

 

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V. – De la laïcisation des écoles aux incendies d’églises.

 

 

Avant de suivre les extrémistes du « Front populaire » dans les exploits qu’ils ont commis à Madrid, accordons quelques instants d’attention à une grave question  : celle de l’enseignement. Question qui intéresse l’Espagne en général – et sa capitale en particulier ; car Madrid compte, en effet, à l’heure actuelle, près de quarante mille enfants dispensés de toute fréquentation scolaire, et dont la présence permanente dans les rues constitue une bien dangereuse anomalie.

Comme on le sait, les enseignements public et privé – sous la Monarchie – faisaient bon ménage. L’Espagne était pauvre en écoles – tant primaires que secondaires – et le gouvernement voyait d’un œil favorable le développement des institutions catholiques « libres ».

Ces écoles, fruit d’efforts privés, dispensaient l’État d’accorder un trop lourd budget à l’enseignement public. Et l’on y donnait une éducation et une instruction solides, où la morale chrétienne occupait une place privilégiée.

À l’avènement de la République, l’on proclama la laïcité de l’enseignement. Mais les premiers gouvernements qui présidèrent aux nouvelles destinées du pays ne changèrent rien à l’état de choses existant : ils avaient d’autres chats à fouetter.

Ce fut en 1932 seulement que l’on s’attaqua à la laïcisation de l’enseignement secondaire.

On signifia aux Congréganistes l’ordre de cesser leur activité et l’on mit la main sur les premiers établissements privés pour les transformer en institutions publiques. Cette double action fut conduite avec un doigté, une honnêteté et un respect de la propriété identiques à ceux qu’affirmèrent en France – entre 1900 et 1910 –les tranche-montagnes anticléricaux de l’époque.

Bref, une vulgaire spoliation, exécutée avec une brutalité de choix.

Aujourd’hui, c’est le tour de l’enseignement primaire. Les inspecteurs provinciaux ont reçu l’ordre d’intensifier, dans toute la mesure du possible, la saisie des écoles et collèges tenus par des Religieux.

À Madrid, les collèges de Santa Isabella et Marie Christine, où professaient les religieuses de l’Assomption, viennent d’être « récupérés » par l’État. À Avila, on a mis la main sur le collège de Santa-Maria-de-Gracia où les religieuses déployaient leur activité depuis plus de quinze siècles. À la Corogne, les religieuses du collège San Pedro se voient menacées d’expulsion, alors que leur maison est une propriété privée, léguée par le comte de La Mina voici déjà plusieurs centaines d’années.....

Non content de ce zèle, le gouvernement fait la chasse aux congréganistes qu’il a dépossédés, surveille leur vie privée, tente de les prendre en défaut de « reconstitution » de société religieuse et mûrit le dessein de supprimer purement et simplement le principe même de la liberté de l’enseignement. Ce projet ressemble comme un frère à la proposition de loi qui attend son heure dans les cartons de nos futurs ministres socialistes et doit rendre tout enseignement privé impossible en France, grâce à la suppression de la vieille loi Falloux.

À signaler, d’autre part, que les écoles libres – en Espagne – sont à présent administrées par l’État. Les directeurs des établissements en question rendent compte de leur gestion aux Autorités, qui encaissent les bénéfices – s’il y en a – et distribuent des « Bons » en échange. Ces Bons d’un Trésor à sec ont la valeur que l’on devine aisément.....

L’on comprendrait peut-être, à la rigueur, l’empressement laïcisateur du gouvernement espagnol, prisonnier du « Front populaire », et de ses haines recuites, si l’État avait pris les précautions nécessaires pour remplacer par une organisation laïque le vieil et solide édifice congréganiste. Mais il ne possède même pas l’excuse d’une telle prévoyance. On expulse à tour de bras ; on supprime ; on ferme et rien – ou bien peu de choses – à mettre à la place de ce que l’on a démoli, et tué !

L’idéal chrétien est à terre : ces Messieurs cherchent encore quelle bible nouvelle, sortie des méninges effervescentes d’un Largo Caballero, ils arriveront à lui substituer.

Des milliers de Congréganistes ont dû suspendre leurs fonctions : ces Messieurs n’arrivent pas à faire surgir du sol les milliers de maîtres laïques destinés à leur succéder.

Des centaines de Maisons religieuses ont fermé leurs portes. Mais elles ne tomberont pas toutes entre les mains de l’État (car il en est qui appartiennent à des sociétés fort légalement constituées) : et voici ces Messieurs – si pauvres déjà en bâtiments scolaires – devant le double problème d’un nombre plus grand d’élèves à instruire et d’une Trésorerie incapable de supporter l’édification des multiples écoles nouvelles rendues nécessaires.

Comme on le constate, le problème scolaire espagnol se hérisse de graves difficultés. N’allez pas vous imaginer toutefois que le gouvernement songera un seul instant à le rendre moins délicat par l’application d’une politique antireligieuse édulcorée. Les catholiques espagnols ne se font aucune illusion à ce sujet.

Leur gouvernement (qu’il soit présidé par X, Y ou Z) devra toujours son existence au « Front populaire ». Il dépendra d’une Chambre rouge, quoi qu’il fasse. Et le Président de la République, M. Azana, élu par les Gauches, homme de gauche lui-même et lié par son adhésion au programme du « Front populaire » électoral, ne pourra pas échapper aux rets de l’anticléricalisme.

Or, l’ABC de l’action anticléricale réside dans la déchristianisation d’un peuple. Et pour obtenir – vite et bien – cette déchristianisation, il faut agir par l’École.

Il me semble absolument inutile d’insister.

Nous savons à quoi nous en tenir, nous autres Alsaciens. Nous connaissons l’acharnement des hommes de Gauche contre nos libertés scolaires. Nous avons compris depuis longtemps les mobiles de cette rage prolongée. L’avenir d’un pays réside dans sa Jeunesse, et mettre une patte matérialiste sur l’âme de la Jeunesse, c’est préparer de bonnes élections « Front populaire » futures.

 

 

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La Puerta del Sol est en quelque sorte la place de l’Opéra des Madrilènes.

Elle ne possède ni l’élégance, ni la distinction de cette dernière, mais elle offre le spectacle d’une artère animée où l’on sent battre le pouls d’une généreuse cité.

Ce qui donne à la Puerta del Sol un caractère très particulier, c’est la présence constante d’une confrérie d’innombrables marchands ambulants, gagne-petit, bricoleurs, mendiants, traîne-savates et bimbelotiers, dont les assises se tiennent le long des magasins et des bars et jusque sous la porte du Ministère de l’Intérieur. (Cet édifice, entre parenthèses, fut construit en 1786 par un Français, Jacques Marquet ; sa platitude le rend indigne de notre art architectural.)

Vous avez, d’abord, les inévitables cireurs de bottes que l’on trouve de Paris à Rome et de Sofia à Berlin. Mais ils sont plus aimables que leurs confrères berlinois et plus voleurs que leurs collègues parisiens. Et leur voix sait prendre des accents touchants pour vous prouver que vos chaussures donnent un spectacle d’inadmissible désordre.....

Puis les crieurs de journaux, dotés de poumons et d’une agilité de main exemplaires. Quand ils sont vieux, ils délaissent le pavé, ses bousculades et son mouvement pour dresser un éventaire au pied d’un mur : une caisse retournée, quelques pinces à lessive à cheval sur trois rangées de ficelles et le nouveau magasin est ouvert. Vous y achèterez – ne vous en déplaise – les principaux journaux européens.

Voilà les voiturettes d’amandes grillées, de cacahuètes, d’oranges, de bananes et de fruits variés. Elles alternent avec les menus casiers où quelques pauvres vieux étalent leur fortune commerciale : deux douzaines d’épingles de sûreté, une vingtaine d’élastiques, deux ou trois bobines de fil et autant de paquets d’aiguilles.

Plus loin, nous apercevons les vendeurs de peignes : un métier également réservé aux gens d’âge.

Avec les lunettes aux verres fumés, nous rajeunissons : ici, c’est plutôt la « génération montante » qui opère. Elle le fait sans secours de boîtes ou d’éventaires, les lunettes simplement équilibrées sur l’avant-bras. J’écris « simplement ». Mais, ne vous y trompez pas : c’est moins « simple » quand il s’agit de traduire ce petit geste dans la pratique.....

Un autre métier qui retient la faveur des « jeunes », est celui de « photographe ambulant ». Ils sont des dizaines (entre 16 et 20 ans) pour arpenter le trottoir, un billet d’une main, un minuscule appareil de l’autre. Survient une jeune fille (c’est le gibier de prédilection) aussitôt un appareil se braque à quelques pas devant elle, tandis qu’une voix polie propose : « Photo, Mademoiselle ? »

Si la passante incline la tête, un déclic se produit, l’artiste amateur remercie d’un mot en donnant son adresse, et quelques heures plus tard l’intéressée sera en possession de l’image désirée. Et n’oubliez pas que ladite image demeurera pour toujours fixée dans le cadre majestueux d’une grande place de Madrid.....

C’est par cette connaissance déjà profonde des faiblesses humaines que les jeunes photographes de la Puerta del Sol me semblent mériter de l’admiration.....

Vous croyez que l’énumération s’arrête là ? Quelle erreur !.... Vous comptez sans les marchands de cravates qui vous proposent de la soie artificielle à des prix invraisemblables ; sans les vendeurs de bretelles et de ceintures, parmi lesquels brillent les traditionnels Chinois aux yeux bridés et à l’organe nasillard ; sans les négociants en tortues, sans les oiseleurs, dont les bâtonnets sont garnis de délicieuses perruches, craintivement serrées les unes contre les autres.

Et que dites-vous de ce bonhomme qui promène – piquées le long d’une perche de taille – des dizaines de jouets minuscules ? Je m’approche et constate que ces futilités comportent uniquement deux types : l’un, une République gaillarde, au bonnet phrygien penché sur l’oreille ; l’antre, un curé joufflu, rond et rose, couronné d’un bonnet carré monumental.

Je ne savais pas que l’anticléricalisme déteignait jusque sur d’inoffensifs jouets à quatre sous.....

Et pour tenter de terminer la série, signalons ce négociant d’un genre inconnu chez nous : l’homme aux scarabées. Eh oui ! Un brave type qui vend de vulgaires scarabées dorés de jardin pour 50 centimes, et vous munira d’une cage en treillis fin (contre 50 centimes supplémentaires) si vous n’entendez pas ramener la bestiole à vos enfants dans un mouchoir – ou votre étui à lorgnons.

 

 

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C’est à trente mètres de la Puerta del Sol – donc à quelques pas de la place la plus vivante de Madrid – que le 15 mars dernier, à sept heures du soir, fut incendiée l’église San Luis de la Montera.....

Tout à coup, comme par enchantement, la rue se trouva occupée par une foule de plusieurs milliers de manifestants extrémistes, qui s’employaient à arrêter toute circulation.

Tandis que se produisait cet « embouteillage » volontaire à l’extérieur, une troupe de voyous pénétrait dans l’église, en chassait les fidèles à coups de poing et de pied, se ruait sur les troncs, le tabernacle, la sacristie, les statues – défonçant, brisant mutilant et anéantissant tout avec une joie sauvage. Lorsqu’il n’y eut plus rien à voler, plus rien à profaner, les énergumènes amassèrent en tas débris de bois, confessionnaux défoncés et chasubles en lambeaux pour organiser un feu de joie. Quelques bidons d’essence firent le reste.

Et bientôt, l’église ne fut plus qu’un immense brasier dont les pompiers – maintenus en respect par les manifestants du « Front populaire » – n’osèrent approcher.

Quant aux troupes d’assaut – qui sillonnent si ostensiblement les rues de leurs patrouilles à pied et à cheval – elles assistèrent, l’arme au bras, à cette scène de vandalisme et d’émeute qui dura jusqu’à deux heures du matin. À aucun moment, le gouvernement ne leur donna l’ordre d’intervenir.

J’ai vu les ruines de l’église San Luis, et un catholique qui habite Madrid depuis un quart de siècle m’a fait le récit que je viens de vous donner.

Au cours de cette même journée du 15 mars, la populace incendia un journal d’opposition de droite, « La Nacion », piétina un officier de service dans la rue Montera, blessa grièvement trois civils inoffensifs rue Alcala, et mit finalement le feu à l’église San Ignacio, à l’église du quartier des « Quatro Caminos » et à un magasin de chaussures.

Empressons-nous d’ajouter que d’autres excès se seraient encore produits si la Jeunesse catholique n’avait courageusement pris en mains la surveillance – et la défense éventuelle – des églises. Car les révolutionnaires, dans leur fanatisme farouche, décidèrent de détruire toutes les églises et tous les couvents de Madrid. Ils n’ont pas renoncé à leur projet : je vais le prouver.

Le 2 mai (il y a donc quatre semaines environ) se produisit au quartier ouvrier des « Quatro Caminos » la fameuse histoire des « bonbons empoisonnés ».

Des enfants s’étaient sentis souffrants à la suite d’achats de friandises faits chez une marchande bien connue pour ses sentiments religieux ; les extrémistes avaient aussitôt lancé l’hypothèse d’un empoisonnement criminel préparé diaboliquement par les Religieuses du quartier et les « fascistes ». La légende se répandit comme une traînée de poudre à travers le faubourg.

Et soudain, des centaines de manifestants, hommes et femmes, se trouvaient réunis, proférant des menaces et criant vengeance, devant le couvent des Carmélites.

À ce moment, une mégère communiste aperçoit une pauvre femme qui rentrait à domicile, en poussant devant elle sa voiturette de pâtisserie et de fruits. Elle désigne l’humble marchande comme une complice probable des « empoisonneuses ».

Et deux minutes plus tard, c’est la ruée sur la malheureuse qui est jetée à terre, frappée sauvagement, dépouillée de ses vêtements et poussée – toute nue – par les rues, sous les huées, les cris de haine et de triomphe.

Un passant a finalement pitié de l’infortunée qui est prête à succomber. Il la couvre de son manteau, l’arrache – au péril de sa vie – aux mains des tourmenteurs, et parvient à la mettre à l’abri dans une maison voisine.

Pendant ce temps, le gros des manifestants extrémistes se présentait aux portes du couvent des Carmélites pour y mettre le feu. « Sors de ta tanière ! ordonnent-ils au portier – qui est laïque, marié et père d’une fille malade. Nous allons incendier la boîte et toutes les pieuses punaises qui s’y trouvent seront grillées..... »

Par les « pieuses punaises », notre homme entendait – vous l’avez saisi – les Religieuses.

Le portier, dans l’impossibilité d’alerter le couvent ou de prévenir la police, tenta quand même de gagner du temps. Qui sait ? Peut-être une intervention serait-elle permise par la Providence, à la dernière minute..... Il fallait retarder – dans toute la mesure du possible – le moment de l’entrée en action de ces brutes.

« Je vais vous obéir, messieurs, déclara alors le portier aux énergumènes qui secouaient la grille. Vous aurez libre passage. Mais, auparavant, aidez-moi à transporter ma fille dans un immeuble voisin. Elle est à l’agonie : n’avancez pas sa mort par votre tumulte ! »

Pieux mensonge, qui permit à l’honnête portier de tenir les révolutionnaires en respect pendant quelques instants et aux troupes d’assaut de sauter en bas de leurs cars, devant le couvent, à la minute précise où l’émeute forçait la première grille.....

 

 

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VI. – La main de Moscou.

 

 

Continuons ensemble notre enquête à Madrid.

Je vous ai signalé que les révolutionnaires ne sont pas disposés à freiner leurs violences anticléricales, et que le Couvent des Carmélites des « Quatro Caminos » dut son salut au courage d’un portier et à l’intervention rapide de la troupe. (Intervention – notons-le bien – dont la célérité constitue un fait heureux, et unique, dans l’histoire des troubles extrémistes de Madrid. Car, de façon régulière – et je vous le ferai à nouveau toucher du doigt tout à l’heure – la force armée n’intervient pas, ou apparaît..... une fois le désastre accompli.)

Le 1er Mai, la capitale madrilène – privée de toute activité par ordre supérieur de la CNT (Confédération nationale du travail) – laissa champ libre aux défilés rouges, aux meetings antifascistes, au chant de l’Internationale et à l’enthousiasme « prolétarien ».

Le lendemain (les discours étant une viande bien creuse) les extrémistes entendirent mettre un peu de beurre anticlérical sur le pain marxiste. Après leur tentative malheureuse devant le couvent des Carmélites, ils se présentèrent au couvent des « Las Esclavas du S. C. de Jésus », avec l’intention d’y mettre le feu.

Par bonheur, deux jeunes militaires catholiques, qui se trouvaient aux environs, eurent le temps de sauter dans le couloir d’entrée de la Maison, et de barricader la porte. Quand les révolutionnaires firent valoir leur « droit » d’entrer, les vaillants soldats répondirent : « Nous “descendrons” froidement le premier d’entre vous qui emploiera la force ! »

Grâce à cette audacieuse attitude, le Couvent fut sauvé.

Dans d’autres endroits de la capitale, les extrémistes essayèrent de piller et de profaner les églises. Mais des Catholiques armés veillaient, et les exploits escomptés ne purent se produire.

Il demeure, malgré tout, significatif que, dans un pays où le Gouvernement prétend être maître de la situation, les citoyens se voient contraints de former des phalanges de volontaires pour barrer la route aux excès des hordes révolutionnaires.

Madrid ne manque cependant pas de policiers, de gendarmes et de troupes d’assaut. Je me suis aperçu de la présence – et de l’action – des premiers, au moment où je fis viser mon passeport, selon les prescriptions réglementaires.

Je me présentai à la Chefferie de la police le matin. L’on ne me délivra le visa désiré que le soir à 8 heures – malgré tous mes papiers et la clarté de ma situation, – et après avoir fait une enquête à mon hôtel pour savoir « quelles étaient mes occupations au cours de la journée ».

Si cette prudente minutie s’appliquait aux faits et gestes des groupements révolutionnaires, Madrid – et l’Espagne entière – respireraient certes plus librement.

La capitale compte, par ailleurs, des détachements nombreux de gendarmes.

À chaque instant, vous croisez quelques-uns de ces militaires – très originaux, avec leur chapeau en cuir bouilli noir, leur longue pèlerine réséda, et les buffleteries jaunes de leur tenue soignée.

L’on dit couramment, en Espagne, que les gendarmes pencheraient plutôt vers la droite. La haine que leur ont vouée les extrémistes semble confirmer cette hypothèse. Surtout si l’on songe que le gouvernement de M. Azana (expression des volontés et des sentiments des Gauches) s’ingéniait, avant l’élection présidentielle, à déplacer très souvent officiers et hommes de troupes aux quatre coins du pays.

Ce chassé-croisé possédait sa signification...

Quant aux troupes d’assaut, elles comportent des forces à cheval, à pied, et motorisées. Madrid en est littéralement truffé. Vous ne faites pas dix pas sans croiser deux gaillards vêtus de bleu sombre – avec les guêtres de cuir et la casquette plate de nos agents cyclistes parisiens – et portant au ceinturon une confortable matraque, accompagnée d’un revolver.

Puis vous vous heurtez, de loin en loin, à des patrouilles montées, composées d’une vingtaine d’hommes, et que dirige un officier qui a – ma foi – fort bel air, sous son ample manteau doublé d’un rouge éclatant.

Enfin, à certaines places, stationne une sorte de car primitif, un châssis garni de bancs, où l’on peut prendre rapidement place pour filer sur tel ou tel point menacé. Les hommes sont prêts – à proximité. L’on dispose même de motocyclistes qui précèdent les cars et jouent le rôle de patrouilles volantes.

L’instrument destiné à défendre la population – et le Gouvernement – contre les assauts de la Révolution existe donc : il n’est que de vouloir s’en servir.....

Mais ça – dirait Kipling – c’est une autre question.....

 

 

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Le « Front Populaire » espagnol a sa tactique bien précise.

D’abord : absence totale de chefs RESPONSABLES. Lorsqu’il se produit un coup de main extrémiste, à Madrid ou ailleurs, vous chercherez en vain l’inspirateur et le conducteur du mouvement : il n’existe pas.

Pas plus que vous ne découvrirez celui, ou ceux, qui lancent les ordres de grèves multiples, au nom de la CNT. Tout se passe ANONYMEMENT.

C’est-à-dire que tout est l’œuvre d’un petit comité. Celui-ci reçoit les consignes de Moscou ; les traduit par une série de décisions appropriées ; transmet les ordres aux militants et surveille – dans l’ombre – leur exécution.

Les incendies d’églises et les pillages de magasins, à Madrid, eurent lieu ANONYMEMENT. Personne pour diriger les émeutiers. Ceux-ci accomplissaient admirablement leur joli travail, comme des personnes connaissant bien les lieux et agissant à coup sûr. On sentait l’organisation.

Pour ce qui concerne les grèves : méthodes identiques.

Brusquement, un beau matin, la nouvelle se répand que la grève générale du personnel des restaurants et des cafés est déclarée. Il paraît que la CNT est l’auteur de cette mesure destinée à « défendre » les droits populaires. La population trouve la confirmation pure et simple de l’ordre de grève dans les gazettes de gauche.

Les restaurateurs demeurent néanmoins sceptiques. N’oubliez pas que chaque semaine – à Madrid – donne naissance à une grève nouvelle, réelle ou imaginaire.

Mais voici qu’un gamin – nanti d’une cravate rouge symbolique – se présente, à la même heure, à la porte de dizaines de cafés où le personnel travaille comme de coutume : « Vous employez votre monde malgré l’ordre de grève. ON vous donne dix minutes pour renvoyer les garçons..... »

Le petit voyou fait demi-tour et disparaît. Et le commerçant s’incline.....

Car il se souvient de l’aventure survenue à des négociants madrilènes qui avaient été avertis de la même façon par un jeune émissaire « rouge » et s’étaient moqués de l’injonction : une heure plus tard, des centaines de révolutionnaires assiégeaient la boutique de l’imprudent et menaçaient de la saccager.

Vous avez un sourire incrédule ? Alors permettez-moi de vous relater un incident qui s’est produit à Madrid jeudi soir 28 mai, à la Puerta del Sol.

J’avais traversé la place une heure auparavant – sans me douter de ce qui allait se produire peu après mon passage.

Les brasseurs sont en grève depuis déjà quelque temps : la bière devient rare.

Or, le bar « Barflor » – un des plus connus de la Puerta del Sol – continue de servir de la bière à ses clients, avec une régularité dont l’ironie déplut sans doute à Messieurs les révolutionnaires. À mettre aussi en relief que la maison en cause se refusa récemment à obtempérer aux ordres des extrémistes lors de la grève du personnel des cafés.

Voici que tout à coup, vers 18 heures, deux individus font irruption au « Barflor » et intiment au patron l’ordre de fermer son établissement. Le tenancier proteste. Une altercation s’engage. Des agents surviennent et tentent de calmer les deux provocateurs.

Mais ceux-ci élèvent d’autant plus la voix que plusieurs centaines de « camarades » sont là – sur le trottoir – soudainement surgis l’on ne sait d’où..... La horde s’en mêle et demande le départ de la police, qui (à chacun son tour, n’est-ce pas ?) refuse de « circuler ».....

Les extrémistes se rendent alors au Ministère de l’Intérieur – situé de l’autre côté de la place – et y exigent la dispersion de la police du « Barflor ».

Mais pendant ce temps d’autres renforts révolutionnaires sont survenus. Et tandis que les autorités ministérielles parlementent fort courtoisement avec une partie des manifestants, l’autre partie fonce dans le « Barflor », en expulse proprement les agents à coups de trique, se rue sur les comptoirs et les casiers à bouteilles, et met le local à sac.

Lorsque les troupes d’assaut se présentèrent (elles mirent une demi-heure pour franchir cent mètres) il n’y avait plus de révolutionnaires à arrêter au « Barflor » et plus de bouteilles à boire.

J’allai vider un café au « Barflor » le lendemain de cette aventure tragi-comique et je trouvai le patron en train de diriger fébrilement l’édification d’une solide cloison de bois, destinée à protéger le comptoir et la caisse, du côté de la rue.

Cloison bien superflue.

À mon humble avis, la distribution de quelques douzaines de « marrons » sur le dos des pilleurs du « Barflor » eût mieux protégé cet établissement contre un retour offensif des émeutiers que toutes les cloisons du monde.

Mais, encore une fois, il faudrait VOULOIR.

 

 

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Les coups de force du « Front populaire » ne sont pas seulement anonymes : ils se produisent encore par surprise et sur les points les plus divers. Preuve nouvelle de la façon méthodique et soignée dont ils sont préparés.

C’est au moment où l’on s’y attend le moins qu’une horde se présente aux portes d’un couvent ; tente d’incendier une église ; fait irruption dans un magasin ; s’empare d’une usine.

Car les essais de soviétisation de fabriques ne se comptent plus, en Espagne.

Dans la capitale – puisque nous nous cantonnons à Madrid pour le moment – il s’en produisit de mémorables. Presque tous, du reste, se terminèrent par une faillite complète.

S’il fallait s’emparer simplement des locaux, des machines et des bureaux directoriaux, les choses s’annonceraient sans complications notables. Cependant, quand on a mis la main sur une affaire, il faut l’exploiter. Et – ce qui plus est – la bien exploiter, pour qu’elle produise des bénéfices et permette à la direction d’assurer l’emploi d’un personnel honnêtement rémunéré.

Or, l’on ne s’improvise pas imprimeur, fabricant de tissus, filateur, chocolatier ou métallurgiste. Le peuple espagnol – qui prête une oreille trop complaisante aux excitations de Moscou – voit uniquement le but à atteindre : le bonheur des masses par la mise en commun des sources de production.

Il ne se demande pas s’il possède les moyens d’atteindre ce but. Et il ne se doute pas que Moscou – une fois la révolution triomphante – opérera la « mise en commun » des fortunes et des forces économiques du pays..... entre les mains de l’État – au nez des prolétaires dégrisés. « Mais l’État, c’est le peuple, c’est nous », protestent les extrémistes devant des réflexions de ce genre.

À quoi je réponds : « Oui, Messieurs...., l’État “c’est NOUS” – quand il faut payer l’impôt, peiner et suer. Et l’État “c’est VOUS” – lorsqu’il s’agit de s’engraisser à bon marché aux généreux râteliers du gouvernement. »

Nous avons fait de solides expériences en France. Nous sommes fixés.

 

 

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Un gros brasseur allemand – le propriétaire de la Maison « El Aguilla » – n’y a pas été par trente-six chemins.

Se trouvant en but aux vexations répétées des extrémistes, il ferma ses bureaux, donna la clé de son usine au personnel, leva son chapeau et prit le train de Berlin en déclarant : « Au revoir, mes amis..... Quand vous aurez besoin de moi vous m’enverrez une carte postale. En attendant, je vous lègue mes établissements, mes dettes et mes nuits sans sommeil. Que la Révolution vous ait en sa sainte garde ! »

 

 

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Faut-il souligner que les grèves répétées du « Front populaire » sont uniquement destinées à énerver les travailleurs et à créer une atmosphère de découragement et de panique parmi les employeurs – comme ce fut le cas pour l’Allemand précité ?

Car les Soviets espagnols se chargeront bien – le moment venu – de la direction des usines abandonnées par leurs propriétaires. Les dettes de ces derniers ne les effraient pas. Ils assainiront toutes les comptabilités d’un trait de plume – en annulant les soldes débiteurs.

Ils ont bien agi ainsi vis-à-vis de la Dette française, et des dettes intérieures léguées par le gouvernement tsariste, pourquoi ne continueraient-ils pas ailleurs ?

En attendant, la tactique communiste chasse les touristes qui représentaient, pour l’Espagne, une source de bénéfices respectable.

J’imagine mal un Anglais à ma place – hier – dans ce café où nous étions arrêtés un instant, mon cicérone et moi, au cours de nos pérégrinations.

Mon ami. – Garçon, un verre de bière, s’il vous plaît !

Le garçon. – La brasserie est en grève, Monsieur, ne le savez-vous pas ? Je regrette.

Mon ami. – Alors, donnez-nous un..... (ici la désignation d’un apéritif madrilène que j’ai entièrement oubliée).

Le garçon. – Eh, Monsieur..... Vous n’êtes donc pas de la ville ? La grève de cette firme dure depuis deux mois.

Mon ami. – Dans ce cas nous prendrons une limonade.

Le garçon. – Bon. Je vous la servirai à l’orange. Car nous ne l’avons plus au citron : notre stock est épuisé. La grève, Monsieur.....

 

 

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Nos amis catholiques d’Espagne voient un parallélisme frappant entre la nature, les moyens d’action, les méthodes et les buts finaux des deux « Fronts populaires » français et espagnol.

Une seule différence – toute provisoire – : l’absence de troubles révolutionnaires en France, où le premier gouvernement de « Front populaire » entre à peine en activité.

Mais laissons à ce gouvernement le temps de mécontenter suffisamment les masses et de saboter les derniers vestiges de l’autorité de l’État bourgeois et nous verrons 2...

En attendant, l’histoire de Kerenski se réédite en une préface d’une impressionnante similitude : les gouvernements français et espagnol, composés de radicaux socialistes élus aux côtés des pires ennemis de l’ordre social, essaient de se dégager de la poigne révolutionnaire dont l’emprise devient chaque jour plus inexorable.

– Comment le second acte se déroulera-t-il en Espagne ? demandai-je aux trois amis qui m’accompagnaient, à mon retour à l’hôtel.

– Dans l’affolement et la faillite des partis gouvernementaux, impuissants à résister sérieusement à la pression révolutionnaire.

– Et le troisième et dernier acte ?

Celui-là se jouera dans le sang. Car, expliquez bien à vos lecteurs que l’Espagnol n’a pas le tempérament d’un moujik, et que le jour où il aura goûté au knout soviétique, il se rebellera et massacrera ses amis de la veille. Le communisme l’emportera sans doute en Espagne, mais son triomphe sera de courte durée.

 

 

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VII. – Quand triomphe la terreur.

 

 

La ville d’Alicante est d’un abord aussi ingrat du côté de la terre ferme, qu’elle devient souriante et enchanteresse du côté de la mer.

Le voyageur qui sort de l’affreuse gare du Midi – croyant prendre aussitôt contact avec la grande ville de 70 000 habitants, annoncée par les guides – tombe sur une place désertique, trouve des avenues aux constructions insignifiantes, bute dans des tas de gravier et de moellons dormant à l’ombre de palmiers poussiéreux, puis se perd en un dédale de ruelles banales.

Mais, si un cocher intelligent vous cueillait à la descente du train, pour vous amener en ville par le paseo de los Martires – le long de la plage – vous verriez Alicante sous un jour très différent.

C’est-à-dire que la cité se présenterait à vous dans toute la splendeur de son soleil ; dans toute l’harmonie de son déploiement aux flancs abrupts des collines flamboyantes ; dans toute la majesté de cette inimitable toile de fond : un éperon rocheux tendant vers le ciel bleu, les murailles roses du vieux fort de Santa Barbara.

Je ne connus pas – hélas ! – le « cocher intelligent ».

Ayant confié mon sort et celui de mes valises à une petite voiture traînée par un cheval assez décidé, je subis – sur les pavés pointus – une épreuve de sauts, de heurts et d’exercices d’équilibre d’une incontestable originalité.

Cela ne m’empêcha pas, toutefois, de remplir mes devoirs d’observateur, et de remarquer – au passage – que la grande École des Salésiens, brûlée par les extrémistes lors de la proclamation de la République en 1931, dominait toujours le palais du Gouvernement provincial de ses pignons noircis.

Cela faisait, de suite, très « Front populaire ».

D’autant plus que les murs de la ville s’acharnaient – de leur côté – à crier éperdument les opinions avancées des habitants par la craie, le charbon, la peinture, les papillons et l’affiche. La gloire des vainqueurs du 16 février se chante, ici, en phrases, rimes, expressions et signes d’une infinie variation. Vous trouverez la faucille et le marteau traditionnels, et le « Vive la révolution » classique, sur la vespasienne, comme à la porte d’immeubles bourgeois.

Et si vous n’êtes pas encore suffisamment convaincu, observez cet ouvrier qui fait signe au tramway d’arrêter : le geste sera celui du poing levé, à la russe.

De même que les seuls journaux criés dans la rue sont des feuilles révolutionnaires, vendues par des troupes de pâles vauriens dont quelques-uns ont une tête de candidat à la Maison de Correction.

Mais n’évoquons pas l’image d’une institution qui n’existe plus dans l’Espagne moderne. On concentre tous les efforts de « redressement » – pour l’heure – sur les curés et les fascistes.

 

 

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Qui croirait, en considérant les citadins souriants, loquaces et amènes en promenade dans les rues commerçantes et sur les promenades de la plage, qu’Alicante connut – à la fin de février dernier – les beautés intégrales du régime communiste ?

Questionnez un bourgeois : il vous opposera un mutisme aimable, en haussant une épaule indulgente. Interrogez un ouvrier : il vous répondra que les troubles furent bénins, et provoqués par les excitations « fascistes ». Essayez de visiter les églises dévastées : vous tombez sur un portail soigneusement fermé. Cherchez l’emplacement des maisons particulières incendiées : vous trouvez un chantier où des maçons narquois vous déclarent : « Alors... On construit une maison, quoi !... Ça vous étonne ?... ».

Mais il existe encore des gens, à Alicante, qui ont vu et osent parler, quand le questionneur offre de suffisantes garanties... Je vais donc tenter de vous transmettre – sans commentaires – le récit que j’ai recueilli.

 

 

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Au moment des élections de février, le gouverneur civil de la province d’Alicante était un certain M. Vives, qui ne brillait pas précisément par le courage.

Quand ce haut fonctionnaire connut les résultats de la consultation populaire – c’est-à-dire la victoire des Gauches – il boucla ses malles, délégua ses pouvoirs au premier secrétaire et disparut.

Cela se passait le 18 février au matin.

Le 19 février, Alicante proclamait la grève générale. Au cours de la matinée, une délégation d’ouvriers se présenta au secrétaire de M. Vives pour lui annoncer qu’on ne lui reconnaissait aucun droit de commandement, et le prier de disparaître, à l’exemple de son chef. Le commandant militaire de la ville – mis au courant de l’incident – se décide à ordonner l’état de guerre.

