Canaris

 

OU

 

INCENDIE D’UN VAISSEAU TURC À TÉNÉDOS.

 

 

 

     « Avancez, ce sont eux !... Braves fils de la Grèce,

Entendez-vous ces cris d’une horrible allégresse ?

Voyez-vous dans les airs ces drapeaux triomphants ?

Les voilà, ces vainqueurs de femmes et d’enfants !

Frères, reconnaissez sur leur nef écumante

De Chypre, de Scio la dépouille fumante :

C’est ici qu’il faut mettre un terme à leurs forfaits ;

Il faut leur rendre ici les maux qu’ils nous ont faits.

Ô mes enfants, ramez, volez, le ciel m’inspire !

Ils sont à nous !... Malheur, malheur à ce navire !...

Brigands, c’est Canaris !... Ah ! mes vœux sont comblés.

Ils ont brûlé Scio, mais les voilà brûlés. »

 

     Ainsi parlait, au sein d’une mer enflammée,

Ce hardi nautonier, dont la nef renommée

Plus d’une fois surprit les pâles Musulmans,

Et fit luire les flots de leurs vaisseaux fumants.

Ce jour-là, couronné d’une nouvelle gloire,

Le héros à loisir contemplait sa victoire.

Comme un foudre vengeur, non loin de Ténédos,

Il venait d’embraser un navire ; et les flots

Vainement assiégeaient la flamme inextinguible.

Ô spectacle superbe ! ô spectacle terrible !

On dirait qu’un volcan s’ouvre le sein des mers.

L’incendie à grand bruit s’allonge dans les airs ;

De la proue à la voile il court, il se déploie,

De ses réseaux brûlants enveloppe sa proie,

Monte, descend, remonte, et roule en tourbillons,

Et dévore les mâts, les ponts, les pavillons ;

Cependant qu’à travers la flamme et la fumée,

On distingue une foule à demi consumée,

Et que des cris plaintifs, d’affreux gémissements

Du colosse de feu sortent à tous moments.

Enfin, dans les efforts d’une lente agonie,

Il succombe, et sur lui l’onde s’est aplanie.

L’abîme a tout couvert.... le feu, les matelots,

Le bruit, le désespoir, tout dort au sein des flots.

 

 

 

Alphonse AGNANT.

 

Recueilli dans Gusman ou l’expiation, 1843.

 

 

 

 

 

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