Le stoïcisme

 

 

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Quand les peuples tombés, que la vie abandonne,

Jour à jour, fleur à fleur, dépouillent leurs vertus,

Ainsi qu’on voit les bois, par l’ouragan battus,

Dépouiller leur feuillage aux premiers froids d’automne ;

 

Quand l’austère devoir ne tente plus personne,

Que de noms élégants les vices sont vêtus,

Que, dans les cœurs gâtés et les cerveaux obtus,

L’honneur s’éteint sans bruit, et l’argent seul résonne ;

 

Celui que ne mord point l’âcre soif du plaisir,

Dédaignant tout bonheur, étouffant tout désir,

S’isole, loin du monde, en un mépris farouche ;

 

Et pour que nul attrait ne le puisse émouvoir,

Sans souci des humains et de ce qui les touche,

Il retranche au tombeau son immortel espoir.

 

 

                                            2

 

Certes, ces fronts sont hauts, et ces âmes sont fières,

Que rien ne peut séduire, ou plier, ou briser,

Qui de la pâle mort acceptent le baiser,

Sans reconnaître un ciel où montent leurs prières ;

 

Et j’admire beaucoup ces natures altières

Qui vont droit leur chemin, sans broncher, sans biaiser,

Tuant leurs passions pour les mieux apaiser,

Et mettant leur orgueil à mourir tout entières.

 

Mais à ces êtres forts, impassibles et durs,

Dont l’âpre volonté, dans les siècles impurs,

De l’humaine grandeur sauve tout ce qui reste,

 

Je préfère ces cœurs agrandis par l’amour,

Qui, dans leur doux silence et leur ombre modeste,

Couvent, sûrs de leur foi, ce qui doit vivre un jour.

 

                                                              4 novembre 1859.

 

 

Edmond ARNOULD, Sonnets et poèmes, 1861.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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