Le 20 février, au matin – après une nuit passée en discussions mouvementées – le « Front populaire » nomme un nouveau gouverneur, M. Alvaro Botella y Perrez, qui s’empresse de faire cesser l’état de guerre, et invite les masses à fêter en toute liberté le triomphe électoral des Gauches.

Des affiches annoncent la bonne nouvelle à travers la ville. Et le maire d’Alicante – ayant reçu un groupe d’ouvriers – les reconduit jusque dans la rue où il crie à la foule amassée : « Mes amis, vous êtes libres... Vous êtes les maîtres..... FAITES TOUT CE QUE VOUS VOUDREZ..... »

Au même moment, le citoyen Milan – chef du parti communiste – établissait son quartier général aux côtés du gouverneur Alvaro Botella, et prenait en mains la direction des Affaires.

 

 

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 « Faites ce que vous voudrez... » avait dit le maire.

Le Gouvernement de Madrid – de son côté – répondait aux coups de téléphone angoissés du gouverneur militaire : « Ne provoquez pas la foule... Pas de déploiement de troupes... Qu’on laisse le peuple à ses “caprices”... »

Pourquoi, dès lors, se gênerait-on ?

Et voici que la lie de la population – grossie de meneurs des environs – déferle, telle une vague, dans les rues de la ville.

L’on pousse des clameurs de triomphe, qui deviennent vite des cris de haine et des appels à l’anarchie. Des rassemblements se produisent sur les places ; devant les bâtiments publics ; près des églises. Des bouteilles de vin volé circulent. L’alcool, les discours, la fièvre révolutionnaire produisent lentement leur effet.

Et tout à coup une mégère lève furieusement le poing : « Mort aux “cafards” !... Qu’on les brûle !... À Santa Maria !... »

« À Santa Maria !... » répètent mille voix enthousiastes.

Et c’est le drame qui commence.

Dans l’après-midi et la soirée du 20 février, la foule incendia l’église de Santa Maria ; l’église de Notre-Dame de la Miséricorde ; le couvent des Franciscains ; le couvent et la chapelle des Sœurs de la Sangre ; l’Asile de Notre-Dame del Remedio, et le siège de la Congrégation de Saint-Louis.

À Notre-Dame de la Miséricorde, la populace traîna le curé de la paroisse dans la rue, lui cracha au visage, le dévêtit, et le roua de coups.

Les Sœurs de charité qui dirigent l’Asile de Notre-Dame del Remedio – et consacrent leur vie à soigner les malades – furent insultées et frappées.

Tandis que flambaient églises et couvents, la tourbe révolutionnaire se rabattit sur d’autres immeubles.

L’on mit successivement le feu au Cercle des Étudiants catholiques ; au Cercle catholique ; aux bureaux de la « Droite régionale agrarienne » ; au « Cercle radical modéré », en prenant le soin de détruire systématiquement livres, archives, bibliothèques.

Puis la fureur de la foule délirante se tourna contre les journaux de l’opposition. Le « Mas » (de la « Droite agrarienne ») ; « El Dia » (feuille modérée), et le « Diario d’Alicante » (organe de combat de M. Chapaprieta) furent détruits de fond en comble. Rédaction, archives, bibliothèques, salles des machines : les énergumènes n’épargnèrent rien.

Tout fut brisé, saccagé, détruit ou brûlé.

De nombreux habitants de la ville – qui appartenaient aux partis de Droite – avaient jugé prudent de se sauver, dès le début de l’émeute.

Ayant eu connaissance de la chose, les révolutionnaires se présentèrent au domicile des « fuyards », enfoncèrent les portes, se répandirent à travers les chambres et volèrent à loisir. Ce qui ne put être emporté devint la proie des flammes.

Dans la rue s’allumaient de hauts brasiers où l’on poussait les objets et les meubles qui tombaient des fenêtres. Les cris, le bruit, le désordre augmentaient d’heure en heure.

À tout moment montait dans l’air la lueur sinistre d’un incendie nouveau. Les immeubles brûlaient par dizaines, menaçant de communiquer le feu à des quartiers entiers. Le vent avivait les flammes et répandait des traînées d’étincelles au ras des toits.

Une immense lueur rouge montait de la ville en folie. Le fort de Santa Barbara disparaissait derrière un lourd nuage de fumée.

Alicante flambait comme une torche.

Ce n’est que tard dans la soirée – au moment où les émeutiers brisaient les portes de la prison, pour délivrer les détenus – que le gouverneur civil se décida à rétablir l’état de guerre et à demander l’intervention des troupes.

Le 4e régiment d’infanterie descendit dans la rue. La fusillade crépita. Les charges se succédèrent, pour dégager les principales artères.

Au cours de l’une d’elles, un jeune officier – du nom d’Eseguer – fut touché mortellement. Tandis qu’il se tordait à terre, dans les affres de l’agonie, les révolutionnaires l’achevèrent à coups de talon.

C’est seulement le 21 février au matin que l’ordre commença de se rétablir.

S’il n’avait dépendu que du gouverneur civil – créature du « Front populaire » – les troupes se seraient contentées de refouler ou de contenir mollement les émeutiers.

Cela signifie que la ville d’Alicante eût été entièrement pillée et brûlée. Les officiers prirent sur eux de mitrailler les rebelles ; et la cité dut son salut à cette initiative.

 

 

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J’avais vainement tenté de pénétrer dans l’église de San Nicolas de Bari, où les révolutionnaires se sont contentés – exception heureuse – de commettre diverses déprédations modérées.

Comme j’arpentais l’étroite place del Abad Penalva, en déchiffrant les noms des curés-docteurs en théologie du 18e siècle inscrits en grandes lettres rouges sur les hautes murailles de l’édifice, un groupe de gamins vint à ma rencontre.

Ces petits avaient quitté leurs billes pour me demander ce que je cherchais : le geste valait bien quelques sous. Enchantés de l’aubaine, les gosses s’offrirent à me conduire au port. Je calmai leur enthousiasme, et les priai de me renseigner – simplement – sur les heures d’ouverture de l’église San Nicolas.

Une stupeur mêlée de défiance saisit alors la troupe enfantine. L’on me jeta un hâtif « Manana... » (demain). Puis les gosses disparurent.

Or, ce n’était pas le lendemain – mais un quart d’heure plus tard – que l’église ouvrait ses portes (sous la surveillance d’un bedeau craintif) pour le salut du Mois de Marie.

Cette ignorance hostile de bambins habitant le quartier possédait son éloquence.

J’entrai à San Nicolas.

Ah ! le pauvre, l’émotionnant « Mois de Marie » !...

Dans le vaste édifice – dont les murs nus, privés de tout ornement rappellent la sévérité des temples protestants – sont agenouillés deux hommes et trente-cinq femmes (j’ai exactement dénombré l’assistance). Trente-sept fidèles, pour la principale paroisse d’Alicante...

Sur l’autel brillent une dizaine de cierges. Le chœur est vide. Seul un prêtre en surplis se tient agenouillé près du banc de communion.

L’officiant – qui dirige la prière, coupée de chants – échappe aux regards. Je le découvre, enfin, sous les arceaux d’une chapelle latérale, entouré de quelques autres prêtres. Coutume du pays ou – plus simplement – compréhensible prudence ?...

Et tandis que les derniers échos d’un Ave Maria timide – si timide – se perdent dans la grande église assombrie, je sors, le cœur alourdi d’une inexprimable tristesse...

 

 

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Ce matin, dimanche, Alicante se réveille et s’agite dans son atmosphère habituelle.

La plupart des magasins sont ouverts. Les terrasses de café fourmillent de clients tapageurs. Les jeunes femmes promènent leur maquillage savant sous les palmiers du paseo de los Martires ; et les jeunes gens – mains aux poches et pas nonchalant – exhibent des chevelures minutieusement frisottées, ou plates et luisantes : comme un bol de gélatine sur lequel on aurait versé une bouteille d’encre.

Les barques se balancent légèrement dans le port.

Des menuisiers travaillent à la réparation d’un bateau de pêche ventru, victime de quelque mésaventure.

Le long des quais : un hérissement de gaules, dont les possesseurs fument ou pérorent.

Un marin anglais déambule – sec et roide – avec l’air d’un monsieur qui porte le canal de Suez dans sa blague à tabac. Des marchands de glace et de boissons diversement coloriées crient leurs offres tentantes.

La « Claridad », la gazette extrémiste de Largo Caballero, circule au poing d’un jeune vendeur plein de zèle. Et un agent de police ventru – au casque colonial immaculé – crache majestueusement, entre les bouffées régulières qu’il tire d’un cigare à l’épaisseur provocante.

Et puis c’est tout.

Où sont les beaux dimanches de nos villes et villages d’Alsace : tout vibrants de foi, de spiritualité et de paisible bonheur ? Où sont nos églises, aux foules recueillies ? Où sont nos joyeuses cloches, dont les carillons familiers déroulent leurs ondes sonores, douces comme un salut, pressantes comme un appel ? Où sont nos croyances, nos traditions, nos respects, nos fiertés de chrétiens ?

Alicante, aussi, fut chrétien, et connut la prospérité, dans la paix des cœurs.

Mais c’était avant le triomphe du communisme...

 

 

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Alicante ne possède pas, toutefois, l’exclusivité de la sollicitude bolcheviste. D’autres villes voisines ont payé leur tribut à la révolution.

À Valence, les extrémistes s’en prirent à la chapelle de Notre-Dame des Abandonnés, qui date de 1667, et renfermé une Vierge fameuse aux ornements d’une rare richesse. C’est à grand peine que les soldats arrivèrent à contenir la foule.

Le « Front populaire » tenta, également, de s’emparer de l’église San Juan del Mercado – où se trouvent des statues, des tableaux et des bronzes valant des centaines de milliers de pesetas. Ici encore, les assaillants purent être maîtrisés.

La populace se vengea en mettant le feu à la prison. Les soldats tirèrent : il y eut des morts et des blessés.

À Villanueva de Cestellon, bien connue dans la région pour sa belle église ogivale, ses orangers et ses cultures de riz, les révolutionnaires envahirent le Collège de San Domingo, tenu par des Religieuses. En un tournemain les pauvres femmes sont empoignées, frappées, déshabillées et poussées dans la cour de l’établissement, où des tortionnaires leur infligent d’indignes traitements. Pendant ce temps, la populace met le feu au collège, qui n’est bientôt qu’un amas de décombres.

À Jumilla, ville de 20 000 habitants, sise à une cinquantaine de kilomètres d’Alicante, se produisirent des scènes affreuses.

Dès le lendemain des élections, le « Front populaire » avait pris possession de la rue, où déambulaient des groupes menaçants de manifestants.

Or, tandis que les extrémistes se concertent – au sujet du « plan d’action » à suivre – voici que passent des soldats, conduisant deux jeunes gens en prison. La foule interroge les gardes : « Pourquoi les emmenez-vous ? » – « Ils sont accusés d’avoir tiré sur les socialistes. » Un long hurlement accueille cette réponse.

Sans laisser aux soldats le temps d’intervenir, des mégères se ruent vers les prisonniers, s’agrippent à leurs vêtements, leur labourent le visage à coups de griffes, leur arrachent les cheveux par poignées, et arrivent finalement à bousculer les gardes – qui lâchent les malheureux jeunes gens, et se sauvent.

C’est alors un spectacle indescriptible.

Les manifestants s’acharnent par centaines autour des loques pantelantes, qui gisent à présent, dans le sang et la boue. Chacun veut donner son coup de pied, allonger sa bourrade, assouvir sa folie haineuse.

Une jeune femme – gesticulant au-dessus des deux « fascistes » – crie soudain : « Je veux les décapiter. Qu’on me cherche une hache. Vive la révolution ! »

Quelques instants plus tard, la hache est là.

La furie s’en empare, la soulève, l’abat sur les deux corps sans vie – et ne la repose qu’après avoir littéralement réduit en bouillie cette chair humaine fumante...

Le même jour les extrémistes assaillirent un vieux banquier, et lui tranchèrent la tête, qu’un groupe de voyous promena au bout d’une pique à travers les rues.

Quant aux commerçants, petits bourgeois, officiers qui subirent les pires sévices : on ne les compte plus. La plupart de ces infortunés furent traités à un point tel que l’on dut les transporter sur des civières à l’hôpital civil, devenu soudain trop petit.

À noter que la ville de Jumilla se trouvait – au moment ou se déroulaient ces scènes atroces – au pouvoir d’un soviet communiste, mis à la place de l’ancienne municipalité.

À Yecla – autre petite ville voisine d’Alicante – la populace se distingua par des excès auxquels on chercherait en vain le qualificatif approprié.

Les troubles commencèrent dès le lendemain du 16 février. Mais ils n’atteignirent toute leur violence qu’au début de mars. Les journées des 15 et 16 mars battirent le record de l’horreur.

Elles débutèrent par l’invasion et la profanation des églises et couvents de la ville.

L’église du Sauveur, la Purissima, l’église des Conceptionnistes, celle du couvent de la Vierge de Los, et le sanctuaire du Castillo reçurent la visite des révolutionnaires.

S’affublant des ornements sacerdotaux, brandissant bannières, croix, goupillons, calices, les émeutiers officièrent aux autels, en poussant des blasphèmes accompagnés de gestes et de mimiques impossibles à préciser. Les tabernacles éventrés furent souillés ; les hosties jetées à terre et piétinées.

Tandis que des ivrognes buvaient dans les calices, d’autres saccageaient les sacristies, déchiraient les livres saints, décapitaient les statues, crevaient les tableaux, forçaient les troncs, couvraient les murs d’ordures.

Dans les chapelles latérales et les confessionnaux se passaient des actes défiant la plume. Le soviet local avait décrété l’union libre, de sorte que tout était permis. La foule ne constituait plus qu’un troupeau de bêtes en folie, s’enfonçant avec sadisme dans les plus monstrueuses aberrations...

Et quand la populace fut fatiguée de ses saturnales sacrilèges, elle incendia les édifices où elles s’étaient déroulées.

Je pourrais allonger à l’infini ces navrants récits : mais ils se ressemblent tous.

Car ils portent sur des faits qui naquirent d’un état d’esprit identique, provoqué par les mêmes excitations. Et puis ces tristesses m’accablent : je l’avoue franchement. Je plains les innombrables malheureux qui en furent les victimes, comme je plains les insensés qui les causèrent.

Car la population espagnole – dans son immense majorité – se compose d’éléments sains, bien équilibrés et dignes d’une sincère sympathie.

Les vrais coupables – je l’ai déjà dit et tiens à le répéter – sont les ÉMISSAIRES DE MOSCOU.

Le bolchevisme pourrit tout ce qu’il touche. Et l’Espagne est livrée sans défense – à l’heure actuelle – aux influences léninistes. Comment s’étonnerait-t-on des drames qui se sont joués hier dans cet infortuné pays – et s’y joueront encore demain ?

 

 

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VIII. – Problèmes sociaux.

 

 

Quitter la Méditerranée pour l’Océan Atlantique, en suivant la côte d’Alicante à Cadix, représente une opération que la proverbiale lenteur des lignes secondaires espagnoles rend tout à fait impossible.

Force me fut donc de remonter vers Madrid, d’où je venais, pour me placer sur la route de l’express qui relie la capitale à Séville et Cadix, en un délai relativement raisonnable.

Cette manœuvre m’imposa un arrêt de cinq heures à Alcazar de San Juan.

Alcazar est une petite ville de 25 000 habitants s’élevant au centre des vastes vignobles de la « Mancha », ce qui lui assure un commerce très actif. J’ai eu l’occasion, depuis mon arrivée ici, de traverser maint village. Leur caractère primitif ne me surprit pas outre mesure. L’Espagne n’est point le seul pays où n’aient point encore pénétré les bienfaits de l’électrification, de l’adduction d’eau, de l’hygiène et du progrès moderne.

Et il importe de ne pas brandir systématiquement le gabarit français quand on mesure les mérites de l’Étranger, car on risquerait parfois de tomber dans une exigence trop sévère.

Toutefois, une agglomération de 25 000 habitants ne forme plus un village. L’on est en droit de lui demander un peu d’organisation, un minimum de confort, de tenue.

Or, voici ce que j’ai trouvé à Alcazar de San Juan, c’est-à-dire à 150 kilomètres de Madrid.

Au sortir de la gare – ou règne, ceci dit en passant, un impressionnant désordre – se présente une rue bordée d’arbres qui aboutit, quatre cents mètres plus loin, à la place de l’hôtel de ville. Cette place, bien que jonchée de papiers et de détritus, n’en possède pas moins un pavage à peu près en bon état (où les voitures doivent casser un minimum de ressorts) et deux trottoirs revêtus de souvenirs cimentés.

Mais à partir de la place, commence un Far West vicinal tel que je n’en ai pas admiré de plus pittoresque en Croatie et sur les frontières helléno-bulgares.

Imaginez des sortes de pistes, crevées de trous d’un mètre de circonférence, creusées de fondrières de 0 m. 50 de profondeur, rehaussées par endroits de tas de boue, de bosses inattendues, d’amas d’immondices sans nom, penchant, d’un côté, vers un trottoir en ruines, montant, de l’autre, le long de maisons tristes aux murs lépreux, comme si l’on entendait se livrer à la parodie lamentable d’une pente de vélodrome.

Disposez des tonneaux vides un peu de tous côtés. Flanquez-les de mulets en patiente faction, ou de charrettes dressant vers le ciel leurs bras paresseux.

Mettez d’épaisses commères, assises sur des chaises basses, derrière les tonneaux.

Lâchez des gosses dépenaillés à l’ombre des charrettes.

Ouvrez le passage aux troupeaux de chèvres qui parcourent la ville en tous sens pour offrir leur lait à domicile..... Et vous aurez une idée à peu près exacte des rues d’Alcazar, au point de vue « pictural ».

Si vous désirez raffiner et faire intervenir les odeurs en même temps que la couleur, je vous prierai de surveiller de plus près les commères, les enfants et les chèvres.

Les premières vident certains seaux ; les seconds certains intestins ; et les troisièmes certaines vessies, dont les produits conjugués dégagent – sous le soleil ardent de juin – une symphonie « olfactive » d’un irrésistible effet.

Et dans ces « rues », qui constituent un véritable défi au siècle où nous vivons, déambulent gravement – chapeau ciré et buffleteries impeccables – les deux gendarmes réséda dont on retrouve partout la tenace image, de midi à minuit, et de minuit à midi.

 

 

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J’avais décerné à Alicante la palme du communisme « mural ». Quelle hérésie !..... Elle revient sans conteste à Alcazar.

Pas une maison, pas un mur, pas une borne qui n’aient leur inscription ou leur dessin.

La faucille et le marteau entrecroisés alternent avec l’étoile bolcheviste et les trois lettres magiques UHP (« Union Hermanos Proletarios », ce qui signifie : « Union des frères prolétariens »).

La violence des sentiments exprimés est extrême. « Vive Lénine » – « Mort aux curés » – « Vive Staline » – « Vive la Révolution mondiale » – « Mort au fascisme » – « Les soviets partout ». Telles sont les inscriptions qui se répètent à l’infini.

Elles s’étalent en gros caractères rouges ; s’imposent à l’œil ; arrêtent l’attention ; vous poursuivent ; vous harcèlent ; deviennent une obsession d’où naît un indéfinissable désarroi.

Savante manœuvre.

Lorsque l’homme, saoulé de ces appels à la haine, porte les yeux autour de lui ; voit l’insalubrité, la laideur hostile, le désordre suranné de la ville où coule sa vie ; et songe au progrès, à la libération, aux paradis prometteurs dont s’alourdissent les inscriptions soviétiques..... Vous comprenez ?

Alors il suffit d’un journal adroitement glissé, d’une réunion où palabrera un beau phraseur, pour amener un militant de plus aux hordes de la révolution.

Ce sont les maisons sans hygiène et les rues sans joie qui accueillent la peste communiste ; le chômage et les bas salaires font le reste.

Combien de telles maisons et de telles rues, dans la malheureuse Espagne !..... Et combien aussi de chômeurs et d’exploités !.....

Je me suis fait présenter la feuille de paie de douze ouvriers agricoles, entre Séville et Cadix : savez-vous ce que ces jeunes gens de 20 à 30 ans gagnent par mois de 25 jours de travail ? Une moyenne de VINGT PESETAS. Soit : QUARANTE FRANCS français. Admettons que la vie soit 50 pour cent moins chère ici qu’en France, et portez la force de ces 40 francs espagnols à 80 francs français.

JE POSE LA QUESTION : DE JEUNES HOMMES GAGNANT 80 FRANCS PAR MOIS, PEUVENT-ILS VIVRE, FONDER UNE FAMILLE, ET RÉSISTER – EN CES TEMPS DE BOULEVERSEMENTS SOCIAUX – AUX APPELS PROMETTEURS DU COMMUNISME ?

 

 

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J’ai interrogé jusqu’à présent pas mal de catholiques et de conservateurs.

Ne croyez pas cependant, que je me sois abstenu d’entrer en contact avec des éléments de gauche. Je n’ai pas présenté ma carte de journaliste catholique à la porte des « Maisons du Peuple », bien sûr. Car ces Messieurs les Rouges, fort bien renseignés dans tous les domaines, m’eussent offert la semelle de leurs plus larges chaussures.

J’ai fait mieux.

Je me suis systématiquement attaqué aux voyageurs que le hasard conduisit dans mes successifs compartiments, au cours des deux mille kilomètres de route déjà parcourus. Et lorsque je me trouvais en face d’un compagnon intéressant, ne cachant pas ses idées avancées et disposé à en discuter, je sortais deux « filipinos » de 40 centimes (voyez ma perfidie.....) et engageais la conversation.

Il me fut permis d’interviewer ainsi bon nombre de personnes.

J’ai à mon actif, entre autres, un garçon d’hôtel sans travail ; un chauffeur de taxi de retour d’une noce ; une ancienne « terrienne » qui fut pendant 11 ans domestique à Paris (.....et ne reçut naturellement pas de « filipino ».....) ; et un employé de magasin de Madrid.

Je vais leur donner la parole.

 

 

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LE GARÇON D’HÔTEL. – J’ai travaillé en France pendant la guerre. Partout je trouvai des camarades sympathiques. Et partout aussi je constatai que les chefs de Maison, les « bourgeois » travaillaient comme nous.

Les patrons étaient souvent dans les ateliers à 6 heures du matin, et au bureau jusqu’à 8 heures du soir. Voilà une chose inconnue en Espagne.

Chez nous, un Monsieur qui a gagné 100 000 pesetas s’estime assez riche. Il se croise les bras, va au café, court le cotillon et devient un poids mort dans la société. Il se moque de celui qui peine pour gagner sa vie ; ou de celui qui ne trouve plus à la gagner. C’est un égoïste.

Nous avons des milliers et des milliers d’égoïstes semblables, ici.

Faites encore entrer en ligne de compte la vieille aristocratie terrienne ; celle qui date du régime royal ; vit de père en fils sur d’immenses domaines ; se contente d’aller chez le paysan une fois l’an pour toucher le fermage ; et vit le reste du temps à la mer, ou dans les quartiers « chics » de la capitale. Et vous aurez une fameuse collection de fainéants et d’inutiles supplémentaires.

Tous ces parasites doivent disparaître.

Et c’est pour aider à leur disparition que je suis « Front Populaire ».

Du travail pour tous ; la justice et l’égalité pour tous ; du bien-être pour tous : voilà notre devise. Et comme les gouvernements bourgeois actuels sont incapables de réaliser ce programme (parce qu’ils ont eux-mêmes de grosses fortunes à défendre) nous n’espérons plus qu’en Largo Caballero.

MOI. – Alors, ce sera le Communisme ?

LUI. – Parfaitement. Et nous l’aurons peut-être plus vite que vous ne le supposez.....

 

 

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LE CHAUFFEUR DE TAXI. – Je ne marche pas avec Largo Caballero, parce que je suis ennemi de l’anarchie et de l’aventure. Mais j’appartiens au parti socialiste : comment voulez-vous qu’on fasse autrement ? L’ouvrier espagnol gagne des salaires de famine. Comparez donc notre sort à celui de vos travailleurs.

Vous êtes des rois, chez vous. Vous touchez des salaires et appointements doubles ou triples des nôtres (je sais ce que je dis ; j’ai vécu 5 ans à Lyon) ; et quand vous n’avez plus d’emploi, l’État vous alloue des secours de chômage.

Ici, le sans-travail ne reçoit rien de personne. Il n’a plus qu’une ressource : la mendicité au coin des rues. Vous pensez bien qu’une pareille situation ne peut plus durer.

MOI. – Il y a eu certaines améliorations, cependant ? Azana est un ami du peuple. Vous l’avez élu Président de la République.

LUI. – Les progrès réalisés sont minces. Nous sommes plus libres que sous Gil Robles, qui s’essayait à la Dictature : bien entendu. On respire mieux.

Mais le chômage est toujours là. Le bas salaire aussi. Et la grosse fortune de même.

Tant que le paysan n’aura pas sa terre à lui ; et que l’ouvrier ne participera pas aux affaires de sa « boîte ».....

MOI. – Ces réformes ne figurent-elles pas au programme du « Front Populaire » accepté par les bourgeois avancés ?

LUI. – Oui et non. Et c’est là le drame.

Si les bourgeois de gauche refusent de suivre leurs alliés du 16 Février sur le terrain d’une politique franchement socialiste, ils seront balayés. Car déjà les Espagnols ne se contentent plus du socialisme. Ils souhaitent carrément l’intervention du Bolchevisme. Or Azana et ses amis ne veulent – et ne peuvent pas – accepter l’expérience soviétique.

Et, d’un autre côté, ils ne se résoudront pas – selon toutes probabilités – à faire des réformes hardies, qui leur permettraient de s’appuyer sur une large majorité socialiste. De sorte que socialistes et communistes, également déçus, se ligueront contre Azana.

Et comme les communistes sont les mieux organisés ; les plus ardents ; les plus populaires, ils prendront la direction du « mouvement ».

MOI. – Ce sera donc le triomphe final de Moscou ?

LUI. – Je le crois.

 

 

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L’ancienne femme de chambre parisienne me fit une étonnante profession de foi anticléricale.

Elle chanta les libertés dont elle jouissait en France, et se félicita des mesures énergiques prises envers les Congrégations espagnoles, ces « mortels ennemis du peuple ».

MOI. – Vous avez des griefs particuliers contre les Congrégations ?

ELLE. – Oui. Ces gens-là amènent la guerre. C’est le Pape qui a poussé Mussolini à combattre les Éthiopiens.

MOI. – Pourquoi ?

ELLE (avec une astuce bien..... féminine). – Demandez-le à Gil Robles.....

Puis, sautant à une autre idée, elle ajouta :

« D’abord, les riches n’ont qu’à payer les contributions : ils gagnent assez d’argent sur notre dos. Et il faut encore qu’ils restituent une partie de ce qu’ils possèdent : ce sera justice. Le bien mal acquis doit retourner au peuple.

Du reste, les bourgeois ne sont qu’au commencement de leurs peines. Attendez donc que Largo Caballero ait pris le pouvoir..... »

Et ma voisine accompagna sa dernière réflexion d’un regard où brillait soudain une bien inquiétante flamme.

Je ne voudrais pas me trouver entre les griffes de cette petite femme aux yeux d’acier..... le soir de la « lutte finale ».....

Je tenais absolument à connaître l’avis de ma compagne de route relativement aux excès anticléricaux étalés par les révolutionnaires au cours des semaines écoulées. Mais je ne commettrais plus la naïveté de lui dire (comme je le faisais candidement au début) :

« Vous avez infligé de bien rudes traitements à l’Église espagnole, hein ? »

Car la petite dame m’eût rétorqué – à l’exemple de tous les partisans du « Front Populaire » amenés sur ce terrain brûlant :

« Odieuses calomnies de la presse étrangère, Monsieur. Nous avons rogné le pouvoir des curés et des moines, mais sans violences. »

Par ailleurs, je tenais à prendre une malicieuse revanche de la répartie à la Gil Robles.....

Je dis donc à ma voisine – en arborant ce petit air d’impertinence supérieure qui fait si bien sur les faces anguleuses des Britanniques : « Je crois – cela dit entre nous – que vous vous vantez beaucoup, chez les adhérents du “Front Populaire”, quand vous prétendez avoir mis l’Église espagnole à la raison. Pour l’anticléricalisme, vous ne nous arrivez pas à la cheville. »

La petite dame me considéra d’un œil méprisant : « Ah ! vous croyez ?.... Eh bien, ça prouve que vous parlez de choses que vous ne connaissez pas.

Allez donc à Alicante, Grenade, Murcie, et dans tout le Sud : et vous demanderez aux gens si nous n’avons pas su “dresser” les curés et nettoyer le nid à vermine des couvents.

Et nous ne faisons que commencer..... »

Je me fendis alors du plus gracieux sourire, et répondis : « Merci de l’aveu, Madame. Vous êtes la première militante de gauche qui consente à me dire qu’il existe une persécution religieuse, en Espagne..... »

Si les regards fusillaient, je serais tombé raide mort dans le compartiment.....

 

 

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L’EMPLOYÉ DE COMMERCE. – J’ai voté pour le radical Azana : c’est un type à la page.

MOI. – Mais s’il ne remplit pas les promesses intégrales du « Front Populaire » ? Vous savez qu’on lui prête cette intention, dans les milieux de Gauche ?

LUI. – Alors, tant pis : on le « balancera », pour marcher avec les socialistes.

MOI. – Si les socialistes freinent à leur tour ?

LUI. – Ils obligeront le peuple à passer aux communistes.

MOI. – Et si Moscou décevait le pays au cours d’expériences ne convenant pas au tempérament plutôt indocile des Espagnols ?

LUI. – Alors, on recommencerait en sens inverse : par la Monarchie..... Mais, dites donc, allez-vous longtemps vous f..... de moi, avec vos « si » ?

 

 

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Un train espagnol – nous l’avons déjà écrit – n’est jamais pressé.

Mais il possède cette autre caractéristique de ne jamais perdre le sens de la fantaisie et de l’originalité. Si vous croyez qu’il vous est possible de lire le journal dans un compartiment de troisième classe, entre Cordoue et Cadix, c’est que vous possédez de fortes illusions.

D’abord l’ambiance.

Le peuple espagnol compte parmi les plus bavards de la terre. Et il remue beaucoup.

Vous rencontrez des types terribles, qui parcourent les couloirs en roulant les « r » avec des mines de spadassins. Vous les croyez prêts à vous jeter une bombe..... quand ils sortent un étui à cigarettes, pour vous le tendre avec un sourire charmant.

Les femmes causent très haut – sur le mode suraigu – : la rapidité de leur élocution tient du prodige. Elles me font songer aux Grecs, que je croyais passés maîtres dans l’art de moudre les paroles.

Les enfants s’affirment criards, turbulents à l’extrême, et rachètent ces menus défauts par la façon confiante et gentille dont ils traitent les étrangers. Offrez un bonbon ou un quartier d’orange à un gosse : vous avez conquis d’un seul coup le compartiment, et c’est à qui s’ingéniera à vous témoigner le maximum d’amabilité.

Vous le comprenez : impossible de parcourir une gazette dans cette atmosphère agitée – et sympathique.

Et puis, veuillez noter que le contrôleur des billets passe, repasse, et insiste : poli, mais formel. À tout moment, il s’agit de sortir son portefeuille.

Si vous croyez jouir d’une seconde d’isolement, vous vous méprenez : car voici un marchand de madeleines et de pâtisseries à l’huile, surgi de je ne sais où, qui vous met sous le nez un gigantesque panier.

Vous le renvoyez ? Bien. Deux minutes plus tard apparaît un autre vendeur, dont vous devrez – de gré ou de force – accepter un bonbon d’essai.

Vous déclarez ne pas aimer les douceurs ? Parfait. Alors vous serez condamné à les voir entre les mains de tous vos compagnons de route. Car voici un camelot jovial, à la veste blanche, qui brandit des billets roses d’une main, et présente une boîte de caramels de l’autre. Ce nouveau tortionnaire est simplement le « tireur de loterie » traditionnel. Il remet ses caramels entre les mains du sort.

Vous prenez un billet – pour la somme modique de 10 centimes – ; et quand l’homme a placé ses vingt papiers roses (ce qui représente deux fois la valeur de la boîte de bonbons), l’on tire le numéro gagnant à l’aide de jetons mêlés au fond d’un petit sac.

L’heureux gagnant est acclamé par tout le wagon –prodigieusement intéressé à l’évènement. Il distribue ses caramels de droite et de gauche, tandis que le « tireur de loterie » recommence son opération au milieu de la gaîté générale. Il attendra, pour passer au wagon suivant, que ses billets aient entièrement épuisé le goût de la clientèle.

Et puis, voici que le train entre dans une gare.

Immédiatement, c’est une ruée de l’extérieur vers l’intérieur.

D’abord apparaissent les mendiants – dont le zèle est effroyable. Jamais, je n’ai rencontré autant de boiteux agiles ; d’aveugles rapides ; et de béquillards affairés. Tout ce monde se répand dans les couloirs, exhibe des tumeurs, expose des moignons, étale des visages souffreteux, fait appel en termes éloquents au bon cœur des voyageurs charitables.

J’ai remarqué des gamins de 12 et 13 ans qui connaissaient remarquablement l’art de simuler la souffrance et la faim sur leur visage pâlot. Car – parmi ces malheureux – il existe un certain nombre d’habiles « débrouillards » qui vivent uniquement de l’exploitation des trains. La chose paraît sans doute normale – ou bien anodine – car les gendarmes armés qui se tiennent dans tous les convois espagnols ne font rien contre la mendicité.

Ensuite arrivent les porteurs d’eau fraîche, qui présentent leur cruche ruisselante en répétant inlassablement : « Agua fresca..... Agua fresca..... » Les uns – les dignitaires de la corporation – offrent des verres aux clients. Les autres – les boutiquiers – tendent tout simplement leur récipient : et il s’agit de boire « à la régalade », sans toucher des lèvres le bec de la cruche.

