Détachement

 

 

« C’est le sang de mon sang, c’est la chair de ma chair ;

            Je l’attends et je l’aime.

Ah ! je sens qu’il tressaille et qu’il m’est déjà cher !

            C’est un autre moi-même. »

 

… Pas d’accord plus intime et pas d’amour plus grand.

            Mais enfin, joie amère !

L’enfant naît ; en naissant il pleure : il se comprend

            Séparé de la mère.

 

Désormais chaque jour tu t’en éloigneras.

            Laisse que demain vienne :

D’abord, elle te prend sur son cœur, dans ses bras :

            Ta vie est encor sienne.

 

Ella t’a ; tu la suis où va sa volonté ;

            De tes lèvres vermeilles

Tu pends à son sein mûr – où tu bois sa beauté –

            Comme la grappe aux treilles.

 

Puis te voilà, nourri du meilleur de son sang,

            Déjà lourd, baby rose ;

Déjà dans ton berceau ta mère en gémissant

            Plus souvent te dépose.

 

Et là, tu sens encor, même au fond du sommeil,

            Que ton âme est suivie

Par le doux bercement régulier, tout pareil

            Au souffle de sa vie.

 

Là, tu te meus encor par elle, à son désir ;

            Elle inspire ton somme ;

Mais demain tu voudras marcher, – c’est ton plaisir, –

            Être à terre, être un homme !

 

La mère en a pleuré ; mais l’enfant à l’envi

            Va, gauche et plein de grâce,

De sa mère inclinée à son père ravi

            Qui se baisse et l’embrasse.

 

S’il ne s’écarte pas dans ce premier chemin,

            C’est qu’il chancelle encore ;

Mais, hélas ! il voudra courir, vienne demain,

            Vers tout ce qu’il ignore.

 

Hier l’enfant sans répondre entendit ton appel,

            Ô mère désolée ;

Il était, sans rien dire, allé seul, le cruel,

            Tout au bout de l’allée !

 

Il s’éloigne, il te fuit, te dis-je, à chaque pas ;

            Le temps te le dérobe ;

Il refuse ta main, lui qui ne lâchait pas,

            Hier, les plis de ta robe.

 

Les enfants sont un jour trop grands pour les berceaux ;

            Les fleurs sont éphémères ;

Et dans les nids d’antan il n’y a plus d’oiseaux...

            C’est le souci des mères !

 

 

 

Jean AICARD, La Chanson de l’enfant.

 

 

 

 

 

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