Se présentent encore : les marchands de gâteaux et de fruits ; les petits négociants en couteaux, qui se garnissent le ventre d’une ceinture de cuir où sont piqués par dizaines les couteaux et canifs les plus variés ; les vendeurs de journaux, et les représentants de la fameuse Loterie nationale espagnole, qui fonctionne à jet continu. (Je connais même un autre Pays où cette Loterie et ce jet continu entrent définitivement dans les mœurs.) « Allons, Monsieur, prenez-moi un billet. Ce n’est que trois pesetas, et le tirage a lieu demain..... Je parie que je vous apporte la fortune : serez-vous assez imprudent pour laisser passer l’occasion ? »

Et cent autres boniments du même genre.

Enfin, quand le wagon est libéré de cet envahissement, il est l’heure de repartir ; et vous avez le loisir d’aborder le corridor, de vous pencher à une fenêtre, et de lire le nom de la station sur les bâtiments officiels, sans craindre de tomber sur une main tendue ou une proposition commerciale.

 

 

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Je termine ce papier par une scène vécue, d’un genre à part.

À Albacete, entre Murcie et Alcazar, je vis s’avancer vers le train un groupe qui m’intrigua aussitôt.

Un drôle de type à tête de rat – nanti de lunettes doctes et d’un complet sentant le meilleur faiseur – précédait une douzaine d’ouvriers en salopettes ou vêtements débraillés. Ces gens causaient avec une retenue singulière.

La tête de rat disparut dans un wagon de première classe.

Elle apparut à la portière au moment où le convoi s’ébranlait. Et les ouvriers – brandissant le poing à la russe – hurlèrent, redevenus soudain bruyants : « Vive le parti communiste !.... Vive la révolution !..... »

La tête de rat s’inclina deux fois – puis disparut.....

Encore un meneur moscoutaire, qui regagnait la capitale – en Première Classe – après avoir semé le bon grain bolcheviste chez les Provinciaux.

 

 

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IX. – Sous le ciel pur d’Andalousie.

 

 

À Tolède, Cordoue, Malaga, comme dans toute l’Espagne du Sud en général, le lendemain du 16 février fut marqué de troubles et de violences spécialement dirigés contre les journaux de droite, les sièges des partis d’opposition, les églises et les couvents.

Les sceptiques ou les militants partiaux qui s’obstinent à le nier – en France et ailleurs – nient simplement la vérité.

J’ai sous les yeux le discours aux Cortès, au début d’avril dernier, du député monarchiste Calvo Sotelo. Je le dois à l’obligeance du journal catholique madrilène « El Debate », dont j’ai précédemment entretenu nos lecteurs.

Ce discours constitue, en fait, le résumé – jour par jour – des attentats commis par le « Front Populaire » dans les diverses provinces d’Espagne, depuis le triomphe des extrémistes. Il est d’une rare éloquence, et apporte des précisions telles qu’il devient impossible à toute personne de bonne foi de déclarer : « Il n’y a rien eu... »

L’intervention de Calvo Sotelo déchaîna du reste – le jour où elle se produisit – la fureur des Gauches, qui tentèrent d’empêcher l’orateur de se faire entendre.

J’ai vérifié sur place, pour ma part, certaines accusations troublantes : elles répondaient parfaitement aux affirmations du parlementaire précité.

Je vais trouver une fois de plus l’occasion de procéder à des « recoupements » à Cadix, où je viens d’arriver, et où je prendrai contact, demain matin, avec des amis sûrs qui m’attendent.

Pour l’instant je préfère déambuler seul à travers les rues ; prendre l’air de ce port remuant et ensoleillé qu’on appelle volontiers « la petite Russie » et me confier au hasard des rencontres et des confidences.

Mais avant de m’engager plus avant dans cette direction, je crois bon de mentionner mon passage à Séville.

 

 

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Séville – vaste cité de près de 240 000 habitants – est une des plus vieilles et des plus belles villes d’Espagne.

Son passé se pare d’une gloire précieuse. Il remonte aux Phéniciens, et se déroule prestigieusement au cours des siècles, en accumulant des faits héroïques et des dates mémorables dont quelques-uns – telle la révolte contre l’armée d’occupation du maréchal Soult en 1808 – touchent de près l’épopée de notre propre Histoire nationale.

La cité porte sur ses monuments la fière devise que lui décerna le roi Alphonse le Sage : « Muy noble, muy leal, muy heroica e invencible » (Très noble, très héroïque et invincible).

Séville n’est pas seulement un centre industriel et commercial d’une large activité (ses industries céramiques et métallurgiques, et son commerce de bois et du plomb affirment une prospérité croissante) ; mais encore une capitale de l’« esprit », où Religion, Arts et Sciences connaissent la faveur d’une population intelligente et hospitalière.

Qui n’a pas encore entendu vanter les processions de la Semaine Sainte et les cérémonies de la Fête-Dieu, dont la célébration attire chaque année un concours exceptionnel d’étrangers ?

Je me suis abandonné au gré d’une promenade sans but, à travers les innombrables ruelles de l’antique cité, où chaque demeure, chaque monument, chaque bâtiment public sont marqués du signe du souvenir.

L’on vit dans l’Histoire, ici. Que dis-je ? Dans un conte de fées, où de bienveillants génies ont ressuscité ; pour le plaisir des yeux et l’enivrement de l’esprit, les palais maures, les jardins aux lourds palmiers, les vasques de marbre bruissantes d’eau cristalline, les balcons ajourés, les grilles d’or, les fresques, les colonnes, les portails, les tours crénelées et les « patios » (cours intérieures) pleins de fleurs, de délicieuses faïences, et de chants d’oiseaux.

Que de merveilleuse simplicité, dans cette accumulation de trésors ! Que de souveraine, modestie, dans cette écrasante grandeur ! Que de jeunesse et de fraîcheur, dans cette existence millénaire !

Loin – bien loin – : les horreurs de l’architecture moderne ; l’hallucinant mouvement des boulevards enfiévrés ; la laideur des platanes anémiques ; des kiosques à journaux et des annonces lumineuses de pâte à raser.

Et loin – bien loin surtout – : la pestilence communiste que j’ai trop respirée jusqu’ici.

Pas de murs noircis d’églises incendiées ; pas de vestiges de couvents pris d’assaut ; pas d’inscriptions grossièrement provocantes sur les murs. À peine de-ci de-là un modeste « Vive la Révolution ! », barbouillé hâtivement à la peinture noire, et qui semble regretter fort de se trouver où il est...

Car, vraiment, il existe une noblesse de la pierre.

Et ce n’est pas le ridicule « À bas les curés ! » inscrit au charbon sur la chaire de St-Vincent – dans l’admirable « patio » attenant à la cathédrale – qui enlèvera une parcelle de mérite à ce précieux vestige de l’antique Séville.

 

 

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La cathédrale de Séville constitue une merveille.

Elle fut commencée en 1402 et terminée au commencement du 16e siècle. Les plus réputés architectes et les artistes les plus appréciés prirent part à sa construction. Il faudrait plusieurs jours pour la visiter en détails et apprécier à leur juste prix les richesses qu’elle renferme.

Vitraux des Écoles espagnole, flamande, française et allemande ; grilles en fer forgé du 14e siècle ; retables sculptés du plus pur gothique fleuri ; statues de marbres ; châsses précieuses ; tombeaux de rois ; tableaux de peintres célèbres ; bas-reliefs, sculptures, bronzes, retables, lutrins, stalles.

Tout est pavé de marbre blanc et noir, et 54 chapelles et 80 autels entourent 5 nefs mesurant de 25 à 40 mètres de hauteur...

Il m’a été permis d’assister à une grand’messe dans la merveilleuse basilique. Les orgues étaient absentes (car l’on se trouvait en semaine) ; mais je n’en goûtai pas moins la grandeur d’un Service divin, célébré en ce décor unique, où tout concourt à élever l’âme et à redoubler la ferveur des prières.

Le Chapitre occupait les stalles du Chœur, et exécutait les chants liturgiques.

 

La région de Séville n’échappa point aux troubles révolutionnaires. Elle eut ses églises incendiées, ses manifestations sanglantes, ses victimes. La ville elle-même, toutefois, fut épargnée ; l’on n’y connut pas d’incidents graves.

 

 

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De Séville à Cadix, la distance est de 150 kilomètres. La Compagnie des chemins de fer andalous vous fait exécuter le trajet en 5 heures 30 minutes, quand vous utilisez (ce fut mon cas) les trains ordinaires de jour.

Je ne regrette point sa sage lenteur, car elle me permit de faire plus entière connaissance avec le pays, qui est d’une grande fertilité et rappelle étrangement la belle Provence de chez nous.

La plaine, qui s’étend à perte de vue, déroule des vignobles aux crus mondialement réputés (c’est ici que se récolte le fameux Xérès) ; des champs d’orangers ; et de vastes étendues où miroite le feuillage argenté des oliviers.

Les « pueblos » (villages) se dressent de loin en loin, desservis par des gares un peu primitives – faisant songer aux stations de nos lignes d’intérêt local. Par ci par là, des maisons isolées dressent leur toit de chaume gris, au milieu d’un bouquet d’arbres. Et nombreuses sont les riches demeures des « terratenientes » (gros propriétaires) qui étalent de larges bâtiments flanqués de tours carrées, agrémentés de galeries et de serrasses, et entourés de parcs et de jardins de noble ordonnance, où des parterres de roses fleurissent à l’ombre de palmiers géants.

Dans les gares se pressent les ouvriers agricoles, rentrant chez eux, la journée terminée. Ils sont pauvrement vêtus, et semblent las.

 

 

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Une bande de jeunes ouvriers a envahi le compartiment, où je me trouvais seul jusqu’ici en compagnie d’un Monsieur aux lèvres supérieurement pincées, et qui faisait des effets de manchettes derrière son journal. Je ne tentai même pas de dégeler ce glaçon, qui m’avait d’ailleurs décoché plusieurs coups d’œil chargés d’hostilité. Pour certains cerveaux espagnols, tout ce qui vient de France (pays dangereusement épris de liberté) mérite d’être traité avec méfiance.

À peine les jeunes ouvriers agricoles s’étaient-ils installés sur les banquettes – en se serrant les uns contre les autres pour me gêner le moins possible – qu’ils déballaient leur maigre repas du soir (fromage ou saucisse, accompagnés d’un morceau de pain), et l’attaquaient d’une dent solide.

Et dix minutes ne s’étaient pas écoulées, que l’on m’offrait de prendre part au festin, et de vider de quelques gorgées la bouteille de vin commune. Puis ce fut la cigarette de l’amitié.

Et quand parut l’homme de la traditionnelle loterie, porteur de sacs de bonbons, l’on se bouscula pour payer les 10 centimes nécessaires à l’achat de mon billet. J’eus beau protester : ces pauvres diables au cœur d’or demeuraient sourds à mes représentations. Ils entendaient fêter de leur mieux un Étranger qui leur était sympathique.

Et ils le faisaient sans apprêt, sans forfanterie, avec une naturelle délicatesse extrêmement curieuse à constater chez des jeunes gens de 20 ans, d’une instruction et d’une éducation rudimentaires.

L’un de mes nouveaux amis – qui paraissait être l’animateur de la bande – m’avoua timidement qu’il était poète à ses heures, et me pria d’accepter une de ses récentes compositions. Il s’agit d’une sorte de prose cadencée, bousculant toutes les règles de la versification, mais où s’affirme une bonne volonté non dépourvue de naïve fraîcheur. À notre arrivée à Cadix, j’invitai toute la cohorte à vider un verre au café le plus proche.

Et je peux avancer, sans crainte de me tromper, que mon arrivée – en la compagnie d’une vingtaine de types dépenaillés, tout fiers d’escorter mes deux valises – éveilla un brin de sensation dans la maison. Quant au Monsieur qui avait les lèvres pincées, il faillit en éprouver un coup de sang. Car il s’était immobilisé sur le perron de la gare, pour nous observer.

Et j’imagine que le brave homme dut dire à sa moitié – en regagnant le logis matrimonial –  : « Ma bonne, c’est tout à fait lamentable. Je viens de dépister un nouvel agent de Moscou, qui racolait nos jeunes ouvriers dans le train, pour les endoctriner ensuite, entre deux verres d’alcool. »

Si j’ai relaté ici une historiette d’un caractère bien effacé, c’est uniquement dans le but de souligner – une fois de plus – le caractère de spontanéité, de confiance et de naturelle bonté du peuple espagnol. Il existe, chez nos voisins, des trésors d’intelligence et de cœur. Mais les classes dites dirigeantes ne surent – ou ne voulurent – pas les exploiter.

Et maintenant, le Communisme accomplit ce travail à leur place.

 

 

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Cadix – surnommée à cause de ses maisons blanches aux vitres étincelantes « la tacita de plata » (la petite tasse d’argent) – s’élève sur un éperon rocheux battu de tous côtés par les eaux vertes de l’Océan.

Une étroite bande de terre seule la relie au continent.

C’est de la baie de Cadix que sortirent les escadres française et espagnole – le 21 Octobre 1805 – pour offrir le combat à la flotte anglaise, commandée par le fameux amiral Nelson.

La rencontre eut lieu – on se le rappelle – près du cap Trafalgar. Elle fut terrible. Bien que supérieures en nombre, les forces franco-espagnoles durent céder devant la précision et la vigueur de l’artillerie anglaise. Et sur 32 vaisseaux, nous en perdîmes 12.

L’amiral espagnol Gravina fut blessé mortellement. Et Nelson paya de sa vie une des plus grandes victoires de la flotte britannique. Les navires français qui échappèrent au désastre vinrent se réfugier sous ces mêmes murs de Cadix, d’où la flotte alliée était partie avec un tel enthousiasme, et une telle volonté de vaincre.

Après avoir parcouru les remparts de l’antique cité – où bivouaquèrent, en 1823, les troupes françaises de Bourmont – je m’engageai dans les étroites ruelles qui se pressent entre le port et le fort de Santa Catalina.

Car je m’étais promis de voir les SEIZE églises, couvents, ou écoles, brûlés ou pillés par les émeutiers du « Front populaire » au cours des mois de février et mars derniers.

Des amis m’avaient dressé une liste détaillée des monuments-martyrs ; et un guide sûr dirigeait mes pas à travers les dédales populeux de la ville.

Je vis successivement l’église del Carmen, au beau portail style baroque ; le couvent et la chapelle de Santo Domingo (dont les boiseries, les stucages et les marbres représentaient une considérable valeur) ; l’église Santa Maria, au bénitier réputé ; le couvent de San Agustin ; celui des « Esclaves du Sacré-Cœur » ; celui de San Francisco ; celui de San Paule ; l’église de la Merced ; le collège Vina ; le collège San Felipe ; le Séminaire, et plusieurs autres Établissements religieux.

Les églises, complètement saccagées et brûlées, sont au nombre de quatre. Elles dressent encore leurs murs et leurs clochers. Mais les murs portent des blessures, des brèches, des traînées de fumée, qui témoignent de la violence des journées tragiques... Et les clochers n’ont plus de voix.

Ce n’est pas sans un serrement de cœur que je remarquai le traitement sauvage auquel on avait soumis jusqu’aux plus humbles bâtiments (dépendances, remises, etc.) attenant aux temples brûlés. Vous chercheriez en vain la moindre lucarne encore pourvue de son carreau.

Les portes les plus insignifiantes ont été fracassées. Les traînées de cailloux accumulés le long des murs attestent l’ardeur des combattants. Les portes principales – noircies, tordues, éventrées – dénoncent le pic du démolisseur et la torche de l’incendiaire.

Et l’intérieur des églises, encombré de poutres à demi-calcinées, de tuiles brisées, de plâtras, de poussière et de débris de toutes sortes, offre un spectacle que je souhaiterais de voir aux braves gens de chez nous, demeurés sceptiques devant les violences du communisme espagnol.

J’ai interrogé des Religieux, des Religieuses et des laïques.

Les premiers se sont montrés d’une réserve craintive que je ne comprenais que trop. Les représailles sont à la mode, sous la trique du « Front populaire » ; et il s’agit de peser prudemment ses paroles. Il faut d’autant plus les mesurer que la censure officielle a interdit aux journaux de relater les excès des extrémistes ; et que les habitants de Cadix ont appris le récit exact des violences commises dans leurs murs.... par des postes de TSF étrangers.

Ajoutons que la plus grande partie des Congréganistes qui vivaient ici avant les élections de Gauche, ont été contraints de quitter la ville, et que les Religieux encore présents à Cadix tremblent pour les mois à venir. Des menaces précises leur ont été faites.

Et j’ai eu personnellement l’occasion de m’entretenir avec un partisan du « Front populaire » qui m’a déclaré – relativement à un couvent situé à côté de l’hôtel de France, et dont les extrémistes ne purent encore se rendre maîtres – : « Nous l’avons raté deux fois. Mais la troisième fois sera la bonne ! »

 

 

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Écoutez à présent le récit de l’« invasion » du collège des Marianistes. Je le tiens d’une personnalité de Cadix qui assista à l’évènement.

La chose se passa le dimanche 8 mars.

Le personnel enseignant du Collège et 14 jeunes garçons de 6 à 10 ans étaient en train de prendre le repas de 13 heures, quand soudain retentit le bruit d’une altercation dans la direction de la porte d’entrée de l’École.

Le directeur se lève. Il n’a pas fait deux pas, que la rumeur grandit, se rapproche, et qu’une troupe de 50 à 60 individus envahit la salle, en hurlant des invectives et des menaces.

Deux énergumènes intiment l’ordre au directeur de les conduire dans son bureau. Le directeur s’exécute, tout en priant les envahisseurs de modérer leurs violences de langage, afin de ne pas affoler les malheureux collégiens présents – réfugiés, en larmes, autour de leurs professeurs.

Une fois dans le bureau directorial, les communistes s’empressent de briser l’appareil téléphonique, jettent à terre le Christ qu’ils trouvent sur une table, sortent leurs revolvers, et annoncent une fouille en règle de toute la maison où, disent-ils, « sont cachées des armes contre-révolutionnaires ».

Pendant ce temps, un professeur a réussi à s’échapper par une porte dérobée, court au poste de gendarmerie, alerte les Autorités, et obtient l’envoi immédiat d’une patrouille commandée par un officier.

Dix minutes après l’arrivée de la petite troupe au Collège San Felipe, les révolutionnaires étaient sagement alignés dans la cour de la Maison, sous la menace salutaire des carabines.

Et ces Messieurs allaient quitter la place sans tambours ni trompettes, quand apparaissent brusquement une douzaine de meneurs conduits par le député communiste Aguado de Miguel.

Ce dernier s’adresse impérativement à l’officier de gendarmerie : « De quoi vous mêlez-vous ? Nous sommes le Peuple souverain. Nous avons décidé de perquisitionner dans cette maison suspecte, et nous perquisitionnerons. Prière de nous f... la paix si vous tenez à votre peau ! »

À ce moment-là, une foule de plusieurs centaines de manifestants envahit le Collège, tandis que d’autres extrémistes « tenaient » la place San Felipe, devant l’Institution, pour empêcher l’arrivée de renforts militaires.

L’on hissa le drapeau soviétique sur l’immeuble, et la « perquisition » commença. Elle dura jusqu’à 7 heures du soir.

Cinq heures durant, la horde parcourut la Maison – des caves au grenier ; ouvrit les armoires ; fractura les tiroirs ; déchira les paillasses des lits ; cassa la vaisselle des réfectoires ; lança du linge et les objets les plus divers par les fenêtres ; saccagea la sacristie de la chapelle ; piétina les chasubles et les ornements sacerdotaux ; mit un Christ en miettes ; et se livra aux pires débordements.

Ayant découvert un microscope, monté sur chariot, la populace le brandit aux fenêtres et cria aux manifestants qui se tenaient dans la rue : « Voyez !... Nous avons découvert une mitrailleuse... Les... “cafards” la destinaient à la contre-révolution... »

Sommé vingt fois de quitter l’Établissement – que les extrémistes entendaient transformer en « Maison du peuple », par une simple proclamation – le directeur laïque (M. José Maectu) s’y refusa formellement, avec courage.

Finalement, le Gouverneur civil de Cadix fut autorisé par le Gouvernement à faire intervenir un détachement d’artillerie.

Lorsque celui-ci se présenta aux portes du Collège, il fut accueilli par une « Commission » communiste de 10 membres, qui dit aux officiers : « Vous pouvez entrer. Mais nous resterons à vos côtés. Car nous entendons surveiller.... votre propre surveillance. Nous sommes le Peuple souverain ! »

Et jusqu’à 1 heure du matin, le soviet civil tint bon : le détachement d’artillerie dut compter avec lui, et le traiter sur le même pied que le directeur de l’école, possesseur légitime de l’immeuble. Pour obtenir l’évacuation de la maison par les révolutionnaires, il fallut expulser en même temps le directeur et son personnel.

Et quand le soviet communiste – qui avait récupéré 7 000 pesetas au cours de sa « perquisition » – remit cette somme au commissaire de police, sur les menaces du directeur de San Felipe, ledit commissaire salua fort civilement Messieurs les Rouges, les remercia de leur probité, et leur délivra un reçu en bonne et due forme.

Il s’en fallut de peu qu’il ne décernât un blâme à l’« imprudent » propriétaire des 7 000 pesetas.

Voilà la fermeté, l’esprit de décision et le sentiment des responsabilités opposés par le Gouvernement espagnol aux violences audacieuses des Communistes.

 

 

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X. – Problème agraire.

 

 

L’Espagne est un pays agricole. Particulièrement fertile en Andalousie, hostile et improductif en Estrémadure.

Or, c’est dans ces deux provinces que les troubles révolutionnaires ont atteint leur plus grande acuité. Je les ai traversées ; et me suis documenté, auprès de propriétaires et d’ouvriers, afin d’obtenir une idée à peu près exacte du malaise actuel, de ses origines, et de son éventuel développement. Voici les résultats de mon enquête.

Premier point : qu’il s’agisse d’un région fertile ou d’un pays inculte, la terre n’appartient pas au paysan. Celui-ci constitue, non pas une classe possédante – comme chez nous – mais une sorte d’immense colonie d’ouvriers agricoles, louant leurs services aux riches propriétaires, les « terratenientes ».

À remarquer, cependant, que parmi les paysans se trouvent deux catégories d’individus : les « yunteros » (détenteurs d’une paire de bœufs et de quelques instruments agricoles leur appartenant en propre) ; et les « braseros », n’ayant absolument rien, en dehors de leurs bras.

Donc : d’une part, quelques centaines de gros propriétaires (généralement de la noblesse), possesseurs d’immenses domaines où ils élèvent des taureaux de courses, exploitent le chêne-liège, cultivent la vigne, l’olivier et l’oranger. Et, de l’autre, des centaines de milliers de travailleurs occupés par les premiers.

Chez les uns : opulence agressive, châteaux luxueux, absence totale d’esprit social ou de simple équité, et désir immodéré de gagner le maximum d’argent possible, en rétribuant de moins en moins la main-d’œuvre.

Chez les autres : misère complète, baraques de torchis et de chaume, où l’on vit dans des conditions de cohabitation lamentables, salaires ridicules, servage humiliant, et sourdes rancœurs croissant avec les années.

J’ai vu des maisons de paysans andalous : elles comportent une pièce unique où vivent, mangent, dorment côte à côte gens et bétail, et que marque une absence totale de confort, me rappelant les masures primitives de certains montagnards de Vieille Serbie.

À souligner que les « terratenientes » s’affirment non seulement sous l’aspect d’égoïstes farouches, mais qu’ils étalent encore une paresse provocante. Car ils laissent à des gérants le soin de diriger leurs cultures ; vivent loin des ouvriers qu’ils emploient ; et apparaissent uniquement pour toucher le produit des ventes et fermages.

Telle était – résumée en quelques lignes – la situation de l’Espagne agricole ces dernières années.

 

 

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Quand vint la République, une des premières pensées des hommes d’État nouveaux fut de permettre l’accession des « yunteros » et « braseros » à la propriété. Mais ils se heurtèrent aussitôt à la résistance farouche des « terratenientes », obstinément accrochés à leurs privilèges millénaires, et se refusant à sacrifier la plus petite parcelle de terre aux légitimes revendications de leurs ouvriers.

Gil Robles – le chef du Parti de l’Action populaire catholique – fut un des premiers qui comprit l’absolue nécessité d’un partage des terres. Il prévoyait que les extrémistes allaient s’emparer de cette réforme pour s’en faire un tremplin démagogique, et attirer le peuple vers les violences révolutionnaires. Au cours des quelques mois où il occupa la présidence du Conseil, sous Alcala Zamora, il s’évertua à amener les propriétaires aux sacrifices exigés par la situation.

Ces sacrifices offraient d’autant moins d’amertume, qu’on leur prévoyait une compensation sous forme d’indemnité d’expropriation.

Mais les efforts de Robles furent vains. Les « terratenientes » se refusèrent à toute entente.

Le leader catholique crut que le temps travaillait pour lui, et permettrait – par d’autres voies – la réalisation de la réforme désirée.

L’on sait combien court fut son passage au pouvoir. Robles eut le tort de ne pas persévérer, devant l’entêtement des propriétaires. Il fallait briser les résistances et trancher dans le vif.

Mais à ces réflexions, naturelles chez les Français, des Espagnols bien informés ont répondu : « Vous ne connaissez pas Gil Robles. C’est un homme à qui répugne l’action illégale, si opportune puisse-t-elle paraître en des circonstances exceptionnelles. Il ne s’est pas davantage résolu à dépouiller les propriétaires, qu’il n’a consenti à étouffer, avec les moyens dont on le priait d’user, la révolution des Asturies. Aujourd’hui encore, la réduction du soulèvement révolutionnaire des Asturies est reprochée à Robles, sur tous les tons, par les Communistes.

« Mais ces Messieurs se gardent bien d’avouer qu’ils avaient procédé – aux Asturies – à une sorte de mobilisation générale soviétique, à base de séparatisme. Et si Robles avait utilisé à leur égard les méthodes employées par les Rouges envers les Catholiques, depuis le 16 février 1936, les Gauches seraient en droit de se plaindre. Mais tel ne fut point le cas » :

« N’oubliez pas de noter – me dit une personnalité religieuse que j’interrogeais sur Gil Robles et son rôle dans la question agraire – que ce chef de parti fut combattu au couteau par la Gauche et la Droite réunies. Par la Gauche où on lui reprochait – évidemment – sa qualité de Catholique libéral, hostile à tout sectarisme. Par la Droite : où les députés monarchistes ne lui pardonnent pas son ralliement à la République. On paralysa littéralement les efforts de redressement tentés par Robles. Mais le cerveau et le cœur de cet homme renferment des dons précieux. Un jour viendra où Gil Robles donnera toute la mesure de ses possibilités. »

 

 

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S’étant refusé à entendre la voix de la raison, les « terratenientes » ont dû s’incliner – avec la Révolution triomphante – devant la force.

Aujourd’hui, la loi de la « Réforme agraire » est en plein fonctionnement. C’est dire qu’on dépossède les gros propriétaires, pour partager leurs domaines entre les ouvriers et créer le plus grand nombre possible de petits propriétaires.

L’opération s’exécute sur la base d’une indemnité aux anciens possédants : mais, en pratique, il s’agit de tout autre chose.

En effet, nombreux sont les riches seigneurs qui, dès les premiers troubles, s’enfuirent à l’Étranger et y mirent leur fortune mobilière à l’abri. Les terres de ces déserteurs furent tout bonnement confisquées.

Ensuite, en maint endroit, les paysans n’attendirent pas la venue des agents officiels de Madrid pour procéder au partage de tel domaine, dont ils prirent soin – auparavant – d’expulser, ou de massacrer, le propriétaire.

En pratique, la dépossession aura donc lieu, surtout sans indemnité, et dans une atmosphère de violence révolutionnaire.

Autre remarque, qui a son importance. Le partage accompli par les Agents gouvernementaux s’opère par régions. Or, dans une même région, il se trouve des terres fertiles, d’autres qui le sont moins, et d’autres enfin dont la culture présente moins encore de perspectives favorables.

Les ouvriers à qui revient un lopin de second choix protestent ; accusent les « distributeurs » de partialité ; et s’en prennent aux possesseurs des meilleurs lots. De sorte que bien souvent les Agents de l’État sont reçus à coups de pierres par les mécontents, et que des horions s’échangent entre les bénéficiaires de la « Réforme agraire » eux-mêmes.

Et puis, voici un nouveau brandon de discorde : la rivalité entre « yunteros » et « braseros ».

Les premiers – possédant bœufs et matériel agricole – peuvent entreprendre la mise en valeur de leur nouvelle propriété. Les seconds – infiniment plus nombreux – sont dépourvus de tout : ils n’ont ni bêtes, ni charrues, ni semences, ni argent. Comment travailler ?

Et nous les trouvons réduits à se croiser les bras devant une terre en jachère, tandis qu’ils voient d’un œil envieux les « yunteros » voisins retournant la leur.

Et même pas la possibilité de faire bouillir la marmite quotidienne, comme autrefois. Car les anciens « terratenientes » ont disparu. Ils n’assurent plus de journées de travail à des centaines d’ouvriers. Et les petits patrons nouveaux cultivent à l’aide de leur propre famille.

Résultat : il existe des milliers de « propriétaires » espagnols pour qui l’accession à la « propriété » fut le signal d’une détresse plus grande encore que celle des anciens jours....

Et comment l’État interviendrait-il en faveur de ces malheureux ?

Doter des centaines de milliers de familles du matériel et des crédits nécessaires à une installation agricole rationnelle ne représente pas une mince affaire. Surtout pour une Nation affaiblie par des troubles économiques et politiques profonds, et dont les finances sont en mauvaise posture.

Bref : la situation est singulièrement enchevêtrée ; et, pour avoir voulu se jeter, tête perdue, dans une Réforme agraire indispensable, mais qu’il ne sut pas préparer rationnellement, l’État se trouve aujourd’hui au fond d’une dangereuse impasse.

 

 

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Peut-être les choses s’arrangeraient-elles, si le Gouvernement avait la possibilité de travailler de sang-froid à la solution du problème.

Mais c’est ici qu’il importe de monter sur cadre L’EXEMPLAIRE PERFIDIE DES ÉMISSAIRES BOLCHEVIKS, JETÉS PAR MOSCOU À TRAVERS LA CAMPAGNE ESPAGNOLE.

 

Vous le voyez – déclarent-ils aux cultivateurs – les Gouvernements bourgeois sont incapables de vous tirer d’affaire. Leur Réforme agraire ne vous apporte aucun soulagement dans votre misère.

Ce qu’il vous faut, c’est l’organisation groupée, à la russe. Mettez vos terres en commun ; fondez un « kolkhoze ». Cet organisme d’exploitation collective représentera quelques centaines d’hectares de terres qui – par leur valeur – permettront des prêts hypothécaires de la part de l’État.

Avec l’argent ainsi obtenu, vous serez en mesure de vous acheter les semences et le matériel indispensables. Et vous féconderez la terre au mieux des intérêts de tous, puisque vous partagerez les bénéfices, comme vous supporterez les dettes : sur un pied de parfaite égalité. Empressez-vous de mettre ces conseils en pratique. Sinon le temps n’est plus loin où les « yunteros » – grâce à leurs bœufs et à leur matériel – auront pris de l’avance sur vous, et constitué une nouvelle classe possédante, dont la prépondérance absorbera bientôt, par voie d’achats ou autrement, vos « propriétés » actuelles.

 

Cette habile tactique porte les fruits que l’on devine.

Elle exaspère chaque jour davantage les colères ; attise les rivalités ; prépare des conflits nouveaux ; et concentre sur le gouvernement « bourgeois » au pouvoir, la haine générale.

Dans les villes, le Communisme organise des meetings incendiaires ; soulève des grèves successives ; ameute la foule devant les églises et les couvents ; agite le spectre de la Réaction et du Fascisme ; afin de créer un énervement et une passion progressifs, d’où jaillira – à l’heure savamment choisie – l’étincelle qui mettra le feu aux poudres.

Dans les campagnes, il poursuit des buts identiques, à l’aide de la stratégie appropriée.

Et pendant ce temps, à Madrid, un Gouvernement aux abois tente vainement de se raidir sur la pente savonneuse où l’entraîne – de plus en plus rapidement – le « Front populaire » dont il est prisonnier.

 

 

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XI. – Conclusion.

 

 

Conclusion ?

Je l’emprunterai aux déclarations d’un Prélat espagnol éminent, qui connaît et aime notre Pays, où il fit jadis ses études secondaires :

 

L’insouciante nonchalance de la Monarchie, et l’égoïsme féroce d’une minorité de gros possédants, ont préparé le terrain de la révolution. L’anticléricalisme matérialiste des radicaux et des socialistes a fourni la semence. Les communistes s’apprêtent à couper la récolte qui lève..... Que la poussée moscoutaire connaisse de beaux jours, la chose ne fait malheureusement aucun doute.

La révolution est en marche : elle se fera. Mais il reste à savoir combien de temps nous en supporterons les excès.

Chez vous, en France, le « Front populaire » ne saurait connaître de long triomphe. Car le Français est individualiste et conservateur – par tempérament ; – vos ouvriers jouissent d’une situation qui, sans être brillante, n’en offre pas moins des avantages sociaux inconnus dans maint autre pays d’Europe ; et vos paysans possèdent chacun leur maisonnette et leur coin de terre.

Et puis, dans chaque Français sommeille un homme prudent, qui aime le chemin de la caisse d’épargne et des compagnies d’assurances.

L’Espagnol, au contraire, possède un tempérament d’imprévoyance aimable, légué par un ciel et un soleil trop riants. Il est en quelque sorte la cigale de la fable.

La guerre mondiale nous a jetés dans un bien-être où le peuple oublia ses misères. Voici que la crise nous étreint : et les misères se sont réveillées, plus impérieuses.

Nous aurons donc une expérience de bolchevisation, proportionnée à l’état lamentable de nos masses laborieuses.

Ne croyez pas que je sois un pessimiste. Car je m’empresse d’ajouter que Moscou ne s’établira pas définitivement ici, comme Largo Caballero et consorts semblent le prévoir. L’orage passé, l’Espagne se ressaisira.

Notre peuple a un fonds de croyances solides – momentanément obscurcies. L’on a trop répété à la foule que Catholicisme était synonyme de réaction antisociale. Et les Catholiques espagnols étaient trop mal organisés pour répondre comme il convenait à cette campagne intéressée.

Mais l’on travaille à un regroupement rationnel de nos forces. La Jeunesse s’organise. Nous tenterons l’impossible pour « ramener » les Catholiques d’extrême Droite. Nous les persuaderons qu’un travail commun – dans l’idéal chrétien et social – est devenu impérieusement nécessaire.

Rude tâche. Car il est toujours délicat de réaliser l’union quand l’ennemi est aux portes de la ville.

Mais nous disposons d’hommes qui sauront imposer à chacun le sentiment du devoir. Et, si je considère Gil Robles comme un lutteur de grand mérite, je lui préfère encore – soyons francs – CALVO SOTELO. Celui-là est un chef dans toute la force du terme. Il a le cerveau ; la parole ; l’intégrité ; le prestige. Et son esprit juridique le hausse à l’égal d’un Poincaré.

Avec la permission de Dieu, IL SERA L’HOMME DE LA NOUVELLE ESPAGNE.

 

 

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DEUXIÈME PARTIE.

 

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LA LUTTE FRATRICIDE.

 

 

I. – Guerre de généraux ou Révolution populaire ?

 

 

La Révolution espagnole (c’est l’impression qui se dégagera peut-être de l’enquête constituant la première partie de ce livre) naquit des excès de deux MINORITÉS.

Une MINORITÉ RÉACTIONNAIRE – qui tint la Royauté prisonnière jusqu’à l’avènement de la République et s’opposa systématiquement à toute réforme sociale et financière susceptible d’améliorer le sort de la masse.

Une MINORITÉ EXTRÉMISTE – qui sut habilement exploiter les aspirations populaires et les canalisa vers un essai de Dictature communiste, au lendemain des élections de Gauche de 1936.

 

 

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Les responsabilités de la MINORITÉ RÉACTIONNAIRE sont écrasantes.

On a cherché à les rejeter sur Alphonse XIII. Le roi joua certes un rôle actif dans la vie politique du Pays. Il ne fut étranger à la constitution d’aucun des CENT VINGT MINISTÈRES qui gouvernèrent l’Espagne depuis sa majorité jusqu’en 1918. Le coup d’État de Primo de Rivera s’exécuta avec son assentiment. Et les dictateurs suivants – général Berenguer et amiral Aznar – ne prirent le pouvoir que sur son initiative.

Mais il importe de souligner que derrière le Roi il y avait une camarilla toute puissante – jouissant d’exemptions d’impôts, se partageant les sinécures grassement payées, trustant les faveurs et les prébendes – et dont la volonté bien arrêtée était de ne rien changer à l’état de choses existant.

Lorsque Primo de Rivera instaura la dictature, en 1923, son premier soin fut de pacifier le Maroc, où Abd-el-Krim avait infligé de cuisantes défaites à l’armée nationale. Cette œuvre terminée, il s’attela à un programme de réformes « intérieures » qui comprenait – entre autres – une refonte du système fiscal.

Dès que la cohorte des privilégiés se vit contrainte à payer l’impôt, comme le vulgaire, elle se dressa contre l’impudent réformateur. Le siège du roi commença. Il se poursuivit avec une ténacité incroyable pendant des années.

Primo de Rivera était un esprit brillant mais superficiel – incapable de produire des efforts suivis, et sacrifiant trop le calcul à l’impulsion. Mais la camarilla madrilène ne désarma point. Et le Roi dut finalement s’incliner.

Le général Bérenguer remplaça Primo de Rivera à la tête de la Dictature.

Voici un second exemple du pouvoir – et de l’intransigeance aveugle – de la minorité réactionnaire.

L’on pensait que les anciens conseillers d’Alphonse XIII – instruits par la chute de la Monarchie et les spoliations immobilières dont ils furent victimes de la part de la République, en 1931 – adopteraient à l’avenir une ligne de conduite plus prudente, sinon plus humaine. Aimable illusion !

Lorsque le Parti catholique populaire vint au pouvoir – à la suite de la première dissolution des Cortès par le Président de la République, Alcala Zamora – Gil Robles eut l’occasion de constituer un gouvernement. Il restitua aux gros terriens les biens qui leur avaient été enlevés par la force, mais ne leur cacha pas que son intention formelle était de permettre – dans la légalité – l’accession des ouvriers agricoles à la propriété.

Immédiatement, le clan des perpétuels profiteurs se dressa contre l’audacieux homme d’État. Les riches terriens s’empressèrent de réduire les salaires de leur personnel – salaires qu’on avait augmentés à l’avènement de la République. Et il se forma contre Gil Robles – à l’Extrême Droite des Cortès – une opposition violente, qui renforça celle d’Extrême Gauche et contribua grandement à la chute prématurée du leader catholique.

Calvo Sotelo fit une expérience semblable.

Il s’attira l’inimitié des plus puissants de ses partisans monarchistes à partir du jour où – jeune ministre des Finances aux conceptions hardies – il eut décidé de rajeunir le système administratif espagnol.

Il est donc permis d’écrire que le malaise espagnol – à l’état latent à partir de 1917 : année marquée par la première grève générale d’esprit ouvertement révolutionnaire – dégénéra en crise de régime et aboutit finalement à la tragédie actuelle, grâce à l’ÉGOISME RÉTROGRADE d’une MINORITÉ RÉACTIONNAIRE.

 

 

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Mais il n’est pas de situation sans issue.

L’Espagne possédait encore – après la proclamation de la République et l’éclipse partielle du Clan réactionnaire – de solides possibilités de remonter la pente de la Crise politique et du marasme économique et financier qui l’accompagnait.

L’immense majorité du peuple demeurait saine et pacifique. On réclamait d’urgentes réformes. Mais on en envisageait l’exécution dans l’ordre et la justice, par des moyens légaux. C’était l’opinion unanime – des monarchistes de Calvo Sotelo aux républicains radicaux de Martinez Barrio.

Même après les élections de février 1936 – qui déplaçaient la majorité parlementaire à Gauche – cette attitude de conciliation était praticable et demeurait conforme aux vœux de la population espagnole.

Car il importe de ne pas oublier que les partis du Centre et de Droite gardaient – aux Cortès – une phalange compacte de 200 représentants, contre 273 députés de Gauche, et que de nombreux électeurs avaient mis dans l’urne un bulletin radical ou socialiste dans le but unique de protester contre les lenteurs des réformes sociales impatiemment attendues.

Si la balance pencha – dès le lendemain de la consultation électorale – vers l’agitation et le désordre, nous le devons à la MINORITÉ EXTRÉMISTE de Prieto et de Largo Caballero, dont nous avons mis en relief la tactique intéressée au cours de notre promenade à travers l’Espagne. Nous ne reviendrons donc pas sur ce point, estimant nous y être suffisamment appesantis déjà.

Établissons simplement que le peuple espagnol – victime des intrigues réactionnaires de ses anciens maîtres – ne tenait pas du tout à subir celles de tyrans nouveaux.

Ce fut par surprise, grâce à la perfidie d’un programme savamment camouflé de « Front populaire », que les Communistes transformeront en triomphe soviétique une victoire revenant à la République tout court. Et le jour où l’Espagne s’aperçut qu’elle avait été dupée, le jour où commencèrent à flamber les églises et à fonctionner les mitrailleuses marxistes, le jour, enfin, où le peuple se rendit compte des intentions réelles des extrémistes : ce jour-là se produisit un irrésistible sursaut national.

La Révolution contre le Bolchevisme était née.

 

 

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Il paraît nécessaire – ici – de procéder à une mise au point.

L’on entend répéter, en effet, dans certains milieux de chez nous, que la Révolution actuelle est une vulgaire répétition du traditionnel « PRONUNCIAMIENTO », cher à l’armée espagnole.

Rien de plus faux.

L’Armée a sans cesse joué un rôle important dans la vie politique espagnole : la chose est incontestable. C’est grâce à son intervention que la Royauté fut sauvée en 1898, après la désastreuse guerre hispano-américaine, et en 1923, au moment de l’instauration de la Dictature. C’est aussi grâce à sa neutralité bienveillante que la République put être proclamée en 1931. Et c’est grâce encore à son appui que le régime républicain parvint à briser la révolte du général Sanjurjo à Séville en 1932, et le mouvement séparatiste des Asturies et de la Catalogne en 1934.

À vrai dire, une sourde hostilité tendait à s’établir entre l’Armée et certains « défenseurs » de la République (anarchistes, communistes et socialistes) depuis le soulèvement de la Catalogne et des Asturies, où s’agitèrent de tout temps les partisans d’un séparatisme révolutionnaire.

Les « Gauches » gardèrent rancune aux militaires de la rigueur de la répression – bien que l’on fût d’accord sur la nécessité de maintenir l’unité nationale. Et les militaires, de leur côté, comprirent mal l’empressement mis par les éléments avancés à se dresser contre l’Armée, la Religion et la Propriété – au lendemain de la proclamation de la République.

Le malaise s’accrut, lorsque le gouvernement – oublieux de l’attitude loyaliste de ses régiments lors du récent changement de régime – mit 5 000 officiers à la « retraite anticipée ». Et les systématiques essais d’« épuration militaire » auxquels se livrèrent les gouvernements espagnols sur l’invite des extrémistes à la solde de Moscou, creusèrent plus profondément le fossé entre l’Armée et la République rouge.

À la veille de la Révolution, de nouvelles mises à la retraite – et d’importantes mutations inspirées par des motifs politiques – étaient à l’étude. Le gouvernement de Madrid s’apprêtait, de plus, à faire des coupes sombres parmi les vieux chefs encadrant les troupes du Maroc, pour assurer l’avancement de jeunes officiers de la Métropole ayant donné de solides gages de fidélité à l’idéal révolutionnaire.

Ce dernier geste fut le plus imprudent de tous. En touchant au Maroc, l’on s’en prenait directement au général Franco, qui joua – là-bas – le rôle d’un nouveau Lyautey, et y possède un prestige et une popularité incontestés.

Entouré d’une phalange d’officiers de haute valeur, Franco ne fut pas seulement un pacificateur. Il s’affirma encore un organisateur de premier ordre, et dota les « Régulares » (troupes assimilables à nos tirailleurs et goumiers indigènes) de camps modèles, où le soldat se transforme en dehors de ses heures de service en une sorte de petit propriétaire, aux libres initiatives.

Certains de ces camps comportent – comme celui de Dar Riffien, près de Ceuta – jusqu’à 70 hectares de jardins et de champs, partagés entre les hommes de troupes, et où ceux-ci cultivent des légumes, produisent des fruits, élèvent des porcs, fabriquent des tuiles, de la poterie, des briques – et jusqu’à du courant électrique. Des habitations modernes, pourvues d’eau courante et de lumière, sont mises en outre à la disposition des militaires indigènes pour cinq pesetas (dix francs) par mois.

Est-il nécessaire de dépeindre l’étonnement, et les appréhensions, qui assaillirent les troupes marocaines quand les Communistes et socialistes espagnols – ennemis naturels de la petite propriété – firent connaître leur intention de s’« occuper » de la Colonie et leur volonté de porter dans les cadres le fer rouge de l’épuration marxiste ? Et faut-il considérer comme surprenant, dès lors, l’empressement fidèle avec lequel l’armée marocaine se rangea – au premier signal – aux côtés du général Franco ?

Oui. C’est l’Armée espagnole qui déclencha la Révolution présente.

Sans son intervention, le mouvement était impossible. Mais – et voici le point capital à souligner – sans une participation importante et immédiate de l’élément civil, le soulèvement demeurait également impossible.

L’Armée apporta la décision de l’heure H. L’impulsion donnée, elle fournit les cadres solides que nécessitait l’ampleur de l’action envisagée. La population civile donna spontanément sa confiance, son enthousiasme et ses bras. Et c’est avec les 25 000 volontaires surgis en vingt-quatre heures de la terre navarraise que l’on constitua la première légion attendue par les officiers de Franco.

Il ne saurait pas être question, cette fois, de « PRONUNCIAMIENTO ». Nous n’en sommes plus à la tentative de Sanjurjo, soulevant quelques régiments – pour la défense d’intérêts purement professionnels – sous l’œil indifférent, ou amusé, de la foule.

Le problème est tout autre. Il se situe plus loin et plus haut. Les mesquineries de personnes et de clans ont fait place à des considérations nationales. Des villages, des villes, des provinces entières – plus de la moitié de l’Espagne osons le dire – se sont soulevés d’un seul mouvement à l’appel de Franco.

Non point – comme au Maroc – parce que la voix du « chef » était un appel à la gratitude et à l’intérêt. Mais par ce qu’elle symbolisait les intimes aspirations, traduisait l’attente des centaines de milliers d’Espagnols dont le cerveau abritait à chaque seconde ces pensées : « Ça ne peut plus durer ainsi. Nous n’avons pas voulu toutes ces choses. Il faut qu’on en sorte. L’Espagne doit vivre. Tout, plutôt que la ruine et l’anéantissement dans le gouffre du Communisme. »

Un « pronunciamiento » ?

Non, excellentes gens du « POPULAIRE » et de l’« HUMANITÉ » : un sursaut d’indignation devant le spectre de la Dictature soviétique. Un réveil de la conscience populaire trop longtemps soumise au chloroforme de vos mensongères promesses. Le geste naturel de défense jailli des profondeurs de l’être – devant tous ces trésors du Passé et ces promesses de l’Avenir que guette un sinistre naufrage.

« IL FAUT SAUVER LA CIVILISATION OCCIDENTALE ; LA CIVILISATION CHRÉTIENNE, QUI SONT EN GRANDE PITIÉ » a dit le philosophe Miguel de Unamuno – professeur à l’Université de Salamanque et l’un des pères de la République espagnole – en se ralliant au Gouvernement de Burgos.

La Vie se défend toujours devant la Mort.

 

 

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II. – La révolution se déchaîne.

 

 

Calvo Sotelo.

 

Calvo Sotelo joua un rôle trop considérable dans les évènements qui nous occupent pour que nous ne lui consacrions pas quelques instants de particulière attention.

Calvo Sotelo était avocat. Intelligence brillante ; esprit de décision ; inépuisables facultés de travail ; limpide intégrité : rien ne manquait à cet être d’élite, que nous trouvons – à moins de trente ans – secrétaire d’Antonio Maura, puis gouverneur de Valence.

Le dictateur Primo de Rivera ne manqua pas de remarquer Sotelo, qu’il rangea bientôt au nombre de ses collaborateurs. Il l’éleva au poste de ministre des Finances en 1925. Dans ses nouvelles fonctions, le jeune avocat fit preuve d’une activité étonnante – qui lui conquit rapidement la popularité.

Il s’appliqua essentiellement à simplifier les rouages du système administratif archaïque où l’Espagne s’enchevêtrait – et végétait – et jeta les bases d’une refonte complète du règlement fiscal. Malheureusement (nous l’avons déjà signalé) les novations de l’entreprenant ministre ne furent pas du goût de certains milieux aveuglément conservateurs – possédant l’oreille du roi. Et à la chute de Primo de Rivera, Calvo Sotelo partagea la disgrâce du dictateur, et dut quitter sa patrie.

Il se réfugia à Paris, où il vécut jusqu’à la fin de 1933, dans une pauvreté supportée avec vaillance. Sotelo avait bien été élu député en 1931 : mais ses ennemis s’étaient empressés d’obtenir son invalidation. L’amnistie de 1933 lui permit néanmoins de rentrer en Espagne.

Aussitôt il se jette dans la lutte. Élu député par les provinces de la Corogne et d’Orense, il est nommé vice-président de la « Rénovation espagnole », et chargé de réaliser à travers le pays une tournée de conférences destinées à affaiblir les effets de la propagande marxiste. Entreprise triomphale. C’est par milliers que se pressent les auditeurs des villes et des campagnes, à qui Sotelo redit inlassablement les dangers du Bolchevisme, et dépeint la vie misérable des populations russes sous la botte de Staline.

Bien entendu, la haine de Moscou était intégralement acquise – à partir de cette époque – à l’intrépide lutteur.

Et quand Calvo Sotelo, réélu aux Cortés de 1936, y prenait la parole, il essuyait avec régularité les injures de l’Extrême Gauche. Mais son calme courage n’en souffrait pas. Il faisait face à ses adversaires, les prenait sous le feu de son argumentation nette et serrée, et les réduisit finalement à une rageuse impuissance.

Calvo Sotelo était l’homme des chiffres, des dates, des faits précis, dont il brûlait la sécheresse au feu d’une remarquable éloquence. Ce juriste et ce collectionneur de détails avait une âme d’apôtre et un verbe de tribun.

Il le fit bien voir à la fameuse séance du 16 avril 1936 lorsqu’il contraignit les bancs de la majorité – secouée d’une frénésie impuissante – à entendre l’énumération des incendies, pillages, attentats et crimes commis en Espagne depuis l’avènement du « Front populaire ». « JE ME SUIS TRACÉ UNE LIGNE DE CONDUITE – prononça fortement Sotelo – ET JE LA SUIVRAI JUSQU’AU BOUT. JE FERAI DEVANT CETTE ASSEMBLÉE LES RÉVÉLATIONS QUE JE ME SUIS PROMISES, QUOI QU’IL ARRIVE. »

Tel était l’homme.

Calvo Sotelo – qui professait autrefois la religion du Parlementarisme et opposait les scrupules du juriste au dédain professé par Primo de Rivera envers la règle constitutionnelle – avait évolué, à la suite des excès commis par les partisans de Moscou.

Il se rendait de plus en plus compte que la légalité deviendrait promptement impuissante devant l’audace croissante du « Front populaire », et qu’il convenait de recourir à d’autres méthodes.

Il s’était ouvert de ses sentiments au général Franco – qui comptait au nombre de ses amis sûrs. Mais le général ne partageait pas pleinement les sentiments politiques du député ; et l’idée d’un coup d’État militaire lui paraissait prématurée.

La dernière entrevue qui eut lieu entre les deux hommes – en avril 1936 – fut pénible. Et Calvo Sotelo reprocha en termes très durs à Franco une indécision qu’il estimait coupable, dans les circonstances dramatiques où se trouvait l’Espagne.

Quelques semaines plus tard – le 13 juillet – Calvo Sotelo était lâchement assassiné par le « Front populaire » (dans les conditions que l’on connaît), avec la complicité flagrante du gouvernement.

Le 19 juillet, le général Franco – accordant à la dépouille sanglante de Calvo Sotelo ce qu’il avait refusé aux patriotiques objurgations du tribun – donnait le signal de la Révolution.

 

 

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Le général Franco.

 

Quel est l’exact visage du général Franco, ce chef audacieux dont le nom retient présentement l’attention du Monde ?

Francisco Franco naquit le 4 décembre 1892, d’un père officier de marine et d’une mère appartenant à la vieille noblesse espagnole. Élevé en un milieu rigoriste – où l’attachement à la Religion et à la Monarchie constituait un seul et même principe que l’on ne discutait pas – il fut destiné de bonne heure au métier des armes, et confié à l’âge de quinze ans à une école militaire.

Ardent, laborieux, aimant profondément l’Armée, où il voyait le principal espoir de redressement de sa patrie, le jeune homme conquiert rapidement le grade d’officier, et demande à servir au Maroc.

En 1913 nous le trouvons lieutenant des troupes indigènes. L’année suivante, il obtient le grade de capitaine. En 1916 : le voici promu commandant, à la suite d’une action d’éclat, accompagnée d’une blessure.

Mais un projet obsédait depuis longtemps l’esprit de cet officier supérieur de 24 ans, qui jouissait déjà dans tout le Maroc espagnol d’une réputation exceptionnelle : Franco entendait doter son pays d’une Légion Étrangère calquée sur le modèle de la Légion française. Il se lia en 1921 avec le général Milan Astray, à qui il s’ouvrit de son dessein.

Astray accepte d’enthousiasme le plan de son jeune camarade. Et les deux officiers – après un stage à Sidi-Bel-Abbès, où ils étudièrent de près l’organisation du premier Régiment étranger français – reviennent à Melilla pour fonder le « Tertio ».

Ce nouveau corps de troupes comprendra sept bataillons – ou « banderas » – de mille hommes chacun. Bientôt tout est mis au point, fini, éprouvé : l’Espagne possède une Légion à elle, qui maintiendra – au Maroc – le prestige de la Métropole et la sécurité des populations.

Le commandement de la première « bandera » est confié à Francisco Franco.

Il reste à ce poste jusqu’en 1925. À cette date Primo de Rivera le nomme lieutenant-colonel, et le charge de collaborer avec les troupes françaises dans la lutte commune contre les hordes dissidentes d’Abd-el-Krim. Le colonel Queipo de Llano et le général Milan Astray (deux noms que nous retrouvons dans l’Histoire de la Révolution actuelle) se battent également au Maroc. Et les trois chefs sont blessés au cours des opérations. Ils sont décorés. Franco reçoit en outre les étoiles de colonel.

En 1928, le fondateur des « banderas » est nommé général de brigade. Il a 36 ans : c’est le plus jeune général d’Espagne.

À la chute d’Alphonse XIII le général Franco se rallia à contrecœur à la République. Les Républicains avaient deviné son hostilité sourde, et ils lui en tinrent rigueur ; Franco tomba dans une sorte de demi-disgrâce, d’où il sortit cependant en 1932, à la suite des élections de Droite.

Nous assistons à sa nomination au grade de général de division en 1934. Et bientôt c’est son accès au poste suprême de chef d’état-major de l’Armée.

Entre temps, les idées politiques de Francisco Franco ont subi une évolution. Il s’est rallié à la République. Mais pas à la République parlementaire, qui fait la faiblesse de l’Espagne. Il est partisan d’un Régime autoritaire, où les pouvoirs d’un chef tempèrent les excès démagogiques possibles.

Ses sentiments sont connus d’Alcala Zamora, qui n’hésite pas – néanmoins – à lui confier le ministère de la guerre.

L’arrivée au pouvoir du « Front populaire », en 1936, fit pâlir l’étoile de Franco. D’abord envoyé aux îles Baléares – avec le titre de gouverneur – il se vit ensuite expédié au Maroc, où l’éloignement semblait le rendre moins dangereux aux hommes de Gauche.

Le calcul des extrémistes se retourna contre eux : les évènements viennent de l’établir. Car c’est au Maroc – dans le calme, et avec la collaboration de ses officiers et de ses troupes, dont l’aveugle dévouement lui était acquis d’avance – que le fondateur des « banderas » prépara et déclencha le mouvement révolutionnaire actuel.

Il manquerait une touche à cet imparfait et trop rapide tableautin, si l’on passait sous silence le drame douloureux qui obscurcit de tout temps la vie familiale des Franco.

Le général a un frère : Ramon, garçon d’une remarquable intelligence et d’une incroyable richesse de vie. Mais aussi, sorte de tête brûlée, qui se lança à corps perdu dans la politique révolutionnaire ; fut un des plus fameux officiers aviateurs de l’Espagne ; bouleversa Madrid par ses excentricités ; se maria à la suite d’un pari fait à la terrasse d’un café ; et finit par être nommé attaché militaire naval auprès de l’ambassade de Washington par le « Front populaire ».

Une haine froide sépara longtemps Francisco de Ramon, le traditionaliste de l’émancipé ; l’organisateur, du poète. Elle maintient encore son fossé entre les deux frères, que la guerre civile dresse face à face en des camps opposés.

Symbole dramatique de l’atroce duel mettant aux prises les enfants d’une même Patrie.

 

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Le major Ramon Franco, paraissant subitement suspect au Front populaire, a été destitué – depuis – de son poste d’Attaché de l’Air à l’ambassade d’Espagne à Washington. Il a fait connaître à son frère qu’il se mettait à la disposition du Gouvernement de Burgos, pour combattre les Marxistes.

 

 

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Le général Mola.

 

Emilio Mola est un peu plus âgé que Franco : il a cinquante-cinq ans.

C’est un homme peu communicatif, d’aspect taciturne, et de jugement lent. Mais la réserve cache une sensibilité délicate ; l’air rébarbatif couvre une bienveillance sans cesse prête à se dépenser ; et quant une décision est prise, la prudence qui a présidé à son élaboration se transforme en inflexible ténacité. Le général Mola parle peu, et œuvre beaucoup. Ce silencieux – comme me disait plaisamment un jour un officier carliste – est une « permanente poudrière ».

Mola était gouverneur de Pampelune au moment où éclata la Révolution nationale. L’on ne saurait encore établir jusqu’à quel point il agissait de concert avec Franco. D’aucuns parlent d’une entente préalable vieille de quelques mois. D’autres la nient. Quoi qu’il en soit, le général Mola n’hésita pas un instant, et donna immédiatement à ses troupes le signal du soulèvement.

L’ordre fut d’autant mieux suivi qu’il était lancé en plein cœur de cette Navarre catholique et traditionaliste, où l’on guettait impatiemment – voici des mois – l’heure de la lutte contre le communisme abhorré.

Mola a derrière lui un passé brillant.

Il se trouvait à la tête de la Sûreté d’État, sous la dictature de Berenguer. La République d’Azana lui confia le poste de Résident au Maroc espagnol. Azana crut qu’il arriverait à attacher le général au char rouge du Front populaire, quand il lui fit offrir – au lendemain de l’assassinat de Calvo Sotelo – le portefeuille de Ministre de la Guerre.

Mais Mola est un homme droit, sincère, sachant sacrifier ses intérêts matériels à un idéal. Il repoussa dédaigneusement l’invite, et jeta son épée dans l’autre plateau de la balance.

Il est indéniable que l’adhésion immédiate de Mola au mouvement national fut d’une importance décisive. Non seulement le général a « tenu » ferme – dans le Nord – tandis que Franco s’organisait, au Maroc, et transportait les troupes indigènes dans la Métropole ; mais il a encore rallié de nombreux partisans à la Révolution, par son prestige personnel et la sûreté de ses opinions démocratiques.

Enfin, c’est lui qui créa le Gouvernement de Burgos : organe de liaison indispensable, et rétablit l’ordre dans la capitale de la vieille Castille, par ces simples mots : « Je donne une heure à tous les travailleurs pour être à leur poste. » Une heure plus tard : fonctionnaires, employés, ouvriers, commerçants et industriels se trouvaient bien à leur poste.

Et il faut croire que l’expérience leur a réussi admirablement. Car lors de mon passage à Burgos, j’ai trouvé une cité magnifique d’entrain et de bonne humeur, où tous les rouages fonctionnaient à merveille. L’on n’eût certes pas dit que le front passait à 90 kilomètres de là.

Et tandis qu’à Burgos je disposais de sucre scié à volonté – pour agrémenter le café au lait national – ma famille, en France, était réduite au régime du sucre en poudre, par suite de grèves désorganisatrices. Contraste piquant.

 

 

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III. – Les défenseurs de l’ordre « rouge ».

 

 

Un coup d’œil – à présent – sur les deux camps qui s’affrontèrent, dès le signal du général Franco.

 

Pour la Révolution. – De ce côté se groupèrent non seulement les Monarchistes de Calvo Sotelo ; les Catholiques du parti de Gil Robles ; et les républicains modérés ; mais encore la grande masse des Espagnols qui avaient flirté avec les partis de gauche, et que l’avènement imprévu de la Dictature marxiste dégrisait brutalement.

À noter aussi que les Carlistes navarrais – ces partisans de la Monarchie absolue en la personne du prétendant Alphonse Nicolas – se rangèrent immédiatement aux côtés de Franco, sur un simple signe de leur chef : le légendaire Falconde.

La catholique Navarre fut d’ailleurs opposée – de tout temps – à l’anticléricalisme. Et les persécutions que le Communisme imposait à l’Église alimentaient – depuis des mois – l’indignation populaire.

 

Contre la Révolution. – Dans l’autre camp nous trouvons, naturellement, les divers partis de gauche unis sous l’étiquette du « Frente popular ». Et nous y remarquons également : les Séparatistes catalans de la région de Barcelone, et les Nationalistes catholiques basques.

Les premiers étaient à leur place, aux côtés des extrémistes de gauche. Car la généralité de Catalogne – comme on le sait – fut sans cesse au pouvoir d’éléments très avancés, dont les aspirations séparatistes (longtemps refoulées par la Royauté) trouvèrent une oreille accueillante du côté des Soviets. Le communisme prend naturellement position contre l’unité nationale – CHEZ LES AUTRES. La désagrégation et l’affaiblissement d’un payspar la mine souterraine du séparatisme – est une de ses armes favorites.

L’on comprend moins, toutefois, la position prise par les Basques catholiques.

Il existe un mouvement autonomiste dans le Guipuzcoa. Et les Basques catholiques de l’autre côté des Pyrénées rêvent depuis longtemps d’une petite patrie à eux, avec la langue maternelle, les traditions religieuses, les coutumes ancestrales qui les distinguent nettement des Espagnols des autres provinces.

Ces aspirations ne furent jamais prises en considération par la Royauté et la République. Venant après la généralité de Catalogne, une généralité des pays basques ouvrirait dangereusement le chemin au morcellement de la nation.

Néanmoins, les Séparatistes basques – depuis l’avènement du « Frente popular » dont ils avaient soutenu les candidats contre promesse de l’autonomie – paraissaient poursuivre leur rêve avec des chances de réalisation accrues, et se soudaient de plus en plus aux extrémistes rouges.

Quand sonna la date fatidique du 19 juillet, et que la Navarre croyante se dressa comme un seul homme en face du Bolchevisme matérialiste, les Basques reculèrent un instant devant l’effroyable perspective d’une guerre entre frères catholiques d’un même pays.

Ils tendirent la main à Franco, et lui signifièrent qu’ils le soutiendraient de toutes leurs forces s’il s’engageait à leur garantir l’autonomie, après la victoire. Le général répondit que l’unité espagnole était un dogme ne souffrant pas d’atteinte.

Les Séparatistes du Guipuzcoa se tournèrent alors vers les Extrémistes du « Frente popular » qui s’empressèrent de leur accorder les assurances refusées par Franco. Les dés étaient tombés. Le Basque catholique prit son fusil et s’aligna à côté de l’anarchiste catalan et du communiste asturien : contre le Navarrais et le Castillan catholiques.

Il est toutefois nécessaire de signaler que la division si regrettable des catholiques perdit de son acuité, et que nombre de Basques se retirèrent de la lutte, à la suite de l’émouvant appel lancé au mois d’août par les évêques de Vitoria et de Pampelune.

Voici le passage essentiel de cet important document :

 

Fils très aimés : Nous, avec toute l’autorité dont nous sommes revêtus et dans la forme catégorique d’un commandement qui dérive de la doctrine claire et inéluctable de l’Église, nous vous disons : NON LICET.

Il n’est pas permis, d’aucune manière, sur aucun terrain, et moins encore sous l’aspect d’une guerre très cruelle – raison suprême des peuples pour imposer leur volonté – de diviser les forces catholiques devant l’ennemi commun. La doctrine de l’union devant les ennemis du christianisme, avant tout, au-dessus de tout et avec tous, que si souvent le Pape actuel a préconisée... doit s’appliquer sans réserve, sans excuses, au cas d’une guerre où l’on joue le tout pour le tout, doctrine et idéal, biens et vies, présent et avenir d’un peuple.

Il est moins permis encore, disons mieux, il est absolument illicite qu’après s’être séparé de ses frères, on s’unisse à l’ennemi pour combattre son frère, mêlant l’idéal du Christ à celui de Bélial (entre eux, pas d’accord possible)...

Ce que nous déclarons illicite touche à la monstruosité quand l’ennemi est ce monstre moderne, LE MARXISME OU LE COMMUNISME ; HYDRE À SEPT TÊTES, SYNTHÈSE DE TOUTE HÉRÉSIE, DIAMÉTRALEMENT OPPOSÉ AU CHRISTIANISME DANS SA DOCTRINE RELIGIEUSE, POLITIQUE, SOCIALE ET ÉCONOMIQUE. Et quand le Souverain Pontife, en des documents très récents, lance l’anathème au communisme, prévient à son sujet tous les pouvoirs, même non chrétiens, et le signale comme le bélier destructeur de toute civilisation digne de ce nom ; DONNER LA MAIN AU COMMUNISME SUR LE CHAMP DE BATAILLE, ET CELA EN ESPAGNE ET DANS CE PAYS TRÈS CHRÉTIEN QU’EST LA BISCAYE ET LA NAVARRE, VOILÀ UNE ABERRATION QUI SE CONÇOIT SEULEMENT DANS DES ESPRITS PLEINS D’ILLUSIONS QUI ONT FERMÉ LES YEUX À LA LUMIÈRE DE LA VÉRITÉ....

Méditez ce que nous vous disons, nos très chers Fils. Pensez que la ruine de l’Espagne est la ruine de tous. En elle, comme dans le sein d’une mère, trouvent place tous ses fils, sans perdre pour autant leur physionomie particulière. Un régime de sagesse et de compréhension peut, en Espagne, régler toute aspiration légitime. VOTRE ATTITUDE D’AUJOURD’HUI POURRAIT ÊTRE LE GAGE DE FUTURS AVANTAGES, COMME ELLE POURRAIT VOUS MÉNAGER LA PERTE DÉFINITIVE DE CE QUE NOUS AIMONS LE PLUS APRÈS DIEU. Vous ne manquerez pas de mentors qui, dans ces heures d’extrême gravité, vous indiqueront les chemins que vous avez à suivre...

Entre temps, Fils très aimés, nous sommes là, le cœur et les mains tendus vers Dieu, pour qu’Il abrège les jours de l’épreuve que nous traversons. Que le souvenir des morts fasse réfléchir les vivants ! Que ceux-là, du haut du ciel, nous obtiennent la paix et les bénédictions pour la religion et la patrie qu’ils ont défendues dans les combats.

Voyez la ruine immense que l’ennemi a accumulée dans notre foyer national. Prions tous pour que cesse la présente calamité et qu’apparaisse enfin l’aurore de jours meilleurs...

 

 

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À l’heure présente, la Révolution nationale a institué un gouvernement provisoire à Burgos, sous la présidence du général Cabanellas, le même qui arrêta le général Sanjurjo lors de la révolte de Séville en août 1934, et contribua à sauver – à l’époque – la République...

En face de cette « Junte » officieuse (dont les généraux Franco et Mola sont les directeurs de conscience) que trouvons-nous, en Espagne officielle ? Exactement TROIS GOUVERNEMENTS. Le gouvernement de majorité communiste de Largo Caballero (le Lénine espagnol) à Madrid. Le Gouvernement d’essence radicale et socialiste de Martinez Barrio, à Valence. Et le gouvernement terroriste de M. Companys, à Barcelone.

Car le bloc commun contre l’ennemi commun ne connut pas longue durée chez les « Rouges ». Les rivalités de chefs, les heurts de tendances, et la tactique habile de Moscou ne tardèrent pas à porter leurs fruits.

Tandis qu’à Valence, Martinez Barrio résiste encore à la poussée des extrémistes, ceux-ci ont établi depuis longtemps leur prépondérance à Madrid et Barcelone.

Rien ne le prouve mieux, dans la capitale, que l’installation de Largo Caballero à la présidence du Conseil, après une molle résistance de l’herboriste Giral.

À Barcelone, M. Campanys ne se fait certainement plus d’illusion sur la qualité de ses prérogatives. Il trouve en face de lui la FAI (Fédération anarchiste ibérique), la CNT (Confédération nationale des travailleurs), l’UNT (Union nationale des travailleurs), les « Esquarras catalanes » (Gauches catalanes), l’UFP (Union des frères prolétariens), et le PC, ou Parti communiste, qui tire de savantes ficelles dans les coulisses de cette foire pittoresque, sous le regard exercé d’Andrès Nin et de Bela Kun.

 

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Le président Campanys se rend tellement compte du danger que représentent les éléments anarchistes de la FAI pour son gouvernement, qu’il a tenté d’en paralyser l’action par la création du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste). Il réservait de même une place de choix aux anarchistes dans la composition des corps expéditionnaires dirigés sur Saragosse..... Mais la FAI n’a pas tardé à voir clair dans le jeu..... Et les anarchistes ne partent plus au front.....

 

Si nous gardions le moindre doute à l’égard du rôle joué par les Soviets à Barcelone, nous le perdrions assurément en relisant ce passage du discours prononcé par Andrès Nin au Théâtre-Palace de la capitale catalane, le 8 Août dernier :

 

Il y avait beaucoup de problèmes en Espagne. Et les républicains bourgeois ne s’étaient pas préoccupés de les résoudre. Le problème de l’Église, nous l’avons résolu en ne laissant aucune église debout. Le problème du Fascisme, de même, a été résolu. (L’orateur n’indiqua pas COMMENT, mais sa discrétion est d’une éloquence qui fait frémir.) En ce qui concerne le problème de la Terre, nous avons dit aux paysans : « Installez-vous sur les terres. » Et ils ont compris cela mieux que toutes les réformes agraires. En ce qui concerne le problème de l’armée, la République avait laissé debout tous les généraux et – en huit jours – en Catalogne, l’armée a été détruite par les ouvriers et les soldats.

Nous voulons la suppression de l’armée et sa substitution par les milices armées qui seront l’armée du peuple, car leurs chefs seront élus par le peuple. Voilà quelques exemples qui prouvent qu’en huit jours nous avons gagné plus qu’en cinq ans de République bourgeoise.

En effet, l’une des conditions de l’établissement du Prolétariat – selon Lénine – était que le Prolétariat fût armé. Et cette condition est actuellement réalisée en Espagne.

 

Avouez qu’on a bien le droit de sourire, après cela, quand M. Campanys déclare : « L’ordre règne dans la Généralité », et que Largo Caballero reprend cette magnifique déclaration pour toute l’Espagne.

L’ordre ?

Bien sûr. Si vous entendez, par là, le silence des églises détruites, la passivité définitive des milliers de « fascistes » et de « suspects » fauchés par la mitrailleuse, la paix des cimetières instaurée dans les régions trop turbulentes, et la terreur muette qui étreint toute une population écrasée sous la botte inexorable du Communisme.

Les décombres, les charniers et les tombes sont de pauvres choses sans voix.

Mais elles ont une histoire, et je vais essayer d’en transmettre quelques échos.

 

 

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IV. – Barcelone.

 

 

Le Barrio Chino.

 

Barcelone, c’est la lumière, le soleil, le bruit, la joie de vivre ; c’est une coulée de briques roses, de toits bleus, de vitres étincelantes et de jardins multicolores descendant des montagnes violettes vers l’immensité chatoyante de la Méditerranée.

C’est la magnificence romane de la basilique Sainte-Eulalie, vieille de plus de mille ans ; l’audacieux symbolisme de la Sagrada Familia aux tours bariolées ; les Ramblas avec leurs platanes abritant l’oisiveté sonore d’une foule heureuse ; le Parc Guell où s’épanouissent les roses, parmi les faïences fragiles et les lourdes balustrades de fer forgé ; le palais de l’Audiencia, dont la façade sévère cache une cour intérieure fleurie d’escaliers, d’arceaux et de colonnettes à l’éblouissante élégance.

C’est l’Université où des professeurs réputés façonnent des générations d’étudiants indociles, laborieux et sympathiques.

C’est le port avec ses quais, ses usines, ses navires et le peuple de travailleurs manuels qui vit des comptoirs, des machines, des minerais et du dur métier de la mer.

Barcelone, c’est aussi la ville ardente, fiévreuse, spontanée où la voix du rhéteur possède des inflexions magiques et fait surgir du sol – pour la défense d’une idée – les fusils de la rébellion. C’est la cité aux grèves révolutionnaires ; aux rencontres sanglantes entre la caserne et le faubourg ; aux bombes que l’on allume dans un moment de folie ; aux répressions cruelles qui endeuillent les aurores du grand rêve social.....

Barcelone – enfin – c’est la capitale aux bas-fonds immondes où grouillent déserteurs, repris de justice, marchands de drogue, espions, voleurs internationaux, agents provocateurs, condamnés politiques, réfugiés italiens, juifs allemands, terroristes balkaniques : toute cette écume humaine que les passions ou les remous de la vie des peuples jettent inlassablement vers la rive de l’aventure.

Pour mesurer les misères cachées de Barcelone – et la force d’explosion latente qu’elles renferment – il faut aller dans certains recoins du « BARRIO CHINO ». C’est non loin du port, près de la caserne Atara Zanas.

Représentez-vous une succession de ruelles sordides et étroites, qui rappellent – en en décuplant la force – l’image de certains vieux quartiers de Marseille.

Des cordes relient les maisons par dessus la chaussée : une forêt de guenilles y sèche et intercepte la lumière parcimonieuse descendant d’un ciel avare, là-haut, entre les pignons qui paraissent se toucher. Façades lépreuses. Portes et volets blanchis par les intempéries. Fenêtres aux carreaux brisés, laissant passage à des lambeaux de rideaux noircis.

Au rez-de-chaussée, les portes d’entrée alternent avec deux sortes de boutiques : l’auberge et la pharmacie. Rien ne distingue – au premier abord – la première de la seconde. Même vitrine minuscule et sale ; même obscurité intérieure entrevue par la porte à demi ouverte.

Un examen plus approfondi vous fait découvrir des pancartes où l’on offre au passant un verre de vin à dix centimes, un lit à cinquante centimes, de la pâte prophylactique et des appareils d’hygiène. Le vin et le lit appartiennent à l’aubergiste ; le reste, au pharmacien. Les deux commerçants sont unis par des liens étroits : les habitués de l’un ayant l’impérieuse obligation de s’en remettre aux bons offices (antérieurs ou postérieurs) de l’autre.

Je vous laisse deviner le genre de promeneurs qui s’agitent dans ces ruelles sordides, résonnant à toute heure du jour et de la nuit de cris d’enfant, de hurlements de chiens, de glapissements de femmes et de discussions bruyantes entre représentants du sexe fort. Une cohue empuantie circule sans hâte sur le pavé pointu, ruisselant d’eaux grasses et de liquides innommables. Et de loin en loin – parmi les oripeaux des femmes et les faces bronzées des hommes – surgissent le bicorne noir et les buffleteries fauves d’une patrouille de gendarmes.

Dois-je avouer que je n’aurais sans doute jamais parcouru le « Barrio chino » si je n’avais connu la présence d’une maréchaussée vigilante ? Car portefeuilles et porte-monnaie s’évanouissent, ici, avec une rapidité et une adresse tenant du prodige. Et quand le passant s’aperçoit de son infortune, le voleur est déjà loin.

À moins qu’il ne soit tout près de vous, prêt à défendre l’honneur du vieux quartier contre vos soupçons infamants et à accompagner son verbe de démonstrations frappantes.

Une ou deux fois par semaine, un marché se tient dans une des ruelles du quartier.

Les éventaires sont dressés au milieu de la chaussée, c’est-à-dire qu’il reste un espace d’environ un mètre pour se glisser – sur chaque trottoir – le long des maisons.

Les marchands écoulent généralement fruits, légumes, viandes et poissons dont la mauvaise qualité ou la pourriture manifeste ont empêché la vente sur le marché des autres quartiers de Barcelone.

Bananes noircies voisinent avec tomates décomposées. Pommes avariées avec salades flétries. Sardines verdâtres avec huîtres desséchées. Saucisses moisies avec morceaux de bœuf gluants. Et dans cette atmosphère faite d’infâmes relents réside une invraisemblable populace qui semble échappée d’un album de Goya.

À l’extrémité de la rue du Cid – dans l’artère qui mène au port – sont installés les marchands de bric-à-brac. Ils complètent le tableau.

Accroupis devant un journal – où s’étalent leurs marchandises – ils attendent, une patiente cigarette au bout de leurs doigts sales.

L’un est un vieux sans âge, barbu, larmoyant, perdu dans un pardessus élimé dont les poches renferment d’extraordinaires réserves de bouts de ficelle, de bouchons et de clous rouillés. L’autre affiche un sourire sournois dans un visage troué par la petite vérole : il peut compter quarante ans ; une estafilade éloquente fend sa main droite en deux. Quel trouble passé se cache dans ce regard inquiétant ?

Un troisième est un bouddha hilare, au ventre débordant sur une ceinture rouge. Le mégot pend à sa lèvre inférieure comme une virgule négligée.

Un autre encore s’équilibre sur un escabeau, entre deux béquilles primitives. Des moignons lui tiennent lieu de jambes. Il sifflote quelque chose entre ses dents noires et paraît absorbé dans la contemplation d’un couteau, dont il fait jouer les deux lames avec une persistance puérile.

Sur les journaux s’alignent – ou sont jetés pêle-mêle – les objets les plus hétéroclites, tels qu’on les trouve dans tous les « marchés aux puces » de la Création. Il faut néanmoins reconnaître qu’il existe ici une originalité incontestable : celle de deux vendeurs voisins, dont l’un offre aux passants UN SEUL soulier de femme, à la pointe béante, tandis que l’autre a sagement disposé devant lui un peigne ébréché, une râpe à bois et un poinçon dépourvu de manche.....

Faisons le silence sur d’autres rues – non moins pittoresque – du « Barrio chino » : leur évocation ne serait pas à sa place ici.

 

 

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Supprimez les autorités civiles et militaires de Barcelone. Laissez les arsenaux et les casernes à la disposition des anarchistes et des communistes. Ouvrez toutes grandes les portes des prisons. Permettez la fusion de tous les éléments malsains de la ville. Lâchez sur Barcelone en effervescence le flot tumultueux du « Barrio chino » et de sa Cour des Miracles.

Et imaginez – à présent – ce qu’a pu devenir la grande cité catalane en ces sombres journées de juillet 1936, où la populace, après avoir écrasé la tentative de révolution « fasciste », donna libre cours à ses impatiences, à ses instincts et à ses fureurs.

 

 

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Les assassins à l’œuvre.

 

La proclamation de l’état de siège et l’appel lancé par le général Goded aux militaires et à la population civile de Barcelone étaient voués – d’avance – à l’échec. Seule, la garnison s’avérait insuffisante pour tenter un mouvement sérieux.

Et il ne fallait pas compter sur une aide efficace de la part des habitants, où les éléments avancés détenaient d’ailleurs une majorité massive, servie par des organisations extrémistes solides.

Le 25 juillet – sixième jour de l’insurrection – la ville était définitivement aux mains des gouvernementaux et les régiments mutins ainsi que les rebelles civils se trouvaient en prison ou bien avaient été massacrés.

Les prisonniers de marque attendaient que l’on statuât sur leur sort dans les cales du vapeur « Uruguay ». Parmi eux figurait le colonel Francisco Gimenez Arenas, qui avait été nommé président de la Généralité à la suite des évènements d’octobre 1934.

L’instabilité politique en Espagne réserve de ces « surprises » aux officiers généraux et aux ministres. Aujourd’hui, ils sont chefs de province ou d’État et jouissent des pouvoirs les plus étendus ; demain, nous les rencontrons adossés au mur de l’exécution. Cela seul suffirait à expliquer bien des compromissions, des volte‑face et des coups de théâtre, dont les mobiles semblent parfois insaisissables à notre mentalité de Français.

Mais l’alerte, à Barcelone, avait été chaude. Et les révoltés s’étaient défendus contre les troupes improvisées du « Frente Popular » avec un rare acharnement. L’hôtel Colon, place de la Catalogne, avait constitué leur dernier bastion. Ils se rendirent quand – les munitions épuisées – il ne leur fut plus possible d’agir autrement.

On les passa par les armes.

Le 25 juillet, la révolution était donc vaincue. Mais l’armée avait disparu. Il ne restait plus à Barcelone que des bandes de socialistes, d’anarchistes et de communistes militarisés. Maintenant que ces révolutionnaires possédaient enfin les fusils et les mitrailleuses de leurs rêves, ils n’allaient évidemment pas s’en défaire.

Il fallait du reste prévoir l’éventualité d’un nouveau soulèvement « fasciste » dans la ville et organiser en même temps la résistance au danger d’une armée rebelle venue de l’extérieur.

L’on mit alors sur pied l’organisation des « milices populaires » chères au cœur soviétique d’Andrès Nin et à celui de M. Campanys. Le président de la Généralité n’avait-il pas déclaré – deux mois plus tôt – à un envoyé spécial du journal « VU » : « LA QUESTION NATIONALE EST ADMIRABLEMENT RÉSOLUE EN URSS. J’AI ÉTUDIÉ LE PROBLÈME AVEC LA PLUS GRANDE ATTENTION.... AUJOURD’HUI, C’EST LA RÉVOLUTION SOVIÉTIQUE QUI DONNE L’EXEMPLE AUX AUTRES PAYS. »

Et l’on donna effectivement « l’exemple » aux autres pays, sous l’impulsion de Carida Mercader – Louise Michel buvant le vin blanc sur le ventre ouvert des otages.

Ce fut d’abord la ruée vers les églises qui n’avaient pas été détruites au lendemain de la victoire électorale de Février.

Toutes – à l’exception de la cathédrale et de la chapelle française, que protégeait le drapeau tricolore – reçurent la visite d’une horde d’incendiaires et de massacreurs. Au pillage et à la démolition succéda le jeu de l’essence et de la torche. Et tandis que la flamme criminelle dévorait les pieux édifices, des bandes d’énergumènes avinés dansaient sur les places et voies publiques environnantes, où des amoncellements d’ornements sacerdotaux et d’objets du culte attendaient les insultes et la profanation de la multitude.

C’est ainsi que l’on brûla, après l’avoir odieusement mutilé, le plus ancien Christ de Barcelone – et peut-être d’Espagne – dont M. Rockefeller, le richissime Américain, avait manifesté le désir de se rendre acquéreur pour la somme d’un million de dollars.

Les trésors artistiques détruits par la foule, au cours de ces saturnales antireligieuses, ne sauraient être estimés à leur valeur exacte. Les journaux du « Frente Popular » eux-mêmes durent reconnaître la gravité des pertes ainsi enregistrées par la collectivité. Et le gouvernement de M. Campanys, pris de remords, créa des équipes de volontaires chargés de « récupérer » les objets précieux échappés à la fureur de la populace.

On entassa ciboires, vases sacrés et ostensoirs d’or et d’argent dans le salon Saint-Georges du palais de la Généralité, où des journalistes étrangers purent les examiner.

Aux églises succédèrent – bien entendu – les couvents et institutions religieuses. Les quartiers de Les Corts, Sarria et Pedralbes, où sont situés les principaux monastères de la ville, continrent bientôt une véritable marée humaine d’où montaient des huées et des cris de mort.

Laissons la parole, pour décrire les scènes qui vont suivre, à un témoin oculaire, dont le récit m’a été confié quelques jours plus tard.

 

Il est huit heures du soir. Barcelone, partiellement privée de lumière, s’éclaire surtout du rouge reflet des incendies qui font rage.

Je suis prisonnier de la foule. Elle m’a cueilli – flot irrésistible – au moment où je m’efforçais de regagner mon hôtel. Et me voici devant le couvent de Bampaya, au sein d’une meute déchaînée où les femmes poussent des glapissements hystériques. Mégères dépeignées ; gamins à la bouche tordue par la haine ; jeunes filles coquettement vêtues dont les cheveux bouclés semblent à peine sortis des mains du coiffeur ; hommes de tout âge, avec ou sans armes ; miliciens au foulard rouge, brandissant un poing nerveux : il y a de tout dans cette cohue en délire, qui réclame à grands cris le châtiment des « fascistes en soutane ».

Un groupe d’anarchistes cogne bruyamment à la lourde porte du couvent. La réponse se faisant attendre, l’impatience de la multitude croît de seconde en seconde. « À l’assaut ! » jette une voix de femme. « Qu’on passe par les jardins ! » – « Il faut les brûler vifs, comme des rats ! » – « À bas les cafards ! » – « Mort aux fascistes ! » – Les cris se croisent, mêlés aux injures crapuleuses.

Finalement, la porte est ouverte.

Un Religieux paraît sur le seuil. Il est très pâle et esquisse un mouvement de recul – vite réprimé – à la vue de la masse hurlante qui se presse dans la rue. Puis il s’adresse à un groupe d’hommes armés qui l’entourent et que rejoignent, en jouant des coudes à travers la foule, des miliciens aux traits contractés. Que dit le malheureux ? Quelle inutile défense tente-t-il ? À quels impuissants arguments a-t-il recours ? Je ne sais. Le bruit et la distance m’empêchent d’entendre. Je ne peux que voir. Et ce que je vois suffit pour confirmer les pires appréhensions.

Un geste brutal a mis fin au bref entretien qui se déroulait là-bas, au sommet de l’escalier de pierre, noir de monde. Le Religieux est à présent collé contre un des battants de la lourde porte. Il a les bras croisés sur la poitrine. Les insultes le soufflettent.

Une femme s’avance, lève la main et l’abat sur la joue de l’infortuné. Se piquant au jeu – sous les applaudissements de la multitude – elle recommence, puis saisit le Religieux aux épaules, le secoue frénétiquement et lui crache au visage. « À mort ! À mort ! » hurlent cent forcenés en tendant le poing.

Un remous. Un vif bruit de voix. J’ai beau me dresser sur la pointe des pieds : je ne vois plus le Religieux. J’apprendrai tout à l’heure qu’il a été précipité à terre, piétiné et écrasé par le talon des manifestants.

Maintenant la foule se précipite à l’intérieur du couvent. Des fenêtres s’ouvrent du côté du jardin. Des fanatiques s’y penchent et agitent vers les spectateurs des Christs, des statues, des étoles et des livres saints.

L’un d’eux s’est coiffé d’un bonnet de chœur et manipule un goupillon bénisseur en criant des paroles qui se perdent dans le brouhaha.

Ensuite, le pillage commence. Meubles, linges, objets du culte, et jusqu’à des sacs de farine et des pots de conserves sont jetés pêle-mêle dans le jardin et la rue. Les rangs de la populace s’ouvrent devant ce butin tombant du ciel ; puis se referment joyeusement pour l’organisation des feux de joie.

Car personne ne songerait à saisir tel calice précieux, si ce n’est pour tenter de le briser farouchement. Et personne ne s’aviserait de ramasser telle provision de bouche, si ce n’est avec l’intention de la rendre inutilisable. Cette foule n’a visiblement qu’un but et qu’un souci : LA DESTRUCTION SYSTÉMATIQUE. Elle est là pour commettre le maximum de mal possible et elle se grise au spectacle de sa propre folie. Il n’y a plus rien à espérer d’un tel troupeau de bêtes déchaînées.

Et les autorités le savent si bien que les quelques gardes civils présents, non seulement ne songent pas à intervenir, mais figurent encore au premier rang des spectateurs et applaudissent ostensiblement au drame. Vous dirai-je la suite ? Elle fut horrible.

Quand le couvent flamba et que le danger obligea les incendiaires à l’évacuer, on amena les moines (j’en ai compté onze) devant la porte d’entrée : « Je vous présente, camarades, la fine fleur du Fascisme espagnol ! » gouailla un milicien d’une voix de stentor, en empoignant la tête d’un Religieux et en lui imprimant des mouvements désordonnés qui soulevèrent la joie de l’assistance ; « Voyez comme il est gras et rond : les oremus conservent bien leur homme, n’est-ce pas, camarade fasciste ? » acheva la brute en s’adressant au moine qu’il jeta à genoux d’un violent coup de pied dans les reins.

Le Religieux se releva. Il ne disait pas un mot. Ses lèvres remuaient, mais c’était pour une prière.

La prière des Morts, sans doute.

Car cette populace hideuse était ivre de sang. Et les onze infortunés, qui se tenaient serrés là-haut, frêle épave au milieu d’une mer démontée, ne se faisaient plus d’illusions sur leur sort.

L’homme à la voix de stentor s’était tourné vers la rue : « Camarades, vous êtes la justice populaire. Quelle sentence appliquerez-vous à ces ennemis de la liberté ? »

La populace n’eut pas le temps de répondre. Déjà un jeune voyou d’une vingtaine d’années, portant une large cocarde rouge du côté du cœur, poussait devant lui le plus âgé des moines et lui appliquait froidement le canon d’un browning dans le dos.....

Une détonation brève. Le Religieux s’écroula sur les genoux, essaya d’ouvrir les bras et tomba, le visage contre les marches.

Un mince filet de sang pourpre apparut sur la pierre blanche.

ET LES DIX AUTRES FURENT ABATTUS DE LA MÊME FAÇON, AUX APPLAUDISSEMENTS DÉLIRANTS DE LA RUE.

Je vous avoue que je n’eus pas le courage d’assister à cette ignoble boucherie jusqu’au bout. Je fermai les yeux. Et à chaque détonation nouvelle – tandis que s’élevaient des clameurs de cannibales – je priais Dieu pour l’âme du nouveau Martyr.....

 

 

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Est-il encore besoin – pour faire ressortir la bestialité du « Frente popular » de Barcelone – de rappeler l’affreuse torture infligée aux 28 moines de Sainte-Thérèse ? L’hebdomadaire « Je suis partout » a raconté – d’après la déposition d’une religieuse réfugiée actuellement en Angleterre – comment ces malheureux trouvèrent la mort, sous les savants coups de hachette de leurs bourreaux.

Le père Auna fut martyrisé avec une particulière cruauté.

Convient-il aussi d’évoquer le souvenir des Carmélites ?

Le monde entier frémit d’horreur quand des documents photographiques formels lui apprirent que les Révolutionnaires barcelonais déterraient les cadavres de Religieuses pour leur glisser des cigarettes entre les dents, leur donner des attitudes grotesques, et les exposer aux risées de la populace.

La Presse du « Front populaire » a tenté, d’abord, de nier ces odieuses profanations. Obligée de les reconnaître, elle s’est ensuite ingéniée à en donner d’apaisantes explications.

On avait déjà mis sur le dos des curés – qui « mitraillaient les troupes gouvernementales du haut des clochers » – les incendies et pillages d’églises. Voici comment l’on excuse l’exhumation sacrilège des Carmélites de Barcelone.

Je tire la citation suivante d’une Revue parisienne qui fait profession de neutralité, mais soutient perfidement notre « Front populaire » – et celui de l’autre côté des Pyrénées. Je peux affirmer ce que j’avance. Car je me suis trouvé à Hendaye, en août dernier, avec un rédacteur de la Revue en cause ; j’ai lu la recommandation écrite par l’Ambassade espagnole à Paris, et qui permit à mon confrère de franchir les lignes « rouges », alors strictement fermées aux journalistes catholiques, ou simplement neutres.

Revenons à notre citation, que voici :

 

Nos pas nous conduisent vers le couvent des Salésiennes. Un spectacle imprévu nous y attend, bien espagnol également. Du plus loin, nous voyons des groupes de gens se diriger de ce côté, et la foule fait queue devant les grilles du morne bâtiment, sans art et sans style, dont il ne reste que les murs. On a déterré les religieuses embaumées, leurs cercueils ouverts sont dressés côte à côte, au grand soleil, devant le porche de l’église et le long de la courette intérieure. Jeunes gens et jeunes filles, femmes de tout âge, défilent lentement devant l’étrange exposition. De ces mortes, les unes sont déjà sèches et incorruptibles, les autres, plus récentes, montrent des lambeaux d’étoffes et de chairs brunes. Mais les soins funèbres ont conservé leur expression aux visages. Tous les types humains sont représentés là, depuis la paysanne lourde aux traits massifs jusqu’à la figure mince, fine et coupante d’une mère abbesse.

...Ce spectacle n’éveille l’horreur qu’en ceux qui ne supportent ni la pensée ni la vue de la mort. Je confesse n’être pas de ceux-là. Je ne peux pas voir sans une révulsion de tous mes organes, qui confine à la nausée et au dégoût de vivre, le corps du tué gisant prématurément sur les lieux du meurtre ou du combat. Mais le squelette sans nom, ou les restes humains tirés de la terre où ils ont subi le sort naturel, me paraissent convenir, le plus souvent, à une forme très conventionnelle de pathétique et à un romantisme de qualité suspecte. La scène du fossoyeur, dans Hamlet, ne m’a jamais touché. Beaucoup plus que sa mort, la vie de l’homme est une source insidieuse et dramatique de douleurs et de troubles.

La foule qui regarde et médite à mes côtés semble partager mes sentiments. Elle n’est guère émue. Et un homme interrogé nous fait, sans ironie, cette réponse : « Depuis le temps qu’elles étaient enfermées, ces nonnes, elles avaient bien le droit d’être remises en liberté ! »

 

Vous avez bien lu, n’est-ce pas ? Notre journaliste – favorable au « Frente popular » – a vu les « Religieuses embaumées » dans leurs « cercueils ouverts au grand soleil ».

On ne saurait être plus affirmatif.

Et le même confrère, qui ne trouve pas le moindre sujet d’horreur dans cette exhibition, attribue le geste ignominieux des Miliciens rouges au droit des Religieuses mortes « D’ÊTRE REMISES EN LIBERTÉ ».

Un peu de cynisme de plus, et l’on nous racontait que les Carmélites défuntes avaient elles-mêmes réclamé leur exhumation criminelle.

On ne saurait être plus abject.

 

 

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Fusillades, vols, expropriations.....

 

Il serait vain de croire que le « Frente popular » de Barcelone a réservé sa « sollicitude » aux seuls membres des Communautés religieuses.

Les laïques n’ont pas subi de meilleur traitement.

Une dictature de fer pesa sur la ville, dès la réduction des derniers centres « fascistes » : c’est-à-dire après le massacre de plusieurs milliers d’habitants.

L’on procéda à des réquisitions massives. Toutes les voitures particulières furent raflées (sans que l’on prît même le soin de délivrer des Bons réguliers en échange). Une firme étrangère se vit ainsi dépouillée de vingt-sept voitures neuves, d’un avion, et d’une somme de 70 000 pesetas.

Mêmes façons d’opérer chez les boulangers, épiciers, confectionneurs, fabricants de meubles, pharmaciens, etc. Des camions encadrés de miliciens en armes stoppent devant le magasin « réquisitionné ». On les charge de tout ce qui se trouve sur les rayons du propriétaire. Puis l’on démarre, sous l’œil consterné du commerçant, qui doit se féliciter (lui laissera-t-on remarquer en cas de protestations de sa part) de s’en tirer avec la vie sauve.

Les banques furent épargnées, car la Généralité les fit occuper par des gardes civils aux premières heures de l’émeute. Mais il est interdit d’en retirer plus de 375 pesetas par semaine. Les Étrangers ont droit à 1000 pesetas. Bien entendu, une autorisation de la CNT (Confédération nationale des travailleurs) est nécessaire pour la délivrance de ces sommes.

Quant aux propriétaires – lorsqu’ils ne sont pas purement et simplement dépossédés de leurs immeubles – ils subissent les effets d’un moratoire qui les prive de tout loyer. Et les chefs d’usines ont dû céder leurs entreprises à des soviets d’ouvriers qui ont généralement inauguré leurs nouvelles fonctions par la mise à mort de l’ancien patron.

Cela supprime, évidemment, toutes contestations ou dangers de restitutions ultérieures.

Nous ne parlerons pas des Barcelonais riches ou occupant des situations qui les classaient dans l’infamante bourgeoisie : les douze balles classiques, précédées de tortures variées, leur apprirent le danger d’être des « possédants » sous le régime égalitaire des Soviets.

Aussitôt délivrés des « infâmes exploiteurs du peuple », les pontifes du « Frente popular » s’empressèrent de s’installer dans leurs autos, leurs appartements, et leur bien-être. Car (le miracle s’est déjà produit en Russie) rolls, châteaux et comptes en banque deviennent soudain des nécessités de la vie courante, lorsque leurs bénéficiaires en jouissent « au nom du peuple ».

Et l’on assista, à Barcelone, au spectacle des délégués de la CNT et de la FAI calant confortablement leur postérieur intégralement révolutionnaire dans les fauteuils les plus profonds des plus somptueux hôtels particuliers.

Le parti communiste – sous l’aiguillon d’un renoncement tout aussi prolétarien – élut domicile dans le luxueux palais du marquis de Camillas, qui possède des collections d’une particulière rareté. Il s’y trouve, ma foi, fort à son aise. Et les « camarades chefs » n’ont pas encore concédé une partie de leurs droits – sur la cave du marquis – aux « camarades » tout court.

Ces derniers se contentent du vin et de la pitance des menus restaurants de la ville, où l’on solde sa note au moyen de Bons de réquisition signés par les autorités communistes.

Les troupes rouges, les parasites innombrables gravitant autour des états-majors anarchiste et communiste, les syndicalistes, les ouvriers sans travail, les chômeurs volontaires, et toute la racaille des bas-fonds barcelonais, qu’enchante le désordre actuel, ont besoin de beaucoup d’argent.

Pour satisfaire leur croissante avidité, on exige des « contributions de guerre » de la part des habitants soupçonnés de dissimuler quelques réserves métalliques.

Quand ce procédé ne suffit plus, on recourt à celui de la rançon. Une horde rouge fait irruption la nuit, dans une maison, jette les propriétaires hors du lit et les aligne dans la rue : « Vous avez le choix : 50 000 pesetas, ou l’exécution. Nous attendrons dix minutes votre décision ».

Et déjà certains éléments avancés réclament la propriété des banques, avec les dépôts et les coffres-forts particuliers qu’elles abritent. Ce serait la ruine finale de tout le commerce et de toute l’industrie de Barcelone.

 

 

Xénophobie.

 

On pourrait être tenté de supposer que les étrangers habitant Barcelone ont été épargnés – ou du moins respectés – par les séides du « Front populaire » ?

Erreur dont il convient de se débarrasser.

De nombreux commerçants, prêtres, religieux, agents consulaires appartenant aux nations les plus diverses, ont subi les pires vexations. Plusieurs ont été massacrés.

Rapportons ici l’incident Lawton : il est suggestif.

Le 12 septembre dernier, M. Fraser Lawton, directeur de la compagnie « Riegos y Fuerzas del Ebro », qui produit l’énergie électrique pour la Catalogne et une bonne partie de l’Espagne, arrivait à Perpignan, et faisait les déclarations suivantes :

 

Je viens de Barcelone, et me rends à Londres pour saisir mon conseil d’administration de faits graves. Les syndicats avancés ont occupé nos usines, dès le début de la guerre civile, et ont mis en poche la totalité des recettes réalisées depuis l’époque : soit 1 500 000 pesetas. Bien entendu, ils ne se sont pas occupés du règlement des dépenses, du payement des matière premières, etc. Il leur fallait du « bénéfice net », symbolisé par un vol pur et simple.

Le 7 Septembre, une délégation d’anarchistes m’a enjoint de lui signer un chèque de plusieurs centaines de milliers de pesetas. Je m’y suis refusé, estimant qu’on avait suffisamment déjà pillé la Société.

Mes visiteurs, après s’être retirés, firent une démarche comminatoire auprès du gouvernement de la Généralité. Et celui-ci ordonna à la banque de régler le chèque des anarchistes, bien que je lui aie refusé ma signature.

De tels actes de banditisme sont intolérables. J’ai immédiatement pris des mesures pour l’évacuation du personnel étranger de notre entreprise. Et dès que je serai à Londres, nous demanderons énergiquement réparation par voie diplomatique.

 

Par ailleurs, les consulats de Pologne, du Chili, du Paraguay, furent envahis et mis à sac. Le frère du consul du Paraguay, faisant fonctions de consul au moment de l’arrivée des émeutiers, tenta de s’opposer au pillage de la maison : il paya de sa vie cet essai d’énergie.

S’étonnerait-on de l’attitude des miliciens envers les représentants officiels des pays étrangers, dans une ville livrée sans défense au pouvoir des Rouges, quand on songe que l’ambassadeur de France en personne fut molesté et menacé d’un coup de fusil à vingt mètres de la frontière française ?

J’ai assisté à la scène, du pont international d’Hendaye. Et je crois que si notre poste de gardes mobiles n’était promptement accouru au secours de l’ambassadeur, l’aventure eût enregistré une issue tragique.

 

 

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La Presse jugulée.

 

Et la Presse ? direz-vous.

Elle n’existe plus – à Barcelone comme ailleurs – qu’à l’état de feuilles squelettiques, dont une censure inexorable écarte toute nouvelle susceptible de déplaire aux maîtres de l’heure.

Voici les révélations que fit à ce sujet un journaliste français de Gauche, de retour à Perpignan après un séjour de deux semaines dans la capitale catalane :

 

J’ai la sensation de sortir d’un enfer. On risque bel et bien sa vie en parcourant certains quartiers de Barcelone. Mes confrères et moi, nous dûmes en hâte souvent changer d’hôtel afin d’éviter des perquisitions de miliciens sans mandat. Pour ne pas paraître suspect, j’ai dû revêtir une mise négligée.

Songez, en effet, qu’à l’heure actuelle aucune femme de Barcelone n’ose sortir avec un chapeau. Jour et nuit, on se tire des coups de revolver et l’on apporte quotidiennement au cimetière de Barcelone une quarantaine de gens assassinés.

Une chose que je n’ai pu signaler à mon journal, c’est que les anarcho-communistes n’admettent pas que les journaux du Front populaire français publient des dépêches de source nationaliste ou rebelle. Ils n’admettent pas davantage la moindre critique sur leurs actes.

Vous apprendrez ainsi qu’en l’espace de 15 jours la vente de « l’Humanité » a été interdite une fois, et celle du “Populaire” trois ou quatre fois. Seuls, « l’Œuvre » et « le Peuple » n’ont jamais été saisis. Quant à la Généralité de Barcelone, elle se moque complètement des ordres de Madrid, et les anarcho-communistes en font autant devant les prescriptions de M. le Gouverneur de la Généralité. Après cela, vous devinez combien on est heureux de revenir en France, fût-on radical-socialiste bon teint.

 

 

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Ville morte.....

 

En résumé : paralysie de la vie économique et attentats permanents aux libertés les plus élémentaires de l’individu et de la collectivité sous le knout d’une dictature sanglante.

Que devient – dans cette tragédie – le président Campanys ?

Il voit mélancoliquement passer sous ses fenêtres les milliers de femmes, d’hommes et d’enfants auxquels il a ouvert les arsenaux et dépôts d’armes, le 19 juillet 1936. ET IL SONGE SANS DOUTE QU’IL EST PLUS DIFFICILE DE DÉSARMER LE PEUPLE, QUE DE L’ARMER.

Barcelone a instauré le régime anarcho-soviétique par le sang, le fer et le feu.

Aussi la belle cité catalane – qui formait hier un des justes motifs de la fierté nationale – a-t-elle pris l’aspect d’une ville morte, où règnent la MISÈRE, la HAINE et l’ANGOISSANTE INCERTITUDE DU LENDEMAIN.

 

 

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V. – Madrid.

 

 

Largo Caballero.

 

En février 1936 – au lendemain même du triomphe électoral du « Frente Popular » – les Marxistes prirent le pouvoir, à Madrid.

Ils ne le prirent pas officiellement – en ce sens qu’ils autorisèrent la formation d’un Cabinet de concentration de Gauche. Mais ils se l’assurèrent pratiquement. Aux côtés d’un Ministère constitutionnel se dressa un « Ministère des Masses », où Largo Caballero exerça sa dictature communiste, discrètement, jusqu’au moment où il lui serait possible de l’étaler au grand jour – comme il avait déjà tenté de le faire lors du soulèvement révolutionnaire d’octobre 1934.

La comédie vient de cesser. Les masques tombent. Et c’est Largo Caballero qui prend enfin les leviers de commande de l’État espagnol, après les palinodies enfantines que représentèrent les ministères Azana, Quiroga, Barrio et Giral.

Ces divers gouvernements – pour fantomatiques qu’ils fussent – comportaient tout de même le mérite d’être l’expression légale du suffrage universel.

Avec Largo Caballero les choses changent d’aspect. Le chef du nouveau gouvernement n’a pas attendu le bon plaisir du président de la République pour assumer la charge du commandement suprême : il a montré la porte au larmoyant Giral, et a signifié sans ambages à M. Azana qu’il jugeait le moment venu d’entrer en scène. L’on accordera au geste un caractère de franchise. Et l’on jugera à sa valeur réelle le nouveau gouvernement « légal » de la République voisine.

Francisco Largo Caballero – plus communément désigné sous l’appellation de « Lénine espagnol » – est né à Madrid le 15 octobre 1869. Sa famille : d’humbles – mais d’honorables – ouvriers. Lui-même connut une enfance difficile. À huit ans déjà il travaillait, pour un salaire dérisoire, dans une cartonnerie. Puis ses parents le placent chez un cordier. Et à l’âge de neuf ans il débute dans le métier de stucateur : travail qu’il pratiquera – de façon intermittente – jusqu’en 1904.

Car Caballero se sentit attiré de très bonne heure vers le syndicalisme et la politique. Intelligent, observateur, s’assimilant rapidement toute chose, et nanti d’un arrivisme solide, il avait tôt saisi le parti qu’il pourrait tirer de la misère et de la crédulité candide des masses. Il devint vite – de simple militant – président de la Maison du Peuple de Madrid, et membre de la « Commission exclusive » de l’UGT (Union générale des Travailleurs).

Nous le trouvons, par la suite, gérant de la Mutualité ouvrière de Madrid, membre de l’Institut de réformes sociales, et président du Groupe socialiste de Madrid. Éloquent et décidé, il acquiert la confiance enthousiaste des foules, en même temps que l’hostilité des Pouvoirs publics avec lesquels il a maints démêlés.

Emprisonné en 1909, 1911, 1916 et 1917, il voit sa popularité grandir ; et une élection mouvementée l’envoie siéger au Conseil municipal de la Capitale. En 1918, le voici élu député, à Barcelone.

La fortune politique du leader socialiste était, cette fois, bien assise.

Le dictateur Primo de Rivera – qui craignait Caballero – crut très adroit de l’amadouer en lui confiant un poste de Conseiller d’État. Le chef marxiste accepta l’aubaine avec empressement : elle valait bien un court temps d’arrêt dans son zèle de lutteur révolutionnaire.

Quand tomba la Monarchie, Largo Caballero obtint un portefeuille au sein du gouvernement provisoire.

Puis, ce fut à nouveau la lutte contre les Cortès modérées de 1933.

En 1934 éclata la sanglante révolte des mineurs, dans les Asturies. Traduit devant les tribunaux – après l’écrasement de ce mouvement, qui avait été une sorte de préface aux excès « rouges » de février 1936 – le leader socialiste nia toute participation à la rébellion, et fut acquitté. Mais le rôle capital joué en la circonstance par Caballero ne laissait aucune doute dans l’esprit d’hommes avertis – comme Calvo Sotelo et Gil Robles. Et ce sentiment était juste : les évènements n’allaient pas tarder à le prouver.

Largo Caballero, entre temps, achevait sa conversion à l’extrémisme ; et se rapprochait de plus en plus de Moscou.

À partir des élections de février dernier, il s’assigna la tâche d’entretenir une agitation grandissante à travers l’Espagne. Il paya royalement de sa personne. Et chaque jour, le vieux lutteur parcourait le pays pour prêcher la bonne parole marxiste ; attiser les passions, approfondir le fossé qui se creusait entre le pouvoir légal et les aspirations fiévreuses du peuple : en un mot, pour préparer l’avènement d’un Pouvoir strictement soviétique.

La révolution nationale le surprit en plein labeur : au moment où il escomptait la récolte prochaine de ses efforts haineux – et quelque peu intéressés.

Cette courte notice biographique serait incomplète si nous ne reconnaissions au leader extrémiste une plume aiguisée, qu’il fit apprécier dans divers organes de combat. Caballero est aussi l’auteur d’un livre : « Passé, présent et futur de l’Union générale des Travailleurs ». Cet ouvrage fit sensation à l’époque de sa publication.

Un dernier détail : le nouveau président du conseil espagnol est père d’un jeune soldat qui fut arrêté par les Nationaux lors du soulèvement du régiment de communications « Pardo », où il terminait son temps de service.

Le leader extrémiste s’est entouré, en prenant le pouvoir, d’une équipe de ministres à la silhouette étrangement falote. Ces fantômes se répartissent comme suit – rappelons-le, au point de vue politique – : quatre socialistes ; trois communistes ; un membre de l’Union républicaine ; deux membres de la Gauche républicaine ; et un membre de la Gauche catalane.

Le ministre de l’Agriculture est un nommé Galdeano, ouvrier métallurgiste de son métier. Et le ministre de l’Instruction publique a été choisi aussi opportunément en la personne d’un artiste peintre de 28 ans : Jeans Hernandez. Quant au ministre de l’Intérieur, il n’est autre qu’Angel Galarza, l’homme qui déclarait en pleines Cortès, peu de jours avant l’assassinat de Calvo Sotelo : « La violence contre le chef du parti monarchiste n’est pas un délit » ; l’homme dont les « Gardes d’assaut » (car c’est à lui que l’on doit la création de ce corps de police extrémiste) abattirent Calvo Sotelo avec une froide férocité.

La seule personnalité du Cabinet susceptible de retenir l’attention, après Largo Caballero, est cet infortuné Indalecio Prieto, parfait honnête homme, possédant la hantise des scrupules et la maladie de l’indécision ; naviguant sans arrêt entre le socialisme modéré et le communisme ; récoltant les pires attaques dans les deux camps ; couvert de boue, depuis des mois par la « Claridad » de Caballero, et cordialement détesté par le leader communiste.

En bref : une sorte de Herriot espagnol, avec la faim des honneurs et de l’avancement en moins.

 

 

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Désaccord au camp rouge.

 

Largo Caballero va tenter de renflouer la galerie espagnole. Y réussira-t-il ? C’est fort improbable.

Car à Madrid, comme à Barcelone, les éléments les plus avancés ont pris des positions solides à la tête du gouvernement. Ils siègent, ministres sans mandat, mais soutenus par la populace, aux côtés des ministres officiels.

Caballero, bien que Persona Grata de l’Extrémisme, n’évitera pas ces sbires anarchistes et soviétiques. Il le sait. Et il craint la prolongation de cette situation, qui a déchaîné le désordre chronique dans les Services de l’État, et établi le règne de l’indiscipline chez les Miliciens.

Or, le nouveau président du Conseil ne l’ignore pas davantage, une guerre ne se gagne pas à coups de gueule révolutionnaires, par des troupes auxquelles manquent le sentiment de l’ordre et le goût de l’obéissance nécessaire. Des hordes sans cohésion, discutant les décisions du Commandement peuvent être animées du plus ardent désir de vaincre, et étaler le plus magnifique courage, elles s’avéreront incapables de forcer la victoire.

On l’a vu cent fois déjà au cours de cette Guerre révolutionnaire.

Et j’ai moi-même constaté à maintes reprises, au cours de mes pérégrinations dans les deux camps, que chez les Rouges le civil commandait et le militaire suivait ; tandis que chez les Nationaux, c’était exactement le CONTRAIRE.

Il ne faut pas chercher ailleurs la cause des beaux succès que remportèrent jusqu’alors les armées de Franco.

Largo Caballero entend donc rétablir partout les nécessaires disciplines, pour sauver l’Espagne extrémiste. Il arrive bien tard. Disons même TROP TARD.

Car il s’agit de ne pas oublier que les Anarchistes, qui sont quelques centaines de milliers à Barcelone et Madrid, ne se prêteront en aucune façon aux tentatives de réorganisation de Caballero. Pour eux, une seule chose est nécessaire : la continuation d’un DÉSORDRE INTÉGRAL, comportant l’absence d’armée régulière, de hiérarchie et de discipline.

Et pour bien signifier au nouveau président du Conseil qu’ils ne sont pas décidés à modifier leur point de vue, ces insensés ont lancé récemment le communiqué suivant, revêtu de la signature de la CNT et de la FAI :

 

Les anarchistes que nous sommes restent les adversaires implacables de toute aspiration à la dictature, qu’elle soit rouge, bleue, noire ou blanche. La dictature ne perd jamais ses attributions essentielles de contrainte, de despotisme et de tyrannie. De même que nous nous battons de toutes nos forces contre le fascisme, de même nous riposterons avec la dernière énergie à quiconque essayera d’établir sur le peuple un régime dictatorial plus ou moins masqué de démagogie démocratique.

Ceci, nous le disons avec le plus grand sérieux, et nous prions les intéressés d’en prendre note avec un sérieux égal.

Nous parlons clair pour que tout le monde comprenne.

 

À cette mise en demeure catégorique, Largo Caballero a répondu par deux Notes officielles dont nous reproduisons partiellement le texte ci-après :

 

Des partisans irresponsables de la République, profitant des circonstances que traverse le pays, ont perpétré des actes inadmissibles dans le but d’assouvir leur soif de vengeance personnelle ou de provoquer des haines entre les organisations politiques et syndicales qui luttent à l’heure actuelle contre le fascisme et la réaction. Ces agissements doivent cesser.

Il est nécessaire que les révolutionnaires cessent d’agir dans un sens destructif pour porter leurs pensées vers des activités qui tendent à l’édification du monde nouveau, au lieu de jouer le rôle de sbires et de bourreaux. Détruisons ce qui est nécessaire, mais non pas pour le plaisir de détruire. Les véritables révolutionnaires sont ceux qui mettent leur intelligence, leur cœur et leur énergie au service de la grande fonction de créer et de toujours créer. Contre les exactions des insensés, l’action des camarades conscients s’impose.

 

Ces Communiqués gouvernementaux ne sont pas seulement des preuves indéniables de la tension mettant aux prises, dès ses débuts, le nouveau Cabinet avec le pouvoir officieux extrémiste, ils établissent encore, avec quel poids !, l’existence d’« EXACTIONS INSENSÉES » et d’« ACTES INADMISSIBLES » accomplis par des « SBIRES ET DES BOURREAUX » : c’est-à-dire le bien-fondé des accusations portées contre les tortionnaires espagnols, et la nécessité des protestations qui s’élèvent de tous les points de l’Europe civilisée contre un renouveau de sinistre barbarie.

 

 

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Une séance du « Tribunal révolutionnaire ».

 

Le journal des anarchistes catalans a décrit comme suit son œuvre d’« épuration » à Barcelone :

 

La nouvelle Barcelone s’efforce de faire disparaître tous les vestiges sociaux de la domination bourgeoise et cléricale. Les églises et les couvents ont été épurés intérieurement par le feu de tout leur ridicule appareil sacerdotal, dorure, clinquant, bimbeloterie de Saint-Sulpice et autres statues miraculeuses. Après ce premier déblaiement des laideurs d’un passé à jamais révolu en Catalogne, on s’est occupé d’un certain nombre de bonshommes en bronze au geste avantageux, dont les redingotes métalliques et les vastes croquenots étaient à la fois un défi au sentiment populaire et au sens le plus élémentaire de l’esthétique.

 

Les anarchistes de Madrid pourraient reprendre à leur compte ce cynique aveu.

Le mouvement de rébellion nationale fut en effet réprimé en quarante-huit heures dans la Capitale, et la lie des faubourgs put se délecter à son aise au spectacle des exécutions massives qui suivirent la reddition des casernes insurgées de Vicalvaro et de la Montagne. Mise en appétit par ces sanglantes prémices, la populace se souvint qu’il existait encore des églises et des couvents où les circonstances, complices des « fascistes », n’avaient pas permis de promener la torche et le fusil de l’« émancipation ».

Une vague hurlante vint bientôt battre les murs des pieux édifices, qui furent envahis, saccagés, pillés, et détruits de fond en comble. La dynamite acheva l’œuvre de l’incendie. Il fallait faire table rase, selon l’expression imagée de l’Organe barcelonais, des « vestiges sociaux » d’un âge révolu.

L’on s’imagine aisément, hélas !, le sort qui fut réservé aux prêtres, religieuses et religieux qui tombèrent entre les mains des forcenés.

Il y eut, dans certaines couvents, des scènes ignobles, qui défient le papier. Des Sœurs furent dévêtues, violées, mutilées et tuées après d’inimaginables tortures. Des curés subirent d’odieux martyres avant d’être frappés par la balle libératrice.

Les journaux ont relaté des faits inouïs. Il est impossible de reproduire leurs récits, dix volumes n’y suffiraient pas. Et je me suis proposé, par ailleurs, de soumettre principalement à mes Lecteurs une documentation vécue, personnelle, résultant d’observations directes, ou de confidences recueillies en lieu sûr.

Voici, pour commencer, une séance du « Tribunal révolutionnaire », tel que les Rouges le font fonctionner en permanence, à Madrid. Je tiens la relation d’un Français, arrêté en juillet dernier, et qui dut à un miracle d’échapper à la mort. Je rencontrai ce compatriote à Pampelune. Sa qualité, et les précisions qu’il me donna sur son existence à Madrid, où nous nous découvrîmes des amis communs, ne m’autorisaient pas à mettre en doute l’horreur de son odyssée.

Je lui laisse la parole :

 

J’achevais le repas du soir, le 29 juillet, quand j’entendis soudain un grand bruit de voix dans la maison, qu’accompagnèrent bientôt des coups de crosse contre ma porte.

J’ouvris, et me trouvai en présence d’une dizaine de miliciens débraillés, qui me bousculèrent, envahirent mon logement, et se mirent à opérer une fouille mouvementée. En quelques minutes, les meubles étaient fracturés ou brisés, les matelas déchirés, et des morceaux de vaisselle et d’objets divers jonchaient le plancher.

Un des dévastateurs, qui avait découvert mille pesetas dans mon secrétaire, empocha les billets et me jeta brièvement : « Je vous arrête ! » « Mais pour quel motifs ? – protestai-je – Je suis Français, et ne fais pas de politique. Vous venez de constater vous-même qu’aucune arme ne se trouvait chez moi. » L’homme s’approcha, et me cria brutalement : « Ta gueule, compris ? »

Puis il fit un signe à ses compagnons. En un tournemain je fus saisi, bousculé dans l’escalier, et jeté sur la banquette d’un car policier stationné devant l’immeuble. On m’avait lié les mains, afin de prévenir toute tentative de fuite.

Vous connaissez la Casa del Campo : cet immense enclos boisé faisant face à l’ancien Palais royal, et qui est devenu promenade publique depuis la proclamation de la République ? Le domaine renferme de jolis pavillons. C’est dans ces demeures, et sur les pelouses mêmes du parc, que furent rassemblés les milliers d’otages et de suspects destinés aux sentences des juges rouges.

Une fois au Campo, il ne fallait plus s’illusionner sur son sort ; rares étaient les privilégiés qui échappaient à la mitrailleuse des « justiciers ». Un transfert en ce lieu jadis si riant – et devenu depuis le théâtre d’affreuses boucheries – signifiait neuf fois sur dix : la Mort !

J’arrivai au Campo le matin, vers sept heures, après une nuit sans sommeil passée dans une école municipale transformée en maison d’arrêt. J’y trouvai une foule énorme, composée des éléments les plus variés de la population madrilène.

Il y avait de tout, dans cette cohue morne et silencieuse entourée d’un cordon de miliciens à la tête patibulaire. Des ouvriers en vêtements de travail ; des bourgeois, des aristocrates, des commerçants, des employés ; habillés avec une hâte qui témoignait de la rapidité de leur arrestation ; des prêtres, des soldats, des religieuses ; et un groupe compact d’officiers – jeunes et vieux – dont l’attitude souriante et crâne me frappa.

Certains des prisonniers étaient couchés à terre, sur des couvertures. D’autres s’entretenaient à mi-voix. D’autres encore priaient, lisaient, ou songeaient – les yeux perdus dans je ne sais quelle rêverie. Et des femmes – les yeux rougis – étaient agenouillées auprès de jeunes enfants qu’elles serraient contre elles en un mouvement convulsif. Tous ces malheureux avaient commis – paraît-il – le crime de « fascisme ». Ils attendaient que l’on statuât sur leur sort.

Je renonce à vous dépeindre l’angoisse de la journée que je vécus au Campo. Persuadé que ma dernière heure était arrivée, je recommandais mon âme à Dieu. Des souvenirs d’enfance, et l’image de mes proches – tous en terre de France – m’assiégeaient tour à tour, en un défilé d’une étonnante précision. Il était huit heures du soir quand une poignée de miliciens, baïonnette au canon, vint rafler une cinquantaine de personnes, dans l’allée où je me trouvais.

Cinq minutes plus tard, nous étions dans le vestibule du Tribunal révolutionnaire. L’on nous divisa en petits groupes de dix. Le premier groupe fut poussé dans la salle du Tribunal, par une porte qui était munie d’un puissant ressort, et se fermait avec un bruit sec – sec comme le déclic d’un couteau de guillotine.

Des bruits de voix, des éclats de rire nous parvenaient par moments du local mystérieux où se jouait le destin de nos infortunés compagnons, et où allait se jouer le nôtre.

Ça, un tribunal ? On eût plutôt dit une salle de café-concert, d’où s’échappaient des échos de conversation joyeuse, entre deux exécutions de « numéros ». Je me demandais, le cœur serré, ce que cela pouvait bien signifier. Et tel est notre attachement à la vie, que je me mettais soudain à espérer en je ne sais quelles miraculeuses perspectives de salut dont la surprise nous attendait, de l’autre côté de la porte fatidique.

J’en étais là de mes pensées, lorsque je me sentis tout à coup tiré par la manche.

Je me retournai, et reconnus Benito G..., un des garçons du restaurant de la cane de Hortaleza où je prenais mon repas, chaque samedi soir. Il portait un brassard rouge au bras. Une visible stupéfaction se lisait sur son visage. « Que faites-vous là ? » me demanda-t-il vivement. « Vous avez commis quelque chose ? »

– Vous m’en demandez trop, mon pauvre Benito. J’ignore pourquoi l’on m’a arrêté. Je suis ici malgré mes protestations répétées, à la suite d’une perquisition domiciliaire, qui établissait cependant bien mon absolue innocence de tout crime. Êtes-vous aussi des « nôtres » ?

Mon interlocuteur me jeta un regard de commisération – et d’amitié – où je compris, pour la première fois peut-être, le caractère tragique du sort qui me guettait : « Ils sont entièrement fous » – murmura-t-il.

Et il ajouta – en se penchant à mon oreille : « Je suis des “Milices républicaines”. Ne vous inquiétez pas : je vais intervenir en votre faveur. Dans un quart d’heure vous serez libre. »

S’il ne s’était rapidement éclipsé, je crois que j’aurais sauté au cou de cet honnête garçon, tant je me sentis soudainement inondé de joie. Sauvé !... J’étais sauvé !... Des voisins me regardèrent. Leur visage crispé me rappela la gravité de l’heure. Mon bonheur tomba aussitôt.

Mais voici que la porte s’était ouverte. « À votre tour ! » commandèrent les miliciens en nous poussant rudement de leur crosse. « Et qu’on se découvre, hein ? »

La salle du Tribunal était occupée, au fond, par une longue table sans tapis, autour de laquelle siégeaient des hommes et des femmes au laisser-aller tapageur.

L’on causait avec animation. Les visages étaient congestionnés et durs. Il régnait dans le local une atmosphère suffocante faite de relents de tabac, de sueur et de crasse.

Derrière le « Tribunal » se pressaient, pêle-mêle, des miliciens et des civils, dont les insignes et foulards rouges situaient les « juges » en un cadre d’un rouge impressionnant. Cette foule débordait sur les deux côtés de la salle et se pressait jusqu’à la porte d’entrée.

Au milieu du local, un grand espace vide, où des gardes d’assaut, une cocarde pourpre sur leur veste bleu-foncé, attendaient les inculpés.

On nous aligna sur un rang, à trois mètres du Tribunal. Le président – un gaillard maigre et jaune, à l’œil haineux dans un visage de galérien – procéda à l’interrogatoire : « Nom ? Prénom ? Profession ? – Depuis quand habites-tu Madrid ? »

Sitôt la réponse venue, l’homme ajoutait : « Qu’as-tu à dire pour ta défense ?

– Je vous prie de m’excuser – balbutiait le prisonnier. – Mais je ne connais pas le motif de mon arrestation. Je suis innoncent.

Un gros éclat de rire – repris par la populace – accueillait cette protestation.

– Voyez-vous ça, camarades ? Le monsieur est innocent ! Ils sont tous innocents, ces Messieurs, Dames..... Tous... Depuis que la Justice du peuple a mis le nez dans leurs petites combinaisons.

Et s’adressant à l’inculpé, le juge poursuivit : « Si tu étais innocent, tu ne serais pas ici. Les camarades qui t’ont arrêté savent ce qu’ils font. Tu es un ennemi de la République. Un fasciste. Qu’as-tu à objecter à cela ? »

– Je vous jure que je n’ai jamais appartenu au parti fasciste... Je ne fais pas de politique... J’ai une femme... des enfants... Je vous en conjure... Ayez pitié d’eux !...

Le malheureux suppliait, se tordait les mains en un geste désespéré, implorait du regard cette foule de tortionnaires qui le fixait en ricanant et se moquait des gouttes de sueur que la peur plaquait à son visage affolé.

Vainement.

Le juge se tourna vers un de ses compagnons, qui jouait le rôle d’accusateur public. Il lui fit un signe de tête interrogatif. L’autre se leva, agita un lambeau de papier dans la direction de l’assistance et jeta d’une voix lasse : « A un fils au séminaire. Fréquente la messe. Lit “El Debatte”. Donc : fasciste. Je requiers la mort ! »

Le juge jeta un coup d’œil circulaire au jury – qui approuva de la tête – leva une main, et la fit retomber d’un mouvement bref : « Mort ! »

C’est fait. Cela n’a pas duré cinq minutes.

Et les gardes entraînent le condamné, qui s’est brusquement affalé : corps sans résistance, dont l’esprit n’a plus la force de bander les derniers ressorts.

Et la populace d’applaudir longuement. Le drame lui plaît. Elle témoigne son contentement aux acteurs.

Impassible, le juge a déjà entrepris l’interrogatoire du deuxième inculpé.

Il s’agit, cette fois, d’une vieille dame de l’aristocratie madrilène, qui a conservé bel air dans ses vêtements fripés par une nuit de cachot, et dont la naturelle distinction est traitée aussitôt, par les mégères révolutionnaires, d’inadmissible provocation.

Une grosse commère s’est dressée – chevelure en bataille et poings aux hanches : « Est-ce que cette s... va se payer gratuitement notre tête ? Je demande qu’on la f... “à poil”, pour lui apprendre à faire la mijaurée ! »

La salle applaudit à tout rompre : « À poil, la comtesse !.... » crient cent voix allègres.

« Tu entends ? – dit alors le juge à la malheureuse. – Déshabille-toi ! »

Permettez-moi de passer rapidement sur la scène qui suivit.

Comme l’accusée refusait d’obéir, dix viragos se précipitèrent vers elle, l’empoignèrent, lui arrachèrent ses vêtements en un tournemain. Et quand l’infortunée fut toute nue, elles l’élevèrent au-dessus de leur tête ; la présentèrent à la foule en délire ; puis la flagellèrent avec une violence qui arrachait des hurlements de douleur à l’infortunée.

À la fin, la victime se tut. Elle n’était plus qu’une loque inerte entre les mains de ses bourreaux. Les gardes d’assaut la portèrent dehors, tandis que l’accusateur public criait, dans le bruit : « Noble authentique, veuve d’un officier supérieur monarchiste. Mère d’un lieutenant servant dans les rangs rebelles. Bigote et propriétaire d’un domaine employant douze ouvriers. Fasciste. Je requiers la mort ! »

Quand vint mon tour, le juge consulta un carré de papier que l’on venait de lui remettre. Il leva sur moi un regard aigu. « Il y a eu erreur par suite d’homonymie : tu es libre. »

Un garde m’indiqua la sortie.

Je venais de vivre une journée qui fera époque dans mon existence.

Le soir même je donnais à Benito G... – mon sauveur – la moitié de la petite fortune liquide que j’avais mise à l’abri à l’éclatement des troubles. Et le lendemain je quittais l’enfer madrilène – où claquaient sans arrêt la mitrailleuse et le fusil des « libérateurs » du peuple.

J’ai appris – depuis – que des scènes plus affreuses, encore, se sont déroulées aux séances du « tribunal révolutionnaire ».

Les tortionnaires ont obligé des hommes et des femmes à accomplir – à la face d’une salle contenant des centaines de personnes – les actes les plus obscènes, sur la promesse que ces complaisances... forcées, leur vaudraient la liberté. Et, les infâmes saturnales terminées, l’on envoyait au feu de peloton leurs lamentables exécutants.

J’estime à un millier le nombre des Espagnols que l’on fusillait journellement au Campo : soit après comparution devant le Tribunal révolutionnaire, soit sans aucune espèce de formalité préalable.

Bien entendu, le gouvernement était tout à fait incapable de s’opposer à ces horreurs. Une véritable folie du meurtre s’était emparée de la populace. Il fallait à la tourbe « rouge » sa quotidienne provision de sadisme et de sang. Malheur au dirigeant officiel qui eût osé se dresser en travers de ce flot de boue !...

Une dernière précision : à la veille de mon arrestation, la « Prison Modèle » étant devenue trop petite pour la masse d’otages que l’on y avait jetée, les Rouges transférèrent UN MILLIER de détenus à la Casa del Campo, où ils furent fauchés, en bloc, par la mitrailleuse.

 

 

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La prison modèle.

 

Occupons-nous encore de la « Prison Modèle », où les « Rouges » se plaisaient à enfermer, à un certain moment, l’élite de leurs otages. Je vais essayer de vous dépeindre une scène d’un genre particulier d’après le récit que me fit un Madrilène réfugié à Saint-Jean-de-Luz.

Cinq heures du soir.

Les prisonniers se promènent dans la cour de la prison, au cours d’un de leurs rares moments de liberté. L’on échange des impressions sur l’incendie qui a récemment éclaté dans quelques cellules, et que les Gouvernementaux imputent à un complot contre-révolutionnaire.

L’on s’attend à des représailles. Et le calme inusité dont font preuve les Rouges autorise les pires appréhensions.

Tout à coup, les toits surplombant la cour se garnissent de miliciens. Et à un signal donné, une fusillade d’enfer crépite. Les balles balayent la cour jusque dans ses moindres recoins.

Aussitôt, les prisonniers de bondir vers les portes menant à l’intérieur des bâtiments : mais celles-ci ont été soigneusement fermées. Force est aux malheureux de demeurer exposés – sans défense ni refuge – au feu meurtrier des miliciens. Les miliciens, ralentissant la cadence des salves, s’essayent à présent à un amusant tir de fête foraine, sur des objectifs d’une intéressante mobilité. Car les otages – traqués, haletants et désespérés – courent à travers la cour, se jettent à terre, se relèvent, tombent dans une encoignure, en ressortent sous une pluie de balles, et recommencent leur fuite éperdue jusqu’au moment où ils se couchent pour toujours – mortellement atteints.

Le jeu dura longtemps.

Il cessa avec la fatigue des tireurs, et lorsque l’amoncellement des cadavres permit aux rares prisonniers survivants de trouver – enfin – un abri de chair sanguinolente, où les balles ne les atteignaient plus.

Les miliciens se retirèrent, fort contents de la besogne accomplie. Chacun entendait afficher le plus beau tableau de chasse.

Les prisonniers qu’avait épargnés la fusillade, restèrent dans la cour – avec les morts et les blessés – jusqu’à deux heures du matin. Il y avait à leur côté des agonisants qui se tordaient dans les affres de la mort et réclamaient en vain le secours d’un prêtre – ou d’un médecin. Les survivants étaient condamnés à assister – impuissants – et cette tragédie.

Enfin, à l’aube, on ouvrit les portes donnant sur la cour. Les rescapés furent réunis devant un Tribunal qui arrêta vingt-sept condamnations à mort.

Les victimes furent choisies parmi les personnalités les plus connues. Figuraient dans ce nombre : Melquiades Alvarez, chef du Parti républicain démocrate ; le général Capaz, vainqueur d’Ifni ; José Martinez de Velasco, ancien ministre des Affaires Étrangères de la République ; Fernando Primo de Rivera, fils de l’ancien dictateur et frère du chef des « Phalanges espagnoles » ; Natalio Rivas, ancien ministre ; Antonio de Hoyos y Vincent, romancier renommé ; et le docteur Albinana : une des nobles figures de l’Espagne contemporaine.

Albinana et Fernando Primo de Rivera durent subir un traitement particulièrement atroce. Pendant que leurs compagnons étaient fusillés, sous leurs yeux, des tortionnaires soumettaient les deux hommes à la plus effroyable des évirations.

Au moment où on les adossa au mur – pour leur envoyer la décharge « justicière » – le sang coulait à ruisseaux de leur pantalon ; et seul un prodige de volonté tenait les martyrs debout, face aux bêtes féroces qui les mettaient en joue.

 

 

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Au bruit des castagnettes.....

 

Autre récit d’atrocités rouges que je tiens de la bouche d’un réfugié dont je fis la connaissance à Hendaye. Il se situe en un quartier que je connais bien : celui de Quatro Caminos, réputé pour son anticléricalisme farouche.

Des scènes abominables se sont déroulées dans ce coin populeux de la Capitale – à la suite des élections de Février. Et il m’a été permis d’y recueillir une documentation précise au cours de mon enquête de mai dernier. Aussi ne suis-je pas autrement étonné que la guerre civile ait donné le signal d’une recrudescence de sauvagerie en un lieu aussi favorable à la pestilence communiste.

Quatro Caminos abritait un couvent de Religieuses : le seul qui ait partiellement échappé au vandalisme de la foule, au lendemain de la victoire électorale du « Frente popular ».

Quelques nonnes étaient restées à leur poste de prière, malgré les avertissements des Autorités religieuses. Elles espéraient – envers et contre tout – en la clémence d’une population au milieu de laquelle elles avaient toujours vécu – silencieuses, charitables, et inoffensives.

Un soir de juillet dernier, une troupe d’hommes et de femmes armés se présentent chez les Religieuses. Tandis qu’une partie des manifestants s’égaille à travers la Maison et s’y livre aux déprédations en honneur chez les militants rouges, d’autres énergumènes s’en prennent aux religieuses. Les pauvres femmes ont été enfermées dans une chambre en compagnie d’une vingtaine de voyous, mâles et femelles.

On les oblige à lever le poing ; à trinquer au triomphe du « Front populaire », à répéter le refrain de chansons infâmes ; puis à danser au bruit rythmé des castagnettes. Les plus jeunes sont soumises à d’ignobles sévices, sous les yeux de leurs consœurs.

Puis, fatigués de ces jeux abjects, les bourreaux livrent les nonnes souillées et à demi-folles à la soldatesque rouge, qui les conduit à la Casa del Campo, où elles seront exécutées le lendemain.

 

 

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Les Dominicains de l’Escorial.

 

L’Escorial – on le sait – est un des plus magnifiques souvenirs de l’Espagne royale que l’on vénère, et admire, dans la région madrilène. Ce palais somptueux n’abrite pas seulement la dépouille de monarques dont l’histoire est intimement liée à celle de la nation : il comporte encore une église, un cloître et une bibliothèque dont les trésors artistiques sont un sujet d’émerveillement pour l’Étranger.

Cent quatorze Pères dominicains occupaient le monastère. Ils étaient préposés à la garde de l’Escorial et à l’entretien de la Bibliothèque, qu’ils enrichissaient d’ailleurs chaque jour de travaux de recherches nouvelles.

Les cent quatorze religieux ont été massacrés par les miliciens de Madrid.

À la veille même du crime, le président Azana affirmait – au palais de la Présidence – qu’il ne souffrirait pas que l’on touchât à la sécurité des Pères dominicains...

 

 

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La « Passionaria ».

 

Une des principales animatrices des équipes de tortionnaires madrilènes est Dolorès Ibarruri, député d’Oviedo, surnommée la « Passionaria ».

Dolorès Ibarruri est une Basquaise. Fille d’un mineur de Samorostro, près de Bilbao, elle appartint à une famille de onze enfants, où régnaient plus de jours sombres que d’heures ensoleillées. Domestique – à 14 ans – puis couturière, elle épousa, en 1916, un mineur « rouge » qui la convertit aux idées avancées.

Inscrite au Parti Socialiste en 1917, elle le quitta lors de la scission d’où sortit – en 1920 – l’Internationale communiste, et se rangea du côté des extrémistes : « Je ne savais pas, alors, qui était Lénine : mais j’ai toujours voulu être avec les plus rouges » – a-t-elle déclaré à un rédacteur de l’hebdomadaire de gauche « Marianne », qui l’interviewa récemment à Paris.

« Ce que j’ai fait depuis 1920 ? – poursuit la Passionaria – : j’ai milité. Sous les formes les plus diverses. Neuf emprisonnements. Trois évasions. Une fois, je me suis évadée déguisée en nonne. Pour brouiller les pistes, je me suis réfugiée dans un couvent et j’ai demandé l’hospitalité des Sœurs, leur disant que je revenais d’un pèlerinage : j’ai dû vivre plusieurs jours au milieu d’elles, me plier à leurs rites. » (C’est sans doute sous l’empire de souvenirs reconnaissants, que Dolorès Ibarruri fait violer et fusiller – aujourd’hui – les nonnes de la région de Madrid !.....)

Le journaliste parisien, posant à son interlocutrice la question suivante : « La révolte des Asturies, c’était terrible ? », reçut cette réponse : « Non. Là on était entre camarades : on se sentait les coudes..... » (Faut-il remarquer que la Révolution communiste des Asturies – si légèrement traitée par la Passionaria – fut une tuerie sans nom, où périrent des milliers d’innocents ? Un seul fait : À Sama de Langreo, quatre cadavres de prêtres – le ventre ouvert – restèrent exposés plusieurs jours à la vitrine d’une boucherie, avec cette pancarte : « Carne de serdo a 25 centimes el kuilo. » – Viande de cochon à 25 centimes le kilo.

C’est de la Révolution des Asturies que date la réputation – et l’ascension rapide – de la Passionaria. Staline et Dimitrov remarquèrent le zèle et la froide cruauté de la virago, et ils lui témoignèrent vivement leur estime. Dimitrov, notamment, fit l’éloge de la Passionaria à plusieurs reprises, et s’expliqua en ces propres termes au VIIe Congrès du Komintern : « ....La haine de classe inassouvible qui régit l’activité de la camarade Ibarruri lui a permis d’accéder en peu de temps aux plus hauts postes de la IIIe Internationale. »

Le « camarade » Dimitrov était tout désigné pour produire un tel certificat de loyalisme « rouge » ; ne possède-t-il pas à son actif l’attentat à la dynamite de la cathédrale de Sofia au cours duquel quantité de femmes et d’enfants bulgares trouvèrent une mort dramatique ? La Passionaria ne manque d’ailleurs jamais de recommander à ses admirateurs en partance pour le front de « n’épargner ni les femmes, ni les enfants de l’ennemi ! ».

Voici la femelle sanguinaire que le « Front populaire » accueillit à Paris – au début de septembre – avec des transports d’allégresse, et à qui l’on réserva les honneurs d’une réception quasi officielle.

Bien entendu, la Passionaria se garde soigneusement de rejoindre – dans leur coin de terre asturienne assiégée par les troupes de Franco – ses électeurs et ses compatriotes. Elle préfère se tenir loin des balles.

À l’exemple du président Azana, qui fait de fréquents voyages à Valence, où l’attend un vaisseau tout prêt à appareiller vers des rives lointaines en compagnie de ses amis Prieto et Martinez Barrio....

À l’exemple encore du chef de la Généralité de Catalogne – le russophile Campanys – qui évite prudemment de s’aventurer dans la direction de Saragosse (où il expédie des troupes nanties de ses bons vœux et de sa bénédiction maçonnique). Notre homme aime mieux le voisinage de l’avion qui doit le transporter – à la première alerte sérieuse – vers l’hospitalière terre de France.

 

 

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Son. Excellence M. Herbette.

 

Il est indispensable, en s’occupant de la situation révolutionnaire de Madrid, de prononcer le nom de M. Herbette, notre ambassadeur. M. Herbette a ouvertement étalé ses préférences politiques en dehors de toute discrétion ; il souffrira que l’on use envers lui d’une égale liberté.

Rappelons-nous que – pendant la guerre – l’Espagne fut germanophile. Seul, son Roi nous garda une amitié fidèle, et le prouva en rendant à nos blessés, prisonniers et aux Familles de disparus des services restés pieusement dans la mémoire des Anciens Combattants.

L’anticléricalisme de nos gouvernements avait détourné de nous la Péninsule, où l’Église demeurait à l’honneur.

Puis, avec le prestige de la Victoire – et l’envoi à Madrid d’ambassadeurs trop fréquemment changés, mais possédant du tact et de l’« allant » – une évolution se produisit. La France reprit son ancienne place, dans la chaude estime des Espagnols.

Quand arriva M. Herbette, les choses changèrent de face.

M. Herbette venait tout droit de Moscou, où il avait fait riche provision de principes soviétiques. Ses bagages étaient matelassés d’une russophilie qu’il brûlait de mettre en pratique, la première occasion venue.

L’Espagne se trouvait, à l’époque, au lendemain de l’instauration de la République. La situation était instable. On se « cherchait ». Les partis se « tâtaient » avec précaution. Personne n’osait encore prévoir l’avenir. Bref : période de transition, qui nécessitait un tact tout particulier de la part d’un diplomate ÉTRANGER, nouvellement installé dans le pays.

Or, M. Herbette s’empressa de se lier d’amitié avec les personnalités de Gauche les plus marquées. M. Azana, franc-maçon militant, qui devait être plus tard un des pères spirituels du « Frente popular » ; Fernando de Los Rios, grand ennemi des Ordres religieux et laïcisateur émérite ; Marcelino Domingo, communiste en gestation ; Cabrera, ancien député socialiste compromis dans la contrebande des armes en faveur des clubs révolutionnaires ; tels étaient les hommes de confiance, et les commensaux, de l’ambassadeur de France.

Dans le même temps, M. Herbette entretenait des relations glaciales avec les Partis modérés et les personnalités espagnoles qui avaient joué un rôle de premier plan sous la Monarchie.

Rappelons qu’à l’occasion du voyage de M. Herriot à Madrid, M. Herbette omit volontairement d’inviter aux réceptions officielles M. Lerroux 3, ancien ministre des Affaires étrangères radical, parce que celui-ci avait commis le crime de ne pas admirer sans réserves la politique toujours plus extrémiste d’Azana.

À l’avènement du gouvernement de Droite – en 1933 – M. Herbette subit le contrecoup de son attitude sectaire ; il se vit subitement isolé.

Nous serions tentés de remarquer qu’il n’y avait là rien que de mérité, si la France – engagée parallèlement à son ambassadeur – n’eût subi, de son côté, l’ostracisme des nouveaux dirigeants. Entre 1933 et 1936 notre Pays, – par la faute de M. Herbette – fut traité avec la plus hostile froideur par le gouvernement madrilène.

Il fallut le succès électoral du « Frente popular » pour nous renflouer.

M. Herbette considéra sans doute la journée du 16 février comme une espèce de victoire personnelle ; car sa joie, et son activité, ne connurent plus de bornes à partir de cet instant. Le cheval soviétique fut à nouveau enfourché d’une jambe nerveuse. Et M. Herbette misa à fond sur la Cause des gouvernementaux, avec le manque de prudence diplomatique – et de retenue élémentaire – dont il avait déjà fait preuve en 1933.

Les multiples preuves de sympathie qu’il distribua autour de lui à Saint-Sébastien – au cours des combats de la région d’Irun – n’échappèrent à personne.

M. Herbette trouva bien des accents pathétiques –orgueilleusement recueillis par le journal communiste « El Frente popular » – pour condamner le bombardement aérien de Saint-Sébastien par les Nationaux. Mais il resta muet comme la carpe devant le spectacle – cent fois plus affreux – de la destruction systématique d’Irun par les dynamiteurs et incendiaires communistes.

Cela non plus n’a pas été perdu pour tout le monde. Et je tiens la réflexion suivante d’une personnalité politique espagnole rencontrée au front : « Il est à souhaiter – pour la France – que le général Franco, après sa victoire, n’évoque pas trop fréquemment le souvenir de l’ambassadeur Herbette. »

M. Herbette est sans aucun doute un parfait honnête homme. Mais il est – c’est tout aussi certain – un ambassadeur maladroit, dont la rage partisane a tué le prestige. SA PLACE N’EST PLUS À MADRID.

 

 

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Une ville sous la botte.

 

Ce qui caractérise Madrid c’est que les rues sont occupées – le terme doit s’accepter dans son sens strictement militaire – par de tout jeunes gens et jeunes filles.

Les hommes valides sont au front – à l’exception d’une troupe de miliciens spécialisés dans les perquisitions, les assassinats et les violences indispensables au maintien de la Terreur. Les vieux se cachent – de crainte d’être inquiétés au sujet de leur passé politique – ou bien peuplent les prisons.

Aux carrefours importants de la ville s’élèvent des barricades destinées à contrecarrer un coup de main éventuel. Car le Gouvernement et ses sicaires vivent dans la crainte perpétuelle d’une révolte « fasciste ». Ils savent que la population saine de Madrid est loin de subir de gaîté de cœur le régime qui lui est imposé.

Malgré les perquisitions et les fouilles, la TSF continue de fonctionner clandestinement. Les succès des Nationaux sont connus. L’on sait bien qu’aucun journal n’en souffle mot – que Saint-Sébastien s’est rendue ; que Franco sera prochainement maître de tout le Guipuscoa ; et que la marche sur la Capitale reprendra, dès lors, avec de puissantes chances de réussite.

D’immenses espoirs éclosent au secret des cœurs chez cette masse de braves gens où l’on a enfin compris – au prix de quelles cruelles leçons ! – la vraie signification du « Frente popular », de ce « Frente popular » que l’on saluait par des acclamations en février, et qui entraînait quatre mois plus tard – par ses excès d’un autre âge – une des plus dramatiques aventures de l’Histoire espagnole. Oui. Les Rouges savent tout cela, et ils agissent en conséquence. Les perquisitions succèdent aux perquisitions. Des ordres arrivent inopinément : toutes les fenêtres doivent demeurer ouvertes la nuit ; les habitants sont tenus de laisser les lampes allumées, et de ne se montrer sous aucun prétexte.

Puis : consignes contraires. Tout le monde dans la rue. Recensement. Pendant que les miliciens interrogent les suspects et vérifient les papiers de chacun, d’autres se répandent à travers les étages, parcourent les appartements, fouillent caves et greniers, et se retirent en emportant argent et objets de valeur.

La liberté est devenue un vain mot. L’arbitraire et le régime du bon plaisir – au nom de la sécurité de l’État révolutionnaire – ravalent l’habitant au niveau d’une petite chose souffreteuse, d’un cobaye sans défense livré à la fantaisie de ses maîtres de l’heure.

L’industrie, et le commerce – rançonnés ou nationalisés – n’existent plus.

LE NIVELLEMENT PAR LA BASE S’EST OPÉRÉ COMME À BARCELONE. Les patrons ont disparu. Syndicats et Soviets ont pris leur place.

Quant aux Étrangers, ils furent molestés ou massacrés avec un tel cynisme que les Ambassades quittèrent Madrid, et refusent d’y revenir. Le gouvernement les menace – par mesure de représailles – d’une rupture de relations diplomatiques aussi illogique qu’irréalisable.

Faites intervenir la disette alimentaire, le régime des restrictions, la menace – toujours plus pesante – d’une offensive générale des armées nationales ; et vous saisirez le degré d’angoisse et d’insécurité étreignant la population madrilène.

La démoralisation est proche ; même dans le camp des bourreaux. Car il ne suffit pas de tuer, pour sauver une Idée – où ce que l’on prétend tel.

Et à l’heure des crimes, succède celle du règlement des comptes. COMPTES DE DIEU ; et COMPTES DES HOMMES.

 

 

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VI. – Tolosa.

 

 

Chantage, meurtre et viol.

 

Je ne prévoyais certes pas – en ce jour ensoleillé de mai ou j’assistais au meeting socialo-communiste de Tolosa en fête – que je reverrais, trois mois plus tard, l’infortunée petite ville dans sa sombre parure de guerre civile.

Les Rouges viennent de se replier dans la direction de Saint-Sébastien, talonnés par l’avant-garde de l’armée nationale. Des incendies éparpillent encore par-dessus les toits leur pluie d’escarbilles et de flammèches. À l’entrée de la ville : deux maisons achèvent de se consumer et offrent leurs poutres noires, tels les membres pantelants d’un corps martyrisé.

Des débris de toute sorte jonchent la rue principale : fusils, vêtements, cartouchières, papiers, morceaux de vaisselle. Des étuis de cartouches brillent dans les rigoles. Le long des immeubles : des traînées de verre provenant des carreaux pulvérisés par les balles. Par ci par là : une flaque rouge – à peine sèche.

La Mort semble rôder encore autour de vous. Et des larmes se mêlent au sourire des habitants fiévreusement occupés à garnir leurs fenêtres du drapeau national. Ceux qui ne possèdent pas d’or et de rouge, pavoisent en blanc ; car le blanc signifie que l’on est avec le gouvernement de Burgos, contre la bannière pourpre de Moscou.

Je me rends au restaurant où j’étais descendu, au temps du « meeting ». Maison simple et accueillante, dont le patron m’avait discrètement laissé deviner ses sentiments anti-communistes. Trouverai-je encore le brave homme vivant ?

Me voici dans la salle, où quelques Carlistes, debout, vident un verre de vin expéditif. La tenancière vient à ma rencontre ; a une seconde d’hésitation ; puis, me reconnaissant, murmure : « Ah ! oui. Le journaliste français ! »

Ses yeux sont secs ; mais pleins d’une étrange lassitude, dont je crains de deviner les motifs : « Asseyez-vous là.... » me dit-elle après m’avoir serré longuement la main.

 

 

Vous venez enquêter ?

 

Mon interlocutrice est demeurée un moment silencieuse : regardant distraitement la servante qui – sur un signe – la remplace au comptoir. Puis elle m’a raconté – d’un trait – comme si elle avait hâte d’en finir au plus vite avec l’affreuse confidence :

 

Vous vous étonnerez tout à l’heure, de ce que je ne pleure pas. Je ne peux plus. J’ai trop pleuré, au cours de ces dernières semaines. Et par moments je crois vivre une vie irréelle. Je suis lasse..... si lasse..... d’avoir tant souffert....

Vous avez connu mon mari. C’était un homme pacifique, pondéré et qui ne se mêla jamais de politique. Il avait ses idées, et les défendait par le bulletin de vote. Quand on est dans le commerce, on ne peut pas prendre ouvertement parti : il faut rester neutre.

Mais, nous sommes catholiques. Nous allions régulièrement à la messe. Et notre petite Pilar était élevée chez les Religieuses, à Bilbao. Il paraît que cela suffisait pour nous transformer en criminels et en ennemis de la République.

Dès que les Rouges eurent établi leur soviet à Tolosa (car le conseil municipal fut immédiatement dissous et remplacé par une bande d’exaltés dont la plupart étaient étrangers au pays) la tragédie commença. Perquisitions, arrestations, fusillades. Fusillades, arrestations, perquisitions. C’était le seul programme qu’on ait fixé à une meute de miliciens triés sur le volet, et dont ils s’acquittaient – de jour comme de nuit – d’une main de maître.

L’on commença par massacrer tous les notables, prêtres, commerçants et fonctionnaires soupçonnés de froideur – ou d’hostilité – envers la cause gouvernementale. C’est-à-dire que la bourgeoisie fut décimée en quelques jours. On ne prenait même pas la peine de simuler un jugement. L’abattoir d’un boucher servit de local d’exécution. On y amenait les victimes, et de jeunes voyous les assassinaient à coups de fusil-mitrailleuse, au milieu des rires et des plaisanteries.

Parfois l’on promettait la vie sauve aux otages s’ils accomplissaient tel ou tel exploit : comme celui de grimper à une fenêtre, ou de réussir une série de cabrioles compliquées en un minimum de temps. Et quand les malheureux s’étaient essayés à ces performances – que leur âge, leur corpulence ou leur état de santé rendaient généralement impossibles – les tortionnaires les tournaient en dérision, leur tiraient dans les jambes, puis les achevaient.

Bientôt l’on s’en prit à tous les Catholiques – quel que fût leur rang social. Le fait d’avoir autrefois assisté à la messe constituait un motif suffisant pour légitimer une arrestation – suivie de mort.

Un soir – nous venions de monter dans notre chambre à coucher, mon mari et moi – on ébranle la porte de l’hôtel : « Perquisition. Ouvrez ! »

C’était la troisième visite que l’on nous imposait, depuis le lever du jour.

Je ne sais quel sinistre pressentiment me saisit, mais je pensai de suite qu’il allait nous arriver un malheur. Je ne me trompais pas.

À peine avions-nous ouvert, que les miliciens empoignèrent mon mari et le déclarèrent en état d’arrestation. Protester ? Il n’y fallait pas songer. Je me jetai aux pieds des miliciens. Je les suppliai d’épargner un homme qui était connu dans toute la ville pour son caractère pacifique, et avait servi sans mauvaise grâce aux soldats du gouvernement les aliments et boissons gratuits dont on nous imposait le lourd tribut.

Ma fille se joignit à moi. La pauvre petite pleurait – les bras en croix – aux genoux des bourreaux.

L’on nous jeta brutalement de côté. Et mon mari – après un geste d’adieu qui restera à jamais présent à mon regard – quitta la chambre, entraîné par les miliciens.

Le lendemain matin je fus avisée qu’une sentence de mort avait été prononcée contre mon époux. L’on m’avisa qu’une grâce exceptionnelle pourrait néanmoins intervenir, si je versais une rançon de 20 000 pesetas.

Comment n’aurions-nous pas accueilli avec bonheur une telle proposition ? Il me restait 25 000 pesetas – toute notre fortune – que mon mari avait pu retirer de la banque, à temps, peu de jours avant la révolution. Cet argent était caché dans la cave. Il avait échappé, jusque là, aux fouilles sévères des Rouges. Je remis donc la rançon demandée au soviet local.

Deux heures plus tard – alors que nous attendions anxieusement le retour de notre cher prisonnier – apparaît un nouveau milicien : « Nous regrettons. Mais la somme de 20 000 pesetas a été jugée insuffisante. Vous pouvez faire mieux. Il faut effectuer un second versement de 20 000 pesetas. Vous avez deux heures pour vous exécuter. »

Où prendre – cette fois – l’argent nécessaire ? Nous nous sentions sombrer dans la folie du désespoir, lorsque Pilar eut une inspiration miraculeuse. Elle se précipita chez notre meilleur ami de la ville (dont personne ne soupçonnait la richesse, et qu’un fils haut placé dans l’Administration madrilène préservait de tout sévices) et obtint de lui – sur-le-champ – un prêt de 15 000 pesetas. Sauvés !... La joie nous soulevait.

Nous courons à l’« Ayuntamiente » (la mairie), et présentons l’argent. Un milicien l’empoche. Puis, allumant une cigarette et m’en soufflant la première bouffée à la figure – il me déclare : « C’est ennuyeux, camarade. Mais ton mari a été fusillé il y a un quart d’heure. Il te bénit maintenant du haut du ciel : n’est-ce pas ce qui peut arriver de mieux à une diseuse d’oremus ? »

Je ne sais comment j’ai regagné ma maison, ce jour-là. Tout sombrait autour de moi. Et je demandais à Dieu de me faire mourir à mon tour. Quant à ma petite Pilar, écrasée par l’horreur de ce qui arrivait, elle dut s’aliter. Elle fut malade. Très malade.

 

Un silence.

Ensuite la pauvre femme – avec une espèce de sourire amer qui me fit mal – murmura, comme se parlant à elle-même :

 

Et savez-vous ce qu’est devenue mon enfant ?... Elle a quitté son lit de convalescente pour celui des miliciens. Ils l’ont violée, Monsieur. L’orgie dura quatre nuits.

La petite se trouvait avec vingt autres jeunes filles de la ville : choisies parmi les familles des plus respectables. La maison – gardée par des hommes en armes – était ouverte aux soldats rouges qui revenaient du front : ils s’y livraient à tout ce qui leur plaisait.

On entendait, de la rue, hurler les victimes.

Ces malheureuses sont aujourd’hui enceintes – ou contaminées... Et ma petite Pilar avait seize ans. Comprenez-vous maintenant pourquoi je n’ai plus la force de pleurer ?

 

 

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VII. – Irun et Fontarabie.

 

 

La Cité-Martyre.

 

J’ai assisté à l’encerclement et à la prise d’Irun, depuis cette journée de juillet où les troupes gouvernementales faisaient sauter le pont d’Enderlazza – dans les gorges du même nom – jusqu’au vendredi 4 septembre, qui marqua la fin tragique de la cité martyre. De nuit – chez les Rouges – et de jour dans le camp des Nationaux, je me suis livré à maintes randonnées destinées à alimenter de façon sûre le Reportage dont on m’avait chargé. Je crois donc pouvoir apporter l’appoint de quelques renseignements précis à la documentation soumise par la grande Presse à la curiosité du public.

Pour débuter : une mise au point.

De nombreuses salles de cinéma – reprenant la campagne tendancieuse inaugurée par les journaux du « Front populaire » – ont représenté l’incendie et la destruction d’Irun comme une œuvre des Carlistes et des troupes marocaines. Cette falsification de l’élémentaire vérité n’est pas née d’hier : il faut le reconnaître. Et la paternité du mensonge ne revient pas, en la circonstance, à ceux qui le manient.

La légende du sac d’Irun par les Nationaux a été lancée le soir même de l’incendie de la ville. Et j’ai assisté personnellement à des altercations très vives – entre militants du « Front populaire » français, et Français tout court – parce que les premiers, face aux décombres incandescents de la cité martyre, clamaient leur indignation et accusaient le « fasciste Franco » de « barbarie germanique ».

Voici les faits tels qu’ils se sont produits :

Jeudi, 3 septembre, les troupes carlistes dominaient toutes les hauteurs de San Marcial – dernier rempart naturel d’Irun – ; et les premières infiltrations nationalistes se produisaient le long de la Bidassoa, par Béhobie.

Je suivais attentivement le développement des opérations, comme j’avais suivi, les jours précédents, l’offensive carliste sur Béhobie, la prise du pont, et l’assaut de la ferme de la Puncha.

Or, comme les Rouges s’étaient installés dans la fabrique d’allumettes de Béhobie, l’adversaire se mit à bombarder cette usine, sise à environ un kilomètre d’Irun. Quelques projectiles suffirent pour mettre le feu à l’établissement, où se trouvaient accumulées d’importantes quantités de matières inflammables (cire, bois, phosphore, produits chimiques variés). L’usine brûla de fond en comble. L’incendie dura trois jours.

Pendant ce temps, UN SEUL foyer d’incendie sévissait à Irun.

Le sinistre s’était déclaré au cours d’un bombardement par avion effectué par les Nationaux dans la journée du 3 septembre. Mais comme il ne soufflait aucun vent, l’incendie tomba de lui-même.

Le 3 au soir nulle espèce de catastrophe ne menaçait la ville.

Par ailleurs, au cours des journées précédentes, les bombardements des Nationaux – exécutés par des avions qui volaient beaucoup trop haut, comme je l’ai signalé dans mes rapports de presse de l’époque – commirent des dégâts fort limités.

Si les assaillants avaient voulu utiliser l’artillerie dont ils disposaient, la destruction de la ville eût été l’affaire de quelques heures.

Il importe enfin de signaler que les raids aériens ne débutèrent qu’à la suite d’un ultimatum qui laissait aux assiégés PLUSIEURS JOURS pour l’évacuation des femmes, des enfants et des malades.

Ceci établi, arrivons-en à l’incendie du vendredi 4 septembre.

La prise des hauteurs de San Marcial par les Nationaux signifiait la chute imminente d’Irun. Toute la nuit du jeudi au vendredi, des Carlistes opérèrent une pression progressive sur les flancs du front rouge. Et vers 3 heures du matin, deux tanks nationalistes parvinrent à bousculer les postes qui tenaient la route de Béhobie à Irun, et s’enfoncèrent – coins redoutables – dans la ligne de défense gouvernementale. Au même moment, les fantassins carlistes accentuèrent leur avance à l’ouest de San Marcial, menaçant d’envelopper l’aile droite de l’armée rouge.

La situation devenait sérieuse, pour les gouvernementaux : mais elle ne justifiait pas encore la DÉBANDADE qui se produisit brusquement. Car ce ne fut pas un recul en bon ordre qu’effectuèrent les défenseurs d’Irun : mais plutôt une fuite éperdue, dont le spectacle lamentable faisait gémir d’indignation les nombreux extrémistes français, groupés de l’autre côté de la Bidassoa.

« Bande de s.... » – hurlait un douanier, qui ne savait plus comment poser son képi sur un crâne en ébullition marxiste – « Avec de pareils oiseaux, les fascistes seront à San Sébastian avant huit jours. » (Le brave homme, entre parenthèses, ne pensait pas si bien prophétiser !...)

Arrivés à Irun, les combattants gouvernementaux ne se jugèrent pas en sécurité suffisante : car ils poursuivirent leur galopade jusqu’en territoire français, en utilisant le pont international, devenu subitement trop étroit. Nos gardes mobiles étaient notoirement insuffisants pour endiguer la trombe qui se déversait – gesticulante et sonore – sur le faubourg d’Hendaye.

Les armes s’amoncelaient de chaque côté de la route. Et leurs détenteurs – retrouvant courage, maintenant qu’ils se trouvaient à l’abri du danger – s’éparpillèrent dans les cafés de la ville, pour y compter les héroïques prouesses du « Frente popular ».

Bien entendu, l’on renonçait à défendre Irun pour la seule raison que les munitions manquaient. Et si les deux wagons de cartouches que l’on aurait dû recevoir de France – la veille – étaient arrivés à temps, de grandes choses eussent été enregistrées pour la postérité.....

Nos matamores mentaient impudemment. Irun possédait des munitions en quantité fort suffisante : comme l’établirent les Nationalistes, quelques heures plus tard. Et tous les habitants d’Hendaye ont pu constater avec quelle rage les miliciens préposés à la garde du pont international GASPILLÈRENT les cartouches au cours de la nuit de jeudi à vendredi, en tirant EN L’AIR – ou DANS LA BIDASSOA..... pour faire du bruit. Car, à ce moment-là, les Carlistes étaient encore à Béhobie. Et aucune cible ne s’offraient aux vaillants défenseurs du pont d’Irun.

Autre réflexion. Accordons – contre toute vérité – l’excuse du manque de munitions aux défenseurs de la ville. Leur devoir n’était-il pas, dès lors, de se replier sur Saint-Sébastien, pour grossir les troupes du gouverneur Ortega ? Pourquoi cette préférence accordée à une facile désertion en territoire français ?

L’on m’objectera que les vaincus d’Irun se sont rendus – depuis – à Barcelone (grâce aux trains et aux secours fraternellement mis à leur disposition par le gouvernement de M. Léon Blum : inventeur breveté du système de la « Non-Intervention » dans les affaires d’Espagne....) Eh oui !.... Ces braves à trois poils ont même constitué – paraît-il – la « Légion de la Mort ».

Mais ne voyez dans ces gestes qu’une preuve nouvelle de couardise. Car nos faux héros savent fort bien que le front de Barcelone est le plus calme de toute l’Espagne ; qu’ils n’y courent aucun danger immédiat ; et que – le moment du péril venu – ils pourront à nouveau chercher un facile refuge en territoire français.

Tandis que dans les Asturies ou sur le front de Madrid....

 

 

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Les dynamiteurs à l’œuvre.

 

La défense d’Irun était dirigée par un Comité de « Front populaire » de quinze hommes, présidé par le camarade Margarida. Ce dernier avait pompeusement déclaré aux représentants de la Presse de gauche qu’il se ferait ensevelir sous les ruines de la ville plutôt que de se rendre.

Or, l’avant-veille de la prise de la ville, Margarida installa son caractère romain dans une magnifique voiture « réquisitionnée » et déclara à ses admirateurs – en filant sur Hendaye : « Je vais mettre ma femme en sécurité à Saint-Jean-de-Luz ! »

IL PARTIT – ET NE REVINT PLUS.

Ajoutons que Margarida eut de nombreux imitateurs au sein de son Comité. Celui-ci comprenait encore « Quatre membres » – sur quatorze – le 3 septembre au matin.

Ces éloquentes désertions ont été confirmées, toutes, par « Marianne », hebdomadaire de Gauche, dont on ne saurait mettre en doute les sympathies pour le « Frente popular ».

À côté du Comité d’Irun, fonctionnait une sorte de petit gouvernement militaire – en sous-ordre, bien entendu – où figuraient des officiers et sous-officiers de réserve français, belges et allemands. Le cinéaste Manecheur était du nombre.

Enfin, notons l’existence d’une Éminence grise, en la personne de l’anarchiste Pablo Rosta : dynamiteur asturien.

Quand les miliciens se débandèrent en France, vendredi matin, Pablo Rosta demeura à Irun, avec une poignée d’exaltés de sa trempe.

La veille déjà, ces énergumènes avaient laissé entendre leur intention de démolir et d’incendier la ville. Une vingtaine de carabineros, qui s’élevaient contre une telle folie, furent emprisonnés séance tenante. Quinze d’entre eux parvinrent à s’enfuir et à gagner les lignes carlistes. Les autres furent jetés par les dynamiteurs dans une maison en flammes, et périrent d’une mort atroce.

Vendredi matin, au moment où les Carlistes atteignaient les premières maisons des faubourgs, l’équipe de Rosta se mit à la besogne.

L’on sortit une pompe à incendie que l’on remplit d’essence, et l’on arrosa la façade des principaux immeubles du centre d’Irun et du quartier nord. Furent seuls épargnés le quartier ouvrier, proche de Fontarabie, et l’avenue de France – par laquelle les incendiaires se réservaient de franchir commodément la frontière, une fois leurs méfaits accomplis.

La ville copieusement noyée d’essence (l’on n’en manquait certes pas : la France en livrait par camions citernes généreux !..) les hommes de Rosta jetèrent dans les maisons des grenades incendiaires et des cartouches de dynamite. Les explosions se succédaient sans arrêt et glaçaient d’épouvante les malheureux réfugiés qui se lamentaient, à Hendaye, sur le sort de leur ville – jadis si paisible et si heureuse.

Bientôt montaient dans le ciel la fumée et les flammes des premiers incendies. Et tandis que le sinistre s’étendait, progressait en violence, couvrait la cité d’un lourd nuage, où s’épanouissaient, par moments, des gerbes fulgurantes d’un feu d’artifice tragique, les otages politiques retenus à Irun subissaient leurs dernières heures de martyre.

Car on avait transporté à Irun – depuis quelques jours –, une bonne partie des prisonniers enfermés au début de la Révolution dans les casemates du fort de la Guadelupe. Ces infortunés étaient attachés aux arbres des places publiques et à la porte des bâtiments officiels lorsque les avions ennemis effectuaient leurs bombardements. On les amenait aussi au cimetière de la ville, la veille des exécutions, pour leur faire creuser la fosse où les jetterait bientôt le crépitement des mitrailleuses.

Toute la journée du 4 septembre ils furent le jouet d’ignobles tortionnaires qui – pour mêler le sadisme aux plaisirs du pillage et de la destruction – injuriaient les otages à travers les barreaux de leurs prisons, et leur annonçaient les progrès de l’incendie. Des femmes qui n’avaient pas voulu évacuer la ville – et furent soupçonnées, par ce fait, de sympathies..... futures pour les Carlistes – subirent d’inimaginables traitements. Après les avoir violées en présence de leurs enfants, les Rouges les poussaient dans des maisons en flammes où les malheureuses hurlaient à la mort – puis étaient brûlées vives.

Un otage qui parvint à s’échapper, par miracle, de cet enfer me raconta son effroyable odyssée :

 

Nous étions enfermés dans une cave, au nombre de cinq, et attendions notre dernière heure avec une résignation qui confinait presque à l’indifférence. Nous étions las de souffrir. Et cette mort – dont on nous menaçait depuis des jours, sans nous l’accorder –, nous apparaissait en fin de compte comme une délivrance.

L’immeuble où nous nous trouvions commençait à brûler. Les bâtiments voisins étaient une immense fournaise dont le flamboiement éclairait la rue comme en plein jour. Une chaleur suffocante pesait, et l’air devenait si irrespirable qui nous avions disposé nos mouchoirs devant la figure, après les avoir, faute d’eau, mouillés d’urine.

Tout-à-coup, une dégringolade rapide dans l’escalier. Des bruits de voix devant la porte. Maladroitement, nous nous reculons tous dans un coin. Mais – obéissant à je ne sais quel contre-ordre de mon instinct de conservation – je me jette à terre.

À peine étais-je dans cette position que deux flammes jaillirent, suivies d’un bruit de tonnerre. Je crus que la maison s’écroulait. Puis ce fut le silence complet uniquement souligné de sourds gémissements : « Mon Dieu... Mon Dieu... » râlait une voix étranglée.

Mon premier mouvement fut de me lever pour courir au secours du blessé. Mais je me fis violence : il fallait à tout prix persister dans l’unique position qui pût me préserver de la mort.

Bien m’en prit. Car déjà l’on ricanait du côté de la porte : « Vous entendez, vous autres ? Il y en a un qui en redemande. Allons, hop ! Une petite grenade pour que son Bon Dieu lui accorde le paradis !... »

Une nouvelle explosion ébranla les murs.

Maintenant, la voix s’était tue. Et nos tortionnaires – certains que la mort avait fait son œuvre – s’éloignèrent en échangeant des plaisanteries.

Combien de temps demeurai-je étendu sur le sol, dans la crainte de hasarder le moindre mouvement ? Je ne sais. Quand je sortis de la sinistre prison – dont les miliciens avaient laissé la porte grande ouverte – j’eus infiniment de peine à traverser le corridor du rez-de-chaussée, où tombaient déjà les débris du premier étage, ravagé par l’incendie.

Et il me serait impossible de vous expliquer comment je suis arrivé à quitter la ville, en me glissant d’une rue dans l’autre, parmi le sifflement des balles et l’écroulement des murs. Les Carlistes me ramassèrent sur la route de Béhobie, où – trahi par mes forces – je m’étais effondré, sans connaissance.

 

 

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« C’est nous qu’on est les princes..... »

 

Nous demeurerions très incomplet si nous n’accordions une mention toute particulière à la façon soignée dont les Rouges ont procédé au pillage d’Irun avant de la déserter.

Aussitôt que les Carlistes s’aperçurent que le « Frente popular » mettait le feu à la ville, ils se gardèrent de poursuivre leur marche en avant. Ils restèrent sur leurs positions d’attente, la nuit de jeudi et toute la journée de vendredi. C’est seulement au cours de la matinée de samedi (une fois les plus dangereux foyers d’incendie apaisés) qu’ils occupèrent Irun.

Les Rouges en profitèrent pour parfaire l’œuvre de pillage commencée déjà quelques jours auparavant. Les banques furent naturellement détroussées en conscience – à tout seigneur tout honneur. Les commerces de luxe, magasins d’alimentation, hôtels, garages, suivirent. Puis vint le tour des maisons particulières.

J’ai vu à Hendaye, venant soit du pont international, à pied ou en auto ; soit de Fontarabie, au moyen de barques, des bandes de miliciens porteurs des objets les plus hétéroclites. Vêtements, phonographes, bijoux, bas de soie, parapluies, batteries de cuisine, parfums, bretelles, trousses de voyage, valises, pièces de vaisselle : le tout absolument NEUF et muni, le plus souvent, d’étiquettes indicatrices de prix.

Un jeune voyou, possesseur d’un lourd papier, soldait des havanes de grand luxe à un franc pièce. Il portait lui-même, piqué au coin de sa bouche ironique, un superbe cigare, dont il tirait des bouffées fort dignes.

D’autres miliciens, attablés dans les petits cafés du port, menaient grand bruit autour de liasses de billets de banque qu’ils faisaient circuler entre leurs mains sales. Il y avait là de véritables fortunes, en monnaie de tous pays, et qui provenaient sans aucun doute du pillage des banques d’Irun. À côté des bandits, des groupes de gardes mobiles – qui buvaient la bière de l’attente entre deux tours de faction – regardaient pacifiquement, comme on assiste à une partie de dames entre deux habitués du « Café des sports ».

Que dis-je ?... Samedi, à 16 heures, le spectacle de cette tolérance bonhomme était encore plus attendrissant. À Hendaye-Plage (où je me trouvais personnellement) les Rouges de Fontarabie arrivaient en masse sur la rive française, pour y transporter le fruit de leurs larcins. Car la milice du « Frente popular » – une fois dans l’impossibilité de piller Irun, occupée par les Carlistes – se rabattit sur Fontarabie, qu’elle mit en coupe réglée.

Les barques succédaient aux barques. L’on transportait chez nous des monceaux d’objets volés. Parmi les personnes assistant à ce répugnant spectacle se trouvaient des commerçants de Fontarabie, qui reconnaissaient des marchandises provenant de leur magasin. Or, ces malheureux n’avaient même pas la ressource de protester et de demander l’intervention des autorités françaises.

Car lesdites autorités étaient représentées par un unique Garde mobile (je possède des témoins prêts à appuyer mon témoignage). Et le pauvre homme, submergé par la foule des spectateurs et grossièrement rabroué par des miliciens qui se refusaient à déposer leurs armes, était littéralement affolé.

Ce n’est qu’au bout d’une grande heure qu’un nouveau détachement – comprenant... un gendarme – vint le seconder...

Pendant ce temps, les automobiles de marque défilaient à travers les rues d’Hendaye, en provenance du Pont international. Et l’on voyait au volant des magnifiques voitures des conducteurs à gueule d’assassins qui pilotaient des « patrons » à tête de faux monnayeurs, tassés avec béatitude dans le moelleux des coussins.

Tout ce joli monde étalait publiquement la joie d’avoir pris – enfin – la place des « bourgeois » abhorrés. L’automobile, les cigares et le billet de banque cessaient soudain d’appartenir aux attributs d’un Capitalisme ennemi. Ils devenaient – entre les mains des incendiaires d’Irun – les manifestations de la supériorité marxiste.

Les humbles femmes qui avaient laissé leur maisonnette, leur modeste mobilier et toutes leurs espérances là-bas, dans la ville en flammes, regardaient passer, silencieuses, la nouvelle aristocratie du « Frente popular ».

« Et c’est pour ça – dit un carabinero qui portait le bras en écharpe – qu’on s’est fait trouer la peau à Béhobie »

Encore un innocent qui n’avait pas lu l’histoire de la Révolution russe....

 

 

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Justice marxiste.

 

Avant de quitter Irun, n’omettons pas de rendre un dernier hommage aux sentiments humanitaires du « Frente popular ».

Les femmes, enfants et vieillards ont été évacués fort sagement par les autorités rouges, au reçu de l’ultimatum nationaliste annonçant des bombardements aériens.

L’on prit soin, toutefois, de créer deux classes : celle des amis du régime, et celle des adversaires. Les premiers bénéficièrent de l’évacuation ; les autres durent rester à Irun, où ils connurent les affres de la peur et les mauvais traitements des miliciens jusqu’à la veille de la reddition de la ville.

Sur les instances des diplomates français et étrangers, les mères de famille qui avaient commis le crime d’élever leurs petits religieusement, furent enfin autorisées à franchir le Pont international.

Mais le « Front populaire » français – digne émule du « Frente popular » espagnol – avait reçu toutes consignes utiles, et veillait.

De sorte que les réfugiés espagnols soupçonnés de « fascisme » ont été uniformément dirigés sur des départements lointains, où l’exil leur sera plus lourd, tandis que les adeptes du marxisme se sont vu précautionneusement caser à Saint-Jean-de-Luz, Bayonne, Bordeaux, Pau et Toulouse, où ils nous témoignent leur gratitude et leur admiration en levant le poing, en arborant le drapeau rouge, en protestant contre la mauvaise qualité de la nourriture, en se livrant à une propagande révolutionnaire ouverte, et en rossant les « fascistes » français – quand l’occasion s’en présente.

Je me permets de renvoyer mes Lecteurs pour plus amples détails à la lecture de la Presse LIBRE du Sud-Ouest.

 

 

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À Fontarabie.

 

Fontarabie n’a pas été incendiée. Ne voyez dans cette réserve rouge que ce qu’il faut y voir : l’absence du temps nécessaire à l’accomplissement du forfait.

Car la ville était condamnée au sort de la cité sœur.

Cependant, les « déménageurs » ont œuvré gaillardement. J’ai pu constater de visu avec quel soin jaloux ces Messieurs du « Frente popular » s’étaient imposé la visite de chaque habitation : Portes et fenêtres ouvertes, placards vidés, tiroirs en débandade au milieu des chambres ; amoncellement sans nom de tout ce qui n’offrait pas une valeur particulière ; volatilisation du reste.

Les Allemands n’ont pas fait mieux. Et Fontarabie m’a rappelé – toutes proportions gardées – le petit bourg de Vého, en Lorraine, où la dévastation par le vol atteignit les cimes de l’art.

Mais encore les Allemands avaient-ils l’excuse de se trouver en pays ennemi et de châtier des coups de fusil tirés par les paysans.

Aucune de ces deux motifs ne saurait être invoqué par les Huns du « Frente popular ».

 

 

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Un Mauser à bon compte.

 

Lors d’une de mes visites à Fontarabie (les milices, bien qu’à la veille de l’évacuation, faisaient encore la loi) je rencontrai une bande de « déménageurs » qui – dans l’impossibilité de transporter tout leur butin sur l’autre rive de la Bidassoa – en déversaient une partie dans la mer. Il s’agissait d’un lot de machines à écrire, de phonographes et d’appareils de TSF.

Mon compagnon – un fonctionnaire dont le nom valait le meilleur des passeports – entra en conversation avec les miliciens.

L’un de ceux-ci, qui me dévisageait sans bienveillance depuis quelques instants, m’adressa soudain la parole : « Je te propose un Mauser tout neuf, et deux paquets de cartouches pour sept francs. C’est donné. D’accord ? »

Je refusai poliment, ne me souciant guère de me faire pincer à mon débarquement à Hendaye, par un douanier ou un gendarme pointilleux. Car je n’avais pas l’avantage de bénéficier de l’indulgence réservée aux guerriers rouges espagnols. Je n’étais qu’un citoyen français, et ma qualité de journaliste catholique me chargeait d’une tare inguérissable.

Mais le milicien s’était approché, le regard en dessous : « Hein ? » me lança-t-il d’un ton sec.

Je compris. Et – tirant mon porte-monnaie – je versai gentiment l’impôt direct de sept francs. Il n’y eut ni centimes à payer, ni reçu à percevoir, comme chez nos bons fonctionnaires du Fisc.

Mais cette petite farce valait – pour ce jour-là – le meilleur des avertissements. Et je pensai qu’il était prudent de vider les lieux.

Quelques heures plus tard, des bruits d’explosion arrivaient jusqu’à Hendaye : les Rouges exécutaient – à leur manière – les moines du couvent de Fontarabie.

 

 

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Crucifiement.

 

Les moines de Fontarabie avaient sans doute été réservés pour servir d’apothéose sanglante à la Dictature marxiste.

En Andalousie, la populace s’était amusée à couper les poignets aux religieux ; à évirer les prêtres, à « allumer » les nonnes, après les avoir arrosées de pétrole ou d’essence. À Siguenza on avait promené un évêque, Monseigneur Eustaquio Nisto, entièrement nu, dans les rues de la ville – entre deux rangées de filles publiques – avant de l’enduire de goudron et de le brûler vif.

À Navalperal les Rouges s’amusèrent à ouvrir le ventre d’un curé et à le garnir de chaux vive. Au couvent de Santa Clena, à Séville (avant l’arrivée des Nationaux) la reine de Beauté du « Frente popular », la demoiselle Moron, transforma les cellules en cabinets particuliers où les Sœurs furent violées et martyrisées avec des raffinements dépassant l’imagination.

À Gerona la Supérieure des Sœurs cloîtrées eut les deux seins coupés et dut traverser la ville dépouillée de ses vêtements, en exposant sa poitrine ensanglantée aux lazzis de la foule. À Puenta Genil, les miliciens tranchèrent les pieds du curé sur le pavé de la rue – à coups de hache.

Le curé de San Jeronimo fut massacré dans les bras de sa mère qui suppliait la soldatesque d’épargner son enfant. Et tout le monde connaît le récit des tortures infligées à un vieux prêtre de 74 ans, à El Arahal : récit tombé de la plume de M. Émile Condoyer, reporter n’appartenant certes pas aux milieux « fascistes ».

À Fontarabie, on cherchait de l’« inédit » – et on le trouva.

Douze moines et l’évêque de Valladolid furent hissés sur le toit du monastère. On les fixa d’abord en place à l’aide de cordes ; puis on les cloua à la charpente, avec des pointes solides, et l’on retira les liens.

Les malheureux étaient étendus, à présent, bras en croix, face au ciel, avec la brûlante lumière du soleil sur leurs yeux douloureux.

Lorsque les infortunés eurent assez souffert, le jeu changea. Saisissant des grenades et des paquets de dynamite, les miliciens ouvrirent un concours de massacre d’un nouveau genre. De la rue, ils se mirent à bombarder le toit du couvent, où les projectiles, dans leur éclatement inexorable – arrachaient lambeau par lambeau la chair des martyrs qui y agonisaient.

La fatigue fit cesser l’horrible divertissement : un ruisselet de sang coulait des tuiles du monastère.

J’attire l’attention des lecteurs sur ce détail suggestif qu’un des bourreaux appartenait à notre nationalité, et qu’il se vantait le soir même de son forfait, dans un café d’Hendaye.

 

 

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Au fort de la Guadelupe.

 

Plusieurs centaines d’otages avaient été emprisonnés à la Guadelupe, qui domine Fontarabie, aux premiers moments de la guerre civile. Les uns demeurèrent dans la forteresse jusqu’à la chute d’Iran, qui marqua l’heure de leur libération. D’autres moururent en cours de captivité, de la suite des mauvais traitements. Le plus grand nombre fut transféré par petits paquets à Irun, où l’on fusillait quotidiennement une vingtaine de victimes.

Il y eut enfin quelques malheureux qui, après avoir subi une détention barbare depuis le début de juillet, furent mis à mort à la veille même de l’arrivée des Nationaux. Parmi ceux-là nous citerons Honoré Maura, auteur dramatique, fils de l’homme politique connu ; Leopoldo Matos, avocat réputé qui défendit de nombreux républicains au temps de la Dictature ; Miguel Ayestkrana, ancien ministre de l’Intérieur ; Julien Pardella, chef de la Police d’Irun ; Beunza, le député nationaliste de Pampelune ; Ayestaran, champion de la pelote, aimé des foules ; le marquis d’Elosegui ; le comte de Llobrogat ; et le vénéré Curé de Fontarabie.

Le calvaire de cet ecclésiastique fut particulièrement pénible. Voici ce que m’apprit un rescapé de la Guadelupe, à ce sujet :

 

Le curé de Fontarabie fut arrêté et incarcéré un des premiers. Le jour où on le conduisit de la cure à la forteresse, la lie de la populace s’était donné rendez-vous pour insulter le prêtre et le couvrir d’avanies. Les mégères lui crachaient à la face, le bousculaient, lui donnaient des coups de pied, l’abreuvaient de plaisanteries obscènes et invitaient la marmaille à lui jeter des pierres.

L’ecclésiastique arriva à la Guadelupe dans un état lamentable. On le jeta dans une sorte d’in pace sans air ni lumière, où il demeura enfermé plusieurs jours. Une croûte de pain et un peu d’eau constituèrent son unique alimentation au cours de cette détention.

Puis le malheureux prêtre fut à nouveau conduit à Irun, où on lui fit subir le traitement que voici. Chaque matin se présentait un milicien qui déclarait : « Tu seras fusillé ce soir à cinq heures. Prépare-toi au grand voyage. » Le moment de l’exécution venu, on sortait l’ecclésiastique de sa prison, on le conduisait au cimetière ; puis on avait l’air de se raviser : « Ce sera seulement pour demain. Demi-tour ! »

Et l’on ramenait le prêtre à son cachot, pour recommencer le lendemain l’infernale comédie.

Au moment où les Rouges perdirent tout espoir de sauver Irun, ils se vengèrent sur leurs otages avec une recrudescence de cruauté. Le curé de Fontarabie fut reconduit au fort de la Guadelupe, au milieu d’une bande de pétroleuses et de voyous qui réclamaient sa mort à grands cris. Quand le triste cortège eut gravi la colline, une mégère s’approcha et appuya un browning sur la tempe du prêtre. « Ah ! vieux porc ! – gronda-t-elle – ce n’est personne d’autre qui aura la joie de te “descendre” ». Elle appuya sur la gâchette ; mais l’arme était enrayée : le coup ne partit pas.

Les miliciens entraînèrent alors l’ecclésiastique à la forteresse, où on l’enferma dans un abri voisin de la batterie qui tirait sur les lignes carlistes, derrière San Marcial. Entre deux obus, l’on venait s’amuser auprès du curé : « Dis donc, l’abbé, montre-nous comment tu sais faire la génuflexion ? » Un coup de pied obligeait le prêtre à quitter son escabeau. Le malheureux s’agenouillait, se relevait, était contraint de recommencer – jusqu’à l’épuisement de ses forces.

On le laissait reprendre haleine. Puis la torture variait : « Attention, l’abbé. Nous allons tirer sur tes frères les mangeurs de bon Dieu de la Navarre. Prie quatre Pater pour que nos obus ouvrent leurs tripes apostoliques et romaines. » Et, sous la menace du revolver, le vieillard était contraint de murmurer les prières exigées.

« Voyons, l’abbé. Nous nous f..... de ton bon Dieu et de ta religion, et ne croyons à rien. Mais tu vas essayer de nous convertir : fais-nous un prône sur l’obligation de mettre beaucoup d’enfants au monde pour peupler les usines de la bourgeoisie. » Et l’ecclésiastique se voyait obligé – sous peine de mort – de procéder à la prédication imposée, que l’assistance couvrait de huées, de jurons et de ricanements.

Un jour, un des bourreaux dit au vieillard : « Avoue que Dieu n’existe pas et que vous autres, curés, vous vous moquez tous du peuple ! »

Le prêtre répondit à l’énergumène, qui le menaçait de son arme : « Vous pouvez tirer : je suis prêt depuis longtemps. Mais vous ne m’obligerez JAMAIS à renier le Dieu à qui j’ai consacré ma vie, et qui vous jugera, vous et vos complices. »

Ce jour-là, le malheureux fut roué de coups. Mais on ne l’abattit pas : ses souffrances étaient jugées insuffisantes.

Le 5 Septembre, les miliciens, sachant la partie définitivement perdue, et prêts à quitter le fort, firent sortir le curé de Fontarabie de son abri : « Creuse ta tombe ; l’heure est venue. »

L’infortuné vieillard commença de s’exécuter. Mais ses forces le trahissaient, l’ouvrage n’avançait pas. Alors, une brute le saisit par le bras : « Cesse ce travail, bon à rien ! Je vais te donner une dernière chance de garer ta peau. Tu vois ce bouquet d’arbres, là, à cent mètres de la batterie ? Essaie de l’atteindre au pas de course. Si tu y arrives sans t’arrêter en chemin, tu as la vie sauve. » Le prêtre – bandant sa dernière énergie – se mit à courir dans la direction indiquée.

Alors le milicien leva silencieusement son fusil, ajusta le vieillard et le tua net d’une balle dans la nuque.

 

 

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Le commandant Santillan, qui commandait le fort de la Guadelupe, disparut dans la matinée du vendredi 3 Septembre ; l’on apprit, par la suite, qu’il s’était réfugié en France. À partir de ce moment, la démoralisation fut complète parmi les « défenseurs » de la forteresse, et la surveillance des otages se relâcha considérablement. Certains gardiens s’empressèrent même de monnayer la situation, et permirent à des prisonniers de s’enfuir, contre paiement de sommes variant entre 10 000 et 20 000 pesetas. D’autres miliciens s’appliquaient à vider les tonneaux de vin, dans la louable intention, sans doute, de leur épargner l’opprobre de passer aux Carlistes.

C’est à ce concours de circonstances que l’on doit de ne pas avoir assisté à un massacre général des otages, et que près de 230 prisonniers purent être sauvés.

Il faut aussi rendre un hommage bien mérité (la rareté de l’occasion en augmente la valeur) à l’attitude humaine du milicien Velez. Alors que plusieurs forcenés réclamaient opiniâtrement le massacre en bloc des captifs, Velez éleva courageusement la voix, exposa à ses camarades l’inutile cruauté d’un tel geste, et finit par sauver la vie des otages.

Un autre rescapé de la Guadelupe – ancien fonctionnaire des douanes – que je pus rejoindre à Hendaye, me consentit des détails navrants sur sa captivité et celle de ses compagnons.

 

Tout ce qui pouvait sortir de l’imagination d’hommes en délire, me dit-il, nous a été appliqué en guise de traitement. Au début, les miliciens nous ont servi une nourriture à peu près convenable ; nous recevions même du vin ; mais cela ne dura pas longtemps. Sous prétexte que le ravitaillement n’arrivait pas, et que les combattants de l’Armée gouvernementale devaient passer avant les « traîtres » du fascisme, l’on rogna petit à petit les rations. Nos libertés et moments de détente – si maigres déjà – subirent également un étranglement progressif. C’était comme une vis à laquelle on appliquait chaque jour un nouveau tour. Raffinement de barbarie dont le but unique était de nous ravir toute minute de tranquillité morale.

Nos bourreaux décidèrent – à la suite d’un bombardement du fort par l’escadre nationale – de nous faire partager plus intimement les dangers courus par la garnison. L’on nous sortit des casemates, pour nous empiler dans un local placé tout près des dépôts de munitions. Cette prison nouvelle pouvait tout au plus contenir une centaine d’hommes, et nous y étions presque DEUX CENTS !....

Il me semble inutile de vous décrire longuement, n’est-ce pas, le genre d’hygiène qui régnait dans un pareil entassement d’individus, dont une partie souffraient de refroidissements ou de dysenterie ? Car le sol du local disparaissait sous dix centimètres d’eau stagnante, qui dégagea bientôt des émanations pestilentielles. Et nous nous voyions contraints de passer toutes nos journées debout ou accroupis sur les caisses de munitions vides nous servant de couchettes.

En plus des tortures morales – que l’on entretenait soigneusement en nous annonçant chaque jour la mort de tel membre de notre famille ou de tel de nos amis – les tourments physiques. Les coups pleuvaient. Les miliciens prenaient un malin plaisir à gifler les nobles qui se trouvaient parmi nous et à leur imposer les plus basses corvées. J’ai vu un comte, pauvre vieux dont le caractère ne comportait pas un atome de méchanceté ou de morgue, ramassant de ses mains, faute du balai et de la pelle qu’on lui refusait, les excréments de jeunes miliciens, ravis de l’exécution de cette tâche « égalitaire ».

Faut-il vous dépeindre l’angoisse qui nous étreignait lorsque les obus de gros calibres – lancés par les vaisseaux nationalistes – venaient s’abattre aux environs du fort, qu’ils ébranlaient à grands coups furieux ? Et dois-je vous dire notre horreur quand nous entendions crépiter, dans les corridors souterrains, des fusillades accompagnées de clameurs déchirantes ?

Non, je ne crois pas que l’on puisse imposer à des hommes plus abominable traitement. Nous étions de pauvres jouets, entre les mains de nos tortionnaires. Et notre existence se transformait peu à peu en une lente agonie qui nous eut acculés au suicide – ou à la folie – si Dieu n’avait permis notre délivrance.

 

 

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Un autre fonctionnaire, réfugié à Béhobie – et qu’une détention de trente jours à la Guadelupe transforma en véritable LOQUE HUMAINE, m’accorda ces précisions :

 

Tout ce qu’on pourra dire sur le sort des otages sera au-dessous de la vérité. Il n’existe pas de terme pour définir le traitement qui nous fut appliqué. Dites à vos Lecteurs qu’il y eut des malheureux – et je fus du nombre – auxquels on imposait quotidiennement une promenade de dix mètres à l’extérieur : « Quand tu seras au dixième mètre – disaient les miliciens en se rangeant DERRIÈRE la victime – nous t’enverrons la salve de la belle mort. » Le malheureux parcourait le chemin assigné : « Recommence ! ordonnaient les misérables ; nous t’avons accordé un délai de grâce. Mais cette fois, c’est le “dix mètres final” ! »

Et le jeu se renouvelait jusqu’à ce que le prisonnier, prêt à défaillir de terreur, se jetât à genoux pour implorer lui-même le coup de grâce de la délivrance.....

 

 

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Après l’occupation du fort par les Nationaux, des femmes et des enfants en deuil gravirent la montagne, pour assister à l’exhumation des victimes de la barbarie rouge. Une grande fosse était ouverte.

Des corps y gisaient pêle-mêle, à demi-vêtus, dans l’attitude où les avait frappés la mort.

Un vieillard ouvrait encore les bras, en geste d’ultime supplication. Le chef de la police d’Irun, dans ses doigts enduits de glaise, serrait un chapelet. Et le curé de Fontarabie, les mains croisées sur la poitrine, semblait poursuivre une prière intérieure, paisible et confiante : aucune crispation dans son calme visage de cire, qu’une blessure cruelle auréolait de rouge sombre.....

Des sanglots étouffés trouent le lourd silence qui pèse autour de cette tombe commune. Et tandis que des Carlistes au béret pourpre sortent un à un les cadavres et les déposent avec respect dans les cercueils proches, un homme, écrasant de grosses larmes sur ses joues pâles, répète doucement : « C’est moi qui ai creusé leur fosse..... C’est moi..... »

Ultime évocation du régime barbare que la Guadelupe soviétique imposait à ses victimes, et dont le souvenir cruel hantera longtemps encore bien des cœurs, en terre d’Espagne.

 

 

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.....« TOUTES LES ABOMINATIONS POSSIBLES »

 

Pour ceux de nos Lecteurs à qui les atrocités commises par les anarchistes et communistes espagnols paraîtraient, dans leur raffinement, approcher des limites de l’invraisemblable, il sera utile de reproduire les propres déclarations faites récemment au « Matin », par Miguel de Unamuno. Ce savant – nous avons déjà prononcé son nom dans un de nos récents chapitres – est doublé, ne l’oublions pas, d’un républicain de Gauche à qui un long passé de lutteur donne le droit de parler haut. Voici son jugement :

 

L’Espagne souffre d’une épidémie de folie criminelle. La démence qui la ravage est telle qu’elle ne peut avoir qu’une origine pathologique. Jamais, même dans les guerres civiles de l’autre siècle, on n’a assisté à pareil déchaînement d’horreurs.

Il ne s’agit pas de principes à défendre ou d’améliorations sociales à conserver. On est en face d’une vague de destructions, d’assassinats, de pillages, de crimes de toute espèce. Les communistes espagnols n’ont jamais eu de notions d’une politique constructive. Les anarchistes n’ont même pas été effleurés par cette idée. Les hommes sont seulement en proie à un délire furieux. Peut-être s’agit-il d’une crise de désespoir. L’Espagne catholique ne croit plus, dans sa très grande partie. Les églises qu’on ravage, qu’on démolit, qu’on brûle, les christs qu’on décapite, les squelettes que l’on déterre ne sont peut-être que des gestes de désespoir.

Mais il doit y avoir autre chose. UNE ORIGINE PATHOLOGIQUE À CETTE DÉMENCE. Je ne crois pas à l’alcoolisme, le peuple espagnol ne boit pas. JE SONGE À UNE AUTRE SOURCE DE DÉCHÉANCE ET DE TARE MENTALE.

On parle du gouvernement de Madrid, mais il n’y a plus de gouvernement à Madrid. Il n’y a que des bandes armées qui commettent toutes les abominations possibles.

 

 

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Cette « SOURCE DE DÉCHÉANCE ET DE TARE MENTALE », nous la connaissons.

Nous la connaissons, parce qu’elle déverse – en France aussi – ses ondes empoisonnées.

Voici longtemps déjà qu’elle a jailli en notre terre chrétienne : minant avec une force toujours nouvelle les bases d’une civilisation où la bienfaisante influence des disciplines religieuses devenait tyrannie et obscurantisme aux yeux des Philosophes.

L’onde s’est enflée. L’incrédulité a succédé à la tiédeur, puis a été débordée à son tour par un matérialisme militant, qui portait en lui les germes de la haine et de la violence.

L’on s’est attaqué systématiquement à l’âme de la Jeunesse, pour mieux atteindre la Famille, et mieux réserver l’avenir ; la laïcisation a enveloppé la vie sociale dans ses rets innombrables. Sous couleur d’émancipation et de liberté de conscience, on s’est livré à une course folle vers un état anarchique où le bon plaisir, les passions, le goût des jouissances faciles et les exigences d’un individualisme forcené tiennent lieu d’idéal.

Et le perfectionnement dans le temps, constituant un obstacle à cette conception nouvelle de l’existence, les esprits se sont engagés très naturellement dans la voie directe des solutions radicales, ou, du moins, des tentatives de bouleversement qui en tiennent lieu.

« TOUT – TOUT DE SUITE – ET PAR TOUS LES MOYENS POSSIBLES ! »

Et voici que la source primitive est devenue un torrent impétueux.

On avait espéré la fécondation des semailles : et c’est la destruction qui arrive.

On croyait embrasser la Paix et le Bonheur universels : et dans nos bras ouverts se dresse le spectre de la guerre civile.

L’on s’imaginait tuer les inutiles dictatures en se libérant des entraves de la Religion : et le COMMUNISME – cette pure expression de la mystique matérialiste – nous présente la menace de la plus impitoyable et de la plus aveugle des tyrannies.

 

 

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Puisons dans les évènements d’Espagne une leçon de clairvoyance – et de courage.

Il est temps encore de nous ressaisir. La confiance en Dieu – et dans les destinées de notre Patrie – est nécessaire en ces jours troublés. Mais elle ne suffit pas.

Comme l’a si bien dit l’éminent Cardinal Baudrillart : « Dieu a doté l’homme d’une tête, d’un cerveau capable de penser et de se résoudre, d’une volonté capable d’agir. Donc : luttons, défendons-nous. »

Le Communisme s’attaque à notre Religion, à notre Patrie, à notre Société. Il bataille sur tous les fronts. C’est sur tous les fronts qu’il faut le repousser.

Et si nous avons l’obligation de tendre une main secourable aux frères trop crédules – ou trop timorés – qui n’ont pas su résister aux avances adroites de Moscou, nous avons aussi l’impérieux devoir de refuser tout compromis avec les chefs du mouvement soviétique.

Car il ne saurait être question – ici – de fraternité et de tolérance. La fraternité proposée par un Staline est un PIÈGE. La tolérance garantie par Thorez : une HYPOCRISIE.

La fraternité et la tolérance que nécessite la gravité de l’heure sont des vertus NATIONALES. Elles doivent souder toutes les énergies, toutes les bonnes volontés, toutes les classes sociales, toutes les confessions et toutes les opinions antimarxistes de France, en un « Front Populaire » nouveau :

CELUI DES HOMMES QUI NE VEULENT PAS MOURIR.

.....Qui ne veulent pas mourir DANS LE NÉANT DE L’ESPRIT ET DU CŒUR ;

Qui ne veulent pas mourir DANS LA BARBARIE SOCIALE ;

Qui ne veulent pas mourir SUR LES CHARNIERS DE LA GUERRE CIVILE ET DE LA GUERRE ÉTRANGÈRE.

 

 

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NOUS AUTRES – ALSACIENS – NOUS SOMMES DE CES HOMMES-LÀ.

 

Frontière espagnole, Septembre 1936.

 

 

 

 

André ZWINGELSTEIN,

Au pays de la Terreur rouge,

4e édition, Alsatia, s. d.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



1  – J’ai le devoir de reconnaître que quelques semaines plus tard, au moment du soulèvement contre le « Front Populaire », l’écrasante majorité des « émigrés » revint en Espagne où elle se battit avec vaillance. Si cette attitude décidée s’était produite plus tôt – précédée par des sacrifices volontairement consentis dans le domaine social, comme le réclamaient Calvo Sotello, Gil Robles et le parti catholique – l’Espagne de 1936 ne connaîtrait sans doute pas les horreurs de la guerre civile.

Puisse la leçon profiter aux Français !

2  – Les « troubles révolutionnaires » (grèves politiques, occupations d’usines, agitation dans la rue et les Administrations de l’État) ont effectivement éclaté chez nous, depuis la parution de ce papier.

3  M. Alexandre Lerroux a adressé, le 11 Septembre, une lettre à M. Vincente Sierra – militant radical – où il l’avise de son adhésion au mouvement national. Voici comment s’exprime l’ancien président du Conseil espagnol, et chef du Parti radical :

« Il n’y a pas d’autre espoir d’empêcher une catastrophe définitive en Espagne, que celui offert par le soulèvement national, commencé, organisé et dirigé patriotiquement par l’armée. Ceci ne signifie pas que je me place du côté des triomphateurs, ni sous la protection de la force, mais que je collabore avec la raison, avec la justice, avec le sens historique de notre civilisation et de notre progrès. Je veux seulement contribuer à la conservation de l’héritage séculaire de la nation et de la race, menacées de mort par une vague de barbarie, nation et race qui ont besoin, avant tout, du rétablissement de l’ordre, de la loi et de l’autorité, conditions qui sont à la base de la conscience sociale. »

 

 

 

 

 

 

 

 

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